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Articulation
théorie-pratique et formation
de praticiens réflexifs en alternance
I. De l'alternance à l'articulation : à quoi servent les stages ?II. Visée réflexive et démarche clinique de formation
Lalternance désigne le va-et-vient dun futur professionnel entre deux lieux de formation, dune part un " institut de formation initiale ", dautre part un ou plusieurs " lieux de stages ". La thèse soutenue ici est que cette alternance nest pas formatrice en tant que telle, quelle nest que la condition nécessaire dune articulation entre théorie et pratique.
Je soutiendrai aussi que théorie et pratique ne sont pas confinées dans des lieux distincts. Les rapports au réel, à laction, à la réflexion et aux savoirs différent certes selon quon mène une activité dans un milieu de travail ou quon lanalyse en prenant de la distance. Pour autant, le " terrain " nest pas ou ne devrait pas être la seule composante de la formation qui se réfère à la pratique, ni le seul lieu dépourvu de théorie. Une formation professionnelle, même dans le cadre dune école, est censée se référer constamment à une pratique expérimentée ou anticipée. À linverse, dans le cadre du travail, on ne cesse de mobiliser des savoirs théoriques, même sils ne suffisent jamais à guider laction, ou den constater les limites ou les lacunes.
Troisième thèse : sil nexiste pas, dans linstitut de formation initiale, une conception explicite et cohérente de larticulation théorie-pratique et du processus de construction de compétences professionnelles, lalternance peut rester un dispositif vide de sens. Cette cohérence nest pas acquise du seul fait quun texte dorientation définit des principes. Elle passe par une culture commune des formateurs, une vision partagée et argumentée de larticulation théorie-pratique. Cette vision ne saurait être la même dans les métiers techniques et dans les métiers de lhumain dont il est question ici : soins infirmiers, travail social et enseignement.
Au sein de chaque métier et de chaque institution, il existe à la fois de vraies divergences de conception et des zones dombre ou de flou. Les institutions de formation initiale ne savent pas toujours exactement pourquoi elles mettent en place tel ou tel dispositif dalternance et quelle articulation théorie-pratique il est censé favoriser. Ou alors, elles perdent la mémoire et vivent dans la routine, en attendant une nouvelle réforme qui obligera à actualiser et à expliciter le modèle de formation.
Faute de temps pour aller au bout dune interrogation collective sur la formation initiale et ses limites, compte tenu du poids des traditions et des structures, mais aussi des concessions faites aux formateurs en place et aux lobbies disciplinaires et professionnels, les institutions de formation professionnelle ont une rationalité limitée. Le rôle des différentes composantes de la formation nest pas toujours défini clairement ou ne fait pas lobjet dun consensus. On se contente parfois de notions approximatives.
Celle dalternance est devenue une sorte demblème, probablement parce quelle suggère un lien fort et pensé entre différents lieux et moments de la formation professionnelle. Alors que, stricto sensu, lalternance peut ne désigner que le va-et-vient entre les stages, et les autres facettes de la formation. Pour en avoir le cur net, il faut se demander : à quoi servent les stages ? Et comment sarticulent-ils au travail fait à lécole ?
La notion dalternance ninterdit pas de penser et surtout de vivre les rapports entre les stages et les autres moments de la formation sur le mode dune pure juxtaposition. Il arrive quun institut de formation initiale assume cette alternance juxtapositive ouvertement, fort de lidée que ce que lon apprend sur le terrain na pas grand rapport avec ce que lon apprend dans les cours, de même ce que lon apprend en cours danglais na pas grand rapport avec ce que lon apprend en cours de mathématique ou darts plastiques dans un collège secondaire.
Les stages fonctionnent alors comme une " discipline " parmi dautres, que lon nomme souvent " formation pratique ". Certes, cest une discipline qui fait appel à un apprentissage expérientiel plus quà la transmission organisée dun savoir. Mais elle demeure une discipline autonome, au sens où les formateurs qui en ont la charge conçoivent la " formation pratique " à partir de leur propre manière de voir et dexercer le métier, sans lien nécessaire avec la " formation théorique ".
La " formation pratique ", comme toute discipline, reçoit alors une part plus ou moins généreuse du gâteau curriculaire. Dans ce cadre, elle vit sa vie sans trop se soucier de ce qui se passe en amont ou en parallèle. Dans un tel système, les formateurs de linstitut comme ceux du terrain ne voient pas nécessairement pourquoi il faudrait une relation plus étroite entre stages et autres modalités de formation. Lalternance est un fait :-létudiant va sur le terrain et revient au centre de formation. Mais cela nappelle aucune articulation forte, il vit deux vies, travaillent avec des interlocuteurs qui ne se connaissent pas, signorent, voire se dénigrent mutuellement.
Dans dautres formations initiales, au contraire, labsence de rapport construit et exigeant entre stages et unités théoriques est plus embarrassante, parce que linstitution prétend les mettre en cohérence, alors que son fonctionnement réel se borne parfois à les juxtaposer.
Lesprit du temps est à larticulation, son principe est donc affirmé. Mais le passage à lacte exige quon sen donne une conception précise, puis quon consente un effort collectif constant pour lutter contre la tendance de toute organisation à dissocier ce qui peut lêtre sans désastre apparent. Il faut donc se demander ce quon attend dune véritable articulation théorie-pratique, savoir pourquoi il ne suffit pas dun simple va-et-vient entre des lieux et des moments autonomes de formation.
