Source et copyright à la fin du texte
in Revue des sciences de l'éducation (Montréal), Vol. XXIV, n° 3, 1998, pp. 487-514.

 

 

 

 

 

La transposition didactique à partir
de pratiques : des savoirs aux compétences

 

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation
Université de Genève
1998

Sommaire

I. La transposition : retour aux sources

II. Il n'y a pas de savoirs sans pratiques

III. Il n'y a pas de pratiques sans savoirs

IV. Partir des pratiques pour identifier des compétences

V. Transposition didactique ou ingénierie de formation ?

Bibliographie


La notion de transposition didactique est devenue d’usage courant en sciences de l’éducation et notamment dans les diverses didactiques des disciplines. Réduite à sa plus simple expression, elle est expliquée par le sous-titre du livre de Chevallard (1985, 1991) : " Du savoir savant au savoir enseigné ". Entièrement consacré au savoir mathématique et plus particulièrement aux transformations que subissent les théories des mathématiciens lorsqu’elles deviennent savoirs scolaires, d’abord dans les programmes, puis dans les manuels et les salles de classe, cet ouvrage est devenu une référence pour d’autres disciplines. Il a fortement contribué à associer la notion de transposition aux savoirs dits " savants ", ceux dont se réclament les disciplines scolaires comme les mathématiques, les sciences naturelles (biologie, chimie, géologie et physique) et les sciences humaines et sociales (histoire, géographie, philosophie notamment).

Pour rendre justice aux disciplines dans lesquelles les savoirs savants ne sont pas aussi centraux, Joshua (1996) a proposé d’étendre la théorie de la transposition aux savoirs experts. Bien avant, dans la même perspective, Martinand (1986) avait introduit la notion complémentaire de pratiques de référence. Il l’avait proposée à propos de la technologie et de l’informatique, mais elle convient aussi aux disciplines linguistiques ou artistiques, aux travaux manuels, à l’éducation physique et aux formations professionnelles.

Si bien qu’on peut admettre que l’on travaille désormais avec deux sources de la transposition didactique : d’une part des savoirs, savants ou experts, d’autre part des pratiques sociales. On peut schématiser comme suit la chaîne de transposition.

 La première flèche figure la transformation des savoirs et des pratiques en programmes scolaires, qu’on peut aussi appeler curriculum formel ou prescrit (Perrenoud, 1994b, 1995, 1996 a). C’est ce que Chevallard a nommé la transposition didactique externe. La seconde flèche figure la transformation des programmes en contenus effectifs de l’enseignement. C’est la transposition interne, qui relève largement de la marge d’interprétation, voire de création des enseignants. Chez Chevallard, la chaîne se limite au parcours des savoirs, de l’état de savoirs savants à l’état de savoirs à enseigner (transposition externe), puis de l’état de savoirs à enseignés en savoirs enseignés (transposition interne). La troisième flèche figure le processus d’apprentissage, d’appropriation, de construction des savoirs et des compétences dans l’esprit des élèves. Qu’il y ait là une étape nouvelle et décisive dans le parcours du savoir et de la culture, nul n’en doute. On peut en revanche débattre de l’opportunité d’inclure cette dernière étape dans le processus de transposition didactique proprement dit.

Nous sortons donc d’une période durant laquelle la notion de transposition a été utilisée avant tout dans les disciplines où les savoirs savants occupent le devant de la scène, masquant les pratiques de référence ou les réduisent à la mise en œuvre de connaissances procédurales. Plusieurs chercheurs travaillent désormais à un élargissement de la théorie de la transposition (Arsac, Chevallard, Martinand et Tiberghien, 1994 ; Caillot, 1996 ; Joshua, 1996 ; Martinand, 1994 a, 1995 ; Raisky, 1996 ; Rogalski et Samurçay, 1994).

Du point de vue de la sociologie du curriculum, cet effort me semble fécond. La scolarisation de la culture ne se limite jamais aux savoirs, alors qu’elle passe toujours par des processus de transposition. Une conceptualisation élargie de la transposition dispensera les disciplines linguistiques ou artistiques, comme l’éducation physique ou les formations professionnelles, de chercher, par simple souci de respectabilité, à se référer à des savoirs savants aussi imposants qu’en mathématique ou en physique. L’élargissement de la transposition à d’autres composantes de la culture souligne que la transposition de savoirs savants n’est qu’un cas particulier, certes pertinent et intéressant, mais qui n’épuise pas le réel.

Ce rééquilibrage salutaire se fait, toutefois, au prix d’une fausse symétrie, voire d’une confusion plus grave encore :

Les limites de la dissociation entre savoirs et pratiques me conduiront à introduire le concept de compétences et à proposer une schématisation plus complexe de la chaîne de transposition.

Mais commençons par un bref retour aux sources du concept, notamment aux travaux sociologiques de Michel Verret.

 
I. La transposition : retour aux sources

Lorsque Verret (1975) introduisit le concept de transposition didactique, il cherchait, en sociologue, à désigner un phénomène qui dépasse l’école et les disciplines d’enseignement. Il s’intéressait à la façon dont toute action humaine qui vise la transmission de savoirs est amenée à les apprêter, à les mettre en forme pour les rendre " enseignables " et susceptibles d’être appris. Chacun conviendra sans doute qu’il importe de rendre les savoirs accessibles aux apprenants, au prix d’une simplification et d’une vulgarisation en rapport avec leur âge et leurs acquis préalables. La transposition didactique passe, selon Verret, par des transformations plus radicales. Il en décrit cinq :

  1. La désynchrétisation du savoir, autrement dit sa structuration en champs et domaines distincts. Les savoirs savants sont déjà organisés en disciplines, mais on ne trouve pas l’équivalent pour les autres savoirs humains.
  2. La dépersonnalisation du savoir, qui le détache des individus et des groupes qui le produisent ou s’en servent.
  3. Une programmation, qui tient au fait qu’un savoir étendu ne peut être assimilé en une fois et passe par un chemin de formation balisé.
  4. Une publicité du savoir, qui trouve son achèvement dans les référentiels et les programmes qui permettent à chacun de saisir sur quoi porte l’intention d’instruire (Hameline, 1971).
  5. Un contrôle des acquisitions.

À l’école, ces transformations commencent avec la transposition externe et se poursuivent dans la mise en pratique des programmes. Elles tiennent compte des conditions d’exercice tant du métier d’enseignant que du métier d’élève dans une école de masse. Dans l’entreprise, un club sportif, un parti, un syndicat, une famille, les pratiques éducatives sont soumises à d’autres contraintes. Il y a parfois peu de distance entre la pratique d’une activité et son apprentissage, si bien que les dispositifs didactiques peuvent paraître quasi absents, donc aussi la transposition. Il n’en est rien. Une formation " sur le tas ", un entraînement sportif ludique, une initiation artistique informelle comme l’inculcation familiale des manières de table passent pas des interventions et des transpositions didactiques, même si les acteurs n’ont pas toujours pleine conscience.

Chez Verret, la notion de transposition didactique ne porte aucune condamnation, aucune dénonciation, aucun soupçon. Elle explique au contraire que les contraintes de la transmission ont inévitablement des incidences sur les savoirs enseignés, jusqu’à leur organisation méthodique et leur transformation en ce que Chevallard (1991) appellera un " texte du savoir ", avec une fragmentation de la discipline à enseigner en unités compatibles avec la façon dont " le temps des études " est scandé en années, semestres, semaines et périodes de la " grille horaire ". Il y a inévitablement adaptation aux temps et aux espaces disponibles, à la taille des groupes, au niveau et au projet des apprenants, à leur rapport au savoir, à la relation pédagogique, au contrat didactique en vigueur, aux impératifs de l’évaluation.

J’avais en 1984, ignorant alors la thèse de Verret (dont la diffusion est longtemps restée confidentielle), introduit la notion de transposition pragmatique à propos de la distinction entre curriculum formel et curriculum réel :

" Notre insistance sur les pratiques, sur le travail scolaire, entend notamment souligner que le curriculum réel, tel que nous l’entendons ici, n’est pas seulement une interprétation plus ou moins orthodoxe du curriculum formel. Il en est une transposition pragmatique. Autrement dit, curriculum formel et curriculum réel ne sont pas de la même nature. Le curriculum formel est une image de la culture digne d’être transmise, avec le découpage, la codification, la mise en forme correspondant à cette intention didactique ; le curriculum réel est un ensemble d’expériences, de tâches, d’activités qui engendrent ou sont censées engendrer des apprentissages " (Perrenoud, 1984, 1995, p. 237).

