Source et copyright à la fin du texte
Post scriptum de la réédition de Perrenoud, Ph.
La fabrication de l'excellence scolaire : du curriculum aux pratiques d'évaluation, Genève, Droz, 2e éd. augmentée 1995 (1ère éd. 1984).
 

 

 

 

De la fabrication de l’excellence scolaire
à la fabrication de l’échec
Post scriptum

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation
Université de Genève
1995

 

Sommaire

1. Evaluation et métier d’élève

2. L’acteur et le système : évaluation et communication

3. Transposition didactique et travail scolaire

4. De la fabrication de l’excellence à la fabrication de l’échec

5. Démocratisation et différenciation de l’enseignement

6. Evaluation et changement en éducation

Références


Sur de nombreux points, l’ouvrage de 1984 mériterait d’être repris, nuancé, complété en fonction de travaux plus récents. D’ajouts en réécriture, un nouveau livre verrait le jour. J’ai reculé devant une entreprise aussi lourde et pris le parti, plus raisonnable, de proposer un post scriptum, qui relie plus explicitement l’ouvrage à des débats contemporains.

Sur la thèse principale, je ne retranche rien. En 1984, le thème de l’excellence n’était pas encore à la mode, notamment dans le monde de l’entreprise. Sa vogue, d’ailleurs en déclin, n’affaiblit pas la nécessité d’analyser une réalité plus stable : l’école fabrique inévitablement des formes et des normes d’excellence. Elles sont constitutives de son identité, inséparables de la mission qu’on lui assigne et de la légitimité qu’on lui reconnaît à une époque et dans une société données. Formes et normes d’excellence, non sans être diversement interprétées, sont appliquées à l’ensemble des apprenants, au gré de procédures et de pratiques d’évaluation formelle et informelle. Ces jugements produisent généralement des classements dans les diverses disciplines scolaires. Ces hiérarchies d’excellence fondent les jugements de réussite ou d’échec et, en dernière instance, les décisions de sélection, d’orientation, d’exclusion, de certification. On ne peut donc rien comprendre à la marche et aux fonctions des systèmes éducatifs sans décrire et expliquer la fabrication de l’excellence scolaire.

Les formes et des normes d’excellence varient d’un système ou d’une époque à l’autre, comme le montrent les études comparatives ou historiques. Elles se diversifient aussi selon les niveaux d’enseignement et les filières. " Bien écrire " ou " Bien dessiner " n’a pas le même sens à l’école élémentaire, dans un lycée ou dans une école professionnelle. Les procédures et les pratiques d’évaluation ne sont pas immuables et s’accordent à l’esprit du temps, à l’état du dialogue entre l’école et les familles, aux options didactiques dominantes. Dans chaque société, dans chaque région, peut-être dans chaque établissement et dans chaque classe, la fabrication de l’excellence scolaire adopte un visage singulier. On n’en finirait pas de recenser des représentations et des pratiques spécifiques. Mais ce ne se sont que variations sur une trame commune qui, elle, n’a pas fondamentalement changé.

Il me paraît plus intéressant de construire des liens avec de nouvelles problématiques, de montrer que l’évaluation fait partie d’un système, ce qui implique, on le verra en conclusion, qu’on ne peut la transformer isolément !


1. Evaluation et métier d’élève

Expliquer l’échec scolaire, tel était mon point de départ. Or, j’avais buté sur un obstacle inattendu : la faible place accordée, dans les années 1970-80, à une interrogation sur la nature même de la réussite et de l’échec. Chacun savait qu’en dernière instance ce sont des évaluateurs, notamment des maîtres, qui jugent les élèves. On reconnaissait donc une marge d’erreur et certains biais systématiques. Mais la critique docimologique de la notation ne mettait nullement en doute la substance des formes et des normes d’excellence scolaire. Elle contestait simplement l’objectivité, la validité, la fidélité d’une évaluation empirique fort éloignée des canons de la psychométrie.

Il paraissait aller de soi que, dès lors qu’elle enseigne les savoirs et les savoir-faire inscrits à son programme, l’école est en droit d’en exiger la maîtrise au moins partielle. Réussir à l’école revient à manifester cette maîtrise, donc, semble-t-il, à faire la preuve qu’on s’est approprié ces savoirs et savoir-faire. C’est ce que les examens et les autres modalités d’évaluation prétendent vérifier. On peut concéder que les notes attribuées par les professeurs sont moins stables et précises que les scores à des tests standardisés de connaissances, tout en persistant à croire que ces instruments mesurent bel et bien la maîtrise des savoirs et savoir-faire inscrits au programme. Cherkaoui (1979) raisonnait par exemple sur les " paradoxes de la réussite scolaire " à partir des enquêtes de l’IEA, faisant comme si ces instruments de recherche, construits à partir d’une douzaine de programmes nationaux, mesuraient les mêmes acquis que les évaluations scolaires courantes. Or, ce n’est pas le cas. Le dénominateur commun de douze programmes de mathématique au niveau secondaire s’approche sans doute d’une définition canonique du savoir qu’on peut exiger d’un adolescent dans ce domaine. De là à imaginer que chaque professeur de mathématique exige l’équivalent de chacun de ses élèves, il y a un pas infranchissable.

