Source et copyright à la fin du texte
In Éducateur, n° 5,
14 avril 2000, pp. 19-24.

 

 

 

 

 

Du bon usage des objectifs de formation
dans un cycle d'apprentissage pluriannuel

 

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation
Université de Genève
2000

 

Sommaire

Des programmes formulés en termes objectifs : changement de vocabulaire ou révolution didactique ?

Des objectifs, oui, mais de quel type ?

Le juste niveau de correspondance entre objectifs et contenus du travail quotidien

Un chantier ouvert, un de plus !

Références


 

Les cycles d'apprentissage pluriannuels ne sont pas seulement des " degrés allongés ", de doubles, triples ou quadruples degrés dont le programme serait la juxtaposition de programmes annuels. Le vrai changement consiste à substituer des objectifs de formation aux programmes. Cela n’est pas impossible à l'intérieur d'un degré annuel, mais cela ne devient entièrement crédible que lorsque chaque élève a plusieurs années devant soi pour atteindre les objectifs.

Encore faut-il savoir :

Chacun de ces thèmes mériterait d’amples développements. L'important ici est de les considérer ensemble, car seule une approche systémique fera des objectifs un outil de planification et de régulation de la formation à court, moyen ou long terme plutôt qu'une autre façon d'écrire des curricula. Je ne développerai ici que les trois premiers points. Les autres seront repris à propos d’évaluation dans les cycles ou de division du travail.

 


Des programmes formulés en termes objectifs :
changement de vocabulaire ou révolution didactique ?

Dans de nombreux pays les curricula scolaires ont évolué et précisent des objectifs d'apprentissage plutôt que de simples contenus. Il insistent moins sur ce que les maîtres doivent enseigner et explicitent au contraire ce que les élèves sont censés apprendre.

Toutefois, selon la façon dont les objectifs sont définis, cette évolution peut se limiter à un changement de vocabulaire. Le bon sens conduit d'ailleurs à se dire : si l'on enseigne quelque chose, c'est évidement pour que les élèves l'apprennent. Quand un programme prescrit d'enseigner l'accord du participe passé ou la formule de calcul de l'aire du parallélogramme, est-ce véritablement un progrès que de le récrire pour dire " Maîtriser l'accord du participe passé " ou " Savoir calculer l'aire d'un parallélogramme " ? Hameline (1979) mettait déjà en garde contre le " simple rhabillage des contenus " qui consiste à prendre les éléments du programme le plus conventionnel et à faire précéder chacun du " Sésame, ouvre-toi… " de la pédagogie par objectifs, être capable de…

Lorsque l'objectif de formation que l'on poursuit est de faire construire un concept ou acquérir un algorithme, une règle ou une loi, il peut en effet paraître ridicule d'ajouter un verbe indiquant qu’on en vise la maîtrise. Les enseignants qui résistent aux modes peuvent à bon droit rappeler que c'est ce qu’ils recherchent depuis toujours et que l’affirmer avec insistance ne permet pas de surmonter magiquement les difficultés d'apprentissage.

Pourtant, au risque de paraître emphatique, ces formulations rappellent que le contrat de l'enseignant est de faire apprendre. Parcourir le programme n'est pas un but en soi si, au bout du chemin, une partie des élèves n'ont pas construit les savoirs correspondants. A quoi sert un guide qui n’amène au sommet que ses clients les plus " doués " alors que la majorité est restée sur le bord du chemin ?

Or, cela ne va de soi que dans le meilleur des mondes ! L'inspection et les formes plus modernes d'évaluation des enseignants portent encore sur le respect du programme bien davantage que sur les acquis des élèves. Sans doute parce qu'il est difficile d'imposer une " obligation de résultats " et injuste d'exiger de chaque enseignant la même efficacité alors que les classes sont fort différentes. Dans certains quartiers, presque tous les enfants savent lire en première année de l'école obligatoire, alors que dans d'autres quartiers de la même cité, la plupart ne savent pas déchiffrer et y arriveront avec peine en un an. En outre, les mesures d’acquis font la part belle à des objectifs notionnels ou à des algorithmes dont la maîtrise est facile à mesurer et sous-estiment des objectifs de haut niveau taxonomique, comme la pensée critique ou l’argumentation. Aussi longtemps que ces problèmes ne seront pas résolus, les enseignants refuseront, à juste titre, d’être évalués à l’aune des acquis de leurs élèves.