Transposition didactique ou transposition pragmatique ? L’idée est la même : ce sont les contraintes de l’action - ici l’action didactique - qui guident la transposition. Cette idée reste présente dans les travaux des sociologues francophones du curriculum, comme Isambert-Jamati, Sirota ou Tanguy, mais toutes n’utilisent pas le concept de transposition, pas davantage que les sociologues anglo-saxons, quand bien même le thème de la culture et de sa scolarisation est omniprésent (cf. Forquin, 1983, 1984, 1989, 1997). Seule Régine Sirota s’est associée, comme sociologue, à une étude interdisciplinaire de la transposition didactique en biologie (Grosbois, Ricco et Sirota, 1992).

Peut-être cette désaffection s’explique-t-elle par la reprise du concept par la didactique des disciplines. Dès la publication du livre de Chevallard en 1985, la transposition didactique est devenue, dans le domaine francophone, l’un des étendards de la didactique des mathématiques (Conne, 1986, 1992, 1996), un de ces concepts nomades qu’ont empruntés, avec des bonheurs divers, les didactiques des autres disciplines scolaires, qui se sont constituées par la suite, notamment la didactique des sciences (Joshua et Dupin, 1993), des sciences sociales ou des langues.

Chevallard - contrairement à ceux qui le citent - a toujours restitué à Verret la première conceptualisation de la transposition et en a respecté l’inspiration sociologique initiale, qui est descriptive et explicative. Chevallard écrira notamment que la transposition didactique n’est " ni bonne, ni mauvaise ", qu’elle est, ce qui signifie qu’il n’y a pas d’enseignement sans transposition, qu’elle n’est pas un effet pervers, une dénaturation, mais une transformation normale, auquel nul n’échappe lorsqu’il veut transmettre un savoir.

Chez Verret, la notion de transposition se limitait déjà aux savoirs. Les didactiques des disciplines ont encore fortement rétréci le champ d’application de la notion de transposition :

Pour retrouver les phénomènes de transposition dans toute leur complexité, l’éducation physique, les arts, les langues ou les formations professionnelles offrent des terrains fertiles, au moins pour s’affranchir des savoirs savants, des disciplines, voire de la forme scolaire.

Élargir la notion au delà des savoirs est un défi plus ambitieux, qui exige une clarification des rapports entre savoirs et pratiques.

 
II. Il n’y a pas de savoirs sans pratiques

On admettra sans doute facilement que les savoirs de sens commun, les savoirs d’action, les savoirs implicites, les savoirs professionnels soient liés à des pratiques sociales. On en parle d’ailleurs souvent comme de savoirs pratiques, ceux dont les détenteurs n’ont pas ou n’ont plus entièrement conscience, tant ils sont contextualisés, liés à une expérience et à des formes d’action, dont on ne les détache que pour les besoins de l’analyse. L’artiste, par exemple, détient des savoirs qu’il investit dans son œuvre, mais il ne les explicite - parfois à contrecœur - que s’il est interviewé par un critique, sollicité comme expert, appelé à former des débutants. Il en va de même du sportif et de nombre de gens de métiers dont les savoirs sont en quelque sorte indissociables des gestes professionnels qu’ils guident. On atteint d’abord les pratiques, les savoirs s’y trouvent " en creux ".

Les savoirs savants parviennent plus facilement à faire oublier les pratiques dont ils sont issus. On va voir que la tentation de les détacher des pratiques dans lesquelles ils s’enracinent n’est pas innocente, qu’elle participe de la mythification de la science.

Le mythe des savoirs savants désincarnés

Même les " purs théoriciens " sont des praticiens :

" Nous avons toujours affaire à des pratiques - des corps habiles, des lieux, des équipes, des documents inscrits, des hiérarchies établies - et nous pourrons différencier ces pratiques par les produits qu’elles engendrent : pièce d’acier, réflexe conditionné, théorie mathématique, meeting, inculpation. Cela nous permet, sans coup férir, de redéfinir le mot théorie. Ce terme ne désigne aucunement un procès mais seulement un produit. Bien que la confusion soit toujours faite - depuis Platon au moins et pour des raisons politiques -, cela ne la rend pas moins calamiteuse. On ne produit pas plus une théorie de façon théorique, qu’on ne produit une pièce d’acier de façon " acière ", un réflexe conditionné de façon pavlovienne, un meeting politique de façon militante ou une inculpation de façon " inculpante ". On peut même prendre comme règle de méthode qu’il n’y aura rien de théorique dans la production d’une théorie, puisqu’il y faut justement une pratique comme pour toutes les activités : des corps habiles, des collègues, des inscriptions, des lieux instrumentés, etc. On a honte de rappeler ces évidences mais il semble qu’on les oublie toujours en pensant que seuls les scientifiques n’auraient pas de pratique " (Latour, 1996, p. 135).

Cela, tous les producteurs de théories le savent d’expérience, même s’ils s’appliquent à découpler leur produit de son mode de production ou plus exactement à ne retenir de ce mode qu’une méthode, autrement dit une référence à une pratique canonique et codée, qui gomme complètement le détail des événements, les erreurs, les errements, les manipulations inutiles, les opérations hasardeuses, les mesures faites et refaites, les hésitations et les débats au sein de l’équipe de recherche, les compromis passés en raison de difficultés financières ou de résistances du terrain de recherche. Les scientifiques nient également la part de " mise en scène " dont résulte le texte théorique le plus honnête.

Ce détachement n’est pas absurde. Il fait partie de la culture et jusqu’à un certain point du mythe de la science, qui prétend pouvoir séparer le produit du producteur et le juger en tant que tel. C’est ainsi que les revues les plus sérieuses soumettent les articles à des experts auxquels on cache le nom de l’auteur et, en principe, tout ce qui pourrait permettre de l’identifier ou même de situer son appartenance. Comme si le style, les références théoriques, les procédures empiriques et les stratégies argumentatives ne constituaient pas des " signatures "…

Peu importe ici cette façon de faire, en tant que telle. Elle illustre assez bien la volonté de se représenter les savoirs comme indépendants des êtres humains qui les produisent ou tentent de se les approprier. C’est d’ailleurs ce qui fonde une distinction courante - en français - entre savoirs et connaissances : les premiers seraient universels, impersonnels, sans propriétaires, sans trace de leur genèse, sans référence à leurs usages sociaux. Les connaissances seraient au contraire la face subjective des savoirs, tels qu’ils existent dans l’esprit humain, contextualisés, personnalisés, voire englués dans l’ensemble de ses structures mentales. Cette opposition permet de conceptualiser la genèse de la science comme passage de l’état de connaissances (d’un ou quelques chercheurs) à l’état de savoirs. Elle permet aussi de décrire la formation comme la transmutation inverse de savoirs culturels en connaissances subjectives.

Comme sociologue, je résiste à une distinction aussi nette. L’opposition entre savoirs et connaissance n’a d’ailleurs aucun équivalent en anglais, knowledge traduisant aussi bien savoir que connaissance. Certes, certaines connaissances peuvent être très largement partagées, alors que d’autres restent privées, confinées dans l’esprit de leur unique détenteur. Plus une connaissance est partagée et instituée, plus elle paraît devenir indépendante des individus particuliers qui la portent. Si chacune de nos cellules est porteuse de notre patrimoine génétique, cette information devient indépendante de ce qu’il advient de chacune de ces cellules, mais elle disparaît si toutes sont détruites.

On se souvient de Fahrenheit 451, ce roman de Ray Bradbury porté à l’écran par François Truffaut : dans une société totalitaire où le pouvoir détruit tous les livres, le savoir et la littérature survivent, grâce à quelques dissidents cachés dans une forêt, qui ont appris certains ouvrages par cœur et les récitent à qui veut les entendre. Tel livre mourra avec la dernière personne qui le savait par cœur, sauf si elle l’a transmis à son tour. Lorsqu’on dit qu’un vieillard qui meurt est une bibliothèque qui brûle, on rappelle que ce sont les êtres humains et leur mémoire qui portent la culture.

