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Métier d’élève et métier d’enseignant
dans une pédagogie différenciée

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et de sciences de l’éducation
Université de Genève
1998

Pour lutter contre l’échec scolaire, il faut aller vers une pédagogie différenciée, ce qui suppose une autre gestion de classe, la mise en place de dispositifs d’individualisation des parcours de formation, mais aussi un autre contrat didactique, une plus grande prise en compte du sens des activités et des savoirs. Les pédagogies différenciées, ainsi conçues, sont aussi des pédagogies actives, des pédagogies coopératives, des pédagogies du projet, des pédagogies orientées vers l’acquisition de compétences.

Aller dans ce sens transforme considérablement les métiers en présence, tant celui des enseignants que celui des élèves. 

Le métier d’enseignant dans une pédagogie différenciée

Pour engager véritablement l’analyse, il faudrait faire un large détour par la conception même d’une pédagogie différenciée. De sa clarification dépendrait l’évolution du métier d’enseignant. Mais pourquoi ne pas tenter la démarche inverse et définir la pédagogie différenciée à travers les mutations du métier d’enseignant qu’elle suppose ? En voici quelques unes :

  1. Perte de la clôture de la classe, multiplicité des groupes de travail et de référence.
  2. Travail à ciel ouvert, sous le regard des collègues et des parents.
  3. Coopération professionnelle intense et incontournable, négociation constante.
  4. Confrontation directe aux élèves en difficulté, tensions intersubjectives et interculturelles plus soutenues.
  5. Travail par situations-problèmes et régulation interactive en situation.
  6. Pratique d’une évaluation formative individualisée fondée sur une observation continue des élèves au travail.
  7. Conception et construction de dispositifs didactiques variés et éphémères.
  8. Pilotage des activités à partir de l’écart aux objectifs plutôt que du programme annuel.
  9. Complexification du contrat didactique et pédagogique, multiplications des acteurs.
  10. Gestion de la progression des apprentissages sur plusieurs années.
  11. Participation au projet d’établissement.
  12. Analyse de pratiques et formation continue intensives.
 

Le métier d’élève dans une pédagogie différenciée

Le métier d’élève consiste à faire au minimum " comme tout le monde ", et si possible mieux que les autres, en particulier au moment de l’évaluation. Il est assez souvent associé à des tactiques à courte vue, à un rapport utilitariste, voire cynique au savoir.

Les pédagogies différenciées brouillent complètement les cartes pour les élèves habitués à un métier plus conventionnel. Elles leur demandent par exemple d’entrer dans un jeu coopératif avec l’enseignant, de ne pas masquer leurs doutes et leurs erreurs, d’expliciter leur méthode de travail, de fonctionner en groupe, de ne pas chercher à tirer seuls leur épingle du jeu, mais en même temps de n’avoir pas constamment la même tâche que les autres et de n’être pas confrontés aux mêmes exigences.

Plus méthodiquement, voici un premier inventaire des transformations :

  1. Face au pouvoir de l’école, l’esprit de corps des élèves a moins de force (groupes mobiles, individualisation).
  2. L’élève ne peut plus se fondre dans le groupe, il est face à lui-même et à un interlocuteur qui le constitue en personne.
  3. Les tactiques habituelles d’évitement de la tâche ou des difficultés sont moins faciles à mettre en oeuvre.
  4. L’évaluation implique l’élève dans un exercice de lucidité personnelle plutôt que dans le jeu traditionnel du chat et de la souris.
  5. Le minimalisme et le rapport cynique au savoir et au travail sont moins faciles.
  6. L’élève ne peut plus protéger son for (t) intérieur, il s’expose à être questionné, mis en demeure de s’impliquer et de s’expliquer
  7. Il est explicitement responsable du contrat didactique et du fonctionnement de la relation pédagogique. 
Un chantier ouvert

On s’en doute, ces transformations sont loin d’être perçues et encore moins assumées par les intéressés. Les élèves sont évidemment dans une forme de dépendance : leur métier évolue parce que l’école modifie les règles du jeu, les finalités, les démarches, les dispositifs. Les enseignants ont en principe davantage de prise sur les transformations de leur métier, collectivement et en partie individuellement, à la faveur de leur autonomie. Cela n’empêche pas le sentiment d’être emporté par des évolutions globales et les ambivalences : on peut sincèrement vouloir une pédagogie différenciée sans en accepter toules les incidences, ni faire tous les deuils nécessaires.

 Quelques lectures

Astolfi, J.-P. (1992) L’école pour apprendre, Paris, ESF.

Astolfi, J.-P. (1996) Mettre l’élève au centre, oui, mais au centre de quoi ?, in Sens du travail scolaire et construction des savoirs : quelle place pour les enseignants ? quelle place pour les élèves ? Actes du Forum 1995 de l’enseignement primaire, Genève, Département de l’instruction publique, pp. 11-32.

Astolfi, J.-P. (1997) L’erreur, un outil pour enseigner, Paris, ESF.

Baeriswyl, E. et Vellas, E. (1994) Le métier de l’élève dans les pédagogies actives, Journal de l’enseignement primaire, n° 48, pp. 26-31.

Charnay, R. et. al. (1995), Chacun, tous… différemment !, Paris, INRP, Rencontres pédagogiques n° 34.

Charlot, B., Bautier, E. & Rochex, J.-Y. (1992). Ecole et savoir dans les banlieues… et ailleurs, Paris, Armand Colin.

Dubet, F. et Martucelli, D. (1996) À l’école. Sociologie de l’expérience scolaire, Paris, Seuil.

Meirieu, Ph. (1989) Apprendre… oui, mais comment ?, Paris, Ed. ESF, 4e éd.

Meirieu, Ph. (1989) Itinéraires des pédagogies de groupe, Lyon, Chronique sociale, 3ème éd, 2 volumes.

Meirieu, Ph. (1990) L’école, mode d’emploi. Des’" méthodes actives " à la pédagogie différenciée, Paris, Ed. ESF, 5e éd.

Meirieu, Ph. (1995) Différencier, c’est possible et ça peut rapporter gros, in Vers le changement… espoirs et craintes. Actes du premier Forum sur la rénovation de l’enseignement primaire, Genève, Département de l’instruction publique, pp. 11-41.

Meirieu, Ph. (1996) La pédagogie différenciée : enfermement ou ouverture, in Bentolila, A. (dir.) L’école : diversités et cohérence, Paris, Nathan, pp. 109-149.

Perrenoud, Ph. (1996) Métier d’élève et sens du travail scolaire, Paris, ESF, 3ème édition.

Perrenoud, Ph. (1996) La pédagogie à l’école des différences. Fragments d’une sociologie de l’échec, Paris, ESF, 2ème édition.

Perrenoud, Ph. (1997) Construire des compétences dès l’école, Paris, ESF.

Perrenoud, Ph. (1997) Pédagogie différenciée : des intentions à l’action, Paris, ESF.

Sirota, R. (1988) L’école primaire au quotidien, Paris, Presses universitaires de France.

Vellas, E. (1996) Donner du sens aux savoirs à l’école : pas si simple !, in Groupe français d’éducation nouvelle, Construire ses savoirs, Construire sa citoyenneté. De l’école à la cité, Lyon, Chronique sociale, pp. 12-26.

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