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Ière Partie : Introduction générale

      Note liminaire

      Dans les pages qui suivent, les textes anciens cités le sont, sauf indication spéciale, d'après les éditions indiquées dans l'Index du Thesaurus linguæ Latinæ (dont on a aussi repris les abréviations) ; hormis le cas des inscriptions ou extraits de manuscrits donnés, l'orthographe a été normalisée en reprenant les choix, parfois arbitraires mais largement répandus, du Dictionnaire Latin Français de Félix Gaffiot, mais sans distinguer entre les lettres i et j, respectivement u et v.

      Pour les ouvrages modernes, les renvois sont faits à la Bibliographie par nom d'auteur et année de publication - peu d'entre elles vont au-delà du xxème siècle, ces pages (hormis les traductions) ayant été pour l'essentiel rédigées entre 1995 et 1997 ; dans certains cas spécifiques, des références à des articles récents apportant d'utiles compléments ou confirmations ont été mentionnés.

      Les autres abréviations suivent l'usage commun, avec cependant trois particularités :

      DECA renvoie au Dictionnaire encyclopédique du christianisme ancien (dir. Di Berardino, adapt. française Vial, éd. originale Genova 1983), Paris 1990. Pour les autres abré-viations d'instrumenta et de collections, cf. p.ex. les pp. xxiii-xxxi de la Clauis Patrum Latinorum (E. Dekkers et Æ. Gaar, Steenburgis 31995), ouvrage abrégé CPL.


I. Contexte de la composition du Peristephanon


1. L'Auteur


a) Vie de Prudence

      Nom, patrie

      1 Aurelius Prudentius Clemens : le nom du poète est transmis par les manuscrits 3  ; aucun écrivain ou document contemporain ne le mentionne 4 . Ce sont ses oeuvres qui nous renseignent sur sa vie, en particulier la Præfatio, ainsi que le Peristephanon.

      2 Certains poèmes du Peristephanon permettent de déterminer que Prudence fut originaire d'Hispania Tarraconensis, du bourg de Calagurris (Calahorra, patrie aussi de Quintilien), qui appartenait au conuentus Cæsaraugustanus et dépendait admistrativement de Saragosse 5 . L'origine hispanique de Prudence transparaît dans le choix du sujet de ses poèmes : outre l'illustre martyr Vincent, il a célébré ceux de Calahorra, de Saragosse, de Tarragone et de Mérida 6 . Il se présente lui-même comme un provincial (poeta rusticus), séparé de Rome par les Alpes, par les Pyrénées et par l'Èbre 7 .

      3 À cette patrie locale, sa domus 8 , s'ajoute, plus universelle et probablement plus fascinante pour Prudence, celle de Rome : le Contre Symmaque, où il développe une théologie politique, illustre bien ce patriotisme romain parfois extrême 9  ; perist. 2 évoque le rôle providentiel de Rome, et le Peristephanon célèbre, outre saints Pierre et Paul, les martyrs romains par excellence que sont saints Laurent et Agnès, ainsi que d'autres, moins connus, qui reposent dans les catacombes romaines 10 . Prudence ne semble avoir visité la ville de Rome que tardivement et, à ses dires, pour des motifs graves 11  ; ce qui fut aussi un pèlerinage influença l'homme et l'auteur 12 .

      4 Le choix même des martyrs célébrés dans le Peristephanon laisse entrevoir un patriotisme limité à la partie occidentale de l'Empire 13  ; s'il exalte Rome comme creuset des nations et terre des martyrs 14 , Prudence ne dit mot de Constantinople et ignore l'Empire d'Orient lorsqu'il énumère les parties du monde 15 . Cette attitude de Prudence, partagée par ses contemporains, apparaît comme symptomatique de son temps : quand en 395 meurt Théodose 16 , l'Empire perd son dernier dirigeant unique et devient l'objet d'un partage dont l'Histoire montrera qu'il fut définitif.

      La Præfatio et les étapes de la vie de Prudence

      5 Poème autobiographique et programmatique destiné à être placé en tête des oeuvres de Prudence, la Præfatio apporte des renseignements précis, comme l'année de naissance de l'auteur (348) 17  et l'âge tardif auquel il compose ses poèmes (56 ans) 18 . D'autres indications, moins précises, concernent sa carrière : après avoir gouverné deux villes importantes et y avoir rendu la justice, Prudence fut appelé à la cour de l'empereur, avec un rang de proximus 19 . Ce qui concerne sa jeunesse, hormis le fait de la pratique du droit (cf. præf. 13-15), est stéréotypé, peut-être sur le modèle du début des Confessions de saint Augustin 20 .

      6 Prudence, âgé de 14 ans au début de la réaction païenne de Julien l'Apostat, a pu être concerné d'assez près par ses mesures contre les enseignants chrétiens 21 . Plus tard, sa formation rhétorique et son activité au service de l'État n'ont pu ne pas influencer ses oeuvres. Il a probablement résidé à Milan durant l'épiscopat de saint Ambroise ; il a pu être témoin de ses luttes contre le dernier carré païen (affaire de l'autel de la Victoire en 383) 22  et contre des hérétiques (entre 385 et 386, occupation de la basilique Porcienne revendiquée par l'impératrice-mère Justine, arienne) 23 , ainsi que de la découverte des restes de saints Gervais et Protais (en 386) 24  ou de la pénitence publique de Théodose après le massacre de Thessalonique (en 390) 25 .

      7 Prudence conclut la Præfatio par l'affirmation de sa conversion et de son désir de plaire à Dieu, sinon par ses mérites, du moins grâce à ses poèmes, qu'il énumère en évoquant leur propos. On entrevoit dans le Cathemerinon la vie ascétique qu'il mène, avec la célébration des heures (cath. 1-9), l'observation de jeûnes (cath. 7-8) et même un régime édénique fait de produits végétaux, de lait et de miel (cf. cath. 3).

      8 Comment interpréter le programme poétique indiqué comme un projet à la fin de la Præfatio ? Ce passage servant de partitio, le programme devrait être déjà réalisé, au moins en partie, quand l'auteur en rédigeait le sommaire. La date de 404, donnée dans la Præfatio 26 , correspond-elle à la date de la rédaction du poème (et de l'achèvement du corpus) ou à un moment antérieur ? La datation haute de plusieurs poèmes tardifs 27  amène à considérer que 404 marque le moment où le poète décida d'organiser ce corpus à partir de poèmes antérieurs (et où il composa la Præfatio). Les premiers poèmes datables de Prudence semblent effectivement avoir été écrits lors de sa retraite en Hispanie 28 . La virtuosité du poète, qui recourt aux formes métriques les plus diverses, donne à penser qu'il avait écrit des poèmes déjà avant sa pieuse retraite : poèmes perdus - comme un Hexaemeron que lui attribue Gennade 29  -, ou peut-être reniés du fait de leur nature profane ou de défauts littéraires.

      Contemporains, collègues et compatriotes

      9 Prudence est d'origine hispanique, comme le pape Damase et l'empereur Théodose. Ce dernier, qui n'est l'aîné de Prudence que d'un an, a pu le connaître durant une 'retraite' en Hispanie (entre 376 et 378) et lancer peu après sa carrière. Après les 20 ans de service, elle se serait achevée avant 398-399, qui correspond au terminus post quem des deux poèmes les plus anciens du Peristephanon 30 .

      10 À Milan, Prudence a été marqué par la figure de saint Ambroise (cf. § 6). Il deviendra à plusieurs égards son émule. L'un et l'autre ont été hauts fonctionnaires - en 374, Ambroise assistait en qualité de gouverneur de la province d'Émilie-Ligurie à l'élection qui le fit évêque de Milan - et, ayant atteint le faîte de leur carrière civile, ont servi Dieu et l'Église par des hymnes consacrées aux heures ou dédiées aux martyrs, et par des ouvrages polémiques. Prudence a peut-être assisté au baptême d'Augustin par l'évêque Ambroise lors de la vigile pascale de 387 - avant d'en lire l'évocation dans les Confessions (9, 6, 14), composées entre 397 et 401 31 .

      11 Prudence a pu fréquenter des poètes de cour tels Ausone 32  et Claudien (avec lequel il polémique indirectement en perist. 14 : cf. § 105). Il a peut-être rencontré à Rome 33  Paulin de Nole, auquel il rend hommage dans un catalogue de pèlerins 34 .

      12 Prudence semble avoir d'abord puisé son inspiration dans les classiques (Virgile et Horace) et chez nombre de poètes profanes (cf. § 40-41) ; l'influence de ses contemporains fut surtout celle d'Ambroise, qui lui fournit l'essentiel de ses thèmes et - par l'intermédiaire de l'évêque de Milan 35 , puis de manière posthume, à Rome - de Damase, auteur d'épigrammes consacrées aux martyrs 36 .

      13 Bras droit de ce pape, saint Jérôme, né probablement la même année que Prudence, n'en fait pas mention dans son De uiris illustribus (notices relatives aux auteurs chrétiens) composé en 392. Prudence ne semble pas non plus connaître la Vulgate (réalisée entre 391 et 406) à l'époque où il compose ses poèmes, mais il utilise apparemment une notice de la Chronique hiéronymienne comme source de perist. 7 37 .

      14 Les circonstances ont fait qu'aucun de ses contemporains ne nomme ou ne cite Prudence, alors que la première mention à son sujet, qui date de la fin du ve s., sera des plus élogieuses, et laissera à croire qu'il est devenu un classique 38 .


b) OEuvres de Prudence

      Diversité des oeuvres de Prudence

      15 Avec ses 3 762 vers, le Peristephanon totalise plus du tiers des 10 890 vers que comptent les oeuvres conservées de Prudence 39 . Comme Horace, Prudence a écrit une partie de son oeuvre en hexamètres dactyliques, et plus de la moitié dans d'autres formes poétiques 40 . Les poèmes hexamétriques sont didactiques (Apotheosis, Hamartigenia, Psychomachia, Contra Symmachum) 41  et épigraphiques (Dittochæon). Parmi les autres pièces, composées dans des mètres variés, on peut distinguer :

  • les hymnes, regroupées dans des recueils (Cathemerinon, Peristephanon) ;
  • les poèmes servant de cadre aux oeuvres de Prudence (Præfatio, Epilogus) ou de préface à chacun des traités didactiques (præfationes, sans titre) ou encore à l'ensemble de ces traités (Hymnus de Trinitate) 42 .

      L'oeuvre de Prudence est entièrement 'chrétienne' : ses poèmes didactiques ont un contenu théologique et moral (Apotheosis : nature de Dieu - en particulier, doctrine de la Trinité ; Hamartigenia : origine du mal ; Psychomachia : combat de l'âme, et dans l'âme, de Vertus et de Vices personnifiés) ou polémique (Contra Symmachum : contre le paganisme) ; sa partie lyrique ou épigraphique est liée soit à la prière et à la liturgie (Cathemerinon : heures, circonstances de la vie chrétienne, fêtes du Seigneur ; Peri-stephanon : martyrs), soit à leur cadre (Dittochæon, ainsi que perist. 8) 43 .

      16 Un tel éclectisme dans les sujets et dans les formes métriques, mettant les ressources de la poésie profane au service de la culture et de la pensée chrétiennes, n'est pas sans évoquer celui des premiers auteurs latins (Livius Andronicus, Nævius), polygraphes qui transposaient les genres littéraires grecs au domaine romain. Ce qu'il y a de singulier chez Prudence est l'organisation de ses poèmes variés en un ensemble structuré - tentative apparemment sans parallèle dans l'Antiquité. Prudence ne se limitait donc pas à donner une réponse concrète aux attaques dirigées par ceux qui voulaient, pour diverses raisons, dissocier le christianisme de la culture latine, mais, sur le plan littéraire même, il introduisait un concept nouveau.

      Organisation des oeuvres de Prudence

      17 Dans les meilleurs manuscrits 44  et d'après les indications de la Præfatio 45 , les poèmes de Prudence ont la présentation suivante, selon une disposition spéculaire :

      

      Præfatio et Epilogus délimitent un ensemble dont le Dittochæon est implicitement exclu 46  ; Cathemerinon et Peristephanon, respectivement suivi et précédé de pièces de transition 47 , encadrent les cinq livres didactiques. La Psychomachie, coeur de ce corpus hexamétrique 48  et de l'ensemble, apparaît également comme la charnière d'un diptyque : le premier des volets concerne l'Église devant Dieu et en butte à un mal 'intérieur', celui du péché et de l'hérésie (cath. ; apoth. ; ham.) ; le second montre l'Église face aux attaques des gentils (c. Symm. ; perist.) ; la Psychomachie unit et dépasse ces deux combats en plaçant la lutte au coeur de l'âme humaine.

      18 Si diverses lectures de cet ensemble peuvent être proposées, il demeure certain que Prudence n'a pas disposé ses poèmes de manière fortuite : l'existence d'un appareil de préfaces le laisse entendre, ainsi que le fait que l'auteur a laissé de côté certaines de ses oeuvres 49 . Il est non moins certain que ce 'super-poème' n'a pas été conçu comme tel dès le début, et que ce sont - au moins en partie - des livres à l'origine indépendants qui y ont été rassemblés ; les fortes irrégularités dans les dimensions des poèmes constituent un indice de cela, notamment celles des livres du Contre Symmaque, un diptyque dont les volets ont respectivement 657 et 1 132 vers 50 .

      19 De même qu'il faut considérer les poèmes du Peristephanon comme entités propres et comme éléments d'un recueil, il convient d'examiner aussi bien l'économie interne au Peristephanon que ses rapports avec le grand ensemble organisé par le poète : des liens existent entre le Peristephanon et son pendant le Cathemerinon (place, forme et contenu 51 ) ; en outre, l'opposition entre christianisme et paganisme idolâtre qu'illustrent les récits du Peristephanon se prolonge jusqu'à l'époque de l'auteur, avec le Contre Symmaque (placé immédiatement avant le Peristephanon) ; enfin, le combat des martyrs se retrouve, allégorisé, dans les descriptions et récits de la Psychomachie.

      Le Peristephanon : titre

      20 Peristephanon liber : ceux qui ne se limitent pas à transcrire le grec traduisent par 'Livre des Couronnes' 52 . Prudence mentionne plusieurs fois ce symbole du salut des martyrs, parfois avec insistance, mais non systématiquement 53  : il n'y a donc pas là de fil conducteur qui dénoterait un projet d'ensemble au titre préétabli 54  ; du reste, un autre symbole important de la victoire des martyrs, la palme, apparaît dans autant de pièces du Peristephanon 55  que celui de la couronne.

      21 Le choix du terme stefanoV permet un jeu de mots entre le nom commun 'couronne' et le nom propre du Protomartyr, le diacre Étienne 56  (auquel il est fait allusion une fois dans le Peristephanon 57 ). Le titre du recueil peut aussi être entendu comme 'Livre des Étienne', le premier modèle donnant - par antonomase de Voss - son nom à ses émules et successeurs. Il convient donc de suivre l'usage actuel évitant la traduction un peu réductrice de 'Livre des Couronnes', qui a pour défaut supplémentaire de ne pas bénéficier du touch of class que devaient comporter ces titres grecs pour les lecteurs latins auxquels étaient destinés ces poèmes.

      22 À l'exception du Contra Symmachum et de la Præfatio, toutes les compositions de Prudence ont un titre grec. Par sa forme (translittération du grec, amalgame d'une préposition et d'un nom au pluriel : peri stefanwn), le titre Peristephanon est très proche de celui de l'autre recueil lyrique, le Cathemerinon. Ces désignations remontent-elles à l'auteur ? On peut répondre par l'affirmative, dans la mesure où la forme grecque, donc érudite, de ces titres 58  laisse supposer que le poète-éditeur - plutôt qu'un copiste - fut à leur origine. Surtout, l'expression hymnis continuet dies de præf. 37 ('que de ses hymnes [mon âme] emplisse continûment les jours'), sans évoquer tout le contenu du Cathemerinon (qui comporte aussi des poèmes relatifs à des fêtes, et non seulement aux heures), en reflète précisément le titre (kaq' hmerinwn : 'au fil des jours'). Enfin, pour trois des poèmes didactiques, le titre grec transmis par les manuscrits est attesté par Gennade déjà. Cependant, ni ce témoin de la fin du ve s., ni le plus ancien manuscrit de Prudence ne mentionnent le titre des recueils lyriques 59 .

      23 Pour des raisons pratiques, et selon un usage bien attesté 60 , chaque poème recevait de son auteur un titre pour le désigner et le distinguer des autres. Ce qui est évident pour les pièces isolées ne l'est pas forcément pour les recueils : l'achitecture poétique constituée par Prudence ne porte aucun titre. Si l'auteur n'a pas pu ou voulu donner de titre à l'ensemble général, il est possible que les deux recueils lyriques, dont chaque pièce devait déjà avoir son titre propre, n'aient reçu de désignation générale grecque que par analogie et en vertu d'une tradition, dans une phase d'édition à laquelle l'auteur n'avait plus nécessairement part.

      Le Peristephanon : contenu et présentation

      24 Dans sa forme habituelle, le Peristephanon se compose de quatorze poèmes de dimensions et de contenus divers, ayant en commun la célébration de martyrs. La présentation des éditions imprimées 61  est arbitraire concernant l'ordre des poèmes - variant fortement d'un manuscrit à l'autre 62 , mais ne correspondant jamais à l'ordre 'standard' - voire même le contenu du recueil, dont il faudrait écarter perist. 8 et 10.

      25 Par leur genre littéraire (et leur titre), leurs dimensions (18 et 1 140 vers) et d'après certains faits de la tradition manuscrite, ces deux poèmes apparaissent en effet comme des cas extrêmes ou des exceptions dans le Peristephanon. Aux divers indices qui concourent à faire exclure perist. 8 et 10 du recueil (cf. §§ 125-126. 188-189), on peut ajouter la vraisemblance d'un scénario où le Peristephanon aurait 12 pièces, comme son pendant le Cathemerinon 63 . Dans les pages qui suivent, il sera cependant tenu compte de ces deux poèmes, ne serait-ce qu'en raison des rapports étroits (thématiques et stylistiques) qu'ils ont avec le reste du recueil actuel.

