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Construire un
référentiel de compétences
pour guider une formation professionnelle
La compétence comme mobilisation située de ressources cognitives guidant la décision et laction
Comment fixer les objectifs dune formation professionnelle ? Idéalement, en analysant le métier auquel on prétend préparer et en identifiant, à partir des pratiques, les compétences, les capacités, les savoirs, les postures, les attitudes nécessaires.
Lorsquun artisan forme un unique apprenti, il a le privilège de tout avoir en tête, sans être tenu de le formuler, encore moins de le concerter avec dautres formateurs. Il peut renoncer à expliciter les compétences visées. Elles nexistent alors quen creux, à travers ce quil montre, les conseils quil donne, les jugements quil porte sur le travail de lapprenti. Un tel formateur peut avoir limpression de savoir parfaitement à quelles maîtrises il forme sans avoir une seconde lobligation délaborer un référentiel. Dune certaine manière, il incarne lobjectif.
Les choses se compliquent lorsque la formation implique un ensemble de formateurs qui sinscrivent dans un plan de formation. Même alors, on peut se passer dun référentiel, en confiant aux responsables de la " formation pratique " le soin dincarner le modèle professionnel, les autres formateurs se bornant à développer des connaissances et des capacités spécifiques.
Pourquoi veut-on, aujourdhui, expliciter les compétences visées en fin de parcours ? Il peut y avoir une raison tactique : lorsque les écoles sont soumises à un contrôle, dont dépend leur financement ou la reconnaissance de leurs diplômes, elles ont intérêt à adopter un référentiel négocié avec les institutions de tutelle et le champ professionnel, ce qui leur laisse une relative autonomie dans la construction des programmes proprement dits.
Disposer de référentiels explicites, construits sur des bases comparables, permet aussi de rapprocher des métiers voisins sur des bases solides et de raisonner sur le degré de spécialisation et la part commune des formations, ou déventuelles passerelles.
Sans négliger ces " bénéfices secondaires ", rappelons toutefois que la raison dêtre dun référentiel de compétence est ailleurs. Le référentiel est la clé de voûte dune bonne architecture curriculaire, fondée sur la description précise des pratiques professionnelles de référence comme base de leur transposition didactique en un plan de formation (Perrenoud, 1998). Il est dautant plus nécessaire dexpliciter les compétences visées que lon veut leur donner un " droit de gérance " (Gillet, 1987) sur les contenus. On sait que labsence de référentiel favorise une hypertrophie des connaissances disciplinaires au détriment du développement des compétences (Tardif, 1996). Rien en effet, sinon les appétit des autres, ne vient arrêter leur boulimie.
Il ne sagit aucunement de tourner le dos aux savoirs. La compétence se manifeste certes dans laction, laction maîtrisée (Le Boterf, 1994). Or, cette maîtrise suppose la mobilisation en contexte, à bon escient et en temps utile, de multiples ressources cognitives, celles qui permettent de prendre une décision judicieuse, de résoudre un problème, dagir adéquatement. Sans ces ressources cognitives, parmi lesquelles des savoirs, des capacités, des informations, les conditions nécessaires de la compétence ne sont pas remplies. Toutefois, posséder ces ressources ne suffit pas. l faut encore que lacteur soit capable de les mobiliser en situation réelle, souvent dans lurgence, le stress, lincertitude et sans disposer de toutes les données idéalement requises.
On considère volontiers que la compétence donne sa pleine mesure dans des situations complexes et inédites, mais noublions pas quune partie de lexpertise consiste aussi à régler rapidement et de façon économique des problèmes de routine, en réinvestissant des solutions qui, à lorigine, nétaient ni simples ni évidentes. Un professionnel a besoin de compétences pour affronter la part de neuf et dimprévisible, mais il sen sert aussi, différemment, pour assurer une action efficace dans des situations plus banales.
La mobilisation des ressources cognitives reste en partie une énigme. Elle exige sans doute du bon sens et de lintelligence, mais sy ajoute une forme dexpertise spécifique, quon appelle parfois " intelligence professionnelle " (Carbonneau et Hétu, 1996) ou " intelligence au travail " (Jobert, 1999), pour souligner que les raisonnements professionnels ne sont pas la simple application de la logique aux situations, quils actionnent des " schèmes opératoires " spécifiques. Pour Le Boterf (2000), un professionnel. " doit construire et posséder des schèmes qui le rendent capable de mobiliser en temps opportun des combinatoires appropriées de ressources ". Il précise à travers quelques exemples sa conception du schème opératoire :
Un schème opératoire peut être plus ou moins complexe. Il peut être constitué d'une combinaison de schèmes plus élémentaires. Cela correspond à ce que nous observons dans l'évolution du concept de compétence. Dans une organisation du travail taylorienne, une compétence se réduit le plus souvent à un savoir-faire. Le schème qui sous-tend l'action ne peut être alors qu'un schème élémentaire. C'est le canevas d'un geste professionnel. Lorsqu'il s'agit de conduire une installation industrielle automatisée en anticipant les pannes et en faisant face aux aléas, le schème revêt alors une certaine complexité. Il induit plusieurs schèmes relatifs à des savoir-faire plus limités : vérifier les paramètres, changer les outillages, interpréter un indicateur Conduire et conclure une négociation commerciale en prenant en compte une multiplicité de critères ne peut guère prendre appui sur un schème élémentaire. Le schème est alors celui d'un savoir agir.Le schème est la trame qui permet de construire une combinaison dynamique de ressources (connaissance, savoir-faire qualités, culture, ressources émotionnelles, savoirs formalisés réseaux d'expertise... ). Cest en fonction du schème et de son évolution quelle sera sélectionnée et quelle prendra place dans une architecture. Celle-ci ne doit d'ailleurs pas être comprise comme un agencement mécanique, comme une juxtaposition de pièces à la manière d'un jeu de lego ou d'un meccano. La compétence ne se construit pas comme un mur de maçonnerie et les ressources ne sont pas comparables à des briques. Méfions-nous de la maçonnerie cognitive (Le Boterf, 2000, p. 70).
