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3 septembre 1999, pp. 28-33. |
Gérer en équipe un
cycle dapprentissage
pluriannuel : une folie nécessaire !
Philippe Perrenoud
Faculté de psychologie et des
sciences de léducation
Université de Genève
1999
La responsabilité collective, une condition defficacitéDes dispositifs plus souples et diversifiés
Plusieurs regards sur les élèves
Une vision commune des objectifs et du suivi des élèves
L'idée de cycle d'apprentissage pluriannuel n'est pas incompatible avec une prise en charge des élèves par un seul enseignant. Jessaierai toutefois de montrer que confier un plus large ensemble délèves à une équipe pédagogique est une meilleure façon de sapprocher du but ultime : faire en sorte que davantage délèves atteignent les objectifs de formation.
La cohérence et la continuité de la prise en charge des élèves, durant plusieurs années, sont des facteurs favorables aux apprentissages scolaires. Cette idée est à la base dune organisation en cycles aussi bien quune des raisons de travailler en équipe pédagogique. On pourrait donc, paradoxalement, soutenir que la création de cycles pluriannuels est une alternative au travail en équipe, du simple fait quun véritable cycle assure continuité et cohérence durant plusieurs années, même si les élèves sont confiés à un seul enseignant.
Instituer des cycles sans imposer la coopération est une hypothèse séduisante, non seulement parce quelle ne heurte pas de front lindividualisme dune partie des enseignants, mais parce quelle permet de rester dans un système connu, qui paraît définir clairement les responsabilités de chacun et faciliter le contrôle des pratiques professionnelles. Pour sen écarter, il faut avoir de bonnes raisons.
Créer des cycles pluriannuels étend certes la responsabilité individuelle dun enseignant au suivi des mêmes élèves sur de plus longues périodes. Mais nest pas réellement une innovation : dans le système des degrés annuels, il nest pas rare quun enseignant accompagne ses élèves durant deux années scolaires consécutives, voire davantage ; on dit quil les " suit " ou les " garde ". Les systèmes éducatifs qui fonctionnent par programmes annuels connaissent plusieurs variantes :
Ces deux formules peuvent inspirer le fonctionnement dun cycle pluriannuel confiant un groupe délèves à un seul titulaire :
De tels cycles fonctionnent par exemple dans le canton de Vaud dans le cadre dEVM (École Vaudoise en Mutation), encore à titre exploratoire. Lattribution dun groupe à une personne seule ninterdit pas aux professionnels de travailler en équipe, sils le souhaitent. Si plusieurs enseignants de la même école mettent leurs ressources en commun, décloisonnent, amorcent des collaborations avec des titulaires des autres groupes, fort bien. Mais vis-à-vis de linstitution, la responsabilité de chacun reste individuelle : il assume seule la progression de ses élèves vers les objectifs de fin de cycle, lévaluation, linformation des parents, etc. La coopération reste un ajout volontaire au contrat de base des enseignants, on ne peut la leur imposer, ni les évaluer sur ce critère.
Peut-on faire un pas de plus ? Reconnaître que le travail en équipe nest pas une dimension incontournable du concept de cycle dapprentissage pluriannuel nempêche aucun système éducatif de choisir den faire une partie intégrante de sa définition institutionnelle hic et nunc.
Il semble que peu dentre eux fassent ce choix en affrontant les risques correspondants. On peut comprendre que, dans de nombreux systèmes éducatifs, la coopération ne soit pas une priorité affichée : le passage à des étapes pluriannuelles, avec des objectifs de fin de cycle plutôt que de fin dannée, supprime le redoublement et oblige les enseignants à gérer un plus vaste espace-temps de formation (Maison des Trois Espaces, 1993 ; Perrenoud, 1998 b). Cela constitue déjà, pour beaucoup de praticiens, un changement pédagogique majeur. Ne jetons pas la pierre aux systèmes éducatifs qui nont pas pu ou voulu y ajouter un défi supplémentaire : faire un pas décisif vers la coopération professionnelle à loccasion de la mise en place des cycles.