Cette absence d’obligation formelle de résultats est une raison de plus de mettre en évidence le contrat " moral " de l'enseignant, qui ne consiste pas à " parcourir le programme ", mais à faire tout ce qu'il peut pour permettre à chaque élève de se développer et de construire des savoirs et des compétences. Du coup, " finir le programme " et retomber sur ses pieds en fin d’année scolaire ne devrait pas être suffisant pour avoir la conscience tranquille.

Insister sur les objectifs de fin de cycle n'apportera à cet égard rien de neuf à ceux qui visent depuis longtemps à faire apprendre plutôt qu'à tourner les pages du plan d’études. Il n'est pas inutile, cependant, que l'institution scolaire dise encore plus clairement que c'est la mission de tous, même s'il y a quelque paradoxe à exiger un travail sans exercer un contrôle précis sur son accomplissement.

Cette insistance sur les apprentissages ne devrait pas masquer un autre changement de perspective : comme son nom l'indique, un programme ne définit pas seulement un ensemble de contenus, mais les ordonne en étapes successives. Durant des décennies, les autorité scolaires ont prescrit ces étapes, en déclinant le programme annuel mois par mois, voire semaine par semaine, du moins dans certains pays à forte tradition bureaucratique et centralisatrice. Au fil des années, le programme annuel est devenu un descriptif de la matière à couvrir, les enseignants ayant davantage de liberté quant à la façon de construire la progression. Toutefois, lorsque l’organisation scolaire renonce à imposer une programmation standard, elle attend de chaque professeur qu'il définisse et respecte son propre programme, en honorant l'ensemble des contenus prescrits et en s'assurant qu'il parviendra à parcourir le tout en un an. Peu de systèmes éducatifs résistent d'ailleurs à la tentation de publier un " programme conseillé ". A défaut, les manuels scolaires se chargent de suggérer des progressions d'autant plus prégnantes qu'elles sont cohérentes avec les exercices et autres moyens d'enseignement-apprentissage proposés.

Toute programmation est un pare-angoisse aussi bien qu'une réelle sécurité. La nature même de certains savoirs impose un ordonnancement " logique ". Pour le reste, les manuels, les méthodologies, la tradition pédagogique proposent des itinéraires " qui ont fait leur preuve ". Il faut beaucoup d'énergie pour s'écarter des chemins balisés, le goût du risque, un désir farouche d'indépendance ou de bonne raisons didactiques. Pour aller de Strasbourg à Bordeaux, la plupart des automobilistes ne voient pas l'intérêt d'inventer un itinéraire original alors que les cartes et les conseils des spécialistes en proposent de garantis. Comme les automobilistes, beaucoup d'enseignants adoptent les itinéraires conseillés pour les grands déplacements, même s'ils se permettent davantage de fantaisie entre des points rapprochés, surtout " en pays de connaissance ".

Travailler en cycles, avec des objectifs de fin de cycle, exige une certaine programmation et n'est pas incompatible avec une progression conseillée. Nul ne propose de se demander chaque soir " Que pourrait-on bien faire demain ? ", comme si la question était entièrement ouverte. À l’inverse, si l’on pousse la programmation à l’extrême, pourquoi créer des cycles d’apprentissage pluriannuels ? Si la succession des étapes est figée, à quoi bon avoir des échéances plus éloignées ? Leur vertu principale est en effet de permettre davantage de flexibilité et de diversité des parcours de formation.

Si l’on se borne à attendre d’un cycle pluriannuel qu’il assure une certaine continuité de la prise en charge des élèves et fasse disparaître le redoublement, on peut continuer à respecter une progression unique et programmée.