Sappuyant sur Vergnaud (1990, 1994, 1995, 1996), prolongeant lui-même Piaget, Le Boterf rejoint lidée que la compétence relève de lhabitus comme " système de schèmes ", grammaire génératrice de pratiques. (Perrenoud, 1996, 2001).
Nous savons désormais (Tardif, 1999) que la mobilisation et le transfert de ressources ne sont pas donnés " par dessus le marché ", quil faut les entraîner, les exercer, les développer par la pratique à défaut de pouvoir les enseigner directement. Il ne suffit plus aujourdhui de confier aveuglément cette mission aux stages ou à des modules de " formation pratique ", cest laffaire de tous les formateurs, de lensemble du parcours de formation (Perrenoud, 2000 d).
Il reste à comprendre comment ces schèmes de mobilisation se développement, se stabilisent tout en continuant à évoluer, à se différencier, à se complexifier, à se coordonner avec dautres. Sachant que tant la genèse des schèmes que leur fonctionnement dans laction échappent en bonne partie à la conscience du sujet et sont donc difficiles à identifier. Laction réussie, qui témoigne de la compétence, ne dit rien en effet des opérations mentales qui ont permis de choisir et de combiner des ressources pertinentes en temps réel.
Or, cette responsabilité collective ne peut être assumée si aucun référentiel ne désigne clairement les compétences visées à lissue de la formation initiale ou sil apparaît peu fondé ou faiblement utilisable. Alors, prendra le pas :
Cela ne signifie pas quil faille, au moment de construire un programme professionnel, demander à chaque unité de formation de développer entièrement une compétence et une seule. Ce schéma ne convient, à la rigueur, quaux formations de bas niveau, chaque module développant alors plutôt une capacité quune compétence. Dans une formation qualifiée, les compétences font nécessairement appel à des connaissances et des capacités multiples, travaillées en général dans diverses unités de formation, à charge pour chacune de contribuer à lexercice de leur mobilisation.
Sans doute les modules à dominante théorique ou méthodologique seront-ils appelés en priorité à faire construire des ressources, des connaissances, mais aussi des capacités spécifiques. Cela ne les libère pas de toute responsabilité quant à lentraînement à leur mobilisation. À linverse, les modules de stages, de travail sur des situations complexes ou danalyse de pratique auront la tâche prioritaire de travailler la mobilisation, sans pour autant renoncer à consolider, élargir ou nuancer les connaissances ou les capacités mobilisées. Limportant est de pouvoir dire, dans larchitecture dun plan de formation :
Cest de cette façon quon sassurera que toutes les compétences sont effectivement travaillées dans le parcours de formation. Le critère déterminant de régulation dun cursus professionnel devrait être la recherche de cohérence entre ses finalités et son architecture modulaire. Cette cohérence ne peut être garantie sans explicitation des compétences visées et des ressources quelles mobilisent. Le référentiel est donc bien plus quun " préambule " ou une annexe du plan de formation, cest un véritable outil de conception ou dévaluation dun cursus de formation professionnelle.
Ne nous leurrons pas : adopter cette perspective oblige à affronter des problèmes théoriques et méthodologiques difficiles, qui sont loin dêtre tous résolus. Les notions de compétence, de ressource, de mobilisation ne font pas lunanimité. Les divers types de ressources sont en débat. Au-delà des problèmes conceptuels, il reste à passer de la définition du concept de compétence à linventaire des compétences effectivement requises par tel ou tel métier. Ce qui amène à introduire la notion de situation professionnelle et à adopter une méthode de constitution de familles de situations appelant une compétence spécifique.
Je tenterai ici de mieux cerner certains des obstacles théoriques et méthodologiques qui se présentent alors.
Il y a en général sur lidée de partir du travail pour en inférer les compétences requises. Jai proposé (Perrenoud, 2000 d) de concevoir la compétence comme maîtrise globale dune situation, ce qui la distingue dune capacité qui, elle, ne sous-tend quun geste ou une opération spécifique.
La compétence comme maîtrise globale dun type de situation
Un médecin de ville reçoit ses patients, les salue, les interroge le cas échéant sur leurs raisons de consulter, les questionne et les examine, fait le point sur leur état de santé (douleurs, symptômes, état général, etc.), pose ou ajuste sil le peut un diagnostic plus ou moins assuré, prescrit un traitement ou des examens plus approfondis, fixe un nouveau rendez-vous et prend congé. A ce niveau de description, on peut avoir limpression que toute les consultations se ressemblent et exigent une seule compétence : mener une consultation.
