Ăquilibre et structures dâensemble (1952) a đ
Avant dâaborder son sujet, le professeur Piaget a fait la dĂ©claration suivante :
Câest avec une certaine Ă©motion et avec des sentiments de gratitude et de fiertĂ© que jâai reçu lâappel si flatteur quâa bien voulu mâadresser lâUniversitĂ© de Paris dâoccuper la chaire de Psychologie de lâenfant et de Psychologie pĂ©dagogique. Veuillez me permettre dâexprimer avant tout ma profonde reconnaissance an Doyen de la FacultĂ© des Lettres qui nâa cessĂ© de me tĂ©moigner une bienveillance qui mâa profondĂ©ment touchĂ©, ainsi quâĂ mes nouveaux collĂšgues de la Section de philosophie et de la FacultĂ© des Lettres qui mâont fait le grand honneur de proposer mon nom au ministĂšre de lâĂducation nationale. Ma reconnaissance sâadresse aussi Ă M. le Recteur Sarrailh, Ă M. le Directeur Donzelot et Ă M. le Ministre de lâĂducation nationale, car, en me nommant, ils nâont pas seulement fait preuve Ă mon Ă©gard dâune confiance qui mâhonore infiniment, mais ils ont pris une dĂ©cision dont chacun a compris la hardiesse.
Si je suis bien renseignĂ© câest, en effet, la premiĂšre fois, depuis le Moyen Ăge, que lâon confie Ă un Ă©tranger un enseignement rĂ©gulier de la Sorbonne. Que cet Ă©tranger ait toujours Ă©tĂ© Ă moitiĂ© parisien, et nâait jamais admis les frontiĂšres que lâon dit sĂ©parer la Suisse romande de la France, nâenlĂšve rien Ă la signification de ce geste. Veuillez bien croire, Mesdames et Messieurs, que les milieux universitaires de mon pays, dont les Hautes Ăcoles comptent tant de professeurs français aimĂ©s et apprĂ©ciĂ©s, en ont saisi toute la valeur.
Jâajouterai, pour ma part, quâĂ cette preuve de libĂ©ralisme, de la part des autoritĂ©s universitaires françaises, sâen ajoute une seconde Ă laquelle je nâai pas Ă©tĂ© moins sensible : la psychologie Ă©tant rattachĂ©e en Sorbonne Ă la Section de philosophie de la FacultĂ© des Lettres, et non pas Ă la FacultĂ© des Sciences comme Ă GenĂšve, on a bien voulu me dĂ©signer en considĂ©ration de mes travaux et non pas de mes titres acadĂ©miques, qui sont ceux dâun ancien biologiste ! Je ne saurais terminer ces remerciements sans Ă©voquer enfin le souvenir de la Sorbonne et du CollĂšge de France de 1919 Ă 1921, que jâai frĂ©quentĂ©s comme Ă©tudiant, en suivant les enseignements lumineux de LĂ©on Brunschvicg et dâAndré Lalande, et en psychologie de Pierre Janet, de Georges Dumas, dâH. PiĂ©ron et dâH. Delacroix. Jâai assistĂ© Ă la fondation de lâInstitut de psychologie et jâai entendu les premiĂšres leçons de Wallon et de Meyerson. Ă tous ces maĂźtres et amis, je conserve le sentiment trĂšs vif de ce que je leur dois, intellectuellement et moralement.
Jâaimerais consacrer la premiĂšre leçon de ce cours sur le dĂ©veloppement de lâintelligence chez lâenfant et chez lâadolescent Ă dĂ©fendre deux idĂ©es relatives Ă la thĂ©orie du dĂ©veloppement mental en gĂ©nĂ©ral :
1) LâĂ©volution mentale de lâindividu constitue une marche progressive vers lâĂ©quilibre. LâontogenĂšse mentale est, Ă cet Ă©gard, comparable Ă lâembryogenĂšse, conçue comme une succession de formes dâĂ©quilibre plus ou moins stables tendant vers cette forme terminale relativement stable constituĂ©e par lâĂ©tat adulte.
Les stades du dĂ©veloppement mental (dans la mesure oĂč ils existent sous une forme gĂ©nĂ©rale, malgrĂ© les dĂ©nivellations et les dĂ©calages) sont, en particulier, caractĂ©risĂ©s par les formes dâĂ©quilibre vers lesquelles tendent les diverses conduites ou opĂ©rations respectives propres Ă chacune de ces Ă©tapes. Les stades constituent ainsi des « paliers dâĂ©quilibre ».
2) Les formes dâĂ©quilibre consistent elles-mĂȘmes en « structures dâensemble » dont certains Ă©lĂ©ments seuls sont rĂ©alisĂ©s, tandis que les autres se rĂ©fĂšrent Ă des transformations simplement possibles ; ces derniĂšres sâactualisent uniquement lorsque les circonstances lâexigent et revĂȘtent alors des aspects qui sembleraient sans parentĂ© entre eux si lâon ne parvenait pas Ă les relier prĂ©cisĂ©ment au moyen des « structures dâensemble » dont ils sont, les uns comme les autres, la manifestation.