Pour moi, sans sous-estimer ce progrès, l’enjeu principal des cycles est ailleurs. Il est de piloter les parcours de formation en fonction :

Cela n’invalide pas l’idée d’une planification, mais elle doit être dynamique et partiellement individualisée. Une planification dynamique est une planification plusieurs fois remise sur le métier, au gré de l’avancement du projet. C’est ce que chaque entrepreneur pratique sur un chantier. Il faut un plan. Si tout se déroule selon le plan, nul ne s’en plaint, mais c’est assez rare, compte tenu des aléas de toute construction. Si les événements déjouent le plan, en raison d’obstacles inattendus, mais peut-être aussi d’heureuses surprises, on actualise la planification.

C’est ainsi que font d’ailleurs la plupart des enseignants à l’intérieur d’un degré annuel : aucune année scolaire n’est jouée d’avance. Bien entendu, certaines difficultés sont prévisibles, intégrées à la planification initiale et, pour les plus " classiques ", prises en compte dans la conception même du programme annuel. Mais aucun enseignant ne sait quel sera le niveau des élèves qu’il va recevoir, leur ardeur au travail, leur degré d’entente ; il ne sait pas combien de temps il devra consacrer à régler des conflits et restaurer de bonnes conditions de travail ; il ignore comment se manifesteront les parents. Et surtout, il ne sait pas exactement ce qui, cette année-là, avec ces élèves-là, fera obstacle aux apprentissages souhaités.

Plus il entend installer des apprentissages durables plutôt que " faire le programme ", plus un enseignant doit tenir compte de la réalité des acquis. Cette part de gestion dynamique varie donc selon les classes. À élèves égaux, elle dépend encore des options de l’enseignant. Les pédagogies les plus conventionnelles limitent la part de l’imprévu, l’enseignant sait ce qu’il va proposer, quand et avec quel matériel, ne serait-ce que parce qu’il réédite ce qu’il a déjà fait avec d’autres classes comparables. Sa seule véritable inconnue, ce sont les élèves. Dans les classes qui pratiquent les pédagogies nouvelles, travaillent par activités-cadres, situations-problèmes, recherches et démarches de projet, les activités elles-mêmes et leur négociation avec les élèves introduisent des inconnues supplémentaires.

La création de cycles d’apprentissage pluriannuels ne représente donc pas une innovation radicale par rapport aux pratiques réelles. Elle devrait inciter cependant à éloigner plus encore de tout rapport obsessionnel à la programmation, à renoncer résolument à considérer tout écart à la progression idéale comme un accident regrettable, mais comme la marche normale de la construction des savoirs et des compétences. Si l’on parie sur le sens du travail scolaire, donc l’implication des élèves, si on leur donne une part de pouvoir, on fera des choses pertinentes sans qu’elles aient pour autant été planifiées. Souvent, la pertinence et le sens exigent une rupture avec le plan. Si les cycles ne favorisent pas une pédagogie plus ouverte, plus apte à saisir les occasions et à construire les apprentissages de situations en situations, à partir d’une trame assez large, on peut se demander si une réforme de structure se justifie.

L’autre enjeu des cycles pluriannuels, qui va de pair avec une planification souple, est de diversifier les itinéraires, sinon pour chaque élève, du moins pour des sous-ensembles présentant des traits communs quant à leur niveau de départ, leur rythme de travail, leurs besoins, leur façon d’apprendre. Si la planification est à la fois rigide et identique pour tous, il n’y a aucun espace de différenciation, puisque chaque élève est censé suivre le même rail, à la même vitesse que les autres.

En théorie, on pourrait imaginer une planification variable d’un élève à l’autre, mais rigide pour chacun, comme certains programmes de formation individualisés. Cette conception cède à l’illusion du diagnostic préalable (Meireu, 1995, 1996) à partir duquel on pourrait, à partir d’un bilan de compétences, concevoir un plan d’action approprié pour chaque élève et s’y tenir. C’est une fiction. Une différenciation adéquate, sans s’interdire de formuler des hypothèses de travail et des scénarios pour chaque élève, devrait être capable de les remanier souvent, une régulation forte en cours de cycle se substituant au fantasme d’un plan initial parfait.

Peut-être la démarche la plus " logique " consisterait-elle à poser d’abord le principe de l’individualisation continue des parcours. Cela ferait s’effondrer l’idée même de programme prescrit. Ce serait compter sans la nécessité, dans le concret, de travailler avec des groupes, d’une part, et une planification minimum, d’autre part. Mieux vaut assumer la notion de programmation, mais l’assouplir, qu’y renoncer au niveau des principes et la réintroduire subrepticement en pratique, parce qu’elle répond à un besoin de sécurité ou d’organisation du travail. 