À linverse, si lon observe les interactions de plus près, on se rend compte que chaque patient est un cas différent, par sa pathologie, son histoire, sa personnalité, sa façon dentrer en relation, sa capacité de comprendre et dassumer ce qui lui arrive, sa coopération aux examens et aux traitements, sa fiabilité dans ce qui relève de sa discipline personnelle (régime, fumée, etc.). Dans son détail, linteraction nest donc jamais la même.
Entre une impression de forte répétition, qui naît de la trame assez stable du déroulement de toute consultation et la singularité de chacune, il importe de trouver un niveau optimal de description, qui fasse partiellement abstraction du détail des contenus et de la spécificité des problèmes rencontrés. Dès que lon entre dans le détail, chaque patient est singulier, chaque situation originale. Cela ne signifie pas quil ny ait entre elles rien de commun. Un médecin construit inévitablement, comme nimporte quel praticien, des " familles logiques " de patients, mais aussi et surtout de situations analogues.
En effet, un médecin nest pas confronté à une personne seulement, mais à une situation, un contexte daction dont le patient fait partie. Il est 11 heures du matin, le chirurgien est pressé car on lattend à lhôpital, il a en face de lui un patient quil a opéré il y a presque un an, qui est toujours en rééducation. Cest un artisan de 45 ans, père de deux adolescents. Le chirurgien doit lui dire quau vu des progrès très lents et limités depuis six mois, il ne retrouvera sans doute jamais le plein usage de sa main et devra donc changer de métier. Le chirurgien pressent que les conséquences identitaires, économiques et familiales de cette mauvaise nouvelle vont susciter une forte angoisse. Mais les émotions, ce nest pas son domaine, il ne sait pas comment le patient va réagir, ni que lui dire. Sil se ferme, serre les dents et refoule toute émotion, ce sera plus simple, le médecin sera à lheure à lhôpital, même sil se sent un peu coupable. Si le patient seffondre, ne veut pas croire ce quon lui dit, exige des explications, se révolte ou demande une forte prise en charge psychologique, le médecin assumera cette composante de son métier et offrira de laide, sans avoir le sentiment dêtre très adéquat.
Dans son détail, une telle situation est unique, mais dans la vie dun chirurgien, elle en évoque dautres, assez proches : lannonce dun handicap durable, au moment où lespoir dune guérison complète sévanouit ; le passage du traitement médical actif à un registre non strictement médical. De la même manière, un chirurgien esthétique est régulièrement confronté à des patients qui exigent des opérations très chères dont la pertinence ne simpose pas. Un cardiologue à des patients qui ne veulent renoncer à aucun aspect de leur mode de vie alors même quil les conduit à linfarctus, un psychiatre à des patients tentés de fuir au moment même où la conversation sapproche de la souffrance qui les amène en consultation.
On peut bien sûr trouver des exemples équivalents dans nimporte quel métier. Un enseignant, par exemple, est confronté plusieurs fois dans sa carrière à des enfants hyperangoissés, qui ont tellement peur de se tromper quil narrivent pas à apprendre ; ou à des parents qui soumettent leur enfant à un contrôle et à des pressions insupportables ; ou à un groupe traversé de conflits prêts à éclater au moindre prétexte. Une infirmière est régulièrement confrontée à un patient qui supplie quon calme sa douleur, alors que la dose limite est atteinte. De même, un travailleur social est confronté souvent à une personne qui le mène en bateau et lui fait la main sur le cur des promesses quil na pas lintention de tenir.
Lexpérience dun métier peut sanalyser comme une suite de situations de travail, chacune appartenant à une famille logique qui appelle une stratégie appropriée, y compris une décision de non intervention, une posture dattente ou dobservation. La spécificité dun métier tient autant à léventail des types de situations rencontrées quaux actions à mener et aux décisions à prendre dans chacune.
Cette apparente simplicité cache de nombreux problèmes. Je nen mentionnerai que deux :
1. Qui définit la situation ?
2. Quest-ce au juste une situation ?
Une vision constructiviste des situations
Pour les sociologues, cest en dernière instance le sujet qui définit la situation. Cela ne veut pas dire quil linvente sans contraintes, quil ny a " rien dobjectif " dans une situation. Le sujet a cependant le pouvoir de construire une représentation de la situation qui dépend autant de lui que des données " objectives ". Devant un artisan forcé de renoncer à son métier en raison dun handicap de la main, des professionnels différents nauront pas le même regard : un médecin, un psychologue, un physiothérapeute, un spécialiste des assurances, un collègue de travail, un conseiller en orientation professionnelle nanalyseront pas les données de la même façon, se sentiront diversement concernés et compétents.
Des différences plus subtiles sétabliront entre praticiens du même métier, par exemple entre deux médecins ou entre deux conseillers en orientation. Enfin, le même médecin se représentera les mêmes données cliniques différemment selon le contexte, lhistoire du patient et de la relation thérapeutique, la disponibilité, la fatigue, le stress du praticien, son rapport au patient à ce moment-là.