I. â Les facteurs du dĂ©veloppement mentalđ
On peut distinguer trois grands facteurs dans le mĂ©canisme du dĂ©veloppement mental : la maturation interne de lâorganisme, lâaction du milieu physique et celle du milieu social. Jâaimerais montrer briĂšvement que tous trois â chacun Ă part et naturellement chacun Ă lâĂ©gard des deux autres â sont subordonnĂ©s Ă des lois dâĂ©quilibre et que, par consĂ©quent, le langage de lâĂ©quilibre est le plus adĂ©quat pour fournir un instrument gĂ©nĂ©ral dâanalyse.
A. Maturationđ
On appelle aujourdâhui maturation, selon une signification Ă©largie de ce terme dĂ» Ă Gesell, Ă Carmichael, Ă Wallon, etc., lâĂ©volution de lâorganisme en tant quâelle est dĂ©terminĂ©e de lâintĂ©rieur par les mĂ©canismes hĂ©rĂ©ditaires et par les « organisateurs » embryogĂ©nĂ©tiques, eux-mĂȘmes soumis Ă des mĂ©canismes innĂ©s.
Ă cet Ă©gard, la maturation du systĂšme nerveux constitue une premiĂšre condition fondamentale du dĂ©veloppement mental, ce sur quoi tout le monde est dâaccord.
Par exemple, Tournay a montrĂ© pourquoi le nourrisson ne parvient pas, avant 4 mois œ en moyenne, Ă coordonner sa prĂ©hension avec sa vision et en vertu de quelles conditions de fonctionnement cette coordination devient possible Ă une telle date (nous lâavons observĂ©e sur nos trois enfants Ă 3 mois et quelques jours, Ă 4 mois œ et Ă 6 mois et quelques jours sans grandes diffĂ©rences de quotient intellectuel ultĂ©rieur, ce qui montre dâemblĂ©e que la maturation nâest pas seule en cause ici, tout en jouant naturellement son rĂŽle de condition nĂ©cessaire). La maturation du systĂšme nerveux est liĂ©e Ă la myĂ©logenĂšse (Flechsig), Ă la cytodendrogenĂšse (De Crinis), Ă des facteurs endocrinologiques, etc., mais sans quâil existe de lien causal simple entre ces actions et le fonctionnement lui-mĂȘme. Câest ainsi que, en gĂ©nĂ©ral, la myĂ©logenĂšse (formation dâune gaine de myĂ©line autour des axones) prĂ©cĂšde le fonctionnement dâun appareil nerveux, mais en certains cas le fonctionnement semble prĂ©cĂ©der de peu ou tout au moins rĂ©agir sur la myĂ©logenĂšse.
Dâautre part, la maturation obĂ©it elle-mĂȘme Ă de grandes lois dâorganisation. Câest ainsi quâelle procĂšde selon des directions cĂ©phalo-caudale (les membres antĂ©rieurs fonctionnent avant les membres postĂ©rieurs) et proximo-distale (les mouvements des bras entiers sont rĂ©glĂ©s avant ceux de la main et des doigts). Gesell a dĂ©crit un processus dâ« entrelacement rĂ©ciproque » (maturation dĂ©terminant alternativement les mĂ©canismes extenseurs et flĂ©chisseurs dans la locomotion). DĂšs lâorganisation initiale du systĂšme nerveux, Kappers a entrevu un processus de dĂ©placement et dâarrangement rĂ©gulier des neuroblastes, selon des lois rappelant celles des tropismes (neurobiotaxie), etc.
La maturation est donc elle-mĂȘme subordonnĂ©e Ă des lois dâĂ©quilibre. Ă chaque phase dâinstabilitĂ© formatrice succĂšde un mouvement progressif vers la stabilitĂ© et Gesell a pu Ă©crire que les « soi-disant gains de croissance reprĂ©sentent des consolidations de stabilisation » 1.
Mais il ne sâagit pas que dâun Ă©quilibre interne relatif aux formes dâorganisation. Il y a Ă©galement Ă©quilibre entre les facteurs de maturation et les actions dues au milieu interne ou externe. La maturation est en particulier influencĂ©e Ă des degrĂ©s divers par lâexercice lui-mĂȘme, câest-Ă -dire par le fonctionnement une fois amorcĂ© en liaison avec le milieu. Des faits de nature trĂšs diverse peuvent ĂȘtre invoquĂ©s Ă cet Ă©gard. On sait, par exemple, que la remyĂ©linisation Ă©tudiĂ©e Ă propos de traitements rĂ©cents de la poliomyĂ©lite est favorisĂ©e par lâexercice. GĂ©nĂ©tiquement, on connaĂźt depuis longtemps (expĂ©riences de Spalding reprises rĂ©cemment par Denis) les cas de retard dans le dĂ©veloppement dus Ă lâabsence dâexercice lors du moment critique assignĂ© par la maturation. Sans remonter aux poussins ou aux hirondelles de Spalding, les ratĂ©s de la succion et la consolidation des gestes de la tĂ©tĂ©e par lâexercice, chez le nouveau-nĂ©, permettent Ă cet Ă©gard dâinstructives observations.