La situation diffère selon que l’évaluation prend la forme d’examens de fin d’année ou de fin de cycle d’études, ou d’un contrôle continu des connaissances. Dans le premier cas, même si ce sont les professeurs qui font passer et qui corrigent les examens, l’évaluation est en partie pensée pour elle-même, à partir des programmes plutôt qu’à partir des pratiques pédagogiques et des contenus effectifs de l’enseignement. Pourquoi conserve-t-on un système d’évaluation aussi peu fiable et qui encourage au bachotage ? Parce qu’il donne une certaine garantie d’équité, parce que l’examen fait abstraction des modalités de sa préparation et donc du travail scolaire qui le précède. Cette logique est à son comble lorsque l’examen est organisé tout à fait indépendamment des écoles qui y préparent. Certes, cette indépendance n’est jamais totale : où recruterait-on les auteurs des épreuves, les correcteurs et les examinateurs de l’oral, sinon au sein du corps enseignant ? Cependant, dans le cadre d’un examen national, chaque candidat " tombe ", comme on dit, sur un examinateur inconnu, qui ne sait rien de son travail de l’année et le juge sur la performance d’un jour, hors de tout contexte, de toute histoire commune, de toute obligation réciproque. Un tel système, aussi centralisé soit-il, n’évite ni les erreurs, ni les biais, ni les divergences d’interprétation dans la notation, mais il garantit effectivement, du moins sur le papier, une évaluation fortement appuyée sur les textes, autrement dit sur ce que les candidats sont censés savoirs et sur ce que les professeurs sont censés leur enseigner.

Il se trouve qu’aujourd’hui, la fabrication de l’excellence scolaire passe de moins en moins par des examens. Même au niveau du baccalauréat, dans de nombreux systèmes éducatifs, on tient compte du travail de l’année, parce que cela paraît plus intelligent et équitable. Lorsqu’il subsiste des examens, ils se passent dans le cadre de la classe et de l’établissement, sur la base d’épreuves sommatives élaborées par les professeurs, qui ressemblent aux travaux écrits qu’ils administrent tout au long de l’année scolaire. L’évaluation est donc de plus en plus continue, imbriquée au travail scolaire quotidien. C’est donc de ce dernier qu’il faut partir pour comprendre de quoi est faite la réussite scolaire (Perrenoud, 1986 a). D’où mon intérêt pour le métier d’élève (Perrenoud, 1994 a, 1994 g) et le curriculum réel (Perrenoud, 1993 a).

L’excellence scolaire n’est pas et ne saurait être la simple traduction " opérationnelle " des conceptions de l’excellence qui sous-tendent implicitement ou explicitement les textes officiels, et notamment les programmes ou les listes d’objectifs. Pour une raison simple : la plupart des professeurs n’évaluent pas en fonction des programmes, mais de ce qu’ils ont ou pensent avoir enseigné.

L’évaluation continue se situe dans le prolongement des tâches scolaires quotidiennes, pour au moins deux raisons majeures :

  1. Si elle s’éloignait trop des exercices de chaque jour, les élèves ne comprendraient plus rien à ce qu’on attend d’eux et finiraient par ignorer les exercices pour se préparer, au besoin dans une école parallèle, aux épreuves notées. Les élèves n’investissent en effet dans les exercices que s’ils apparaissent rentables, autrement dit garants, si on les fait consciencieusement, d’une bonne chance d’obtenir une note convenable au moment de l’évaluation formelle. Le contrat didactique entre le maître et ses élèves exige du premier qu’il ne mette pas systématiquement les seconds en situation d’échec et donc qu’il reste fidèle à ses exigences habituelles. La révolte gronde dans les classes où le maître agit comme si sa main gauche (celle qui évalue) ignorait ce que fait sa main droite (celle qui enseigne).
  2. Si l’évaluation notée plaçait les élèves devant des tâches faiblement exercées, le rendement de l’enseignement apparaîtrait désespérément faible, puisque seuls les élèves capables d’un véritable transfert réussiraient. Or, ils ne sont pas légion. La plupart réussissent justement parce qu’on leur propose, à l’examen ou lors d’une épreuve notée, des difficultés de même niveau et de même forme que les autres jours. Le professeur n’a pas intérêt à creuser le fossé entre la valeur scolaire quotidienne des élèves en situation de travail et leur valeur en situation d’évaluation. Il préserve à la fois son estime de soi, sa réputation auprès de ses collègues et de l’administration et la paix dans ses classes… Lorsque le système éducatif administre des épreuves standardisées parallèlement aux travaux notés des enseignants, on sait que des divergences trop criantes ou systématiques provoquent malaises ou conflits.