      26 À considérer la relative similarité qu'il devait y avoir entre les deux recueils lyriques de Prudence, on regrette l'ordre chaotique présenté par le Peristephanon : le Cathemerinon comporte une structure toute faite de correspondances, d'oppositions et de progressions entre les divers poèmes qui le composent 64 , structure qui pouvait voire devait exister dans le Peristephanon, au vu des multiples combinaisons que permetrait la prise en compte de l'origine ou du statut des martyrs, ou de nombre d'autres caractères des sujets de ces hymnes, y compris le calendrier liturgique 65 .


c) Poétique de Prudence

      Variations formelles et jeux de sens

      27 La uariatio est l'un des principaux caractères du style de Prudence : pour désigner un même objet, il varie son expression 66 , jouant parfois avec la richesse du vocabulaire 67  ; la synonymie peut aussi être un pur moyen au service de l'abundantia (p.ex. expressions pléonastiques comme mortis exitus 68 ). On trouve aussi la figure inverse, consistant à répéter un terme avec des sens différents, le jeu de mots servant souvent à établir une correspondance entre deux passages d'un poème 69 , avec parfois la récurrence d'une même forme à la même place dans le vers 70  - cette manière d'établir une corrélation existe aussi sans jeu de mots 71 .

      28 Le jeu sur le sens des termes, uariatio sémantique, est l'un des moteurs de l'action en perist. 2, où le martyr entretient un malentendu sur la nature des richesses de l'Église. Ce poème donne lieu à une réflexion sur le langage, signe extérieur (paraître) projeté sur la réalité profonde (être) ; en un sens, c'est pour avoir usé de métaphores 72  que le martyr est condamné à une peine particulièrement grave 73 . Le persécuteur fait mine de vouloir convaincre le martyr de la puissance de Vulcain en lui infligeant l'épreuve du feu 74  - et Prudence, évoquant le visage du martyr, laisse entendre que le miracle (visage illuminé), symbolique, est réel, alors que la réalité positive (visage couvert de suie) n'est qu'une apparence résultant d'un aveuglement 75 . Face à l'historiographie, la poésie chrétienne, qui transfigure l'apparence dans le sens de la vérité profonde, est ainsi légitimée et même valorisée. Pour Prudence, une représentation évocatrice actualise le passé disparu ou la réalité cachée - avec la peinture 76  comme avec l'écriture 77 . Il arrive aussi que la représentation devienne plus réelle que son archétype, comme dans le cas du martyre de saint Hippolyte 78 .

      29 Pour Prudence, le réel est complexe : ainsi, l'idole païenne est à la fois pur néant et mal redoutable 79 , et le drame de la passion du martyr se joue sur plusieurs niveaux (événement historique avec un arrière-plan métaphysique et eschatologique : lutte entre le Christ et le démon 80 ) et la force véritable réside dans l'âme du martyr enchaîné et supplicié. Le fait que la réalité la plus concrète se trouve dans le signe peut expliquer l'importance accordée à la connotation des termes, aux symboles et à la forme - métrique 81  et structure des poèmes, seuls 82  ou ensemble (cf. § 17-18).

      30 La uariatio est au coeur de la poétique de Prudence : formelle, elle suggère l'insuffisance du signe (interchangeable), et en même temps la puissance des moyens permettant de représenter le réel en le cernant. Dans le cas du jeu de mots et de la métaphore, uariatio sémantique, le réel est atteint par l'inadéquation même du langage. La force du langage est aussi manifestée par l'ironie tragique, à laquelle Prudence recourt p.ex. en mettant des prophéties involontaires dans la bouche d'un persécuteur 83  ; il utilise lui-même ironiquement les auteurs classiques, transposant par exemple au Christ les expressions que Virgile rapportait à Jupiter, là même où est évoquée la défaite du dieu déchu, considéré comme un démon 84 .

      Descriptions et évocations

      31 Éthopée et ecphrasis sont deux procédés que l'apprentissage de la rhétorique avait enseignés à Prudence. Il fait discourir ses personnages (surtout les martyrs) afin de développer une argumentation et montrer le sens de l'action, mais sa préférence semble aller à la description. L'ecphrasis reine est celle qui prend elle-même pour objet une représentation, une oeuvre d'art : c'est le cas en perist. 9 et 11, avec la description de fresques représentant la passion du martyr. Prudence décrit aussi des sanctuaires, dont les éléments (lumière, couleur) répondent souvent à la fois à un réalisme sensible et à une signification symbolique, comme pour la progression quasi initiatique, sous terre, jusqu'au tombeau lumineux de saint Hippolyte, ou la contemplation des reflets d'un plafond orné sur l'eau d'une vasque baptismale 85 . Le regard de Prudence est contemplatif, et l'évocation des objets les plus humbles, comme des luminaires (torches, cierges, lampes à huile) 86  ou une porte condamnée au moyen de verrous 87 , permet de suggérer la présence de tels objets par la précision de la description, avec l'usage de termes techniques dont la rareté est source de poésie (cf. § 41) ; les détails mentionnés peuvent en outre avoir une certaine valeur symbolique.

      32 On a souvent voulu que Prudence fût attiré par les descriptions sanguinolentes en raison de son tempérament d'Espagnol (!). En fait, la description des souffrances et de la mort du martyr n'est jamais l'essentiel d'un poème : la présence (non systématique) d'un tel motif n'est souvent qu'un faire-valoir pour les paroles du martyr, comme en perist. 2 et 10. La célébration des martyrs n'est pas, pour Prudence et ses lecteurs, prétexte à se complaire, à la manière des spectateurs des jeux du cirque, dans une fascination malsaine - attitude explicitement condamnée par le poète 88 . La description des souffrances des martyrs et du sang qu'ils versent s'explique par des motifs esthétiques, éthiques et symboliques : il s'agit d'un objet sensible 'extrême' (douloureux et laid) 89 , diamétralement opposé au locus amoenus (prisé du poète, qui l'associe parfois paradoxalement au monde de la mort 90 ) ; en outre, la représentation de l'horrible le transfigure et manifeste la puissance de l'art, avec la catharsis des passions 91  ; enfin, le sang versé par les martyrs représente physiologiquement leur âme 92 , symboliquement leur sacrifice 93 , sacramentellement celui du Christ à la passion duquel ils s'associent 94 , si bien que le récit parfait que fera l'ange au Jugement dernier sera, pour saint Romain, le décompte minutieux des blessures et de chaque goutte de sang versé (cf. perist. 10, 1121-1130).

      33 Si Prudence inclut l'horrible dans sa poésie, c'est semble-t-il d'abord par goût de la description (goût du détail évocateur et puissamment suggestif) et par goût du contraste, l'insoutenable étant comme le prix du bonheur plénier ; ce bonheur est souvent évoqué dans l'épilogue des poèmes, avec la description de la gloire céleste du martyr 95  ou, en perist. 3, avec trois tableaux très suggestifs 96 . Cette esthétique du contraste et en quelque sorte du paradoxe reflète l'éthique sous-jacente aux récits de martyres, où l'action la plus glorieuse consiste à pâtir, et où la beauté réside dans l'horreur des supplices : pulchra res ictum sub ense persecutoris pati (perist. 1, 28 : 'c'est une belle chose que de subir le coup du glaive d'un persécuteur'). L'association, fréquente 97 , de l'or et de la pourpre synthétise parfaitement cette tension.

      34 La fresque de la passion de saint Hippolyte exprime non seulement l'événement qu'elle narre et la quête de Prudence qu'elle reflète 98 , mais aussi le style du poète : perist. 11, 124 multicolor fucus digerit omne nefas ('le fard aux multiples couleurs a distribué tout le sacrilège' : variété ; maquillage décoratif servant en même temps d''écriture' narrative ; narration embrassant l'ensemble de la passion) ; 125 picta super tumulum species liquidis uiget umbris ('au-dessus du tombeau, une image peinte tire sa vigueur de l'éclat des ombres' : vigueur des contrastes et des paradoxes) ; 126 effigians (représentation en forme de portrait) ; 127 uidi (témoignage personnel) ; 129-130 docta manus uirides imitando effingere dumos | luserat ('une main experte à représenter les verts halliers en les imitant avait produit un ornement' : imitation réaliste pré-sentant en même temps un caractère de jeu esthétique savant).

      35 S'il aime se borner à la mention de traits saillants propres à évoquer le tout, Prudence recourt parfois au contraire à l'accumulation d'éléments proches ou hétéroclites, marquant là aussi son refus d'une description classique d'un ensemble unique, fixe et uniforme. Plutôt que d'évoquer une foule, il énonce un catalogue 99 , une série d'exemples 100  ; il recourt plusieurs fois, en perist. 5, à l'énumération asyndétique de trois termes plus ou moins hétérogènes pour désigner une réalité complexe 101 . Les termes énumérés, disposés symétriquement ou en crescendo, se prêtent à des jeux sur leurs sonorités ou leurs connotations ainsi qu'à des effets de uariatio synonymique ou au contraire de contraste.

      Prudence, poète alexandrin

      36 Comme les poètes hellénistiques, Prudence vit dans une civilisation qui, dans son extrême maturité, a déjà subi des bouleversements et garde une richesse culturelle presque étouffante et précaire à la fois : l'universalité et la permanence de ce patrimoine immense ne sont pas assurés, car la langue se transforme et le savoir tend à se confiner dans des cercles cultivant un raffinement inégalé. Les connotations des formes littéraires sont si fortes, du fait de leur emploi répété, que la seule manière possible de les utiliser encore semble être le jeu avec leur sens, le mélange ou la superposition des genres, la variété des tons 102 . Parfois, le poète esquisse une réflexion sur son art, au moyen de la métaphore 103 , en se livrant à des jeux mimétiques sur la forme et le contenu 104 , ou par des mises en abyme 105 . En outre, à la manière des constructeurs baroques reprenant des éléments architectoniques et décoratifs des ordres classiques pour les détruire tout en les maintenant (par la déformation et le mouvement), Prudence se sert abondamment de ses modèles littéraires pour obtenir une oeuvre paradoxalement nouvelle ; en perist. 14, comme Claudien, il détruit la strophe pour employer catastichon des vers qui ne l'avaient jamais été, alors que dans une para-tragédie (perist. 10), il regroupe les trimètres iambiques en strophes de cinq vers. La récente hymne ambrosienne n'échappe pas à ce traitement : pour célébrer le même martyr que son modèle (saint Laurent), Prudence fait sauter la structure nouvelle (mais fixe) de huit strophes de quatre vers pour faire atteindre à son poème une longueur de près de 600 vers (perist. 2). Cette créativité formelle s'accompagne de l'usage relativement fréquent de mots rares voire de néologismes 106 .

      37 Chez Prudence, la surabondance est non seulement le fruit de l'accumulation de siècles de littérature latine, mais aussi celui de la rencontre entre culture gréco-romaine et pensée chrétienne. Sans se confiner à la virtuosité et à l'art pour l'art (tels les profanes Ausone et Claudien), il cherche à produire du neuf en synthétisant deux mondes jusqu'alors distincts, dont chacun est néanmoins assumé. Ainsi, quand Prudence s'adresse au martyr qu'il va chanter avec les termes convenus des invocations aux Muses 107 , il énonce, au premier degré, une véritable prière à un être personnel (les Anciens ne l'avaient peut-être plus fait depuis Hésiode) ; par un renversement, le poète honore le martyr plus qu'il ne respecte la tradition littéraire. Alors que ses prédécesseurs se pliaient à l'usage, sans attacher d'importance excessive au contenu de leurs vers, Prudence revivifie un motif éculé, se montrant à la fois pleinement chrétien et respectant, avec plus de sincérité et de profondeur que ses modèles, l'usage païen qu'il transfigure. Il en va de même pour la manière dont il se met en avant dans ses oeuvres : certes parfois en poète, souvent en suppliant, toujours en homme de prière, qui n'apparaît que pour mieux diriger les regards sur le martyr et même, en un sens, pour inviter le lecteur à oublier le poème afin d'accéder à une communion plus parfaite avec le martyr, par la prière. En ce sens, Prudence dépasse la définition commune de l'alexandrinisme.

      38 De ce mouvement, il garde néanmoins un goût pour la virtuosité qui culmine dans l'énigme. Prudence serait-il allé jusqu'à cacher son nom dans ses poèmes 108  ? Même si ce n'est probablement pas le cas, il demeure que p.ex. l'évocation du sol sur lequel repose le bout de la corde par lequel saint Hippolyte sera attaché aux chevaux sauvages s'apparente aux savantes obscurités d'un Lycophron 109 . Il faut se garder de parler, comme Lavarenne pour les passages difficiles, de négligence du poète : son esthétique est celle du clair-obscur, et le contraste entre des passages à l'expression fluide et d'autres plus rocailleux, ou entre des formules lapidaires et une abundatia débordante, est en principe aussi un effet de l'art.

      Modèles et sources

      39 L'alexandrinisme implique un rapport à une tradition littéraire omniprésente et en même temps sans cesse déformée (cf. §§ 29-30. 36-37). Le xixe s. a infligé à Prudence le même traitement parfois réducteur que celui qu'ont pu subir les auteurs latins classiques, étudiés comme imitateurs des Grecs. Ainsi, Bergman, au début du xxe s., joint un index imitationum à son édition. La Quellenforschung reste cependant de mise avec Prudence, où les réminiscences littéraires sont un jeu auquel il se livre parfois sur un mode quasi humoristique 110 , parfois avec une subtilité redoutable 111 .

      40 Horace est l'un des grands modèles de Prudence : on le voit avec la nature des mètres choisis, et la bipartition d'une oeuvre entre poèmes hexamétriques et pièces lyriques de formes variées 112 . Comme il est normal, même et surtout pour un auteur chrétien, à partir du ive s., le modèle poétique par excellence reste Virgile 113 , aux côtés d'autres auteurs classiques 114  ou contemporains (profanes ou chrétiens, cf. § 11-12), dont on a nombre de réminiscences lexicales ou thématiques chez Prudence.

      41 D'un autre ordre est l'inspiration biblique, très présente dans certains passages 115 . Enfin, on constate que, conformément au goût des anciens, affleure ici et là le vocabulaire technique - qui, par sa singularité ou sa rareté, peut prendre une valeur poétique -, emprunté notamment au droit 116  (que Prudence a pratiqué : cf. præf. 13-18), à la critique littéraire 117 , à la médecine 118  et aux arts appliqués 119 .


2. La poésie chrétienne 120 


a) Origines de la poésie chrétienne

      Modèles bibliques et sources liturgiques

      42 Un lieu commun de l'histoire de la littérature veut qu'avant l'Édit de Milan, les chrétiens n'aient pas produit de textes poétiques parce qu'ils n'en éprouvaient pas le besoin. En fait, l'Église possédait dès les origines un tel corpus, hérité de l'Écriture : les Psaumes, le Cantique des Cantiques, les cantiques du Pentateuque et du Livre de Daniel notamment. Le Nouveau Testament contient aussi des pièces de type hymnique, qu'il s'agisse des chants de l'Évangile selon saint Luc (Magnificat, Benedictus, Nunc dimittis) ou de poèmes écrits par saint Paul (I Cor. 13) ou du moins cités dans ses Épîtres 121 . Bien qu'ils ne répondent pas aux canons de la métrique gréco-latine, ces textes, par leur contenu et même par leur forme, ne se réduisent pas à de la prose (sinon peut-être à une prose d'art rythmée, à disposer per cola et commata).

      43 Il est déjà question chez Pline le Jeune de tels poèmes, utilisés par les chrétiens de Bithynie dans leur liturgie 122 . Les hymnes chrétiennes les plus anciennes se distinguent des poèmes vétérotestamentaires par un contenu théologique qui s'ajoute au lyrisme de la prière 123 . La place centrale des Psaumes dans la prière personnelle et dans la liturgie (notamment la première partie de la messe, accessible aux catéchumènes) garantit la continuité avec l'ancienne Alliance - avec une lecture chrétienne qui y reconnaît nombre de prophéties relatives au Christ. De l'héritage hébraïque fut également conservée l'acclamation séraphique du Livre d'Isaïe 124 , ainsi que celle de l'alléluia ; l'hébreu (ou l'araméen) a aussi été maintenu avec les termes hosanna, maranatha ou ephata. Assez tôt, la liturgie chrétienne recourra au grec, langue de la Septante, y compris dans la partie occidentale de l'Empire. Un tel conservatisme linguistique sera très fort à Rome, où il faut attendre le pape Damase pour que la liturgie soit transposée en latin - le grec étant parfois maintenu, comme dans le Kyrie.

      44 Héritée, la liturgie n'est pas en soi objet d'une création artistique, et la traduction n'est pas nécessaire a priori : la liturgie s'adresse non d'abord à la com-munauté, mais à Dieu. Dans le paganisme romain aussi, pour d'autres raisons - le respect scrupuleux de la formule reçue est gage d'efficacité du rite -, la liturgie ne se prêtait pas à la création, conservant même des textes presque inintelligibles 125 . Les poètes n'intervenaient dans le culte que dans des circonstances solennelles, où leurs oeuvres, offrandes collectives, étaient destinées à une représentation unique (p.ex. le Carmen sæculare d'Horace ou, dans l'Athènes classique, les tragédies) ; rien de tel n'existait dans le christianisme, mais rien n'empêchait la production de pièces liturgiques ou d'oeuvres portant sur des thèmes cultuels et religieux ; le modèle des Fastes d'Ovide pouvait être réutilisé, et sera repris, mutatis mutandis, dans le Peri-stephanon de Prudence 126 . La semi-clandestinité et la discipline de l'arcane expliquent peut-être le fait que rien de tel n'ait été créé plus tôt ; c'est du temps de Prudence que le christianisme et sa liturgie deviennent (et se veulent) un élément de la culture.