Un point fondamental Ă souligner encore est que, si certaines coordinations sont liĂ©es Ă des appareils nerveux dĂ©terminĂ©s dans un groupe donnĂ© dâespĂšces animales, cette liaison nâest pas toujours absolue et les mĂȘmes conduites peuvent se constituer indĂ©pendamment de ces appareils en dâautres groupes plus ou moins Ă©loignĂ©s. Pour ne rappeler que lâexemple le plus banal de ce phĂ©nomĂšne, la formation des habitudes est liĂ©e chez les vertĂ©brĂ©s supĂ©rieurs au fonctionnement du cortex cĂ©rĂ©bral, mais elle est Ă©galement possible chez les poissons infĂ©rieurs et les invertĂ©brĂ©s, en lâabsence de tout cortex. LâĂ©quilibre mobile du fonctionnement semble donc dominer lui-mĂȘme lâorganisation des structures anatomiques.
Si la maturation constitue toujours et partout une condition nĂ©cessaire du dĂ©veloppement, elle ne reprĂ©sente sans doute jamais Ă elle seule une condition suffisante. La maturation ne fournit pas de caractĂšres tout faits : elle nâengendre pas, sans le concours dâautres facteurs, de modĂšles achevĂ©s de conduites, sur le plan sensori-moteur, ni nâaboutit, sur le terrain de lâintelligence reprĂ©sentative ou conceptuelle, Ă un systĂšme dâidĂ©es innĂ©es. Son rĂŽle est de rendre possibles certaines coordinations Ă chaque niveau dâĂ©volution, mais les coordinations possibles ne sâactualisent quâen liaison avec le milieu interne ou externe. En tant que source de coordinations possibles, la maturation nâagit donc jamais Ă lâĂ©tat pur, câest-Ă -dire quâelle ne correspond jamais Ă des conduites qui ne dĂ©pendraient que dâelle. Si important et gĂ©nĂ©ral que soit son rĂŽle, on ne peut pas davantage isoler un systĂšme de conduites attribuables exclusivement Ă la maturation quâon ne peut, en biologie, dissocier un gĂ©notype de tout caractĂšre phĂ©notypique.
Au total, la maturation, si fondamentale soit-elle, est donc elle-mĂȘme subordonnĂ©e Ă des lois dâĂ©quilibre, les unes internes et relatives Ă ses modes dâorganisation, les autres externes et relatives Ă ses liaisons avec le milieu (fonctionnement et exercice).
B. Le milieu physiqueđ
Lâinfluence du milieu physique constitue un second facteur fondamental du dĂ©veloppement individuel, car le milieu exerce une action continue dĂšs les dĂ©buts de lâontogenĂšse (le milieu interne contribue aux choix parmi les potentialitĂ©s embryonnaires) et prend une importance croissante Ă partir de la naissance (action crĂ©atrice du milieu externe dans les conduites conditionnĂ©es, la formation des habitudes, lâexpĂ©rience acquise par lâintelligence).
Mais, pas plus que la maturation, lâinfluence du milieu ne sâexerce jamais Ă lâĂ©tat pur, câest-Ă -dire que le milieu nâexerce pas une contrainte Ă sens unique telle que le sujet la subirait passivement au grĂ© des rencontres fortuites avec les objets physiques. Preuve en soit quâun mĂȘme dispositif ou une mĂȘme situation expĂ©rimentale donne lieu Ă des effets tout diffĂ©rents sur lâenfant suivant les niveaux respectifs de son dĂ©veloppement. Par exemple, lorsquâon incline un bocal Ă demi rempli de liquide colorĂ©, de maniĂšre Ă ce que lâenfant puisse confronter avec les faits le dessin quâil a donnĂ© dâavance Ă la surface de lâeau (il prĂ©voit avant 9 ans une surface oblique et non pas horizontale) 2, on sâaperçoit que les petits (de 4 Ă 7 ans) ne savent mĂȘme pas « lire » lâexpĂ©rience : ils ne voient pas lâhorizontalitĂ©, faute dâun systĂšme de rĂ©fĂ©rences qui leur permettrait de distinguer une surface horizontale dâune surface oblique. Autrement dit, pour lire correctement lâexpĂ©rience (donc pour ĂȘtre accessible Ă cette forme dâinfluence du milieu), il faut ĂȘtre en possession dâinstruments rendant possible cette lecture (dans le cas particulier, lâinstrument consistant ainsi Ă un systĂšme de rĂ©fĂ©rences ou de coordonnĂ©es).
Les transformations subies sous lâinfluence du milieu supposent donc toujours lâintervention de deux facteurs ou de deux pĂŽles : lâun relatif Ă lâorganisme ou au sujet eux-mĂȘmes (nous lâappellerons assimilation, physiologique ou mentale) et lâautre relatif Ă la rĂ©alitĂ© extĂ©rieure qui exerce son action au moment considĂ©rĂ© (nous lâappellerons accommodation).