Le travail scolaire et les évaluations formelles se déterminent donc réciproquement. Toutefois, il n’y a pas absolue symétrie. Certes, l’enseignant anticipe sur l’évaluation et choisit la forme et le niveau des exercices en fonction de ce qu’il peut et doit exiger lors de l’évaluation notée. Il ne peut cependant s’affranchir du programme. Les contenus des tâches sont donc largement influencés par les objectifs et les programmes. Mais seul un observateur naïf pourrait croire aujourd’hui que les contenus de l’enseignement sont la pure et simple application des textes.


 2. L’acteur et le système :
évaluation et communication

Dans les organisations, les règles sont loin d’être toujours respectées. On pourrait trouver à ces écarts de multiples interprétations superficielles : fantaisie, paresse, manque de sérieux, goût du risque, ignorance des règles, incompétences, etc. Ces explications mettent l’accent sur l’impossibilité de contrôler les conduites individuelles, à moins de mettre un inspecteur derrière chaque personne. La sociologie du travail et des organisations suggère que l’écart tient souvent à la nature même du travail et à l’impossibilité de l’accomplir dans le respect des règles. Un chauffeur routier, aujourd’hui, est structurellement poussé à enfreindre les règles, en raison de la pression qu’exerce la concurrence sur chacun. Même dans les centrales nucléaires ou les compagnies aériennes, la sécurité n’est pas absolue, non pour des raisons techniques, mais parce que les précautions entrent en conflit avec la production et la tenue des échéances. On sait d’ailleurs que la grève du zèle peut paralyser n’importe quelle organisation : si chacun respecte toutes les règles, plus rien ne bouge…

L’école n’échappe pas à cette nécessité d’un " à peu près " fonctionnel. Personne ne s’attend à ce qu’un enseignant aille au fond de chaque chapitre pour l’ensemble des élèves. S’il le faisait, il couvrirait le quart du programme. Or, précisément, son contrat est de couvrir le tout, bon an mal an. Le travail scolaire est fortement lié à la nécessité de progresser, de tourner les pages dans le " texte du savoir " (Chevallard, 1985). Le contrat est aussi de n’éjecter aucun élève en cours d’année, sous peine de désorganiser la gestion des flux. Ou alors de façon exceptionnelle, et plutôt pour mauvaise conduite que pour résultats insuffisants. La logique du système est de gérer ces problèmes en fin d’année scolaire, au moment où on redistribue les élèves entres les classes, les niveaux, les filières. Un professeur est aussi, implicitement mais fermement, invité à ne pas ajouter plus que de raison au contentieux entre les parents et l’école à propos de l’évaluation et de la sélection. Et de même, à ne pas entrer en conflit ouvert avec ses élèves (Montandon et Perrenoud, 1994). Un établissement peut s’accommoder d’un ou deux " fauteurs de troubles " justement parce que, dans les autres classes, il n’y a rien à signaler !

En fin d’année, les contraintes sont différentes, mais non moins fortes : aucune école ne peut " se permettre " des redoublements trop massifs, mais elle évite aussi de se singulariser par une sélection trop douce, qui suggérerait un certain laxisme et ferait craindre une " baisse du niveau ". Les professeurs n’ont donc pas une immense marge de manœuvre. Comme les divers ateliers dans une usine, ils sont invités à respecter une norme de productivité qui, même si elle est non écrite, s’accompagne de sanctions directes ou indirectes en cas de déviance répétée. Un professeur qui note " trop sec " nuit à la réputation de l’établissement aussi bien que celui qui tombe dans l’excès inverse, en fonction des normes locales. Les marges restent importantes, mais personne ne se sent entièrement libre. Chacun est donc conduit, plus ou moins consciemment, à adapter son enseignement aux attentes diffuses de son entourage plutôt qu’à la lettre des programmes. Le jeu avec les règles (Perrenoud, 1986 b) n’est pas, en matière d’évaluation comme dans d’autres domaines, le gage d’une réelle liberté de l’acteur, autrement dit d’une liberté dont il disposerait à sa guise. Sa liberté lui permet tout juste d’assurer sa position, voire sa simple survie dans l’organisation, en s’accommodant des contradictions du système et en tenant compte d’attentes qui, pour n’être pas explicitement mentionnées dans son cahier des charges, n’en sont pas moins effectives. La sociologie des organisations vaut aussi pour les écoles : la poursuite des objectifs affichés n’est qu’une des " logiques d’action " à l’œuvre. Ce qui ne signifie pas que chacun fait ce qu’il veut, mais qu’il navigue au plus près entre divers écueils. Loin d’être un processus impersonnel, la fabrication de l’excellence passe par un ensemble de pratiques sociales qui sont autant de stratégies et de contre-stratégies, dont les enjeux sont multiples. Établir la valeur scolaire d’un élève n’est pas le seul, même s’il correspond à la rationalité déclarée de l’évaluation. Chevallard (1986) montre par exemple fort bien que la notation, loin d’être une mesure, est d’abord un message adressé à chaque élève, mais surtout au groupe-classe, que l’enseignant s’en sert comme un cavalier de ses éperons, pour mobiliser ses élèves, maintenir leur investissement au dessus du seuil censé permettre à la classe de parcourir le programme de l’année et à la majorité des élèves d’en maîtriser une partie décente.