L’idée que le savoir existe indépendamment des mémoires humaines est apparemment confortée par le fait que toute pensée, même la plus insignifiante, est désormais imprimée, microfilmée, numérisée sur CD-ROM ou d’autres supports, accessibles sur un site Internet. Cette impression d’extériorité et d’éternité est fallacieuse : les textes ne seront porteurs de savoirs qu’aussi longtemps qu’il y aura des lecteurs pour les déchiffrer et les comprendre. Une bonne partie des savoirs des sociétés sans écriture se sont perdus, de même que ceux des civilisation dont nous ne savons pas lire la langue. Nous avons des textes étrusques, mais les savoirs qu’ils recèlent sont inaccessibles. Plus subtilement, on peut être privé de l’accès à des textes qu’on peut déchiffrer, mais qui font référence à des cosmogonies, des théologies, des croyances, des contextes devenus incompréhensibles.

La mémoire écrite et tous les outils d’indexation et de recherche accréditent peu à peu une représentation du savoir comme une vaste " base de données ", indépendante des humains. Une catastrophe écologique qui détruirait toute vie sur la terre laisserait peut-être fonctionner, un certain temps, des ordinateurs apparemment savants. Mais ce ne serait qu’illusion : le savoir est une représentation du monde qui n’a d’existence que dans et pour un esprit humain. Les ordinateurs n’en sont qu’un auxiliaire, dont la puissance transforme cependant les modes de pensée et d’action.

On peut tenter de " faire abstraction " des porteurs concrets d’un savoir, de le décontextualiser, d’effacer toute " trace de présence humaine ". L’abstraction qui en résulte n’aura, en fin de compte, de sens que si elle est pensée par quelqu’un, qui la recontextualisera immédiatement en la reliant à d’autres représentations, à son passé, à ses projets, à sa place dans la société. Même le chercheur le plus " désincarné " ne peut découvrir une théorie pointue dans son champ de spécialisation sans se dire immédiatement : " Pourquoi ne l’ai-je pas trouvée moi-même ? Est-elle aussi solide qu’elle le paraît ? ", sans se demander en quoi elle va renforcer sa propre pensée ou la mettre en crise.

L’insistance sur le savoir scientifique comme réalité indépendante des esprits qui le pensent participe de la prétention de la science à l’objectivité et donc du statut privilégié que revendique la connaissance scientifique en regard de la connaissance " ordinaire ". L’opposition savoir/connaissance entend traduire cette hiérarchie de légitimité dans le vocabulaire, en faisant l’impasse sur tous les états intermédiaires.

Cela ne veut pas dire que les savoirs savants sont des savoirs " comme les autres ". On peut les considérer comme des savoirs sociaux particuliers, produits de méthodes plus soucieuses de leur validation rigoureuse que de leur une utilisation efficace (encore que cela ne soit pas exclusif). Il importe de reconnaître à la fois que l’institution scientifique produit des savoirs selon des procédés et dans des intentions spécifiques et qu’elle n’échappe pas pour autant à la condition commune.

On peut reconnaître la science comme type singulier de savoir sans pour autant la mythifier :

" Les champs scientifiques, ces microcosmes qui, sous un certain rapport, sont des mondes sociaux comme les autres, avec des concentrations de pouvoir et de capital, des monopoles, des rapports de force, des intérêts égoïstes, des conflits, etc., sont aussi, sous un autre rapport, des univers d’exception, un peu miraculeux, où la nécessité de la raison se trouve instituée à des degrés divers dans la réalité des structures et des dispositions " (Bourdieu, 1997, p. 131).

On pourrait ajouter que les savoirs savants s’organisent en disciplines. Chacune se développe autour de ce que Develay (1992) nomme une " matrice disciplinaire ", ensemble de questions fondatrices qui constituent son identité de base et sa raison d’être et structurent les problématiques et les travaux de recherche. Cette organisation protège en partie la communauté scientifique et notamment l’université, des mouvements et des crises qui traversent la société. Cette structuration durable et le respect de " la méthode " sont au principe de l’autonomie relative des savoirs scientifiques.

Légitimité et conflit

Aux savoirs savants, on associe également un degré élevé d’institutionnalisation et d’inscription dans l’héritage culturel d’une société globale. Si bien que l’incertitude et le conflit paraissent absents des représentations du savoir dans la plupart des travaux sur la transposition didactique de savoirs savants. La didactique des disciplines donne souvent des communautés scientifiques une image angélique. Jonnaert (1988) rappelle au contraire qu’il y a souvent conflits de savoirs dès qu’on s’éloigne des acquis consolidés, notamment dans l’enseignement supérieur. Il montre par exemple que la théorie de la relativité, contestée par les physiciens en place, n’a été enseignée en France que plus de vingt ans après les travaux d’Einstein.

On sous-estime nécessairement les conflits de savoirs lorsqu’on n’approche les savoirs savants qu’à partir des programmes scolaires. En effet, ces derniers privilégient - du moins durant la scolarité de base - des savoirs consolidés, qui font l’unanimité depuis des décennies. Les mathématiques enseignées à l’école primaire, au collège et au lycée étaient pour l’essentiel acquises au XVIIIe siècle. La physique, la chimie, la biologie scolaires n’enseignent que des savoirs fortement validés et qui ne sont plus au centre des débats entre chercheurs (Joshua et Dupin, 1993). Censurer les savoirs les moins assurés est précisément l’une des fonctions de la transposition didactique externe. On sait ce qui arrive lorsque ce mécanisme ne fonctionne. Rappelons les polémiques que provoquent, dans certains États américains, l’enseignement de la génétique et des théories de l’évolution, ou encore, dans divers systèmes éducatifs, certains chapitres d’histoire ou de géographie suspects d’affaiblir les bases des religions ou des idéologies qui tiennent le haut du pavé.

C’est en partie parce qu’elle déplace néanmoins certains conflits scientifiques sur la scène scolaire que la transposition didactique fait l’objet de stratégies et de luttes qui ne sont pas mises constamment au service de l’apprentissage optimal de tous. La sociologie du curriculum insiste sur les rapports de force et de sens qui président à la sélection et à la hiérarchisation des savoirs scolaires (cf. Forquin, 1989, 1997, pour une excellente synthèse des travaux anglo-saxons). Sans utiliser les mêmes outils, la didactique, montre que le mouvement des objets de savoir dans le champ scolaire obéit à des logiques d’acteurs inspirées par le souci de maintenir la distance entre culture scolaire et culture des familles, de maîtriser le contrat didactique, de conserver des positions acquises dans l’institution, de réguler la sélection.

Alors que les didactiques des disciplines scientifiques adoptent, à l’égard de la transposition, une posture assez critique, voire cynique, elles restent au contraire souvent dans une forme de révérence aux savoirs savants, comme s’ils n’étaient pas, eux aussi, des œuvres humaines. Pourquoi ignorer que, dans la " communauté " scientifique comme dans tout autre champ social, les luttes de pouvoirs, de territoires, de paradigmes sont permanentes ?

Une approche sociologique de la transposition didactique (Perrenoud, 1986) devrait permettre de penser la réalité des savoirs savants de façon moins mythique que la représentation qu’aiment à en donner les chercheurs et nombre de didacticiens issus des disciplines de référence plutôt que des sciences sociales. Et de considérer la transposition didactique comme une forme de contrôle social, d’épuration de tout ce qui, dans les savoirs savants, ne fait pas l’objet d’un large consensus et pourrait diviser la communauté des " consommateurs d’école ". Cette décontextualisation, qui affranchit le savoir scolaire des traces de son enracinement originel dans des pratiques et des rapports sociaux, est incompréhensible si l’on garde des savoirs savants une image mythique.

Des savoirs savants aux savoirs experts

Certains didacticiens ont proposé d’étendre la notion de transposition aux savoirs experts (Joshua, 1996) ou aux savoirs professionnels (Rogalski et Samurçay, 1994), comme corps de connaissances partagées par des praticiens, plutôt que par des chercheurs. Dans le champ des savoirs experts, on passe, plus encore que dans la cité savante et sans solution de continuité, des savoirs les plus privés et incertains aux savoirs partagés par une corporation et que personne ne met en doute.