Du point de vue biologique, cette bipolaritĂ© est Ă©vidente. Un lapin qui mange des choux nâest pas transformĂ© en choux, ou en composĂ© chimique de choux et de lapin : il transforme, au contraire, les choux en lapin, et cette assimilation lui permet de conserver sa forme et dâassurer une continuitĂ© Ă ses activitĂ©s. Par contre, sâil mange trop ou trop peu de choux, il grossit ou maigrit, etc., et cette accommodation produira un « accommodat » ou variation phynotypique qui marquera lâinfluence momentanĂ©e ou durable du milieu ambiant sur ce point particulier. Or, du point de vue psychologique, il en va de mĂȘme. Tout contact mental avec le milieu (lâexpĂ©rience, etc.) suppose dâabord une assimilation ou incorporation des objets ou Ă©vĂ©nements considĂ©rĂ©s dans les schĂšmes antĂ©rieurs de lâactivitĂ©, quâil sâagisse de schĂšmes sensori-moteurs (sucer, balancer, etc.) ou de schĂšmes reprĂ©sentatifs (notions, opĂ©rations, etc. ; cf., par exemple, le systĂšme de rĂ©fĂ©rences permettant Ă lâenfant dâassimiler lâhorizontalitĂ© de la surface de lâeau dans lâexpĂ©rience citĂ©e Ă lâinstant). Mais, rĂ©ciproquement, lâexpĂ©rience nouvelle modifie les schĂšmes antĂ©rieurs et câest en quoi il y a toujours influence du milieu : seulement, il sâagit alors dâune accommodation des schĂšmes (des schĂšmes dâassimilation) et non pas dâune simple soumission passive aux contraintes de lâobjet, comme le croyait lâempirisme associationniste. Lâaction du milieu physique nâest donc jamais pure, mais implique toujours une assimilation aux structures antĂ©rieures. Les structures qui caractĂ©risent les schĂšmes dâassimilation sont elles-mĂȘmes situĂ©es Ă des profondeurs diverses, jusquâĂ englober les processus qui dĂ©pendent de la maturation. Câest pourquoi la maturation et lâapprentissage sont en dĂ©finitive toujours relatifs lâun Ă lâautre. Comme le dit avec raison Mac Graw, lâopposition (ou la dichotomie), maturation et apprentissage, est devenue un schĂ©ma encombrant pour la psychologie gĂ©nĂ©tique : lâun de ces facteurs nâintervient jamais sans lâautre et lâanalyse de lâassimilation nous permet de comprendre pourquoi.
Lâassimilation et lâaccommodation sont antagonistes aux niveaux Ă©lĂ©mentaires du dĂ©veloppement. Le progrĂšs de lâintelligence consiste, au contraire, Ă en concilier les effets, par la construction dâopĂ©rations conformes simultanĂ©ment aux structures du sujet et aux propriĂ©tĂ©s de lâobjet (cf. les opĂ©rations logiques et mathĂ©matiques). Mais, quâelles demeurent antagonistes ou deviennent interdĂ©pendantes Ă des degrĂ©s divers, lâassimilation et lâaccommodation tendent toujours Ă lâĂ©quilibrer entre elles. Un tel Ă©quilibre, une fois atteint de façon stable, caractĂ©rise ce quâon appelle une adaptation.
Ainsi, le facteur constituĂ© par les influences du milieu physique est, lui aussi, subordonnĂ© Ă des lois dâĂ©quilibre, selon des formes nouvelles (assimilation et accommodation), mais en relation avec les formes qui interviennent dans lâorganisation de la maturation.
C. Le milieu socialđ
LâĂȘtre humain nâest pas en relation quâavec des choses. Il dĂ©pend dâautres ĂȘtres humains, et cela dĂšs la naissance, et ceux-ci agissent sur lui selon des lois en partie diffĂ©rentes de celles qui caractĂ©risent lâaction des objets : par exemple, une personne ou un groupe de personnes peut « obliger » une autre, tandis quâun objet nâengendre aucune obligation, mais dĂ©termine causalement. Il faut donc distinguer ici un troisiĂšme facteur fondamental de dĂ©veloppement, distinct des deux premiers. Seulement, le psychologue sâabstiendra de parler de la « SociĂ©té » prise en bloc, comme peut faire le sociologue, car, du point de vue psychologique, il nâexiste quâune multiplicitĂ© de relations sociales, Ă effets divers et nettement diffĂ©renciĂ©s : un rapport de coopĂ©ration, avec confiance mutuelle et Ă©galitĂ© de droit entre les partenaires agit tout autrement quâun rapport dâautoritĂ© ou de contrainte brutale.