La psychologie expérimentale et les sciences de l’éducation ont été et restent tentées de concevoir l’évaluation scolaire comme une mesure. Une mesure certes imparfaite, biaisée, donc à améliorer, mais une mesure. Or, sans dénier cette approche, il importe de rappeler que le souci de la mesure objective pour la mesure objective n’existe, au mieux, que dans le domaine de la recherche pure. Tout jugement d’excellence s’inscrit dans la trame des rapports sociaux et représente un coup, en un double sens : un bon ou un mauvais coup pour celui qui est " frappé " par l’évaluation, et un coup stratégique pour celui qui frappe à un moment, sur un terrain et en vertu d’exigences qu’il fixe ou module en général de façon unilatérale. Nul jugement d’excellence n’est gratuit, il a toujours une dimension pragmatique. Lorsqu’il a été formulé, rien ne peut être comme avant, l’évalué doit vivre avec une nouvelle donnée, qui confirme ou corrige son image de soi, renforce ou affaiblit sa position dans les transactions sociales, l’oblige à réagir.

L’évaluation a donc fortement partie lié avec la communication, non seulement parce qu’elle s’en sert comme d’une médiation, mais parce qu’elle participe de la régulation des interactions pédagogiques et didactiques dans la classe (Weiss, 1991). Cardinet (1988), allant au bout de cette logique, propose de concevoir la maîtrise comme une communication réussie, on pourrait dire aussi comme une construction sociale qui ne vaut qu’hic et nunc, dans le cadre d’une transaction entre deux acteurs. Peut-être peut-on soutenir cette thèse, mais en sachant qu’elle est inacceptable pour les acteurs, qu’ils ont besoin de croire qu’ils cernent la vraie valeur. Il y a là, en tout cas, une approche possible de l’échec scolaire comme défaut ou échec de communication entre l’élève et l’enseignant. Si l’évaluation s’inscrit dans une pragmatique pédagogique, sert les stratégies de l’enseignant, se construit en fonction de ses propres enjeux (gestion de classe, progression dans le programme, réputation auprès des parents et des collègues, etc.), on peut envisager que l’élève ne comprenne pas les codes ou résiste aux stratégies de l’enseignant, bref, " ne joue pas le jeu " et que cela soit, davantage que son " incompétence " ou son " ignorance ", la source de son échec scolaire.


3. Transposition didactique et travail scolaire

On aurait tort de rapporter les variations des contenus de l’enseignement et du travail scolaire, donc de l’évaluation, au simple jeu des acteurs, de leurs jugements et de leurs stratégies dans une organisation quelconque. Au-delà des traits communs à tous les systèmes sociaux, la sociologie s’efforce de comprendre ce qu’il y a de spécifique à des activités particulières, du fait de leur contenu et de leur contexte. Dans un hôpital, on joue avec la vie et la mort, la souffrance, la peur, et ces enjeux modulent fortement les jeux de pouvoir et de territoire, en leur donnant par exemple une dimension existentielle, voire métaphysique, qu’on ne trouve pas dans un hypermarché. A l’école, on " joue " avec l’enfance et l’adolescence, avec le savoir et l’apprentissage, avec des rapports pédagogiques et des dynamiques de groupe sans équivalent dans d’autres organisations.

Si les contenus de l’enseignement ne sont pas toujours la traduction fidèle des programmes, ce n’est pas seulement à la manière dont les comportement effectifs des automobilistes s’écartent du code de la route, ou le fonctionnement d’un atelier des normes édictées par le " bureau des méthodes ". C’est d’abord parce que, pour faire apprendre, il faut faire subir aux savoirs une transposition que j’appelais en 1984 " pragmatique ", assez proche de ce qu’aujourd’hui on nomme, plus couramment, transposition " didactique ".

Entre 1982 et 1984, Viviane Isambert-Jamati me poussait amicalement à lire "Le temps des études", la thèse de Verret (1975), en m’indiquant qu’il y avait beaucoup de proximité entre sa façon de percevoir les contenus de l’enseignement et mon approche du curriculum réel. Las, l’ouvrage n’était pas facile à trouver. Trop pris par l’avancement de ma propre thèse, j’ai oublié ce conseil et je n’ai lu qu’un peu plus tard, trop tard, un livre peu connu, mais fondateur d’une véritable sociologie des savoirs scolaires. Verret mettait en forme, magnifiquement, une intuition que Chevallard (1985) a fait connaître depuis : pour être " enseignables ", les savoirs doivent subir une transposition qui les rende compatibles avec les contraintes du système didactique.

