Quelques interférences entre la perception de la vitesse et la causalité perceptive (1958) a

Au cours d’une expérience préliminaire sur la perception de la vitesse au moyen d’une méthode de présentation par films, nous nous sommes aperçus de l’existence de quelques relations entre certaines augmentations ou diminutions apparentes de vitesse et certaines impressions de causalité perceptive. Lorsque l’on dispose, en effet, sur le parcours ou en marge du parcours du petit mobile carré dont on évalue la vitesse, certains éléments de référence (barres ou cercles immobiles, mobiles ou apparaissant et disparaissant sur place, à l’état isolé ou les uns après les autres), on recueille souvent certaines impressions perceptives de causalité accompagnant les modifications de la vitesse subjective ou phénoménale. Il se pose alors un intéressant problème : étant donné que la perception de la causalité dépend de conditions cinématiques objectives et englobe par conséquent des estimations de la vitesse, et étant donné, d’autre part, que plusieurs de nos sujets attribuent certaines modifications apparentes de vitesse à la « poussée », etc., du mobile par l’élément de référence ou à l’action inverse, faut-il admettre une influence exercée par la perception de la causalité sur la perception de la vitesse, ou l’influence de sens contraire, ou deux influences réciproques ? C’est là la question dont nous aimerions traiter dans cette note (et la seule question, car nos analyses de la perception de la vitesse sont loin d’être achevées et ce qu’il en est dit ici ne correspond qu’à l’un des sondages préliminaires).

§ 1. Technique et résultats généraux

Nous avons procédé par la méthode des films : sur une surface de projection de 135 × 102 cm située à 3,5 m du sujet, un carré de 3,5 cm environ de côté se déplace en ligne droite de gauche à droite avec une vitesse constante (la part faite des petites irrégularités du film) de 10 cm/sec. Il est présenté en 15 situations, l’une de contrôle et 14 expérimentales avec introduction d’éléments de référence (ER) :

1. Le carré se déplace seul : situation de contrôle destinée à établir si les sujets perçoivent en ce cas la vitesse comme constante.

2. Le carré apparaît accompagné d’un ER constitué par un cercle de 4,5 cm de diamètre situé à 6 cm au-dessus de lui et tous deux se déplacent à la même vitesse sur la droite. Au milieu de la trajectoire le cercle disparaît et le carré poursuit seul sa route.

3. Le carré part seul et, au milieu de la trajectoire le même ER circulaire qui en (2) apparaît au-dessus de lui à la même hauteur : ils poursuivent alors leur chemin à la même vitesse avec superposition exacte.

4. Le carré apparaît sur la gauche accompagné du même ER circulaire dans la même position qu’en (2), mais l’ER demeure immobile à ce point de départ tandis que le carré s’avance sur la droite à la même vitesse constante que précédemment. Lorsqu’il atteint le milieu de la trajectoire, l’ER disparaît et le carré continue seul.

5. Le carré et le cercle apparaissent simultanément, mais le carré à gauche et le cercle au milieu de la trajectoire (à la même hauteur qu’en 2-4) : le carré s’avance sur la droite tandis que le cercle demeure immobile ; lorsque le carré rejoint le cercle celui-ci disparaît et le carré continue seul.

6. Le carré apparaît seul à gauche. Lorsqu’il atteint le milieu de la trajectoire le cercle apparaît au-dessus de lui et le carré continue sur la droite tandis que le cercle demeure immobile à mi-chemin jusqu’à la fin du trajet.

7. Le carré apparaît seul sur la gauche et part en direction de la droite. Lorsqu’il atteint le milieu de la trajectoire, l’ER circulaire apparaît à l’extrême-droite (fin du trajet), à sa hauteur habituelle, tandis que le carré continue son chemin, le cercle demeurant en place.

8. Le carré apparaît à gauche en même temps que cinq ER formés de barres verticales distribuées à intervalles égaux entre le carré et le milieu de la trajectoire (chaque barre traverse tout le champ en hauteur). Au moment où le carré atteint l’une des barres, elle disparaît. Lorsqu’elles ont disparu tour à tour (la cinquième située peu avant le milieu de la trajectoire), le carré continue seul à la même vitesse.

9. Le carré apparaît seul à gauche. Au moment où il atteint le milieu de la trajectoire, cinq barres apparaissent simultanément, distribuées à intervalles égaux entre lui et la fin de la trajectoire, mais, au fur et à mesure qu’il va toucher l’une d’entre elles, elles disparaissent successivement.

10. Le carré apparaît seul à gauche mais, à mesure qu’il avance sur la droite, une barre apparaît juste derrière lui et reste en place tandis qu’il poursuit sa route, etc. Lorsqu’il va atteindre le milieu de la trajectoire il y a donc cinq barres immobiles derrière lui, dans la même position qu’au début de (8) mais apparues une à une après son passage : elles disparaissent toutes ensemble quand le carré passe par le milieu du champ.

11. Le carré traverse seul la première moitié de la trajectoire, mais, durant la seconde moitié, cinq barres apparaissent successivement juste après son passage et restent en place jusqu’à la fin (la cinquième surgissant derrière le carré quand celui-ci atteint le terme.

12. Le carré part de la gauche et une barre apparaît derrière lui peu après. Une seconde barre surgit ensuite juste derrière lui mais, au moment où elle apparaît, la précédente disparaît. Il en est ainsi, à intervalles égaux jusqu’au moment où le carré s’approche du milieu de la trajectoire : la cinquième barre apparaît alors, puis disparaît quand le milieu est croisé. Le carré continue seul pendant la seconde moitié.