Or, ici encore, lâindividu nâest pas entiĂšrement passif eu Ă©gard aux influences sociales et lâon retrouve dans leur mĂ©canisme dâaction la bipolaritĂ© de lâassimilation et de lâaccommodation. Câest ainsi que le langage ne sâimpose pas en une fois Ă lâenfant qui en subit les effets ; celui-ci ne lâassimile que trĂšs progressivement et nâen retient Ă chaque niveau que ce qui est compatible avec ses schĂšmes dâaction ou de reprĂ©sentation ; mais, en retour, le langage transforme ces schĂšmes et donne lieu Ă une constante accommodation, son action effective dĂ©pendant une fois de plus dâun Ă©quilibre entre ces deux composantes.
Les influences sociales sont donc, elles aussi, subordonnĂ©es Ă des lois dâĂ©quilibre et ces lois convergent en partie avec celles qui dĂ©terminent les coordinations intra-individuelles. Câest ainsi quâun systĂšme dâopĂ©rations logiques, utilisĂ©es par lâindividu Ă partir dâun certain niveau de dĂ©veloppement, est caractĂ©risĂ© par des rĂ©unions (+), des interfĂ©rences (Ă), des correspondances, des rĂ©ciprocitĂ©s, des inversions, etc. Or, dans un rapport social dâĂ©change intellectuel par pure coopĂ©ration (câest-Ă -dire sans intervention dâautoritĂ©), on ne retrouve Ă lâanalyse que des rĂ©unions, des interfĂ©rences, des correspondances, des rĂ©ciprocitĂ©s et des inversions (nĂ©gations) entre les opĂ©rations effectuĂ©es Ă tour de rĂŽle par chacun des partenaires. La coopĂ©ration intellectuelle nâest ainsi, au sens strict, quâun systĂšme de co-opĂ©rations, dont les lois dâĂ©quilibre sont simultanĂ©ment inter et intra-individuelles.
Il va de soi quâen dâautres cas les lois dâĂ©quilibre dominant les influences sociales sont au contraire distinctes de celles de lâĂ©quilibre intra-individuel.
Au total, nous constatons que chacun des trois facteurs fondamentaux du dĂ©veloppement est subordonnĂ© Ă des lois dâĂ©quilibre, ainsi que leurs interactions. Comme chacun des trois exerce son action dĂšs la naissance, et quâils sont indissociables, on peut donc conclure que le langage de lâĂ©quilibre est bien lâinstrument le plus gĂ©nĂ©ral dâanalyse des faits de dĂ©veloppement.
II. â Le problĂšme des stadesđ
LâĂ©volution mentale de lâindividu constitue ainsi un processus dâĂ©quilibration continuelle et progressive. Si lâintervention successive des influences internes ou externes est chaque fois marquĂ©e par un dĂ©sĂ©quilibre momentanĂ©, il y a sans cesse poursuite de lâĂ©quilibre. Or, cette recherche est couronnĂ©e de succĂšs divers, sâĂ©chelonnant dans le temps, et ces rĂ©ussites partielles caractĂ©risent le passage dâun stade au suivant. Par exemple, lâapparition de certaines opĂ©rations logiques et de la suite des nombres entiers, vers 7 ans en moyenne, marque une Ă©tape importante du dĂ©veloppement intellectuel et, par le fait mĂȘme, manifeste lâaccĂšs Ă une nouvelle forme dâĂ©quilibre : cette forme est mĂȘme trĂšs stable, dans le cas particulier, puisque ces opĂ©rations et ces nombres se conserveront la vie durant, tout en pouvant sâintĂ©grer en des systĂšmes plus complexes. Les stades ou niveaux de dĂ©veloppement constituent donc des paliers successifs dâĂ©quilibration. Les Ăąges qui caractĂ©risent leurs apparitions respectives nâont rien dâabsolu, car il peut y avoir accĂ©lĂ©ration ou retard, en fonction du milieu physique et surtout du milieu social dont dĂ©pend le sujet. Mais leur ordre de succession est constant, ou du moins câest Ă ce critĂšre que nous distinguerons les vrais stades des stades apparents. LâĂ©tablissement des stades est, en outre, compliquĂ© par lâexistence de dĂ©calages variĂ©s : une mĂȘme opĂ©ration ne sâapplique en gĂ©nĂ©ral pas dâemblĂ©e Ă tous les domaines dâexpĂ©rience Ă la fois, et ces applications successives sont souvent dĂ©calĂ©es dans le temps Ă des annĂ©es de distance.
La grande difficultĂ© qui domine la question des stades est de trouver des critĂšres Ă la fois suffisamment distinctifs et suffisamment comprĂ©hensifs. On ne saurait choisir comme critĂšres des acquisitions quelconques : par exemple, lâapparition du premier concept verbal, du premier jugement en due forme, du premier syllogisme, etc. Un certain nombre de tests dâintelligence, comme ceux de Binet-Simon, remĂ©dient Ă lâarbitraire dâun tel choix en prĂ©sentant un mĂ©lange dâĂ©preuves les plus variĂ©es possibles, telles que les Ă©checs sur tel ou tel point puissent ĂȘtre compensĂ©s par des rĂ©ussites sur dâautres. Mais, si cet empirisme est utile en psychologie appliquĂ©e, il ne saurait nous satisfaire dans la thĂ©orie des stades. Ce quâil faut atteindre, en psychologie gĂ©nĂ©tique comme en mĂ©decine, ce ne sont pas les symptĂŽmes, mais les syndromes embrassant en un seul systĂšme lâensemble des manifestations donnĂ©es.
