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De la gestion individuelle d’une classe à la gestion collective d’un cycle d’apprentissage pluriannuel

Une nouvelle corde à l’arc des enseignants

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation
Université de Genève
1999

Sommaire

I. Gestion de classe : concept construit ou fourre-tout anachronique ?

II. Un cycle d’apprentissage pluriannuel

III. Gestion d’un cycle d’apprentissage pluriannuel

IV. La gestion modulaire du parcours de formation

V. Des compétences de gestion de classe aux compétences de gestion de cycle

Références

Paradoxalement, au moment où la " gestion de classe " devient un thème de recherche et de savoir, la définition même de la classe devient moins limpide. Certes, pour la plupart, les systèmes éducatifs font encore du groupe-classe stable, composé pour une année scolaire, confié à un ou plusieurs professeurs, l’unité de base de l’organisation pédagogique. Cependant, le jeu des options et des niveaux appelle, dans le secondaire, à travailler avec des groupes d’un autre type. Au primaire, les écoles à aire ouverte et les " décloisonnements " composent aussi de nouveaux groupements. La pédagogie différenciée propose également de travailler avec des modules et des groupes de projets, de besoins, de niveaux, par définition moins stables et polyvalents que les classes (Meirieu, 1989 a et b, Perrenoud, 1995, 1997). Enfin, la structuration du cursus en cycles d’apprentissage pluriannuels gagne du terrain dans divers systèmes éducatifs, tant au primaire qu’au secondaire, ce qui peut mettre en question le groupe-classe comme pivot du travail scolaire. La classe ne disparaît pas du paysage scolaire, mais devient un groupe parmi d’autres, sans doute un groupe privilégié, un groupe de référence, mais dont la constitution et l’animation n’épuisent pas les problèmes de gestion, même lorsque ce groupe reste la " tour de contrôle " des autres activités et le port d’attache à partir duquel les élèves se répartissent dans d’autres.

Est-ce à dire qu’il est inutile d’analyser les pratiques de gestion de classe ? Nullement, ne serait-ce que parce que le mouvement vers les cycles d’apprentissage reste lent et incertain. Même les systèmes éducatifs qui les ont instaurés récemment, du moins sur le papier, par exemple le Québec, la France, la Belgique &endash; ne font qu’amorcer une rupture avec les programmes annuels et les groupes-classes traditionnels. Il reste donc nécessaire de décrire et d’expliquer des pratiques très courantes et d’y former les enseignants, tant il est vrai qu’aujourd’hui encore un enseignant débutant a toutes les chances de se trouver à la tête d’une classe.

Il y a une seconde raison de conceptualiser la gestion de classe et les compétences qu’elle met en jeu : c’est en effet à partir de la maîtrise de la classe que les enseignants développeront la maîtrise d’espaces-temps plus vastes, un peu comme un marin sachant conduire une barque transposerait peu à peu ses savoir-faire et ses savoirs à un plus grand navire. Penser un espace-temps de formation et sa gestion élève le niveau d’abstraction et oblige à rompre avec l’illusion de la familiarité. Dans un deuxième temps, cette abstraction permet de repérer des processus partiellement indépendants des groupes et de l’organisation spécifique de la scolarité. C’est indispensable à une époque où, comme dans d’autres secteurs, les structures échappent à la tradition, pour devenir des moyens, parmi d’autres, d’atteindre des finalités.

Inversement, l’identification des problèmes que posent l’organisation et le fonctionnement d’un cycle d’apprentissage pluriannuel peut éclairer la gestion de classe " traditionnelle ". Cette dernière est en effet, du moins en partie, de l’ordre de la coutume, des habitudes ; elle fait appel à des conduites implicites, voire inconscientes, donc faiblement formalisées ; le changement d’échelle met en crise ces maîtrises tacites et oblige à expliciter les problèmes et les solutions. Ce changement aide aussi à dissocier la gestion d’un espace-temps de formation de la gestion d’activités précises, alors que dans la classe, comme le relève Maulini (1999), gestion de classe et gestion des tâches sont souvent confondues, au point qu’on peut identifier le métier d’enseignant à l’art d’enchaîner sans heurs ni retards des activités qui, elles, mobiliseraient l’essentiel des compétences de gestion. La prise en compte d’espaces-temps de formation plus vastes oblige à prendre en compte l’organisation du travail comme niveau distinct de la conduite du travail lui-même.

Entre la classe fermée, stable, progressant dans son programme annuel et le cycle d’apprentissage pluriannuel confié à une équipe, on observe maintes formes intermédiaires, notamment dans l’enseignement primaire, dans les écoles alternatives, les écoles actives, les pédagogies coopératives et institutionnelles, qui ont depuis longtemps bouleversé les temps et les espaces de la formation, même si c’est souvent à la marge du système. Plus récemment et de façon plus banale, les enseignants ont développé diverses formules qu’à Genève, par exemple, on regroupe sous l’étiquette de " décloisonnements " : la classe reste l’unité de base, mais, par moments, ses frontières deviennent perméables, les titulaires de plusieurs classes voisines composent d’autres groupes (de besoins, de projets, de niveaux), parfois homogènes, parfois non. Ces " décloisonnements " obligent à considérer un niveau de gestion " interclasses ", qui n’est pas celui de l’établissement, encore moins de l’organisation scolaire dans son ensemble, puisque des classes et leurs titulaires se mettent en réseau et partagent une partie du temps scolaire, sans que cela soit nécessairement lié à un projet d’établissement, ni même à la constitution d’une équipe pédagogique stable.

Sans s’attarder à ces formes intermédiaires, notons que les cycles d’apprentissage dont il sera question ici n’épuisent pas la complexité des modes d’organisation du travail dès lors qu’on ouvre la classe. Ces formes intermédiaires ont préparé les cycles d’apprentissage et les rendent " pensables ". Même si le rêve d’une école sans classes et sans degré est assez ancien, on peut considérer que, dans l’école publique, les cycles pluriannuels sont encore in statu nascendi, en quête d’une conception et d’un fonctionnement durable. Il est donc un peu tôt pour étudier des façons variées d’habiter cette structure, puisqu’elle est en construction. Il s’ensuit que l’analyse des problèmes que pose sa gestion est en partie prospective.

Pour dire les choses autrement : clarifier les opérations de gestion d’un cycle d’apprentissage pluriannuel et les compétences qu’elles mettent en jeu, à ce stade de la recherche et de l’innovation, est une façon de mieux conceptualiser ce que pourrait être un cycle d’apprentissage. Cet article est résolument programmatique et exploratoire, tourné vers l’avenir plutôt que vers l’observation de pratiques attestées à large échelle. Il s’articule en quatre parties, suivies d’une conclusion.

 

I. Gestion de classe : concept construit
ou fourre-tout anachronique ?

Lorsqu’on dit " gestion de classe ", tout le monde voit " à peu près " ce dont on parle. Mais si l’on demande une définition précise, on se rend compte que l’expression permet de désigner commodément tout ce qui ne relève pas d’une discipline et de la didactique correspondante, un fourre-tout, un " reste ", un ensemble non analysé.

Est-il utile de construire plus rigoureusement le concept ? Ou est-il plus sage de lui conserver cet usage vague et métaphorique ? La question se pose à l’heure où l’on parle toujours plus de groupes multiâges, de décloisonnements, de cycles d’apprentissage, autant de façons de recomposer des espaces-temps de formation différents de la classe traditionnelle. Si la classe est mise en cause comme groupement unique des élèves, pourquoi s’acharner à clarifier un concept aussi fragile ?

Parce que la gestion de classe, c’est en quelque sorte ce qui surplombe et rend possible le travail d’enseignement et d’apprentissage sur des contenus déterminés. Si la classe fait place à d’autres types de groupements, ce travail ne disparaît pas pour autant. Il se complexifie, au contraire et justifie plus que jamais une analyse ergonomique des dimensions gestionnaires du travail enseignant, de leur rationalité et de leurs conditions.

L’approche de la classe comme espace-temps spécifique à gérer permet de penser un niveau de fonctionnement organisationnel, et donc un registre d’expertise professionnelle des enseignants, qui, en tant que tel, n’est pas entièrement couvert par les conceptions courantes de la pédagogie ou de la didactique. Bref, la notion de gestion garde du sens, même si la classe n’est plus le groupement de base, à condition de l’étendre à des espaces-temps de formation multiformes, moins grands que l’établissement scolaire, mais différents de la classe stable traditionnelle et en principe plus vastes et hétérogènes.

Plutôt que de gestion, peut-être vaudrait-il mieux parler de management. Le mot est désormais français et l’on peut le prononcer à la française. Son acception est plus large : le Robert assimile gérer à administrer, alors qu’il définit le management comme l’ensemble des techniques d’organisation et de gestion d’une affaire ou d’une entreprise. Le concept d’organisation ajoute une dimension importante et met l’accent sur la mise en place d’un cadre de travail qui structure les activités et les interactions. Je proposerai cependant d’inclure cette dimension d’organisation dans le concept de gestion d’un espace-temps de formation, ce qui est plus conforme au sens habituel donné à la gestion de classe dans le champ scolaire, plus large que la simple administration des personnes, des ressources et des tâches. Je ne ferai donc pas ici de différence entre gestion et management.

La gestion d’un espace-temps de formation porterait - pour le dire encore abstraitement - sur l’ensemble des paramètres et des interdépendances avec lesquels on joue pour rendre possibles le travail scolaire quotidien et la centration sur les contenus et les apprentissages. Peut-être pourrait-on - métaphoriquement - assimiler la gestion de classe à la mise en scène d’une pièce, avec cette différence que toutes les répliques ne sont pas écrites, même si les rôles sont distribués. Comme la commedia dell’arte, l’action pédagogique oscille entre respect d’une mise en scène et improvisation.