Je maintiens qu’il s’agit avant tout d’une transposition pragmatique. Certes, la didactique des mathématiques a, dans la lignée de Chevallard, beaucoup insisté sur l’altération des notions ou des théories mathématiques au long de la chaîne de transposition. Cette transposition d’ordre " épistémologique ", qui fascine les didacticiens centrés sur les savoirs savants, n’est cependant qu’une partie d’une transposition requise par une mission impossible : amener des élèves qui, souvent, n’ont rien demandé, à construire des savoirs en respectant les rythmes et les fonctionnements d’une école de masse.

On a pu croire longtemps que le savoir se transmettait d’un esprit à un autre esprit par la médiation du verbe. On sait désormais que cela ne fonctionne que pour des savoirs élémentaires, qui sont plutôt des informations. Peut-être suffit-il qu’on me dise une seule fois comment me rendre à la gare pour que je le " sache ". La transmission, sur ce mode, de savoirs plus complexes ne vaut que pour une minorité d’esprits assez vifs pour " suivre le fil " d’un discours magistral et, sur cette seule base, reconstituer, comprendre et retenir des savoirs organisés. Au début du siècle, 4 % des jeunes d’une classe d’âge fréquentaient les lycées français ; on pouvait alors, sans doute, s’en remettre une cette pédagogie essentiellement discursive et la transposition didactique se bornait au lycée à un zeste de mise en forme et à l’élaboration d’une progression raisonnable dans la discipline.

Dans la plupart des écoles du monde, aujourd’hui, on accueille non plus les " héritiers ", issus des classes favorisées, mais des élèves de toutes classes sociales, de toutes provenances, de tous rapports au savoir. On ne peut prétendre les instruire en leur " racontant " les savoirs, à charge pour eux de se les approprier par cette seule voie. Même l’université de masse a introduit les exercices et les travaux dirigés. Enseigner, c’est transformer les savoirs en tâches, en activités, en exercices, en projets à réaliser. Selon qu’on se réclame d’une pédagogie plus traditionnelle ou plus active, on ne privilégiera pas les mêmes tâches et les mêmes situations d’apprentissage, mais les enseignants auront un problème commun : mettre au travail, heure après heure, jour après jour, vingt à trente élèves réunis dans leur classe, qu’il vente ou qu’il pleuve, et même les jours de beau temps, lorsque chacun, même le professeur, a la tête ailleurs.

Métier d’élève et métier d’enseignant s’articulent dans cet espace de travail commun, où l’un accomplit les tâches que l’autre lui assigne ou mieux, l’amène à assumer " spontanément ". Comme tous les métiers, ils mobilisent des savoirs pour faire quelque chose, par exemple pour opérer sur des nombres, des textes, des informations comme d’autres opèrent sur des matériaux de construction ou des valeurs boursières. Tel est le lot des élèves et des maîtres, là s’enracine la transposition didactique, dans cette nécessité de traduire les programmes en une litanie d’activités et de situations d’apprentissage. Qu’on les vive dans la routine et l’ennui, ou comme une aventure exceptionnelle, change quelque chose dans le rapport au savoir et le sens de la tâche, mais n’abolit pas l’essentiel du travail de l’enseignant : alimenter le travail des élèves, à la manière dont les chauffeurs des locomotives à vapeur n’avaient de cesse de jeter du charbon dans la chaudière.

La classe est une machine qui consomme de façon effrénée des tâches et des situations qui doivent à la fois se ressembler, pour produire certains effets d’apprentissage, et se renouveler, pour assurer à la fois la mobilisation des élèves et la progression dans le programme. " Qu’est-ce que je pourrais bien leur faire faire ? ", se demande l’animateur inexpérimenté d’un groupe d’enfant, par exemple en colonie de vacances, lorsqu’il a épuisé tous les jeux. L’enseignant est à la fois en meilleure et en moins bonne posture. Virtuellement, il dispose d’une inépuisable réserve de tâches, puisqu’il a constamment l’impression de ne pas arriver à " couvrir le programme ". Pour que ces tâches virtuelles puissent être proposées aux élèves, il faut cependant les mettre en forme. Là est peut-être le coeur de la transposition didactique, dans un dilemme permanent, l’oscillation entre deux tentations, un idéalisme impraticable et un réalisme inconfortable. Le souci d’être cohérent et créatif pousse l’enseignant à élaborer des tâches sur mesure, en fonction de ce qu’il a vraiment enseigné, du niveau et des attitudes des élèves, de ce qui résulte d’une négociation avec eux, des préférences didactiques de l’enseignant, de son propre rapport au savoir. Mais aller constamment dans ce sens, c’est s’épuiser à inventer des situations et des moyens d’enseignement ou d’apprentissage originaux. D’où l’autre tentation, celle de puiser dans le vaste réservoir du " prêt-à-enseigner ", mis sur le marché (au sens propre ou au sens métaphorique) par les éditeurs, les centres de documentation, les formateurs et l’ensemble de la noosphère (Chevallard, 1985). Le " prêt-à-enseigner " a les mêmes avantages et les mêmes limites que le " prêt-à-porter " : il demande moins de temps, juste quelques essais, mais ne correspond pas toujours à tous les besoins du consommateur. Viendra peut-être le jour où la division du travail mettra à la disposition d’un enseignant qualifié quelques auxiliaires capables de lui fabriquer des situations et des moyens sur mesure. Pour l’instant, il ne dispose, dans le meilleur des cas, que de " préparateurs " et ne peut, comme un dentiste ou un ingénieur, passer une commande à un " technicien en ingénierie didactique " qui lui fera exactement ce dont il a besoin. Le " sur mesure " ne peut être délégué et exige donc que l’enseignant y investisse son propre temps. Même s’il est très créatif, très efficace et très organisé (anticipation, reprise de ce qu’il a fait d’autres années), sa disponibilité a des limites et, pour " tourner ", il alimente une partie de sa classe avec des situations et des exercices conçus par d’autres. Une fraction des enseignants, sans doute davantage dans le secondaire, ne tentent même pas, s’ils l’ont jamais fait, de créer des tâches originales et se contentent de puiser dans ce que leurs collègues, les institutions et les éditeurs mettent à leur disposition.

