Source et copyright à la fin du texte
Version française de l’introduction de Perrenoud, Ph. (2001) Porquê construir competências a partir da escola ? Desenvolvimento da autonomia e luta contra as desigualdades, Porto, ADA Editores.
(Pourquoi développer des compétences dès l’école ? Développement de l’autonomie et lutte contre les inégalités).

 

 

 

 

Développer des compétences dès l’école ?

 

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation
Université de Genève
2001

 

Sommaire  

Les critiques et les craintes

Les résistances moins avouables

Les problèmes ouverts

Plan de l’ouvrage

Références


De nombreux systèmes éducatifs mettent en place un nouveau curriculum, visant vers la formation de compétences. D’autres l’envisagent. Ce mouvement est loin de faire l’unanimité. Les critiques argumentées méritent discussion, même si elles cachent parfois d’autres réserves, moins avouables. Ce qui peut faire peur, dans ce domaine, c’est l’excès de précipitation ou de simplification, l’absence de débat public.

L’introduction de ce livre est une occasion d’inventorier critiques explicites et réticences latentes. Le lecteur abordera alors plus lucidement les problèmes ouverts par les curricula orientés vers les compétences.

Les quatre textes réunis ici ne prétendent pas faire le tour de la question. Ils renvoient à d’autres livres et articles en français (Perrenoud, 1997 a, 1999 a, 1999 b, 1999 c, 2000 a, 2000 b, 2001 a, 2001 b). Ce petit livre permet au moins d’enter en matière et de se faire une idée des enjeux. 


Les critiques et les craintes

Les critiques exprimées sont de plusieurs types, :

  1. Le concept même de compétence ne serait pas stabilisé ou pas fondé théoriquement, on bâtirait donc sur des sables mouvants.
  2. Les compétences tourneraient le dos aux savoirs, notamment disciplinaires.
  3. L’approche par compétences ferait revenir à un utilitarisme de bas étage, à une conception étriquée de la culture.
  4. Les nouveaux curricula feraient le jeu de l’économie, qui ne jure plus que par les compétences.
  5. Les réformes curriculaires iraient trop vite, elles ne seraient pas négociées, les enseignants ne seraient ni convaincus ni formés.

Je plaide depuis plusieurs années pour une approche par compétences. Cela ne me conduit pas à prendre inconditionnellement parti pour toute réforme curriculaire qui s’en réclame. Ni à considérer toute critique comme un signe de "résistance irrationnelle au changement ". Il est légitime de dialoguer avec ceux qui, de bonne foi, formulent objections ou inquiétudes.

 

Le concept de compétence, un concept fragile ?

Il est vrai qu’on ne trouve aujourd’hui aucune définition consensuelle du concept même de compétence. Certains en contestent la nécessité, affirmant que la notion de savoir suffit. D’autres soulignent que la distinction entre compétences et capacités (ou encore savoir-faire, skills, habiletés…) est fragile et varie d’un auteur à l’autre. On met en question la notion de compétences transversales (Rey, 1996).

A quoi bon nier ce que chacun peut observer : le concept n’est pas stabilisé, sa définition fait l’objet de controverses. En l’état des sciences humaines et des sciences cognitives, rien n’est plus normal. Nous n’avons pas fait le tour de l’esprit humain, de sa genèse, de son fonctionnement, des rapports entre le savoir, la pensée et l’action. Nous en sommes réduits à des modèles partiels et contradictoires, souvent à des métaphores (Perrenoud, 2000 b). Celles de la psychanalyse sont les plus connues et les plus explicites, mais parler de transfert ou de mobilisation de connaissances n’est pas moins métaphorique.

Ceux qui mettent ces flottements sémantiques et théoriques en évidence suggèrent, au moins implicitement, que les programmes orientés vers les savoirs ne souffrent pas du même flou, que chacun comprend la notion de savoir et que le seul débat porte sur l’inscription de tel ou tel savoir identifié dans le curriculum.

Ce qu’on ne perçoit pas, généralement, c’est que les programmes orientés vers les savoirs ne s’aventurent pas à réfléchir sur le mode d’intégration et de mobilisation des connaissances dans l’esprit des apprenants. Les savoirs sont traités comme des composantes de la culture que l’école a vocation de " transmettre ". Ce qu’il advient de ces savoirs dans l’esprit et l’action des apprenants ne relève pas du curriculum, mais de la didactique ou de la psychologie de l’apprentissage. L’objectif de formation se borne à la maîtrise de tel ou tel savoir disciplinaire, sans s’arrêter un instant à conceptualiser cette maîtrise, comme si celle de l’élève de 13 ans était comparable, en moins achevée, à celle du physicien, du biologiste ou de l’historien qui " possède " sa discipline.

C’est au prix de cette cécité qu’on peut éviter les incertitudes et les conflits à propos du programme. Car dès le moment où l’on se demande comment les savoirs se construisent, se conservent, s’articulent, se transfèrent, se généralisent, s’oublient ou s’enrichissent dans l’esprit d’un sujet, c’en est fini de la clarté et du consensus. Les fausses certitudes de ceux qui mettent en cause la fragilité de la notion de compétence tiennent à leur indifférence à ce qu’il advient des savoirs lorsqu’ils ne sont plus des énoncés dans des livres ou la parole magistrale, mais deviennent des représentations mouvantes, flottantes, partielles et parfois fausses dans l’esprit des apprenants.