Pourquoi envoie-t-on les étudiants en stages ? La réponse quune institution apporte à cette question est peut-être le meilleur analyseur de sa logique et de son plan de formation.
On peut distinguer au moins quatre réponses, pas nécessairement incompatibles. Le stage peut être :
Dans de nombreux systèmes, ces fonctions coexistent durant le parcours de formation, voire au sein des mêmes stages. Chacune est cependant lemblème dun modèle spécifique de formation. Après avoir rapidement commenté les trois premières, je mattacherai à développer la quatrième, la seule qui me paraisse aujourdhui défendable.
Le stage comme terrain dapplication
Le modèle " applicationniste " a atteint sa pleine logique, dans le champ de la formation des enseignants, avec louverture de classes ou décoles dites " dapplication ", sises dans lenceinte de lÉcole normale ou dans les environs et où les étudiants se rendaient comme les chimistes vont conduire en laboratoire une expérience vérifiant la loi qui vient de leur être enseignée.
Dans ce modèle, les étudiants sont nantis dune doxa et de théories censées guider leur action " sur le terrain ". La doxa est forgée par des praticiens expérimentés, qui deviennent formateurs, et transmettent le message suivant : " Faites comme nous ! ", ou " Faites comme nous faisions ! ", ou " Faites comme font les gens qui savent, les gens du métier qui sont réputés avoir maîtrisé la difficulté de la tâche ! ". Le caractère prescriptif de la théorie est moins direct : la connaissance " objective " est censée guider laction " spontanément ", par la seule évidence de la raison. Le message est : " Agissez rationnellement, en tenant compte des lois de la nature ". Claparède le disait déjà en 1912, comme tous ceux qui ont rêvé dune pédagogie " scientifique ". En soins infirmiers, la base scientifique est encore plus légitime.
Dans le meilleur des cas, la doxa, dérivant de lexpérience et des convictions des formateurs, et la théorie, fondée sur la recherche, peuvent se marier, se compléter. Selon les institutions et les métiers, lune ou lautre domine. Dans une faculté déducation canadienne aujourdhui, le corps enseignant est composé de chercheurs en éducation, alors quà lorigine, il était fait de professeurs dÉcole Normale, puisquon a construit les facultés déducation canadiennes à partir des Écoles Normales qui existaient il y a une quarantaine dannées. Ce corps enseignant sest renouvelé, il est devenu plus classiquement universitaire et il est passé majoritairement dune logique de lexpertise professionnelle à une logique de la connaissance scientifique de léducation, mais les deux courants coexistent encore, sans doute parce quon sait bien quaucune pratique complexe nest pure mise en uvre de principes savants.
La transposition dune théorie dans la pratique nest pas exactement du même ordre que le respect dun doxa, mais, dans les deux cas, lenjeu du stage est de mettre en uvre des savoirs procéduraux ou déclaratifs préalables et éventuellement de les valider et de les compléter par quelques " ficelles du métier " comblant les vides ou flous des savoirs ou des principes daction.
Les formateurs expérimentés, même les plus dogmatiques ou les plus scientistes, savent que la réalité est plus complexe, changeante et diverse quaucune doxa ou aucune théorie ne le laissent supposer. Ils savent aussi que lapplication nest pas automatique, rejoignant la vision des compétences comme aptitudes à mobiliser des connaissances et des modèles au prix dun entraînement. Dans un langage piagétien : la formation " théorique " construit des structures auxquelles lessentiel du réel est censé être assimilable, mais on fait la part daccommodations mineures et on sy accoutume dans les stages.
Ce que lon demande, alors au professionnel qui accueille le stagiaire, cest dêtre lui aussi un expert, un modèle qui renforce le message de la formation, qui possède les connaissances et/ou respecte la doxa. Dans les deux cas on lui demande dêtre en cohérence avec le message du centre, de le renforcer à son niveau, de le légitimer en montrant que savoirs et/ou doxa sont des sources defficacité professionnelle. On attend du stage quil redouble ce message, au jour le jour, en plus concret, en plus vivant, en plus pragmatique que les cours. En stage, le formé prend aussi la mesure de ses limites, de ses lacunes, identifie les points sur lesquels il doit encore travailler et revient au centre de formation demandeur dun complément de certitudes ou de savoirs théoriques. Le terrain est alors assujetti à une logique de formation conçue par les écoles.
Le terrain comme socialisation et antidote
Il arrive que le terrain résiste à cette domination. Le second modèle correspond à ce qui se dit dans beaucoup de lieux de pratique professionnelle : " Sils se formaient sur le tas, par essais et erreurs, avec quelques conseils, ou avec un mentor, cela irait aussi bien que de les envoyer pendant des années suivre des enseignements déconnectés du réel ". On peut appeler cela une sagesse, un cynisme, une dérision, un mécanisme de défense ou une identité positive. Dans tous les cas, lon en vient à penser et à dire mezzo voce que lon pourrait se passer de la formation scolaire des professionnels. Lorsque cette vision de la formation coexiste avec une formation scolaire structurée, létudiant suit et subit en quelque sorte deux programmes, lun scolaire, qui justifie un diplôme, lautre sur le terrain, qui initie à un métier et construit de " vraies compétences ". Loin dêtre le prolongement de la théorie, le stage en est alors, au moins pour les professionnels, lantidote !