Je défendrai cependant une double thèse :
Japprofondirai la seconde thèse dans un prochain article. Quant à la première, je vais la développer ici, non sans noter que sa pertinence varie en partie selon le contexte démographique et institutionnel. Lopportunité de confier la responsabilité de cycles pluriannuels à des équipes dépend en effet :
Il convient donc de tenir compte du terrain. Examinons cependant de près les raisons de lier cycles dapprentissage et travail en équipe. On conclut parfois trop vite au " réalisme " quil y aurait à confier des cycles à des individus. Certaines prudences se paient cher à longue échéance, même si elles paraissent raisonnables à court terme.
La
responsabilité collective,
une condition defficacité
Il peut sembler paradoxal de plaider, au nom de lefficacité, pour une coopération professionnelle accrue, alors que nombre denseignants défendent leur choix individualiste au nom de la même valeur. Dans une équipe, disent-ils, la moindre décision exige des palabres sans fin, alors quil est tellement plus simple de se mettre daccord avec soi-même, de " passer à lacte sans couper les cheveux en quatre ", de faire sans avoir besoin de dire, parce quon " se comprend soi-même ".
Sceptiques sur les vertus du travail en équipe, ces enseignants nont pas entièrement tort : le passage du travail solitaire à la coopération est souvent douloureux et, dans un premier temps, rend effectivement moins efficace (Gather Thurler, 1996 a). Dans une société où chacun sèmerait et récolterait son blé, moudrait sa farine et cuirait son pain, " se mettre ensemble " pour le faire de façon coopérative obligerait à se mettre daccord sur toutes sortes de matières premières et de recettes, auxquelles chacun tient dautant plus quil en est linventeur ou lhéritier dans une lignée familiale. Le problème est fréquemment contourné par linstauration dune division du travail, qui dispense dune forte coopération : lun cuit le pain pour tout le village, un autre affine le fromage ; du coup, chacun devient producteur dun bien et consommateur des autres. La division du travail est une organisation sociale qui nexige laccord que sur les termes de léchange ou de la complémentarité. Elle noblige pas les gens à collaborer constamment dans leur travail. Leur interdépendance passe largement par les mécanismes du marché. La coopération se limite aux coordinations qui permettent dassembler ou darticuler des productions jusqualors indépendantes.
Face aux difficultés de la coopération, le monde enseignant peut lui aussi préférer la division du travail à la responsabilité collective. Il y a en effet autant de manières de faire et de voir dans lenseignement que dans dautres pratiques sociales, et les acteurs y sont tout aussi attachés. Ainsi, certains enseignants admettent, voire souhaitent que les élèves les tutoient, alors que dautres tiennent à la déférence du vous : pourquoi serait-il plus facile dharmoniser ces points de vue que le goût des uns pour le pain blanc et des autres pour le pain complet ?
Au gré de lurbanisation, qui a concentré suffisamment délèves dans chaque bâtiment, lécole a introduit une division verticale du travail, en confiant chaque année de programme à un enseignant différent Ce fonctionnement nexige pas une forte coopération : on " se passe " des élèves, parfois dans la confiance, la bonne humeur et la transparence, parfois dans le déni de compétences et labsence de tout contact. Dans tous les cas, bon gré mal gré, les élèves progressent dans le cursus du fait des mécanismes de sélection ou dorientation en vigueur. Si certains paient le prix dune faible coopération entre les enseignants quils quittent et ceux qui les prennent en charge à la rentrée suivante, cela nempêche pas le système de " tourner ".
Dans lenseignement secondaire, sajoute une division horizontale : la séparation du programme en disciplines, attribuées à des spécialistes, chacun investissant une partie de la grille horaire. Cette coexistence nexige aucune coopération suivie : il suffit de quelques régulations en cours dannée, assurées par le professeur principal plus que par une équipe, et dune ou deux réunions en fin dannée scolaire pour décider du sort des élèves. Ici encore, si ce découpage est un facteur déchec, il nempêche pas le système de fonctionner.