13. Même dispositif, mais chaque barre apparaît en avant du carré et disparaît au moment où le carré va l’atteindre. Au moment où elle disparaît une autre apparaît en avant (à intervalles égaux) jusqu’au milieu du trajet. Le carré continue seul pendant la seconde moitié.

14. Lorsque le carré apparaît à gauche un ER circulaire (le même cercle qu’en 2-7 et à la même hauteur) apparaît au-dessus de lui mais un peu à droite (sur l’emplacement de la première des barres en (8) : lorsque le carré va le rejoindre, l’ER fait un bond en avant (en ligne droite) et reste immobile puis recommence quand le carré le rejoint presque. Cela se reproduit à intervalles égaux jusqu’au milieu de la trajectoire, où le cercle disparaît.

15. Même dispositif qu’en (14) mais le cercle apparaît au-dessus et un peu à gauche (donc en arrière et non plus en avant du carré). À chaque bond le cercle rejoint presque le carré mais pas tout à fait, puis reste stationnaire jusqu’au bond suivant. Il disparaît au milieu du trajet et le carré continue seul.

La question posée au sujet pour les situations 2-15 est chaque fois de savoir si la vitesse du mobile (du carré) est la même ou non en présence de l’ER et en son absence et dans quel sens elle se modifie s’il y a changement. 22 sujets adultes ont été examinés, tous étudiants en psychologie.

Les résultats sont consignés sur le tableau suivant. La lettre C signifie vitesse constante (= pas de modification) ; le signe + signifie accélération (subjective) du mobile en présence de l’ER ; le signe − signifie ralentissement (subjectif) dans les mêmes conditions ; Pr = vitesse progressive (indépendamment de l’ER) ; Dr = vitesse décroissante (id) ; In = instable :

Situations : 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15
C 22 12 11 11 12 11 10 10 9 10 9 13 11 7 8
+ 0 3 6 5 3 7 8 10 5 10 13 8 5 6 8
− 0 6 4 5 7 4 4 2 8 1 0 1 6 5 5
Autres : 0 1Pr 1Pr 1Pr 0 0 0 0 0 1Dr 0 0 0 4In 1In

On constate que le 50 % en moyenne des sujets (40 %, pour 9 et 11) ne perçoivent pas d’effets. En ces conditions les seuls effets un peu nets (sur l’autre moitié des sujets) sont 8, 10, 11 et 12. Les effets 5, 6, 7, 9 et 15 sont encore appréciables, mais peu nets. D’une manière générale les accélérations (+) en 6, 7, 8, 10, 11, 12 et 15 sont plus marquées que les ralentissements (−) en 2, 5 et 9.

Il convient, d’autre part, de noter que la reprise des séquences 1 à 7 par Y. Feller et E. McNear, mais avec comparaison de la vision libre, de la centration sur le mobile et de la centration sur l’ER (sur 15 sujets adultes), a confirmé ces résultats dans les cas où l’ER est situé en arrière du mobile ou l’accompagne : situations 2 (9C, 2+, 4−), 3 (5C, 8 + et 2−, ce qui donne au total 16C, 14+ et 6−), 4 (10C, 3+ et 2−) et 6 (9C, 5+ et 0−). Par contre les situations dans lesquelles l’ER est situé en avant du mobile se révèlent équivoques : 5 (12C, 3+ et 0−) et 7 (5C, 5+ et 5−). En outre, pour chacune de ces situations les résultats varient quelque peu avec le point de fixation.

Mais, répétons-le, notre but n’est pas ici de traiter de la perception de la vitesse (nous y reviendrons avec de nouveaux résultats et reconsidérerons ceux-ci à ce propos), mais, à titre préliminaire, d’examiner les relations éventuelles, dans les situations considérées, entre cette forme de perception et les impressions causales perceptives.

§ 2. L’intervention de la causalité perceptive

Nous allons constater, en effet qu’un certain nombre des estimations précédentes de la vitesse s’accompagnent d’impressions causales, la plupart nettes, les autres consistent simplement en « activités » (au sens de Michotte) prêtées aux mobiles. Ce n’est pas le cas des réactions aux situations 1 à 7, il est facile de comprendre pourquoi. Mais c’est le cas des réactions aux situations 8 à 15 lorsque le sujet n’a pas perçu la vitesse comme constante. En voici des exemples :

Exp. 8 : « Le carré paraît plus rapide quand il renverse des barrières » ou encore : « C’est comme s’il cassait les barreaux ».

Exp. 10 : « C’est comme si les barres chassaient le carré ». Ou : « Les lignes poussent le carré, et celui-ci va plus vite ».

Exp. 11 : « Le carré est poussé par derrière par les barres, et il va plus vite ». Ou : « le carré reçoit un élan de chaque ligne : il s’arrêterait sans les lignes ».

Exp. 12 : « Les lignes poussent le carré ».

Dans ces quatre situations, qui sont les plus nettes du point de vue de la prédominance des augmentations de vitesse sur les diminutions, on trouve donc des effets de causalité, soit que le carré renverse ou casse les barres (8), soit qu’il soit poussé par elles (10, 11, 12).