Un philosophe pourrait affirmer que tout sujet en état de veille se trouve " objectivement ", à chaque instant de sa vie dans une situation singulière et fugitive, caractérisée par un lieu, la présence de certains objets, lintervention de certains acteurs, lirruption de certains événements. De ce point de vue, à chaque instant correspondrait une " autre " situation. Dans sa vie quotidienne, nul philosophe ne survivrait à un tel zapping. Les situations se renouvellent, certes, mais chacune " dure " aussi longtemps que certains éléments que lacteur juge significatifs ne changent pas.
Quand et pourquoi un acteur a-t-il limpression que la situation a évolué ou quil vit une situation " nouvelle " ? Pour le savoir, il faut prendre en compte sa " construction subjective du réel ", qui dépend de ses désirs, de ses peurs, de son identité, de son rapport au monde, des informations et des connaissances dont il dispose, du projet quil poursuit, des rapports sociaux dans lesquels il est engagé, du temps qui passe. Attendre quelquun qui a un retard de cinq minutes et attendre encore la même personne vingt minutes plus tard sont des situations différentes, quand bien même rien nest arrivé entre ces moments. La signification possible du retard et la patience déclinante de celui qui attend suffisent à modifier la situation.
Bref, le découpage du flux continu de lexpérience en situations distinctes des précédentes procède lui-même dune construction. Lêtre humain est surtout sensible aux ruptures. Aussi longtemps quil y a permanence des acteurs, du cadre et des enjeux de laction, des échéances et des moyens daction, lacteur peut avoir limpression de vivre la même situation. Si bien que, pour lui, certaines situations durent quelques secondes, dautres plusieurs minutes, plusieurs heures ou plusieurs semaines. La " durée " dune situation dépend à la fois de la stabilité des paramètres et des interlocuteurs, de la permanence du problème, de lampleur ou de lurgence de laction éventuelle à mener.
Dans les métiers de la surveillance, par exemple, où il faut détecter de petites variations, il importe que lopérateur identifie très vite et finement une configuration nouvelle des paramètres, un bruit, une vibration, une alarme, appelant une action nouvelle. Dans dautres métiers, lessentiel est que lopérateur distingue des situations qui appellent des actions différentes ou relèvent dintervenants distincts.
Une construction entièrement subjective des situations perturberait lorganisation du travail. Cest pourquoi le travail prescrit sefforce de normaliser la définition même des situations, par des procédures didentification et de description. Exemple : lorsquun usager, au guichet dune poste, veut retirer un colis, cest une situation, qui appelle lapplication de certaines règles : contrôle de lidentité, signature dun reçu, etc. La demande de percevoir un mandat est une situation différente.
Une complexité supplémentaire vient du fait que les acteurs gèrent plus dune situation en même temps. Parfois parce quils sont, comme un grand joueur déchec, en train de mener plusieurs parties en parallèle. Dans nombre de métiers, on se trouve engagé simultanément dans plusieurs systèmes daction.
Enfin, ce qui ne simplifie pas le tableau, lêtre humain est capable demboîter les situations comme des poupées russes (Perrenoud, 1996), les plus " micro " se développant sur un temps court, les plus " macros " durant beaucoup plus longtemps et appelant une stratégie à long terme, les secondes " contenant " en quelque sorte les premières, au double sens de linclusion et de la contention. Il y a divers niveaux intermédiaires. Ainsi, un médecin peut-il considérer le traitement dun patient comme une macro situation, qui correspond à louverture et au suivi dun dossier, à linstauration et au déploiement dun contrat thérapeutique. Chaque consultation forme alors, à lintérieur de ce contrat, une situation plus limitée, qui peut sanalyser à son tour en un enchaînement de micro situations correspondant aux divers moments de linteraction et aux problèmes à résoudre successivement : recréer le contact, retrouver les éléments du dossier, mettre à jour les informations, actualiser le diagnostic et le pronostic, prendre de nouvelles décisions.
Dans un métier complexe, un référentiel de compétences ne saurait donc renvoyer à des situations entièrement indépendantes les unes des autres, puisquelles ont des rapports dinclusion et que les situations les plus stratégiques gèrent lenchaînement et la mise en cohérence des situations quelles englobent.
A la question " Quest-ce quune situation ? ", on répondra en fin de compte : cest ce que le praticien considère subjectivement comme une situation, en fonction de sa propre façon de découper le flux des événements, de définir les enjeux et demboîter les poupées russes.
Des situations problématiques, qui appellent une action
La construction subjective de la situation est influencée par les implications quaura telle ou telle interprétation. Juger une situation problématique crée une responsabilité et appelle un investissement. Mais cela peut aussi donner un droit de regard ou un pouvoir dintervention. Entre " il ne se passe rien de neuf " et " il convient dagir ", le choix est en partie tactique. Cest dailleurs pourquoi la construction de la situation fait lobjet de transactions sociales dès que plusieurs intervenants potentiels sont concernés. Le caractère problématique dune situation nest pas toujours facile à déterminer. Si plusieurs personnes sont concernées, elles peuvent apprécier différemment les indices et les risques et saffronter sur lopportunité dagir ou sur ce quil convint de faire.