Une conceptualisation forte des savoirs experts apparaît très importante pour les didactiques des formations professionnelles et des disciplines dont la référence principale est une pratique artistique, artisanale, langagière, corporelle ou sportive. Elle peut aider ces disciplines à se libérer de la tentation de se mettre en quête des savoirs savants dont la seule fonction serait de redorer leur blason dans le monde scolaire. Une telle préoccupation peut conduire à surcharger inutilement le curriculum de théories censées sous-tendre la pratique visée, sans qu’on prenne la peine de vérifier ce postulat. Faut-il connaître la linguistique pour parler une langue ? L’histoire de l’art pour peindre ou sculpter ? La biologie et la physiologie pour pratiquer un sport ? Certains savoirs savants sont assurément des bases nécessaires de telles pratiques. Au-delà, on en rajoute, par souci de respectabilité ou pour faciliter la sélection…

D’où l’importance de reconnaître l’existence et la diversité des savoirs liés à une forme d’expertise professionnelle ou plus globalement de maîtrise pratique. De tels savoirs experts existent et sont à l’œuvre dans la plupart des pratiques sociales, qu’ils aient ou non des fondements dans les savoirs savants, que ces fondements soient ou non connus des praticiens.

Détacher de tels savoirs des pratiques dont ils sont solidaires serait les priver de leur sens. Ils s’enracinent dans un monde de praticiens et il est évident que leur mise en forme suppose entre eux, ou leurs représentants, un débat et des compromis. Rogalski et Samurçay (1994) montrent que les savoirs experts ne sont pas jugés à l’aune d’une validité théorique, mais de leur efficacité pratique. Leur pertinence pour l’action importe davantage que leurs fondements scientifiques. Or, cette pertinence est constamment en question par l’évolution des paradigmes, de l’éthique, des technologies et de l’organisation du travail.

Raisky (1996) analyse en détail l’impressionnante machinerie sociale qui, en vue d’une formation professionnelle, ici celle de viticulteur-œnologue, produit comme compromis négocié l’inventaire des savoirs pertinents. Dans ce cas s’affrontent notamment deux cultures, celle des savoirs " traditionnels " fondés sur l’expérience et celle des savoirs " modernes " issus de la recherche agronomique. Derrière les savoirs se cachent toujours des identités, des pouvoirs, des appartenances, des valeurs, qui créent des concurrences, des conflits et des dominations entre les tenants des uns ou des autres. Dans la sphère de la gestion de crises et de catastrophes naturelles, étudiée par Rogalski et Samurçay (1994), l’identification et l’explicitation des savoirs de référence fait aussi l’objet d’une démarche collective complexe, fondée sur des emprunts aux tactiques militaires aussi bien que sur l’observation fine de l’expérience et le débat entre experts.

L’élargissement de la transposition aux savoirs experts, qu’ils soient professionnels, artistiques sportifs, artisanaux, politiques, informatiques, médiatiques, familiaux, sexuels, syndicaux ou autres, est donc le bienvenu. Il met en évidence la difficulté de dissocier les savoirs des pratiques qui leur donnent sens et s’en servent.

 
III. Il n’y a pas de pratiques sans savoirs

L’instance de Martinand (1986, 1995) sur les pratiques sociales de référence n’implique aucun déni de la place des savoirs. Il est évident que les pratiques technologiques ou scientifiques ne fonctionnent pas " sans savoirs ". Le risque serait plutôt de les réduire à l’application de savoirs savants, déclaratifs et procéduraux, en ajoutant un peu de know how pour faire la part des tours de main et du bricolage qu’exige tout métier technique.

Dans les métiers techniques les moins qualifiés, les bases scientifiques sont en quelque sorte concentrées dans des machines et des outils dont le maniement n’exige pas la maîtrise de principes théoriques. Dans les métiers plus qualifiés, le bon usage des technologies suppose une compréhension minimale des théories physiques, chimiques, biologiques qui les sous-tendent ou en permettent l’emploi à bon escient et en toute sécurité.

La question se pose en d’autres termes pour les pratiques sociales - professionnelles ou non - qui ne se sont pas développées ou consolidées à la manière d’une mise en œuvre de savoirs savants. Sans doute y a-t-il de moins en moins de pratiques sociales complexes qui ne soient fondées, au moins en partie, sur certains savoirs savants : l’enquête policière, l’escroquerie financière ou fiscale, l’identification de faux tableaux, la recherche de gisements, le placement de capitaux, l’exploration sous-marine, le ski, la plongée sous-marine, la prise d’otages, la torture ou la cuisine ont désormais des bases " scientifiques ".

Dans les métiers de l’humain, la psychologie devient incontournable. Elle est présente dans la vente, la publicité, les affaires, l’accueil au guichet, les soins esthétiques, la police, la justice. Elle joue un rôle encore plus déterminant dans les professions sociales, éducatives ou thérapeutiques. D’autres sciences humaines - l’économie, la sociologie, les sciences politiques - donnent des bases nouvelles à certains métiers de la gestion, de la relation ou du pouvoir. Le droit, savoir savant, est une dimension de toute pratique régie par un marché ou abritée par des organisations complexes. L’éthique, comme savoir savant constitué, devient une référence de plus en plus commune.

Cet envahissement des pratiques sociales et professionnelles par les savoirs savants pourrait masquer le fait :

Les savoirs dont il est question ne forment pas nécessairement un corpus de propositions formulées et organisées. Mais ce ne sont pas de simples savoir-faire. Tels que je les entends, les savoirs sont des représentations du réel, qui nous viennent à l’esprit lorsque nous sommes confrontés à des situations qui défient nos routines, lorsque nous les anticipons et préparons notre action ou encore dans l’après-coup.

Pour aller plus loin dans cette voie, il faut, d’une manière ou d’une autre, lever certaines ambiguïtés de vocabulaire. Articulons-les autour de la distinction entre savoir et savoir-faire.

De " vrais " savoirs plutôt que des savoir-faire

Pour mesurer la fragilité de nos théories de l’action, demandez à plusieurs spécialistes de définir la notion de savoir-faire. Chacun apportera une vision différente. Minimalement, un savoir-faire renvoie à une capacité de faire efficacement quelque chose de relativement difficile. On parle, autrement dit, d’une maîtrise pratique attestée et stable. Les ennuis commencent lorsqu’on cherche à conceptualiser le fonctionnement mental du sujet qui déploie un savoir-faire, du moins chaque fois que son action n’est pas la simple application d’une procédure, d’un " savoir que faire ", mais s’apparente plutôt à ce qu’on nomme parfois familièrement un " savoir-y-faire ".

Évitant ce terrain miné, Vergnaud (1990, 1994, 1995, 1996) propose de parler de " théorèmes-en-acte " ou de " connaissances-en-acte " pour désigner les dispositions qui sous-tendent nos actions efficaces. Dire qu’ils sont " en acte " atteste du fait qu’il ne s’agit pas de véritables théorèmes, de véritables connaissances, même si, pour un observateur extérieur, " tout ce passe comme si " les praticiens observés mettaient en pratique certains théorèmes, certaines connaissances déclaratives ou procédurales. Lorsqu’un athlète saute à la perche, il respecte de facto diverses lois physiques et physiologiques, sans quoi il ne parviendrait pas à de telles performances. Mais il ne les connaît pas toutes et ne soupçonne même pas l’existence de certaines d’entre elles. C’est vrai aussi de quiconque roule à vélo, descend un escalier ou esquisse un pas de danse. Nous apprenons dès la naissance à faire des choses qui tiennent adéquatement compte de la réalité et paraissent donc manifester depuis des âges une maîtrise pratique de théories que la physique, la chimie, la biologie, la psychologie ou l’économie n’ont élaboré que lentement ou qu’elles sont encore en train de construire. Les connaissances-en-acte peuvent s’étendre à des actions dont les sciences sont encore incapables de formuler les fondements théoriques L’ergonomie, science du travail humain, ou les sciences des activités physiques et sportives, ne cessent de décrire des gestes précis, subtils, efficaces, qui sont trop complexes pour être modélisés par les théories disponibles. Vergnaud ne suggère donc nullement que les connaissances-en-acte seraient des répliques de connaissances savantes existantes. L’expression est cependant malheureuse, parce qu’elle renvoie au schéma de " mise en acte " qui est au cœur de toute application d’un savoir à l’action. Or, il ne s’agit nullement de cela.