Entre didactique et administration

On va en principe à l’école pour se développer, s’instruire, se construire. On sait aujourd’hui que rien de tout cela n’arrive si l’élève n’est pas placé régulièrement dans des situations propices, qu’on nomme volontiers " situations d’apprentissage ". De telles situations supposent en général qu’une tâche soit définie et assignée à une ou plusieurs " apprenants ", ou mieux encore négociée avec eux, voire choisie ou conçue par eux. Une tâche n’est formatrice que si 1) elle provoque des activités et des opérations mentales, 2) ces activités engendrent des apprentissages nouveaux ou du moins consolident des acquis. L’un des enjeux de la didactique est de concevoir de telles tâches et les situations d’enseignement-apprentissage qui les abritent et leur donnent sens. S’ajoute une contrainte supplémentaire de taille : les apprentissages suscités doivent correspondre à un programme ou du moins à des objectifs de formation. Connaissance des objectifs, des processus d’apprentissage, des élèves et des interactions didactiques s’allient pour créer et animer des situations fécondes. Pourtant, ces compétences pointues ne donnent leur pleine mesure que si la gestion du temps et de l’espace scolaires en permet l’enchaînement raisonné, l’alternance ou la coexistence harmonieuses.

Les situations d’enseignement-apprentissage relèvent en général d’une discipline spécifique, langue maternelle, mathématique, etc. On parle toutefois de plus en plus de compétences transversales, dont la formation appellerait des situations inter- ou pluridisciplinaires. À l’intérieur ou au carrefour des disciplines, faire la classe (Nault, 1998 ; Rey, 1998) consiste à concevoir et proposer des situations d’enseignement-apprentissage qui s’articulent, s’enchaînent les unes aux autres, dans le cadre de séquences didactiques plus ou moins planifiées, ou de dispositifs didactiques plus étendus dans le temps, par exemple une correspondance scolaire suivie, l’engagement régulier dans des jeux de stratégie, la préparation d’un spectacle ou toute autre " activité cadre ".

On peut, en adoptant un point de vue didactique, construire la notion de gestion d’un espace-temps de formation comme nécessité fonctionnelle, trame qui sous-tend et rend possibles les situations d’enseignement-apprentissage : pour qu’elles se succèdent avec une certaine continuité, en ménageant des progressions raisonnables dans les apprentissages, il faut mettre en place une programmation, une grille horaire, des méthodologies, mobilisant des moyens d’enseignement. Pour rendre ce suivi possible, il faut bien qu’existe un groupe stable, des lieux et des temps où maîtres et élèves se retrouvent pour poursuivre le travail sans avoir chaque fois à réinventer l’école, des règles et des contrats sans lesquels le marchandage oui le désordre seraient permanents.

On peut aussi, d’un point de vue plus classiquement " gestionnaire ", construire la notion de gestion de classe à partir de la nécessité d’une administration des choses et des personnes. Pour scolariser des milliers d’élèves, il faut les répartir en degrés, filières, bâtiments et en fin de compte en classes ou groupements de base de même fonction. La gestion du système organise alors les conditions de la rencontre entre des enseignants et des élèves autour d’un programme. Dès lors, à eux de jouer, sous la responsabilité de l’enseignant et en respectant des règles du jeu qui s’imposent à toutes les classes comparables. La gestion de classe est alors, en quelque sorte, ce qui reste à gérer au niveau de l’enseignant une fois que l’administration scolaire a délimité des espaces-temps de formation et leur a attribué des ressources matérielles et humaines, des objectifs, des normes et des garants de l’ordre prescrit, par exemple des moyens d’enseignement fortement recommandés ou un système de sanctions externes à la classe qui soutient l’autorité de l’enseignant.

On peut tenter d’articuler ces deux points de vue en liant fortement la gestion d’un espace-temps de formation à la notion d’organisation du travail.

 

Une entrée par l’organisation du travail

Elle présente l’intérêt de permettre des comparaisons avec d’autres métiers. Prenons deux exemples :

Ces conditions diffèrent bien sûr d’un secteur à un autre, mais elles ont partout la même fonction : permettre aux gens qui doivent travailler ensemble ou en interdépendance de le faire dans des conditions acceptables, voire optimales.

Ces conditions sont pour une part économiques et matérielles, mais d’autres, moins visibles, sont tout aussi importantes :

Plus concrètement, qu’y a-t-il à gérer ? Sans prétendre dresser un inventaire complet et définitif, je dirai :

Tout cela n’est pas entièrement décidé, ni décidable, au niveau d’une classe, ni même d’un établissement scolaire, parce que la structure rend certains fonctionnements incontournables et d’autres presque impossibles, mais aussi parce que les systèmes éducatifs, les cultures administratives et professionnelles, voire les établissements, prescrivent &endash; de façon indicative ou impérative, ouverte ou déguisée - des modes de gestion de classe.

La gestion de la classe n’est pas, toutefois, entièrement contrainte par les structures, les cultures et les prescriptions :

  • 1. Les enseignants, seuls ou en équipe, ont une importante latitude d’interprétation des règles générales.

    2. Ils décident de tout ce que les règles institutionnelles ou les cultures professionnelles ne prescrivent pas, mais qui doit être néanmoins déterminé pour qu’un fonctionnement didactique soit possible.

  • Aujourd’hui, presque partout, le système scolaire laisse d’importantes marges d’interprétation dans le champ des programmes, de l’évaluation certificative, de l’usage des moyens d’enseignement, du temps à accorder aux divers contenus, de la progression au cours de l’année scolaire, des démarches didactiques. L’institution prescrit de plus en plus faiblement les méthodes, l’ordre des activités, la grille horaire, l’aménagement de l’espace, la nature des tâches et des groupements d’élèves, la présence et le type de différenciation ou d’évaluation formative, le rapport entre enseignants et apprenants, le contrat pédagogique et didactique.

    Le travail et les responsabilités de gestion vont donc en s’accroissant, à la mesure de l’autonomie concédée ou imposée aux enseignants ou aux établissements (Perrenoud, 1999 c). Le passage de la classe et du programme annuel à des cycles d’apprentissage pluriannuels renforce cette tendance et transfère une partie des décisions de gestion à des équipes et les subordonne dont à des formes nouvelles de coopération professionnelle.

     

    La diversification des modes de gestion

    Dans une perspective d’éducation comparée ou d’histoire de l’éducation, on pourrait dresser un tableau des modes de gestion de classe et des contraintes qu’exercent sur elle les systèmes éducatifs. Je m’en tiendrai ici à trois axes de différenciation qu’on peut observer à l’intérieur d’un même système, à l’époque contemporaine : partage du pouvoir avec les élèves, conception dominante de la pédagogie et étendue des décloisonnements.

    Les enseignants (individuellement ou en équipe pédagogique) peuvent décider d’utiliser seuls leur part d’autonomie, qu’elle soit reconnue de droit ou prise de fait. Ils peuvent, au contraire, choisir d’en partager une fraction avec les élèves. Ce qui suggère une première typologie, sommaire : les organisations du travail entièrement imposées aux élèves à un extrême, les organisations entièrement négociées à l’autre. La plupart des organisations observables se situent entre ces extrêmes, avec des conséquences différentes selon qu’elles sont plus proches de l’imposition ou de la négociation : dans le premier cas, l’organisation est rapidement mise en place et l’on peut " passer au programme ", mais ce temps apparemment gagné risque d’être reperdu parce qu’il faut exercer un contrôle social permanent, sans quoi les élèves échapperont au travail. À l’autre extrême, la construction négociée du contrat et d’institutions internes prend un temps important, mais on peut en attendre, outre une éducation à la citoyenneté, une adhésion plus large aux règles et aux décisions, donc des responsabilités plus partagées. Arrêter une organisation du travail et fixer des contrats est au cœur de la gestion de classe dans les pédagogies nouvelles. Il n’est pas étonnant qu’elle soit l’affaire centrale du conseil de classe dans les pédagogies coopératives ou institutionnelles, dès Freinet. Même si l’on accentue aujourd’hui la fonction de médiation ou de résolution des conflits, le conseil de classe est, au moins historiquement, d’abord un lieu où se négocient et s’explicitent l’organisation du travail d’enseignement-apprentissage, ses raisons, ses exigences, ses priorités.

    Un second axe de différenciation touche à la conception de l’enseignement et de l’apprentissage : une alternance classique de cours et d’exercices facilite l’organisation du travail, plus prévisible, plus simple, plus régulière ; elle se paie d’un moindre intérêt du travail du côté des élèves, voire des enseignants, et d’un rapport assez bureaucratique de chacun à sa tâche. À l’inverse, les pédagogies du projet, les méthodes actives, les recherches ou le travail par situations-problèmes compliquent terriblement l’organisation du travail, perpétuellement recomposée et renégociée. En contrepartie, ces pédagogies espèrent donner plus de sens aux activités et impliquer les élèves autrement (Perrenoud, 1994).

    En combinant ces deux dimensions, on obtient un tableau très simple, qui permet cependant de situer les divers modes de gestion de classe :

    Deux axes pour situer les modes de gestion de classe

    Décisions, règles

    Pédagogie

    Faiblement négociées
    Fortement négociées

    Plutôt
    traditionnelle

    Alternance réglée et imposée de cours et d’exercices.
    Activités classiques, dont le contenu, la durée, les consignes, le niveau d’exigence font l’objet de discussion

    Plutôt " écoles nouvelles "

    Pédagogie du projet menée par un enseignant autoritaire, mais souvent charismatique
    Pédagogie coopérative ou " institutionnelle "

    Aujourd’hui plus que jamais, il convient d’ajouter un troisième axe, selon que l’espace-temps à gérer est la classe fermée, la réunion épisodique de plusieurs classes (décloisonnements, aire ouverte) ou un cycle d’apprentissage pluriannuel collectivement géré par une équipe d’enseignants.