L’expérience 9, dans laquelle le carré se trouve dans la même situation qu’en 8, mais dans la seconde et non pas dans la première moitié du trajet, donne lieu à d’autres réactions de vitesse (8− contre 5+, au lieu de 10+ contre 2−) et à d’autres réactions causales, les unes également de poussée, d’autres d’« activité » : « Quand les barres disparaissent (en 8), dit un sujet, c’est comme une barrière qui s’ouvre, et le carré semble aller un peu plus vite, mais quand les barres sont à droite (en 9), la barrière ne semble plus s’ouvrir sur l’espace vide parce que les barres sont à droite (= dans la seconde moitié du trajet) ».

De même l’expérience 13, qui se distingue de l’exp. 12 en ce que ce que les barres sont devant et non pas derrière le carré (toutes choses restant égales d’ailleurs), donne un résultat plus équivoque à la fois au point de vue de la vitesse (5= et 6− contre 8+ et 1−) et à celui de la causalité.

Les situations 14 et 15 sont également ambiguës et il est intéressant de noter que, en de tels cas, la modification de la vitesse soit en augmentation soit en diminution, en présence du stimulus, peut encore corrélater avec les variations de l’attitude causale ou de l’« activité » prêtée au mobile. Par exemple, dans l’expérience 14 où le carré est derrière le cercle qui avance par saccades, un sujet perçoit le carré plus lent que sans cercle parce que « le carré arrive presque à dépasser le cercle, mais pas tout à fait », tandis qu’un autre sujet attribue au carré une vitesse accélérée, en présence du cercle, parce que « le carré essaie de rattraper le cercle et va plus vite » (rappelons qu’il ne s’agit que d’adultes !). De même, dans l’expérience 15, où le carré devance constamment le cercle, qui le suit par saccades, un sujet dit : « le carré va plus lentement comme si le cercle le retenait par derrière », tandis qu’un autre sujet voit le carré avancer plus rapidement que sans cercle parce que « le cercle pousse le carré et celui-ci va plus vite ». Si une partie des sujets voient le carré plus rapide quand il est derrière le cercle et plus lent quand il est en avant, et qu’une autre partie des sujets voient l’inverse, ce pourrait donc être dans les deux cas pour des raisons du même ordre : ou bien des raisons proprement causales (pousser, etc.), ou ce que Michotte appelle des « influences » (retenir, etc.), ou encore en vertu d’une sorte d’« activité » ou même d’intentionnalité (essayer de rattraper, etc.).

Mais ces remarques consistent simplement à montrer qu’il peut exister des concomitances entre des modifications subjectives de la vitesse et certaines impressions causales ou semi-causales, et cela sans encore chercher si ce sont les modifications de vitesses qui entraînent les impressions causales ou l’inverse (ou l’un et l’autre). Avant de pouvoir procéder à cette analyse, il nous reste à examiner les facteurs autonomes de perception de la vitesse, ce que nous ferons au § 3, et à caractériser ces impressions causales, notamment du point de vue de leur conformité ou non au schéma aujourd’hui classique de Michotte, ce que nous allons faire maintenant.

Il est d’abord à noter l’absence d’impressions causales pour les situations 1 à 6, ce qui est bien naturel. En (1) le mobile est seul en jeu et il ne peut y avoir de causalité. En (2-3), le cercle accompagne le carré sans le devancer ni le suivre : ils sont donc perçus comme formant un seul ensemble, sans agent ni patient. En 4 et en 6, le carré s’éloigne du cercle immobile, et, en 5 et en 7, il se rapproche du cercle immobile : ici encore, il n’y a donc pas de causalité possible, faute de mouvement de l’un des éléments.

Par contre quand, dans l’expérience 15 (où le cercle suit par saccades le carré dont le mouvement est continu) des sujets voient le cercle qui pousse le carré, il s’agit d’un effet presque typique d’« entraînement » à la seule réserve des secousses de l’agent, qui comportent un léger aspect de « lancement ». De même, on peut assimiler à un « lancement » presque typique les réactions à la situation 8, où le carré renverse les barres : du moment qu’elles disparaissent, il est normal que les sujets perçoivent le résultat de la rencontre comme si elles étaient renversées ou cassées.

Mais il est plus curieux d’observer l’attribution d’une efficacité causale à des barres surgissant derrière le carré, et même une efficacité d’autant plus grande que les barres demeurent en place (expériences 10 et 11, contrairement à 12) : les barres sont ainsi perçues comme présentant une influence à la fois répétée et continuée, donc cumulative. Il y a là deux problèmes distincts. Nous commencerons par le fait qu’une seule barre apparaissant sur place puisse provoquer une impression causale.

Selon Michotte, un effet causal visuel s’explique par l’ampliation du mouvement et suppose ainsi une identité ou tout au moins une communauté de direction entre le mouvement de l’agent et celui du patient. Nous avons cependant déjà constaté avec Lambercier 1 que quand un rectangle A surgit sur place à côté d’un rectangle B, qui se met alors en mouvement, il y a impression causale relativement nette. Or, en ce cas, l’apparition de A s’accompagne d’un mouvement apparent (stroboscopique) en général perpendiculaire au mouvement suivant de B (A venant d’en dessous, d’au-dessus, de l’arrière-plan), mais avec un début de départ oblique, dû au dispositif des disques. Par contre, dans la présente situation la barre provoque par son apparition un mouvement stroboscopique qui semble entraîné dans le sens même du mouvement du carré ou avec des compromis variés. Il en résulte que la barre semble « pousser le carré », bien que celui-ci soit déjà en mouvement par lui-même, et provoquer ainsi une accélération de celui-ci.