Des objectifs, oui, mais de quel type ?

Pour mener ce débat plus loin, il importe de s’interroger sur la nature des objectifs de fin de cycle. S’ils restent très détaillés, donc très nombreux, les enseignants seront tentés, pour n’en oublier aucun, d’enseigner par objectifs. C’est l’un des errements auxquels conduit une pédagogie de maîtrise trop orthodoxe (Huberman, 1988). Même avec des objectifs larges, ce risque n’est pas nul, on le verra plus loin. L’important est de ne pas l’accroître en fixant des objectifs trop étroits. C’est ce qui conduit à définir des objectifs-noyaux, en empruntant l’idée à Philippe Meirieu, qui a défini de la sorte une notion-noyau :

Élément-clé ou concept organisateur dans un ensemble de contenus disciplinaires. Les notions-noyaux - comme la respiration, la colonisation, la description, la proportionnalité… - permettent de réorganiser les programmes autour de points forts et de construire des situations didactiques pour permettre leur acquisition (Meirieu, 1989, p. 186)

 Ces exemples concernent des contenus disciplinaires et mettent l’accent sur des notions ou plus largement des savoirs. Rien se s’oppose toutefois à ce qu’on applique le même raisonnement à des savoir-faire et à des compétences. Du coup, gagnant en généralité, le " noyau " n’est plus lié à un type spécifique d’acquis cognitif. Il désigne l’essentiel qui doit être construit et autour duquel le reste s’organisera. Il est alors plus cohérent de parler d’objectifs-noyaux plutôt que de notions-noyaux.

 Dans cet esprit, un objectif-noyau serait, à l’intérieur de l’enseignement d’une discipline, voire pour plus d’une discipline, un apprentissage central, autour duquel les autres s’organisent comme autant de satellites, comme l’indique la figure.

La vertu didactique d’un objectif-noyau est sa capacité d’organiser en réseau un ensemble de savoirs ou de compétences complémentaires, de lui donner une structure et une cohérence. Une discipline d’enseignement devrait compter un nombre " raisonnable " d’objectifs-noyaux. Ce nombre, qui dépend de la discipline considérée, devrait se situer entre 3 et 10. Retenons surtout l’intention : ne pas morceler à l’infini les objectifs, structurer les progressions autour de quelques " noyaux durs ".

En quoi est-il plus stratégique de travailler par objectifs-noyaux ? On peut avancer plusieurs raisons :

1. Cela aide l’enseignant et l’élève à donner du sens aux apprentissages, parce qu’on peut les relier entre eux et avec des situations de référence dans lesquelles ils sont pertinents.

2. Cela permet de faire plus de place à la dynamique de la classe et aux intérêts des élèves, autre façon de donner du sens.

3. Cela permet de hiérarchiser les apprentissages et de revenir constamment à l’essentiel, ce qui est la condition de base d’une pédagogie différenciée.

4. Cela permet de décloisonner les degrés et de travailler par cycles de plusieurs années, l’objectif-noyau devenant une balise, référence principale pour l’évaluation formative, puis certificative.

Sur cette base, un grand travail de réécriture du curriculum doit s’engager, car il serait prohibitif de demander à chaque enseignant ou même à chaque école de l’accomplir. Le canton de Genève s’y est engagé pour le primaire. C’est, depuis 1994, une des fondements de son orientation vers des cycles d’apprentissage. Un groupe de travail a tenté une première formulation des objectifs-noyaux pour l’ensemble du cursus de l’école primaire, soit 8 ans. Ce texte affirme qu’un objectif-noyau est :

Une compétence essentielle de haut niveau privilégiée dans le cadre d’un cycle d’apprentissage et d’une discipline donnée. Il organise un réseau d’objectifs plus spécifiques en leur donnant structure et cohérence (Direction de l’enseignement primaire, 1998).