    On l’imagine, ces trois dimensions ne sont pas indépendantes et l’on peut imaginer une forte tendance au repli des pédagogies traditionnelles et peu négociées sur la classe fermée et l’ouverture des pédagogies nouvelles et coopératives sur des espaces-temps de formation, plus vastes, tels les cycles d’apprentissage. Cependant, de telles simplifications nuisent à l’analyse, car la prise en compte des cas mixtes éclaire et enrichit la conceptualisation de la gestion d’un espace-temps de formation. Elle permet également de mieux penser les voies de transition d’un modèle à un autre.

     

    II. Un cycle d’apprentissage pluriannuel

    Dans tous les systèmes éducatifs, le cursus scolaire est articulé en plusieurs cycles d’études successifs : en général deux ou trois avant la première sélection, un ou deux pour le début de la scolarité secondaire. Ensuite, la diversité est encore plus grande. Un cycle d’études se caractérise par une certaine unité de conception des programmes et par une certaine homogénéité des charges, de la formation et du statut des enseignants. Traditionnellement, un cycle d’études reste fractionné en étapes annuelles, chacun comportant son propre programme. Chaque année, les élèves qui ont atteint un certain seuil de maîtrise changent de niveau (ou degré) et sont pris en charge par d’autres professeurs. Les autres redoublent ou, dès l’enseignement secondaire, sont " réorientés ", à moins qu’ils n’abandonnent les études.

    Du cycle d’études au cycle d’apprentissage

    Un cycle d’apprentissage est une forme d’intégration des étapes annuelles au sein d’un cycle d’études. Cette intégration peut prendre des formes douces, se limiter à la suppression du redoublement. Le cycle central du collège, en France, comme les cycles introduits dans l’enseignement secondaire en Belgique francophone sont de cette nature. Lorsque cela fait chuter le redoublement, le changement n’est pas négligeable. Il accroît l’hétérogénéité des élèves passant aux degrés suivants, au grand dam des professeurs qui craignent une " baisse du niveau ". Il ne peut que l’affaiblissement ou la suppression du redoublement ait des incidences sur la gestion de classe, dans un double sens : au début d’une année scolaire, le professeur accueille des élèves plus hétérogènes, mais en contrepartie, il n’a pas à désigner des élèves condamnés à redoubler et peut faire un pari positif sur la continuité des apprentissages, ce qui le dispense par exemple de faire le forcing et d’encourager le bachotage.

    Cependant, chacun reste enfermé dans son année et sa classe, voire dans sa discipline. L’espace-temps de formation n’a pas changé, quand bien même ses relations aux espaces-temps précédents et suivants modifient un peu son public et les attentes. Pour aller vers un " véritable " cycle d’apprentissage, il faut faire un pas de plus : renoncer aux programmes annuels, pour définir des " objectifs de fin de cycle " valables pour plus d’une année.

    La version la plus prudente consiste à définir des cycles de deux ans et à demander aux enseignants d’accompagner un groupe d’élèves durant cette période, comme ils accompagnent actuellement une classe durant un an. Aux classiques étapes annuelles, on substitue en quelque sorte des étapes de deux ans. Cela change sans doute les conditions de la gestion de classe : planifier sur deux ans permet davantage de flexibilité, mais oblige à " tenir la distance ", du point de vue du contrat avec un groupe, de la discipline, de l’usure des tactiques des uns et des autres. On se trouve toutefois dans un cas de figure assez familier si l’on revient à l’époque rurale de la scolarisation : dans les campagnes, il n’était pas rare qu’un enseignant soit en charge d’une classe dite " à plusieurs cours " ou " à degrés multiples ", parce que les effectifs ne permettaient pas de composer des classes d’un seul niveau. Cette organisation a perduré dans les zones à faible densité de peuplement. On maintient alors des programmes annuels et une possibilité de redoublement, mais elle est en général nettement moins utilisée, car l’enseignant organise les apprentissages sur deux ans (ou davantage).

    Une autre façon prudente d’organiser des cycles est de maintenir le principe d’un passage des élèves d’un enseignant à un autre en fin d’année scolaire, mais sans redoublement et en invitant les enseignants à travailler en équipe, de sorte à accroître la continuité des prises en charge. C’est le modèle de l’enseignement primaire français depuis la loi de 1989, avec des mises en œuvres très diverses, allant du respect presque intégral des niveaux annuels (sans redoublement officiel) à un véritable travail d’équipe poursuivant des objectifs de fin de cycle.

    Pour aller plus loin, il faut accepter de se détacher encore plus fortement des étapes annuelles. Certes, l’année scolaire restera l’unité longue qui rythme le temps scolaire. Il est donc assez normal qu’on se fixe des objectifs de fin d’année et qu’on fasse un bilan juste avant les " grandes vacances " ou au début de l’année scolaire suivante. Toutefois, on peut concevoir un cycle d’apprentissage pluriannuel qui, pour l’institution, ne serait régi que par des objectifs de fin de cycle, leur structuration en étapes intermédiaires (trimestrielles, semestrielles, annuelles ou autres) étant laissée à l’entière initiative des enseignants.

    Actuellement, les systèmes scolaires balisent et normalisent très inégalement la structuration interne d’une année scolaire. Les uns ont conservé des trimestres ou semestre officiels, avec des programmes, mais surtout des évaluations rythmées en conséquence ; d’autres définissent un programme annuel et laissent aux enseignants la responsabilité de la progression, donc de l’ordre des contenus aussi bien que du temps accordé à chaque chapitre dans le " texte du savoir ". Dans l’enseignement secondaire, la " ronde " des disciplines impose une grille horaire qui régit les emplois des professeurs aussi bien que les activités des élèves. À l’école primaire, une telle grille est plus indicative et désigne de grands équilibres, plutôt qu’une répartition à honorer chaque semaine. L’enseignement primaire genevois illustre le sens d’une évolution assez générale : il y a trente ans, les enseignants devaient respecter strictement la grille horaire, non seulement en accordant à chaque discipline son dû exact, mais en prévoyant le moment de la semaine où l’on ferait de la grammaire, de la géographie ou du calcul mental. De plus, le plan d’études imposait une progression mois par mois, si bien qu’on savait quel verbe devait être travaillé dans la seconde moitié de novembre et quelles figures géométriques devait être étudié en avril. Aujourd’hui, le contrat est annuel, la répartition du temps est une moyenne et les enseignants construisent et remanient à leur guise leur planification, au fil des mois

    On voit bien que cette évolution a partie liée avec l’élévation du niveau de compétences et la professionnalisation du corps enseignant. C’est une condition nécessaire pour envisager des cycles d’apprentissage pluriannuels : à quoi bon travailler sur des temps plus longs si les enseignants sont enserrés dans un corset qui les empêche de prendre des décisions en fonction de leur classe ? Les systèmes éducatifs, les parents et les enseignants restent très ambivalents face à de plus vastes espaces-temps de formation. Pour les administrations et les parents, c’est un pari sur les capacités de planification et de régulation sur deux ans ou davantage, donc un risque. Pour les enseignants, c’est une responsabilité et une angoisse.

    Pourquoi aller dans ce sens ? On introduit les cycles d’apprentissage dans de nombreux pays, de façon timide ou audacieuse, en général pour lutter contre le redoublement, espacer les échéances évaluatives, accroître la continuité de la prise en charge éducative, mieux tenir compte des rythmes et individualiser les parcours de formation. Dans le meilleur des cas, les cycles s’inscrivent dans la recherche d’un enseignement stratégique (Tardif, 1992, 1998) et d’une pédagogie différenciée (Meirieu, 1989, 1990 ; Perrenoud, 1995, 1997).

    J’ai soutenu que l’idée de cycle était encore une " auberge espagnole " (Perrenoud, 1998 a). L’on ne peut donc poser les problèmes de gestion de cycle de façon univoque, tant est grande la diversité des conceptions. À un extrême, on s’éloigne à peine des fonctionnements annuels et aucun problème de gestion nouveau n’est véritablement posé. A l’autre, tout est inédit et l’on manque de bases conceptuelles, et plus encore de recul, pour identifier des modes émergents de gestion et les expertises correspondantes.

    Une conception plus précise d’un cycle d’apprentissage

    Pour avancer, il faut donc s’avancer et plaider pour une conception plus définie des cycles. J’ai tenté ailleurs cet exercice (Perrenoud, 1997, 1998 b). Je ne reprends ici que les principaux éléments, sous forme de neuf thèses :

    1. Un cycle d’apprentissage n’est qu’un moyen de faire mieux apprendre et de lutter contre l’échec scolaire et les inégalités.

    2. Un cycle d’apprentissage ne peut fonctionner que sur la base d’objectifs de fin de cycle, qui constituent le contrat pour les enseignants, les élèves et les parents.

    3. Il importe de développer dans les cycles pluriannuels plusieurs dispositifs ambitieux de pédagogie différenciée et d’observation formative.

    4. La durée de passage dans un cycle doit être standard, pour forcer à différencier sur d’autres dimensions que le temps et à ne pas favoriser un redoublement déguisé.

    5. Un espace-temps de formation de plusieurs années ne peut atteindre ses buts que si les démarches et situations d’apprentissage sont repensées dans ce cadre.

    6. À l’intérieur d’un cycle, les enseignants s’organisent librement et diversement. Le système leur propose des outils à titre indicatif : balises intermédiaires, modèles d’organisation du travail et de groupement des élèves, outils de différenciation et d’évaluation.

    7. Il est souhaitable qu’un cycle d’apprentissage soit confié à une équipe pédagogique stable, qui en soit collectivement responsable durant plusieurs années.

    8. Les enseignants doivent recevoir une formation, un soutien institutionnel et un accompagnement adéquats pour construire de nouvelles compétences.