Nous allons d’abord chercher à formuler cette action causale d’une seule barre, en nous servant du schéma que l’un de nous a proposé 2 pour expliquer l’impression produite par l’ampliation du mouvement, lorsqu’elle est indubitable, mais pour expliquer aussi les impressions perceptives éprouvées lorsque cette ampliation est douteuse, comme dans le cas particulier.

Ce schéma revient simplement à supposer que l’impression causale est due à un jeu de compensations entre ce que perd l’agent A lors de l’impact (son mouvement M, sauf dans l’entraînement, et les effets dynamiques F de poussée, choc, etc.) et ce que gagne le patient B à la suite de l’impact (son mouvement M et sa résistance R, caractérisée du point de vue perceptif par les impressions de « plus ou moins difficilement ou facilement mis en mouvement ». On aura donc :

(1) M(A) + F(A) = M(B) + R(B)

où (si A1 et B1 = A et B avant l’impact et A2 et B2 = A et B après l’impact :

M(A) = M(A1) − M(A2) et M(B) = M(B2) − M(B1)

Dans le cas particulier (expérience 12), où l’agent A est constitué par une seule barre à la fois, apparaissant avant l’impact et disparaissant ensuite, nous pouvons alors détailler comme suit les différentes actions et réactions en jeu :

(2) M(A) + F(A) = M1(B) + R1(B)

où M(A) = mouvement (apparent) de chaque barre agissant isolément.

F(A) = poussée de chaque barre (faible et sans impression de choc)

M1(S) = mouvement gagné par le carré B, donc légère accélération

F1(B) = résistance du carré, qui est déjà en mouvement (nulle).

L’impression causale résulterait alors de la compensation M(A) + F(A) − M1(B), c’est-à-dire d’une équivalence entre un mouvement et une légère poussée de A (jusqu’au moment de l’impact) et une légère accélération de B.

Si maintenant notre considérons le cas de plusieurs A simultanément présents (exp. 10-11 : les barres précédentes demeurent en place à l’apparition des suivantes), on se trouvera en présence de la situation suivante, qui est intéressante du point de vue de la causalité perceptive (il faut se rappeler qu’à son apparition chaque barre A peut donner lieu à un mouvement apparent dans le sens de la trajectoire de B) :

(3) M(A) + F(nA) = M2(B) + R2(B)

où M(A) = mouvements apparents de chaque barre (= MA dans la prop. 2) ;

F(nA) = poussée de l’ensemble des barres, plus forte : F(nA) > F(A) de la prop. 2 ;

M2(B) = mouvement gagné par B, donc accélération apparente, perçue subjectivement comme M2(B) > M1(B) ;

R2(B) = résistance de B (nulle).

Or, cette augmentation de vitesse M2(B) > M1(B) soulève un problème, en ce sens que rien ne la justifie du point de vue des facteurs habituels de la causalité perceptive : en effet, les barres A déjà apparues demeurent immobiles après leur mouvement lors de l’apparition. Il faudra donc nous demander si ces nA barres peuvent expliquer sans passer par la causalité la vitesse légèrement plus grande attribuée par les sujets au carré B dans les situations 10 et 11, par opposition à la situation 12 : en ce cas l’impression de poussée supérieure attribuée par les sujets aux nA (soit FnA > FA) résulterait de la vitesse supérieure attribuée à B (soit M2B > M1(B) et non pas l’inverse…

Reprenons de ce point de vue l’opposition entre les situations 8 et 13 ainsi qu’entre 8 et 9. En 8, on a donc une série de barres immobiles et simultanément présentes, nB, que le carré A fait tomber tour à tour (ici le carré constitue donc l’agent A et les barres les patients B). En 13, au contraire, on a chaque fois une seule barre présente B, en contact avec le carré A, ce qui produit une moindre action causale. La formulation nous aidera peut-être à comprendre pourquoi.

Pour la situation 8, on aura donc :

(4) −M1(A) + F1(A) ≤ M(nB) + R(nB)

Où l’on a < parce que le mouvement perdu par A est moindre que M(nB), etc.

où −M1(A) = le mouvement du carré A, s’accélérant un peu au moment de l’impact (et ne perdant donc rien contrairement aux A des prop. 2 et 3) ;

F1(A) = la poussée exercée par le carré A, et solidaire de cette accélération ;

M(nB) = mouvement de chute des B successifs ;

R(nB) = résistance éventuelle des barres B (très faible ou nulle).

Or la difficulté du point de vue de la causalité perceptive est ici l’accélération de A, qui fait que la prop. (4) est sans doute une inégalité et non plus une équivalence. En effet, dans le « lancement » typique, l’agent A s’arrête ou du moins se ralentit après l’impact. Il ne garde sa vitesse que dans l’« entraînement » 3, mais ici les B ne sont nullement « entraînés » puisqu’ils disparaissent ! D’une manière générale, il n’y a accélération que dans le « déclenchement », mais pour le patient B et non pas pour l’agent A, ou dans le lancement mais avant et non pas après l’impact, et indépendamment de lui. Il y a donc ici à nouveau un paradoxe et il faudra nous demander si, en ce cas, ce ne serait pas un effet préalable de vitesse qui, ou bien accompagne l’effet causal sans relation entre eux, ou renforce l’effet causal mais simplement à cause d’une « activité » attribuée à A mais précisément en raison de sa vitesse accrue.