      Rencontre avec la poésie profane

      45 Le judaïsme hellénisé avait donné aux chrétiens la Septante, puis les Oracles sibyllins, qu'ils reprirent et augmentèrent, opérant une première rencontre, limitée, entre une forme culturelle gréco-romaine (l'hexamètre dactylique) et un contenu prophétique et apocalyptique biblique. Religion nouvelle, le christianisme se fondait sur une tradition ancienne et culturellement étrangère à la plupart de ses adeptes. Sous l'influence de la liturgie, conservatrice, la production poétique gréco-latine du christianisme reste le plus souvent coupée des courants littéraires profanes. Le plus ancien poème chrétien conservé en langue latine est un Psaume (non métrique) à la Vierge précédé d'une invocation au Père et au Christ 127  ; sa forme alphabétique, typiquement hébraïque - on l'observe dans plusieurs Psaumes 128  - se retrouve aussi dans des hymnes chrétiennes en grec, conservées sur papyrus, qui l'allient à l'emploi du mètre anapestique emprunté à la poésie profane 129 .

      46 Toutefois, une profonde méfiance régnait chez les chrétiens face aux poètes : la mythologie s'écrit généralement en vers et émaille la plupart des poèmes, à commencer par la rituelle invocation initiale à telle ou telle divinité. On trouve encore chez Prudence des invectives contre les poètes menteurs 130 . Dans la partie occidentale de l'Empire, l'émergence d'une poésie chrétienne était en outre freinée par l'emploi du grec dans la liturgie et par la place relativement restreinte, par rapport à l'Orient, qu'elle faisait aux hymnes 131 . Aussi les premières figures de poètes latins chrétiens sont-elles toutes ou presque postérieures à la Paix de l'Église.

      Émergence d'une poésie latine chrétienne

      47 Le témoignage de Tertullien laisse cependant entendre qu'à la fin du iie s. déjà il existait une poésie latine chrétienne : si scænicæ doctrinæ delectant, satis nobis litterarum est, satis uersuum est, satis sententiarum, satis etiam canticorum, satis uocum, nec fabulæ, sed ueritates, nec strophæ sed simplicitates. Il se peut même que l'on célébrait les martyrs par des hymnes, comme le suggère un passage d'interprétation délicate : sophia in exitibus cantatur hymnis ; cantatur enim et exitus martyrum 132 .

      48 Le premier poète latin chrétien dont on ait conservé l'oeuvre et le nom pourrait être Commodien ; ses curieux hexamètres fondés sur l'accentuation (respect des six ictus) et le nombre des syllabes plus que sur la quantité illustrent soit l'évolution du genre psalmique primitif vers des formes profanes adaptées à la langue contemporaine (en datant cet auteur du milieu du iiie s.), soit au contraire une désagrégation des formes littéraires classiques (si on le date du ve s.) 133 . Commodien est l'auteur d'une collection de poèmes d'édification acrostiches - ce qui l'apparente au genre du psaume abécédaire et à certaines formes poétiques hellénistiques -, et d'un livre contre les juifs et les païens. Ce dernier pourrait annoncer les livres didactiques de Prudence (écrits en hexamètres classiques, avec une longueur comparable : env. 1 000 vers) ; surtout, l'acrostiche inverse de ses derniers vers (Commodianus mendicus Christi) évoque une conception de l'oeuvre poétique comme humble offrande spirituelle à Dieu, que l'on retrouve chez Prudence 134 . Probablement Syrien domicilié à Carthage, juif converti au christianisme, Commodien n'a pas été formé par la lecture des classiques latins, contre lesquels il lui arrive de tonner 135 . Étrange pour les lettrés romains, son oeuvre restera marginale ; il faudra attendre Gennade pour en trouver une attestation, qui est aussi un jugement sévère 136 .

      Orientations postérieures

      49 Une poésie latine chrétienne de forme classique apparaît avec la Paix de l'Église. Elle se développe dans plusieurs directions, rangées ci-après dans les caté-gories de 'poésie littéraire' et 'liturgique'. Prudence se rattache à la première, mais marque le début d'une convergence avec la poésie 'liturgique' (cf. § 61-62).

      50 Lactance avec les distiques élégiaques de l'Oiseau Phénix et Juvencus avec sa mise en hexamètres de l'Évangile constituent les représentants les plus anciens de la première catégorie, qui s'écarte nettement de la liturgie et tend à convertir au christianisme des formes littéraires profanes : épyllion crypto-chrétien et épopée biblique. La seconde tendance est illustrée par la tentative de saint Hilaire de donner à des pièces liturgiques - en gardant la strophe alphabétique - des formes poétiques empruntées à la littérature gréco-romaine (en l'espèce des mètres lyriques assez recherchés). Ces poètes sont parmi les premiers représentants d'une 'conversion' mutuelle de la romanité et du christianisme (qui tend alors à devenir la religion de l'Empire), dans une symbiose qui assurera la pérennité de l'héritage de l'Antiquité.


b) Poésie littéraire chrétienne

      Vers une christianisation de la culture

      51 La poésie 'littéraire', dépourvue de fonction dans le cadre ecclésiastique, a pour destination première la lecture ; son support ordinaire est le livre - en cela, elle se distingue des pièces inscrites dans la pierre ou chantées dans la liturgie. Quasi profane par sa destination mais chrétienne par son sujet, elle s'inscrit dans la continuité d'une tradition poétique païenne, la christianisant parfois de manière cryptée (Oiseau Phénix de Lactance ; centons virgiliens).

      52 Les frontières de cette poésie chrétienne à caractère littéraire sont assez délicates à définir. On ne peut y ranger les productions profanes d'un Ausone pourtant chrétien, bien que 'mondain' : les quelques passages de l'Ephemeris où il évoque une dévotion assez distraite et peu convaincue 137  ne méritent en effet guère plus d'entrer dans la catégorie de la poésie littéraire chrétienne que le pastiche de prière aux apôtres Pierre et Paul et à d'autres saints que l'on trouve dans le poème que le païen Claudien adresse au magister equitum Jacques 138 .

      53 Alors que les auteurs de poésie liturgique sont tous des clercs, les poètes 'littéraires' appartiennent parfois au clergé (saint Hilaire, Juvencus, saint Paulin de Nole) mais peuvent aussi être des laïcs (Lactance, Proba). Pour Lactance et Juvencus, la mise en oeuvre d'une poésie chrétienne vise aussi à emporter la conviction de ceux qui gardaient leurs liens avec le paganisme par attachement à l'héritage culturel (voire éthique et politique) de la religion ancestrale ; Prudence aura la même préoccupation.

      Poèmes de virtuosité et poèmes personnels

      54 Lactance offre le premier et l'un des meilleurs exemples de la tendance 'littéraire' de la poésie latine chrétienne. Modéré envers une tradition païenne à côté de laquelle est désormais toléré le christianisme, après la plus sanglante des persécutions, il est moins sévère encore à l'égard de la poésie (vecteur traditionnel de la mythologie), à laquelle il reconnaît le droit de voiler la vérité au profit de la beauté 139  - affirmant en même temps la licéité d'une poésie d'inspiration chrétienne : si uoluptas est audire cantus et carmina, Dei laudes canere et audire iucundum sit 140 . Lactance est certainement l'auteur du poème en distiques élégiaques intitulé De aue Phoenice 141 , crypto-chrétien. Le recours au voile de l'allégorie y est gage de continuité esthétique avec la tradition païenne, tout comme le symbole ambigu du phénix, utilisé par les néo-platoniciens païens comme par les chrétiens ; énigmatique et précieux, le poème appartient au courant néo-alexandrin qui marquera encore la poésie latine du temps de Prudence, près d'un siècle plus tard. Le symbolisme de l'Oiseau Phénix participe de la même logique que les lectures chrétiennes de poèmes classiques, dont celle de la Quatrième églogue de Virgile, qui apparaît dans le milieu constantinien.

      55 Dans le genre de la poésie personnelle, on peut aussi ranger certaines pièces épigraphiques du pape Damase, dont la profession de foi en six hexamètres qui constitue sa propre épitaphe 142 . C'est avec saint Damase qu'atteint son apogée le genre épigraphique chrétien, apparu au cours du ive s. avec la conversion massive des milieux lettrés ; il fut également illustré par les épitaphes métriques composées par saint Ambroise 143  et - on est à la limite de la poésie hagiographique - par saint Augustin (en l'honneur du diacre Nabor, assassiné par les donatistes) 144  et par saint Jérôme (en l'honneur de sainte Paule, célébrée pour son ascèse) 145 .

      Poèmes de combat

      56 Durant l'Antiquité tardive, tout poème à sujet chrétien, par son existence même, est engagé, ne serait-ce qu'au titre de la christianisation de la culture. Tel est le cas des hymnes de saint Ambroise, qui sont aussi une arme de guerre contre l'arianisme (cf. § 65). Les poèmes de Prudence (sauf le Cathemerinon et le Dittochæon) attaquent le paganisme ou l'hérésie, surtout le Contre Symmaque, qui reprend en vers la controverse entre saint Ambroise et Symmaque (affaire de l'autel de la Victoire) ; c'est aussi le cas du Romanus contra gentiles (perist. 10) et de l'ensemble du Peristephanon, en particulier perist. 2 (exaltation de la vocation chrétienne de Rome).

      57 Les dernières décennies du ive s. ont livré trois poèmes satiriques contre des aristocrates païens, oeuvres de sénateurs chrétiens, dont s'inspire à l'occasion Prudence 146 . Le Carmen ad senatorem se présente comme une lettre adressée à un ami passé du christianisme au culte isiaque, pour lui reprocher surtout son inconstance ; le Poema ultimum (Ps.-Pavl. Nol. carm. 32) comprend d'abord une vive condam-nation des pratiques et des divinités païennes, ainsi que des philosophes, puis un éloge du Christ maître du cosmos et sauveur de l'homme ; le Carmen contra paganos 147 , plus virulent que les précédents, s'attaque à un défunt, ancien préfet - peut-être Prétextat (mort à la fin de 384), plutôt que Nicomaque Flavien (mort en 392) 148  -, auquel il est reproché d'avoir suscité l'apostasie de sénateurs convertis, en les intéressant. Ce poème sophistiqué est aussi un document concernant les rites païens.

      Poèmes d'inspiration biblique

      58 Une manière manifeste mais problématique de christianiser la poésie est de mettre en vers le contenu des Écritures saintes. L'ont fait en hexamètres et dans le style de Virgile un Cyprien, contemporain de Prudence (Heptateuque reprenant les sept premier livres de la Bible) 149  et, dans la première moitié du ive s., le prêtre Juvencus (épopée inspirée surtout de l'Évangile selon saint Matthieu). La position de ce dernier face à l'idéologie virgilienne relative au destin éternel de Rome est remarquable : alors que Prudence va l'assumer et la transposer 150 , Juvencus la contredit et la nie 151  ; chez l'un et l'autre, on trouve par ailleurs l'idée d'une oeuvre qui est une offrande à Dieu, par laquelle le poète espère pouvoir échappper aux châtiments de l'Enfer 152 . À ces épopées bibliques on peut ajouter des pièces anonymes sur la Genèse, les Maccabées et l'Évangile 153  ; le genre sera encore illustré dans la suite du ve s. et au vie s. par Sédulius, saint Avit et Arator 154 .

      59 Prudence aussi versifie parfois l'Écriture, assez librement : quatrains hexa-métriques du Dittochæon synthétisant deux séries de 24 épisodes des deux Testaments ; reprise dans des mètres lyriques d'épisodes scripturaires, commentés, relatifs à Paul (c. Symm. præf. 1) et à Pierre (c. Symm. præf. 2) ; paraphrases de péricopes bibliques dans des développements plus amples (p.ex. ham. 723-768, cf. V.T. gen. 19, 23-26).

      60 Une autre manière de traduire en vers les récits bibliques est le centon virgilien 155  ; il s'agit là d'une forme extrême de récupération des créations païennes antérieures, comparable à la réutilisation, dans des sanctuaires chrétiens, d'éléments architectoniques de temples païens désaffectés. Le Centon de Proba est plus célèbre de ces poèmes ; comme le fera Prudence, la poétesse confesse ses péchés et déclare vouloir passer du service de César à celui de Dieu 156 .

      Synthèse poétique et ascétisme

      61 Prudence et saint Paulin de Nole ont eu des destins semblables : contemporains, issus de l'aristocratie provinciale de l'aire circumpyrénéenne, ils ont chacun quitté le 'monde' après une carrière civile, pour vivre dans l'ascèse 157 . Leurs oeuvres, en partie consacrées aux martyrs, ne sont ni 'mondaines', ni liturgiques, constituant un tertium quid qui intègre ascétisme et recherche personnelle dans un projet littéraire. Ces poèmes, qui font divers emprunts à ce qui est déjà une tradition poétique spécifique, sont des oeuvres de maturité de la culture de l'Antiquité chrétienne, en ce qu'ils ont pour objet des éléments même de cette culture : évocation de la liturgie, des hymnes, de l'architecture, de la peinture mise au service du culte. Cela est particulièrement vrai du Peristephanon.

      62 Les poèmes lyriques de Prudence et ceux que Paulin de Nole consacre au martyr Félix sont autant des oeuvres d'expression de la foi et de dévotion, para-liturgiques, synthétisant les visées esthétiques et personnelles des poèmes littéraires et la fonction de vecteur d'un message qu'ont les pièces liturgiques. Ces poèmes s'adressent à la fois aux aristocrates lettrés, parfois encore païens, et à ceux qu'anime un idéal ascétique ; ils unissent le pathétique et le pittoresque, avec des réminiscences de poètes profanes et aussi des pièces ambrosiennes et damasiennes.

      63 Dans son Épître à Jovius, saint Paulin trace le programme d'une grande poésie chrétienne, avec une théorie de l'inspiration divine du poète 158 . Élève d'Ausone, il avait composé des pièces profanes avant de se retirer à Nole, près du tombeau de saint Félix, auquel il consacre 13 Laudes annuelles 159  - environ 5 000 vers ! - généralement en hexamètres dactyliques, intégrées dans un corpus de 31 pièces qui, par son caractère anthologique désordonné, n'a rien de l'architecture organique que forment les oeuvres de Prudence. Les autres pièces cet 'Horace dévot' 160 , de genres et de tons variés, sont toujours purement littéraires.


c) Poésie liturgique chrétienne

      Pour l'embellissement du culte

      64 La poésie liturgique a pour cadre habituel les sanctuaires, sous forme d'hymnes (interprétées par les fidèles ou par des clercs) ou d'inscriptions (gravées ou peintes). Il s'agit d'une poésie généralement moins personnelle que la poésie livresque. Ces pièces liées à un culte public sont moins identifiées à un auteur qu'à un temps (heure de l'office, fête) ou à un lieu (tombe d'un martyr, baptistère, etc.). Alors que la poésie littéraire revêt le plus souvent un contenu chrétien d'une forme profane, ce type de poésie (qui existe dès les débuts de l'Église) repose à la fois sur des modèles profanes et sur une tradition poétique d'inspiration biblique. Il ne s'agit pas ici de christianisation de la culture, mais plutôt d'enrichissement du culte par les formes héritées de la tradition profane - ce qui pouvait susciter des oppositions 161 .

      65 Davantage encore que les poèmes littéraires, les poèmes liturgiques répondent à un besoin, mais servent aussi une propagande religieuse (adressée aux foules rassemblées dans les sanctuaires, et indirectement à une élite attachée à la culture traditionnelle) ; ce caractère engagé découle de la nature catéchétique de l'hymne chrétienne, qui se distingue des Psaumes bibliques en alliant le lyrisme de la prière à un contenu dogmatique explicite 162 . L'arianisme avait utilisé ce moyen (à Alexandrie la Thalie d'Arius avait largement diffusé sa doctrine) ; plus tard, les donatistes recoururent à des chansons pour populariser leur Église schismatique ; pour contrer ces derniers, saint Augustin composera en 393 un Psaume abécédaire contre le parti de Donat, délibérément peu classique par sa versification 163 . Plus 'antiques' sont les poèmes composés par deux Pères particulièrement engagés dans la lutte contre l'arianisme : saint Hilaire de Poitiers puis saint Ambroise de Milan, qui donna à l'hymne chrétienne une forme à la fois classique et populaire 164 .

      Créations hilariennes

      66 La liturgie chrétienne de la partie occidentale de l'Empire était très conservatrice et maintenait la langue grecque (cf. § 43). C'est seulement au ive s. que semble s'être fixé le texte du Te Deum, dont certains éléments semblent très anciens, ce qui va de pair avec la forme - non métrique, comme pour les hymnes néo-testamentaires - de ce poème, attribué à saint Ambroise ou à saint Hilaire. De ce dernier, on a retrouvé à la fin du xixe s. trois hymnes, en partie mutilées : les deux premières ont des strophes alphabétiques (modèle des Psaumes) ; les deux dernières ont une prosodie régulière, contrairement à la première, où les licences sont bien plus nombreuses que dans leur modèle horatien 165 . La variété dans la forme donnée à ces hymnes, qui participent de deux poétiques distinctes (biblique, populaire ; gréco-latine), laissent percevoir une relative incertitude : Fontaine parle d''hymnodie expérimentale' 166 . Si, à la différence de saint Ambroise, l'évêque de Poitiers ne semble pas avoir célébré de martyrs dans ses hymnes, la variété formelle de celles-ci (qui contraste avec la forme fixe ambrosienne) évoque par contre l'exploration des genres et des formes qui caractérisera les recueils lyriques de Prudence.

      67 Il est vraisemblable que ces hymnes soient postérieures au retour d'exil de leur auteur (361), et que donc le séjour forcé en Grèce de saint Hilaire l'ait inspiré dans sa création qui est, en Occident, le premier exemple d'une poésie métrique chrétienne 'officielle', car oeuvre d'un évêque qui la compose à ce titre. L'influence orientale semble aussi avoir eu son rôle une génération plus tard, avec saint Ambroise 167  qui, comme saint Hilaire, compose ses hymnes dans le cadre de la lutte contre l'arianisme. Il est difficile de déterminer si les pièces hilariennes ont eu une destination liturgique, quand bien même le fait est probable ; la complexité de leur forme et leur variété laissent toutefois supposer que leur interprétation dut être le fait non de l'ensemble des fidèles, mais d'un choeur ou d'un chantre.