    9. La quête d’un fonctionnement efficace en cycles est une longue marche, à considérer comme un processus négocié d’innovation, qui s’étale sur plusieurs années.

    La rénovation de l’enseignement primaire genevois pourrait s’orienter vers deux cycles de quatre ans assez proches de ces thèses : 4-8 ans et 9-12 ans. À Genève, la scolarité enfantine et primaire est de huit ans, organisée en huit degrés annuels, dont deux préobligatoires. Le redoublement existe toujours, il est de l’ordre de 2 à 4 %, selon les degrés. L’école primaire est suivie d’un cycle d’orientation (enseignement secondaire) de trois ans, avec lequel s’achève la scolarité obligatoire. Les enseignants primaires sont généralistes ou polyvalents, ils maîtrisent et enseignent toutes les disciplines. Certains sont titulaires de classes, d’autres interviennent en appui (généralistes non titulaires, GNT). Dans certaines disciplines (musique, arts plastiques et éducation physique) l’enseignement est renforcé par des spécialistes (MS).

    C’est dans ce contexte que le Groupe de pilotage de la rénovation (1998) propose, pour l’enseignement primaire genevois, des cycles d’apprentissage définis comme suit :

    1. Le cycle pluriannuel est défini par une série d’objectifs d’apprentissage que tous les élèves doivent atteindre en fin de cycle. Ces objectifs, qui seront définis en temps utile par l’institution, s’inscrivent explicitement dans la continuité des objectifs de formation (instruction et éducation) de l’école primaire et de la scolarité obligatoire.

    2. Les programmes annuels, aussi longtemps qu’ils subsistent, n’ont qu’un statut indicatif. On cesse de s’y référer au fur et à mesure qu’on devient capable de gérer les progressions en fonction des objectifs de fin de cycle et de fin de cursus.

    3. Il n’y a plus de référence aux degrés dans les inscriptions, dans le carnet, dans la formation des classes ou des groupes, dans les fichiers et statistiques scolaires, dans l’attribution des enseignants. Un élève appartient officiellement à un cycle, auquel il est intégré en fonction de son âge, même s’il vient d’un autre système scolaire. La référence aux degrés devrait peu à peu disparaître des méthodologies et moyens d’enseignement officiels mis à la disposition des écoles. Elle perd également son sens en ce qui concerne les épreuves communes ou autres évaluations standardisées.

    4. La notion de redoublement ne veut plus rien dire, puisqu’il n’y a plus de degrés et qu’on ne peut évidemment redoubler l’ensemble d’un cycle, ni même la dernière année d’un cycle.

    5. La durée normale de traversée du cycle par un élève est égale à la durée officielle du cycle : on passe par exemple trois ans dans un cycle de trois ans, ni deux, ni quatre ! Des règles strictes garantissent que les parcours réels des élèves ne s’écartent de cette norme que de façon exceptionnelle, avec des mesures personnalisées, négociées de cas en cas.

    6. Durant tout le cycle sont mis en place des dispositifs efficaces de pédagogie différenciée, qui visent à permettre à tous les élèves d’atteindre les objectifs dans le même temps.

    7. En fin de cycle, pour les élèves encore loin des maîtrises visées, on prévoit des mesures intensives, prolongées, au début du cycle suivant, par des modules de mise à niveau et de consolidation différenciée. On peut envisager des structures ad hoc de transition entre cycles successifs.

    8. L’évaluation se fait sans notes. Elle est critériée et formative. Elle permet de situer régulièrement chaque élève par rapport aux objectifs visés en fin de cycle et en fin de cursus primaire. Des outils d’observation et d’évaluation sont mis à disposition par l’institution. Les parents sont régulièrement informés de la progression de leur enfant, sur la base d’un " cahier d’évaluation " fondé sur diverses sources (autoévaluation, observation, épreuves, entretiens, etc.). Ce cahier est conçu par chaque école sur la base de quelques principes généraux.

    9. Des structures cohérentes avec les cycles sont développées pour tenir compte des enfants immigrés (préalablement scolarisés ou non), aussi bien que des enfants en intégration ou fréquentant actuellement la division spécialisée ou des structures d’accueil.

    10. Une nouvelle articulation est mise en place avec le cycle d’orientation à la fin du dernier cycle primaire, en fonction de l’évolution des programmes et des structures du cycle et au gré d’une concertation. Les objectifs du cursus primaire et du cycle final du primaire sont reconnus et validés comme les bases de la scolarité secondaire et leur maîtrise joue un rôle explicite dans l’orientation en septième.

    À ces caractéristiques pédagogiques d’un cycle d’apprentissage, le même document ajoute des propositions quant à sa gestion :

    a. Les élèves d’un cycle, dans une école, sont confiés à une équipe pédagogique solidairement responsable de leur coexistence harmonieuse, de leur travail et de leur progression vers les objectifs tout au long du cycle, ainsi que de leur évaluation et de l’information régulière des parents. Au sein du cursus, les équipes veillent à la cohérence entre les cycles.

    b. Les enseignants collectivement responsables du cycle regroupent les élèves de la façon qui leur paraît optimale dans la perspective d’une pédagogie différenciée. Ils jouent donc, en plus de l’appartenance de chaque élève à un groupe-classe, sur des groupes de travail diversifiés, monoâges ou multiâges, homogènes ou hétérogènes, définis comme des groupes de besoin, de projet, de niveau, de soutien, etc. Les enseignants se répartissent les tâches en conséquence, de préférence de façon flexible et mobile.

    c. L’équipe rend compte de l’usage de son autonomie d’organisation, elle est donc capable d’expliquer et de justifier son système de travail et ses modes de différenciation auprès des instances mises en place à cet effet.

    d. Dans un groupe scolaire (bâtiment ou ensemble plus large), l’équipe compte, en gros, le nombre de postes qui auraient été attribués à l’encadrement des mêmes élèves dans une organisation en degrés avec titulaires, MS et GNT. Autrement dit, le passage à un cycle n’implique ni accroissement, ni diminution des forces de travail. À moyen terme, on peut définir les forces par un rapport entre nombre d’élèves et nombre de postes d’enseignants, standard ou modulé selon les caractéristiques du public scolaire.

    e. À l’intérieur de cette enveloppe, la division du travail dépend de l’équipe, il n’y a plus de différences entre généralistes titulaires et non titulaires. L’apport des MS doit encore être clarifié.

    f. L’équipe dispose des espaces et des moyens matériels qui seraient dévolus à l’encadrement des mêmes élèves dans une organisation en degrés. Les locaux sont regroupés. L’équipe les utilise à sa guise, en fonction des dispositifs pédagogiques mis en place.

    g. À la fin de chaque année, l’équipe se sépare des élèves arrivant en fin de cycle. À la rentrée suivante, elle accueille de nouveaux élèves.

    h. L’équipe informe les parents des élèves, selon des modalités variées, et les associe autant que possible aux discussions qui dessinent le fonctionnement interne du cycle d’apprentissage.

    i. Dans la règle, l’équipe pédagogique désigne un de ses membres pour assurer les tâches de coordination et pour la représenter au niveau de l’école et de l’extérieur.

    j. Dans les grandes écoles, on peut constituer plusieurs équipes pédagogiques distinctes, chacune prenant en charge une partie des élèves, mais toujours sur l’ensemble du cycle.

    Une partie de ces caractéristiques sont propres à un système éducatif particulier. Au moment où cet article est rédigé, une réforme de l’enseignement primaire est proposée dans ce sens (Groupe de pilotage, 1999), mais aucune décision n’est prise. Mon propos n’est pas ici de réfléchir sur la réforme genevoise, mais d’adopter cette conception d’un cycle d’apprentissage pluriannuel pour identifier les problèmes de gestion tels qu’ils sont redéfinis ou créés par une telle organisation.

     

    III. Gestion d’un cycle d’apprentissage pluriannuel

    Lorsqu’on sait gérer un petit espace (ou un petit budget) et qu’on " hérite " d’un plus grand, on peut tenter de le fractionner en plusieurs parties de moindre taille, pour se retrouver dans le cas de figure précédent. Si le désir des enseignants est de retrouver, dans un cycle d’apprentissage, l’exacte autonomie dont ils bénéficiaient dans leur classe, sans construire de compétences nouvelles, ils n’auront de cesse de réinventer les niveaux annuels et les groupes fermés. Même alors, on fait surgir un besoin de coordination, donc un niveau inédit, sinon de gestion, du moins d’harmonisation des principes et des politiques de gestion. Ce dernier peut cependant se réduire à presque rien si on revient au " chacun pour soi ". comme on peut assez souvent l’observer en France dans des cycles en principe gérés en interdépendance.

    Pour anticiper les nouveaux problèmes de gestion que poseront les cycles d’apprentissage pluriannuels, il est évidemment plus intéressant d’imaginer une équipe pédagogique qui, loin de chercher à " faire du vieux avec du neuf ", tenterait de tirer tous les bénéfices possibles d’une telle structure. Une telle équipe aurait besoin de courage, d’imagination, car elle devrait prendre des risques, pour sortir des sentiers battus. Pour qu’elle ne s’aventure pas en terre inconnue, il importerait que la recherche, les mouvements pédagogiques, les formateurs ou les responsables scolaires favorables à de tels cycles d’apprentissage proposent des modèles acceptables de gestion de cycle à partir des expériences connues aussi bien que d’une conceptualisation plus pointue de l’organisation du travail en milieu scolaire.