Dans les situations professionnelles, lorganisation et la division du travail apportent en principe une réponse à la question de savoir quelles situations appellent une action, une intervention de tel ou tel opérateur. Cette réponse prend la forme de ce quon appelle parfois un savoir conditionnel : il permet dobserver certains indicateurs et de déterminer à partir de quel seuil il faut sinquiéter ou agir. En soins infirmiers, dans une raffinerie, dans la prévention du banditisme ou sur les marchés financiers, les indices, les seuils et les actions ne sont pas les mêmes, mais la compétence professionnelle consiste notamment à savoir quand il faut passer à laction et quelle action il faut engager dans tel ou tel type de situation.
Lintervention sinscrit dans une économie des gestes professionnels et des normes de réciprocité, de respect des territoires et bien dautres contraintes. Ainsi, devant une machine en panne, appelé à laide, un technicien de la maintenance na apparemment guère le choix : son rôle est de réparer, cest de lui quon attend une action appropriée. Lanalyse des rapports concrets entre les opérateurs de machines et le personnel de maintenance montre pourtant que la situation se négocie, en fonction du nombre de sollicitations et du degré de paralysie de la production. Bref, une panne de machine nest pas une réalité entièrement objective, ses incidences prêtent à interprétation et la question de savoir sil y a vraiment un problème et de qui cest le problème fait lobjet dune transaction. Le jeu de lhomme noir ou de la " patate chaude " nest rien dautre quune façon de " refiler " un problème embarrassant au maillon le plus faible.
Il y a, dans le monde du travail le plus codifié, des ambiguïtés et des négociations sur la définition des situations et sur leur caractère plus ou moins problématique. Certaines se produisent dans un no mans land, si bien que personne ne se sent responsable de les estimer problématiques, donc de les traiter. Dautres situations - par exemple dans les métiers de la surveillance - sont difficiles à déchiffrer. Elles provoquent lintervention des plus angoissés, ou de ceux qui sennuient, alors que dautres les ignorent. Dans les situations dont la lisibilité est faible ou dont les pronostics dévolution peuvent différer fortement, le pessimiste imagine le pire et intervient, alors que loptimiste attend que lincendie samplifie pour agir.
Lappréciation est subjective, mais elle est influencée par les représentations sociales. La formation, la socialisation et la culture professionnelles structurent la perception des situations de travail les plus typiques et garantissent au sein dune organisation ou dune profession une relative homogénéité de définition et donc de traitement des situations problématiques. Dire que le sujet construit la situation nest donc pas dire que sa construction est entièrement originale. La plupart du temps, elle emprunte au contraire au sens commun ou à la culture professionnelle.
Dans cette optique constructiviste, il est évident que les capacités et les savoirs du praticien sont déjà en jeu dans la définition et linterprétation des situations, bien avant dêtre à luvre dans leur traitement. Les travaux sur la résolution de problèmes (problem solving) ont depuis longtemps mis en évidence limportance, en amont, de lidentification du problème (problem setting). On peut lentendre en un sens assez large, comme la capacité de décider si une situation doit être considérée comme problématique, si elle appelle une décision ou une action appropriées. Reste alors à décider de qui lintervention est laffaire
Toute typologie vise à standardiser lanalyse des situations problématiques et leur traitement Toutefois, en dépit de ces outils conceptuels, lopérateur reste partiellement autonome.
Gestion globale des situations par appel à des ressources multiples
Quand un médecin reçoit un patient, il doit savoir relire ses notes, décoder une radio, mesurer la pression, examiner une plaie, être sensible à la douleur quil inflige, retrouver un symptôme ou un médicament dans un ouvrage, rédiger une ordonnance, prononcer des paroles rassurantes, expliquer ce qui se passe, etc.
Toutes ces opérations précises, quon peut entraîner comme telles en formation, une par une, ne dispensent pas le praticien de gérer globalement la situation dinteraction et lenchaînement des opérations mentales, techniques ou relationnelles à mener en parallèle ou en succession durant un temps limité.
Le travail confronte à des situations ou des familles de situations de même structure, situations que le sujet est censé maîtriser dans leur globalité pour assurer un résultat. À cette fin, il doit mobiliser et orchestrer, en parallèle et/ou en succession, un ensemble de capacités, de savoirs, dinformations. La compétence renvoie alors à la maîtrise globale de la situation, donc à lorchestration dun nombre plus ou moins important de ressources cognitives acquises au préalable, au gré de formations ou dexpériences antérieures.
La définition de la compétence se réfère dabord à une catégorie de situations et à ce que représente une maîtrise honorable, compte tenu des résultats attendus, des contraintes, des règles à respecter. Mais lidentification de la compétence nest pas complète si lon ne peut dire à quelles ressources cognitives elle fait appel. Ces dernières sont de divers types :
Ces distinctions sont évidemment sujettes à discussion. Elles importent surtout pour souligner la diversité et lhétérogénéité des ressources cognitives mobilisées, limpossibilité de les réduire à des savoirs, ou même à des capacités opératoires.
Lorsquon construit un référentiel de formation professionnelle, il me semble indispensable dassocier immédiatement un ensemble de ressources à chaque compétence. Ce qui conduira à identifier :
Lélaboration dun référentiel de compétences dans le cadre dun métier se heurte donc à un triple obstacle :
On sexpose donc inévitablement à des risques de schématisation, de simplification des fonctionnements individuels. Toute formation initiale se réfère à une pratique abstraite, stylisée, qui ne correspond à daucune personne " en chair et en os ", mais représente un compromis entre, dune part, une " moyenne " des pratiques attestées et, dautre part, un idéal, une forme dexcellence, celle dont sont censés sapprocher les meilleurs professionnels. Il faut donc prendre son parti de la simplification, tout en essayant de lui conférer une certaine représentativité.