Câest ici que prend toute sa valeur la notion de forme dâĂ©quilibre, en tant que systĂšme dâensemble coordonnant tous les caractĂšres du stade. Un Ă©tat dâĂ©quilibre peut ĂȘtre stable ou instable, et la succession des stades marque un progrĂšs dans le sens de la stabilitĂ©. LâĂ©quilibre en jeu peut ĂȘtre immobile ou mobile (ce dernier cas Ă©tant notamment celui des Ă©changes) et la mobilitĂ© nâest pas contradictoire avec la stabilité : lâĂ©quilibre atteint par un systĂšme dâopĂ©rations intellectuelles sera donc simultanĂ©ment mobile et stable, câest-Ă -dire quâil consistera en un systĂšme de transformations, mais de transformations se compensant selon un mĂ©canisme bien rĂ©glĂ©. LâĂ©quilibre peut ĂȘtre permanent, ou au contraire donner lieu Ă des dĂ©placements dâĂ©quilibre lorsque les conditions varient : ainsi la perception est caractĂ©risĂ©e par de continuels dĂ©placements dâĂ©quilibre, tandis que les conditions de lâĂ©quilibre opĂ©ratoire sont permanentes pour un systĂšme dâopĂ©rations donnĂ©es.
Mais surtout un systĂšme en Ă©quilibre implique lâexistence de transformations virtuelles. On dit en mĂ©canique que lâĂ©quilibre est atteint lorsque tous les travaux virtuels (= les transformations possibles), compatibles avec les liaisons du systĂšme, se compensent entre eux. Il y a lĂ une notion dont lâapplication paraĂźt fondamentale en psychologie gĂ©nĂ©tique, car la dĂ©finition dâun stade ne devrait pas se limiter aux conduites que les sujets utilisent effectivement, mais doit aussi englober toutes les opĂ©rations quâils pourraient effectuer si les circonstances lâexigeaient. Les transformations virtuelles ou conduites possibles, sont donc dâune importance Ă©gale, pour distinguer un stade, Ă celles des conduites rĂ©elles : cela revient Ă dire quâun sujet nâest pas seulement caractĂ©risĂ© par ce quâil fait, mais aussi et tout autant par ce quâil serait capable de faire en certaines situations, non rĂ©alisĂ©es jusque-lĂ , si elles se prĂ©sentaient. Or, le seul moyen dâatteindre les opĂ©rations possibles autant que les rĂ©elles est prĂ©cisĂ©ment de trouver les formes dâĂ©quilibre, qui les comportent les unes comme les autres, rĂ©unies en une seule structure dâensemble dont elles constituent les diverses manifestations.
Pour donner un exemple trĂšs simple, lorsque les enfants de 7 ans en moyenne sont capables de prĂ©voir un ordre de succession (prĂ©voir la sortie dâĂ©lĂ©ments sortant dâun tube de carton dans lâordre A, B, C) et de prĂ©voir lâordre inverse (sortie dans lâordre C, B, A, en cas de rotation du tube), ils doivent aussi ĂȘtre capables, si les deux opĂ©rations prĂ©cĂ©dentes ont atteint un Ă©tat dâĂ©quilibre et caractĂ©risent ainsi une structure dâensemble, dâanticiper le rĂ©sultat de deux inversions successives (deux rotations de 180° ramenant Ă lâĂ©tat initial) : effectivement ces sujets sâattendent Ă lâordre A, B, C lors des deux inversions, Ă lâordre C, B, A, lors des trois inversions, etc., tandis que les petits, aprĂšs avoir constatĂ© aprĂšs coup lâinversion de A, B, C en C, B, A sâimaginent que plusieurs rotations amĂšneront lâĂ©lĂ©ment B en tĂȘte !
Nous chercherons ainsi Ă caractĂ©riser les stades que nous aurons Ă distinguer en assignant Ă chacun sa forme dâĂ©quilibre, câest-Ă -dire lĂ oĂč les structures dâensemble embrassant ses divers caractĂšres, y compris les transformations possibles. Mais il va de soi que la marge des possibilitĂ©s commence par ĂȘtre Ă©troite par rapport aux conduites effectives ou rĂ©alisĂ©es ; câest au fur et Ă mesure des progrĂšs conduisant du niveau sensori-moteur au niveau reprĂ©sentatif prĂ©opĂ©ratoire, puis de celui-ci aux opĂ©rations concrĂštes et enfin aux opĂ©rations formelles, que cette marge sâĂ©tend de plus en plus, jusquâĂ acquĂ©rir lâimportance particuliĂšre que lâon peut supposer sur le dernier de ces paliers dâĂ©quilibre.