      Poèmes ambrosiens

      68 Instituées dans la liturgie milanaise dans un contexte critique - le siège des catholiques dans une basilique revendiquée par les ariens 168  -, les hymnes ambrosiennes semblent surgir avec une allure déjà classique, détachées des circon-stances de leur éclosion ; la forme que leur donne saint Ambroise (8 strophes de 4 dimètres iambiques) s'adapte à la fois aux canons de la métrique classique fondée sur la quantité 169 , à la perception commune de la langue (répartition régulière des accents d'intensité) et au chant (quasi isosyllabie ; hiatus et élisions évités). Cette forme s'imposera comme la forme normale pour l'hymnodie liturgique de l'Église latine.

      69 Comme les hymnes hilariennes, elles ont un contenu théologique - et un rôle catéchétique, avec leur brièveté et leur relative simplicité. Les hymnes ambrosiennes chantées dans la liturgie occupent le temps : heures du jour 170 , grandes fêtes du Seigneur 171 , d'apôtres 172  ou de martyrs (milanais 173  ou romains 174 ). La simi-litude de ces sujets avec ceux des poèmes lyriques de Prudence est frappante et traduit une évidente influence de saint Ambroise, en particulier dans le cas du Peristephanon, où l'on retrouve une distinction entre apôtres et martyrs, et entre martyrs locaux (ou provinciaux) et romains. La coïncidence de l'égalité du nombre des pièces dévolues au temporal et au sanctoral et le fait que ces dernières soient sept (nombre des Passiones de Prudence) ne constituent cependant que des similitudes fortuites avec les recueils de Prudence : le canon des quatorze pièces retenues aujourd'hui comme ambrosiennes n'a pas eu d'existence stable, comme tel, à la fin du ive s., et fut constitué progressivement puis assez vite augmenté.

      70 À côté de sa production hymnique, saint Ambroise a aussi composé des poèmes épigraphiques ; la Sylloge de Lorsch en a conservé certains, dont l'inscription du baptistère de Sainte-Thècle et la dédicace de l'église de Saint-Nazaire-le-Grand, à Milan 175 . On peut aussi lui attribuer les 21 distiques destinés à servir de légende à des représentations figurées d'épisodes bibliques ornant la basilica maior de Milan 176  ; ces poèmes ont été attribués à Prudence, vraisemblablement du fait que le poète s'est inspiré de ce modèle - ambrosien, directement ou non - dans sa composition du Dittochæon, collection plus développée de poèmes épigraphiques (cf. § 59).

      Damase et la poésie épigraphique

      71 Le représentant le plus illustre de l'épigramme chrétienne est saint Damase : il assigna à de tels poèmes un rôle éminent, qui allait au-delà de l'épitaphe personnelle 177 . L'inscription monumentale, genre romain par excellence, affirme une volonté de puissance et de pérennité ; l'évêque appose ainsi officiellement une marque de propriété, au nom de l'Église, sur les tombes des martyrs, objets jusque là de l'évergétisme impérial et d'une dévotion populaire parfois désordonnée, sans lien avec la liturgie publique et sacramentelle (cf. § 96). Le pape Damase, qui joua un rôle décisif dans la latinisation de la liturgie romaine, n'a semble-t-il pas composé d'hymnes, mais les inscriptions édilitaires sacrées dont il est l'auteur avaient aussi une fonction liturgique : ornements des sanctuaires, visibles de tous les fidèles, in-tangibles, leur contenu n'en est pas moins comme actualisé à chaque lecture. La célébrité de ces inscriptions hexamétriques est due aussi à l'excellence de leur gravure, oeuvre d'un des plus grands lapicides antiques, Furius Dionysius Philocalus 178 .

      72 Damase avait ainsi donné ses lettres de noblesse à un genre dont la christianisation n'allait pas de soi, vu son caractère très mondain. Les principaux poètes chrétiens de son temps - qui, sauf Prudence, sont aussi des évêques bâtisseurs - y ont recouru, non seulement pour des épitaphes, mais aussi, en particulier, pour orner des baptistères : saint Ambroise, Prudence (perist. 8), saint Paulin de Nole et, plus tard, Sixte III, qui décore d'une telle inscription métrique le baptistère du Latran 179 . D'autres supports pouvaient s'offrir à de tels poèmes : on connaît le texte du distique gravé sur la table où saint Augustin prenait ses repas communautaires 180  et son tristique destiné au cierge pascal 181 . Si Damase utilise exclusivement l'hexamètre, employé par Prudence dans le Dittochæon, la tradition liant le distique élégiaque aux carmina epigraphica demeure vivace et cette forme l'emporte ailleurs.

      73 L'oeuvre de Damase n'a pas fait que donner à Prudence l'idée de composer perist. 8 : si l'influence exercée par ces épigrammes ne semble pas affecter les pièces les plus anciennes du Peristephanon (cf. § 100), elle n'en est pas moins décisive ensuite, et, par la variété des domaines qu'elle touche, presque aussi importante que celle de saint Ambroise (cf. §§ 181. 185-187). Les martyrs romains que glorifie Prudence sont aussi ceux auxquels le pape Damase a accordé une importance particulière 182 , et c'est sa politique religieuse que Prudence sert (perist. 7) ou célèbre (perist. 12) ; cf. § 186.


3. Le culte des martyrs


a) Expressions littéraires du culte des martyrs

      Documents

      74 La passion d'un martyr se déroulant normalement dans le cadre d'une procédure publique, réglée par le droit, il devait en exister des compte-rendus officiels 183 , outre les notes prises lors du procès par des auditeurs chrétiens et versés dans les archives de l'Église, comme avec les Actes proconsulaires du martyre de saint Cyprien. Ces archives furent le plus souvent détruites, avec les Écritures saintes, durant la persécution de Dioclétien 184  ; un poème comme perist. 1 tente de suppléer à cette perte en mettant par écrit la tradition orale - Prudence montre une certaine méfiance pour ce qui n'est pas écrit 185 . L'enjeu est important, puisque, selon l'Écriture, les paroles des martyrs sont directement inspirées par l'Esprit Saint 186 , et que leur conservation ajoute au trésor de l'Église, tout comme celle de leurs reliques.

      75 Quand le futur martyr était un évêque, il pouvait avoir l'occasion, durant son incarcération, d'écrire des lettres reçues par sa communauté ou par d'autres comme des témoignages précieux. Ainsi, outre les Épîtres canoniques, on a tôt conservé la correspondance de saints Ignace et Polycarpe, ainsi que celle de saint Cyprien, comme on le fera plus tard pour celle des principaux Pères de l'Église.

      76 À défaut de tels documents, il importait que fussent au moins connus les noms des martyrs, l'emplacement de leur tombe, le jour de leur fête, pour permettre aux fidèles de les célébrer et de recourir à leur intercession. Ces indications minimales étaient fournies par les épitaphes 187 , parfois sommaires, ou refaites - comme c'est le cas du temps de Damase, qui leur donne une forme monumentale - et par les martyrologes, calendriers précisant le jour de leur supplice (ou de la depositio de leur corps) et, généralement, le lieu de leur sépulture, qui est aussi par excellence celui de la célébration de leur natale 188 . Cet anniversaire, mémorial de leur naissance à la vie éternelle, était célébré dès l'année suivant leur martyre, et constitue généralement, après examen critique, une donnée historique très solide.

      77 Contrairement aux martyrologes dits historiques, dont le premier modèle est fourni par Bède (cf. § 260-261), les anciens calendriers ne comprennent aucun récit, aucune information sur la passion des martyrs 189 . Le principal de ces calendriers est le Martyrologe dit hiéronymien 190  ; un autre document précieux est le Calendrier de Polémius Silvius (daté de 448/449), donnant les dates de fêtes païennes, profanes et chrétiennes, dont les natalia de quelques martyrs illustres 191 . Le Martyrologe romain 192  a une histoire complexe qui se poursuit, car il est régulièrement révisé et augmenté : une première étape (antérieure au viie s.) voit sa constitution à partir de la Depositio martyrum (le plus ancien calendrier romain) 193  et du Martyrologe hiéronymien ; une série de compléments intervient aux viiie et ixe s. ; une autre encore, avant l'édition imprimée de 1527, aux xe et xie s. ; la dernière en date eut lieu à l'issue du grand Jubilé de l'an 2000, suite à des recherches sur les 'témoins de la foi' du xxe s.

      Passions littéraires

      78 Les minces données recueillies officiellement par l'Église n'épuisaient pas la curiosité des fidèles et, très souvent, les documents authentiques (Actes des martyrs) avaient disparu, au plus tard lors de la persécution de Dioclétien. Or, l'exemplum des martyrs a eu très tôt une grande importance dans la formation des chrétiens 194  ; avec le développement d'une littérature chrétienne, le besoin se fit donc sentir d'une mise par écrit des 'passions des martyrs', pour garder la mémoire des temps héroïques.

      79 De telles narrations relèvent du genre biographique - cependant, elles racontent non la vie, mais la mort d'un héros dont la patrie est à la fois le lieu du martyre et le Ciel. Les passions de martyrs ont pour archétypes les récits néo-testamentaires de la Passion du Christ ainsi que de celle du Protomartyr Étienne 195  - ce martyre constitue du reste, dans la réalité historique, la première d'une longue série d'imitations du sacrifice du Christ par les chrétiens persécutés. Comme les 'passions' du Nouveau Testament, celles qui sont écrites par la suite (en général entre le ive et le vie s.) s'articulent autour des deux temps forts de l'interrogatoire et de l'exécution (qui parfois ne font qu'un, s'il y a torture ; parfois aussi sont évoqués les moments précédant l'arrestation et ceux qui suivent la mort), et comprennent à la fois une narration et des discours directs. Le récit est susceptible d'être dramatisé voire romancé (intervention du merveilleux), tandis que les discours des martyrs - réputés inspirés - permettent de développer une apologie ou d'exposer une doctrine. Ce genre littéraire populaire peut donc être mis au service d'une catéchèse 196 .

      80 Les communautés schismatiques, qui avaient leurs propres martyrs (non reconnus par l'Église catholique) 197 , semblent avoir joué un rôle important dans l'émergence de ce genre littéraire, moyen efficace de propagande d'un culte et d'une doctrine ('passions donatistes') 198  ; comme pour les hymnes 199 , les évêques catholiques firent eux aussi un grand usage de ce type de textes, peut-être par réaction. Destinées avant tout à la lecture privée, ces passions pouvaient également être lues au cours des célébrations liturgiques, du moins en Afrique 200 .

      Littérature de célébration

      81 Le moyen par excellence de rappeler la passion du martyr dans la liturgie est le sermon, oraison funèbre particulière qui donne l'occasion de narrer la mort glorieuse du martyr. Contrairement aux passions littéraires, l'homélie n'autorise que difficilement le recours au discours direct, mais elle permet des commentaires et comparaisons qui, dans un pur récit, passeraient vite pour des digressions oiseuses.

      82 Les hymnes ambrosiennes chantées le jour de la fête des martyrs constituaient, comme les épitaphes damasiennes, des moyens efficaces - l'un collectif et solennel, l'autre personnel et permanent - de rappeler brièvement, mais sous une forme ornée, l'essentiel de la passion du martyr. Ces poèmes, oeuvres littéraires, étaient recopiés et diffusés plus largement. À mi-chemin entre ces compositions et le genre - circon-stanciel par excellence - de l'homélie figurent les poèmes composés chaque année par Paulin, évêque de Nole, en l'honneur du martyr Félix 201 . Bien qu'il ne soit pas clerc et ne compose pas avant tout pour un usage liturgique, Prudence s'inscrit dans le même mouvement littéraire, consistant à traduire en vers des genres littéraires souvent humbles et spécifiquement chrétiens : il inaugure le genre de la passio metrica.


b) Expressions plastiques du culte des martyrs

      Architecture

      83 Avec la Paix de l'Église, le culte des martyrs cesse d'être confiné aux cata-combes. Celles-ci restent fréquentées et utilisées jusqu'à la fin de l'Antiquité, parfois réaménagées avec des 'circuits' de pèlerinage permettant un accès plus aisé aux corps saints et avec une monumentalisation des tombes vénérées 202 .

      84 L'ancienne discipline romaine de l'intangibilité des sépultures et de l'inter-diction d'ensevelir les morts à l'intérieur du pomoerium s'applique également aux corps saints ; la vénération des reliques des martyrs gardera, du temps de Prudence, le caractère d'un pèlerinage - même si des sanctuaires urbains commencent à être mis sous l'invocation d'un saint, telle la basilique damasienne de Saint-Laurent. Les sanctuaires édifiés autour de tombes maintenues à leur emplacement originel sont parfois l'occasion de prouesses de génie civil, comme, dans le cas de Saint-Pierre, les travaux constantiniens d'arasement et les travaux damasiens de drainage 203 .

      85 Prudence célèbre la grandeur et l'éclat des basiliques, dont la forme est empruntée aux vastes bâtiments civils du même nom ; il évoque les représentations figurées et les inscriptions 204 , documents propres à émouvoir ou à instruire le voyageur. Les aménagements liturgiques intéressent aussi le poète, qui mentionne l'autel eucharistique 205 , souvent uni à la tombe 206  devant laquelle les fidèles se prosternent pour vénérer et implorer le saint 207  ; il parle de l'ambon et de la cathèdre, tribunal Christi qui occupe la place assignée au magistrat dans la basilique profane 208 .

      Portraits de martyrs

      86 Avant la Paix de l'Église, les verres dorés retrouvés dans les catacombes ne semblent comporter, outre des inscriptions, que des portraits anonymes, des représentations d'animaux et, parfois, celle du Christ bon Pasteur. C'est à partir du deuxième quart du ive s. que l'on trouve une plus grande variété des thèmes, bibliques (p.ex. un Hébreu dans la fournaise 209 ) et hagiographiques (en particulier saints Pierre et Paul 210 , Sixte et Timothée 211 , Agnès 212 ). À l'époque où Prudence écrit le Peristephanon, on a de très nombreuses représentations de saints Pierre et Paul, ainsi que de sainte Agnès 213 , les trois étant associés dans un cas 214  ; c'est aussi à la fin du ive s. que l'on trouve une représentation du sacrifice d'Abraham 215 , seul cas avec le type de l'Hébreu dans la fournaise de représentation de 'passion' sur ce support - de telles 'métaphores du martyre' sont fréquentes en peinture (cf. tableau § 90).

      87 On a aussi des portraits de martyrs dans les fresques des catacombes : sainte Agnès avec l'agneau 216 , saint Pierre, et tous les autres martyrs célébrés dans les sept Passions de Prudence (saints Paul, Laurent, Sixte, Vincent, Cyprien), sauf saints Cassien et Hippolyte, mais avec saint Quirin (cf. perist. 7) 217 . D'autres techniques sont également utilisées : mosaïque (portraits des Apôtres surtout 218 ), bas-relief (sainte Agnès en orante 219 ) ou haut relief sur marbre (sarcophages : cf. § 90).

      Représentations du martyre

      88 C'est un lieu commun que d'affirmer l'inexistence de représentations du Christ crucifié et aussi de passions de martyrs avant le Moyen-Âge, en invoquant divers motifs (dont l'un des plus inconsistants serait une sensibilité tardo-antique pleine de pudeur et de retenue). La littérature de l'Empire romain voit régulièrement apparaître un goût de l'horrible, une esthétique du laid, dont on a des exemples chez Sénèque et Lucain, et jusque chez Ausone décrivant l'agonie d'un poisson ou saint Jérôme narrant le déroulement de l'horrible supplice d'une femme accusée d'adul-tère 220  - pour ne pas parler de récits qui comprennent nombre de descriptions de supplices, comme ceux de l'Histoire Auguste 221  ou les passions de martyrs. On remarque aussi un intérêt particulier, durant l'Antiquité tardive, pour les descriptions d'oeuvres d'art 222  ; rien ne s'oppose donc a priori à ce qu'un poète s'inspire dans ces descriptions même d'oeuvres d'art réelles - Prudence l'affirme du reste en perist. 9 et 11.

      89 On n'a pas retrouvé les représentations dont Prudence fait l'ecphrasis. Si les aléas de l'histoire expliquent leur disparition, on peut aussi avancer l'hypothèse d'une fiction poétique. Rien ne permet cependant d'exclure a priori que le portrait de saint Cassien martyrisé ou que la peinture des épisodes du martyre de saint Hippolyte aient réellement existé. Plusieurs documents attestent l'existence de représentations du martyre au début du ve s. ; l'un d'eux est un sermon de saint Augustin montrant à ses fidèles une pictura où est figurée la lapidation du Protomartyr Étienne 223 . Parmi les oeuvres conservées et dont l'authenticité n'est pas mise en cause, il y a un Massacre des Innocents sur un panneau d'ivoire 224  et, à Rome, une colonnette où est sculptée la décollation de saint Achillée 225 , une fresque du Coemeterium Maius où, semble-t-il, sont représentés Maurus et Papia menant le martyr Sisinius au supplice 226  et une autre, sous la basilique du Célius, avec la décapitation de saints Jean et Paul 227 . C'est de cette même époque que date la plus ancienne représentation conservée de la crucifixion du Christ (panneau de la porte en bois de Sainte-Sabine, à Rome).