Le Groupe de pilotage de la rénovation y insiste :

En d’autres termes, un objectif noyau doit être considéré comme un objectif d’apprentissage prioritaire pour tous les élèves, un élément clé permettant d’organiser le curriculum sur les points forts qui ne peuvent pas être négligés à l’école. Par ailleurs, un objectif noyau propose un apprentissage central autour duquel s’articulent d’autres apprentissages (GPR, 1999, p. 8).

Il ajoute :

Pour les enseignants, les objectifs noyaux de chaque cycle sont des repères indispensables dans l’élaboration des situations d’apprentissage et dans le suivi des élèves.

Pour les élèves, les objectifs noyaux de chaque cycle marquent les points forts des exigences extérieures. Ils constituent un élément de tension qui les aide à se représenter les étapes à franchir et qui les encourage à faire un effort pour les dépasser.

La définition des objectifs noyaux pour chaque cycle d’apprentissage constitue donc un repère pour organiser le travail à réaliser et l’itinéraire à parcourir (…).

En élaborant un référentiel souple des objectifs noyaux pour les différentes étapes de chaque cycle, on cherche à rendre visibles les lignes de force de la progression, en laissant une marge de souplesse assez grande pour que les équipes d’enseignants se les approprient et les adaptent selon les spécificités de leurs établissements (ibid., p. 14).

Il reste à les décliner cycle par cycle, ce qui dépend évidemment de la longueur et de la conception des cycles. Ce travail est en cours à Genève et a donné lieu à une édition expérimentale mise en consultation (Direction de l’enseignement primaire, 2000). La notion d’objectif-noyau ne figure plus dans le titre, mais reste un organisateur des contenus disciplinaires. Ce qui suggère que la conception des objectifs de fin de cycle est loin d’être stabilisée. D’autres systèmes éducatifs travaillent sur des socles de compétences ou des dessins curriculaires sans recourir à la notion de noyau, qui ne fait pas l’unanimité.

En renvoyant à ces textes pour une approche plus technique, discipline par discipline, et sans entrer dans le débat sur socles, noyaux ou autres concepts, retenons ici l’intention : recentrer les visées de formation sur l’essentiel, de sorte à pouvoir, à la fois, diversifier les cheminements et assouplir les planifications.

Les systèmes qui instituent des cycles d’apprentissage sans faire ce travail mettent les enseignants dans des situations impossibles. Or, ce travail, on vient d’en avoir un aperçu, ne consiste pas à reformuler le programme de deux, trois ou quatre années scolaires en termes d’objectifs. C’est d’une véritable reconstruction qu’il s’agit, qui exige des deuils, suscite des dilemmes et attise des conflits. Si les programmes scolaires sont trop chargés, c’est en partie pour que leurs auteurs trouvent un consensus dans une forme de compromis connu. Les uns s’accrochent farouchement à telle notion, alors que d’autres n’imaginent pas que l’on puisse renoncer à tel autre savoir ? Qu’à cela ne tienne : conservons le tout, aux enseignants de se débrouiller !

L’introduction de cycles d’apprentissage pluriannuels orientés par des objectifs-noyaux parviendra-t-elle à exclure solution de facilité ? Parviendra-t-on à se mettre d’accord sur des renoncements raisonnés et à proposer des énoncés plus ouverts, plus abstraits, qui donnent donc aux enseignants une plus grande marge d’interprétation ? L’avenir le dira. Aucune guerre curriculaire n’est gagnée d’avance, les lobbies montent la garde. Une chose est sûre : si l’on impose aux enseignants et aux élèves trop de passages obligés, on empêchera les progressions souples et diversifiées.

Il resterait, pour approfondir ce thème, à débattre du poids respectif et du rapport entre savoirs et compétences, car la réécriture des objectifs pose immédiatement ce problème. On trouvera ailleurs quelques éléments de réflexion à ce sujet (Perrenoud, 1997 b, 1998 d, 1999 f). 