Le curriculum réel est, au moins autant que des leçons magistrales, fait de ces tâches successives. La transposition didactique se heurte à des contraintes épistémologiques ou pédagogiques qu’on rencontrerait dans n’importe quelle action d’enseignement et qui tiennent à la résistance même de l’esprit au savoir et à l’apprentissage (Astolfi, 1992 ; Develay, 1991, 1995). Au-delà de ces contraintes de base, le fonctionnement courant du métier d’enseignant et du métier d’élève en ajoute, d’ordre sociologique et économique. Il s’agit d’enseigner dans une école de masse, à heures fixes, selon une division du travail, des méthodes et des programmes institués, ce qui rétrécit singulièrement les marges de négociation et d’adaptation des enseignants aussi bien que des apprenants. Tout cela contraint fortement l’évaluation continue.


4. De la fabrication de l’excellence
à la fabrication de l’échec

Les jugements globaux de réussite et d’échec sont fondés sur des jugements d’excellence plus spécifiques. Toutefois, entre ces deux niveaux de fabrication, il n’y a pas absolue continuité. L’école enseigne plusieurs disciplines en parallèle, parfois dix ou quinze. Chacune définit une forme et une norme d’excellence, voire plusieurs lorsque a amené à coexister sous une même étiquette des champs de savoir distincts, qui a d’autres époques ou dans d’autres systèmes éducatifs, sont considérées comme des disciplines distinctes. Les normes en vigueur à un moment donné de la scolarité situent chacun des élèves astreints à suivre le même programme dans un espace à n dimensions : un élève de onze ans peut être bon en calcul mental, moyen en géométrie et en orthographe, excellent en grammaire, ignorant en histoire, passionné de sciences, etc.

De ce profil contrasté, comment l’institution déduit-elle qu’il s’agit globalement d’un " bon " ou d’un " mauvais " élève ? Comment juge-t-elle de la pertinence de mesures d’appui pédagogique ? Comment décide-t-elle qu’un élève peut poursuivre sa progression dans le cursus ou qu’il doit, au contraire, redoubler ou être réorienté vers une filière moins exigeante ?

Ne nous arrêtons pas ici au détail des mécanismes de réduction de l’information. Ils sont aussi variés que les systèmes de notation, de pondération, de calcul de moyennes ou de profils de compétences minimales. J’insisterai seulement sur la double logique de ces opérations :

Plus concrètement : un maître, un établissement ou un système ne peuvent se permettre de laisser le " respect aveugle " des procédures dicter des taux de sélection ou d’orientation qui sortiraient nettement des limites institutionnellement, socialement, moralement ou économiquement " acceptables ". Les spécialistes du travail parleraient ici d’une opposition classique entre " flux poussés " et " flux tendus ". La seule façon de réguler exactement des effectifs d’élèves admis dans un niveau ou une filière d’enseignement est de pratiquer un numerus clausus, donc d’instituer un concours. Dans une société affirmant le droit à l’éducation, cette pratique n’est admise qu’exceptionnellement dans l’enseignement public, lorsque la rareté ou le coût des ressources de formation le justifient. Les systèmes éducatifs doivent donc " se débrouiller " pour faire face aux flux d’élèves commandés par la démographie (natalité, mouvements migratoires) et les évaluations pratiquées en amont dans le cursus. Pour ne pas se trouver devant des fluctuations trop grandes ou des tendances trop rapides à la hausse (ou à la baisse), les organisations scolaires mettent en place des régulations qui, sans être aussi explicites et précises qu’un numerus clausus, permettent une gestion approximative des flux et des ressources. Pour cela, il est indispensable de moduler les évaluations des enseignants de sorte que leurs effets conjugués ne fassent pas sortir de " limites acceptables ". Il importerait par exemple d’étudier de près les mécanismes qui assurent une certaine stabilité des taux de redoublement et d’orientation. Les variations aléatoires des pratiques des professeurs et des niveaux des classes se compensent en partie à large échelle. Cependant, on observe que le nombre d’élèves qui redoublent à la fin d’un degré varie moins, d’une classe à l’autre, que le niveau moyen et la dispersion des niveaux des élèves. Tout se passe comme si chaque enseignant " se débrouillait " pour " produire " un ou deux élèves en échec, exceptionnellement trois ou aucun. Ce qui signifie à la fois :