Quant à la situation 13, on a :

(5) M2A + F2(A) = M(B) + R(B)

où M2(A) = mouvement de A, cette fois accéléré pour 5 sujets et ralenti pour 6, donc M2(A) ≶ M1(A) puisque M(A) est le mouvement perdu et non gagné ;

F2(A) = poussée de A, donc F2(A) < F1(A) ; M(B) < M(nB). En effet, chaque B apparaît à part et disparaît ensuite 4, tandis que les nB sont donnés au préalable, simultanément et immobiles, puis disparaissent un à un. Les B donnent donc ici l’impression d’être plus spontanés, et, par conséquent, le mouvement gagné par les B, soit M(B) paraît plus faible que dans le cas des nB de la prop. (4) où ils étaient moins actifs :

R(B) = résistance (nulle).

Une telle situation est donc équivoque au point de vue causal : d’une part le ralentissement de A après l’impact est conforme au schéma du lancement, mais, d’autre part, l’« activité » apparemment supérieure de B affaiblit l’impression causale due au ralentissement de A.

On a vu, d’autre part, que la situation 9, identique à 8 mais avec barres dans la seconde moitié du trajet, donne lieu à un renversement des estimations de vitesse (8− et 5+ contre 10+ et 2−). Or, ce ralentissement attribué à A est entièrement conforme aux conditions normales de l’effet « lancement » (de telle sorte qu’il est inutile de formuler cet effet, qui est conforme à la prop. 1). Mais il s’y ajoute le fait que, pour certains sujets, le ralentissement du carré (A) serait dû à ce que les barrières B ne s’ouvrent plus (en 9) sur une trajectoire libre, mais s’ouvrent seulement au terme du trajet de A : or, cette impression » n’est précisément plus de nature proprement causale, mais (si elle n’est pas simplement une justification après coup) elle intéresse à la fois la causalité et la vitesse, et il s’agira de trouver dans quel sens.

Il reste les intéressantes observations qu’ont provoquées les situations 14 et 15, dont les unes sont essentiellement cinématiques (dépasser et rattraper) et d’autres causales. Or, parmi les réactions causales à la situation 15 (carré précédant le cercle à vitesses égales), on note l’ambiguïté : le carré peut être poussé par le cercle (lancement au vol, normal) mais il peut aussi aller plus lentement parce que « retenu » par le cercle. Or, cette dernière réaction, sans être coercitive, est de celles qui démontrent l’existence d’impressions visuelles de résistance, liées à la vitesse. En effet, dans le cas de la « traction » simple, comme dans celui de l’entraînement on a M(A) = 0 puisque le mouvement de A reste le même après l’impact (on se rappelle que MA = MA1 − MA2 : voir prop. 1), donc :

(6) MA(= 0) + FA(> 0) = MB(> 0) + RB(= 0)

Dans l’impression que nous discutons, où A semble retenu par B, nous avons au contraire :

(7) MA(> 0) + FA(> 0) = MB(> 0) + RB(> 0)

où M(A) — mouvement du carré A tirant le cercle B : petite diminution de vitesse puisque (MA1 −MA2) > 0.

F(A) = action de traction : forte

M(B) = mouvement acquis par le cercle tiré : fort

§ 3. Les effets de modification de la vitesse

Le résultat du § précédent étant que les modifications apparentes de la vitesse ne dépendent pas univoquement des impressions causales, nous allons maintenant chercher à interpréter pour elles-mêmes ces modifications cinématiques.

D’une manière générale, on peut distinguer trois sortes de situations déterminant la perception des vitesses :

(1) Comparaison des vitesses égales ou inégales) de deux mobiles perçus simultanément (ou l’un immédiatement après l’autre).

(2) Estimation de la vitesse d’un seul mobile suivi du regard, avec ou sans éléments de référence immobiles (en particulier estimation des accélérations ou ralentissements de ce mobile unique au cours de son mouvement).

(3) Estimation de la vitesse d’un seul mobile (ou de plusieurs) traversant le champ de centration du regard (fovéa ou périphérie), mais le regard demeurant fixé et immobile.

En chacune de ces trois situations, on peut interpréter la perception de la vitesse soit en termes de relations entre l’espace phénoménal es et le temps phénoménal ts (donc vs = es : ts), soit en termes de relations d’ordre (devancement, dépassement, rattrapement, etc.), et ceci même dans la situation 3.

La présente recherche a porté sur des situations du type 2 (avec il est vrai des éléments de référence mobiles dans les expériences 2-3 et 14-15, mais à titre seulement de références et non pas pour provoquer une comparaison explicite entre les vitesses du mobile et celles de l’ER 5. De plus, elle a été organisée à titre de sondage préliminaire (d’autres recherches du même genre étant poursuivies par l’un de nous avec la collaboration de Y. Feller et E. McNear) pour contrôler la légitimité de l’interprétation par les relations d’ordre. L’hypothèse était que, les mouvements du regard étant connus du sujet à la fois par voie proprioceptive et par voie simplement visuelle (déplacement du point de centration par rapport au fond immobile), on pourrait éprouver, en suivant des yeux un mobile à vitesse constante, des impressions d’accélération ou de ralentissement apparents selon que le mobile paraît en avance ou en retard sur le mouvement du regard tendant à le suivre. C’est dans ce but que nous avons introduit des ER sous forme de cercles et de barres, dans l’idée que, en attirant le regard et en modifiant par conséquent la poursuite du mobile par le mouvement oculaire, on pourrait éventuellement modifier les impressions de vitesse.