Vaut-il mieux, avec Leplat (1997) parler de savoirs incorporés ? Alors que Vergnaud situe les savoirs dans les actes, Leplat les loge dans le corps. Autre image fallacieuse, car elle sépare le corps de l’esprit et paraît désigner uniquement les composante sensori-motrices des métiers, des arts ou des sports. Or, même les activités les plus physiques sont accompagnées d’opérations intellectuelles, sans que ces dernières portent nécessairement sur des savoirs théoriques ou en mobilisent. Dans une vision intégrée du corps et de l’esprit, tous les savoirs sont incorporés, dès lorsqu’un sujet en est le porteur.

On voit bien, pourtant, la nécessité de conceptualiser ce qui sous-tend les activités humaines qui paraissent témoigner d’une " science infuse " du réel, alors que l’analyse révèle que le praticien ne sait pas vraiment pourquoi il fait ce qu’il fait et ne dispose pas de la théorie de sa pratique. Il me semble plus opportun de parler alors d’habiletés (skills) ou de schèmes d’action complexes, voire de compétences, que de savoirs incorporés ou de connaissances-en-acte. Ces deux métaphores suggèrent en effet, à tort, une genèse de la compétence pratique qui irait de l’esprit au corps ou de la théorie à sa mise en acte. Il n’est jamais sain de conceptualiser un phénomène en référence à ce que, fondamentalement, il n’est pas.

D’autres chercheurs, notamment certains didacticiens, ne s’embarrassent pas de telles subtilités. Ils parlent de savoirs pour désigner indifféremment tout ce qu’un être humain a appris, quelle que soit la façon dont ses acquis sont conservés. Je résiste également à cet amalgame et je propose de réserver la notion de savoir (ou de connaissance) à des représentations du réel et aux concepts et théories (savantes, expertes ou de sens commun) qui les structurent.

Il n’y a pas consensus sur ces problèmes de vocabulaire, qui cachent des divergences conceptuelles. Il est conforme à la logique de la langue de penser qu’on sait ce qu’on a appris et donc que tout produit d’un apprentissage est un savoir, quelles que soient les modalités d’enregistrement et de mise en œuvre des acquis. Contre l’intuition linguistique, j’estime plus fécond d’affirmer qu’un savoir-faire n’est pas un savoir. Du coup, on ne saurait confondre savoir faire et savoir procédural. Le premier se manifeste dans l’action efficace, sans préjuger du mode opératoire. Un savoir procédural est une représentation de la procédure à suivre. Il ne garantit pas, en tant que tel, la réussite de l’action, comme l’apprennent à leurs dépens tous ceux qui tentent de faire la cuisine avec des livres de recettes pour seule inspiration. À l’inverse, la réalité attestée d’un savoir-faire ne préjuge pas de la présence corrélative d’un savoir procédural, encore moins de savoirs théoriques qui fondraient l’action efficace.

L’avantage de cette séparation claire est, notamment, de pouvoir interroger la part du " vrai " savoir, théorique ou méthodologique, dans une pratique. En effet, si le savoir désigne tout ce que nous apprenons et retenons, quelle que soit la forme de cette conservation, la question est résolue par la définition même du savoir : il n’y a alors pas de pratique sans savoir dans l’espèce humaine, puisque la quasi totalité des pratiques y sont acquises, au gré de l’expérience personnelle ou de la transmission culturelle.

Si, au contraire, comme je le conçois, on limite le savoir stricto sensu à un ensemble de concepts et de représentations, on peut laisser ouverte la question de sa place dans l’action.

Il y a savoirs et savoirs

Pour aller plus loin, plusieurs précautions s’imposent encore :

La première est de ne pas identifier toute représentation à un savoir. Nous agissons rarement sans représentations du réel, mais elle n’accèdent au statut de savoir (ou de connaissance) que si elles dépassent la singularité de la situation, pour l’englober, en quelque sorte, dans une " théorie ", une forme de modélisation inspirée par des analogies ou des principes généraux, une sorte d’abstraction réfléchissante dégageant les structures invariantes d’actions parentes. Un savoir théorique (savant ou non) n’est pas la représentation d’une situation singulière, mais de processus à l’œuvre dans une classe de situations comparables. Savoir que la distance de freinage et la tenue de route sont affectées par un sol verglacé, que la netteté d’un paysage annonce de la pluie, qu’un excès d’eau détruit certaines plantes, qu’une baignade peu après un repas peut provoquer une hydrocution : autant de savoirs communs dont les fondements scientifiques, s’ils existent, sont ignorés de la plupart de ceux qui s’en servent. En revanche, ils ont en commun avec les savoirs scientifiques de couvrir un certain nombre de cas. Cela ne signifie pas que le savoir est fait de lois dont la portée est universelle. Au contraire, beaucoup de savoirs sont locaux, liés à un organisme, une machine, un terrain, une ville, une entreprise. Savoir à quelle heure les embouteillages se dissipent vaut pour tel pont, dans telle ville. Même alors, il y a dans ce savoir particulier quelque chose de la règle, non pas dans le sens d’une norme, mais d’une régularité, qui rend le réel partiellement prévisible et parfois modifiable. Certaines de ces régularités touchent à des phénomènes naturels, d’autres s’ancrent dans des technologies, d’autres encore attestent de mécanismes économiques, psychologiques ou sociologiques récurrents, qu’ils aient été délibérément mis en place (comme les feux rouges) ou qu’ils fonctionnent comme des effets agrégés involontaires (par exemple les embouteillages).

La seconde précaution est de ne pas exiger d’un savoir commun le degré d’explicitation, de verbalisation, de cohérence, de validation, de constance, d’organisation, de publicité qu’on attend d’un savoir savant. Dans notre tête, il y des connaissances floues, incertaines, parcellaires, privées, instables, contradictoires, qui forment une mosaïque plutôt qu’un système, des archipels désordonnés plutôt que des continents structurés. La science - c’est ce qui fait sa force aussi bien que ses limites - induit un ordre, adopte un langage commun et vise le partage et le contrôle intersubjectif. Si tous les savoirs que nous utilisons au jour le jour devaient avoir les mêmes caractéristiques, nous serions bien démunis pour agir dans l’urgence et l’incertitude (Perrenoud, 1996 b).

La troisième précaution concerne le degré de conscience exigé d’un savoir. À proprement parler, il n’y a pas de savoirs inconscients, du moins pas dans la perspective adoptée ici, parce qu’une représentation fonctionne comme un état de conscience. Il reste à distinguer des états de conscience plus ou moins vifs, à considérer dans notre action la part des savoirs faiblement réfléchis, au double sens du terme :

C’est une autre différence entre les savoirs communs et les savoirs savants : ces derniers sont accompagnés par la conscience de leur statut de savoirs, solidaire d’un rapport construit et explicite au savoir et aux méthodes de production et de validation du savoir. Les savoirs ordinaires fonctionnent, sans que les intéressés se regardent constamment agir, en pleine conscience du fait qu’ils détiennent et mobilisent des savoirs.

Des pratiques sans savoir ?

À partir de cette définition et de cette triple précaution, on peut revenir à la véritable question : y a-t-il des pratiques sans savoirs ?

Je prétends que non. Ce qui ne veut pas dire que chaque instant d’une pratique mobilise des savoirs. Par nature, une pratique, même très experte et d’accès difficile, est faite de temps faibles et de temps forts, de moments de routine et de moments de réflexion. Lorsque tout se présente comme d’habitude, le praticien peut agir parfois sans penser, parfois en pensant à ce qu’il fait, mais sans mobiliser des savoirs, en se bornant à ajuster son activité aux menues variations de l’environnement et de son propre corps, ce que les cognitivistes appellent souvent le monitoring de l’action, surveillance active qui régule la conduite sans mettre en question ses finalités, ni le plan suivi. Dans une discipline artistique ou sportive, comme dans un artisanat ou un métier, on sait la part de cette intelligence de l’équilibre, des formes, des énergies et des matériaux en jeu.

