Méthodes et problèmes

L'œuvre dramatique

Danielle Chaperon, © 2003-2004
Dpt de Français moderne – Université de Lausanne

V. Esthétique et évolution des formes

V.1. Mode dramatique et genre théâtral

Dans ce qui précède, le présentateur est souvent apparu plus contraint et moins mobile que son concurrent le narrateur. Mais n'oublions pas que pour Aristote et ses héritiers, le mode dramatique puise précisément son énergie dans ce qui semble d'abord être des handicaps. L'Abbé d'Aubignac insiste par exemple sur le statut synecdochique de l'œuvre dramatique qui par la représentation d'une seule partie faire tout repasser adroitement devant les yeux des spectateurs (Abbé d'Aubignac, La Pratique du théâtre). Ce discours se retrouve aujourd'hui dans la bouche de Peter Brook:

On va au théâtre pour retrouver la vie mais s'il n'y a aucune différence entre la vie en dehors du théâtre et la vie à l'intérieur, alors le théâtre n'a aucun sens. Ce n'est pas la peine d'en faire. Mais si l'on accepte que la vie dans le théâtre est plus visible, plus lisible qu'à l'extérieur, on voit que c'est à la fois la même chose et un peu autrement. À partir de cela on peut donner diverses précisions. La première est que cette vie-là est plus lisible et plus intense parce qu'elle est plus concentrée. Le fait même de réduire l'espace, et de ramasser le temps, crée une concentration.

Brook 1991, 20, je souligne.

Cette forme concentrée, parce qu'elle se tient au plus prêt des exigences du mode, c'est ce que Peter Szondi appelle le drame absolu et qui ne se réalise pleinement qu'à l'époque classique. Dans le même esprit François Regnault ajoute:

Nous devons le théâtre de tous les temps à cette extraordinaire invention de faire parler des personnages sur une scène dans des situations données. Le moment où cette forme a triomphé le plus est le moment où l'on a décidé que les personnages qui étaient là disaient cela en temps réel, sur le lieu théâtral: cela donne la règle des trois unités qui est une invention géniale et qui n'a rien à voir avec ce que l'on en raconte dans les classes concernant le Cardinal de Richelieu et des difficultés de Corneille avec Le Cid. L'invention du théâtre classique français, qui a défrayé la chronique dans toute l'Europe Occidentale pendant deux cents ans, est un théâtre qui vous dit que l'espace et le temps sont infinis et que vous les avez, réduits sur la scène, devant vous, pendant les deux heures de la représentation.

F. Regnault 2001, 162, je souligne.

Tout cela ne veut pas dire que la soumission aux exigences du mode dramatique soit le destin du genre théâtral. Pour Peter Szondi, l'hybridation est un trait caractéristique du Drame moderne (depuis la fin du XIXe siècle) qui s'enrichit d'emprunts au mode épique. Mais cette tentation de l'épique semble à d'autres constitutive: l'histoire du théâtre [est] constamment retravaillée par le retour de l'épique, dira Regnault, c'est quelque chose qui est congénital à l'essence du théâtre. Le retour de l'épique signifie que le poète parle en son nom propre. [...] Ces formes épiques ont existé dans tout le théâtre grec, même après l'invention de la tragédie (Regnault, 2001, 162). En effet, le mode épique – et la présence d'un auteur ou d'un narrateur – persiste dans l'usage du monologue, de l'aparté et de toutes les formes d'adresse au public. Brecht ne ferait, en somme, qu'accentuer ce caractère.

Edition: Ambroise Barras, 2003-2004