Le juste niveau de correspondance
entre objectifs et contenus du travail quotidien

La France des année 1970 a adoré puis brûlé la " pédagogie par objectifs ", abrégée PPO, version simpliste de la pédagogie de la maîtrise défendue par Bloom (1972, 1979) et dont on trouvera une synthèse dans Huberman (1988). Nous sommes revenus de ces errements. Hameline (1979) a parfaitement montré en quoi il était indispensable d’avoir des objectifs d’apprentissage explicites et opératoires, aussi bien que comment cela pouvait devenir une source d’aliénation, de non sens. L’usage obsessionnel de grilles d’objectifs révèle les angoisses du praticien sans garantir son efficacité, car une démarche constructiviste ne s’accommode pas d’un travail objectif par objectif, surtout s’ils sont atomisés.

Raymond Hutin, alors directeur du Service de la recherche pédagogique à Genève, affirmait en 1976-77 déjà, lors de débats passionnés sur la pédagogie de maîtrise, qu’il ne faut pas enseigner par objectifs, mais se servir des objectifs comme d’une grille de lecture des apprentissages faits ou engagés, donc comme outil de régulation des activités. Cette régulation, comme l’a montré Cardinet (1983) ne s’appuie pas toujours sur une évaluation des acquis (encore à venir), mais des conditions, des activités et des processus d’apprentissage. Or, sans référence aux objectifs, comment savoir si ce qu’on met en place a de bonnes chances d’aller dans le bon sens ?

Raymond Hutin utilisait une image assez éloquente, qu’il n’a à ma connaissance jamais mise par écrit. Supposons disait-il que les objectifs soient autant de récipients supposés vides au départ, et que l’on se propose de remplir d’eau en un temps limité. Il y a deux façons de procéder. La plus méthodique, peut-être la plus économique et la plus rassurante pour celui qui fait le travail, c’est de remplir les récipients à ras bord, l’un après l’autre. Une fois le dernier récipient rempli, le travail est fini. La seconde méthode consiste à arroser avec un jet l’ensemble des récipients, ce qui laisse une large part au hasard : une partie des gouttes tomberont entre les récipients et il est peu probable que chacun recevra exactement la même quantité de liquide. Si bien que les uns resteront partiellement vides au bout du temps imparti alors que d’autres auront débordé bien avant.

Tout jardinier soucieux de ne pas gaspiller l’eau, s’il n’est pas incurablement poète, choisira le premier procédé. Or, ce qui se révèle une méthode rationnelle pour remplir des récipients n’est pas transposable à la pédagogie. A remplir chaque récipient l’un après l’autre, on se condamne à des activités décentralisateurs, scolaires, peu mobilisatrices, voire dépourvues de sens. Si l’on souhaite que toute leçon soit une réponse, selon la formule de Dewey, alors, ce sont les problèmes à résoudre qui dictent les savoirs à maîtriser, plutôt qu’une grille d’objectifs. Il s’ensuit que " la définition des objectifs ne suffit pas à l’élaboration d’une démarche didactique, mais que celle-ci requiert l’élucidation de l’activité mentale à solliciter et la mise en place de situations-problèmes " (Meirieu, 1989, p. 104).

Une démarche " auto-socio-constructiviste ", inspirée des pédagogies nouvelles aussi bien que de la didactique des situations-problèmes (Astolfi, 1993 ; Astolfi et al., 1997 ; Bassis, 1998 ; Meirieu, 1989 ; 1990 ; Vellas, 1999, 2000), est incompatible avec un traitement " objectif par objectif ", surtout s’ils sont fortement fragmentés. Elle fera donc encourir les risques du second procédé :

Alors que le jardinier méthodique n’a presque aucune régulation à opérer, puisqu’il se contente de suivre son plan, le jardinier qui arrose tous les récipients doit surveiller la montée de l’eau dans chacun et tenter, en fin de parcours, d’orienter le jet d’eau de sorte à remplir les récipients les moins pourvus et à éviter ceux qui débordent… C’est plus incertain et difficile. D’où la tentation constante de revenir au premier procédé.

Une approche pragmatique oblige à des compromis : pour atteindre certaines maîtrises à des échéances fixées, on devra aller vers des régulations de plus en plus ciblées (en termes d’objectifs visés) et individualisées (ajustées aux divers élèves). Les situations d’apprentissage seront donc de moins en moins larges, de plus en plus orientées par les manques des élèves et l’angoisse du professeur. Dans un espace-temps très limité, pourquoi adopter une démarche constructiviste si, à peine ébauchée, elle doit faire place à des remédiations méthodiques parce que les échéances sont proches ?