Ajoutons que ceux qui pensent que la notion de " savoir à enseigner " est claire, contrairement à celle de compétence, font preuve d’une assez grande naïveté sociologique. Même les savoirs " scientifiques " ne sont pas aussi délimités, homologués et partagés qu’on le suppose. Chaque champ de savoir est aussi un champ de force, avec des conflits, des dominations, des orthodoxies, des hiérarchies, des exclusions, des évolutions, des changements de paradigme, voire des " révolutions coperniciennes ", qui marginalisent ce qui était au centre et mettent au centre ce qui était ignoré ou ridiculisé peu de temps auparavant. Quant aux savoirs qui ne sont pas issus de la recherche, mais d’autres pratiques sociales, leurs contours sont encore moins faciles à tracer, chacun reconstruit à sa manière la carte des savoirs qui lui paraissent assez établis et féconds pour être enseignés.

A cela s’ajoute l’arbitraire des choix curriculaires qui, parmi l’ensemble des savoirs constitués, privilégient des disciplines, des théories, des œuvres, des domaines et tracent une frontière - jamais innocente - entre les savoirs dignes d’être enseignés à l’école et ceux qui relèvent d’autres instances de socialisation ou dont la transmission peut être laissée au hasard.

Bref, l’accusation de fragilité conceptuelle ne saurait être réservée à l’approche par compétences. Toutes les finalités de l’éducation scolaire sont énoncées à l’aide de concepts mous ou controversés. Mais, comme d’habitude, l’on n’interroge pas les fondements conceptuels de la tradition, alors que les innovations doivent donner des gages de cohérence et de pertinence. Si l’on demandait les mêmes aux pratiques en vigueur, elles seraient bien en peine de les produire.

La vraie question est de savoir s’il faut attendre, pour penser et repenser l’éducation scolaire - ses finalités comme ses modalités -, de disposer d’une théorie achevée et partagée de l’esprit humain, de son fonctionnement, de son rapport à l’action et de sa formation. Sans doute cela serait-il préférable. Toutefois, si, sur des bases partielles et discutables, les sociétés ont pris en charge à large échelle l’éducation des nouvelles générations, c’est parce qu’il leur semblait nécessaire et urgent de ne pas laisser à l’éducation informelle et à la socialisation par la famille et les pairs la transmission de la culture d’ensembles en voie de développement, d’industrialisation et de démocratisation.

On peut contester cette nécessité, mettre en doute l’opportunité de la scolarisation massive des sociétés et de l’éducation. Si l’on y souscrit, que ce soit avec enthousiasme ou faute de mieux, on doit assumer le risque qu’il y a organiser des processus éducatifs dont on ne comprend pas tous les tenants et aboutissants. C’est le risque de toute action politique, au sens large, mais aussi celui de toute pratique sociale ou professionnelle d’une certaine complexité. Souvent, l’humanité prouve la marche en marchant et construit progressivement et dans l’après-coup les fondements rationnels de ses pratiques.

Cela ne signifie pas qu’il faut engager des réformes curriculaires sans un minimum de bases conceptuelles solides. Les réformes en cours auraient sans doute gagné en cohérence si elles avaient attendu quelques années de plus avant de mettre en circulation de nouveaux programmes, pris le temps, non pas de résoudre tous les problèmes, mais de prendre des options plus explicites et négociées sur des dilemmes repérés. Qu’une réforme curriculaire ne puisse s’appuyer sur une distinction claire entre capacité et compétence, quelle qu’elle soit, et aussi discutable soit-elle, est difficilement défendable. De même si elle ne propose aucune réponse claire à la question des compétences transversales.

Une réforme qui laisse sans réponse sérieuse des questions incontournables affaiblit sa crédibilité. Il n’importe pas que les ministères ou leurs experts aient des réponses à tout, encore moins des réponses définitives et dogmatiques. En revanche, ignorer les questions est une variante de la politique de l’autruche !

 

Les compétences contre les savoirs ?

L’un des chapitres de ce livre traite spécifiquement de cette question. Je ne m’y attarderai donc pas ici.

La critique la plus sommaire consiste à affirmer que les savoirs n’ont plus de place dans un curriculum orienté vers les compétences. Nul ne peut soutenir cette thèse de bonne foi, ou alors c’est à la faveur d’une totale incompréhension de la notion même de compétences : il n’y a pas de compétences sans savoirs, ce sont des ingrédients indispensables de la compétence, ce que Le Boterf (1994) appelle des ressources. La compétence est une plus-value apportée aux savoirs : la capacité de s’en servir pour résoudre des problèmes, construire des stratégies, prendre des décisions, agir au sens le plus large de l’expression.

Faut-il pour autant, dans les programmes scolaires, rattacher désormais tout savoir à une ou plusieurs compétences ? Il y a à mon sens d’autres raisons de savoir. Les savoirs scolaires peuvent justifier leur présence dans le curriculum comme:

Reconnaître ces fonctions, analysées ailleurs (Perrenoud, 1999 b), ne donne à aucun savoir particulier le droit inconditionnel d’être enseigné et évalué dans un cursus scolaire. Le curriculum se discute, ne serait-ce qu’en raison de l’impossibilité de tout enseigner. Mais ces critères de légitimité sont multiples.