Raison de plus de ne pas considérer l’évaluation comme une mesure. Ou alors, comme une mesure un peu arrangée, de sorte qu’elle ne s’éloigne pas trop d’une norme non écrite, non explicite, mais qui fonctionne. Lorsqu’un système donne ouvertement le mot d’ordre de faire diminuer le retard scolaire, le taux de redoublement diminue sans qu’on observe une élévation du niveau d’instruction. Chaque enseignant se sent simplement invité et autorisé à être un peu moins exigeant. A l’inverse, lorsque le chef d’un établissement élitiste indique que les résultats à l’examen national sont en baisse, chacun " prend sur soi " de rétablir une sélection un peu plus dure dans les degrés antérieurs, de façon à élever le niveau des classes terminales.

Les attentes et le jugement des collègues comptent sans doute au moins autant que les incitations de l’institution. Hutmacher (1993) montre que le taux de redoublement tombe pratiquement à zéro lorsque le maître " garde ses élèves " d’un degré primaire au suivant. Ce qui montre bien que le taux de redoublement n’est pas l’expression du niveau scolaire " objectif " des élèves, mais un choix stratégique opéré en fonction de l’environnement social (élèves, parents, collègues, autorité, milieu local), résultante d’une navigation à vue entre un excès de laxisme et un excès de sévérité.


5. Démocratisation et différenciation
de l’enseignement

L’échec scolaire n’est devenu que depuis quelques décennies un " problème de société " (Isambert-Jamati, 1985). Il y a eu des échecs dès l’apparition de la forme scolaire et ils se sont évidemment accrus avec l’institution de la scolarité obligatoire à la fin du XIXème siècle. Mais jusqu’au milieu du XXe siècle, il apparaissait " dans l’ordre des choses " que tous les élèves ne réussissent pas à l’école. Il y a encore, de par le monde, des sociétés qui vivent paisiblement avec une forte sélection scolaire. D’autres, cependant, ont défini d’ambitieuses politiques de démocratisation des études, en refusant la fatalité de l’échec. Avec au moins deux conséquences qui, depuis les années 1960, altèrent la " splendide sérénité " des mécanismes de fabrication de l’excellence scolaire :

1. Ces politiques promettent toujours plus qu’elles ne peuvent tenir. Il y a donc nécessairement une pression plus ou moins diffuse sur le corps enseignant pour que l’évaluation atteste d’une élévation du niveau, ou au moins de son maintien " en dépit de la démission des familles, des attitudes de la jeunesse, de la transformation des courants migratoires ou des nouveaux curricula ". Ce qui pourrait apparaître comme une stagnation serait alors un progrès, compte tenu de conditions économiques, démographiques ou politiques qui se dégradent. Disons que l’évaluation des élèves est désormais connectée plus directement à l’évaluation des systèmes de formation, des réformes, des politiques de l’éducation, et que cela ne va pas nécessairement dans le sens de la lucidité (Perrenoud, 1993 d).

2. Le second mouvement transforme les pratiques d’évaluation dans un tout autre sens. Sauf lorsqu’elles sont de purs rideaux de fumée, les politiques de démocratisation veulent vraiment élargir l’accès aux études et limiter l’échec scolaire. Qu’il faille sauver la face lorsque le miracle ne se produit pas relève de la marche ordinaire des politiques publiques dans les pays démocratiques. On aurait tort de les réduire à des " effets de manches ". De nombreux systèmes éducatifs ont investi dans la lutte contre l’échec scolaire de réels moyens, concentrés assez souvent sur des dispositifs d’appui pédagogique, et plus globalement de différenciation de l’enseignement et d’individualisation des parcours de formation (Huberman, 1988 ; Meirieu, 1989 ; Perrenoud, 1995 a). L’évaluation est alors redéfinie dans ses fonctions : avant d’être une évaluation-bilan, ou " sommative ", comme disent les spécialistes, on l’invite à être d’abord " formative ", mise au service de la régulation des apprentissages en cours d’année (Allal, 1988, 1991 ; Cardinet, 1986 a et b ; Allal, Cardinet et Perrenoud, 1989 ; Perrenoud, 1991 a et b ; Allal, Bain et Perrenoud, 1983). Il n’est plus question de situer immédiatement l’élève sur une échelle d’excellence, en se bornant à prendre acte de sa position ; il importe au contraire d’en savoir le plus possible sur ses acquis et ses façons d’apprendre, pour lui proposer des situations didactiques adaptées. Ce mouvement vers la pédagogie différenciée transforme progressivement les pratiques d’évaluation dans les classes. L’écart reste immense entre les propositions des chercheurs ou des mouvements pédagogiques et les pratiques courantes des enseignants. La pédagogie différenciée et l’évaluation formative qui en est indissociable ne sont pas encore mises en œuvre à large échelle. Cependant, dans les systèmes éducatifs les plus soucieux de démocratisation, une fraction des établissements et des classes vont assez loin dans ce sens, et le reste du système évolue plus lentement dans la même direction.