On voit bien à cet égard que les contraintes ne peuvent qu’être moins pesantes si les enseignants travaillent :

D’où l’importance d’espaces-temps plus vastes et d’objectifs de fin de cycle. Toutefois, même en jouant sur ces deux paramètres, on sait qu’il ne suffit pas de proposer jour après jour des activités larges et porteuses de sens pour que tous les objectifs soient miraculeusement honorés à l’échéance fixée. Il ne faut donc pas s’interdire de marier les deux logiques. Pourquoi le jardinier ne commencerait-il pas à arroser tous les récipients pour finir par s’occuper plus spécifiquement de ceux qui sont encore " en manque " ? L’important est de ne pas précipiter indûment le passage à la seconde logique, car elle oblige à créer des situations plus limitées, des tâches plus ciblées, donc plus " scolaires ", moins négociables et moins mobilisatrices, comme toute forme de régulation rétroactive (Allal, 1988).

Cela ne conduit aucunement à proposer des activités sans se soucier des objectifs durant une partie de l’année, pour compenser ensuite ce laxisme par une pédagogie du rattrapage. Il importe au contraire :

1. Qu’en amont de toute activité d’une certaine importance, l’enseignant identifie les objectifs susceptibles d’être concernés, non pas seulement " en gros ", mais finement. L’analyse de la tâche préconisée par les didacticiens et " l’élucidation de l’activité mentale à solliciter " sont donc essentielles.

2. Qu’en aval d’une activité, on repère les objectifs qui ont effectivement été travaillés, par tous les élèves ou par quelques-uns.

À ce propos, notons que la nécessité de conserver aussi longtemps que possible des activités larges, donc polyvalentes en termes d’objectifs travaillés, indique les limites d’une approche modulaire (Wandluh et Perrenoud, 1999, Perrenoud, 1997 a, 2000). On voit qu’à définir des modules très limités, visant à travailler une notion ou une technique en les détachant de leur contexte, on retomberait dans les errements d’une pédagogie servant des objectifs atomisés, voire de " l’enseignement programmé ".

Ceux qui pensent organiser les cycles de façon modulaire doivent plutôt chercher un compromis défendable entre :

Un module qui ne permet pas de concevoir des situations-problèmes, des recherches, voire des démarches de projet, est très vraisemblablement mal dimensionné. Ce qui signifie qu’il faut bâtir les modules " autour " d’un, voire deux objectifs-noyaux, sans craindre d’en toucher d’autres à titre secondaire et en résistant à la tentation des micro-objectifs sécurisants mais qui ne peuvent conduire qu’à une forme de bachotage.

Cette réflexion vaut pour les organisations modulaires informelles, pour des parcours de formation qui ne se présentent pas au départ comme une suite de modules préconstruits, mais procèdent de proche en proche, en construisant de nouveaux modules à partie des acquis et du temps qui reste. 


Un chantier ouvert, un de plus !

Il serait certes confortable de disposer d’une conception stable des objectifs de formation, non seulement de leurs contenus, mais de leur nature même. En réalité, l’évolution de l’école, des didactiques et de la conception des apprentissages scolaires et de l’organisation du travail amène à modifier nos représentations des objectif de formation. On leur reconnaît plus que jamais une double face :

Leur première fonction ne les met pas à l’abri du changement, car les missions de l’école évoluent, et aussi la nature même des finalités, comme le montre l’actuelle révision des rapports entre savoirs et compétences. C’est cependant la seconde fonction qui impose un travail permanent de reconstruction : aller vers des cycles d’apprentissage pluriannuels, leur assigner des objectifs-noyaux, travailler en équipe, pratiquer une évaluation formative, individualiser les parcours de formation, tout cela impose non seulement une réécriture des textes, mais une évolution des esprits et des articulations pratiques entre objectifs et façons d’enseigner.