Or, les résultats obtenus n’ont pas mis en évidence d’effets coercitifs, comme on aurait pu l’espérer : le 50 % environ des sujets n’ont perçu aucune modification des vitesses (et le 40 % dans les exp. 9 et 11). Mais, d’une part, il est souvent difficile, même chez l’adulte, d’obtenir des sujets une vraie « impression » perceptive par opposition aux interprétations conceptuelles et on peut toujours se demander si les sujets qui disent ne voir aucune modification ne sont pas influencés par quelque permanence notionnelle. D’autre part, les sujets qui ont perçu quelque modification ont, dans les grandes lignes, réagi comme ceux de Mlles Feller et McNear avec un appareil moins précis mais plus maniable que les films.

Nous allons donc chercher à interpréter du point de vue de la vitesse les résultats des expériences 2 à 15 :

Exp. 2-3. — Dès ce premier couple de situations où l’ER accompagne le mobile nous voyons 9 et 10 sujets sur 22 percevoir une modification. En (2), 3 sujets voient une accélération et 6 une diminution de vitesse, et en (3) la proportion est inverse (6 + et 4−) 6. Il est donc clair que la situation est ambiguë : en suivant des yeux un mobile accompagné d’un ER, ou bien on est gêné par ce second élément qu’on aura tendance à fixer, ce qui donnerait l’impression que le mobile le dépasse et va plus vite, ou bien on perçoit les deux éléments comme un seul bloc facilitant la poursuite du regard, lequel, prenant de l’avance tend à dévaloriser la vitesse du mobile. On pourrait alors supposer que quand l’ER apparaît au milieu du trajet, il joue un rôle perturbateur et la première possibilité domine quelque peu, tandis que quand le bloc est donné dès le départ c’est la seconde possibilité qui domine. Mais il faut ajouter qu’il existe un effet d’accélération lors de l’arrivée du mobile dans le champ qui peut aussi rendre compte de cette différence entre 2 et 3 (ce qui reste susceptible d’ailleurs d’une explication par les relations d’ordre : difficulté d’un ajustement immédiat du regard au mobile, d’où accélération apparente de celui-ci).

Exp. 5-6. — Un second couple de situations est fourni par un ER situé au milieu du trajet (lors du départ du carré sur la gauche) et disparaissant lors de la jonction (5) et un ER surgissant au milieu du trajet (quand le carré le dépasse) et subsistant en ce point jusqu’au terme du mouvement (6). En ce cas, l’hypothèse était que le regard, attiré par l’ER en 5, devancerait le mobile ce qui en retarderait la marche apparente ; et que le regard, retenu par l’ER en 6, ne suivrait plus à la même vitesse le mobile qui en paraîtrait accéléré. C’est en ce sens que s’orientent les faibles écarts : 7− contre 3+ en (5) et 7+ contre 4− en (6) confirmés par Feller-McNear pour (6), soit 13+ et 4− en tout, mais non pas pour (5).

Exp. 4-7. — Un troisième couple est fourni par un ER demeurant immobile au point de départ du trajet jusqu’à ce que le mobile soit à mi-chemin (4) et un ER apparaissant au terme du parcours dès la moitié de celui-ci (7). À n’invoquer que les facteurs précédents on devrait obtenir une accélération apparente en 4 et un ralentissement apparent en 7. Or, on trouve le contraire en 7 (8+ et 4− ou 13+ et 9−) et un effet nul en 4. Il s’y ajoute donc un autre facteur, dont nous avons constaté ailleurs l’influence (ce qui n’empêche pas les facteurs précédents d’agir concurremment, en particulier dans le cas des réactions de minorité) : un repérage du point d’arrivée semble augmenter la vitesse apparente du mobile parce que le regard oscille alors entre l’ER et le mobile et anticipe ainsi l’arrivée 7. Ce facteur ne joue naturellement pas en sens inverse au départ (le repérage du point de départ ne joue pas de rôle à cet égard) et ne saurait jouer qu’un rôle affaibli dans l’exp. 5, car un ER à mi-chemin n’est pas identique à un signal d’arrivée.

Exp. 8-11. — Avec les barres immobiles, nous retrouvons les facteurs en jeu dans les exp. 2-3 et 5-6, et pouvons le supposer avec une sécurité accrue du fait de la concordance avec les résultats Feller-McNear 8 : en effet, dans les situations telles que le mobile passe derrière 9 barres stables (sans apparition ou disparition en cours de route comme dans les exp. 8-11), donc sans intervention de la causalité perceptive, il y a accélération apparente du mobile. Cela est vrai aussi bien quand les barres occupent la seconde moitié du trajet (63 % des sujets) que la première moitié (84 % des sujets) ou que l’intervalle compris entre le ¼ et les ¾ (70 % des sujets). En outre cela n’est pas dû à une augmentation apparente de la longueur spatiale divisée car 45 % des sujets voient l’espace se rétrécir sous l’effet du mouvement, 26 % s’allonger et 29 % sans effet. Or, si l’action des barres est indépendante de la causalité ainsi que de la dilatation des espaces divisés, elle ne peut tenir qu’à l’intervention des mouvements oculaires, c’est-à-dire au fait que les barres ralentissent le mouvement de poursuite du mobile par le regard et donnent alors une impression relative d’accélération du mobile. En règle générale, les barres disperseraient ainsi l’attention perceptive (ou les points de « rencontre » au cours des centrations mobiles du regard) et la vitesse apparente du mobile serait accélérée pour la même raison que la vitesse d’un mobile paraît moins grande quand il est suivi par le regard et supérieure quand elle est perçue à partir d’un point de fixation stable 9.