    Le groupe-classe, du port d’attache à la tour de contrôle

    Une équipe pédagogique en charge d’un cycle de quatre ans, accueillant par exemple une centaine d’élèves, aura au départ du mal à imaginer que chacun d’eux puisse se sentir membre d’un ensemble aussi vaste. Cela paraîtra " impensable " pour de jeunes enfants. Même pour des adultes - sauf en général à l’université - l’intégration à un groupe de taille raisonnable, au moins pour une partie de la semaine, sera considérée comme une source d’identité et de sécurité. On s’orientera donc rapidement vers l’appartenance de chacun à un " groupe de base ". Il restera &endash; si le système éducatif n’a pas codifié cet aspect en détail ! &endash; à définir la place et les fonctions d’un tel groupe. On s’accordera sans doute assez vite pour lui assigner une mission " psychoaffective " : se vivre comme membre d’une communauté, se sentir quelque part " chez soi ", un peu comme les adultes réintègrent la cellule familiale pour compenser le caractère souvent anonyme, décousu ou tendu de la vie au travail. Cette fonction répond aux besoins immédiats des personnes, à la limite indépendamment de tout enjeu de formation. On peut, faisant de nécessité vertu, la doubler d’une mission de socialisation : c’est à la faveur d’une appartenance durable à un groupe de base qu’on développerait la responsabilité, la solidarité, le respect mutuel, le débat démocratique.

    Si l’on s’en tenait là, on pourrait considérer que le groupe de base fait figure d’oasis, de " lieu où renaître ", d’endroit protégé des urgences de la " production ", en l’occurrence les apprentissages disciplinaires ou la construction de compétences transversales. Assez spontanément, les équipes chargeront en outre ce groupe d’une fonction de pilotage des parcours de formation des uns et des autres. En effet, la personne responsable de ce groupe &endash; maître de classe, professeur principal, tuteur, mentor, enseignant de référence, etc. &endash; apparaîtra rapidement comme celle qui connaît le mieux " ses " élèves et peut donc avoir une vue d’ensemble de leurs besoins, de leur trajectoire dans le cycle et donc des orientations à proposer pour la suite de leur parcours de formation. Si bien qu’on gérera donc dans un groupe de base non seulement des identités et des sentiments d’appartenance, ce qui est essentiel dans les organisations, mais des itinéraires de formation et les décisions qui les infléchissent. Cette fonction de " tour de contrôle " s’ajoute assez naturellement à celle de " port d’attache ".

    Le désaccord surgira, en général, sur la question de savoir si le groupe de base est aussi le cadre des apprentissages disciplinaires. Aucunement, diront les plus radicaux, alors que pour d’autres, il doit demeurer le cadre privilégié de la plupart des apprentissages scolaires, avec un seul enseignant polyvalent au primaire, un ensemble de professeurs spécialisés au secondaire.

    S’il devient le cadre unique du travail scolaire, un cycle d’apprentissage ne se distinguera des degrés annuels que par l’absence de redoublement, des échéances plus éloignées et la continuité des progressions vers des objectifs de fin de cycle. Cette continuité serait alors assurée par le fait que le même enseignant ou la même équipe accompagnent les élèves durant toute la traversée du cycle d’apprentissage, selon deux modalités possibles :

    On peut douter de l’intérêt d’un modèle aussi fermé : les cycles, tels que je les conçois ici, visent non seulement la continuité des progressions sur plusieurs années, mais la possibilité de prises en charge diversifiées. Si chacun restait " enfermé " dans son groupe-classe, avec ses élèves, on se retrouverait dans les mêmes impasses qu’aujourd’hui du point de vue des pédagogies différenciées : même avec des effectifs réduits &endash; or, ils tendent plutôt à s’alourdir au gré des crises budgétaires &endash; un enseignant seul ne peut faire coexister plusieurs dispositifs de pédagogie différenciée qu’au prix d’une ingéniosité didactique et d’une énergie hors du commun. Que, dans l’enseignement secondaire, plusieurs professeurs, spécialistes des diverses disciplines, se succèdent dans la même classe ne simplifie pas le problème de la différenciation, au contraire, puisque chacun est " seul maître à bord " durant ses heures. Comme il y a peu de peu de temps pour faire passer un programme, chacun reste tenté par un enseignement frontal entrecoupé d’exercices et d’épreuves notées.

    La réflexion sur la gestion de cycles pourrait utilement s’inspirer de l’ingénierie des pédagogies de groupe développée notamment par Meirieu (1989 a et b), qui tente de faire correspondre des modes de groupement différents à des démarches ou des contenus spécifiques. L’organisation modulaire qu’on analysera plus loin va dans le même sens, Dans cette perspective, l’apprentissage dans un groupe de base stable (un " groupe-classe " redéfini, éventuellement multiâge) se serait alors qu’une modalité de travail parmi d’autres, dont la place dépendrait d’options de gestion de cycle à prendre par l’équipe, en fonction de l’ensemble des paramètres.

    Des objectifs aux groupements

    Comment procéder pour organiser la répartition optimale d’une centaine d’enfants entre divers modes de travail et divers types de groupes ? Dans une pédagogie de l’improvisation et de l’effervescence instituées, on pourrait imaginer des établissements où, chaque matin, l’ensemble des enseignants et des élèves du même cycle se réunissent pour décider en commun des tâches de la journée, puis se répartissent en conséquence entre différents lieux de travail. Cette planification souple pourrait se faire à des intervalles moins rapprochés, par exemple au début de chaque semaine ou quinzaine, voire de chaque mois.

    Ce mode de gestion de cycle n’est en soi nullement absurde. Il présenterait l’intérêt d’une grande flexibilité, mais c’est aussi sa limite : il faut du temps, de l’énergie, de l’inventivité et de la méthode pour réorganiser souvent la division du travail. Cela suppose une culture de coopération partagée, non seulement entre les professeurs, mais aussi avec les élèves. Ces derniers devraient faire preuve de beaucoup de lucidité et de discipline, et manifester des capacités métacognitives et expressives qui ne peuvent se développer que graduellement et qu’il semble plus réaliste d’attendre d’adolescents ou de jeunes adultes.

    Rien, toutefois, n’oblige à gérer sur ce mode l’ensemble du temps de travail. On pourrait imaginer qu’on fonctionne selon ce modèle un jour par semaine ou une semaine sur quatre, les autres temps de travail faisant l’objet d’une programmation plus stable, ce qui ne signifie pas nécessairement qu’elle serait établie pour l’ensemble d’une année scolaire, ni qu’elle ne laisserait aucune marge à l’improvisation et à la flexibilité. Il importe au contraire de planifier des temps (heures, jours ou semaines) non affectés, de sorte à pouvoir tenir comptes des besoins et projets qui émergent en cours d’année.

    Comment les problèmes de gestion de cycle se poseraient-ils alors ? Leur traitement exigerait d’abord des concepts et le langage correspondant. Une répartition improvisée des tâches attribue des personnes, désignées par leur nom, à des tâches, désignées par leur contenu : les 11 élèves suivants retravailleront la multiplication avec Yves, les 32 élèves suivants travailleront avec Jeanne et Olivier sur l’exploration du quartier, etc. Si l’on planifie sur plusieurs mois, le niveau d’abstraction s’élève, au moins pour désigner le contenu des tâches : on en revient à des dénominations de disciplines ou de fractions de disciplines : géométrie, poésie, atelier sur les contes, travail sur textile, lecture de cartes, grammaire allemande, etc. Alors qu’on peut, dans l’improvisation, gérer à la fois les tâches et la composition des groupes, la planification les dissocie : on fixe les types de contenus avant d’arrêter la répartition des élèves, pour ne pas figer les groupes et conserver la possibilité de les moduler " en temps réel ", selon la progression effective des apprenants et leurs projets et besoins du moment.

    Raisonner domaine par domaine

    La gestion planifiée d’un cycle d’apprentissage doit tenir compte de la spécificité des divers contenus et objectifs. Il apparaît donc pertinent de distinguer un certain nombre de " domaines ", appelant chacun une organisation du travail et des modes de groupements spécifiques. Ces domaines pourraient être les disciplines scolaires traditionnelles. Cela paraît presque incontournable dans l’enseignement secondaire, puisque les emplois des professeurs sont codifiés en heures d’enseignement dans leur propre discipline. Même alors, pourrait s’autoriser quelque distance par rapport à cette conception classique :

    Rien n’interdit par ailleurs de rompre avec le principe d’une grille horaire stable durant toute l’année, attribuant à chaque discipline, chaque semaine, exactement les mêmes heures. Pourquoi ne pas envisager des équilibres semestriels ou annuels ? Il n’est donc nullement impossible de concevoir des cycles d’apprentissage pluriannuels dans l’enseignement secondaire, à condition de bouleverser quelques habitudes. La garantie de l’emploi, les intérêts acquis, les bastions disciplinaires, l’inégalité des dotations entre disciplines rendent toutefois ces bouleversements improbables. Il est donc probable qu’une organisation en cycles raisonnera, au secondaire, discipline par discipline, avec les rigidités qui s’ensuivent.

    Le jeu est plus ouvert dans l’enseignement primaire, du fait que des enseignants polyvalents prennent en charge plusieurs disciplines, parfois toutes Une équipe pédagogique responsable d’un cycle d’apprentissage pluriannuel peut alors s’affranchir des grilles horaires et des découpages conventionnels, pour inventer d’autres modes de gestion du temps et de division du travail.

    On pourrait suggérer à une équipe en quête d’un modèle de gestion de travailler d’abord les objectifs d’apprentissage essentiels, les objectifs de fin de cycle, en se demandant pour chacun s’il est préférable de les travailler dans le groupe-classe de base, multiâge ou monoâge, ou dans des groupements d’un autre type, modules ou groupes de niveaux, de besoins, de projets, les uns plus homogènes (selon divers critères : âge, niveau, difficultés d’apprentissage, intérêts), les autres plus hétérogènes.