La création dune équipe de cycle va donc contre une tradition où chacun est " maître de ses élèves " (au moins pour une partie de la grille horaire) et " fait ce quil a à faire ", sans avoir à le négocier avec ses collègues. Cest pourquoi la responsabilité collective dun cycle, si elle est affirmée sans être traduite en dispositifs précis, pourrait nêtre quune fiction, recouvrant une division du travail aussi rigide quinformelle, chacun retrouvant rapidement, de facto sinon de jure, une responsabilité individuelle.
A lécole primaire, la tentation existe de " se partager les disciplines ", sans doute avec une moindre spécialisation quau second degré : aux uns les langues et la musique, aux autres la mathématique et les sciences, aux troisièmes les disciplines artisanales et léducation physique, par exemple. Une telle hypothèse nest pas absurde : il est certain quen ne couvrant plus toutes les disciplines, un enseignant peut approfondir sa maîtrise de quelques-unes et développer des didactiques plus pointues, donc plus efficaces. La création de cycles dapprentissage pour redonner une certaine actualité à ce projet, partiellement réalisé ici ou là.
Sans exclure radicalement cette solution, on peut lui proposer au moins trois garde-fous :
Ces trois conditions exigent à elles seules une coopération sans commune mesure avec ce quon observe dans le secondaire, où elles ne sont pas remplies, avec les effets que lon sait.
Lautre tentation est de réintroduire subrepticement une division verticale du travail, léquipe " autorisant " chacun de ses membres à ne prendre en charge les élèves que durant une année. Cest ce que permet la loi d'orientation de 1989 en France, qui maintient les anciens degrés - cours préparatoire, cours élémentaire 1 et 2, cours moyens 1 et 2, etc. - et autorise donc les enseignants à continuer à ne prendre les élèves en charge quun an, en étant vaguement solidaires de ce qui se passe en amont et en aval dans le même cycle.
Si lon renonce à la fois à se précipiter sur une division du travail par disciplines, qui " secondariserait " prématurément lenseignement primaire, et à reconstituer des degrés annuels informels, qui vident de son sens lidée même de cycle dapprentissage, on sachemine inévitablement vers des formes de coopération plus fortes, qui nexcluent pas une certaine division du travail et une part de spécialisation, mais selon des modèles nouveaux, moins entiers et plus fluides.
Il reste à démontrer quune telle coopération est un gage defficacité plus grande. Les travaux sur les écoles efficaces démontrent que les écoles les plus performantes font de lapprentissage des élèves un défi collectif. Cela nimplique pas encore un travail déquipe.
Quels en seraient les avantages ? Je ne retiendrai ici que quatre raisons étroitement liées aux cycles dapprentissage. Une forte coopération professionnelle peut être vue comme :
Reprenons ces quatre éléments.
Des dispositifs plus souples et diversifiés
Quand on travaille " seul avec ses élèves ", que lon ait deux, trois ou quatre ans " devant soi " ne change pas du tout au tout la nature des dispositifs que lon peut mettre en place. Comme dans une classe suivant un programme annuel, lenseignant ne dispose que dun seul espace, dans lequel il travaille avec vingt ou vingt-cinq élèves. Il est seul avec eux et ne peut tenir à bout de bras, ni faire coexister facilement diverses modalités de travail : groupes de niveaux, de soutien, de besoins, de projets, bref tout larsenal des " pédagogies de groupes " (Meirieu, 1989, 1990). Certes, dans le cadre de la même structure, certains enseignants font preuve dune ingéniosité digne de Freinet et jonglent avec des groupes, des coins, des espaces, des ateliers, des " plans de travail " et des activités multiples, alors que dautres en restent à un enseignement presque frontal. Cependant, à compétences et implications égales, on peut à plusieurs, se répartir plus " intelligemment " les temps, les espaces et les tâches, sans exiger de chacun quil fasse quotidiennement des miracles.