Si cette vision triomphe, on peut revenir à un modèle où lessentiel de la formation professionnelle est acquis sur le terrain. En formation des enseignants, notamment aux États-Unis, en réaction aux limites et aux manques de la formation dans les universités, certains États sont revenus à des cursus où létablissement scolaire est le lieu majeur dune formation initiale assumée par les enseignants en place, luniversité noffrant quun soutien logistique, un apport théorique qui clarifie un certain nombre de processus, un lieu qui offre des compléments technologiques ou méthodologiques. Le cur du métier sapprend selon le modèle du compagnonnage organisé. Linsistance actuelle sur la professionnalisation des métiers de lhumain vient paradoxalement renforcer cette tentation : des professionnels forment leurs futurs pairs, nest-ce pas lessence même dune profession ?
Que la profession forme à la profession est donc à la fois une idée très ancienne, à certains égards archaïque et dépassée, et une idée très neuve de lautre, si lon pousse sa logique à lextrême. En effet, dans le débat sur le degré de professionnalisation du corps enseignant aujourdhui, on pourrait soutenir que la professionnalisation progresse lorsque les établissements et les services deviennent capables de former sérieusement leurs futurs collaborateurs. Aujourdhui, on peut cependant avoir quelques doutes, à la fois sur la volonté, les moyens et la capacité des enseignants et des établissements scolaires à former la relève.
À ce modèle selon lequel le stage permettrait de se construire contre des formations scolaires, on peut en opposer un autre, à mon sens plus fidèle à lesprit de la professionnalisation : la profession sorganise pour devenir un acteur fort dans la conception et la mise en uvre dune formation initiale se déroulant à la fois en école et sur le terrain, sans revenir au modèle applicationniste.
Le stage comme épreuve initiatique
Il ne sagit pas alors ni de sexercer à appliquer une théorie ou une orthodoxie scolaire, ni dintérioriser la vision du métier que les professionnels le définissent et le vivent sur le terrain, mais de vivre une expérience forte.
Le stage - surtout le stage " en responsabilité " - est vu comme le " baptême du feu ", une " épreuve de vérité ", une confrontation parfois douloureuse à la réalité en vraie grandeur, à linstitution, aux élèves, aux parents, aux collègues, mais aussi à soi-même, à ses propres peurs, failles et obsessions.
Certains se persuaderont alors quils " ne sont pas faits pour ce métier ". Dautres trouveront le " courage des commencements " et se sentiront enfin en accord avec leur vocation et " à leur place ". Non pas tellement " parmi les enseignants " que " parmi les élèves ", au gré dune aventure existentielle et singulière, même si elle pas par lintégration à un corps de métier et par lassimilation dune culture professionnelle.
Quil y ait dans cette vision romantique du stage et de linsertion une part de réalisme nen justifie pas les faiblesses du point de vue de larticulation entre théorie et pratique. Non pas tant en raison dun modèle contestable que parce quon se situe demblée dans un registre initiatique.
En quête dun modèle plus moderne
Le modèle le plus prometteur est à mon sens le quatrième, dans lequel le stage nest quun moment dune démarche clinique de formation dans laquelle le terrain nest ni le terrain dapplication ni lantidote de la théorie. Ce dernier modèle part probablement dune conception du métier qui le voit définitivement confronté à la complexité, cest-à-dire condamné à vivre avec des contradictions indépassables, que nul ne peut affronter simplement armé dune doxa ou dune théorie, mais pas davantage avec une socialisation professionnelle sur le terrain.
Je napprofondirai ici que le quatrième modèle de formation, le seul qui soit à mon sens défendable dans loptique de la professionnalisation et de la pratique réflexive. Ces modèles ne sont en effet pas sans liens avec la conception quon adopte des métiers de lhumain et de leur évolution souhaitable ou probable. Si lon considère quil est inutile et dailleurs impossible quun praticien connaisse davance les solutions à tous les problèmes quil rencontrera, si lon pense que sa compétence est de les construire en situation, alors on privilégie la posture réflexive. Ce nest pas une valeur en soi, mais une réponse à la complexité des tâches et des situations professionnelles.
Aucun métier ne peut se passer dune forme dintelligence au travail (Jobert, 2001), façon de jeter un pont entre le travail prescrit et la singularité des situations. La compétence consiste à accomplir un travail réel et pertinent sans tourner le dos au travail prescrit, mais sans sy enfermer, en exerçant un jugement professionnel, en sautorisant à jouer avec les règles, à les transgresser à bon escient, ou à en inventer chaque fois que la complexité du réel lexige.
Les situations complexes, toujours singulières, appellent une démarche de résolution de problème plutôt que lapplication dun répertoire de recettes, ou de réponses préprogrammées, ou encore le recours à un algorithme fondé sur une connaissance théorique générale. Toute normalisation de la réponse, quelle sancre dans une doxa, une théorie ou une tradition, entraîne un affaiblissement de la capacité daction et de réaction du praticien
Cest dautant plus vrai quon vise un niveau élevé de qualification. Cest le sens profond du concept de professionnalisation : former des experts qui, nantis dobjectifs et dune éthique, sauront ce quil faut faire, sans être étroitement tenu par des règles, des directives, des modèles, des théories. Bien entendu, le professionnel de haut niveau connaît et respecte autant que possible les règles déontologiques et les principes méthodologiques. Il puise dans létat des savoirs scientifiques et professionnels certains modèles dintelligibilité du réel aussi bien que des idées de stratégies daction. Nul professionnel de haut niveau ne réinvente la roue, il se sert des acquis collectifs, il construit un savoir local à partir des savoirs généraux acquis en formation.
