Méthodes et problèmes

L'autobiographie

Natacha Allet et Laurent Jenny, © 2005
Dpt de Français moderne – Université de Genève

II.2.2. Véracité, conversion, exemplarité. Persistance du modèle

Au terme de cette laïcisation de l'adresse, l'autobiographie moderne peut naître. Elle garde cependant certains caractères de ses précurseurs religieux.

L'autobiographe tout d'abord nourrit l'intention de dire toute la vérité et rien que la vérité, même si la caution divine n'est plus de mise. Dans la préface à L'âge d'homme intitulée De la littérature considérée comme une tauromachie, par exemple, Leiris formule ainsi son projet: Rejeter toute affabulation et n'admettre pour matériaux que des faits véridiques [...], rien que ces faits et tous ces faits, était la règle que je m'étais choisie. (p.16) L'obédience à cette règle implique à ses yeux une mise en danger sur laquelle repose en grande partie l'analogie qu'il établit entre l'entreprise autobiographique et le rituel de la corrida.

L'autobiographe par ailleurs raconte le plus souvent une conversion, au sens laïque du terme, ou encore une transformation du sujet. On pourrait sans doute ériger en maxime de l'autobiographie la remarque que Starobinski formulait au sujet de Saint Augustin: Il ne racontera pas seulement ce qui lui est advenu dans un autre temps, mais surtout comment d'autre qu'il était il est devenu lui-même (p.119). Lejeune note explicitement à propos de Sartre, en analysant Les mots: Le nouveau converti examine ses erreurs passées à la lumière des vérités qu'il a conquises (cf. Le pacte autobiographique, p.206). Sartre ne fait pourtant pas le récit de sa conversion elle-même, il ne rapporte pas sa prise de conscience politique, mais il décrit en revanche le passage d'un état à un autre, du vide initial à la fixation de sa névrose. Et la distance ironique qu'il instaure entre le jeune héros et l'adulte revenu de sa folie est bien le signe d'une mutation essentielle.

L'autobiographie moderne possède enfin une valeur exemplaire, bien que celle-ci ne réside plus dans la foi (Augustin) ou dans la vertu (Rousseau). L'écrivain y affirme son extrême singularité, mais il la pourvoit simultanément d'une valeur collective. Sartre entre autres achève le récit de son existence par cette formule significative: Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n'importe qui. L'autobiographie en somme invite implicitement à une imitation qui rappelle là encore une attitude religieuse (la reviviscence des actes et des pensées du Christ), mais sous une forme laïcisée.

Edition: Ambroise Barras, 2005