Des situations spécifiques, problématiques et emblématiques
Sagissant des compétences, il nest sans doute pas indispensable que toutes les situations professionnelles soient prises en compte. Les unes sont trop rares pour justifier un entraînement spécifique. Dautres nexigent que du bon sens, une certaine intelligence et le partage dune culture locale, car ce sont des situations proches de la vie hors travail : accueillir un visiteur, dissiper un malentendu, accorder une dérogation, expliquer un usage, etc.
On devrait donc se limiter à des situations spécifiquement professionnelles, problématiques et emblématiques :
On peut imaginer une démarche très inductive, procédant par enquête auprès de nombreux praticiens :
On peut, à linverse, demander à des groupes de professionnels didentifier directement des situations qui leurs paraissent à la fois spécifiques, problématiques et emblématiques, en donnant de ces concepts une définition et des illustrations suffisantes pour standardiser les interprétations.
On peut combiner les deux méthodes. Dans tous les cas, le référentiel qui en résultera contiendra une part darbitraire. Cest pourquoi, quel que soit son mode de fabrication, il devrait être soumis à un nombre important de professionnels et remanié en fonction de leurs critiques et suggestions.
Aucune référence à des situations de travail dans un référentiel de compétences ne pourra correspondre exactement aux situations vécues par les individus, ni même à la façon particulière dont chacun construit des familles de situations analogues.
Tout référentiel de compétences prenant en compte des situations sera donc condamné à sen tenir à des situations et à des familles de situations stylisées. En dépit de cette limite, on se donnera ainsi les moyens de penser la gestion globale des situations de travail, sans la dissoudre immédiatement en capacités et savoirs spécifiques.
Compétences et fonctions
Devant la complexité de la tâche de recensement et son coût, la tentation pourrait être de sen tenir à de larges fonctions, correspondant aux grandes composantes dun métier, par exemple les cinq fonctions définies en soins infirmiers :
Chacune de ces fonctions, comme " registre de fonctionnement ", comme facette du rôle professionnel, renvoie sans doute à certaines compétences. Une telle liste peut-elle pour autant faciliter un travail de mise en ordre des situations ?
Tout dépend de la façon dont la liste des fonctions a été construite, donc du concept même de fonction. Au sens strict, une fonction est une " utilité ", autrement dit une grandeur à optimiser dans le traitement des situations. Dans ce cas, plusieurs fonctions doivent en général être optimisées dans chaque situation de travail. Les fonctions naident pas alors, au contraire, à constituer le corpus des situations. Elles peuvent en revanche aider à repérer le résultat attendu dans chacune, donc à définir la maîtrise de la situation qui témoignera de la compétence.
Si les fonctions sont plutôt conçues comme des secteurs dactivité relativement cloisonnés, une bonne partie des situations de travail relèveront dune fonction et dune seule Dans ce cas, la liste des fonctions peut éventuellement être reprise comme table des matières dun référentiel de compétences. On peut douter toutefois quune liste conçue in abstracto puisse offrir davantage que quelques points de repère. On ne saurait en aucun cas identifier une fonction à une unique famille de situations.
Linventaire des fonctions peut au mieux mettre sur la voie de certaines familles de situations. Toutefois, lorsque ces fonctions ont été conçues de façon assez synthétique, à une époque où lon se préoccupait peu de référentiels de compétences, il serait plus sage de les oublier, ou au moins de ne pas vouloir à tout prix faire entrer les référentiels dans ce cadre préexistant. Dans toute hypothèse, linventaire de grandes fonctions ne saurait dispenser de distinguer des familles plus restreintes et homogènes de situations, soit à lintérieur de chaque fonction, soit au confluent de plusieurs fonctions.
Plus globalement, le travail prescrit et lorganisation du travail sont à la fois des aides et des obstacles dans lidentification des situations de travail. Des aides dans la mesure où le discours de la profession et des organisations contient déjà une codification des situations de travail et en propose souvent un certain regroupement en familles logiques. Cest un obstacle dans la mesure où le constructeur du référentiel senferme dans ces catégories préétablies et les confond avec les activités et les situations réelles. Un référentiel part du travail réel et regroupe des situations de même structure, quelles soient ou non regroupées de la même façon par les acteurs.
La question des capacités
Une fois une compétence définie et associée à la maîtrise globale dun type de situations, à la fois spécifique, problématique et emblématique, il sera temps danalyser plus finement le fonctionnement cognitif sous-jacent et didentifier les ressources cognitives quelle mobilise, parmi lesquelles des capacités (ou habiletés).