Il nest donc ni solitaire ni autosuffisant, mais il est son propre marionnettiste, il tire ses propres fils. Pour cela, il doit avoir les compétences de la marionnette et du marionnettiste réunis, cest-à-dire être à la fois le concepteur et lexécutant, celui qui définit le problème, le pose, et le résout. Cest un modèle assez banal, particulièrement pertinent pour les métiers que Freud et certains psychanalystes après lui ont appelé des " métiers impossibles ". Des métiers où lon est confronté à lautre, à soi, à la relation, à la différence, mais aussi à limpossibilité de bien faire constamment et souvent à léchec. Des métiers condamnés à une forme de bricolage, dans le sens que Lévi-Strauss a théorisé. Le bricoleur est quelquun qui na jamais exactement les matériaux quil faut pour construire quelque chose, contrairement à lingénieur, qui a en principe les moyens de développer les machines et les matériaux dont il a besoin pour réaliser son projet. Le bricoleur a un stock de choses sous la main et il " fait avec ", cest son bonheur et son génie, qui nest pas celui de lingénieur. Sachant quen réalité dans les conditions réelles du travail, un ingénieur doit aussi savoir bricoler.
Dans le métier denseignant, on " fait avec ", parce que nul na constamment le temps de reconstruire des moyens denseignement, des temporalités, une gestion de classe, un esprit de classe, qui conviendraient exactement à ce que lon entend faire. Il en va de même dans les soins infirmiers ou le travail social, même si les incertitudes, les urgences et les contraintes diffèrent.
La compétence consiste donc aussi à tirer le meilleur parti de ce que lon a sous la main, en temps réel, ce qui oblige souvent à travailler dans lurgence, lapproximation, limprovisation. Ces dimensions du travail sont connues et pourtant faiblement honorées dans les plans de formation. Ainsi, alors que tout le monde sait quil y a des moments où il faut improviser, donc prendre des risques, on parle peu de limprovisation et de lurgence en formation, donc de langoisse, mais aussi de la maîtrise de soi et de lingéniosité qui permettent dy faire face.
Une démarche clinique de formation peut aussi être tentée de se limiter à une image rationaliste du métier, mais le risque est moins grand, car lorsquon construit des savoirs à partir de cas, de situations singulières, de problèmes, le caractère multidimensionnel du réel est difficiles à neutraliser. La démarche clinique opère dont à partir dune vision plus réaliste des pratiques de référence et des situations de travail, gage dune meilleure transposition didactique (Perrenoud, 1998 b) et dune plus forte prise en compte de la complexité du monde.
Il en va de même du rapport au monde. Une démarche clinique invite presque inévitablement chaque étudiant à ce que lon peut appeler un travail sur soi. Elle amène à découvrir assez vite que linstrument principal du professionnel, cest sa propre personne, sa capacité de communiquer, de rassurer, de comprendre, de mobiliser lautre. Tout cela le met en cause comme quelquun qui a des ressources cognitives, mais également une âme, un vécu, une culture, des préjugés, des peurs, des rêves, dimensions sur lesquelles il importe de travailler en formation, pour préparer de vrais professionnels.
Dans les soins infirmiers ou le travail social, on a pris conscience de ces dimensions plus précocement et plus fortement que dans lenseignement. La formation insiste par exemple sur langoisse de mort, la responsabilité, la peur de ne pas savoir, la coopération et ce quelle coûte. Dans la formation à lenseignement, on a encore beaucoup à faire pour que de tels thèmes deviennent légitimes et soient travaillés au même degré que la didactique.
La démarche clinique considère que lon ne forme que des débutants, de bons débutants dans le meilleur des cas. Au-delà de la formation initiale, la compétence ne cesse de se construire, non seulement à travers la formation continue, mais parce que chaque praticien possède une capacité dautorégulation et dapprentissage à partir de lexpérience. Il faut, pour que ce processus soit optimal, que la formation développe les capacités dauto-socio-construction du sujet. Cela ne se borne pas à devenir consommateur assidu de formation continue. Cest un rapport à sa pratique, à soi, fait dauto-observation, dauto-analyse, de mise en question, dexpérimentation. Cest aussi une autre attitude, dautres savoir-faire, une rapport réflexif à ce quon fait.
Ce concept, qui nest pas sans liens avec labstraction réfléchissante chez Piaget, a été développé par Donald Schön. Ce professeur du M.I.T nest pas un spécialiste des métiers de lhumain, il sest intéressé aux pratiques et à la formation professionnelles dans divers métiers complexes. Dans ses travaux, maintenant accessibles en français (1994, 1996), il propose une " épistémologie des savoirs cachés dans lagir professionnel ", ce que dautres nomment savoirs daction (Argyris, 1995 ; Barbier, 1996), connaissances-en-actes (Vergnaud, 1994, 1995, 1996), savoirs experts (Joshua, 1996), voire savoirs dexpérience. Schön a popularisé la figure du praticien réflexif, constamment en train de sobserver, de " converser avec le réel " et de se poser des questions sur sa façon dagir.