      90 Prudence vit à l'époque (entre le deuxième quart du IVe et la première moitié du ve s. 228 ) où sont sculptés les sarcophages dits 'de passion', évoquant la Passion du Christ (jugement de Pilate) ou celle des Princes des Apôtres (arrestation de Pierre ou portement de la croix ; décapitation de Paul), associant parfois le Christ et saints Pierre et Paul. Plusieurs de ceux qui représentent l'exécution de saint Paul 229  portent en outre des scènes de 'passions' vétérotestamentaires : sacrifice d'Abraham 230 , Daniel dans la fosse aux lions 231 , les trois Hébreux dans la fournaise (?) 232 , Jonas jeté à la mer 233 . Ces motifs sont fréquents dans les fresques des catacombes romaines 234  et semblent constituer une métaphore de la passion des martyrs, puisqu'ils correspondent à une typologie des supplices :

      
Fer : décapitation, égorgement
(martyrs de perist. 1. 12. 13. 14)
Sacrifice d'Abraham (gen. 22)
(au moins 23 ex. à Rome)
Feu : bûcher, gril
(martyrs de perist. 2. 3. 5. 10)
Les Hébreux dans la fournaise (Dan. 3)
(au moins 20 ex. à Rome)
Fauves : lions dans l'arène
(évocation en perist. 1. 5. 6)
Daniel dans la fosse aux lions (Dan. 6)
(au moins 52 ex. à Rome)
Eau : noyade
(martyr de perist. 7 ; évocation en perist. 5)
Jonas jeté dans la mer (Jon. 1 - 2).
(au moins 25 ex. à Rome)

      Il est à remarquer que les peintres des catacombes observent la même discrétion que Prudence relativement au supplice de la croix 235 , qui a dû pourtant être relativement commun dans les faits jusqu'à son abolition complète au cours du ive s.


c) Signification et enjeux du culte des martyrs

      Exhortation au martyre, glorification des martyrs

      91 Dans l'Iliade, Phénix dit à Achille que Pélée le lui avait confié en définissant ainsi le but de son éducation : muqwn te rhthr' emenai prhkthra te ergwn 236 . Ce double idéal, qui correspondra durant le Moyen-Âge aux services de plaid et d'ost, se retrouve dans la figure du héros chrétien par excellence qu'est le martyr, qui assume paradoxalement les qualités de l'orateur (son témoignage, discours inspiré 237 , n'emporte jamais la conviction du juge) et celles du guerrier (ses exploits ne sont pas accomplis dans l'action, mais dans la passion, avec des secours divins tels que l'attitude de la victime peut parfois impressionner les spectateurs et les amener à se convertir 238 ). Le martyr se bat pour un souverain et une patrie célestes face aux puis-sances de ce monde, dont l'attitude devient à son tour paradoxale devant la violence pacifique de ceux qui les contestent : on reproche aux chrétiens non pas ce qu'ils font (d'hypothétiques crimes), mais ce qu'ils sont (le nomen Christianum) ; on met les accusés à la question non pour qu'ils avouent, mais pour qu'ils renient leur 'crime' 239 .

      92 La monolâtrie stricte des chrétiens ne peut se réduire à l'obéissance à une loi religieuse 'intolérante' 240  : le martyre est vécu comme imitatio Christi (cf. § 99) et comme résistance face à des puissances maléfiques, les dieux du paganisme étant identifiés aux démons (le culte païen y fait allégeance). Aucun compromis n'est donc possible, d'autant plus que l'enjeu de l'épreuve est, pour le martyr, son salut éternel.

      93 Dès lors, avant même d'adresser des apologies aux persécuteurs, les auteurs chrétiens ont exhorté leurs coreligionnaires au martyre, leur montrant la voie royale permettant de quitter ce monde pour celui de la vie éternelle. Les martyrs sont déjà présentés comme des modèles à suivre dans les lettres de saint Clément de Rome et de saint Polycarpe 241 . Tertullien écrira à des chrétiens en prison pour les exhorter au martyre, de même que saint Cyprien 242  ; Origène, qui encore adolescent avait écrit une telle lettre à son propre père, composera plus tard une Exhortation au martyre développée, où il présente le martyre comme une grâce 243  - telle est la doctrine de l'Église : le martyre est un don de Dieu 244 , qu'il ne faut ni rejeter (comme les lapsi, qui cèdent sous la menace des persécuteurs) ni chercher à provoquer (comme les fanatiques qui agissent de manière suicidaire et provocatrice). Il faut agir avec discernement, fuyant la mort quand cela est possible 245  - ne serait-ce que pour ne pas donner aux persécuteurs l'occasion de commettre un crime -, mais l'acceptant avec joie si l'on y est acculé 246 .

      Enjeux du culte des martyrs

      94 Les martyrs sont non seulement des modèles de vie chrétienne mais aussi, en tant qu'élus, des intercesseurs efficaces auprès de Dieu. Leur héroïsme les a unis à la cour céleste 247 , mais leur humanité permet aux pénitents de garder avec eux une certaine familiarité, alors qu'ils se reconnaissent indignes de s'adresser à Dieu 248 .

      95 La popularité et le prestige des martyrs étaient tels qu'ils risquaient de se substituer aux ministres ordonnés dans leur fonction médiatrice entre les autres fidèles et Dieu : durant les persécutions, l'évêque Cyprien dut s'opposer aux confesseurs (futurs martyrs, en prison) qui, ne pouvant ou ne voulant consulter les autorités ecclésiastiques, accordaient parfois hâtivement des billets de réconciliation assurant à tel ou tel des lapsi 'la communion pour lui et les siens' 249 , en l'assurant de son intercession efficace auprès de Dieu. L'intransigeance ou au contraire la tolérance des évêques face aux lapsi furent à l'origine de schismes (montanisme, novatianisme, donatisme), animés par des prêtres qui se réclamaient d'une 'Église des martyrs', face à l'Église 'officielle', même si tous vénèrent les martyrs les plus illustres. Cependant, le baptême de sang aura un statut canonique inverse de celui du baptême d'eau, reconnu même s'il y a schisme : ne peut être honoré comme martyr que celui qui était en communion avec l'Église 250 . Les communautés schismatiques vénéraient leurs propres martyrs, en popularisant leurs cultes avec des productions littéraires 251  qui amenèrent les évêques de la grande Église à réagir par des oeuvres similaires, célébrant les martyrs catholiques.

      96 À l'intérieur même de l'Église, le problème des billets donnés par les confesseurs sans l'avis de la hiérarchie ecclésiastique risquait de se prolonger dans une concurrence entre un culte aux martyrs, populaire du fait même de l'absence de cadres stricts, et une liturgie sacramentelle soumise à la discipline de l'arcane - les catéchumènes ne pouvaient assister au sacrifice eucharistique - et mise en oeuvre par une hiérarchie sacerdotale qui n'hésitait pas à imposer des sanctions, y compris à l'encontre des puissants (excommunication). Constantin avait favorisé la pratique du refrigerium (repas offert sur la tombe du martyr) en construisant des basiliques qui pouvaient servir quotidiennement de salle de banquet 252 , occasion de pratiquer son évergétisme et de canaliser la piété populaire hors de l'influence directe du clergé ; dans son Discours à l'assemblée des saints, il tient des propos quasi apologétiques pour cette pratique, qu'il semble mettre au même niveau que la messe 253 . Évêque anti-arien parfois en butte au pouvoir impérial 254 , saint Ambroise sera l'un des premiers à condamner ce rituel 255  ambigu - il évoque l'usage païen de 'nourrir' le mort lors des Parentalia -, au profit de la seule offrande eucharistique ; la mainmise de l'Église sur le culte des martyrs se manifestera par l'érection d'un autel eucharistique sur les tombes vénérées et par l'insertion de reliques dans les autels.

      Signification spirituelle

      97 Les poèmes du Peristephanon ne font pas que servir la politique religieuse des évêques Ambroise et Damase, et le martyre n'est pas une pure matière à polémique ou à propagande contre les adversaires païens ou hérétiques de l'Église - mais, pour Prudence, un objet de contemplation. Ses héros ne sont pas que des figures littéraires ou historiques, mais des saints auxquels sont adressés hommages et prières.

      98 Les passions des martyrs appartiennent non seulement à l'histoire de Rome ou de telle ville de l'Empire, mais prolongent en outre l'histoire sainte, en reflétant après la venue du Christ les martyres des prophètes qui témoignèrent parfois au prix de leur vie 256  et ceux des Hébreux dans la fournaise et des Maccabées 257 . Ils ont aussi pour modèles le Protomartyr Étienne 258  et ceux qui versèrent le sang peu après la naissance, respectivement le début de la vie publique du Christ : les saints Innocents et saint Jean-Baptiste 259 .

      99 Dans leur passion, les martyrs se conforment parfaitement non seulement aux commandements, mais aussi à la personne même du Christ. À partir de saint Étienne, les martyrs imitent le Christ dans leur action et dans leur être : leurs blessures inscrivent dans leur chair le nom même du Christ 260  et, par leur passion, ils sont associés à la Croix du Christ 261 , participant en quelque sorte à son oeuvre rédemptrice 262 , par le sacrifice de leur vie. Leur récompense est surabondante : pour eux, ils gagnent la vie éternelle 263  et, en vertu de la réversibilité de leurs mérites, le lieu de leur mort ou de leur tombeau est l'objet d'une faveur divine qui rejaillit sur ceux qui implorent l'intercession du martyr 264 . Le sang des martyrs est la matière d'un véritable baptême 265  tout en ayant la vertu durable de chasser les démons 266  : alors que Tertullien voyait, dans une image célèbre, le sang des martyrs comme une semence de chrétiens, c'est-à-dire avant tout un moyen de persuasion 267 , Prudence lui donne une valeur sacrée, efficace dans sa matérialité même. Reflétant poétiquement l'intégration du culte des martyrs dans la liturgie eucharistique, Prudence affirme la valeur sacramentelle du sang versé par les martyrs, image réelle de celui du Christ, signe et moyen de la croissance de l'Église, corps du Christ.


II. Chronologie et organisation du Peristephanon


1. Les poèmes anciens et l'émergence du genre


a) Peristephanon 2 (s. Laurent) et 14 (ste Agnès)

      Ancienneté et contemporanéité de perist. 2 et 14

      100 Les poèmes que Prudence consacre à saint Laurent et à sainte Agnès, deux martyrs romains illustres, semblent être les plus anciens du recueil 268 . Le poète n'y décrit pas de sanctuaires, contrairement à ce qu'il fera par la suite, et y apparaît comme éloigné de Rome 269 , ne connaissant la ville que par ouï-dire 270 . Dans ces deux poèmes, le récit dépend de la tradition ambrosienne, milanaise - avant son déplacement à Ravenne en 402, la cour était à Milan -, et non de ce que Prudence aurait pu apprendre à Rome, par les inscriptions damasiennes notamment 271 .

      101 Les deux poèmes développent une action dramatique à rebondissements. On y trouve aussi deux motifs particuliers, adjoints à la narration proprement dite de la passion : une assimilation du combat du martyr à une lutte contre le démon, et une critique des vanités et des vices du monde.

      102 Le premier de ces traits communs à perist. 2 et 14 consiste en une lecture eschatologique de l'événement du martyre : comme l'archange Michel, saint Laurent terrasse le démon 272  et sainte Agnès, sorte de nouvelle Ève, écrase la tête du dragon 273 . Ces motifs découlent d'une exégèse de l'Écriture selon le sens moral, identifiant les martyrs à de grands acteurs de l'histoire du salut. La même idée est reprise en perist. 5 274 , probablement postérieur à perist. 2 et 14 (cf. § 109-112).

      103 Le second trait commun est propre à ces deux poèmes évoquant la perversité et la vanité du monde dans des énumérations comparables, bien que dans des contextes différents (perist. 2 : discours du martyr au persécuteur ; perist. 14 : regard porté par la martyre sur le monde au moment de la montée de son âme au ciel). Cette thématique proche de celle de la Psychomachie expose le problème moral sous forme d'un catalogue de vices, qui culmine dans la mention de l'irréligion, du paganisme (cf. perist. 2, 261-264 ; 14, 110-111) 275 . Les thèmes moraux traités sont typiques des préoccupations ascétiques du temps de Prudence :

  • soif de l'or, acquis par des crimes : perist. 2, 189. 197-200 ; 14, 102-103,
  • goût du luxe et des privilèges : cf. perist. 2, 233-234. 237-240 ; 14, 104-105,
  • ambition, goût des honneurs : cf. perist. 2, 249-252 ; 14, 100-101,
  • jalousie et malice : cf. perist. 2, 257-260 ; 14, 108-109.

      Datation de perist. 2 et 14

      104 Le motif de la condamnation des pompes du siècle donne un indice sur la date des poèmes : on songe à la Præfatio où Prudence affirme sa conversion et sa volonté de quitter un 'monde' dont il a connu les honneurs. En perist. 2, l'attention qu'il porte à la classe sénatoriale et sa joie de la voir se convertir au christianisme suggèrent que le poète est encore proche du temps où il faisait corps avec ce milieu - perist. 2 s'apparente au Contre Symmaque par les thèmes qu'il traite, et peut être situé non loin de 402-403, date probable de l'achèvement de c. Symm. 2 276 . Plus précisément, on trouve pour perist. 2 un terminus post quem avec les mesures impériales de fin janvier 399 visant à préserver les oeuvres d'art d'inspiration païenne 277  : Prudence y fait notamment allusion en perist. 2, 473-484, dans une prophétie du martyr 278 .

      105 On a une confirmation de cette datation - et une illustration de la proximité chronologique de perist. 2 et 14 - avec les indications données par perist. 14. Dans ce poème, le thème de la vanité du monde, comme celui du mariage mystique de la martyre avec le Christ, est lié à une polémique implicite avec Claudien. Ce dernier avait composé en février 398, à l'occasion du mariage hautement 'politique' de l'empereur Honorius (alors âgé de 14 ans) avec la fille de Stilicon (âgée de 12 ans), un ensemble de poèmes dont l'un utilisait une forme métrique totalement nouvelle 279  ; Prudence la reprend en perist. 14 pour un sujet à la fois diamétralement opposé sur le plan idéologique et analogue à plusieurs égards, notamment l'âge de l'héroïne du poème. On a donc ici un terminus post quem, et il est permis de supposer que perist. 14 n'a été composé et diffusé guère plus tard.

      Antériorité de perist. 14 relativement à perist. 3 et 6

      106 La comparaison de perist. 3 et 14, tous deux consacrés à des vierges martyres, donne des indications précieuses. En perist. 14, Prudence n'utilise pas la version romaine du martyre de sainte Agnès, qu'il transposera dans le récit relatif à sainte Eulalie : indépendamment de l'historicité des faits, force est de constater qu'il y a emprunt littéraire, dépendance d'une inscription damasienne que Prudence semble ignorer quand il écrit perist. 14. Sont communs aux deux versions (et absents de perist. 14) les motifs de la fugue loin du giron familial lors de la persécution 280 , du supplice du feu 281  et du miracle de la chevelure recouvrant le corps dénudé 282 . Perist. 3 est aussi postérieur à perist. 9 et 11, 'poèmes du voyage' (cf. § 142-143) eux-mêmes plus récents que perist. 2 et 14, puisque Prudence semble ne pas encore avoir visité Rome lorsqu'il écrit ces poèmes consacrés à saints Laurent et Agnès.

      107 On peut aussi mettre en évidence un rapport de dépendance entre perist. 6 et 14 avec deux passages présentant un lexique commun, bien que les contextes soient très différents - en outre, la disposition des termes récurrents est semblable :

      
perist. 6, 32-36 perist. 14, 67-72
tandem stant trucis ad tribunal hostis ;
fratres tergeminos tremunt catastæ.
iudex Æmilianus imminebat,
atrox, turbidus, insolens, profanus,
aras dæmonicas coli iubebat.
ut uidit Agnes stare trucem uirum
mucrone nudo, lætior hæc ait :
" Exsulto, talis quod potius uenit
" uesanus,
atrox, turbidus, armiger,
" quam si ueniret languidus ac tener
" mollisque ephebus... "

      En perist. 14, les éléments soulignés amènent un contraste et un paradoxe essentiels ; en perist. 6, ils ne sont qu'un élément topique, qui contredit même l'idée de perist. 6, 33 (les martyrs effraient les instruments de torture) - élément par ailleurs absent de la source utilisée par Prudence. Perist. 14 apparaît donc comme le modèle du texte. Cela semble confirmé indirectement par perist. 6, 37-39 (mention par le juge de la conversion de jeunes païennes, leues puellæ) : cet autre ajout de Prudence à sa source pourrait être une réminiscence : une évocation, par antiphrase, de sainte Agnès.

      Antériorité de perist. 2 relativement à perist. 4

      108 Il semble que perist. 2 soit antérieur à perist. 4 ('poème hispanique', comme perist. 3 et 6 283 ). Ci-après est évoqué le passé glorieux de Rome et de Tingis, avec le lexique utilisé par Virgile pour formuler son idéologie politique de l'Empire romain 284  :

      
perist. 2, 5-8. 11-12 perist. 4, 45-48
reges superbos uiceras
populosque frenis presseras,
nunc monstruosis idolis
imponis imperii iugum. (...)
feritate capta gentium
domaret ut spurcum Iouem.
ingeret Tingis sua Cassianum
festa Massylum monumenta regum
qui cinis gentes domitas coegit
ad iuga Christi.

      Avec leurs motifs topiques, les deux passages pourraient dépendre directement de Virgile, mais leur proximité lexicale laisse supposer un rapport de dépendance. Le plus proche de Virgile, par son caractère politique et romain, est perist. 2 - d'où pourrait découler perist. 4 (transposition à un cas moins illustre et abrègement). Cette interprétation est corroborée par l'antériorité de perist. 2 par rapport à perist. 1 (cf. § 141), contemporain de perist. 4 (cf. § 176-177) et par la postériorité de perist. 4 relativement à perist. 5 (cf. § 113), lui-même dépendant de perist. 2 (cf. ci-après).


b) Peristephanon 5 (s. Vincent) et 13 (s. Cyprien)

      Dépendance de perist. 5 relativement à perist. 2 et 14

      109 Le poème consacré à saint Vincent (perist. 5) a en commun avec perist. 2 et 14 une structure narrative à épisodes, avec des péripéties, une conclusion en forme de prière personnelle ainsi que le motif de la lutte du martyr contre le démon 285 .

      110 On trouve l'idée de double martyre en perist. 5 et 14, mais dans une per-spective différente : en perist. 14, ce thème est repris de saint Ambroise (salut gagné par la virginité et par le martyre) ; en perist. 5, qui peut donc difficilement être le modèle de perist. 14, c'est le cadavre du martyr qui remporte une seconde victoire sur le persécuteur qui voulait le faire disparaître. Chaque fois, la couronne supplémentaire est remportée lors d'une exposition du corps, en état de vulnérabilité totale, protégé par une intervention divine, malgré l'outrage d'un homme de main 286 .