Cest ainsi quune équipe de cycle composée de quatre enseignants, co-responsables de 80 à 100 élèves, appartenant à quatre classes dâge, pourra sans trop de mal prévoir des moments de travail en groupes monoâge, dautres en groupes multiâge, et faire coexister des groupes stables (équivalents du groupe-classe actuel) et des groupes plus éphémères, réunis pour un temps autour de besoins ou de projets spécifiques. Rien ne sopposera à ce que, par moments, un des enseignants travaille avec dix élèves en grande difficulté, pratiquant alors une forme de soutien intégré, alors que les trois autres animent des activités dun autre type avec tous les autres enfants.
Il ny a aucune raison dassocier lefficacité à un seul modèle de fonctionnement. Limportant est daccorder à chaque équipe lautonomie, la confiance et le soutien nécessaires pour quelle développe sa propre organisation, en tenant compte des modèles qui circulent et des expériences des autres équipes, mais en sadaptant également au quartier, aux élèves et à leurs familles, aux effectifs et aux espaces disponibles aussi bien quaux compétences et aux souhaits des équipiers. Il est fécond de raisonner en termes de ressources. Que les équipiers se disent " Nous sommes quatre, nous avons 100 élèves à faire progresser de façon optimale vers les objectifs de fin de cycle, comment nous organisons-nous pour être le plus efficace possible ? ".
Une organisation en modules est une réponse cohérente (Wandfluh et Perrenoud, 1999, Perrenoud, 1997 a), mais elle suppose à la fois une structuration rigoureuse du curriculum et une coopération sans faille au sein de léquipe. Toute les équipes ny sont pas prêtes. On peut dailleurs aller dans ce sens tranquillement, pour une partie du programme. Il existe bien dautres façons de sorganiser, partiellement recensées dans le cadre de la rénovation de lenseignement primaire à Genève (GPR, 1999 a, b et c). Ce qui ne veut pas dire quon dispose déjà de modèles éprouvés de gestion collective de cycles dapprentissage pluriannuels, qui seraient livrables " clés en main " et entre lesquels il suffirait de faire son choix. Ces modèles restent largement à construire, à diversifier, à affiner et à documenter.
Sans entrer ici dans le détail, notons simplement quune équipe permet denvisager des organisations plus riches, flexibles et complexes que celles que peut concevoir et faire fonctionner une personne isolée, entre les quatre murs de sa classe.
Plusieurs regards sur les élèves
Lindifférence aux différences est lune des causes majeures de léchec scolaire. Toutefois, même lorsque les enseignants décident de sintéresser à chaque élève, le miracle ne se produit pas ipso facto. Les enseignants qui différencient régulièrement leur enseignement restent démunis devant certains enfants. Ils ne savent que faire, non faute dy avoir réfléchi ou par manque de temps, mais parce quaprès diverses tentatives, rien ne bouge. Une forme de lassitude, de découragement, de fatalisme peut alors sinstaller. On attend la fin de lannée ou du cycle en versant dans les " soins palliatifs ", sans illusion sur lissue finale.
Une équipe pédagogique ne protège pas contre ce risque si elle ne traite pas collectivement des difficultés dapprentissage. Une équipe qui laisse à chacun de ses membres la responsabilité de " ses " élèves na évidemment aucune chance daider quiconque à sortir dune impasse pédagogique. On se trouve alors dans le cas dune équipe qui gère des espaces, des temps, des dispositifs, une division du travail, mais abandonne à chaque enseignant le suivi des progressions et le souci de comprendre et de surmonter les difficultés dapprentissage.
Si léquipe traite ces problèmes collectivement, elle se donne une chance de mieux comprendre les échecs et leurs causes et de trouver des stratégies de prise en charge quune personne seule ne pourrait concevoir, non par manque de bonne volonté, mais parce quelle est enfermée dans sa propre vision du monde et impliquée dans son histoire relationnelle et didactique avec certains élèves. Sans que chacun connaisse et suive également tous les élèves inscrits dans le cycle, léquipe sorganise pour discuter des cas difficiles et construire collectivement des stratégies, qui seront ensuite mises en uvre par tel ou tel équipier.