La réflexivité est la capacité dun praticien de prendre sa propre pratique comme objet de réflexion, voire de théorisation. Se regarder fonctionner et aussi dysfonctionner, permet par exemple à un praticien de comprendre pourquoi, régulièrement, il séchauffe, sangoisse, perd son sang-froid, durcit son attitude ou se ferme à lautre alors que la théorie, lexpérience ou les savoirs professionnels suggèrent le contraire.
La réflexion sous-tend des boucles de régulation courtes, qui sont en principe inscrites dans lexercice de toute compétence - la réflexion dans laction - mais aussi des boucles de régulation plus longues, de réflexion sur laction : " Comment ai-je fonctionné, vais-je continuer de la sorte ou pourrais-je my prendre différemment ? " De la réflexion dans le feu de laction, avec des régulations immédiates, à la réflexion sur son habitus et sur le système daction collective dans lequel il est inséré, en passant par la réflexion sur laction accomplie ou à venir, le praticien réflexif ne manque pas de pain sur la planche (Perrenoud, 1998 b, 1999 b).
Comme il est très difficile de réfléchir constamment tout seul, la pratique réflexive incline vers un exercice du métier plus collectif et coopératif, que cela prenne la forme de la supervision, du travail déquipe, de moments partagés danalyse de pratiques ou de cercles et de démarches de qualité.
Dans cette perspective, la formation initiale ne se limite plus à lacquisition de savoirs et, de savoir-faire précis, ni même de compétences de haut niveau, mais développe une posture réflexive et des " métacompétences ", cest-à-dire des capacités dapprentissage, dauto-observation, dautodiagnostic. Cest une formation qui prépare à lautorégulation et au changement, non par adaptation forcée aux injonctions venues de lautorité formelle ou des spécialistes de lorganisation du travail, mais sous limpulsion des professionnels eux-mêmes.
Il sagit donc de former des gens capables dévoluer, de préférence en synergie avec des collègues, dans une dynamique détablissement ou de service. Cela passe par une sorte de regard de chaque praticien sur soi, ses implicites, sa culture, ses théories subjectives, ses peurs et ses obsessions, ses erreurs et illusions récurrentes, mais aussi par une lucidité plus collective sur les processus de communication, de décision, de compétition, dexercice du pouvoir, de défense de territoires qui modèlent la vie dans les organisations. Une démarche clinique de formation orientée vers une pratique réflexive devrait donner les moyens dun développement professionnel continu, personnel et collectif.
Il faut certes que la formation initiale garantisse aux débutants des bases suffisantes pour commencer leur métier sans faire trop de dégâts ni se décourager. Rien ne nuit plus à la pratique réflexive que la régression vers des stratégies de survie. La visée réflexive change cependant les priorités, elle impose de se limiter à former un " bon débutant ", pour mettre laccent sur ce qui va lui permettre dévoluer. Dans cette perspective, on défendra non seulement lidée que la formation initiale nest que le début dune formation continue ou continuée, mais une thèse moins banale : il faut développer la posture dès le début de la formation initiale, pour quelle soit demblée inscrite dans son rapport à la profession et à la complexité.
Ce nest possible que dans une formation en alternance et en forte articulation théorie - pratique, qui permette à létudiant stagiaire dêtre confronté très vite à la complexité des situations professionnelles en vraie grandeur. Il nest pas nécessaire quil se trouve demblée en pleine responsabilité, on peut aller vers une pratique dabord accompagnée, encadrée, puis de plus en plus autonome. Cela dépend des contraintes que le fonctionnement et les attentes des lieux de travail font peser sur les stagiaires.
Limportant est que la régulation à partir de lexpérience devienne lenjeu majeur, le levier et le moteur de la formation. Au fil de la prise de responsabilités, la boucle de régulation et dapprentissage devient moins serrée, car il faut assurer une action efficace. Si la posture réflexive est gage defficacité à moyen terme, laction immédiate exige souvent que la réflexion soit suspendue ou limitée à la régulation du processus en cours.
Tout ceci plaide pour une certaine continuité du modèle de formation et du modèle de fonctionnement professionnel, donc revient finalement à une vision de larticulation théorie-pratique qui dépasse la formation initiale et même la formation continue, pour constituer un rapport au métier. Il y a donc deux enjeux :
Une formation clinique nexige pas que lon parte constamment de lexpérience brute, la théorie nintervenant que dans laprès-coup. Il convient plutôt de marier différents modèles :
Dans les deux schémas, il y a alternance entre des moments daction et des moments de réflexion, tous deux étant des moments de formation. Seules les modalités changent, il y a dabord des moments de formation où lon agit, où lon interagit avec de vrais élèves, de vrais usagers, de vrais patients, en responsabilité partielle ou totale. Puis, il y a des moments plus protégés, où lon peut anticiper calmement ce qui va se passer ou analyser avec un peu de recul ce qui sest passé.
La démarche clinique ne conduit pas à imiter dans son détail le dispositif de la clinique médicale. Limportant est que, comme pour les médecins ou les psychologues cliniciens, de construire une base théorique en amont et de laffiner en aval à partir des observations et des interventions sur des cas concrets.
