Olivier
MAULINI
Université de Genève
Faculté de psychologie et des sciences de
l'éducation
22 mars 2002
Texte paru dans l'Educateur (n°4), rubrique Sacré Charlemagne (L'école, idée folle ?).
Un enseignement fondé sur " lapprentissage actif et le travail en équipe ". Une pédagogie sappuyant sur " les connaissances, les compétences, les expériences et les initiatives personnelles de lenfant ". La création dun environnement " favorable au jeu " et proposant des " activités intéressantes ". Des méthodes pédagogiques " centrées sur les élèves ", abordant les différentes matières " de leur point de vue " pour susciter des " recherches " et des " discussions ". Une évaluation - verbale ou chiffrée - qui doit dabord " soutenir et guider les élèves de manière positive ". Un enseignement fondamental ne pratiquant " aucune sélection " jusquà 16 ans. La volonté de " promouvoir légalité " et " la participation des élèves ". Un pouvoir de décision " de plus en plus délégué au niveau local ".
Doù vient cette apologie des pédagogies actives et interactives, de la participation des élèves, de lévaluation formative, des filières hétérogènes, de la décentralisation ? Dun système scolaire décadent, égaré par ses bonnes intentions, condamné au nivellement par le bas ? Non. Elle vient de Finlande (www.edu.fi), le pays dont " la performance sur léchelle combinée de compréhension de lécrit est supérieure à celle de tous les membres de lOCDE " (www.pisa.oecd.org).
Le Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA 2000) a subi le sort que subissent les statistiques : nous lui avons tout fait dire. Tout et nimporte quoi si nécessaire. On a beaucoup débattu pour savoir si lenquête était fiable, si elle était scientifiquement fondée, si elle évaluait les bonnes compétences, si elle posait les bonnes ou les mauvaises questions. Le rapport est lui-même très nuancé : il montre que les écarts sont moins importants entre les différents pays quà lintérieur de chacun deux ; quune même moyenne peut cacher des disparités plus ou moins grandes ; que certains établissements assument mieux que dautres lhétérogénéité des élèves ; bref : que linégalité devant lécole nest pas une fatalité, mais " quaucun facteur isolé ne fournit de solution miracle ". Les auteurs réfutent à lavance les jugements réducteurs, et ils concluent que seules des " analyses plus approfondies " pourront " faire la lumière " sur les relations des cause à effet.
Si le rapport prend de telles précautions, cest quil y a deux façons bien différentes de trouver la lumière. La première est de loin la plus économique : il suffit de croire sur parole les esprits supérieurs et clairvoyants qui prétendent que " les choses sont cette fois-ci assez limpides et lisibles pour tout le monde ", que le rapport existant suffit à " jeter une lumière crue sur les inadmissibles faiblesses de notre système scolaire " et sur " vingt ans de réformes qui ont voulu mettre lélève au centre " (www.arle.ch).
La seconde façon est forcément plus coûteuse, puisquelle préfère le trouble du questionnement à laplomb du jugement. Par exemple : si une pédagogie " centrée sur les élèves " est la condition nécessaire et suffisante du déclin scolaire, comment expliquer le succès finlandais ? Première hypothèse : lenquête sest fourvoyée. Mais alors, pourquoi sy fier ? Deuxième hypothèse : les enfants de Lahti sont plus éveillés que ceux de Pully. Faut-il les expatrier ? Troisième hypothèse : lhistoire, la langue, la culture, les conditions économiques et sociales, le rapport à la lecture et léducation en général ont un impact positif sur lécole finlandaise. Mais dans ce cas, où est sa force, et où sont nos " inadmissibles faiblesses " ? Dernière hypothèse : nos collègues finlandais sont moins sots que nous. Les injonctions des ministères, nous les appliquons sans réfléchir, mais eux, ils désobéissent. Lorsquun expert vient leur expliquer ce quils doivent penser, ils demandent à voir ce qui est supposé " limpide ", à lire ce qui est supposé " lisible ". Ils étudient les textes et les graphiques pour se faire leur propre opinion, croiser les facteurs, complexifier les problèmes, équilibrer les solutions. Evidemment, ils ont peu de mérite : dabord, ils sont forts en lecture et en mathématique ; et puis chercher, discuter, participer, prendre des initiatives, en Finlande, ce nest pas désobéir. Cest ce que demande le ministère.