Considérée dans son ensemble, aucune pratique n’est faite que de routines. Dans la plus " machinale ", il y a des moments d’hésitation, de décision, de planification de l’action, de construction de scénarios ou de stratégies, de négociation de moyens matériels ou d’appuis. Lorsqu’il abandonne le pilotage automatique, pour prendre de réelles décisions, le praticien est amené à peser le pour et le contre, à réfléchir avant d’opter pour une tactique, un modus operandi, un style, un scénario ou un script. Il a donc besoin de comprendre les processus à l’œuvre et d’anticiper les effets des divers cours possibles de son action aussi bien que des événements dont elle dépend. Pour comprendre, comparer et anticiper, il mobilise des savoirs qui lui permettent de modéliser le réel et de le rendre partiellement intelligible, prévisible, voire maîtrisable. Cette mobilisation s’opère en fonction d’un problème, parfois au fil même de l’action, parfois entre des phases plus intenses. Le savoir ne se présente pas alors comme un système organisé pour lui même, mais comme un ensemble de ressources dans lesquelles le praticien va puiser, au gré des besoins de l’action, d’une façon sélective, qui n’est pas toujours optimale, faute d’établir les connexions pertinentes et d’opérer en temps utile les transferts de savoir nécessaires (Meirieu et al., 1996 ; Rey, 1996).

Pour saisir l’émergence de savoirs au plus vif de l’action, on est en général condamné à une forme de reconstitution ex post. L’entretien d’explicitation (Vermersch, 1994) ou d’autres procédés de métacognition donnent partiellement accès, dans l’après-coup, aux opérations mentales du praticien et aux savoirs mobilisés. Toutefois, ce n’est pas pour des raisons méthodologiques que les savoirs apparaissent alors avec moins d’évidence et de prégnance que dans les pratiques qui se réclament constamment d’une théorie, voire prétendent se limiter à son application orthodoxe. C’est tout simplement parce qu’ils sont ordonnés à la logique de l’action et ne se veulent pas, d’abord, présentables à un tiers, justifiables et cohérents. Ils se bornent à être opératoires.

À supposer qu’on reconnaisse l’existence et l’importance de ces savoirs praticiens, experts, professionnels, ou dits encore d’expérience ou, plus récemment, d’action (Barbier, 1996), à supposer encore qu’on sache les identifier et les mettre en forme, il reste à se demander s’ils peuvent et doivent être l’objet d’un enseignement ou plus globalement d’une formation, donc d’une transposition didactique.

Alors que les savoirs savants se prêtent à une transposition par le simple fait qu’ils sont déjà organisés et publics, les savoirs experts sont souvent, au départ, immergés non dans l’action, mais dans le flux des opérations mentales qui la guident ou l’accompagnent. Dès lors, ce qu’il y a à transposer ne se donne pas à voir à l’œil nu et la transposition ne peut prendre sa source dans un corpus déjà constitué, à l’image des savoirs savants.

Ce travail de description participe d’une ergonomie cognitive (par exemple Durand, 1996), d’une anthropologie des savoirs ou d’une " généalogie " des savoirs (par exemple Durif-Bruckert, 1994 ; Lani-Bayle, 1996), d’une psychologie du travail (par exemple Clot, 1995 ; Guillevic, 1991 ; Le Boterf, 1994, 1996 ; Leplat, 1996 ; Rogalski et Samurçay, 1994) d’une sociologie du travail (par exemple Terssac, 1992, 1996 ; Jobert, 1998), des métiers (Descolonges, 1998 ; Perrenoud, 1996 b) ou de la connaissance (par exemple Borzeix, Bouvier et Pharo, 1998). Même lorsqu’elle met à contribution les sciences de l’action, de la connaissance et du travail, la transposition didactique n’a pas de légitimité et d’incidences concrètes sans une participation active des experts eux-mêmes, non comme simples comparses d’une enquête, mais comme acteurs sociaux identifiant et définissant les savoirs dignes d’être acquis par les nouveaux praticiens du domaine considéré.

Il reste alors à déterminer si les savoirs ainsi identifiés sont transmissibles, ou du moins susceptibles d’être construits dans le cadre d’un dispositif de formation initiale. Les praticiens d’un art, d’un métier, d’un sport, d’un artisanat commencent souvent par dénier la présence de savoirs dans leurs gestes, impressionnés qu’ils sont par la norme académique. Ou alors, ils désignent des savoirs qui font partie de la culture générale ou des rites identitaires d’une communautés de praticiens, non ceux qui sont mobilisés dans leur action quotidienne. Lorsqu’ils reconnaissent qu’il y du savoir et des savoirs dans leurs pratiques, non seulement " en actes ", mais " en esprit ", ils prétendent volontiers que ce savoir est intransmissible. Fruit de l’expérience, en partie (ré) inventé par chacun, il n’apparaît pas transférable. Chacun doit le construire pour soi, trouver son propre chemin. Il peut apprendre des gestes et quelques principes, mais le savoir fin vient de l’intérieur, de l’expérience, d’une pratique réflexive personnelle.

Romantisme, protectionnisme, orgueil, humilité et véritable difficulté d’identifier et d’expliciter les savoirs en jeu se mêlent sans doute pour expliquer les résistances à une transposition didactique organisée. Dans les formations professionnelles, l’émergence de " référentiels-métiers " et de " référentiels de formation ", alliée à l’essor de l’ergonomie théorique et empirique, aident peu à peu à sortir du non pensé et du non dit des pratiques et des savoirs d’action. Dans les disciplines scolaires concernées, le tableau semble plus contrasté, avec un effort d’explicitation en éducation physique et en langue maternelle et seconde et de plus fortes réticences en musique, arts plastiques, arts dramatiques, danse et autres formes d’expression ou d’artisanat. On peut avancer l’hypothèse d’une valorisation de l’opacité des pratiques, signe du talent et de l’originalité des créateurs ou des interprètes. L’analyse ergonomique de la création artistique pourrait être vécue comme un désenchantement, un déni du mystère, un mépris de l’esthétique et de la part d’ineffable dans l’art.

Sans négliger ces réserves symboliques, on peut aussi avancer l’hypothèse d’un refus de réduire les pratiques concernées aux savoirs qu’elles mobilisent. L’effort d’identifier et d’expliciter ces savoirs peut en effet paraître dérisoire et trompeur si l’essentiel est ailleurs.

Si l’on conçoit l’essentiel comme un don ou un talent qui ne doit rien à un enseignement ou une formation, la quête d’une transposition didactique adéquate s’arrête là. S’il s’agit de compétences acquises, éventuellement formées, notre cheminement se poursuit.


IV. Partir des pratiques pour identifier des compétences

À ce stade, on peut complexifier le schéma de la transposition didactique (voir le schéma suivant) en commentant les divers maillons de la chaîne de transposition.

1. Des pratiques à leur repérage

Les pratiques ne sont pas des objets immédiatement " lisibles ". Leur repérage exige un travail de repérage et d’explicitation, qui se heurte à deux ordres au moins de difficultés. Les unes sont conceptuelles : les pratiques sont souvent désignées par des étiquettes et des emblèmes qui ne disent pas exactement de quoi elles sont faites. Il y donc un immense travail de description fine des gestes professionnels et donc aussi des situations de travail, ou de leur équivalent dans le champ sportif, artistique ou de la vie quotidienne. Le second type de difficulté se rapporte aux compromis, embellissements, censures, non dits et incohérences qu’il faut accepter pour établir un consensus. Qu’un violoniste, même de génie, sache exactement ce que signifie jouer du violon n’aura guère d’influence sur les écoles de musique et les cours de violon si personne ne partage sa représentation de cette pratique. C’est ce qui conduit certains virtuoses à ouvrir leur propre école, de qui leur permet de maîtriser en personne toute la chaîne de transposition.

2. De l’image des pratiques à l’identification des compétences

Expliciter une pratique ne permet de se l’approprier directement que si elle assez simple pour que sa seule description rende possible une reproduction fidèle. Or, très peu de formations et de disciplines se résument à de tels apprentissages. Peut-être suffit-il de décomposer l’action et d’en mémoriser les phases successives pour refaire un nœud marin ou une figure, mais on n’apprend pas la voile ou le patinage uniquement en imitant des modèles bien décortiqués. Mémoriser un modèle et le reproduire est une compétence, aussi élémentaire soit-elle, mais la plupart des pratiques exigent des compétences plus complexes, qui mobilisent des ressources plus riches et passent pas des opérations mentales de plus haut niveau.