En médecine, traditionnellement, pendant les deux ou trois premières années lon construit les savoirs savants, psychologiques, anatomiques, pharmacologiques, etc. Par la suite, on se rend au chevet du malade, on essaye, on réfléchit à partir des cas. Il est très intéressant de voir que, dans un certain nombre de facultés, par exemple Genève et Lausanne en Suisse, Laval et Sherbrooke au Canada, on commence ce va et vient dès la première année détudes professionnelles. Il ny a plus de cours théoriques : la première semaine de la première année, on met les étudiants devant un cas, un cas simple et ils ont toute la semaine pour résoudre ce quun médecin expérimenté réglerait en une heure. On leur demande de fonctionner comme un professionnel, en leur accordant plus de temps et plus daide. Ce temps, cest évidemment celui du tâtonnement, de la lenteur dun raisonnement de débutant, ainsi que des détours et des décrochages quil leur faut consentir pour comprendre et sapproprier les notions pertinentes. Les étudiants sont projetés, avec un étayage, dans un processus continu de résolution de problèmes. Chaque problème va mobiliser les ressources théoriques, méthodologiques, didactiques, technologiques dont certaines sont à construire de toutes pièces ou à sapproprier plus profondément, parce que ce sont des ingrédients indispensables pour arriver au but.
On jumelle donc une logique daction et une logique de formation. Dans une logique daction, il nest plus temps dapprendre, le praticien est censé disposer des ressources et dans une large mesure des schèmes qui permettent de les mobiliser. Si les cas est simple, on lui demande de trouver sans tarder une réponse adéquate. Si le cas est plus complexe, on lui donne le droit de compléter ou de vérifier ses connaissances, de dentourer de conseil, mais pas au point de retourner faire des études.
Dans une logique classique de formation, létudiant commence par accumuler des ressources théoriques en vue de sen servir " plus tard ", dabord à lexamen, puis le jour où il sera, en stages, confronté à un vrai problème. Dans une démarche clinique et un apprentissage par problèmes, il faut intégrer les deux logiques : apprendre en faisant, mais surtout apprendre pour faire, pour résoudre un problème, pour comprendre une situation. On ne peut alors attendre de létudiant la rapidité et la sécurité quon exige dun professionnel.
On retrouve de telles logiques mixtes dans une business school, certes dans un autre registre de problèmes. On procède par simulation de situations dentreprise ou par études de cas. Il faut comprendre le problème du jour, le traiter et finalement prendre une décision digne dun conseil dadministration ou dun chef dentreprise, dans la journée ou dans la semaine. Par delà la diversité des contenus, la structure des démarches de formation est la même : létudiant est confronté à une situation proche dune situation réelle de travail, qui le confronte à un problème complexe, un vrai problème, peut-être un peu stylisé, un peu simplifié, un peu scolarisé, pour être gérable dans le temps imparti et adapté au niveau des étudiants, mais pas au point de devenir un exercice scolaire.
Les formateurs qui organisent de tels parcours doivent développer des savoir-faire pointus dans la construction du plan de formation, de sorte que lenchaînement des problèmes et leur complémentarité construisent peu à peu les savoirs et les compétences visées. Cest beaucoup plus difficile que daligner une série de contenus dans un cours puis denvoyer les étudiants dans un stage qui na rien à voir !
On est très loin de savoir exactement comment sy prendre. Ces démarches dépendent donc largement dune sorte dintuition, de lexpérience et de lingéniosité des formateurs. Ces derniers doivent avoir une certaine pratique de la résolution de problèmes. Ce sont des businessmen qui vont inventer de bonnes simulations, pas des théoriciens de léconomie. Ce sont des médecins cliniciens qui vont créer de bons cas cliniques, pas des spécialistes de lanatomie. Cela veut dire quon a besoin de formateurs dun nouveau genre, à la hauteur de la démarche clinique. Cela commande un investissement considérable dans la formation de formateurs et leur propre développement professionnel, fondé lui aussi, bien entendu, sur une pratique réflexive.
On a besoin également dune didactique de la formation clinique, de lapproche par problèmes, de lanalyse de pratiques. La didactique des disciplines scolaires a développé une théorie des problèmes et des situations-problèmes qui permet daffronter des objectifs-obstacles et de provoquer des apprentissages situés dans la zone proximale de développement des apprenants, donc de les aider, voire de les " contraindre " à construire de nouveaux savoirs et des compétences. Il reste à transposer ces démarches aux formations professionnelles (Perrenoud, 1999 a). On assiste par ailleurs, dans le champ de la formation des adultes, à lémergence de didactiques professionnelles (Baudouin, 2000 ; Clot, 2000 ; Geay et Sallaberry, 1999 ; Maggi, 2000 ; Paquay et al., 1996 ; Pastré, 1999, 2000 ; Raisky, 1996, 1999 ; Samurçay et Pastré, 1995).
Un renversement sopère par rapport au modèle classique, dans lequel la théorie précède entièrement laction, qui est censée la mettre en uvre. Dans la démarche clinique, la théorie fournit certes des moyens de planifier, de construire des stratégies, mais elle fonctionne toute autant comme grille de lecture de lexpérience, ex post. Elle est constamment enrichie, nuancée, remaniée par lexpérience et la réflexion sur lexpérience. Cette approche a en outre lavantage de concilier plus facilement théories savantes et culture professionnelle, savoirs dexpérience, savoirs experts et savoirs issus de la recherche.