    On constituerait alors des " familles d’objectifs ", correspondant soit à l’entier d’une discipline (par exemple une langue seconde), soit un ensemble de disciplines connexes (par exemple géographie-histoire ou divers enseignement de technologie), soit à une partie de discipline (par exemple la géométrie comme partie des mathématiques), soit encore au " mariage " d’objectifs appartenant à deux disciplines, par exemple observation scientifique (aspect de la physique) et rédaction des protocoles et des rapports correspondants (aspect du français). On laissera ici de côté les questions didactiques et épistémologiques que posent ces découpages, en supposant - non sans optimisme ! - que les systèmes éducatifs offrent aux équipes pédagogiques la formation, les appuis et les textes de référence suffisants pour permettre une certaine autonomie sans que chacune réinvente la roue ou fasse des choix aberrants.

    Pour chaque domaine ainsi retenu (trois, cinq ou dix pour l’ensemble du curriculum), les équipes se poseraient ensuite la question de savoir selon quels types de groupements il est préférable de travailler. Il est probable que l’optimisation de chaque domaine aboutirait à un ensemble impossible à gérer, chacun ayant des exigences irréalistes en heures, en flexibilité en alternance de divers groupements. On pourrait proposer aux équipes, à ce stade, des régulations du même type que celles qui permettent de construire un budget dans une organisation : dans un premier temps, chaque département raisonne selon sa logique propre, évalue largement ses besoins et fait des propositions dont la somme est irréaliste ; une instance de coordination renvoie alors chacun à sa copie, en fixant des contraintes. Un tel processus aiderait à construire un moyen terme entre des logiques de gestion optimisées pour chaque domaine, mais au départ incompatibles entre elles. Ce mode de construction du cycle serait plus laborieux, mais plus prometteur, qu’une logique unique, simple, mais médiocrement adaptée aux divers contenus et objectifs. Un tel processus pourrait, au fil de l’expérience et des négociations, conduire à remanier le découpage en domaines et à définir des types de groupements convenant à plusieurs domaines ou sous-domaines. Si bien que le modèle de gestion du cycle pourrait globalement se présenter, in fine, sous la forme d’un tableau à double entrée.

     

    Objectifs didactiques et types de groupements

    Groupes

    Domaines

    Groupe de base
    Modules
    Groupes multiâges
    Groupes de niveaux
    Groupes de besoins
    Groupes de projets
    Français oral
    *

    *

    Français écrit

    *

    *

    *
    Numération.
    *

    *

    Opérations

    *

    *
    *

    Espace (géométrie, géographie, dessin)

     

    *

     

    *

    Musique et éducation physique

    *

    *
    *
    Etc.

    Mon propos n’est pas ici de justifier les lignes, les colonnes ou le placement des astérisques. Ce tableau n’a d’autre but que d’illustrer une façon - sans doute encore fort simpliste - de maîtriser la gestion d’un cycle d’apprentissage pluriannuel.

    Le système éducatif pourrait être tenté, devant cette relative complexité, de prescrire un modèle unique de gestion de cycle, ce qui représenterait en apparence un gain de temps et d’énergie. En fait, ce serait une perte en termes de professionnalisation du métier d’enseignant, d’autonomie de gestion des équipes, d’adéquation aux besoins et compétences des acteurs en présence et d’inventivité gestionnaire et curriculaire. Je suggérerai plutôt que le système éducatif propose des modèles de gestion de cycles pluriannuels, laissant les équipes s’en inspirer pour composer leur propre système de gestion, en tenant compte des conditions locales, du nombre et du niveau des élèves, de leur absentéisme prévisible, des attentes des parents, des problèmes de maintien de l’ordre, des espaces effectifs de travail et de déplacement, mais aussi des compétences et des préférences didactiques et pédagogiques des enseignants.

    Une évolution dans ce sens contribuerait à développer de nouveaux savoirs sur le rapport entre types d’objectifs (disciplinaires ou transversaux) et types de groupements, notamment quant aux vertus de tel ou tel type d’homogénéité. Les systèmes scolaires ont aujourd’hui des doctrines simplistes : pour la plupart, jusqu’à 12 ans, tout paraît " enseignable " en groupes fortement hétérogènes, à partir de 12 ans la norme s’inverse et de nombreux professeurs du secondaire ne conçoivent pas d’enseigner leur discipline dans des groupes qu’une sélection préalable n’aurait pas fortement homogénéisés. Une réflexion didactique sur les contenus et les démarches permettrait sans doute de développer des rationalités plus subtiles. Il est probable que les démarches de projet, les activités de recherche ou le travail par situations-problèmes n’exigent pas le même type et le même degré d’homogénéité qu’un cours magistral ou des travaux pratiques.

    On pourrait aussi construire progressivement des éléments de réponse à la question de la taille optimale des groupes. Pour débattre, observer, expérimenter, rédiger, écouter une histoire, monter un spectacle, conduire une enquête, il faut parfois être moins nombreux que dans une classe conventionnelle, alors qu’on peut facilement, pour d’autres activités, regrouper davantage d’élèves, sans revenir pour autant à un enseignement frontal. Une école à aire ouverte permet par exemple à deux enseignants de fonctionner comme personnes ressources pour soixante-dix élèves travaillant individuellement ou par petits groupes, alors que deux autres adultes travaillent de façon intensive avec des groupes de quinze.

    Gérer les progressions sur quatre ans

    Une fois stabilisé &endash; pour un temps - un modèle de gestion de cycles par domaines et modalités de travail, l’équipe pourrait affronter un autre problème : comment répartir les élèves entre ces diverses modalités. L’attribution à un groupe de base n’a de sens que pour une certaine durée, disons une année scolaire. Dans les autres cas de figure, une telle stabilité ne s’impose pas. C’est évident pour les groupes constitués autour d’un projet, puisque leur durée de vie dépend de l’avancement du projet. Les groupes de besoins disparaissent lorsque les besoins sont satisfaits et que d’autres besoins appellent la constitution de nouveaux groupes.

    Les groupes de niveaux peuvent être plus stables, mais avec le risque connu du streaming : reconstituer des filières parallèles et étanches qui cristallisent une hiérarchie et finissent par viser des objectifs différents, alors que dans le cadre d’une pédagogie différenciée, les groupes de niveaux doivent au premier chef rétablir une parité, dans une logique compensatoire : les groupes de divers niveaux visent les mêmes maîtrises, avec des démarches et des taux d’encadrement adaptés aux difficultés d’apprentissage.

    Quant aux modules, on le verra plus bas, ils n’ont aucune raison de " courir " durant toute l’année. Les uns peuvent durer quelques heures, les autres quelques dizaines d’heures.

    Une équipe en charge d’un cycle d’apprentissage pluriannuel, qui travaillerait avec ces divers dispositifs, devrait donc résoudre des problèmes de gestion qui sont, dans les établissements fonctionnant par degrés annuels, réglés pour un an, de façon centralisée, par les instances ou les personnes qui composent les classes et confectionnent les horaires. À quoi bon confier de telles tâches à une équipe pédagogique responsable d’un cycle si c’est pour qu’elle instaure une organisation du temps, de l’espace et des tâches aussi rigide que dans un collège traditionnel ? La décentralisation des décisions de gestion vise aussi une plus grande flexibilité.

    Une équipe de cycle serait confrontée à un double défi : procéder à une répartition viable (donc relativement stable) des élèves tout en cherchant à optimiser la progression de chacun. Si différencier, c’est mettre aussi souvent que possible chaque élève dans une situation d’apprentissage pertinente et féconde pour lui (Perrenoud, 1995, 1997), l’enjeu gestionnaire est immense : il ne s’agit pas seulement de " faire tourner la machine " en se débrouillant pour que chaque élève soit au travail dans un groupe, sous la responsabilité d’un enseignant. Le défi est que cette rencontre entre un apprenant, un enseignant et un savoir ou une tâche, autrement dit l’incarnation concrète du triangle didactique, soit à chaque instant optimale. Bien entendu, c’est un idéal qui relève du " meilleur des mondes " et dont la réalisation permanente et intégrale confinerait au cauchemar. Disons qu’il reste en général une marge suffisante pour sauvegarder la liberté des uns et des autres et qu’une bonne gestion de cycle vise un idéal, mais se satisfait d’une adéquation " raisonnablement optimisée " des situations d’apprentissage.

    Les décisions dont dépend cette " optimisation raisonnable " seront pour une part prises à l’intérieur des groupes constitués, eux-mêmes plus ou moins durables. C’est ce qu’on peut appeler la différenciation interne. La différenciation externe se jouera dans l’attribution des élèves à des groupes et dans la décision de changer tel ou tel de groupe à certains moments opportuns. Ce problème se pose déjà dans le cadre de la gestion d’une classe, lorsque l’enseignant travaille par ateliers ou sous-groupes. Sa compétence est alors de répartir au mieux ses élèves entre ces divers foyers d’activité, en trouvant une ligne médiane entre un brassage perpétuel et une stabilité aussi peu convaincante. À l’échelle d’un cycle pluriannuel, le problème gestionnaire est de même nature, mais la décision porte sur un plus grand nombre d’élèves. Elle doit être prise par une équipe et ne peut donc être improvisée, ni modifiée aussi souplement que par un seul décideur.

    Gérer de tels problèmes en équipe, pour un grand espace-temps de formation, exige des outils de pilotage, parmi lesquels, évidemment, l’évaluation constante des acquis et des progressions (outils d’évaluation formative, portfolio) et une mémoire efficace et partagée des décisions prises et des activités suivies par chacun, grâce à des outils informatiques appropriés, mais aussi à des concepts et un langage adéquats, empruntés ou forgés par l’équipe. Une gestion de classe dont tous les éléments sont " dans la tête " d’une seule personne n’est plus adaptée à la complexité d’un cycle d’apprentissage pluriannuel confié à une équipe. Les savoirs de gestion doivent être peu à peu formalisés (à usage interne) et soutenus par des procédures et des instruments partagés. Les savoirs gestionnaires que déploient les enseignants familiers des méthodes actives sont en partie intuitifs et résistent à l’explicitation (Faingold, 1993, 1996). L’enjeu des cycles est de les partager et de les enrichir, plutôt que de paralyser chacun !

