Méthodes et problèmes

L'œuvre dramatique

Danielle Chaperon, © 2003-2004
Dpt de Français moderne – Université de Lausanne

II.1.2. Renversement ou conflit

Pour Aristote, l'agencement des faits (l'intrigue formant un tout et comportant un commencement, un milieu et une fin) s'organisait autour d'un élément indispensable à toute tragédie: le renversement – du bonheur au malheur de préférence. C'est ce renversement qui, bouleversant le destin des personnages, suscitera chez le spectateur, la terreur et la pitié. On constate donc que, dans La Poétique, la notion de conflit est absente. C'est à Hegel et à son Esthétique que nous devons une autre conception du drame clairement fondée sur le choc des valeurs, l'opposition des caractères et la violence des dialogues. Cette vision est pourtant en germe dans la dramaturgie classique française (particulièrement dans la comédie) mais elle se fortifiera surtout au long du XVIIIe siècle. Le Père Le Bossu, glosant hardiment Aristote, pouvait déjà écrire dans son Traité du poème épique (1707):

Dans les causes d'une action, on remarque deux plans opposés: le premier et principal est celui du héros, le second comprend les desseins qui nuisent au projet du héros. Ces causes opposées produisent aussi des effets contraires, savoir des efforts de la part du héros pour exécuter son plan, et des efforts contraires de la part de ceux qui le traversent. Comme les causes et les desseins, tant du héros que des autres personnages du poème, forment le commencement de l'action, les efforts contraires en forment le milieu. C'est là que se forme le nœud ou l'intrigue, en quoi consiste la plus grande partie du poème.

L'article Action de l'Encyclopédie, rédigé par l'abbé Mallet, adoptera et citera cette définition. L'abbé Batteux, dans Les Beaux-Arts réduits à un même principe (1746), distinguait quant à lui plus simplement: 1° une entreprise (le commencement), 2° des obstacles (le milieu), 3° le succès ou l'échec (la fin).

Aux XIXe siècle, le théâtre explorera un nouveau type de conflit, non plus intersubjectif mais intrasubjectif: les conflits intérieurs. Freud distingue ce qu'il appelle le drame psychologique (qui oppose deux mouvements intérieurs conscients) et le drame psychopathologique (où s'affrontent un mouvement conscient et une pulsion inconsciente). Dans la seconde moitié du XXe siècle, le conflit disparaît à mesure que seront déconstruites successivement les notions d'intrigue, de personnage et de dialogue.

Edition: Ambroise Barras, 2003-2004