Il est vrai que certaines des raisons invoquées peuvent jouer le rôle d’alibis commodes et dissimuler les pires conservatismes. De là à sommer tout savoir de devenir une ressource mise au service d’une ou de plusieurs compétences identifiées, il y a sans doute un pas à ne pas franchir. De ce point de vue, les curricula dans lesquels on ne trouve plus que des énoncés de compétences ne sont pas défendables :

Le " tout compétence " est une absurdité et vide le concept de son intérêt. L’important est de justifier explicitement et de façon dialogique l’incorporation de tel ou tel savoir dans le curriculum, sans se réfugier derrière la tradition, ni céder à la toute-puissance des lobbies disciplinaires.

Le fond du débat ne porte pas sur une opposition conceptuelle entre savoirs et compétences, mais sur le temps qu’il faut soustraire à l’accumulation de savoirs pour développer la capacité de s’en servir. Là sont les vrais conflits et les vrais deuils.

 

Le retour de l’utilitarisme ?

L’une des critiques récurrentes contre l’approche par compétences consiste à associer les compétences à des actions très pratiques : remplir sa déclaration d’impôts, gérer son épargne, aménager sa cuisine ou planter un arbre dans son jardin.

Du coup, on peut affirmer que les compétences sont aux antipodes d’une conception de la culture comme curiosité gratuite, comme ouverture au monde, comme désir de savoir pour savoir, comme enrichissement de l’esprit sans enjeux utilitaristes.

Face à cette critique, il importe de dire d’abord que le choix entre un utilitarisme étroit et une conception plus large de la culture est un enjeu curriculaire depuis que l’école existe, comme le montre Isambert-Jamati (1970). L’opportunité de faire une large place aux travaux manuels, à l’éducation physique ou aux savoirs du quotidien (santé, cuisine, ménage, finances) a été et reste régulièrement contestée ou affirmée.

Sans doute l’approche par compétences offre-t-elle l’occasion de rouvrir le débat, comme chaque réforme curriculaire. Il n’y a en revanche aucune raison de tirer a priori les compétences du côté de l’utilitarisme. Sauf, bien entendu, si l’on devient suspect de sombrer dans l’utilitarisme dès que l’on se réfère à une action humaine, au moindre désir de maîtrise de la réalité.

Prenons l’exemple des sciences. Neutraliser le mécanisme de transmission de la rage ou du SIDA, dominer le nucléaire, maîtriser la démographie d’un pays, développer l’ingénierie génétique ou construire un vaisseau spatial sont des projets utilitaires qui n’auraient jamais vu le jour sans recherche fondamentale. Expliquer le mouvement des astres, la vie, l’origine et l’évolution des espèces, les transformations de la matière et de l’énergie, le développement des populations et des sociétés sont autant de préalables aux progrès technologiques. Mais ces derniers alimentent aussi la théorie. La plupart des chercheurs ont renoncé à faire une dichotomie simpliste entre une science pure, désintéressée, mue par le seul désir de savoir, et une science étroitement utilitaire.

Qu’y a-t-il, par ailleurs, de plus utilitaire que le désir de savoir ? La psychanalyse nous montre que notre curiosité n’est pas " gratuite ", qu’elle répond à des angoisses et à des désirs de maîtrise. Il serait temps d’accepter l’idée que la culture humaine, y compris dans ses dimensions théologiques et philosophiques, est fondamentalement reliée à l’action, à une présence incertaine et inquiète dans le monde, au désir d’anticiper et d’infléchir les événements. Cessons donc d’opposer des savoirs désintéressés et des savoirs instrumentaux. Tous les savoirs visent, chacun à sa manière, à accroître notre maîtrise théorique et pratique du monde, même s’ils ne débouchent pas sur des technologies ou des procédures.

La culture, du moins pour les anthropologues, ne s’oppose pas aux pratiques sociales, à l’action humaine. Elle est au contraire la façon propre à notre espèce de comprendre et de maîtriser sa condition, par le langage, le partage, la mémoire collective, la conceptualisation.

Il reste à débattre du rapport à l’action et du rapport au savoir que privilégie tel ou tel curriculum et à veiller à ne pas enfermer l’approche par compétences dans une gamme limitée de savoir-faire " pratico-pratiques ".

 

L’école au service du capitalisme ?

La vogue de la notion de compétence dans le monde de l’entreprise (Ropé et Tanguy, 1994) suffit, pour certains, à la rendre suspecte. De là à conclure que les programmes scolaires orientés vers les compétences ne sont qu’une servile réponse à une demande du patronat, il y a un pas trop vite franchi. Ce simplisme n’est pas sans bénéfices : pour mettre d’accord des professeurs d’opinions politiques et de pratiques pédagogiques très différentes, pour les mobiliser, par delà leurs divergences, contre les curricula orientés vers les compétences, il suffit de brandir le spectre de la main mise de l’économie sur la culture et l’école.