Ces considérations expliqueraient l’accélération notée dans les exp. 8, 10 et 11. Mais elles n’expliquent pas le ralentissement relatif observé en 9. Il faut donc introduire des différenciations au sein de ce facteur général. Il faut d’abord distinguer le cas où les barres sont en arrière du mobile (exp. 10 et 11) et où l’accélération de celui-ci va de soi, puisqu’il dépasse le regard retenu par ces barres ; et le cas où les barres sont en avant du mobile, ce qui donnerait un retard au mobile par rapport au regard. Cette dernière considération expliquerait alors la diminution relative de vitesse (8− et 5+) dans l’exp. 9, mais serait contradictoire avec les résultats de l’exp. 8 où les barres sont en avant du mobile et où celui-ci paraît accéléré. Seulement, dans la situation 8, où les barres sont situées dans la première moitié du parcours et non dans la deuxième comme en 9, il intervient une double action, et d’irruption du mobile dans le champ et de barres : or, cette double action peut suffire à empêcher un ajustement rapide du regard au mobile, et par conséquent à accélérer subjectivement celui-ci.

Exp. 12-13. En ce couple de situations, il n’apparaît qu’une seule barre à la fois, dans la première moitié du trajet, soit en avant (13) soit en arrière du mobile (1). Il va donc être possible de contrôler si ce facteur joue effectivement un rôle, puisque toutes les autres circonstances sont égales. Or, l’exp. 12 donne 8 accélérations contre 1 ralentissement, et l’exp. 13 tend à renverser le rapport (5+ et 6−) mais avec effet contraire dû à l’apparition du mobile dans le champ.

Exp. 14-15. — Un cercle précède le carré et le devance par saccades (14) ou le suit de près et s’en rapproche par saccades (15), les deux fois dans la première moitié du trajet. Dans le second cas (15), l’effet cinématique de la fixation sur le cercle doit être d’accélérer subjectivement le mouvement du carré qui devance le regard ; mais, comme les deux figures ne forment pas un tout du point de vue cinématique, puisque le mouvement du carré est continu et celui du cercle discontinu, il peut y avoir centration sur le carré lui-même : d’où, au total, un effet d’accélération mais affaibli, qui se traduit par 8 + et 5−. Dans le cas inverse (14), la centration sur le cercle ralentit le carré, mais la centration sur le carré renforce l’accélération du cercle par saccades : d’où 6+ et 5− (égalité) et surtout 4 cas d’instabilité. Ces doubles effets possibles correspondent à ce que disent les sujets eux-mêmes : le carré « dépasse presque le cercle mais pas tout à fait » (d’où diminution de vitesse par centration sur le cercle) ou le carré « essaie de rattraper le cercle » (d’où accélération du carré).

Conclusion. — Il peut être intéressant de relever, en résumé, que sur les 6 situations dans lesquelles l’ER est situé en arrière du mobile, on trouve 5 situations (exp. 6, 10, 11, 12 et 15) avec prédominances des accélérations et 1 situation avec égalité (exp. 4), soit 51 cas individuels d’accélérations contre 16 de diminutions de vitesse (ou 57+ et 16− avec les contrôles). Au contraire sur les 6 situations dans lesquelles l’ER est en avant du mobile, on n’en trouve que 2 ou 3 (exp. 5 ?, 9 ; et 13 ?) avec prédominance des diminutions de vitesses et 3 (exp. 7, 8 et 14) avec prédominance des accélérations, soit au total 37 cas individuels d’accélérations et 32 de diminutions, donc à peu près 50 % de chaque. Ceci montre à nouveau l’enchevêtrement des facteurs quand l’ER devance le mobile et se trouve donc dans la direction du mouvement, tandis que l’effet d’accélération du mobile par les ER en retard sur lui est plus net.

§ 4. Vitesse et causalité

Mais, répétons-le, le but de cette note n’est pas de présenter une interprétation des perceptions de la vitesse : il n’est que de chercher à établir l’existence de certaines convergences ou divergences entre les impressions causales perceptives et les modifications apparentes de la vitesse.

D’un tel point de vue, la situation théorique est la suivante. En premier lieu, il va de soi que les impressions perceptives de causalité dépendent de la vitesse (objective et subjective) des mobiles, puisque ce sont les rapports de vitesse qui déterminent les trois variétés du « lancement », de l’« entraînement » et du « déclenchement » (valeurs respectives de MA et de MB dans la prop. 1 du § 2). En second lieu, la vitesse du mobile peut être modifiée par un élément de référence (ER) indépendamment de toute relation de causalité perceptive entre cet ER et le mobile, et cette modification subjective de la vitesse peut donc entraîner des modifications de l’impression causale. Mais, en troisième lieu, il se peut que la causalité, par le fait même qu’elle suppose certains rapports de vitesse, influence à son tour les impressions subjectives de vitesse.

Il nous faut donc maintenant considérer ces points 2 et 3 et chercher à dégager, dans les résultats observés, ce qui pourrait provenir d’une action de la causalité perceptive sur l’impression de vitesse et ce qui, réciproquement, témoigne d’une action sur la causalité d’effets cinématiques indépendants d’elle. En fait, nous n’avons trouvé ni production d’effets cinématiques sous l’influence de la causalité, ni à proprement parler production d’effets de causalité sous l’influence de modifications indépendantes de vitesse, mais simplement trois ou quatre catégories d’actions de renforcement ou de neutralisation, plus une catégorie d’effets cinématiques sans causalité :

(1) Effets cinématiques sans causalité perceptive : exp. 2 à 7.