Il s’ensuit, pour les mécanismes de fabrication de l’excellence scolaire, qui subsistent évidemment, deux conséquences de taille :

a. La contradiction entre différentes logiques de l’évaluation, qui n’est pas neuve, tend cependant à s’accentuer. De nombreux établissements et de nombreux enseignants vivent une tension forte entre l’évaluation qu’ils doivent au système et celle qu’ils veulent mettre au service des apprentissages. Il s’agit non seulement de surcharge de travail, mais d’attitudes antinomiques : dans un cas, l’évaluation est une inquisition contre laquelle l’élève se défend, dans l’autre, on lui demande de mettre à nu ses failles et ses doutes, pour mieux l’aider. Ce double message est difficile à vivre, de part et d’autre. Par ailleurs, l’importance donnée à la régulation des apprentissages induit une forte résistance au bilan de fin d’année, dont l’arbitraire apparaît plus fortement. Cela pousse à un décloisonnement des degrés et à une extension de l’attitude formative à des cycles d’études de plusieurs années, sans sélection intermédiaire (Perrenoud, 1994 f, 1995 a).

b. L’insistance mise sur l’évaluation formative met fin à la séparation classique entre didactique et évaluation (Bain, 1988 ; Allal, 1988 ; Bain, Allal et Perrenoud, 1993). S’il faut évaluer des compétences, des procédures, des rapports au savoir, des méthodes de travail, des styles d’apprentissage, ce ne peut être qu’à travers des situations de travail complexes, non à travers des épreuves ou des tests détachés des séquences d’enseignement-apprentissage. La séparation traditionnelle entre le temps de l’enseignement-apprentissage et le temps de l’évaluation est ébranlée, donc aussi l’autonomie relative des mécanismes de fabrication de l’excellence scolaire (Perrenoud, 1988 a, 1988 b). On peut même envisager que ces nouvelles pratiques aillent vers une diversifications des formes et des normes d’excellence (Perrenoud, 1991 d).


6. Evaluation et changement en éducation

L’évaluation est au coeur du système didactique, de ce que j’ai appelé un octogone de forces (Perrenoud, 1993 b). Toucher à l’évaluation, c’est toucher aux échanges entre les familles et l’école ; à l’organisation des classes et aux possibilités d’individualisation ; aux méthodes d'enseignement ; au contrat didactique, à la relation pédagogique, au métier d’élève ; à la concertation et au contrôle dans les établissements ; aux programmes, aux objectifs, aux exigences ; au système de sélection et d’orientation ; aux satisfactions personnelles et professionnelles des enseignants.

A l’inverse, vouloir favoriser des méthodes actives, un autre dialogue avec les familles, des didactiques nouvelles, une pédagogie différenciée, le recours aux technologies informatique ou le travail en équipe touche à l’évaluation, de même que tout changement de programme et de structure.

Même lorsqu’on ne vise pas directement l’évaluation, on ne peut s’en désintéresser, parce qu’elle fonctionne comme un verrou, un frein au changement des pratiques (Perrenoud, 1992 b). Les travaux récents sur l’évaluation (par exemple Gather Thurler, 1993, 1994 a et b) insistent sur l’implication des praticiens dans le changement et sur une approche systémique. De nombreuses réformes ont échoué, alors qu’elles se fondaient sur des idées pertinentes, parce que les innovateurs n’avaient pas perçu la part d’utopie rationaliste dans leur modèle (Perrenoud, 1988 b), les deuils qu’il exigeait des enseignants (Perrenoud, 1995 a, chapitre 4 et 5), les déséquilibres qu’il introduisait dans le système didactique, et notamment les tensions nouvelles qu’il induisait entre les logiques de l’évaluation formelle, du contrôle continu du travail scolaire, du contrat didactique. Ces contradictions s’accentuent lorsque les réformes, au-delà des programmes et des structures, mettent l’accent sur les pratiques et insistent sur les nouvelles approches didactiques, la construction de compétences (Perrenoud, 1991 c ; 1995 b), le transfert des connaissances.

L’évaluation n’est ni l’alpha ni l’oméga du système, simplement une de ses composantes majeures. La fabrication de l’excellence scolaire et de l’échec traversent toutes les structures, tous les curricula, toutes les organisations de classe et d’établissements. Il est donc plus que jamais nécessaire de développer une sociologie de l’évaluation (Perrenoud, 1989 b) qui se dégage de la perspective pragmatique - améliorer l’évaluation ou la rendre plus équitable - pour mieux comprendre son fonctionnement et ses fonctions dans le système éducatif.


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