    Division du travail, coordination, régulations

    Tout cela renvoie, bien entendu, à la question de savoir s’il y a un pilote dans l’avion. Ce pilote est nécessairement collectif, dans la mesure où il serait malheureux de créer une fonction hiérarchique " de proximité ". Ce choix n’est pas absurde en lui-même, de nombreux métiers confient la coordination à un chef d’équipe, dans un atelier, un magasin, un chantier par exemple.

    Le niveau de professionnalisation des enseignants devrait permettre la définition d’une fonction de coordinateur de cycle sans statut hiérarchique, que chaque membre de l’équipe occuperait à tour de rôle, par exemple pour deux ans. Un coordinateur de cycle ne prendrait pas de décisions importantes, son rôle serait de structurer la concertation et le travail de décision de l’équipe. L’émergence d’un tel rôle consoliderait la dimension coopérative du métier d’enseignant (Gather Thurler, 1994, 1996), aiderait à sortir de l’individualisme.

    Il resterait à trouver un compromis acceptable entre l’autonomie de chacun et la cohérence de l’ensemble. Les choix gestionnaires ne peuvent, dans aucun système, être faits à un seul niveau. Dans les systèmes éducatifs conventionnels, ils sont opérés en partie au niveau central, par l’administration scolaire, qui prescrit les programmes, les horaires, les espaces, l’ameublement et l’équipement des classes, parfois les moyens d’enseignement et les démarches didactiques, souvent les procédures d’évaluation et le calendrier. Cela laisse un espace d’autonomie de gestion aux établissements, aux équipes et aux enseignants pris individuellement.

    Dans le contexte actuel, qui valorise l’autonomie des établissements, si l’on fonctionne par cycles pluriannuels confiés à des équipes, on aboutit en effet à ces quatre niveaux de décision : le système, l’établissement, l’équipe de cycle et les enseignants en charge d’un groupe. Le Groupe de pilotage de la rénovation genevoise (1999) propose que l’administration fixe un plan-cadre assez global et laisse une large autonomie aux autres niveaux, en suggérant une répartition des décisions dans un tableau indicatif.

    Niveaux de gestion dans une organisation par cycles d’apprentissage

    Niveau de responsabilité
    Critères de cohérence
    (N.B. chaque niveau inclut les critères du niveau précédent)
     

    1. Établissement (bâtiment ou groupe scolaire)

    1.1 Information/association des parents.

    1.2 Coordination avec l’enseignement spécialisé et les structures d’accueil.

    1.3 Aménagement des espaces et horaires scolaires.

    1.4 Concertation des choix de formation continue.

    1.5 Projet d’établissement.

    1.6 Aménagement des passages d’un cycle au suivant.

    1.7 Coordination entre les cycles, éventuels modules de transition, modalités de suivi.

    1.8 Politique des dérogations à demander pour abréger ou allonger le cursus d’un élève à titre exceptionnel.

    1.9 Droits, obligations et participation des élèves de l’école.

     

    2. Cycle d’apprentissage
    de quatre ans

    2.1 Principes d’organisation interne du cycle (tranches, modules, division du travail entre enseignants, etc.).

    2.2 Interprétation commune des objectifs et des balises.

    2.3 Démarches pédagogiques et didactiques dans les disciplines.

    2.4 Moyens d’enseignement.

    2.5 Conception et modalités de l’évaluation formative.

    2.6 Gestion des progressions et de la circulation des élèves entre groupes, modules, tranches ou autres dispositifs.

    2.7 Gestion des parcours durant le cycle.

    3. Prise en charge quotidienne des mêmes élèves

    3.1 Contrat didactique.

    3.2 Attitude, relation pédagogique.

    3.3 Exigences, règles disciplinaires.

    3.4 Mode de régulation des conflits, absences, déviances.

    3.5 Fonctionnement en conseil de classe ou son équivalent.

    3.6 Mise en place de dispositifs et de situations d’enseignement-apprentissage.

    3.7 Suivi formatif des élèves et de leurs apprentissages.

    Source : Groupe de pilotage de la rénovation (1998, 1999).

    Chacun item et son placement dans le tableau prêteraient à discussion. Peu importe ici leur détail : ce tableau suffit à suggérer à la fois qu’une équipe de cycle est un niveau d’autonomie et ne décide pas de tout, parce qu’elle doit :

    On voit que le fonctionnement en cycle exigerait, parmi d’autres conditions, un équilibre optimal entre des décisions collectives, sans lesquelles le cycle perd de sa cohérence et donc de son intérêt, et les décisions individuelles tenant compte de la réalité des acteurs en présence, du contrat et du rapport qui les lient.

     

    IV. La gestion modulaire du parcours de formation

    La notion d’organisation modulaire d’une partie du curriculum a été évoquée sans être approfondie. Il est temps d’en traiter plus explicitement, pour illustrer une partie des nouveaux problèmes de gestion que pose le fonctionnement en cycles d’apprentissage pluriannuels.

    La notion de module a été développée d’abord dans les formations d’adultes, certaines formations professionnelles et certaines formations universitaires structurées par unités capitalisables. On retient volontiers des modules l’une de leurs caractéristiques : fragmenter le curriculum en unités discrètes, qui permettent de rompre avec les programmes annuels et les itinéraires imposés. C’est une des clés de toute individualisation des parcours de formation (Bautier, Berbaum et Meirieu, 1993 ; Bureau de la valorisation des innovations pédagogiques, 1998). Cet aspect n’est pas négligeable durant l’enseignement obligatoire, même si les programmations didactiques y sont moins souples, ne serait-ce qu’en raison de la vocation à développer une culture commune autant que de répondre aux besoins particuliers des uns et des autres.

    Je retiendrai toutefois des modules une autre caractéristique : la création d’espace-temps de formation ayant chacun une mission limitée et, en principe, les moyens de la réaliser sans se disperser. J’ai analysé ailleurs (Perrenoud, 1997) le phénomène du zapping scolaire permanent : au gré d’une grille horaire stable, les élèves passent d’une discipline à l’autre, d’heure en heure, et quittent la tâche au moment où l’on pourrait commencer sérieusement à s’attaquer à leurs difficultés d’apprentissage. Quelques jours ou une semaine plus tard, ils retrouvent les mêmes obstacles, s’y heurtent, mais ne les dépassent pas et sont à nouveaux la fois sauvés et condamnés par le gong.

    Un module autorise une gestion à flux tendus, dans un compte à rebours permanent, qui régule les activités en fonction du temps qui reste et de la distance de chaque apprenant à l’objectif spécifique du module. Autrement dit, c’est le cadre privilégié d’un véritable enseignement stratégique (Tardif, 1996). Alors que dans une classe, on ne gère à flux tendus que la progression de la classe dans le programme annuel, un module invite à gérer à flux tendus les apprentissages de chaque élève vers les objectifs du module.

    Centration thématique, objectifs délimités, temps resserré, rythme soutenu, horizon rapproché (quelques semaines au plus), évaluation critériée, préparation didactique pointue, démarche intensive, contrat didactique spécifique, un travail modulaire pourrait, dès l’école primaire, accroître l’efficacité de l’enseignement, en optimisant notamment le " time on task " cher à Carroll (1965) et en adoptant certains acquis de la pédagogie de la maîtrise.

    Divers problèmes se posent alors :

    Ces problèmes relèvent de la structuration du curriculum plus autant que de la gestion d’un cycle. Ils ont été abordés ailleurs (Perrenoud, 1997 ; Wandfluh et Perrenoud, 1999). Examinons plutôt ici deux aspects de la gestion d’un module : le flux tendu et la différenciation interne.

    Gérer les apprentissages à flux tendus

    Toute l’école donne l’image d’une tension permanente vers les objectifs. Elle se manifeste toutefois dans le discours davantage que dans le travail proprement dit. Certes, chaque enseignant consciencieux rêve de mettre constamment ses élèves en situation d’apprendre, donc de chercher, de calculer, de rédiger, de réfléchir, d’argumenter, d’observer, de raisonner, de construire, etc. Hélas, l’organisation du temps scolaire invite à proposer des tâches, à en contrôler autant que possible l’exécution, davantage qu’à observer et réguler des processus d’apprentissage.

    C’est en partie la conséquence d’une organisation bureaucratique de la scolarité. Comment pourrait-on apprendre sans interruption, 25 à 35 heures par semaine, 40 semaines par an, durant dix à quinze ans de sa vie d’enfant et d’adolescent ? Nul ne peut survivre à son parcours scolaire sans temps morts. Le métier d’élève (Perrenoud, 1994) consiste notamment à feindre d’être présent, actif, attentif tout en jouant, rêvant, bavardant, bref en échappant à la tâche assez habilement pour ne pas être constamment rappelé à l’ordre ou sanctionné.

    La gestion de classe experte concilie en permanence deux logiques apparemment antagoniste : faire travailler la classe tout en permettant à chacun, par moments, de " souffler ". Dans une armée, on envoie à tour de rôle les soldats " en permission ", croyant de la sorte maîtriser leur investissement. L’école fait de même en marquant des pauses et en autorisant certains élèves, de temps en temps, à " s’occuper " ou moins hypocritement à être " en roue libre ", à condition de " ne pas déranger ceux qui travaillent ".

    L’illusion est de croire qu’en contrepartie, l'on obtiendra un investissement sans faille au moment où il faudra " travailler sérieusement ". Assez naturellement, les élèves, comme les soldats, cessent pour la plupart de travailler dès qu’ils le peuvent sans s’attirer des ennuis, autrement dit dès que les mailles du filet se relâchent.