Les capacités renvoient à des actions ou opérations du sujet présentant des similitudes structurelles ; ces similitudes suggèrent lexistence dun ou plusieurs schèmes, au sens piagétien. Les schèmes sont des structures cognitives qui évoluent au gré de lexpérience mais tentent, à un moment précis, de lassimiler. Piaget a montré que le sujet humain nest pas prisonnier de ses schèmes, quil accommode très souvent son action à la singularité des situations, que ses schèmes ne sont quune trame, ce qui les distingue dune programmation rigide. Une accommodation répétée contribue dailleurs à faire évoluer les schèmes dans le sens de leur affinement, de la différenciation dun même schème en plusieurs schèmes plus spécifiques ou de la coordination, voire de lintégration en un seul schème, de plusieurs schèmes jusqualors dissociés. À chaque schème ainsi identifié on peut associer une capacité, concept qui met laccent sur la performance que permet le schème davantage que sur la structure invariante qui la sous-tend.
Il serait donc absurde de considérer lindividu comme porteur dun ensemble figé de capacités. Chaque situation nouvelle constitue un moteur potentiel dévolution, Même dans le cadre dune situation stéréotypée, le désir dune maîtrise, dune sécurité ou dune rapidité accrues développe les capacités.
En principe - cest ce qui la distingue dune compétence - une capacité ne renvoie pas à un contexte complètement défini. Il faut bien sûr que le contexte rende leur exercice à la fois possible et pertinent. La capacité de poser des questions suppose un contexte dans lequel il y a quelquun à questionner et postule en outre que ce questionnement a du sens et nest pas interdit. Ces contraintes restent cependant compatibles avec une grande diversité de situations.
Lun des débats encore ouvert concerne le degré de contextualisation dune capacité. Ainsi, résumer une série dévénements à lintention de quelquun qui ny a pas assisté peut apparaître comme une capacité unique, qui se mobiliserait dans des situations sociales diverses et au service de compétences variées :
Dans tous les cas, on observe à luvre une capacité de produire un résumé narratif et synthétique. Est-ce véritablement la même ? Ou le sujet développe-t-il une capacité spécifique, adaptée à chaque type de situation ?
Cest toute la question de ce quon appelle à tort des compétences transversales et qui sont plutôt, dans la terminologie adoptée ici, des capacités transversales. Existe-il un " savoir décrire ", un " savoir analyser ", un " savoir observer ", un " savoir comparer " indépendamment des contextes, des situations, des objets sur lesquels ils opèrent, des raisons de décrire, danalyser, dobserver ou de comparer ?
Rey (1996) nourrit un certain scepticisme sur la transversalité de telles capacités. Au minimum, il faut admettre que le transfert ne va pas de soi et que ce que le logicien, le mathématicien ou lexpert considèrent " logiquement " comme la même opération nest pas la même dans lesprit de nimporte quel sujet.
On peut estimer quune des limites de la transversalité tient à la solidarité des opérations avec des savoirs spécifiques, portant sur des objets particuliers. Savoir analyser une photo aérienne, une pièce de théâtre ou un échantillon de minerai, voilà qui exige dans tous les cas certaines opérations logiques universelles. Mais ces opérations sont également liées à une connaissance intime des formes, des substances, des apparences, des indices propres à un domaine, à une familiarité avec les configurations, les comportements ou les mouvements des objets analysés.
La question des savoirs
Faut-il associer les savoirs aux compétences ou plutôt aux capacités ? Sans doute aux deux :
On pourrait en conclure que certains savoirs sont mobilisées directement par une compétence en acte et dautres indirectement, à travers telle ou telle capacité.
À noter que les savoirs en jeu ne sont pas nécessairement savants, ni mêmes partagés. Ils peuvent être issus de lexpérience singulière de lacteur. Lanatomie des savoirs mobilisé nabouti pas nécessairement à la conclusion quil faut les enseigner !
Valeurs, normes et attitudes
Ces trois genres de ressources ne sont pas identiques, mais valeurs, normes et attitudes sont liées. Elles ont en commun une dimension axiologique et idéologique, qui existe, mais de façon moins évidente, dans les savoirs et les capacités.
Les valeurs désignent des qualités globalement préférables chez les gens, dans les systèmes sociaux ou dans laction : honnêteté, transparence, loyauté, justice, respect des différences, etc..
Les normes sont rattachées à des valeurs, mais vont plus loin dans la prescription. Dans le travail, elles simposent en outre même à ceux qui ne partagent pas les valeurs qui les fondent. Lappartenance à un métier, puis à une organisation, avec le contrat de travail, imposent des règles, règles de déontologie, de sécurité, dhygiène, de droit, sans compter les " règles de lart ", les méthodes estimées rationnelles ou orthodoxes.
Les attitudes, enfin, dans le sens classique quon donne à ce concept en psychologie sociale, sont des dispositions positives ou négatives à lendroit de telle ou telle composante du travail et de son environnement, dispositions associées à des représentations. Elles se rattachent à des valeurs, mais elles fonctionnent " à létat pratique ", sans quil soit constamment nécessaire de revenir à leurs fondements, ce sont des dispositions à penser et à agir qui font parte de lhabitus et ne sont pas questionnées chaque fois quelle sont mobilisées, dans la mesure où elles sont incorporées à lidentité et à la manière dêtre au monde de la personne.
On peut considérer les valeurs, les normes et les attitudes comme des ressources mobilisées dans laction, mais ce sont des ressources plus délicates à manier que les capacités et les savoirs, qui apparaissent plus neutres.