      111 Perist. 5 constitue un parfait pendant de perist. 2, formellement et thématiquement (cf. tableau ci-après). Son mètre est le même (fait unique dans le recueil, hormis la récurrence de distiques élégiaques en perist. 11 et, cas particulier, perist. 8 : cf. § 188) et sa longueur (576 vers), considérable par rapport à celle des autres poèmes du recueil, est proche de celle de perist. 2 (584 vers). Les deux poèmes sont consacrés à des diacres et ont des éléments en commun : discours développant une argumentation polémique (proche de celle du Contre Symmaque 287 ), description de supplices avec signes miraculeux, évocation de la fureur obstinée du persécuteur et de la conversion de témoins, mention de la dévotion du poète pour le martyr.

      112 Outre le mètre et la longueur, les éléments thématiques (typologiques) et lexicaux communs à perist. 2 et 5 (c'est aussi le cas entre perist. 5 et 7, mais avec perist. 5 comme modèle : cf. § 184) peuvent être résumés ainsi :

      
motifs communs : perist. 2 perist. 5
le martyr, l'un des sept diacres v. 37-39 hic primus e septem uiris,|qui stant ad aram proximi, | Leuita sublimis gradu v. 30-32 Leuita de tribu sacra, |minister altaris Dei | septem ex columnis lacteis
objet caché à livrer v. 85-88 (trésor de l'Église) v. 181-184 (Écritures saintes)
double miracle :
- illumination
- parfum (nectar)

vv. 361-362. 373-376 (visage)
v. 385-388, en part. 388

vv. 269-270. 305-308 (cachot)
v. 280
conversion subite
de témoins païens
v. 489-496 (sénateurs)
(cf. v. 493 repens)
v. 345-352 (geôlier)
(cf. v. 348 repente)
cannibalisme des bourreaux ou du juge v. 406-408 coctum est, deuora |
et experimentum cape | sit crudum an assum suauius
v. 100 pastos resectis carnibus
v. 152 riuosque feruentes bibe
analogie : dieu païen / élément du supplice vv. 356. 404 (Vulcain / feu) v. 99 (Pluton / bourreaux)
comparaison : martyr / figure de l'A.T. vv. 363-368. 381-384
(Moïse - Exode)
vv. 371-372 (Abel) ; 405-406 (Élie) ; 523-536 (Isaïe, Maccabées)
comparaison : martyr / figure du N.T. v. 369-372 (s. Étienne) v. 375-376 (s. Jean-Baptiste)

      Le récit de perist. 5 est le plus romanesque du recueil et, comparé à celui de perist. 2, peut sembler marqué d'une volonté de surenchère - tendant à faire de saint Vincent une figure égale sinon supérieure à son modèle romain. Mais il faut se garder de surévaluer le patriotisme local de Prudence et voir plutôt là une volonté d'équilibre : pour soutenir la comparaison avec la figure de saint Laurent, présenté comme un acteur de l'histoire du salut de l'humanité 288 , saint Vincent devait aussi apparaître comme exceptionnel. Prudence insiste donc sur les miracles de sa passion, et, au prix d'une certaine manipulation, sur le caractère unique d'un supplice qui lui est infligé 289  et de l'acharnement du persécuteur après sa mort 290 . Les deux quatrains de moins de ce poème, par rapport à perist. 2, sont peut-être un hommage à la prééminence de saint Laurent - archidiacre, alors que saint Vincent est diacre 291 .

      Antériorité de perist. 5 relativement à perist. 4 et 6

      113 Il est question de saint Vincent non seulement en perist. 5, mais aussi en perist. 4, 77-108. Si perist. 5 narre le détail de la passion, il ne dit rien du lieu des événements 292 , ni du passé du martyr ; en perist. 4, on a au contraire une forte revendication du martyr pour Saragosse et l'indication du lieu de sa sépulture (Sagonte) 293 , mais aucun récit du martyre. Perist. 4, incompréhensible sans les données de perist. 5, lui apporte un complément, voire un rectificatif ; l'inverse n'étant pas vrai, perist. 5 est antérieur à perist. 4 (tout comme perist. 2 : cf. § 108).

      114 Par ailleurs, une différence entre perist. 5 et 6 marque la principale évolution des conceptions de Prudence relatives au culte des martyrs. Alors qu'il célèbre en perist. 5 la dévotion envahissante des fidèles pour le martyr mourant comme une marque de vénération légitime et bonne - elle est à l'origine d'une conversion 294  - et loue ceux qui ne se contentent pas de lécher le sang du martyr, mais en rapportent chez eux, afin qu'il soit conservé pour leurs descendants 295 , sa position est dia-métralement opposée en perist. 6 : saint Fructueux refuse avec hauteur toute assistance 296  et apparaîtra avec ses compagnons afin d'ordonner aux fidèles qui avaient recueilli leurs reliques de les rapporter pour qu'elles reposent toutes dans un tombeau unique 297 . Ces éléments sont fidèlement repris d'une Passion en prose, source de perist. 6. Prudence aurait difficilement pu écrire tel quel perist. 5 après la lecture d'un texte qui lui parut suffisamment vénérable pour qu'il ne procédât à aucune modification notable et n'ajoutât rien au récit fait en perist. 6.

      115 On peut opposer l'accent mis dans les poèmes anciens sur le lien permanent entre le martyr et ses concitoyens 298 , qui fait qu'un étranger demande l'intercession du martyr comme une faveur 299 , et celui qui sera mis plus tard sur l'universalité de ces cultes, destinés à se répandre : on le voit en perist. 1 et 6, 'hymnes hispaniques' 300  et déjà dans les 'poèmes romains' (perist. 9. 11. 12) 301 . Le voyage de Rome a joué un rôle décisif dans cette évolution de la pensée de Prudence (cf. § 138-140).

      Proximité de perist. 13 et 14

      116 Perist. 13 et 14 sont les seuls du recueil à utiliser des vers catastichon. Tous deux célébrent plus qu'un martyr : respectivement un docteur de l'Église et une vierge. Contrairement aux martyrs par excellence que sont les diacres Laurent et Vincent (perist. 2 et 5), les héros de ces deux poèmes ne développent pas de longs arguments face au juge, mais agissent selon leur charisme propre : sainte Agnès proclame et défend sa virginité d'épouse du Christ, saint Cyprien guide ses ouailles et prie pour elles. Tous deux auront la tête tranchée - à la différence des deux diacres qui meurent dans d'atroces tortures -, mais connaissent auparavant des destins opposés : saint Cyprien est enfermé sous terre alors que sainte Agnès est exposée ; le nom d'Agnès évoque la pureté (ce qui correspond à son passé de vierge), alors que celui de Cyprien évoque Cypris, déesse de l'amour (à laquelle il était asservi avant sa conversion) ; un des persécuteurs tente en vain de faire avancer la foule des curieux contre sainte Agnès, qui les repousse, gênés ou affligés, alors qu'en perist. 13, le persécuteur ne parvient à retenir la foule des fidèles d'aller au martyre, enthousiaste, poussée par les paroles et les prières de saint Cyprien, pourtant caché dans une prison 302  ; enfin, l'une est romaine, l'autre, carthaginois 303 .

      117 Outre ces rapprochements thématiques, on a ce parallèle lexical frappant :

  • perist. 13, 95 ille Deo meritas grates agit et canit triumphans
  • perist. 14, 52-53 ibat triumphans uirgo, Deum Patrem | Christumque sacro carmine concinens.

      De même, les deux vers suivants présentent un lexique et une syntaxe parallèles :

  • perist. 13, 11 o niue candidius linguæ genus, o nouum saporem !
  • perist. 14, 124 o uirgo felix, o noua gloria !

      Ce dernier exemple laisse entendre que perist. 14 est le modèle de perist. 13. Alors que pour sainte Agnès, cette expression s'insère dans la thématique du double martyre et reprend l'idée de perist. 14, 29-30 (nouum | ludibriorum mancipium), elle ne relève en perist. 13 que de l'abundantia. L'image niue candidius, curieusement appliquée à l'éloquence, semble suggérée par l'idée de virginité liée au modèle qu'était perist. 14 - cette expression est du reste reprise à propos de la vierge martyre Eulalie 304 .

      Un groupe de quatre poèmes

      118 Il est difficile de situer chronologiquement perist. 13 305  et ses rapports avec perist. 5 ne sont pas aussi nets qu'entre perist. 5 et perist. 14. Avec perist. 2, on a cependant là un groupe de quatre poèmes tous consacrés essentiellement à la narration de la passion du martyr, avec un récit en plusieurs tableaux comprenant péripéties et changements de point de vue. Surtout, ce groupe est marqué par une forte symétrie entre deux passions de martyrs romains (perist. 2 et 14) et leurs reflets provinciaux (perist. 5 et 13 - il est probable que perist. 5 soit postérieur au voyage de Rome, et donc à perist. 2 et 14). Il est intéressant de noter que ces parallélismes sont à la fois formels (mètre, stichométrie, dimensions ; réminiscences lexicales) et thématiques (éléments narratifs, sujet, idées ; jeux de correspondances) 306 .

      119 Il peut sembler logique que Prudence ait voulu célébrer le martyr hispanique le plus illustre, saint Vincent ; son intérêt pour les martyrs de Rome et de Carthage provient du prestige de ces villes, riches de leurs saints - Prudence en témoigne encore en perist. 4, où pour exalter Saragosse, il la compare à ces deux villes, devenues métropoles chrétiennes (perist. 4, 61-64 uix parens orbis populosa Poeni, | ipsa uix Roma in solio locata | te, decus nostrum, superare in isto | munere digna est : 'c'est à peine si la mère populeuse du Punique, à peine si Rome elle-même, installée sur son trône, sont dignes de te surpasser, ô notre honneur, dans cet office.')


c) Peristephanon 10 (s. Romain)

      Proximité entre perist. 10 et perist. 2 et 5

      120 Les trois poèmes les plus longs du Peristephanon sont perist. 2, 5 et 10. Ils sont consacrés à des diacres, ordre par excellence des martyrs, dont le premier, saint Étienne, fut aussi le premier des diacres - le titre même du Peristephanon fait allusion à son nom (cf. § 21). Du fait de la nature de leur ministère, les diacres sont appelés à témoigner (marturein) face au monde ; or, ces trois poèmes sont ceux du recueil qui accordent la plus grande part au discours direct 307 . À ce fait est probablement lié l'emploi du mètre iambique, qui est celui du parlé dans la tragédie, perçu comme le plus proche du rythme naturel de la langue.

      121 D'une certaine manière, les trois poèmes mettent en oeuvre les ressorts de la tragédie définis par Aristote dans sa Poétique : reconnaissance et péripétie 308 . L'action comporte en effet un certain nombre de rebondissements, de sorte que l'on pourrait aller jusqu'à distinguer cinq 'actes' 309  :

      
  perist. 2 perist. 5 perist. 10
I v. 21-52 : scènes d'exposition v. 17-236 : confrontation,
échec des tortures
v. 71-390 : interrogatoire ;
1
ère controverse religieuse
II v. 53-140 : 1ère confrontation (accord entre martyr et juge) v. 237-324 : scène du cachot v. 391-545 : tortures ;
controverse sur le monde
III v. 141-164 : 1ère action
du martyr
v. 325-376 : mort du martyr v. 546-650 : mutilation des joues ; apologie chrétienne
IV v. 165-356 : 2e confrontation (réaction, défi du juge) v. 377-436 : 1ère tentative
contre le cadavre
 
v. 651-845 : martyre d'un enfant pris à témoin
V v. 357-496 : 2e action
du martyr
v. 437-504 : 2e tentative
contre le cadavre
v. 846-1110 : échec des supplices ; controverse religieuse

      La 'reconnaissance' (anagnwrisiV) porte ici non sur un personnage humain mais sur Dieu et sur la vérité ; elle est un des enjeux de ces poèmes, et s'accompagne parfois d'une péripétie radicale, celle de la conversion - sans doute significativement, Prudence utilise agnoscere dans ces trois poèmes et non dans le reste du recueil 310 .

      Perist. 10 : tragédie chrétienne ?

      122 Si l'élément dramatique est présent aussi bien en perist. 2 et 5 qu'en perist. 10, ces premiers poèmes sont avant tout une synthèse entre la passion littéraire et l'hymne ambrosienne, tandis que perist. 10 unit les genres tragique et lyrique au point de pouvoir être défini comme une para-tragédie. À cet égard, le poème consacré à saint Romain est particulièrement intéressant, comme la seule tentative, dans la littérature latine antique 311 , de transposer au domaine chrétien le genre dramatique 312 .

      123 Perist. 10, qui comporte près de 4/5 de discours direct, a le mètre (trimètre iambique), la longueur (1 140 vers) 313  et le titre (Romanus) 314  d'une pièce à la manière de Sénèque, et se présente lui-même indirectement comme une tragédie (cf. perist. 10, 1113 seriemque tantæ digerens tragoediæ) 315 . La narration respecte des contraintes propres à la tragédie classique, comme les trois unités (le drame se déroule sans solution de continuité, sur une scène unique, et embrasse tout le déroulement du martyre de saint Romain) et les caractéristiques du jeu scénique (choeur de figurants 316 , entrées et sorties de personnages 317 , mise à mort du héros tragique hors scène 318 ).

      124 Prudence ne va cependant pas jusqu'à écrire une tragédie : ses choeurs, muets, n'entonnent pas de cantica qui provoqueraient un changement de mètre ; il y a près d'un quart des vers qui ne sont pas des discours, ce qui empêcherait donc la pièce d'être représentée telle quelle. En outre, le poète recourt délibérément à une structure strophique - paradoxalement supprimée en perist. 13 et 14. La métrique souffre beaucoup plus d'exceptions, de licences que le reste du Peristephanon 319 .

      Perist. 10 : poème marginal

      125 Outre une métrique un peu relâchée qui peut laisser entendre que ce poème est antérieur aux pièces du recueil où Prudence semble mieux maîtriser son art 320 , ses dimensions le distinguent de ces poèmes, tout comme son titre 321 . Celui-ci est d'une sobriété toute classique : Romanus 322 , sans précision ni du genre littéraire (passio, hymnus), ni de la qualité du personnage (sanctus, beatus, martyr, etc.) 323  ; il est probable qu'il était suivi du sous-titre contra gentiles 324 , sur le modèle du titre traditionnel des dialogues platoniciens, repris notamment par saint Ambroise dans ses traités exégético-philosophiques (p.ex. De Iacob et uita beata). Le sous-titre souligne le caractère polémique du poème, dont l'argumentation est analogue à celle du Contra Symmachum.

      126 Contrairement à ce qui apparaît dans les éditions modernes suite à une manipulation de Sichard, au xvie s. 325 , perist. 10 n'est jamais inséré par les manuscrits entre deux poèmes du recueil, mais est donné soit en tête (familles aa et ab, avec le ms. M de la famille bb mais sans le ms. A, qui ne donne pas ce poème) soit en queue (familles ba et bb, sauf le ms. M). Ses dimensions font que les copistes estiment souvent nécessaire de rappeler le nom de l'auteur 326  ; il est implicitement voire explicitement distingué du Peristephanon dans une grande partie des manuscrits 327 , certains (c, l ; familles aa ba) parlant de libri nouem et considérant ce poème comme livre à part entière - dans le ms. c, perist. 10 est même séparé du Peristephanon par la Psychomachie qui s'insère entre les deux 'livres'. Il est certes difficile de discerner dans quelle mesure ces indications de la tradition peuvent remonter à une classification de l'auteur et ne procèdent pas d'une logique éditoriale indépendante, liée à la longueur du texte, mais rien ne garantit par contre l'appartenance du poème au Peristephanon.

      127 Perist. 10 serait le seul poème du recueil à être consacré à un martyr de la partie orientale de l'Empire (Antioche, métropole chrétienne et haut-lieu de l'histoire du martyre, puisqu'y sont morts les frères Maccabées), ce qui est remarquable chez un auteur pour qui l'humanité semble se résumer à la chrétienté d'expression latine 328 .

      Perist. 10 : poème de transition ?

      128 Par sa relative imperfection 329 , le Romanus de Prudence peut apparaître comme un essai qui aboutira au genre du Peristephanon. Il est proche à plusieurs égards de pièces anciennes (perist. 2 et 5 ; cf. § 109-112) et semble refléter l'argumentation du Contre Symmaque, dans un Contra gentiles narratif dont le héros est un personnage historique spécifique, mais dont les visées sont moins liées aux circonstances que dans le Contra Symmachum, comme le montrent les titres des poèmes.

      129 Compte tenu du fait que, dans les manuscrits de la classe 'A' (familles aa et ab), qui respecte le mieux la disposition des oeuvres de Prudence (cf. § 219-222), ce poème figure généralement entre c. Symm. 2 et le reste du Peristephanon, on peut supposer qu'il jouait le rôle de pièce de transition entre le bloc de cinq pièces didactiques en hexamètres et le dernier recueil lyrique - de la même manière que l'hymne De Trinitate 330  permettait de passer du premier recueil lyrique aux livres hexamétriques, chacun précédé d'une préface qui lui est propre. Le De Trinitate possède en effet les caractéristiques formelles des pièces du Cathemerinon, mais un contenu dogmatique annonçant l'Apotheosis qui suit ; semblablement, le Romanus participe du Contre Symmaque et du Peristephanon 331 .

      130 Il ne faudrait pas chercher dans l'oeuvre de Prudence une organisation a priori en vue de la constitution d'une sorte de somme unifiée des genres poétiques ; la dis-proportion des deux livres du Contre Symmaque, avec un léger correctif au moyen de leurs préfaces respectives 332 , montre que Prudence vise plutôt à organiser et à bien disposer des éléments préexistants (ou du moins autonomes) qu'à construire un 'super-poème' selon un plan préétabli. Il est donc raisonnable de supposer qu'il a pu disposer deux poèmes de transition aux articulations principales de son oeuvre, ce qui permet a posteriori d'expliquer les anomalies que seraient l'existence de deux préfaces pour l'Apotheosis et l'insertion d'un poème disproportionné dans le Peristephanon.