Durant les années 1970, lors de la vogue des taxonomies d’objectifs, on pouvait avoir l’espoir qu’un travail intensif de classification et d’énonciation permettrait de prendre les objectifs pour acquis et de se concentrer sur leur mise en œuvre. Hélas, les choses sont moins simples : on ne peut travailler sur les situations d’apprentissage et la pédagogie différenciée sans reconsidérer les objectifs. Certains vivent cette démarche comme une forme d’instabilité chronique très désécurisante. D’autres, au contraire, saisissent l’occasion de s’approprier les finalités et de travailler sur leur propre rapport au savoir et à l’apprentissage.

On ne peut que souhaiter que les écoles et les équipes pédagogiques fassent de nécessité vertu et considèrent que, loin d’être une punition, le travail commun sur les objectifs est une condition à la fois d’une véritable coopération professionnelle et d’un usage quotidien des objectifs comme instruments de régulation de l’action.

Il serait à cet égard regrettable que les systèmes éducatifs " mâchent le travail " au point que les enseignants n’aient plus qu’à " lire " des référentiels d’objectifs-noyaux rédigés par quelques spécialistes. On ne lit vraiment de tels textes qu’en les réécrivant dans un contexte d’action. Il est doublement illusoire de penser qu’on peut travailler les objectifs-noyaux pour eux-mêmes, sans lien étroit avec le projet concret et collectif de faire fonctionner un cycle pluriannuel :

Le paradoxe serait d’imposer des outils d’avant-garde, sources de professionnalisation, à travers des formations de masse indépendantes des projets d’établissements et des contextes locaux. On peut craindre que les nouveaux objectifs-noyaux et autres socles de compétences, aussi bien faits soient-ils, ne rejoignent les plans d’études dans les tiroirs s’ils ne résultent pas d’une construction faite par les professionnels eux-mêmes au niveau d’un établissement ou d’une équipe de cycle. On ne peut remettre aux enseignants une partie grandissante de l’organisation du travail (Perrenoud, 2000) en les enfermant dans un curriculum fabriqué entièrement en dehors d’eux. Il importe que les systèmes éducatifs prennent le risque d’une certaine autonomie curriculaire accordée aux établissements et aux équipes. Certains pays - le Québec, le Portugal, la Pologne, la France dans une certaine mesure - ont fait des avancées dans ce sens. D’autres systèmes restent accrochés à l’idée que les enseignants reçoivent les objectifs et n’en sont aucunement les auteurs, sinon à travers certains d’entre eux qui ont participé aux commissions de rédaction. Dommage !

 


Références

Allal, L. (1988) Vers un élargissement de la pédagogie de maîtrise : processus de régulation interactive, rétroactive et proactive, in M. Huberman (dir.), Assurer la réussite des apprentissages scolaires. Les propositions de la pédagogie de maîtrise, Paris, Delachaux et Niestlé, pp. 86-126.

Astolfi, J.-P. (1993) Placer les élèves en " situations-problèmes " ?, Paris, INRP.

Astolfi, J.-P., Darot, É, Ginsburger-Vogel, Y. et Toussaint, J. (1997) Mots-clés de la didactique des sciences. Repères, définitions, bibliographies, Bruxelles, De Boeck.

Bassis, O. (1998) Se construire dans le savoir, à l’école, en formation d’adultes, Paris, ESF.

Cardinet, J. (1983) Évaluer les conditions d’apprentissage des élèves plutôt que leurs résultats, Neuchâtel, Institut romand de recherches et de documentation pédagogiques.

Direction de l’enseignement primaire (1998) Les objectifs-noyaux : des repères pour mieux maîtriser la progression des élèves, des objectifs de fin de 6 P, Genève, Département de l’instruction publique.

Direction de l’enseignement primaire (2000) Les objectifs d’apprentissage de l’école primaire genevoise, Genève, Département de l’instruction publique.

Groupe de pilotage de la rénovation (1999) Les objectifs-noyaux et les situations d’apprentissage, Genève, Département de l’Instruction publique, Enseignement primaire.

Bloom, B.S. (1972) Apprendre pour maîtriser, Lausanne, Payot.

Bloom, B.S. (1975) Taxonomie des objectifs pédagogiques, Québec, Les Presses de l’Université.

Bloom, B.S. (1976) Human Characteristics and School Learning, New York, McGraw-Hill.

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