L’école n’est pas en dehors de la société et ne saurait prétendre préparer à la vie en ignorant le monde du travail. Comment les rapports de force qui ont cours dans la société et les idéologies dominantes pourraient-ils lui être étrangers ? Si le monde des entreprises juge que la notion de compétence est au cœur de la " gestion des ressources humaines ", rien de l’empêchera de penser que l’école devrait contribuer davantage à former des compétences. Les réformes curriculaires orientées dans ce sens ne vont donc pas déplaire aux patrons, aux cadres et aux professionnels, qui n’ont aucun mépris pour les compétences.

Est-ce à dire que l’économie est l’inspiratrice des réformes curriculaires actuelles ? Il serait plus juste de dire qu’il y a confluence de deux courants idéologiques qui, s’ils utilisent les mêmes mots, n’ont pas nécessairement les mêmes perspectives. Les uns souhaitent que l’école " produise " des individus " adaptés " au monde économique, comme consommateurs, comme travailleurs, voire comme demandeurs d’emploi. Les autres veulent une école " libératrice ", qui développe des personnes capables de jugement et d’action autonome. Les deux perspectives demandent des savoirs et des compétences !

Ce qui brouille les cartes, c’est que la contradiction entre ces perspectives est, aujourd’hui, moins évidente que jamais. L’économie moderne ne rêve plus de salariés porteurs de savoir-faire spécifiques, formés en vue d’occuper durablement un poste de travail bien défini. Ce qui effraie les syndicats, c’est justement la déliaison entre le diplôme et la qualification, d’une part, l’emploi, d’autre part. Les entreprises d’aujourd’hui ont besoin d’une main d’œuvre mobile, à la fois géographiquement et intellectuellement.

Tel est le paradoxe : l’évolution du capitalisme est menaçante parce que les entreprises reconnaissent la réalité des compétences. Non par humanisme, mais pour assurer la flexibilité de la production et l’intégration incessante d’innovations technologiques aussi bien que la redéfinition permanente des produits et de l’organisation du travail. Du coup, posséder une qualification formelle n’est plus une protection et le sort des travailleurs d’égale qualification dépend de leurs compétences effectives, ce qui individualise le sort des uns et des autres, les met en concurrence et affaiblit les solidarités statutaires.

Que ces évolutions, aussi inquiétantes soient-elles pour les travailleurs, n’empêchent pas les gens d’école de comprendre :

  1. Que les entreprises n’attendent plus de l’école des travailleurs formés " sur mesure " pour un seul type de tâches ; elles disent souhaiter que l’école forme, plutôt que des gens " adaptés ", des gens capables de s’adapter aux mutations nombreuses et imprévisibles qui les attendent. Ce qui met l’accent sur la capacité d’anticiper, de comprendre, d’apprendre, de réguler, de communiquer, de coopérer, d’innover, de contribuer à l’amélioration de la qualité.
  2. Que l’importance accordée par les entreprises à la notion de compétence manifeste aussi une valorisation de l’intelligence au travail, une reconnaissance de l’ingéniosité, de l’inventivité et de l’autonomie requises, même dans les emplois peu qualifiés, pour maîtriser l’écart entre le travail prescrit et ce qu’il faut réellement faire, jour après jour, pour que la production " sorte ".

Ces évolutions ne sont pas universelles Dans les entreprises les plus traditionnelles, le conformisme et l’adaptation immédiate au premier poste sont encore des valeurs sûres. Même les entreprises qui parient sur l’intelligence mettent des limites à l’autonomie, à l’esprit critique, à la coopération de leurs employés.

On peut certainement se méfier plus encore d’un capitalisme qui ne craint plus l’intelligence et la culture de ses travailleurs, car cela suggère qu’il a la maîtrise de mécanismes de contrôle bien plus subtils et puissants que ceux qui passent par l’obscurantisme et la répression de la pensée et de la parole.

Comment, sans tomber dans un angélisme naïf, se situer par rapport à des attentes à l’égard de l’école qui, dans une large mesure, reviennent à dire aux enseignants : formez des individus intelligents, créatifs, autonomes, capables d’apprendre ? La méfiance ancestrale des enseignants à l’égard du monde du travail peut les conduire à ne pas voir que, pour des raisons sans doute différentes, voire contradictoires, l’économie attend de l’école qu’elle fasse à des fins pratiques ce qu’elle promet au nom de l’humanisme.

Il importe, en second lieu, de rappeler que vouloir que ceux qui vont à l’école sachent se servir de ce qu’ils y apprennent est le fondement de tout mouvement pédagogique, de toute politique démocratique de l’éducation. Les pédagogues n’ont pas attendu la vogue de la notion de compétence dans le monde économique pour se préoccuper du transfert des connaissances acquises en classe (Meirieu, Develay, Durand et Mariani, 1996 ; Frenay, 1996 ; Tardif et Meirieu, 1996 ; Tardif, 1999 : Roegiers, 2000).

Accumuler des connaissances pour passer des examens et accéder enfin aux études longues ne profite qu’aux favorisés. A quoi sert-il d’avoir passé des heures, durant des années, à " faire " de l’histoire, de la géographie, de la physique, des mathématiques, de la biologie, etc. si l’on ne sait pas utiliser ces connaissances dans la vie quotidienne ou dans le travail ?