2. Les poèmes anciens et les sept Passions


a) Peristephanon 9 (s. Cassien), 11 (s. Hippolyte) et 12 (sts Pierre et Paul)

      Un triptyque

      131 Alors que les liens entre perist. 2, 5, 13 et 14 se laissent déduire de la comparaison de ces poèmes, ceux qui existent entre les trois 'poèmes romains' apparaissent dans le texte même de Prudence, qui se réfère à un voyage à Rome. Perist. 9 évoque une étape du voyage aller, perist. 12 est un dialogue 'en direct' dans la ville fêtant les apôtres Pierre et Paul, perist. 11 se présente comme un rapport adressé à l'évêque Valérien suite à ce voyage - les trois poèmes mentionnent le retour de Prudence chez lui 333 , après l'issue heureuse d'une mission qui le remplissait d'inquiétude 334 . On a donc ici un triptyque voulu comme tel par l'auteur.

      132 Ces trois poèmes ont la caractéristique d'être autobiographiques, ce qui explique l'emploi - unique dans les recueils lyriques de Prudence, à l'exception de l'épi-gramme qu'est perist. 8 - du distique, lié à la poésie personnelle. Au lieu d'occuper l'essentiel du poème, entre une introduction et, éventuellement, une conclusion de l'auteur, le récit de la passion des martyrs est inclus dans une narration principale, notamment par le biais de l'ecphrasis d'une fresque (perist. 9 et 11), dans le récit d'un cicérone (perist. 9 et 12) ; la passion est présentée comme l'origine d'une dévotion dont le cadre est le luxe de sanctuaires suggestifs, intimes ou grandioses (perist. 11 et 12). Ces poèmes comprennent deux temps dramatiques (celui du voyage et celui du martyre) dont la contiguïté paradoxale est soulignée par le passage direct, sans épilogue, du moment de la mort du martyr (et, le cas échéant, de ses funérailles) à celui où le poète vient le vénérer, dans son sanctuaire.

      133 Dans ces poèmes, l'alexandrinisme de Prudence est porté à son comble (jeux thématiques subtils, descriptions suggestives et énigmatiques, narration complexe). Leur structure et certains éléments sont analogues, et spécifiques :

      
  perist. 9 perist. 11 perist. 12
Demande / question v. 17a v. 3-4 v. 1-2
Contacts avec l'interlocuteur vv. 17. 93-98 vv. 2-4. 23. 127. 179-180. 197. 233-246 vv. 57. 59-62. 65-66
Description de sanctuaires vv. 5-6. 9-20. 93-94. 99-100 vv. 1-4. 7-22. 123-134. 153-176. 183-188. 215-230 v. 31-54
Description de la dévotion vv. 5-8. 99-104 vv. 175-178. 189-212. 227-233a v. 57-64
Propagation de la dévotion vv. 95-98. 105-106 vv. (179-182). 233b-246 v. 65-66

      Les autres poèmes du recueil ne sont pas un récit adressé à un interlocuteur privilégié et ne font pas de propagande d'un culte. Si l'attitude des fidèles priant le martyr est aussi évoquée en perist. 2 et 5, il n'existe pas, dans les quatre autres Passions, de description de sanctuaires (sinon, sommaire, en perist. 5, 513-520).

      Parallélisme entre perist. 9 et 11

      134 Perist. 9 et 11 fournissent le cadre du poème consacré aux apôtres Pierre et Paul, qui occupe une place unique dans le Peristephanon. À la manière de perist. 2 et 5, ils forment un ensemble symétrique, nonobstant la disproportion de leurs dimensions (perist. 11 a plus du double de la longueur de perist. 9) - ce qui, ailleurs, ne semble pas constituer un problème pour l'auteur 335 . Outre les éléments liés au voyage de Rome (cf. § 132 : notamment, évocation du martyre par l'ecphrasis d'une fresque), on relève que ces martyrs meurent déchiquetés, dans un supplice atypique, ordonné arbitrairement en vertu de réminiscences littéraires liées au nom ou à la profession de l'accusé - cela les distingue de ceux de perist. 2 et 5, torturés cruellement, mais par des bourreaux professionnels, et de ceux de perist. 13 et 14, décapités.

      135 Saints Hippolyte (perist. 11) et Cassien (perist. 9) ne sont ni des martyrs 'typiques' (comme les diacres de perist. 2 et 5), ni des martyrs doués de charismes supplémentaires (comme la vierge Agnès ou l'évêque et docteur Cyprien) - au contraire. Hérésiarque converti au dernier moment ou maître d'école cruel, ils sont, sinon des anti-héros, du moins des cas extrêmes illustrant l'universalité de l'appel au martyre. Alors que les autres martyrs rendent un témoignage chrétien général (diacres) ou lié à leur statut (vierge, évêque), on n'a ici aucun dialogue entre ces martyrs et leur juge, qui ne recueille même pas de confession de foi et n'écoute que le rapport de leurs accusateurs. Silencieusement, ils subiront dans le martyre, chacun à sa manière, comme une sorte d'expiation de la vie menée antérieurement - fait sans autre parallèle dans les sept Passions, qui se retrouvera cependant en perist. 1 336 .

      136 Ces martyrs sont les seuls pour lesquels Prudence évoque non seulement une dévotion spéciale de sa part, mais rend grâces de l'exaucement de ses prières ; l'emploi du distique élégiaque souligne le lien personnel qui existe entre le patronus et un dévot qui fait explicitement la propagande de son culte 337  - élément absent ailleurs.

      137 Saints Hippolyte et Cassien, martyrisés dans des circonstances et des lieux différents, sont morts tous deux un 13 août, devenu jour de leur fête 338 . Cette coïncidence devait apparaître comme particulièrement intéressante pour Prudence : perist. 9 et 11 encadrent un poème dont l'un des motifs principaux est la coïncidence de la fête de saints Pierre et Paul un même jour ; ce qui est exprimé de manière récurrente et insistante en perist. 12 339  n'est pas même suggéré ici - coquetterie relevant de l'alexandrinisme, qui joue sur le non-dit et sur l'énigme, mettant des détails en lumière ou les rejetant dans l'obscurité, en vertu d'un arbitraire apparent.

      Le voyage romain et son influence

      138 Prudence a vraisemblablement visité Rome pour la première fois lors du voyage évoqué dans ces poèmes, comme on a pu le voir à propos de perist. 2 et 14, où il célèbre des martyrs romains en ne se fondant que sur les informations qu'il pouvait connaître à Milan (cf. §§ 100. 106). Ce séjour romain, lié à des circonstances que le poète présente comme dramatiques pour lui 340 , répond aussi à une aspiration de pèlerin qu'il manifeste avant son voyage 341 , et de patriote lié à l'Empire d'Occident 342  - pour qui Rome demeure le centre du monde, plus que Jérusalem 343  et bien sûr que Constantinople, souvent honnie comme usurpatrice 344 , et que Prudence nomme nulle part 345 .

      139 Ce voyage a apporté à l'auteur une inspiration nouvelle et le sentiment d'une mission particulière à accomplir. Non seulement Prudence allait écrire des poèmes probablement votifs, consacrés à des martyrs peu connus (saints Hippolyte et Cassien), en promouvant leur culte, mais il se ferait le chantre (en perist. 11 et 12) 346 , l'imitateur (en perist. 8) 347  et même le propagandiste (en perist. 7) 348  de l'action de Damase et de son entourage dans le domaine du culte des martyrs - et bien sûr, il utilisera les épigrammes damasiennes comme source d'inspiration littéraire 349 .

      140 Un exemple illustre le rôle cardinal de ce voyage romain ; trois poèmes évoquent les conditions de l'exaucement de la prière adressée aux martyrs, avec un lexique en partie semblable, mais en traduisant une pensée sensiblement différente :

  • perist. 1, 13-15 nemo puras hic rogando frustra congessit preces, | lætus hinc tersis reuertit supplicator fletibus, | omne, quod iustum poposcit, impetratum sentiens.
  • perist. 2, 565-568 quod quique supplex postulat | fert impetratum prospere ; | poscunt, iocantur indicant 350  | et tristis haud ullus redit.
  • perist. 9, 95. 97-98 suggere, si quod habes iustum uel amabile uotum (...) audit, crede, preces martyr prosperrimus omnes, | ratasque reddit quas uidet probabiles.

      En perist. 2, le tableau est idyllique et naïf : l'exaucement est inconditionnel et systématique (du moins pour les habitants de Rome ; le poète est loin de la ville). En perist. 9 est présentée en détail une doctrine voulant que l'exaucement ne concerne que des demandes qualifiées par purus et amabile, et il en va de même en perist. 1 (qualification par iustus et par purus) ; dans ces deux cas, l'exaucement concerne aussi bien les habitants du lieu que les pèlerins. La dépendance lexicale de perist. 1 par rapport à perist. 2, poème plus ancien 351 , est claire, tout comme la présence d'un correctif d'après une doctrine expliquée en perist. 9 (postérieur à perist. 2 et antérieur à perist. 1). On constate ainsi une évolution parallèle en deux ou trois temps de la doctrine et de la composition du Peristephanon, articulée autour du voyage de Rome.

      Antériorité de perist. 9 et 11 relativement à perist. 3

      141 Les 'poèmes du voyage' furent probablement écrits peu après le retour de Prudence ; les autres pièces influencées par ce voyage pourraient elles-mêmes leur être postérieures, comme perist. 3 (postérieur aussi à perist. 14, cf. § 106).

      142 En perist. 3 et 9, un supplice est décrit en termes semblables, avec l'image du labour de la terre et la mention du nombre des blessures infligées au martyr :

      
perist. 3, 134-135. 147-148 perist. 9, 52. 55-58
pulsat utrimque et ad ossa secat,
Eulalia numerante notas
(...)
non laceratio uulnifica
crate tenus, nec
arata cutis
qua parte aratis cera sulcis scribitur (...)
hinc foditur Christi confessor et inde secatur,
pars uiscus intrat molle, pars scindit
cutem,
omnia membra manus pariter fixere ducentæ
totidemque guttæ uulnerum stillant simul

      Le contexte est différent : Eulalie est torturée par deux bourreaux professionnels, Cassien est tourmenté par ses deux cents élèves qui utilisent leur matériel scolaire. Dans ce dernier cas, la mention du nombre des blessures est plus significative que pour sainte Eulalie, et constitue un motif davantage développé ici et dans le reste du poème 352  ; l'image du labour est aussi plus naturelle et plus suggestive en perist. 9, où elle est liée à celle de l'écriture sur les tablettes de cire 353 , et filée par sulcis (perist. 9, 52). Il est donc probable que ces deux images, parfaitement adaptées au contexte de perist. 9, ont été reprises et transposées à celui de perist. 3.

      143 Une chronologie semblable se déduit de la comparaison entre un passage essentiel de perist. 11 (mention inattendue de l'ecphrasis) et certains vers de perist. 3 :

      
perist. 3, 46-47. 135. 137-138. 140. 144 perist. 11, 125-128
ingreditur pedibus laceris
per loca senta situ et
uepribus (...)
Eulalia numerante notas (...)
quam iuuat hos apices 354  legere
qui tua, Christe, tropæa notant ! (...)
purpura sanguinis eliciti (...)
membraque picta cruore nouo
picta super tumulum species liquidis uiget umbris,
effigians tracti
membra cruenta uiri.
rorantes saxorum apices uidi, optime papa,
purpureasque notas uepribus impositas.

      L'abondance des parallèles suggère un rapport de dépendance. On imagine mal que les termes dispersés en perist. 3 aient été regroupés dans deux distiques de perist. 11. Ce, d'autant que picta, élément du décor réel de perist. 11, devient une image littéraire en perist. 3 (l'inverse semblerait impossible) ; en outre, la mention de buissons est en perist. 11 un élément récurrent dépendant du modèle de Sénèque 355  ; en perist. 3, il ne s'agit que d'un élément adventice renforçant le pathétique du prologue de ce poème.

      Perist. 12 : poème central et poème à part

      144 Le poème en l'honneur de saints Pierre et Paul est le plus bref des sept 356 , ses 66 vers contrastant avec le large demi-millier de perist. 2 et 5. Les apôtres qu'il célèbre sont distincts des autres martyrs : comme la liturgie, Prudence parle d'apostoli et martyres 357  ; ces deux groupes constituaient alors les seules catégories de saints reconnus et portés sur les autels 358 . L'importance que Prudence accorde à cette distinction, et aussi à ce poème, transparaît dans l'expression même qui désigne le Peristephanon dans la Præfatio (v. 42) : carmen martyribus deuoueat, laudet apostolos ('Que [mon âme] consacre un chant aux martyrs, qu'elle loue les apôtres !')

      145 Ce poème est aussi le seul des poèmes anciens à célébrer non un martyr principal ou unique, mais deux héros 359 , dont la concordia constitue l'un des thèmes de l'idéologie du pape Damase et de ses successeurs 360 . Prudence associe du reste souvent les deux Princes des Apôtres dans son oeuvre 361 .

      146 Enfin, perist. 12 apparaît comme un récit en prise directe avec l'action, sans véritable préface ni conclusion : un échange de paroles, avec une question (2 vv.) et sa réponse développée (le reste du poème), sans même que les interlocuteurs soient nommés ou que le changement de locuteur soit indiqué. Ce poème est pleinement compréhensible grâce aux deux pièces qui l'entourent, en particulier à perist. 9, qui précise le fait du voyage de Rome et montre le poète interrogeant un habitant du lieu, comme cela semble être le cas en perist. 12. Par ailleurs, l'invitation faite au poète à reproduire chez lui la pratique romaine du culte des Apôtres annonce le renversement d'attitude que l'on observe en perist. 11, où c'est Prudence qui devient le guide de son interlocuteur, qu'il invite en outre à introduire dans le calendrier local une fête célébrée à Rome. Poème à part, perist. 12 est cependant tout sauf un poème marginal comme perist. 10 - plus que tout autre, il est intégré dans le recueil.


b) Les sept Passions

      Ancienneté de sept poèmes

      147 Outre perist. 10, les sept autres poèmes examinés précédemment apparaissent comme les plus anciens du Peristephanon : perist. 2 et 14, sont certainement antérieurs à perist. 1, 3, 4 et 6 ('hymnes hispaniques') et même aux 'poèmes du voyage', perist. 9, 11 et 12. Ces derniers, qui forment vraisemblablement dès le début un ensemble, sont au moins antérieurs à perist. 1 et 3, tandis que perist. 5, composé après le voyage de Rome, reste antérieur à perist. 4 et 6 - ce qui amène à considérer les 'poèmes du voyage' comme antérieurs à l'ensemble du groupe des 'hymnes hispaniques'. Quant à perist. 13, on l'a vu (§ 116-117), il y a tout lieu de rapprocher sa rédaction de celle de perist. 14, et donc de lui donner une datation haute.

      148 Deux poèmes sont postérieurs au voyage de Rome et peut-être antérieurs aux 'hymnes hispaniques' : perist. 7 et 8 (cf. § 180-189). Comme perist. 10, ils se distinguent du groupe des sept Passiones (nommées ainsi d'après le titre donné dans les manuscrits) par la différence de leur titre et par celle de leurs forme et contenu, qui les empêche de s'insérer dans l'ensemble cohérent dont il va être question ici.

      Les sept Passions : ensemble organique 362 

      149 Comme on le constate en examinant l'ensemble des oeuvres de Prudence, et en particulier le Cathemerinon, recueil lyrique qui constitue le pendant du Peristephanon, le poète a des ambitions 'encyclopédiques' qui se traduisent par une exploration des possibilités, avec un goût pour la variété, et par une disposition visant à organiser harmonieusement l'ensemble ainsi produit. Si dans sa présentation actuelle, le Peristephanon ne possède pas de structure aussi limpide et suggestive que le Cathemerinon 363 , c'est du fait d'accidents intervenus au cours de la transmission de ce recueil, ce dont attestent les divergences des familles de manuscrits au sujet de l'ordre des poèmes (cf. § 223-226). Le groupe primitif des sept Passions permet par contre de retrouver une construction analogue à ce qui s'observe dans le reste des oeuvres de Prudence ainsi que dans la littérature contemporaine.

      150 À la différence de saint Ambroise qui compose des poèmes à forme fixe dont la destination est liturgique, Prudence écrit des pièces indépendantes, mais destinées à figurer dans un livre. Il procède ainsi à des variations et à des jeux de correspondances aboutissant à une superstructure ayant sa propre signification.

      151 Le choix de Prudence associe trois groupes de poèmes, qui recourent à trois types de mètres avec une disposition illustrant trois types de stichométrie (cf. § 203) :

  • vers éoliens catastichon (perist. 13 et 14),
  • distiques associant des vers dactyliques, iambiques ou éoliens (perist. 9. 11. 12),
  • strophes ambrosiennes (perist. 2 et 5).

      Ces mêmes groupes célèbrent trois types de martyrs (cf. § 204) :

  • des diacres, martyrs par excellence qui discourent contre les persécuteurs (perist. 2 et 5 : le mètre iambique est celui du parlé dans le théâtre),
  • des saints qui ont d'autres charismes et les exercent ou les défendent durant leur épreuve (perist. 13 et 14 : des vers lyriques célèbrent leur triomphe),
  • des pécheurs sauvés in extremis par le martyre (perist. 9 et 11 : le distique de la poésie personnelle marque l'affinité de Prudence avec ces martyrs, où il se reconnaît).

      Ces trois types de martyrs subissent trois types, liés, de mise à mort (cf. § 205) :

  • dans des tortures extrêmes réglées par des bourreaux (perist. 2 et 5 : les avocats de l'Église que sont les diacres sont mis à la question),
  • par décapitation (perist. 13 et 14 : l'excellence de ces martyrs a été manifestée d'une autre manière, antérieurement déjà),
  • par un supplice extraordinaire, ad personam, qui se fonde sur une réminiscence littéraire, pour le persécuteur, et permet une sorte d'expiation, pour le martyr (perist. 9 et 11).

      152 Avec saints Pierre et Paul (perist. 12), les modes d'exécution participent des trois qui ont été évoqués : Paul est décapité (cf. perist. 13 et 14), Pierre est crucifié (supplice cruel, mais légal ; cf. perist. 2 et 5), mais de manière extraordinaire, tête en bas, alors qu'il est la tête de l'Église (supplice ad personam comparé à celui du Christ ; cf. perist. 9 et 11). Dans ce poème, le distique (cf. perist. 9 et 11) unit un mètre éolien (cf. perist. 13 et 14) et un mètre iambique (cf. perist. 2 et 5). Comme du reste pour les martyrs des deux autres 'poèmes romains', saints Pierre et Paul sont à la fois romains et provinciaux 364 , alors que dans les deux autres groupes, on a chaque fois un martyr provincial (perist. 5 et 13) et un martyr romain (perist. 2 et 14), tous illustres.