Dans maintes professions aux prises avec des problèmes complexes, il apparaît normal quun praticien dans lembarras fasse appel à des collègues, voire des experts plus pointus. Ce n'est pas un signe dincompétence, au contraire, juste la prise en compte de la résistance du réel à la pensée et à laction individuelles. Nul nignore quà plusieurs, on a davantage de chances de mieux poser et résoudre un problème difficile, à condition bien entendu de ne pas entrer dans une concurrence ou des mécanismes défensifs qui empêchent de penser et dagir ensemble
Une équipe de cycle peut fonctionner comme une ressource à condition que les équipiers nessaient pas de résoudre ensemble tous les problèmes, petits et grands, en se tenant pas la main. Il importe au contraire de déléguer à chacun la résolution des problèmes de son ressort, pour ne prendre en charge en équipe que ceux qui exigent une mobilisation collective.
Dans un métier de lhumain, la pluralité des regards permet notamment daffronter des situations dans lesquelles lenseignant " fait partie du problème ", soit parce quil a construit une relation tendue avec un élève, soit parce quil ne trouve pas, dans sa propre culture ou son histoire de vie, des clés pour engager le dialogue, faire confiance, mobiliser. Tel enseignant sera mis hors de lui par le ton sarcastique ou le désordre dun élève, un autre sera allergique à la négligence corporelle ou la vulgarité, alors quun troisième ne supportera pas le mensonge ou la façon constante dont un élève se pose en victime. Dans une équipe, il y a de fortes chances pour que tous naient pas la " tache aveugle " au même endroit. Ce qui permet aux enseignants les mieux placés ou les moins défensifs de dédramatiser, voire de prendre en charge certains élèves devant lesquels leurs collègues " se sentent bloqués " (Vieke, 1987).
La pluralité des regards intervient parfois en amont, au moment où le problème se pose, avant quon cherche des solutions. Il arrive souvent quune élaboration collective du problème le dédramatise, voire le fasse disparaître, parce quune équipe construit la réalité autrement que chacun de ses membres individuellement et se sent en général moins démunie et moins angoissée.
Des idées plus pointues
Dans une classe primaire, il faudrait un mois de réflexion tranquille pour préparer " sérieusement " une semaine de travail avec les élèves. Cest le luxe que peuvent soffrir certains didacticiens, qui peaufinent " en laboratoire " des séquences didactiques presque parfaites. Dans une classe, lenseignant a juste le temps de parer au plus pressé, si bien quune partie des tâches sont pensées trop rapidement, empruntées sans distance critique à des manuels ou reprises sans réexamen dannée en année. Il en va de même des procédures dévaluation et des modes de gestion de classe. On peut reconduire un conseil de classe, un plan de travail ou des modalités dévaluation formative sans trop se poser de questions.
Une équipe pédagogique favorise une forme plus pointue de questionnement, en nouant le dialogue autour du sens des activités, de leurs objectifs, des consignes et des modes danimation. Il nest ni nécessaire, ni possible, de disséquer en équipe tout ce quon fait en classe. Mais cest un lieu où tel ou tel peut, périodiquement, reposer des questions de fond : est-ce bien ainsi quil faut faire apprendre des mots ? introduire la soustraction ? exercer le calcul mental ? travailler lorthographe ? organiser lespace ? sanctionner lindiscipline ou labsence de travail ? constituer les groupes ? organiser le conseil de classe ?
Dans un métier qui ménage autant dincertitudes sur la façon de faire apprendre, il est démoralisant de remettre constamment sur le métier tous les objectifs, toutes les méthodes, tous les moyens denseignement. Bien entendu, un enseignant isolé peut réfléchir par lui-même ou en simpliquant dans un réseau de formation ou un mouvement pédagogique. Mais il lui faut puiser en soi lénergie et le courage que dautres trouvent en équipe.