Valoriser des savoirs vivants, connectés aux pratiques sociales, qui soient des outils pour agir sur le monde, n’est pas un rêve néolibéral. Cette idée est au fondement d’une école démocratique. Permettre à chacun d’apprendre à se servir de ses savoirs pour agir, l’approche par compétences ne prétend rien d’autre. Elle renoue avec la vocation la plus idéaliste et la plus militante de l’école. Laisser la notion de compétence au monde de l’entreprise serait renoncer à la vocation libératrice de l’éducation scolaire et à l’idée que le savoir donne du pouvoir si l’on sait s’en servir.

Les réformes curriculaires actuelles ne serait pas nécessaires si l’école tenait ses promesses, si les connaissances scolaires, lorsqu’elles sont acquises, étaient transférables, mobilisables, devenaient des ressources pour la vie, des atouts dans les rapports sociaux. Or, cela ne fonctionne à peu près que dans la sphère du travail, à la faveur d’une formation professionnelle spécifique ouvertement orientée vers l’acquisition de compétences. Face au racisme, au SIDA, aux crises économiques, aux mutations technologiques, aux médias, à la publicité, à la politique, au chômage, au système bancaire, aux assurances, à la médecine, au droit, à l’agroalimentaire, à la génétique, à Internet, nombre de nos contemporains, pourtant dûment scolarisés, restent démunis, dépendants, impuissants à comprendre et encore plus à maîtriser les mécanismes qui gouvernent leur existence, inflation, globalisation, concentrations, etc.

Laisser aux entreprises et à la formation professionnelle le monopole de la formation de compétences serait un choix désastreux, à la fois parce qu’il ferait l’impasse sur les secteurs jugés " non productifs " de l’existence et parce qu’il laisserait le champ libre à la culture d’entreprise dans la définition des compétences nécessaires dans le monde du travail.

 

Des réformes hâtives et imposées d’en haut ?

Cette critique me semble assez souvent fondée. Certes, dans une démocratie, nul n’est assuré de garder le pouvoir plus de quatre ans, il faut donc aller vite, parfois trop vite. Lorsqu’il s’agit de " faire passer " une loi qui deviendra difficile à abroger une fois mise en vigueur ou de créer une institution nouvelle, le changement rapide est sans doute préférable à une réforme inachevée.

En matière de politique de l’éducation, la précipitation est rarement payante. Sans doute ne faut-il pas élaborer et négocier une réforme durant dix ans, puis se donner dix ans encore pour la mettre en œuvre. Il y a parfois urgence et il importe d’imprimer un certain rythme au changement, d’impulser un calendrier " dynamique ". Entre prendre tout son temps et " boucler " une réforme importante le temps d’une législature, on peut souhaiter un moyen terme.

Les contraintes politiques ne sont pas seules en cause. L’administration sous-estime constamment la capacité des enseignants à vider de leur sens les réformes auxquelles ils n’adhèrent pas. Certes, en démocratie, le gouvernement ou le parlement ont le droit de réformer le système éducatif et en particulier les programmes. Mais ce droit ne donne pas la maîtrise des pratiques réelles.

Si les enseignants ne comprennent pas ou n’approuvent pas les réformes curriculaires orientées vers les compétences, elles échoueront et desserviront l’idée même de compétence. Car souvent, au-delà des affrontements ouverts entre les associations syndicales et les pouvoirs organisateurs, le sort d’une réforme se joue dans les établissements (Gather Thurler, 2000, 2001) et dans les classes. Il n’y a plus alors résistance active et explicite, mais indifférence, déformation, appauvrissement, euphémisation ou marginalisation des idées fortes de la réforme. Si bien qu’advient une situation extrêmement perverse : officiellement, la réforme est faite, alors que, sur le terrain, les pratiques ont peu changé, sans signes apparents de dissidence ou de refus.

Les réformes curriculaires actuelles sont vulnérables, car elles touchent aux finalités de l’école, au rapport au savoir et à l’action en même temps qu’elles ont de fortes incidences sur le métier d’élève et le métier d’enseignant. À quoi bon les proclamer en ignorant le pouvoir des acteurs du terrain de ne pas les réaliser ? Cela ne peut satisfaire qu’un gouvernement qui se moque du changement réel du système éducatif et souhaite simplement être crédité, sur le marché électoral, d’une réforme menée au pas de charge.

 


Les résistances moins avouables

Les critiques de l’approche par compétences méritent un vrai débat lorsqu’elles sont de bonne foi. Parfois, cependant, elle cachent des résistances moins avouables, qu’il faut aussi analyser. J’en distinguerai cinq :

  1. Défense inconditionnelle de territoires disciplinaires.
  2. Conception élitiste de l’école.
  3. Vision conservatrice de la culture.
  4. Peur du changement.
  5. Défaut de compétences pédagogiques et didactiques.

Analysons-les de plus près.

 

Défense inconditionnelle de territoires disciplinaires

Les lobbies disciplinaires défendent des emplois, mais aussi une identité, une place dans le curriculum, un poids dans la sélection et une connexion avec les filières universitaires auxquelles l’école obligatoire est censée préparer d’emblée la future élite.