    Un module est en quelque sorte une tentative d’enrayer cette fuite invisible, en particulier pour les élèves en difficulté. Il ne suffit pas de mettre fin au zapping et de limiter les échappatoires pour que tous investissent tout au long d’un module, sans une seconde de défaillance. Des tâches sans intérêt, dénuées de sens ou hors de portée des apprenants, susciteront de toutes façons un rejet plus ou moins manifeste, quelle que soit l’organisation du travail. Parfois, un contrôle serré peut pousser au travail et donc favoriser l’apprentissage, mais c’est seulement lorsqu’un travail assidu et contraint suffit à garantir les acquis ; cela ne vaut que pour des apprentissages de bas niveau taxonomique, proches du dressage, de l’ordre de ceux qu’on affectionne dans l’instruction militaire. Dès qu’on s’écarte du drill, il faut que le sujet s’engage dans la tâche, intellectuellement et affectivement, pour avoir une chance d’apprendre. Or, cela ne se commande pas. Ni la peur, ni la surveillance serrée, ne rendent curieux et intelligemment actif.

    Travailler en modules ne dispense donc aucunement d’inventivité didactique. Au contraire, l’engagement intensif sur un type d’apprentissage peut mettre cruellement en défaut le manque de sens de certaines activités et leur faible adéquation au niveau, aux besoins ou aux intérêts des apprenants. Seule cette adéquation peut rendre l’investissement supportable. Un module n’a rien d’un camp de travail forcé, il devrait plutôt évoquer un jeu auquel chacun se prend comme si sa vie en dépendait, non par calcul, mais par passion. C’est pourquoi les approches constructivistes, les démarches de projets, le travail par problèmes ouverts et situations-problèmes sont au cœur du fonctionnement d’un module tel qu’il est conçu ici (Vellas, 1998).

    Est-ce à dire que les choses suivent leur cours comme par magie, pour peu qu’on ait de " bonnes idées didactiques " ? Ceux qui organisent des jeux ou des rencontres sportives savent à quel point la partie ne peut se dérouler que si tout a été préparé dans ce sens. La gestion d’un module passe par l’animation d’une démarche collective, doublée d’invitations et d’incitations personnalisées à l’intention de joueurs les moins autonomes. Ses outils les plus visibles sont donc l’observation, l’interprétation, la métacognition, l’intervention, la négociation, la régulation " en direct ". Or, derrière cette apparente improvisation, il y a un travail essentiel de :

    Dans une classe, si une activité " tombe à plat ", dégénère ou ne donne pas les résultats attendus, on peut toujours " passer à autre chose ". Dans un module, on est privé de telles portes de sortie. Par ailleurs, le temps est compté. On ne peut multiplier les manœuvres dilatoires et les temps morts, sous peine de ne pas atteindre l’objectif. Ceux qui travaillent de la sorte (Wandfluh et Perrenoud, 1999) relèvent que la préparation didactique et matérielle est plus approfondie et pointue, donc plus fatigante. Le flux tendu exige qu’on tente de ne rien laisser au hasard, donc qu’on anticipe autant que possible les dérives et les incidents les plus probables, qu’on envisage des parades, qu’on multiplie les outils, les réserves d’idée et de matériel.

    On est loin de la gestion tranquille d’un entraînement de routine. La construction et la gestion d’un module s’apparentent davantage à la préparation précise, presque obsessionnelle, d’une mission, d’une compétition ou d’un spectacle. Ces comparaisons avec des activités militaires, sportives ou artistiques n’ont aucune signification idéologique : elles renvoient à des univers de travail où rien n’est laissé au hasard, parce que du moindre détail peut dépendre le succès de l’entreprise.

    On voit immédiatement qu’une gestion à flux tendus mobilise une énergie, une intelligence individuelle et collective, une concentration sans commune mesure avec la conduite moyenne d’une classe. Il s’ensuit qu’on ne peut vivre à ce rythme en permanence. Ce qui peut conduire à de savantes alternances ou à des solutions plus radicales : exiger moins d’heures de présence à l’école, pour les rendre plus intenses.

    Les enseignants qui ont expérimenté ce fonctionnement disent que, sortis des modules, ils transposent certaines " fonctionnements modulaires " dans la gestion ordinaire de la classe. Ce qui suggère qu’une partie des compétences de gestion d’un groupe consiste à jouer de façon optimale sur la préparation en amont, la régulation en temps réel et l’analyse a posteriori de la " partie "…Indépendamment de leurs vertus espérées dans la lutte contre les inégalités, les modules apparaissent des analyseurs du travail enseignant, non seulement aux yeux d’un observateur un peu ergonome, mais pour les praticiens eux-mêmes.

    Faire de la différenciation la règle

    Ce second aspect du fonctionnement en module est lui aussi un verre grossissant pour analyser une dimension cruciale de la gestion de classe : le traitement des différences et de l’hétérogénéité. Dans une classe, le principe qui sous-tend l’action de l’enseignant est souvent de rendre l’hétérogénéité supportable, moralement et pratiquement.

    Moralement, il est, inconfortable, à chaque instant, de prendre la mesure de la distance qui demeure entre l’hétérogénéité des apprenants et la part de différenciation de l’enseignement qu’on parvient à mettre en place. L’enseignant évite donc, plus ou moins consciemment, les domaines et les activités qui mettent cette distance trop en évidence.

    Pratiquement, la classe devient ingérable si les tâches proposées donnent lieu à de trop grands écarts : les uns ont achevé le travail, alors que les autres ont à peine compris ce qu’il fallait faire. Il faut donc :

    Ces mesures dispensent de différencier véritablement son enseignement, c’est pourquoi elles sont loin d’être optimales, du point de vue de la progression et de la régulation des apprentissages. Leur vertu est ailleurs : elles permettent de survivre sans déséquilibres majeurs en classe et dans le métier.

    Dans un module, le souci d’efficacité interdit de se borner à rendre l’hétérogénéité " vivable ". L’enjeu est de faire apprendre. Du coup, la seule réponse acceptable à l’hétérogénéité, c’est la différenciation. Bien entendu, on se trouve alors devant toutes les impasses de la pédagogie différenciée. Le fait de travailler en module ne donne pas par miracle tous les outils. Il oblige en revanche à progresser.

    On saisit là une relation décisive entre mode de gestion de classe et pratique réflexive. Certaines formes de gestion de classe, une fois " rôdées ", permettent au professeur de ne plus trop se poser de questions, parce que les problèmes sont " sous contrôle ", à défaut d’être résolus. Un enseignant qui a jugulé les tendances des élèves à l’indiscipline ou à la paresse, et masqué leur hétérogénéité - sauf au moment de l’évaluation - peut couler des jours relativement tranquilles, sans progresser d’un pouce, tout au long de sa carrière, vers une pédagogie différenciée.

    Travailler en module met au contraire, chaque jour, le maçon au pied du mur : ou apprendre à différencier ou être confronté à un échec d’autant plus difficile à vivre qu’on ne peut se dire " Il y avait tant de choses à faire et si peu de temps… à l’impossible, nul n’est tenu ! ". Dans un module bien conçu, dont le public a été correctement orienté, l’enseignant n’a rien d’autre à faire que de permettre à tous de construire des savoirs ou savoir-faire bien délimités, en un temps raisonnable. S’il n’y parvient pas, c’est que ses démarches didactiques et ses méthodes d’observation et d’intervention ne sont pas à la hauteur des différences entre élèves.

    On peut donc faire l’hypothèse, validée par les premières observations, que ce mode de gestion stimule la pratique réflexive, la coopération, la remise en question des évidences et des routines, la formation continue. Ce qui suggère que les modes de gestion les plus intéressants se jugent non seulement à leurs effets sur les élèves, mais à la dynamique de professionnalisation qu’ils alimentent…

     

    V. Des compétences de gestion de classe
    aux compétences de gestion de cycle

    Les quelques éléments qui précèdent ne font pas le tour du problème, mais ils suffisent pour poser la question des compétences et de l’expertise des enseignants dans le domaine de la gestion d’espaces-temps de formation.

    Que faut-il savoir et savoir faire pour gérer une classe ou de plus vastes espaces-temps de formation ? S’il fallait esquisser une première liste, je dirais que les ressources mises en œuvre sont variées :

    À cela s’ajoute la capacité de coopérer avec d’autres enseignants dès lors qu’on partage avec eux, plus ou moins formellement, la responsabilité d’un espace-temps de formation ou simplement qu’on organise des échanges ou des décloisonnements ponctuels.

    À supposer qu’on se mette d’accord sur tous ces points, la question suivante pourrait être : où tout cela s’apprend-il ?

    Partout, dira-t-on sans doute : en partie en formation initiale, en partie en formation continue et pour le reste, " sur le tas ", par l’expérience, par essais et erreur, en réfléchissant, en travaillant en équipe, en discutant avec les élèves.

    En formation initiale, quelle est la place de la gestion de classe ? Une entrée parmi d’autres ? Un travail d’intégration des composantes didactiques, transversales et technologiques ? Le rôle des stages en responsabilité ? Ce débat n’a pas lieu souvent, en partie parce que la gestion de classe est une sorte de no man’s land, qui appartient à tout le monde, dont tout le monde peut parler sans le définir rigoureusement. Avant d’approfondir la question de la formation, il me semblerait donc plus logique de confronter les représentations du concept et les visions des compétences en jeu. À supposer qu’on puisse trouver des éléments de consensus, il serait temps alors de se demander où et comment cela s’apprend en formation initiale ou s’approfondit en formation continue. La conceptualisation est un outil pour penser la formation initiale et continue des enseignants. Aussi longtemps que l’expression " gestion de classe " ne désigne rien d’explicite et de partagé, il est difficile de savoir en quoi consiste l’expertise correspondante et comment elle s’apprend.

     

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