III. â Les structures dâensembleđ
Dire que le dĂ©veloppement de lâintelligence est une Ă©quilibration progressive revient Ă dire que lâintelligence sâoriente vers la rĂ©versibilitĂ© puisquâun Ă©tat dâĂ©quilibre se reconnaĂźt Ă ses compensations, donc Ă sa rĂ©versibilitĂ©.
On peut à cet égard distinguer trois types élémentaires de structures : les rythmes, les régulations et les opérations.
Un rythme est une forme limitĂ©e et stĂ©rĂ©otypĂ©e de rĂ©versibilitĂ©, conduisant de A en B par un mouvement (1) et ramenant de B en A par un autre mouvement (2). Les domaines frontiĂšres entre lâorganique et les dĂ©buts du mental comportent en gĂ©nĂ©ral une structure de rythme : succession des besoins et des satisfactions, rĂ©actions locomotrices Ă©lĂ©mentaires, succion, etc., et cette forme se retrouve jusquâau dĂ©but des acquisitions proprement dites, avec les « rĂ©actions circulaires ».
Les rĂ©gulations constituent des mĂ©canismes plus mobiles, mais Ă rĂ©versibilitĂ© (ou compensations) seulement approchĂ©e. Le systĂšme des corrections successives qui intervient dans une suite de tĂątonnements relĂšve dĂ©jĂ de la rĂ©gulation et lâon ne trouve encore que des rĂ©gulations au niveau de lâintelligence reprĂ©sentative prĂ©opĂ©ratoire (par exemple lorsque le sujet corrige une erreur en fonction de son exagĂ©ration mĂȘme).
Les opĂ©rations, enfin, constituent des mĂ©canismes Ă la fois mobiles et entiĂšrement rĂ©versibles. Mais surtout les opĂ©rations sont toujours solidaires de structures dâensemble caractĂ©risĂ©es par certaines lois de totalitĂ© que nous aurons Ă analyser. Par exemple, une classe logique nâexiste pas indĂ©pendamment dâune classification, ni un nombre entier indĂ©pendamment de la suite des entiers, etc., et ces classifications, ou ces suites de nombres, etc., sont dotĂ©es de caractĂšres qui relĂšvent du systĂšme comme tel et qui ne proviennent pas de ses Ă©lĂ©ments. Pour atteindre ces structures dâensemble, il nous arrivera de nous servir de techniques spĂ©ciales empruntĂ©es Ă lâalgĂšbre logistique. Mais Ă cet Ă©gard il convient de prĂ©venir des malentendus possibles, car nous nâavons pas Ă nous occuper ici de logique, notre seul objet dâĂ©tude Ă©tant la psychologie gĂ©nĂ©tique.
Tous les psychologues sont dâaccord pour utiliser dans leurs recherches les instruments de calcul que fournissent les mathĂ©matiques : statistiques, calcul des variations, des corrĂ©lations, analyse factorielle, etc. On ne les accuse pas pour autant de « faire des mathĂ©matiques », ni de nĂ©gliger la psychologie, tandis quâen recourant Ă la logistique on est vite suspectĂ© de « faire de la logique » et dâoublier la psychologie !
Or, les mathĂ©matiques contemporaines comprennent deux aspects : lâun, quantitatif ou mĂ©trique, rĂ©pond Ă lâimage traditionnelle de cette discipline et Ă lâemploi que lâon en fait dans les sciences utilisant la mesure, notamment en psychologie et surtout en psychologie appliquĂ©e ; lâautre est, par contre, essentiellement qualitatif et concerne prĂ©cisĂ©ment la thĂ©orie des structures, telle quâon la dĂ©veloppe en algĂšbre gĂ©nĂ©rale et en topologie. Ce second aspect est mĂȘme, du point de vue thĂ©orique, plus important que le premier : le cĂ©lĂšbre traitĂ© de Bourbaki fait reposer lâensemble des mathĂ©matiques sur trois types de structures (les structures algĂ©briques, les structures dâordre et les structures topologiques), toutes trois essentielles par ailleurs en ce qui concerne les structures de lâintelligence.