Même si les compétences ne tournent le dos ni aux savoirs, ni aux disciplines, elles exigent, on l’a vu, une part du " gâteau curriculaire ", autrement dit du temps pour entraîner le transfert et la mobilisation des acquis. Du coup, les programmes notionnels doivent être allégés, ce qui entre en contradiction avec les intérêts des cursus spécialisés qui attendent des élèves " aussi bien préparés que possible " à l’issue de l’enseignement obligatoire. Il y a là un réel conflit d’intérêt, mais il ne peut s’expliciter pleinement, car on percevrait alors plus clairement que les programmes disciplinaires sont faits, dans une large mesure, pour ceux qui approfondiront la discipline au-delà de la scolarité de base. Façon de mettre en évidence la faible importance donnée à la culture disciplinaire de ceux qui ne se destinent pas aux études supérieures.

De plus, l’approche par compétences exige non pas la disparition des disciplines, mais l’affaiblissement de leurs frontières et le développement d’un travail pluridisciplinaire. On peut imaginer par exemple un collège secondaire fonctionnant le matin selon une grille horaire disciplinaire traditionnelle et l’après-midi par ateliers et projets pluridisciplinaires. Sans que leur existence même soit contestée, les disciplines perdraient alors du terrain, des heures, donc des emplois spécialisés. De plus, cette évolution favoriserait les professeurs polyvalents, au détriment des experts pointus d’un seul domaine, incapables de collaborer avec des collègues enseignant d’autres disciplines.

 

Conception élitiste de l’école

Le système éducatif s’est construit par le haut, chaque ordre d’enseignant étant censé préparer au suivant. De facto, pour l’essentiel, l’école prépare donc à l’école, plutôt qu’à la vie. Ce n’est que lorsque les jeux sont faits qu’on se préoccupe de donner quelques armes pour l’existence aux élèves relégués dans les filières les moins prestigieuses. Et encore s’agit-il davantage de les préparer à une formation professionnelle courte qu’à la vie, en insistant par exemple sur le calcul mental et l’arithmétique, l’orthographe et la syntaxe, le dessin technique, les travaux manuels et des rudiments de sciences appliquées et de technologie.

Dans cette vision élitiste de l’école, ceux qui suivront les cursus les plus exigeants jusqu’au bout sont la référence prioritaire. Que les autres grappillent au passage quelques bribes de connaissances disciplinaires est réputé contribuer à leur " culture générale ", mais l’on se garde bien d’organiser le curriculum en fonction de leur destin probable.

Les curricula orientés vers les compétences contestent cette logique élitiste et prétendent armer tous les élèves pour la vie, quelle que soit leur destin et leur condition sociale. De telles réformes ne peuvent profiter à ceux qui visent pour leurs enfants, dès l’école maternelle, un doctorat en médecine, en sciences ou en lettres. Leurs compétences, ils les construiront durant leurs études universitaires ou même après. Assimiler le maximum de connaissances pour se préparer aux concours et aux examens, rien n’autre n’importe.

Ceux qui dénoncent " la baisse du niveau " parlent en réalité du niveau des futures élites à un certain âge. Il est certain qu’une école orientée vers les compétences préparera moins bien les futurs mathématiciens, chimistes, historiens ou philosophes. Et alors ? Peut-être est-ce le seul moyen de provoquer l’émergence de pédagogies universitaires plus efficaces et de processus moins aléatoires d’orientation vers les divers cursus de l’enseignement supérieur…

L’approche par compétences ne sacrifie pas les élites. Au pire, elle ralentit un peu leur progression vers les diplômes de second et troisième cycle universitaire. Si cela permet au plus grand nombre d’être mieux préparé à la vie tout court, le prix est raisonnable.

 

Vision conservatrice de la culture

La culture, c’est ce qui reste quand on a tout oublié ". Cette formule célèbre n’est pas dénuée de sens. D’un point de vue anthropologique, elle va à l’essentiel : la culture est incorporée, elle est une " seconde nature ", inscrite dans l’habitus, la grammaire génératrice des représentations, des jugements et des pratiques. Sa genèse est oubliée, son contenu pris pour évident.

Une partie des lettrés interprètent cette formule en donnant à l’école une mission de socialisation subtile : former le goût, la sensibilité, l’esprit, forger un mode d’appréhension du monde à dominante esthétique ou discursive.

L’approche par compétences fait frémir d’horreur les tenants de cette vision de la culture. Préparer à agir, c’est renoncer à un rapport contemplatif et esthétique au monde, c’est rejoindre l’esprit de géométrie, la culture des techniciens et des hommes d’action, au détriment de l’esprit de finesse, du goût de l’ineffable et de l’implicite.

Ne nions pas le conflit de représentations de la culture. Mais ne laissons pas le monopole de sa définition à ceux qui ne jurent que par les arts et les lettres, admettent du bout des lèvres que les sciences font partie de la culture et répudient tout ce qui relèvent des techniques, des luttes syndicales et politiques ou des pratiques du quotidien.