3. Des compétences aux ressources cognitives mobilisées

Une compétence renvoie à une action réussie. De quoi est-elle faite ? Comment fonctionne-t-elle ? Pour le savoir, une étape supplémentaire s’impose, sous la forme de deux listes, irréductibles l’une à l’autre (Le Boterf, 1994, 1996 ; Perrenoud, 1997) :

 
Transposition didactique à partir de pratiques
 4. De l’analyse des compétences à la compréhension de leur genèse

Une fois les compétences identifiées, il reste à saisir comment se construisent à la fois les ressources cognitives nécessaires et leurs schèmes de mobilisation. Cette opération peut mettre fin à la transposition, si l’on conclut à l’impossibilité d’organiser une formation, par exemple parce que les apprentissages dépendent d’expériences qu’il est impossible ou trop coûteux de concentrer sur une brève période. On parlera alors d’un " apprentissage sur le tas " s’agissant de pratiques assez simples ou d’une " longue initiation " lorsque la formation des compétences se confond avec le parcours de vie. Souvent, on transigera, en se limitant à des bases, pour renvoyer la suite des apprentissages à la formation continue ou à l’expérience.

5. D’une conception de la genèse à l’invention d’un curriculum

Lorsqu’une formation de base paraît possible, elle commande des dispositifs plus ou moins complexes, tels que cours, exercices, situations-problèmes, enquêtes, projets, travaux pratiques, expériences de laboratoire, atelier, clinique, mémoire, stages, jeux de rôles, travail sur les histoires de vie, entraînement en simulateur, pratique accompagnée, compagnonnage, microenseignement, analyse de pratiques. On ne peut enseigner directement des compétences, mais seulement créer les conditions de leur développement, au gré de dispositifs d’entraînement. D’autres apprentissage se font à travers la formalisation de l’expérience (Werthe, 1997), au gré d’une pratique réflexive ou métacognitive. En revanche, certaines connaissances théoriques ou méthodologique peuvent être travaillées pour elles-mêmes, ce qui est plus commode, mais laisse souvent entière la question de leur transfert et de leur intégration dans l’action. Compte tenu de ces diverses composantes, qui appellent des stratégies de formation à la fois diverses et intégrées, on définit au bout du compte un curriculum formel ou plan de formation.

6. Du curriculum formel au parcours réel de formation

Une fois les dispositifs conçus et programmés, les acteurs (formateurs et formés) entrent en jeu. Le plan de formation propose, ils disposent. Si bien qu’il y souvent des écarts, qu’expliquent la sociologie du curriculum et des organisations, aussi bien que les didactiques des disciplines, entre ce qui est prévu et ce qui se fait vraiment, qu’on peut appeler le curriculum réel, ce qui est effectivement enseigné ou proposé. Ce qui ne veut pas dire, comme le souligne Chervel (1977, 1988) que tous les contenus enseignés dérivent d’une transposition : toute formation crée sui generis une partie de ses contenus pour répondre à des contraintes proprement didactiques. Ces inventions ne sont pas des fantaisies. Durey et Martinand (1994) le montrent très bien à propos de la mécanique appliquée au travail ou aux activités physiques et sportives et posent la question pour la physique toute entière : il n’est pas sûr que la simple transposition de la physique des physiciens soit le plus sûr moyen de faire acquérir quelques notions de physique à des adolescents qui ne se destinent pas tous à des formations scientifiques pointues. Tiberghien, Arsac et Méheut (1994) font le même constat à propos de l’enseignement par projets.

7. Du curriculum réel aux expériences des apprenants

Les formés transforment alors ou non les tâches proposées en activités mentales susceptibles de provoquer leur propre évolution, en termes de savoirs et de compétences. Les formateurs ne contrôlent que très indirectement et imparfaitement les processus d’apprentissage induits dans la tête ou le corps des apprenants, qu’on le regrette au nom de l’efficacité didactique ou qu’on s’en félicite au nom de l’autonomie du sujet.

8. Des expériences en formation aux acquis durables

Enfin, et c’est la principale inconnue, il reste à saisir les effets de la formation à moyen ou long terme. Une absence d’activité mentale et physique engendre rarement des apprentissages, mais l’activité durant la formation n’est qu’une condition nécessaire d’acquis durables. Même intense, avec une forte implication, elle n’a pas toujours d’effets stabilisés. Ou alors, les savoirs restent " enkystés " dans leur contexte d’acquisition, sans transfert. Certaines compétences demeurent limitées au terrain d’entraînement… Cela ne peut, à terme, que provoquer l’appauvrissement des acquis : comme la liberté, les savoirs et les compétences s’usent d’autant plus que l’on ne s’en sert pas !


V. Transposition didactique ou ingénierie de formation ?

Cette complexification de la chaîne de transposition mériterait d’amples développements. Je m’en tiendrai ici à une seule question : s’agit-il encore, au sens strict, d’une transposition ? Revenons au dictionnaire. En musique, transposer, c’est faire passer une forme, une structure musicale dans un autre ton, sans l’altérer. Par métaphore, avec inflation du sens (précise Le Robert), transposer consiste à " faire changer de forme ou de contenu en faisant passer dans un autre domaine ".

La transposition de savoirs savants en savoirs scolaires correspond bien à ce sens métaphorique : les savoirs changent partiellement de forme, voire de contenu, lorsqu’ils passent de leur domaine d’origine (la cité savante) à leur domaine de transmission (l’école). Les didactiques des disciplines où le savoir a une origine savante peuvent donc assez naturellement reconstituer des filiations et des métamorphoses, en partant des savoirs scolaires pour remonter aux origines savantes ou au contraire en cherchant à retracer le " parcours du savoir " de ses sources scientifiques aux programmes et aux manuels scolaires.

L’extension de cette démarche à des savoirs experts ne pose pas de problèmes de fond : la transposition reste une transformation de savoirs non scolaires en savoirs scolaires, à la différence que les savoirs experts sont plus difficiles à identifier et expliciter. Les didactiques des mathématiques et des sciences peuvent se centrer très vite sur des " objets " de savoir stabilisés, pour étudier, en raison même de leur invariance, les transformations et les apprêts didactiques qu’ils subissent au gré de la transposition : appauvrissement, enrichissement, déformation, simplification, trahison, décontextualisation, recontextualisation. Dans le champ des savoirs experts, professionnels ou de sens commun, les objets de savoir ne sont pas aussi facilement identifiables et ils sont plus instables ou controversés. Les problèmes de recherche et les obstacles pratiques à la transposition seront donc différents. On reste cependant assez proche d’un " parcours des savoirs ", même si, à l’origine, il faut les " extraire " des pratiques, contrairement aux savoirs savants, dont la formalisation relève des pratiques scientifiques elles-mêmes.

En va-t-il de même lorsqu’il s’agit d’autres ressources cognitives (habiletés, savoir-y-faire) ou de schèmes de mobilisation de ces ressources dans le cadre d’une compétence plus complexe ? Puisque les compétences mobilisent toujours certains savoirs, on retrouve certes chaque fois un " parcours des savoirs ", mais il n’épuise pas les transformations qui s’opèrent au long de la chaîne.

Peut-on considérer la pratique scolaire de la langue, des arts plastiques, de la musique, des activités physiques et sportives, des travaux manuels comme une transposition de pratiques langagières, artistiques, musicales, corporelles, sportives, artisanales qui ont cours dans la société ? Peut-on envisager les compétences à développer en formation comme une " transposition " des compétences des praticiens ? Il y sans doute des filiations, des ressemblances et des différences, des invariances et des transformations. Peut-on pour autant raisonner simplement en termes de " changement de forme et de contenu ", au gré du passage d’un domaine à un autre ?

Alors qu’on saisit assez facilement à quoi se réfère la forme et le contenu d’un savoir, il est plus difficile de définir clairement la forme et le contenu d’une pratique ou d’une compétence. Dans le texte du savoir, la transposition ressemble à une série d’opérations de " couper-coller ", à des censures, des ajouts, des réécritures du texte du savoir. Pour des compétences et des pratiques, ces opérations n’ont pas d’exact équivalent.