Prenons une situation complexe où, par exemple, un enseignant a dans sa classe un élève très isolé et dont tous les autres se moquent constamment. Lélève exclu réagit par une forte agressivité, le groupe se mobilise contre lui. Lenfant isolé se mûre dans sa solitude. Il a peur daller à lécole, travaille mal, dort mal. Lenseignant et les parents sinquiètent, nul ne sait que faire. Il est évident que si lon essaie de comprendre ce qui se passe et dimaginer ce que lon pourrait faire, il faut mobiliser différentes sciences humaines, différents savoirs dexpérience, différentes façons de " pacifier " la situation. Certains enseignants expérimentés ont des clés pour ce genre de situations. Il existe aussi des spécialistes du conflit, de lexclusion, de la ségrégation, qui peuvent au moins poser de bonnes questions, même sils sont incapables dapporter une solution toute faite. On peut, autour d'un tel cas, imaginer une alliance entre des savoirs savants, notamment ceux des sciences humaines, des savoirs experts, partagés par la profession et des savoirs dexpérience plus intimes.
La démarche clinique invite à une forme particulière dinteractions didactiques et de travail sur des situations. Organiser lensemble dun parcours de formation dans cette logique, cest probablement repenser une partie des habitudes de fonctionnement des institutions de formation, notamment en matière dalternance.
Piaget disait quil faut choisir une " tête de Turc " pour développer une argumentation forte et se faire comprendre. Lidée de " formation pratique " sera ma tête de Turc. Ma thèse : aucune formation professionnelle de haut niveau, en particulier au gré dune démarche clinique, nest défendable si elle se fonde sur le " concept " de formation pratique.
Je mets concept entre guillemets, parce que ladjectif pratique désigne à la fois, dans une certaine confusion, un cadre, une dimension, une intention, une légitimité. Bref, la formule fonctionne comme caution davantage que comme outil pointu danalyse.
Toute formation professionnelle devrait être, dans son entier, une formation pratique, au sens où elle prépare à un métier. Aucune composante de la formation ne devrait pouvoir saffranchir de cette perspective, même et surtout si elle prétend donner des " bases " théoriques ou méthodologiques. Former à des compétences, cest garder constamment en tête que les savoirs sont des ressources qui doivent être transférables, mobilisables en situation, donc enseignées et apprises dans cet esprit.
Certes, on peut. au début dun long cursus, juger plus " efficace " daccumuler des savoirs théoriques ou méthodologiques de façon systématique, comme des " fondements disciplinaires ", sans se soucier de leur transfert à des situations de travail. Il est troublant, toutefois, de voir des facultés de médecine, qui ont porté cette logique à lextrême, renoncer à deux ou trois années propédeutiques de formation purement théorique pour favoriser désormais, dès le début des études, une approche par problèmes.
On peut admettre que certains spécialistes pointus dun domaine, sans expérience de la profession concernée, sautorisent à ne pas connecter le contenu de leurs cours à des situations professionnelles, selon le précepte connu (mais peu convaincant) : " Vous comprendrez plus tard lutilité de ce que je vous enseigne ". Pour lessentiel, la formation théorique et méthodologique devrait cependant faire référence au métier, non seulement comme " contexte " ou à travers des exemples épars, mais en introduisant les savoirs comme des réponses à des problèmes professionnels identifiés. En ce sens, la plupart des formateurs, même sils ont une identité " disciplinaire " ou " théorique " devraient avoir une familiarité minimale et actualisée avec le métier, même sil ne lont pas eux-mêmes pratiqué. La transposition didactique de leurs savoirs devrait senraciner dans une connaissance suffisante des problèmes et des gestes professionnels, ce qui ne les condamne nullement à proposer des recettes ou des " kits " théoriques faits sur mesure pour chaque situation.
Lidée de formation pratique ignore cette affirmation célèbre de Kurt Lewin : " Rien nest aussi pratique quune bonne théorie ". Sans modèle dintelligibilité du réel, un praticien ne peut ni comprendre les causalités quil met en mouvement, ni anticiper correctement les effets de ses stratégies ou des événements échappant à sa maîtrise. Existe-t-il des pratiques " pratico-pratiques ", dénuée, sinon de réflexion, du moins de théorie ? On peut en douter. Il se peut en revanche que la " théorie " soit faite surtout de savoirs dexpérience ou de " savoirs daction " faiblement formalisés, peu communicables et relativement pauvres quant à létendue et à la complexité des phénomènes et processus couverts.
Dans un métier de lhumain, de telles théories subjectives, enracinées dans lexpérience, conservent une certaine importance, mais elles ne sauraient suffire. La pratique sappuie sur des savoirs sociaux, que le praticien na pas découverts lui-même, même sil nest pas toujours capable den retrouver les sources savantes et den démontrer les fondements scientifiques.
Ces savoirs ne sacquièrent pas uniquement " dans laction ". Il ny a donc aucune raison de renoncer entièrement à des modes plus structurés et planifiés de construction des connaissances, sans pour autant réhabiliter les cours magistraux fondés sur une pédagogie purement transmissive. Construire des savoirs par des méthodes actives et des situations-problèmes ne veut pas dire ipso facto être confronté à des problèmes professionnels.
Il serait déraisonnable de demander à tous les formateurs dentretenir le même rapport au métier et à laction professionnelle. Certains en sont si loin quils ne peuvent guère favoriser de fortes connexions entre leur enseignement et la réalité professionnelle. Dautres en sont au contraire si près quils se limitent à intervenir dans le registre de la pratique réflexive, de linterprétation ex post ou du conseil, sans apports théoriques substantiels. Cest la posture la plus évidente pour les " formateurs de terrain ", ces professionnels qui accueillent et encadrent les étudiants stagiaires.