Tout ce que nous apprenons et partageons fait partie de la culture humaine, de la Joconde à la peinture la plus " fruste " et la plus " populaire ", de l’art de disserter à celui de cuire des nouilles ou de nettoyer le sol. La culture inclut les composantes les plus contemplatives et les composantes les plus actives de notre rapport au monde, les plus métaphysiques et les plus pragmatiques.

Les compétences n’épuisent pas la culture, mais elles en font partie. Non seulement les compétences des créateurs, des prix Nobel, des femmes et hommes illustres, mais celles de tous les praticiens, quelle que soit leur pratique. L’approche par compétences n’est pas utilitariste, mais elle n’exclut pas l’action de la sphère de la culture. En cela, elle rencontre l’opposition de ceux pour lesquels la culture se définit par la gratuité, le dilettantisme, le plaisir de savourer la beauté du monde et des œuvres.

Il ne serait pas inutile que nos sociétés se donnent de leur propre culture une image moins étroite que celle que leur propose la tradition littéraire, une image qui serait plus inspirée de l’anthropologie culturelle et des sciences sociales que des définitions élitistes et conservatrices des gardiens du temple de la Culture avec un grand C.

 

Peur du changement

Presque tout le monde a peur du changement, pour des raisons dans une large mesure rationnelles. Changer, c’est désapprendre et apprendre, pour affronter de nouvelles situations, résoudre de nouveaux problèmes, coopérer avec des partenaires inédits. Il y a donc du travail et des risques.

Si l’approche par compétences n’effraie pas ceux qui rédigent les nouveaux programmes, elle peut à bon droit faire peur à ceux qui devront les mettre en œuvre sur le terrain. Car il ne s’agira pas alors de remplacer des textes par d’autres textes, mais, pour chaque enseignant, souvent dans une certaine solitude, d’opérer une forme de révolution dans ses pratiques, son rapport au savoir, sa façon d’enseigner.

Mais qui oserait dire aujourd’hui, tout simplement, qu’il a peur du changement ? Qui voudrait paraître immobile dans un monde qui bouge ? Frileux lorsque l’avenir appartient à ceux qui prennent des risques ? Confit dans ses routines lorsque la modernité appelle une évolution constante ?

Dans un monde où le changement est devenu une valeur centrale, quiconque y résiste ouvertement se disqualifie. Il faut donc s’opposer non au changement, mais à telle réforme, non pas parce qu’elle oblige à renouveler ses pratiques &endash; la vraie raison &endash; mais parce qu’elle est mal conçue et ne répond pas aux besoins.

Dans les systèmes éducatifs, le conservatisme le plus " normal " ne peut plus s’affirmer à ciel ouvert. Il lui faut donc déplacer le débat et trouver des arguments plus présentables pour s’opposer aux réformes.

 

Défaut de compétences pédagogiques et didactiques

La plupart des systèmes éducatifs qui introduisent un curriculum orienté vers les compétences me paraissent en sous-estimer les implications pédagogiques. Une modernisation banale des programmes exige des professeurs un aggiornamento de leurs connaissances en ce qui concerne les savoirs à enseigner. Pour le reste, rien ne change dans le contrat didactique, la façon de préparer des cours et d’évaluer les acquis des élèves.

Lorsqu’une réforme curriculaire modifie la nature même des objectifs de formation, il ne suffit pas de confier de nouveaux contenus à des démarches pédagogiques inchangées. On en a l’exemple avec les réformes des années 1970-80 portant sur la langue maternelle et les réformes de même type de l’enseignement des langues secondes : lorsqu’il a fallu enseigner non pas à analyser la langue, mais à s’en servir, la culture grammaticale des professeurs ne les a guère aidés, car on leur demandait de créer des " situations de communication " et de favoriser chez leurs élèves une maîtrise pratique de la langue. Ces réformes curriculaires ont donné des résultats médiocres chaque fois que les professeurs n’ont pas été formés à développer concrètement des capacités de communication.

S’agissant d’un curriculum visant des compétences, l’obstacle est le même. Les compétences ne s’enseignent pas. L’on ne peut que créer des conditions qui stimulent leur construction. Donner un excellent cours ne créée pas de compétences, mais transmet des savoirs. Dispenser des exercices bien faits travaille certaines capacités. Pour développer des compétences, il faut placer les élèves dans des situations complexes, qui exigent et entraînent la mobilisation de leurs acquis : une énigme à élucider, un problème à résoudre, une décision à prendre, un projet à concevoir et piloter.

Les enseignants familiers des méthodes actives, des pédagogies nouvelles et des théories constructivistes sont " comme des poissons dans l’eau " lorsqu’on les invite à développer des compétences, ce qu’il font déjà, en général, de leur propre initiative. Mais les autres ?

Si les professeurs avaient tous une vision constructiviste des savoirs, la transposition aux compétences serait assez facile. Les pédagogies transmissives tiennent hélas encore le haut du pavé, ce qui n’a rien d’étonnant en l’état de surcharge endémique des programmes et de faible formation des enseignants en psychologie de l’apprentissage et du développement. Il n’est pas impossible que, pour une majorité de professeurs du secondaire, le nom de Vygotski évoque un gardien de but slave.