Or, lâalgĂšbre gĂ©nĂ©rale comprend notamment lâalgĂšbre de Boole et les autres structures inhĂ©rentes Ă lâalgĂšbre logistique. En employant cette derniĂšre pour dĂ©crire et caractĂ©riser certaines de nos structures mentales, nous ne ferons donc rien de plus que dâemprunter un instrument mathĂ©matique parmi les autres, mais qualificatif et dâautant plus apte Ă atteindre les mĂ©canismes opĂ©ratoires comme tels (par opposition Ă leurs rendements quantitatifs). En un mot, nous utiliserons cette algĂšbre de la mĂȘme maniĂšre que, en physique mathĂ©matique, le physicien recourt Ă telle ou telle structure mathĂ©matique pour schĂ©matiser et expliquer les rĂ©sultats de lâexpĂ©rience (en quoi il fait bien de la physique et non pas des mathĂ©matiques, comme nous nous efforçons de faire de la psychologie et non pas de la logique). Deux exemples trĂšs simples feront dâemblĂ©e comprendre la chose. Vers 7 ans en moyenne lâenfant devient capable dâordonner des objets selon leur grandeur croissante et, vers 9-10 ans il en fait autant avec les poids. En quoi consistent alors ces opĂ©rations de sĂ©riation ? Du point de vue logistique, une sĂ©riation est une suite de relations asymĂ©triques (A infĂ©rieur Ă B distincte de A supĂ©rieur Ă B) connexes (tous les Ă©lĂ©ments Ă©tant distincts) et transitives. Or, ce dernier caractĂšre paraĂźt au premier abord plus difficile Ă acquĂ©rir que la sĂ©riation elle-mĂȘme : il semble, en effet, plus facile dâordonner des longueurs ou les poids que de conclure A infĂ©rieur Ă C si lâon a A infĂ©rieur Ă B et B infĂ©rieur Ă C (les trois Ă©lĂ©ments nâĂ©tant naturellement alors pas visibles simultanĂ©ment). Lâanalyse logistique de la structure nous rend donc le premier service de soulever un problĂšme auquel nous nâaurions peut-ĂȘtre pas songĂ©. Mais il y a plus : si lâon fait lâexpĂ©rience on constate que la transitivitĂ© est acquise pour les grandeurs simples vers 7-8 ans et pour les poids Ă 9-10 ans seulement. Il y a donc bien une relation psychologique entre les actions qui interviennent dans la construction mĂ©thodique dâune sĂ©rie et le raisonnement fondĂ© sur la transitivitĂ©.
Autre exemple. Vers 11-12 ans apparaissent les premiĂšres opĂ©rations proportionnelles : lâimplication (si telle hypothĂšse est vraie, alors telle consĂ©quence sâensuit), la disjonction (ou A, ou B ou les deux), la conjonction (A et B ensemble) lâincompatibilitĂ© (ou A sans B ou B sans A ou ni A ni B), etc. Or, au mĂȘme niveau se constituent les opĂ©rations combinatoires : construire tous les ensembles possibles de 2, 3, 4 Ă©lĂ©ments donnĂ©s. La question est alors de comprendre ce synchronisme entre deux sortes dâopĂ©rations qui semblent ne prĂ©senter aucune parentĂ© entre elles. Or lâexamen des structures dâensemble qui caractĂ©risent les opĂ©rations propositionnelles montre que, contrairement aux structures plus simples de classification, de sĂ©riation, de correspondance, etc., elles comportent nĂ©cessairement une combinatoire. Celle-ci intervenant donc implicitement dans les diffĂ©rentes liaisons propres Ă la logique des propositions, il nâest pas surprenant quâelle se manifeste explicitement dans les situations oĂč elle est requise. Lâanalyse logistique fournit au moins une possibilitĂ© dâexplication Ă cet Ă©gard et câest Ă lâexpĂ©rience Ă vĂ©rifier si lâutilisation effective dâune structure impliquant une combinatoire entraĂźne la capacitĂ© dâactualiser cette derniĂšre en dâautres circonstances.
De maniĂšre gĂ©nĂ©rale lâalgĂšbre logistique rend ainsi deux sortes de services Ă lâanalyse gĂ©nĂ©tique, services quâil serait bien difficile de demander Ă dâautres techniques. En premier lieu, Ă©tant donnĂ©es certaines opĂ©rations effectivement observĂ©es dans la pensĂ©e ou la conduite du sujet, elle permet de dresser la liste des opĂ©rations dont les premiĂšres font partie : par exemple les 16 opĂ©rations quâil est possible dâengendrer avec deux propositions ou les 256 opĂ©rations rĂ©sultant des combinaisons Ă trois propositions. Mais, en second lieu, elle ne se borne pas Ă fournir un catalogue : elle atteint le systĂšme mĂȘme de ces opĂ©rations, câest-Ă -dire la structure dâensemble dont nous avons supposĂ© la prĂ©sence en toute forme dâĂ©quilibre. Lâanalyse de telles structures abstraites permet tout au moins dâimaginer des expĂ©riences nouvelles pour dĂ©terminer Ă quelles structures rĂ©elles de lâintelligence correspondent les liaisons posĂ©es Ă titre dâhypothĂšse. En cas de correspondance avec les faits lâanalyse de la structure conduit Ă risquer un ou deux pas de plus : elle suggĂšre des explications, et surtout (car câest lĂ le vrai critĂšre de lâefficacitĂ© des thĂ©ories vis-Ă -vis de lâexpĂ©rience), elle autorise certaines prĂ©visions. Ces derniĂšres sont particuliĂšrement instructives sur le terrain si dĂ©licat mais si important que nous Ă©voquions tout Ă lâheure, des opĂ©rations dont les sujets dâun stade considĂ©rĂ© sont capables sans quâon les ait encore observĂ©es dans leur comportement de maniĂšre effective.