Entre ces extrêmes, on peut imaginer des unités de formation capables dapporter des ressources théoriques et méthodologiques en les contextualisant fortement. Cest le cas de lenseignement dit " clinique " donné par un formateur du centre sur le terrain, aussi bien que de lanalyse de pratiques et du suivi de stages.
Ces formes ne sont pas limitatives et lon peut concevoir en école des simulations, du travail sur des situations réalistes (situations de soin par exemple) ou encore du travail sur des situations-problèmes fortement inspirées du monde professionnel (Perrenoud, 1999 a).
À un extrême, les formateurs ont pour enjeu denrichir le répertoire de ressources cognitives en pensant demblée à favoriser leur mobilisation ultérieure en situation. À l'autre extrême, les formateurs visent surtout à soutenir la mobilisation en situation de ressources acquises en amont, en transformant les difficultés, voire les échecs en besoins de formation théorique ou méthodologique complémentaire.
Ces différences de posture et la division du travail de formation ne devraient pas autoriser les uns à se situer du côté de la formation théorique, les autres du côté de la formation pratique. Cela ne correspond par au caractère théorique de toute pratique complexe. Lidée de formation pratique continue à propager chez une partie des futurs praticiens un mépris de la théorie, tout juste bonne à réussir des examens et quon peut ensuite oublier pour bricoler sur le terrain. Et cela dispense les " théoriciens " de se demander comment ils pourraient enseigner leurs théories de sorte quelles soient plus aisément mobilisables dans laction.
Parler de " formation pratique ", cest récuser le modèle de la pratique réflexive, de lexpertise fondée sur des savoirs, de la compétence comme intelligence au travail armée de concepts et de savoirs, au-delà de lintuition et du bons sens.
Aucun dispositif ne peut neutraliser la résistance des formateurs au principe dune forte articulation théorie-pratique et surtout à sa mise en uvre. À linverse, il serait vain de demander à chacun de réaliser cette articulation dans le cadre dune plan de formation qui sépare cours théoriques et stages. Jai énuméré (Perrenoud, 1998 a) cinq conditions " improbables " dune alternance réussie :
Sans reprendre ici ces arguments, jinsisterai sur la nécessité de ne pas maintenir ou développer des plans de formation dans lesquels les unités de formation seraient situées soit entièrement dans les locaux de linstitut de formation (cours, séminaires), soit entièrement sur le terrain (stages). Il importe au contraire, sans en faire une règle générale, de prévoir des unités de formation à lintérieur desquelles on peut favoriser larticulation parce que les étudiants sont en alternance sur le terrain et dans linstitut de formation.
Toute unité de formation tend à se constituer en système relativement clos. Chaque stage se suffit à lui-même, de même que chaque cours. Du coup, leur mise en relation doit, à grand frais, surmonter leur tentation disolement. Ni les lieux, ni les horaires, ni les statuts différents des formateurs ne sont propices à une articulation spontanée. Si la direction du programme est forte, elle pourra imposer des liens, mais ils se déferont dès que la pression externe se relâchera.
La seule solution qui soit à la hauteur du défi est dassigne une mission darticulation théorie-pratique à chacune des principales unités de formation, en leur donnant la responsabilité à la fois de contenus théoriques et dun travail sur le terrain.
Les stages longs sont un obstacle connu à ce mode de faire, en particulier lorsque les lieux de stage sont très dispersés. Autre obstacle identifié : limpossibilité de trouver des stages de même type en parallèle, si bien que leur donner une unité thématique irait à lencontre des diverses insertions des étudiants stagiaires.
La difficulté est peut-être liée aux traditions des formateurs et aux contraintes de gestion plus quà des impossibilités pédagogiques. Rien nempêche, par exemple, dinclure un stage long - 4 à 6 mois - dans une unité de formation chargée de le préparer et de lexploiter, voire de proposer un suivi. Le système des superviseurs ou des enseignants cliniciens itinérants permet daller trouver les stagiaires sur le terrain. On peut concevoir des groupes danalyse de pratiques " de proximité ". On peut encore investir certains formateurs de terrain dun rôle plus important, en les formant dans ce sens. Enfin, les TIC permettent et permettront toujours plus des interactions à distance, par courriel puis par téléconférences et vidéo. Lidéal est sans doute dalterner à raison dune à trois semaines de travail en école, puis dune période équivalente de travail sur le terrain. Cette alternance rapprochée permet une articulation théorie - pratique plus soutenue et plus souple. Si les étudiants sont dispersés sur un vaste territoire durant un stage long, il faut composer avec ces contraintes, mais sans retomber dans la juxtaposition. Ce qui impose dincorporer chaque stage à une unité de formation plus large et complexe, avec des enjeux théorique. Une unité de formation incluant temps de terrain et temps en école, dans des proportions éventuellement fort inégales, devient non seulement responsable, mais conceptrice de lalternance durant une partie du cursus, qui peut aller jusquà un semestre. Elle devrait, compte tenu des contraintes, pouvoir imaginer le dispositif le plus fécond pour tirer parti de chaque composante et de leur articulation.
Dans ce cadre, linformation, éventuellement la formation des formateurs de terrain devient laffaire de lunité de formation. Idéalement, on peut lui demander et lui donner les moyens de constituer son propre réseau de formateurs de terrain.
Bref, tout se complique, mais cest pour la bonne cause !
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