Les problèmes ouverts

Si je défends l’approche par compétences, c’est parce que les critiques et les doutes dont j’ai fait état me semblent avoir des réponses, si l’on prend la peine de les entendre et d’en débattre.

Mais c’est surtout, bien entendu, parce qu’à mon avis les curricula orientés vers les compétences peuvent constituer un progrès majeur, dans un triple registre :

Pour en arriver là, il reste de nombreuses résistances à vaincre et maints obstacles à surmonter. Les objections explicites et les réticences cachées que j’ai évoquées plus haut en donnent une bonne idée.

Je n’ajouterai qu’un élément : pour connecter les savoirs scolaires à des pratiques sociales, il conviendrait d’en savoir plus, beaucoup plus, sur les problèmes auxquels les gens sont et seront concrètement confrontés dans les divers domaines de l’existence.

Lorsqu’on conçoit une formation professionnelle, aujourd’hui, on élabore en principe un référentiel de compétences basé sur l’analyse du travail réel, de sa diversité de son évolution. C’est à ce prix qu’on peut identifier les familles de situations, à la fois problématiques et emblématiques, qui appellent des compétences spécifiques. Situations problématiques parce que, s’il n’y a rien à faire ou si le sens commun suffit, rien ne justifie une formation. Situations emblématiques, parce qu’il faut se limiter à ce qui, statistiquement, apparaîtra avec une certaine probabilité dans l’expérience des praticiens.

Ce qui n’est pas simple en regard d’un métier identifié devient très difficile lorsqu’on cherche à identifier des compétences pour la vie en général, qu’elles se manifestent hors du travail ou dans des situations communes à de nombreuses professions. Pourtant, si l’on n’amorce pas ce travail difficile, sur la base d’une observation de la vie des gens, les chances d’une transposition didactique à partir des pratiques sont très faibles (Perrenoud, 1998).

Toutes les conditions sont alors remplies pour que, sous couvert de compétences, on se borne à enseigner les savoirs scolaires traditionnels, et à développer d’hypothétiques capacités générales (ou transversales), comme savoir analyser, communiquer ou s’adapter…

De ce point de vue, tous les curricula orientés vers les compétences présentent le même défaut : nul système éducatif ne prend le temps et la peine de partir des pratiques sociales. Les lobbies disciplinaires n’y ont d’ailleurs aucun intérêt. Pour justifier l’étude de la tangente ou du cosinus comme outils pratiques dans la vie des gens, ou encore du subjonctif, du tableau de Mendélèieff ou de la loi d’Ohm, la plus sûre tactique est d’affirmer en se gardant d’aller vérifier…

Les partisans de l’approche par compétences sont pris ici en flagrant délit d’incohérence : comment prétendre prendre au sérieux la mobilisation des savoirs comme ressources en se limitant à ce que les auteurs du curriculum peuvent savoir ou imaginer de la vie des gens ? Alors que les savoirs sont défendus par les lobbies disciplinaires, les compétences non professionnelles n’ont pas de porte-parole et ne se donnent pas à voir dans les bibliothèques ou les congrès. Il appartient donc à ceux qui défendent l’approche par compétences de se donner les moyens d’une enquête permanente sur les pratiques sociales les plus diverses et ce qu’elles mettent en jeu.

 
Plan de l’ouvrage

Ce petit livre ne prétend pas faire le tour de tous les problèmes évoqués ici. Il propose plutôt quelques éclairages partiels, mais complémentaires, pour prolonger la réflexion.

Le premier chapitre " Construire des compétences, est-ce tourner le dos aux savoirs ? " développe la discussion esquissée plus haut sur le rapport entre savoirs et compétences, de leur absurde opposition conceptuelle à leur réelle concurrence dans l’emploi du temps scolaire.

Le second chapitre " L’approche par compétence, une réponse à l’échec scolaire ? ", cherche à montrer à quelles conditions de tels curricula peuvent démocratiser l’enseignement. Si la connexion avec des pratiques sociales peut accroître le sens des savoirs scolaires, le travail par problèmes peut, si l’on n’y prend garde, favoriser les favorisés et créer de nouvelles formes d’inégalités.

Le troisième chapitre " La clé des champs : essais sur les compétences d’un acteur autonome ", tente de relever un défi : définir des compétences reliées à des pratiques sociales identifiables, ne pas se cantonner à quelques capacités intellectuelles pertinentes dans de multiples contextes mais qui ne constituent pas à elles seules des compétences.

Le quatrième chapitre " Apprendre à l’école à travers des projets ; pourquoi ? comment ? ", n’épuise pas la problématique didactique et pédagogique, mais il y entre sans détours, en s’attaquant aux pédagogies du projet.

À partir de ces quatre contributions, au lecteur d’entrer dans le jeu de la complexité ! 


Références

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Gohier, Ch. et Laurin, S. (dir.) (2001) Entre culture, compétence et contenu : la formation fondamentale, un espace à redéfinir, Montréal, Éditions Logiques.

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Ropé, F. et Tanguy, L. (1994) Savoirs et compétences. De l’usage de ces notions dans l’école et l’entreprise, Paris, L’Harmattan.

Tardif, J. (1999) Le transfert des apprentissages, Montréal, Éditions Logiques.

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Sommaire


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