Une équipe peut à la fois autoriser une centration raisonnable sur des problèmes difficiles et la faire déboucher sur un progrès sensible. Léquipe fonctionne dabord comme mécanisme de facilitation, à la fois pour entrer en matière - il y a toujours quelquun pour proposer un problème - et pour aller au fond des choses. La vie mentale des enseignants les plus actifs pourrait ressembler à une liste sans fin de problèmes complexes et irrésolus à reprendre. Dinnombrables processus de réflexion sont amorcés, la plupart tournent court, car la vie continue et dautres urgences sollicitent le praticien. Une équipe qui fonctionne bien se donne un calendrier et une discipline de travail, et se laisse donc moins facilement emporter par les urgences de laction immédiate, une fois passée la tentation initiale de lactivisme collectif (Gather Thurler, 1996 b). Léquipe constitue en quelque sorte un cadre protégé des tourmentes de la vie quotidienne, où lon peut travailler un problème de fond avec un certain acharnement, à condition de ne pas se laisser manger par la gestion.
Léquipe, si elle est dabord un " écosystème " permettant à chacun de mieux réfléchir et dagir plus sûrement, peut évoluer vers un véritable " système daction collective ", base de cette intelligence collective dont parle Lévy (1997). On ne peut viser immédiatement et constamment cette orchestration des pensées et des habitus, mais elle constitue la ligne de mire dune " équipe de cycle ".
Une vision commune des objectifs et du suivi des élèves
Pour gérer des progressions sur plusieurs années, il est indispensable de se mettre daccord sur les objectifs de fin de cycle, au-delà des textes officiels. Si chacun se replie sur une étape, il reconstruira les mécanismes connus de la division verticale du travail : attendre de lenseignant situé en amont dans le cursus quil ait " préparé correctement le terrain " et faire de même pour répondre aux attentes de lenseignant situé en aval
Pour devenir de véritables guides des progressions pluriannuelles, les objectifs de fin de cycle doivent être ceux de tous, chacun se sentant solidaire du projet de permettre à tous les élèves de les atteindre. Cette solidarité exige une confrontation préalable, car les textes restent abstraits, chacun les comprend à sa façon. Ce nest quen travaillant les programmes, en les traduisant en activité dapprentissage et dévaluation quune équipe se construit une vision commune des finalités, non plus dans un registre philosophique, où lon peut rapidement se mettre daccord, mais de façon très concrète, pour aboutir au même jugement lorsquon est confronté aux mêmes élèves en train dapprendre et quil sagit de comprendre leurs difficultés, dévaluer les acquis, de repérer leurs cheminements, pour mieux assurer leur suivi et les orienter vers les situations les plus pertinentes.
Au-delà des objectifs, laccord de léquipe sétend aux priorités, souvent absentes des textes officiels (qui postulent que tout est possible pour tous) et à la part de détermination collective dans la lutte contre léchec. Une équipe sait, comme ses membres, quil est extrêmement difficile damener chaque élève à atteindre pleinement tous les objectifs de fin de cycle. Mais, au contraire des personnes, elle glisse moins facilement, moins silencieusement vers le fatalisme ou le " réalisme ", car ladhésion au principe déducabilité et lambition de faire réussir chacun est lenjeu dun contrat intersubjectif, moins fragile et labile que les promesses quon se fait à soi-même
Une responsabilité collective à construire
Il est tentant de simaginer que la coopération surviendra " par dessus le marché ", progressivement et spontanément, sans que linstitution nait à prendre le risque dune tension avec une partie de la profession. Et donc davancer vers les cycles sans ouvrir en même temps la question de la coopération et de la responsabilité collective.
Je crois au contraire quil faut saisir la mise en place des cycles comme une occasion privilégiée de mettre en forme une conception humainement vivable et juridiquement défendable de la responsabilité collective. Il reste à lui donner forme. Ce sera lobjet du prochain article.
Références
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