Il y a, au principe de chaque métier, certaines valeurs, certaines normes et certaines attitudes, qui en paraissent constitutive. Elles doivent cependant rester compatibles avec la diversité des appartenances culturelles, confessionnelles, politiques. Dun prêtre, dun dirigeant syndical ou dun magistrat, on peut attendre des valeurs, des normes et des attitudes bien définies. Dans les métiers ordinaires, les limites de la standardisation idéologique sont vite atteintes et lon sen tient dordinaire au minimum de valeurs et de normes sans lesquelles il serait tout simplement impossible dexercer efficacement le métier considéré.
Même si cest un terrain miné, les référentiels de compétences ne devraient pas faire limpasse sur ce type de ressources.
Informations et savoirs locaux
Savoirs et capacités sont des ressources durables et dans une certaines mesure indépendantes du contexte dans lesquelles elles sont mobilisées. Elles sont donc des enjeux forts de toute formation professionnelle.
Cela ne signifie pas quelles suffisent dans laction. Dans nimporte quelle situation, on fait appel à des ressources plus locales, des informations, des savoirs ou des règles ayant cours dans un milieu particulier.
On ne peut faire acquérir de telles ressources en formation initiale, puisquelles dépendent des contextes daction, donc notamment des emplois et des entreprises. On peut en revanche se préoccuper, en formation, de préparer à repérer et assimiler les ressources cognitives propres à un lieu de travail et à une activité : des savoirs, des informations, des normes et des valeurs, des traditions, une histoire, des manières de penser et de dire, bref la culture dune organisation.
Sans doute peut-on faire correspondre à cela une compétence dautant plus fondamentale que la mobilité en cours de carrière saccroît : il est de plus en plus vital dêtre capable dassimiler de façon sélective et pertinente ce quil faut savoir pour fonctionner dans une organisation particulière et dans tel ou tel poste ou secteur.
Dans un plan de formation, les compétences sont des objectifs. De là à réduire les objectifs à des compétences, il y a un pas à ne pas franchir.
Parmi les objectifs qui dépassent les compétences, et en sont, dune certaine manière, des préalables, on peut retenir trois composantes de la personne :
Les deux premiers concepts sont encore lobjet de vifs débats théoriques, mais ce nest pas le lieu dy revenir. Chacun voit à peu près ce dont il sagit.
La notion de posture est moins travaillée, moins courante dans ce contexte. Elle est pourtant dun vif intérêt. On peut lassocier à lidée de " rapport à ", comme on parle de rapport au savoir, mais en étendant la notion à dautres dimensions : rapport au pouvoir, à limprévu, à la réflexion, aux autres, au risque, à lincertitude, au conflit, au temps, à lespace, aux institutions au travail, à largent. Un rapport à contient sans doute des représentations, des valeurs, des attitudes, mais aussi une mémoire, des sentiments, des savoirs, des schèmes de pensée et dévaluation.
Chacun entretient de facto un rapport à ces diverses facettes de son existence et de son environnement. Quil le veuille ou non, quil le sache ou non, chacun a construit un rapport au savoir, au pouvoir, aux autres, etc., rapports quil fait fonctionner de façon consciente ou inconsciente lorsquil entre en contact avec ces réalités ou au contraire les fuit.
Une posture pourrait se défini comme une qualification du rapport à , comme une sorte didéal ou de norme. Cest ainsi quon peut caractériser un métier par :
Ces divers adjectifs spécifient le " rapport à " qui convient à telle ou telle pratique professionnelle, ce que jappelle ici une posture. On voit que ces postures sont à la fois intellectuelles, éthiques, philosophiques. Dans chaque formation professionnelle, on privilégie ouvertement ou implicitement de telles postures (ou dautres, ou parfois leur contraire), et donc des valeurs, des attitudes et une forme didentité professionnelle congruentes avec ces postures.
La vogue des compétences ne devrait en aucun cas détourner de ces autres types dobjectifs. Il faut en outre une cohérence entre un référentiel de compétences et ces divers éléments. Il y a en effet des interdépendances :
- certaines compétences nont de sens que si telle posture est adoptée ; cest ainsi quil faut développer un rapport constructif à lerreur ou au conflit pour apprendre à les analyser et à sen servir comme levier ;
- certaines postures ne se traduisent dans les actes professionnels quen devenant des ressources opérationnelles dans le traitement de situations de travail ; cest ainsi quun rapport empathique aux usagers naura dincidence pratique que sil intervient comme ressources dans laccueil, laccompagnement et diverses phases du " traitement ".
Reconnaître que les compétences népuisent pas les objectifs de la formation ne revient pas à ménager deux cursus ou même deux types dunités de formation, les unes qui développeraient des compétences, les autres qui travailleraient les valeurs, lidentité et les postures. Il nest sans douter pas inutile de ménager des apports philosophiques, éthiques ou idéologiques présentés comme tels, mais une partie de la formation peut développer en même temps des compétences, des connaissances, des capacités, des valeurs, des attitudes, une identité et des postures. Utiliser le langage des compétences pour nommer tous les enjeux de formation serait une source majeure de confusion. Toute formation complexe poursuit plusieurs types dobjectifs. Avant de souligner quils sont interdépendants et forment un système plus ou moins cohérent, la première étape est de les distinguer : tout nest pas dans tout et limpérialisme des compétences prépare leur rejet !
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