De fait, dès qu’on cesse de se limiter aux savoirs, savants ou experts, la chaîne de transposition n’est plus homogène : entre les pratiques non scolaires dont on part et les pratiques scolaires dont on vise la maîtrise, s’interposent des " réalités " d’une autre nature : les compétences et leurs diverses ressources. Il y a donc non seulement transposition, mais traduction, changement de langage et de référentiel. Peut-on encore, dans ces conditions, parler de transposition ?

En formation des adultes, ce vocable n’est guère employé, on n’en a guère besoin pour penser les sources et les contenus de la formation (voir par exemple Bourgeois, 1996 ; Martin et Savary, 1996). On parle plutôt d’ingénierie de formation, pour désigner la suite des opérations grâce auxquelles on passe de besoins à des objectifs, puis à des contenus, démarches et dispositifs de formation. Peut-être cette entrée explique-t-elle une attention prioritairement portée aux processus, alors que le traitement des contenus relève de l’expertise dans le domaine considéré ou du sens commun, plus que d’une véritable didactique. Les choses sont en train de changer, puisque émergent, dans le champ de l’éducation des adultes, des didactiques qui, sans être liées à des " disciplines ", au sens scolaire, se centrent sur des champs de savoirs, chacun étant défini par ses objets conceptuels, ses théories, ses paradigmes, son organisation (Vergnaud, 1992).

En formation professionnelle, les référentiels-métiers et les référentiels de compétences ne sont encore qu’exceptionnellement pensés en termes de transposition. Lorsqu’on rationalise les formations, l’on se tourne plutôt, là aussi, vers une forme d’ingénierie. Obin (1995), peu suspect de ne pas connaître le champ scolaire, la formation des enseignants et les didactiques disciplinaires, n’utilise pas la notion de transposition lorsqu’il s’intéresse à la formation professionnelle. Peut-être parce qu’elle n’aide pas - du moins en première analyse - à penser des dispositifs d’alternance ou des enjeux identitaires qui n’ont pas d’équivalent dans la scolarité de base. Quelques didacticiens investissent ce champ (Arsac, Chevallard, Martinand et Tiberghien, 1994), mais la plupart des groupes qui pensent les formations professionnelles travaillent sans réfléchir explicitement en termes de transposition didactique.

On peut donc, à bon droit, se demander s’il faut élargir la notion de transposition didactique ou au contraire la réserver au parcours des savoirs. Dans l’hypothèse la plus restrictive, on gagne en cohérence conceptuelle, mais on entretient un clivage entre ceux qui étudient la transposition des savoirs dans une logique d’enseignement et ceux qui étudient des dispositifs d’initiation et d’entraînement à des pratiques dans une logique de formation de compétences. De ce clivage souffrirait avant tout la recherche sur les disciplines technologiques, artisanales et artistiques, l’éducation physique et sportive, peut-être aussi l’enseignement des langues, domaines dans lesquels les pratiques et l’entraînement pratique jouent un rôle au moins aussi important que les savoirs. L’orientation des systèmes éducatifs vers une approche par compétences exige aussi que l’on pense les didactiques au-delà des savoirs savants, même dans les disciplines scientifiques (Perrenoud, 1997).

Les formations professionnelles ont également à perdre si elles sont poussées du côté des formations d’adultes, vers des modèles d’ingénierie, alors que les savoirs savants et professionnels y jouent un rôle important. Dans mes travaux sur la formation des enseignants, y compris pour penser les compétences de référence et l’articulation théorie-pratique, le concept de transposition me semble un outil indispensable (Perrenoud 1994 ; 1996 b, c et d, 1998).

Enfin, comme sociologue du curriculum (Perrenoud, 1994 b, 1995, 1996 a), il me semble que la transformation de la culture en curriculum formel et de ce dernier en curriculum réel devraient être pensées - parmi d’autres perspectives - sous l’angle d’une théorie élargie de la transposition didactique, qu’il s’agisse de savoirs, de compétences, de pratiques et même de normes, de valeurs ou d’attitudes.

Sans s’en rendre compte, la didactique des disciplines a déjà amorcé cet élargissement de la métaphore et du concept de transposition, non seulement à travers les notions de savoirs experts et de pratiques de référence (ou d’écrits sociaux en didactique du français), mais dès lors qu’on s’intéresse aux opérations de transposition interne que les enseignants prennent en charge pour traduire le programme en contenus de cours et d’exercices.

Dans un enseignement universitaire ou secondaire ex cathedra, lorsque le professeur " lit " le texte du savoir, on peut imaginer que ses paroles " se déposent " dans l’esprit des étudiants. On peut alors tenter de conserver l’illusion qu’on observe une étape supplémentaire, sans solution de continuité, dans le parcours des savoirs. Une observation réaliste de ce qui se passe dans les classes de l’école primaire et du collège, aussi bien qu’une vision constructiviste des apprentissages, quel qu’en soit le contexte institutionnel, suggèrent qu’aucun enseignant ne transmet véritablement des savoirs, même en mathématique ou en sciences. De fait, il suscite des activités, des tâches, des situations à travers lesquelles - dans le meilleur des cas - les élèves construisent des savoirs. Ces derniers reflètent plus ou moins fidèlement ceux que l’enseignant avait en tête. Plus le reflet est fidèle et plus les situations sont stéréotypées (cours et exercices), plus il est tentant de penser cette reconstruction comme une simple transmission entre des " vases communicants ". Plus l’apprentissage est incertain, plus il dépend d’activités, plus il devient évident que la transposition didactique n’est pas un pur parcours du savoir, mais passe par des situations et des pratiques qui ne contiennent pas les savoirs, mais en permettent la reconstruction par chaque apprenant. Il y a donc, même dans les disciplines où les savoirs sont centraux, une médiation par des pratiques d’enseignement-apprentissage qui ne sont pas réductibles à la communication de savoirs. Si l’on pense la transposition didactique jusqu’au bout, on s’aperçoit que, même dans les disciplines où le concept s’est enraciné d’abord dans les savoirs savants, il n’y a pas simple changement de forme ou de contenu, mais renaissance du savoir chez un autre sujet, par la médiation de tâches et d’interactions. On retrouve ici la notion de transposition pragmatique (Perrenoud, 1995).

Ce qui suggère que la métaphore de la transposition - si elle est conservée pour penser ce qui se joue dans la classe et sa préparation - doit de toute façon être élargie. Elle devient alors pertinente pour penser toutes les disciplines et toutes les formations. Non pas comme cadre unique, ni même intégrateur, mais comme une dimension majeure de toute scolarisation, de toute formation organisée, rejoignant l’intuition initiale de Verret : on ne peut transmettre la culture accumulée sans un apprêt spécifique et une série de transformations, qu’il serait défendable de conceptualiser, globalement, comme une chaîne de transposition, sans que cela évoque immédiatement le " parcours d’un savoir ", mais plutôt un ensemble de décisions et d’opérations qui rendent en fin de compte la culture assimilable par ceux qui veulent ou doivent se l’approprier.

Dans un tel cadre, la réflexion sur les spécificités des arts plastiques, de la musique, de la danse, du théâtre, de l’éducation physique et des langues, pourrait enrichir l’anthropologie didactique dont rêve Chevallard (1994). Plutôt que d’imiter leurs grandes sœurs, les didactiques de ces disciplines pourraient les enrichir, les aider à mieux saisir que, même lorsque les savoirs savants ou experts paraissent constituer l’identité d’une discipline, ils n’en épuisent ni la substance, ni la transposition.

Cet élargissement de la notion de transposition n’a pas nécessairement des retombées immédiates sur le fonctionnement quotidien des professeurs à l’intérieur des disciplines scolaires, mais il pourrait fédérer les didactiques des disciplines - au delà des alliances tactiques - et les relier plus ouvertement à la sociologie du curriculum et à la formation des adultes.

On peut aussi se servir immédiatement d’une transposition élargie pour interroger et repenser les programmes et la formation des enseignants, à partir d’une analyse renouvelée et plus fine des pratiques de référence et des savoirs experts des enseignants - pour leur formation professionnelle - aussi bien que des sportifs, des artistes, des danseurs, des acteurs et d’autres praticiens, pour la formation des élèves dans l’enseignement de base.


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