La parole ‘‘indigène’’ entre littérature orale et culture lettrée
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Parution & conférences-rencontres : « Paroles spoliées. Itinéraires de la littérature orale », un dossier de la revue Gradhiva codirigé par Irene Albers et Eléonore Devevey : jeudi 28 novembre à 18h au musée du quai Branly et mercredi 11 décembre à 12h15 au MEG
Interview d'Eléonore Devevey le 08.01.2025 sur RFI dans le podcast De vive voix, une émission consacrée à la langue française dans le monde et aux cultures orales.
Présentation
Cette recherche collective veut reprendre une question explorée, d’une part, par les « folkloristes » (écrivains, ethnologues ou historiens), d’autre part, par les études littéraires « francophones » - les rapports entre littérature orale et culture lettrée - mais elle veut le faire à nouveaux frais, en se focalisant sur les situations coloniales et postcoloniales. Nous entendons montrer que la confrontation avec la littérature orale a joué un rôle souterrain, à la fois central et méconnu, dans la double histoire des savoirs et de la création littéraire au XXe siècle. À partir de l’étude de trois corpus d’époques et d’origines variées (Afrique, Amérique du Nord, Antilles), il s’agira de mettre en évidence non seulement les devenirs de la littérature orale dans la culture lettrée, mais aussi les devenirs d’une culture lettrée travaillée par l’oralité. Ce faisant, nous ferons apparaître que les liens entre littérature orale et culture lettrée ne relèvent pas uniquement de rapports de domination, mais doivent également être conçus en termes d’emprunts et de transformations réciproques.
Pour ce faire, nous proposons d’adopter une approche symétrique, qui combine la perspective européenne sur la littérature orale des territoires colonisés et la perspective autochtone sur cette littérature orale ainsi que sur la culture lettrée européenne, en associant approches littéraires et observations ethnographiques. Nous voulons, d’une part, souligner l’importance et la complexité, souvent ignorées, des usages de la littérature orale "indigène" au XXe siècle par la culture lettrée, en mettant en évidence les transactions, traductions, appropriations de la littérature orale à la fois par les ethnologues et par les poètes européens soucieux de nouvelles inspirations. Nous voulons, d’autre part, mettre en lumière la richesse et la variété des usages autochtones des cultures orale et lettrée, ce à partir d’une étude non seulement des textes, mais aussi des pratiques, en articulant les méthodologies des études littéraires et celles de l’anthropologie.
Cette démarche profondément interdisciplinaire prendra appui sur deux champs de recherche jusque-là hétérogènes et qu’elle entend faire dialoguer : les riches études à la fois ethnologiques et littéraires qui, dans les années 1970 et 1980, se sont intéressées à la littérature orale européenne et à l’ambivalence de son intégration à la culture lettrée (intégration qui mêle toujours reconnaissance et exclusion) ; les études « francophones » qui ont investi la tension entre oralité et écriture mais qui tiennent rarement compte de la littérature orale elle-même et des études sur la littérature orale, se privant ainsi du legs d’une histoire déjà longue.
Les chercheur·se·s associé·e·s dans ce projet ont pour point commun d’avoir une connaissance fine de l’histoire de l’anthropologie et de l’héritage des sciences sociales, qui leur permettra de prendre en compte à la fois les formes de la littérature orale elle-même, les formes des appropriations dont elle est l’objet et sa capacité de subversion des partages institués. Leur recherche donnera lieu à une thèse de doctorat bi-disciplinaire, à deux monographies et à un ouvrage collectif. À l’horizon de ce projet, se trouve la volonté de questionner l’historicité du partage entre oral et écrit, son rôle dans l’organisation des savoirs et des disciplines, et ses implications politiques, toujours présentes mais particulièrement sensibles et lisibles en situation coloniale et postcoloniale. C’est aussi notre propre position en tant que chercheur·se·s spécialistes de littérature que cette distribution politique et épistémologique interroge.
équipe
Vincent Debaene
requérant, professeur ordinaire de littérature française à l’université de Genève, recherche en cours sur les usages anthropologiques des oralités africaines dans le premier XXe siècle
Eléonore Devevey
collaboratrice scientifique, maître-assistante en littérature française à l’université de Genève, recherche en cours sur l’appropriation poétique des oralités des peuples autochtones d'Amérique du Nord dans le second XXe siècle
Soraya de Brégeas
collaboratrice scientifique, assistante FNS, doctorante en littérature française à l’université de Genève et en anthropologie à l’université Lyon 2, recherche en cours sur la praxis poétique martiniquaise entre cultures orale et lettrée aux XXe et XXIe siècles
Photo : Le Centre culturel de rencontre de Fonds Saint-Jacques à Sainte-Marie (Martinique), ancienne habitation du Père Labat dévolue aux arts de la parole
Crédit photo : Soraya de Brégeas
Activités
Séminaire de recherche « Littérature orale et culture lettrée : perspectives historiques et théoriques » (printemps 2023)
Séminaire de recherche « Littérature orale et culture lettrée : situations coloniales et postcoloniales » (printemps 2024)
Conférence exceptionnelle : « Les objets "mutants" et la question de la restitution », par Souleymane Bachir Diagne
Colloque international (22-23 mai 2025) : « Figures lettrées des mondes oraux. Situations coloniales et postcoloniales »
Publications
Irene Albers et Eléonore Devevey, « Appropriation, provenance, restitution. Le cas des arts verbaux », Gradhiva, n°38, 2024, p. 10-27
Soraya de Brégeas, « Recels et passerelles littéraires. Circulations de contes créoles entre la Martinique et l’Hexagone », Gradhiva, n°38, 2024, p. 28-45
Vincent Debaene, « Itinéraire d’un "chant de guerre" baoulé. De la violence coloniale aux négritudes », Gradhiva, n°38, 2024, p. 68-89
Eléonore Devevey, « Faux, usages de faux et "vol de voix". Circulations du Walam Olum », Gradhiva, n°38, 2024, p. 110-131
Eléonore Devevey, « Charmes d’amour ojibwa. Sur le devenir-poésie de chants rituels autochtones », Po&sie, n°187, 2024, p. 113-134
Vincent Debaene, « Littérature orale et "poésie vécue". À propos de Michel Leiris, Jean Jamin et quelques autres », Gradhiva, n°37, 2024, p. 80-97
Eléonore Devevey, « Franz Boas à la lettre. Traduire les langues, cartographier les mythes », Gradhiva, n°35, 2023, p. 166-172
Vincent Debaene, « Comment lire Doguicimi ? Formes et enjeux d’un roman historique », Études littéraires africaines, 2022/53, p. 123-149
Partenaires
Cécile van den Avenne (EHESS), Claude Calame (EHESS), Pierre Déléage (EHESS), Souleymane Bachir Diagne (Université Columbia), François Laplantine (Université Lyon 2), Cyril Vettorato (Université de Paris), Musée d’Ethnographie de Genève