(2) Effets d’accélération, au sein d’une impression causale, sous l’influence d’actions cinématiques indépendantes de la causalité perceptive : exp. 8.

(3) Effets cumulatifs d’impressions cinématiques inhérentes à la causalité perceptive et d’actions cinématiques indépendantes :

(a) Accélérations : exp. 10, 11 et 12. (b) Ralentissement : exp. 9.

(4) Effets ambigus (cumulatifs ou neutralisés) entre les deux sortes d’actions : exp. 13, 14 et 15.

Catégorie (1). Inutile d’y revenir.

Catégorie (2). Effets d’accélération, au sein d’une impression causale, sous l’influence d’actions cinématiques indépendantes (Exp. 8). En ce cas il y a, non pas production d’une action causale sous l’influence d’actions cinématiques, mais renforcement de la vitesse au sein d’une impression causale qui, normalement, ne devrait comporter qu’une vitesse plus faible : le carré qui paraît renverser les barres présente, en effet, un mouvement qui semble accéléré par elles alors que, du point de vue de la causalité perceptive, il n’y a pas de raison qu’il en soit ainsi (l’agent A étant stoppé ou ralenti à l’impact avec B, dans les situations typiques).

Catégorie (3a). Accélérations dues aux effets cumulatifs de causalité et de vitesses (exp. 10, 11, 12). Du point de vue causal on est en présence, dans ces trois expériences, d’un « lancement au vol », c’est-à-dire que le patient B, déjà en mouvement, semble acquérir une vitesse plus grande du fait de la poussée des barres 10. Mais cette accélération est ici de nature subjective et ne tient pas aux conditions cinématiques effectives ou objectives du dispositif : il est néanmoins possible qu’elle tienne en partie à l’impression causale elle-même, car il arrive parfois qu’une estimation de la vitesse soit modifiée par le contexte causal dont elle dépend. Réciproquement, comme il a déjà été dit (à propos de la prop. 3), il n’y a pas de raisons pour que plusieurs barres restant immobiles après leur apparition accélèrent davantage le carré que des barres apparaissant et disparaissant successivement : l’accélération marquée dans les exp. 10 et 11 (par opposition à 12) tient donc aussi à une action cinématique indépendante. Nous pouvons donc admettre un effet cumulatif des actions causales et cinématiques, mais, si ce n’était pas le cas, les dernières suffiraient à expliquer toutes les accélérations en jeu.

Catégorie (3b). Ralentissements dus aux effets cumulatifs de causalité et de vitesses (exp. 9). Le ralentissement du carré, en 9, peut tenir tant au contexte causal (ralentissement de l’agent après l’impact) qu’aux effets cinématiques dus à la situation des ER en avant du mobile. Quant aux réactions minoritaires d’accélération, elles ne peuvent tenir qu’à des raisons cinématiques liées au point d’arrivée du trajet.

Catégorie (4). Effets ambigus, cumulatifs ou neutralisateurs (exp. 13, 14 et 15). Notons d’abord que l’exp. 14 pourrait presque être classée dans la catégorie 3a, puisqu’il y a majorité en faveur de l’accélération et que ceci peut tenir à des raisons à la fois causales (« le cercle pousse le carré ») et cinématiques (centration sur le cercle en arrière, ce qui accélère le carré). Mais, comme on l’a vu, il peut y avoir deux sortes d’impression causales contraires (§ 2) et deux sortes d’effets cinématiques opposés (§ 3), d’où l’ambiguïté possible.

Quant aux exp. 13 et 14, elles sont réellement ambiguës, parce qu’elles ont ceci de commun que l’ER est situé en avant du mobile. En ce cas, on se trouve en présence d’une situation voisine de celle où l’ER marque un point d’arrivée : comme le dit un sujet (§ 2), le carré « essaie de le rattraper », ce qui marque l’addition cumulative d’une « activité » semi-causale et d’un effet cinématique (centration sur le mobile en référence avec l’ER, ou « point d’arrivée qui se déplace »). Mais il y a aussi l’effet inverse : centration sur l’ER qui ralentit subjectivement le mobile et « activité » semi-causale de ne pas rattraper (« presque mais pas tout à fait »). D’où quatre combinaisons possibles et une ambiguïté se traduisant par l’égalité numérique des + et des −.

En conclusion, ce petit sondage donne quelques exemples intéressants de convergence et de divergence entre certains effets cinématiques intérieurs aux impressions causales et des effets cinématiques indépendants. Mais ces relations occasionnelles montrent surtout qu’il s’agit là de deux domaines bien distincts et sans interaction véritable. La perception de la causalité suppose une perception préalable des vitesses (comme des repères spatiaux et temporels), mais y ajoute un jeu de compensations de nature beaucoup plus complexe, où interviennent, avec la résistance, etc., des impressions tactilo-kinesthésiques transposées en visuelles et probablement des schèmes tenant à l’action sensori-motrice entière : elle est donc d’un niveau bien supérieur à celui des effets de champ. Au contraire, il y a perception de la vitesse dès les effets de champ, et les estimations de la vitesse en jeu dans nos sondages, tout en dépassant ces effets primaires, ne font intervenir que des mises en relation entre le mouvement du mobile et les mouvements oculaires, avec effets de retard ou d’accélération (ou des effets mixtes quand le sujet oscille entre la centration sur le point d’arrivée et la centration sur le mobile qui tend à arriver).