      153 Au-delà des aspects formel et thématique, la tripartition des poèmes encadrant perist. 12 peut prendre un sens spirituel, qui s'appuie sur le contenu et même sur le mètre : perist. 2 et 5 sont une défense de la foi, perist. 9 et 11 montrent l'exaucement d'une espérance, perist. 13 et 14 célèbrent deux aspects de la charité.

      Les sept Passions : canon de martyrs

      154 Hormis saint Cassien (perist. 9), Prudence ne célèbre dans son recueil primitif que des martyrs dont la renommée est grande, voire universelle - c'est là, avec le titre donné à ces pièces, le principal caractère distinctif des Passiones relativement aux Hymni, consacrés à des martyrs dont le culte est cantonné dans un sanctuaire, une cité ou une région. Il n'y a rien d'étonnant à cela : dans son choix d'un certain nombre de martyrs pris dans une foule considérable, Prudence se devait certes de donner un éventail assez large de 'types' de martyrs, mais était en même temps poussé à sélectionner les plus illustres d'entre eux ou - comme pour saint Cassien et saint Hippolyte 365  - ceux qui lui étaient les plus chers (cf. § 136), donnant une touche personnelle au recueil.

      155 Il est compréhensible que Prudence, créant un nouveau genre poétique, eût souhaité s'inspirer de prédécesseurs immédiats et admirés, voire rivaliser avec eux : saint Ambroise, avec ses hymnes, et le pape Damase, avec ses épigrammes. On a des inscriptions damasiennes en l'honneur de tous les martyrs romains célébrés par Prudence 366  - on sait en outre que ce pape attachait une importance particulière à ces martyrs-là 367  - et des hymnes ambrosiennes pour sainte Agnès, saints Pierre et Paul, et saint Laurent 368 . Le calendrier de Polémius Silvius permet aussi des rapprochements intéressants avec Prudence 369 , ainsi qu'un verre doré de la fin du ive s. 370 .

      156 Le choix du nombre sept n'a rien d'étonnant ; depuis l'époque alexandrine au moins, avec sa manie, imprégnée de pythagorisme, d'opérer des classements et des sélections aboutissant le plus souvent à des ensembles de 7, 10, 12 ou 24, la littérature antique n'a cessé de jouer sur l'esthétique et la symbolique des nombres, quand il s'agissait de diviser ou de réunir un ensemble. C'est en particulier la poésie (cf. le nombre des poèmes dans les recueils virgiliens : 4, 10, 12) et la biographie historique (cf. la Vie des XII Césars de Suétone) qui dans la littérature latine furent concernées par de telles subdivisions ou collections. Caton et surtout Varron jouaient sur de telles architectures numériques fondées sur le chiffre sept, et ils eurent des émules au ive s. 371 . Avec le christianisme, l'habitude fut gardée et 'baptisée' : ainsi, dans l'adaptation du Quatrième Livre des Maccabées dont il fit l'introduction et la conclusion de son De Iacob, saint Ambroise prit encore plus de soin que ses sources à donner sept récits équilibrés et variés de passion pour les sept frères Maccabées, prototypes juifs des martyrs chrétiens, très renommés à la fin du ive s. 372 .

      157 L'intérêt pour de telles hebdomades trouve probablement son origine dans le prestige du groupe grec des Sept sages. Il est significatif à cet égard que dans l'iconographie chrétienne on ait connu, un peu moins d'un siècle avant Prudence, et durant une période assez brève, un type des 'Sept sages chrétiens', consistant en une représentation du Christ-enseignant au milieu de six disciples ; c'est plus tard que le modèle scripturaire, avec les douze Apôtres, s'est imposé 373  - fait qui illustre bien le goût de l'Antiquité tardive pour les combinaisons numériques, en particulier pour le chiffre sept. Prudence avait toutes les raisons d'opter pour ce nombre, d'autant que le genre du Peristephanon participait de la biographie arétalogique et de la poésie, qui recouraient traditionnellement à des structures numériquement symboliques. Peut-être le fait que son 'grand poème' (introduit par la Præfatio) comprenne sept livres n'est-il pas fortuit non plus ; on a un indice du goût de Prudence pour les nombres symboliques avec les douze poèmes du Cathemerinon, nombre que le Peristephanon proprement dit, dans son dernier état, a égalé (cf. § 192-193).

      Reconstitution du recueil primitif

      158 Le poème consacré aux Apôtres devait occuper la place centrale de ce recueil et les deux autres 'poèmes du voyage' qui l'encadrent n'en étaient pas séparés. Très certainement aussi, les poèmes les plus longs (perist. 2 et 5) et qui, comme perist. 9 et 11, présentent une forte symétrie formaient le cadre de cet ensemble : c'est de manière analogue, en effet, que le recueil du Cathemerinon s'ouvre et se conclut sur deux poèmes en dimètre iambique (comme perist. 2 et 5). Entre les trois poèmes centraux et le cadre de l'ensemble devaient donc s'insérer perist. 13 et 14. Une telle structure symétrique est presque commandée par l'ensemble de 'vies parallèles' (martyrs romains et provinciaux) 374  que développe Prudence, et trouve un reflet dans le poème central même, dont la construction est binaire et le sujet double.

      159 En soi, que le premier Peristephanon, livre des Étienne (diacre et martyr, cf. § 21) ait comporté sept pièces, serait tout sauf illogique, puisque c'est précisément le nombre des premiers diacres de l'Église de Jérusalem (repris et transposé notamment dans l'Église de Rome). Or, il est question de ce nombre dans les deux poèmes consacrés aux martyrs par excellence que sont les diacres Laurent et Vincent 375  : perist. 2, 37-38 hic primus e septem uiris, | qui stant ad aram proximi ('celui-ci, le premier des sept hommes qui se tiennent tout près de l'autel') ; 5, 31-32 minister altaris Dei | septem ex columnis lacteis ('ministre de l'autel de Dieu, l'une des sept colonnes blanches comme le lait'). La notation de perist. 2, qui sert d'abord à indiquer la qualité d'archidiacre de saint Laurent, pourrait fort bien aussi faire allusion à la place qu'occupe ce poème dans le septénaire des Passiones 376  ; que ce nombre soit rappelé dans le dernier des poèmes n'est probablement pas fortuit, surtout du fait que, là (où il n'est pas dit que le martyr, présenté ailleurs comme exceptionnel, occupe la première place), on a une allusion à un passage biblique pouvant être appliqué à tout le groupe de sept Passiones : V.T. prou. 9, 1 Sapientia ædificauit sibi domum, excidit columnas septem ('La Sagesse s'est construit une demeure, elle a taillé sept colonnes').

      160 La doxologie finale de perist. 5 (sans parallèle dans le recueil) semble confirmer la position de ce poème, alors que perist. 2 apparaît comme une pièce programmatique, avec la mention de la tension entre Rome et la province, et celle de l'attitude du poète, suppliant le martyr de l'exaucer malgré son absence de Rome 377  - on a du reste en perist. 2, 582 la seule mention explicite du nom du poète : Christi reum Prudentium ('Prudence, l'inculpé du Christ'). Cet indice étant posé, et vu qu'il convient de conserver l'ordre que donne logiquement le contenu des pièces du triptyque central (perist. 9. 12. 11), il reste à identifier la place de perist. 13 et 14. Faut-il unir les martyrs romains (saints Laurent et Agnès : perist. 2 et 14) et les martyrs provinciaux (saints Cyprien et Vincent : perist. 13 et 5), de part et d'autre du triptyque central ? Un telle construction s'imposerait si la structure de ce triptyque était celle d'une sortie de Rome vers la province - or, c'est exactement le contraire, avec, en tête, la mention de saint Cassien sur le chemin menant à Rome. Il semble plus approprié d'unir perist. 2 et 13 au début du recueil (poèmes où sont unis paradoxalement le plus romain des martyrs et un martyr carthaginois, et où est célébrée la langue latine, facteur d'union et d'évangélisation) et perist. 14 et 5 en queue (poèmes où sont évoqués des 'doubles couronnes', crescendo d'autant plus expressif que la comparaison est possible avec ce qui précède, notamment avec le poème 'jumeau' ; de plus, ces pièces ont un dénouement eschatologique dont l'ampleur convient à la conclusion d'un tel recueil). Ces deux paires de poèmes ont en outre certains points communs : le martyre de saint Laurent est prophétisé par son évêque en train d'être supplicié, et saint Cyprien, par ses discours lors de la persécution et sa prière du fond de la prison, suscite le martyre de la Massa Candida (perist. 2 et 13 narrent donc à eux deux quatre passions, la première et la dernière étant celles d'évêques) ; sainte Agnès remporte une couronne supplémentaire avant son martyre, saint Vincent après (perist. 14 et 5 sont donc entourés par des épisodes d'exposition du corps, dans les deux cas, venant s'ajouter à la passion elle-même).

      161 Il convient de relever enfin, à titre de contre-preuve, l'impossibilité d'aboutir à des constructions semblables, faisant intervenir divers critères indépendants mais convergents, si l'on tient compte, de quelque manière que ce soit, des autres poèmes du Peristephanon actuel, hétérogènes à bien des égards. La symétrie entre sainte Eulalie, enfant martyre, et sainte Agnès, vierge consacrée, est toute relative (un rap-prochement explicite serait même problématique : cf. § 106), de même que la coïn-cidence probablement fortuite de la date (21 janvier) de la fête de sainte Agnès (perist. 14) et de celle de saints Fructueux et de ses compagnons (perist. 6). On trouverait en outre des doublets sans symétrie ni correspondances, comme les évêques martyrs de perist. 6 et 7, et les fidèles laïcs de perist. 1 et 3 (ainsi que 9).


c) Le titre des poèmes du Peristephanon

      Présence de deux types de titres

      162 Les sept poèmes que l'on a extraits du recueil actuel pour les regrouper, en vertu de plusieurs critères (chronologie relative aux autres pièces du recueil, sujets et structure du groupe) ne sont jamais mis ensemble dans la tradition manuscrite, qui présente pourtant d'importantes variantes dans l'ordre des poèmes d'une famille voire même d'un manuscrit à l'autre. Il est pourtant possible de retrouver une trace de l'existence de ce groupe primitif dans les manuscrits mêmes : ces sept poèmes y portent le titre de Passio, à la différence des autres, appelés Hymnus comme les pièces du Cathemerinon (sauf pour perist. 8 et 10, qui ont des titres spécifiques) 378 . Si, comme on le montrera, un tel critère est valide, et que ces titres - tels une trace fossile - remontent aux temps de la constitution du recueil, on a là un indice de deux phases d'édition concordant avec les étapes de la composition des poèmes.

      163 Outre cette coïncidence, ce qui frappe dès l'abord est la coexistence de deux types de titres, dont la distinction est arbitraire relativement au contenu narratif ou à la forme du poème : ainsi, le titre de Passio est donné à un poème (perist. 12) consacré principalement à la fête des apôtres Pierre et Paul, où l'évocation de leur passion occupe moins de place que la description de leurs sanctuaires ; inversement, perist. 6, mise en vers de la passion en prose des martyrs de Tarragone, porte le titre d'Hymnus, de même que perist. 7, pure narration de la passion de saint Quirin.

      Fidélité des copistes

      164 Ce fait est d'autant plus remarquable que la tradition manuscrite, sauf rares exceptions 379 , maintient toujours la distinction entre Passio et Hymnus, en dépit des variations de l'ordre des poèmes. Le libellé des titres est généralement conservé par la majorité des manuscrits et dans plusieurs familles, avec parfois des modifications (variantes reportées dans l'apparat critique donné p. 133-138) consistant à abréger le titre (en conservant au moins le nom et la mention hymnus ou passio) ou, plus souvent, à qualifier le nom de sanctus ou beat(issim)us et à préciser le statut (vierge, évêque, etc.).

      165 On peut citer par contre des exemples paradoxaux de conservatisme aveugle ou d'un souci d'exactitude très scrupuleuse de la part des copistes :

  • pour perist. 4, le ms. u (f. 47r) indique : incipit metrum safficum passioque uel hymnus in honore XVIII martirum Cæsaraugustanorum. Après plusieurs poèmes intitulés Passio, le copiste a donné ce même titre à ce poème, avant de se corriger en reportant à la suite le titre qu'il avait effectivement sous les yeux ;
  • le ms. Bruxelles, B. royale 8860-8867 (s. x-xi), f. 56r, donne le titre complet, très long, de perist. 6, à un curieux centon d'extraits de ce poème ;
  • dans un premier temps, le ms. E donnait à perist. 14 le titre passio sanctæ Agnetis ; l'épithète sanctæ, correspondant à l'usage et recommandée par la piété, a pourtant été grattée, par souci d'adéquation avec le modèle qui ne la comprenait pas ;
  • dans le ms. N (f. 125r), une deuxième main a complété le titre de perist. 1 avec la mention de la provenance des martyrs, qui ne pouvait être tirée du texte, mais figure normalement dans le titre complet ; de même, pour perist. 7, le copiste du ms. z (f. 58rb) a commencé d'écrire incipit hymnus Quirini martyris, puis s'est repris pour compléter, par un signe de renvoi : hymnus in honore Quirini martyris, avant de continuer et episcopi ecclesie Susciane.

      166 Semblablement, les indications métriques, même sibyllines 380 , qui accompagnent le titre sont fidèlement reportées, tout comme certains incipit ou explicit devenus sans objet, mais hérités d'un état différent de la tradition pour ce qui est de l'ordre des poèmes (cf. § 222). Les poèmes se devaient d'être accompagnés d'un titre et les copistes prenaient soin de transcrire cet élément marginal, mais nécessaire ; si parfois un titre manque pour l'un ou l'autre poème 381 , du fait de l'inadvertance du rubricateur, rares sont les manuscrits à omettre l'ensemble des titres 382 .

      167 On aurait pu s'attendre à une uniformisation des titres donnés aux poèmes, mais là même où cette différence de titres est flagrante voire gênante, dans les sommaires qui figurent dans certains manuscrits, il n'y a pas standardisation ou simplification 383  : qu'ils se reportent à leur propre travail ou à leur modèle, les copistes lui restent fidèles. Les quelques cas observés de refonte des titres sont tous postérieurs à l'an mil : des manuscrits ne donnent que des titres en Passio, suivis de la désignation reçue 384  ou moderne (sanctus suivi du nom) 385  du saint ; un copiste semble chercher un compromis en intitulant presque tous les poèmes du recueil hymnus et passio 386 .

      Antiquité des titres

      168 Dans plus de la moitié des cas, les titres reçus sont attestés aux vie et viie s. 387 . Remontent-ils à l'auteur ? Le fait est très probable pour le titre de perist. 10 (cf. § 125), et exclu pour perist. 8 (cf. § 189) ; les autres poèmes, appelés Passio ou Hymnus, sont désignés ainsi par analogie avec des genres littéraires en plein essor à la fin du ive s. L'hymnus est normalement réservé à Dieu 388 , la passio est essentiellement un genre narratif en prose - cette acception du terme est du reste toute récente du temps de Prudence 389 , et les précisions apportées par certains auteurs à la définition de hymnus, voire même leurs exigences, montrent qu'il devait dans les faits exister un certain flottement terminologique. Rien ne permet donc d'exclure que, pour désigner ses oeuvres, Prudence ait utilisé ces termes auxquels il semble parfois faire allusion 390 .

      169 La seconde partie de ces titres, comprenant la désignation du martyr, remonte très certainement aux temps de Prudence 391  : le plus souvent en effet, les épithètes sanctus et beat(issim)us n'y qualifient pas le nom propre, mais le substantif martyr. On a des témoignages antérieurs et contemporains de cet usage 392 , alors que celui d'accoler sanctus ou beatus au nom propre, qui s'imposera par la suite, commence à apparaître chez Prudence 393 . Il est peu vraisemblable que les formules de ces titres aient été altérées par la suite dans le sens de l'antiquité : à supposer qu'ils aient été ainsi 'retravaillés', on voit mal dans quel dessein, et il est plus difficile encore de comprendre l'absence dans ce cas d'une formulation identique pour tous les poèmes ; enfin, cette transformation eût dû intervenir suffisamment tôt pour laisser des traces dans tous les manuscrits (et toutes les branches de la tradition), jusqu'au xie s. au moins.

      Authenticité des titres

      170 S'ils sont antiques, ces titres remontent probablement à l'auteur, comme per-met de le supposer la nécessité intrinsèque à ce type de recueil : alors que les pièces du Cathemerinon s'enchaînent selon un ordre relativement logique, les poèmes du Peristephanon sont des pièces indépendantes, quand bien même des correspondances peuvent exister entre elles. Pour que l'on puisse les identifier - le Peristephanon est destiné à la lecture, contrairement au recueil des hymnes ambrosiennes (utilisation principalement liturgique) -, il leur fallait, dès le début, un titre qui pût les distinguer.

      171 De façon générale, l'imposition d'un titre à l'oeuvre que l'on publiait était non seulement une nécessité, mais faisait en outre l'objet d'un choix délibéré, donnant à un auteur comme Prudence l'occasion de manifester un talent ou une idée : utilisation du grec 394 , double sens 395 , reprise du titre d'une oeuvre plus ancienne 396 , etc. Prudence, qui a suivi l'enseignement des rhéteurs - comme le rappelle sa Præfatio 397  et comme il est normal pour un haut fonctionnaire ou un poète cultivé - et en a retenu les enseignements 398 , ne pouvait ignorer que le commentaire du titre d'une oeuvre faisait partie de l'exercice scolaire de l'enarratio 399 . Vu le soin qu'il a pris d'assortir son oeuvre d'une série de préfaces, il n'allait certainement pas laisser la rédaction des titres de ses poèmes à la merci de la fantaisie des copistes. Il est plus que probable qu'il ait donné lui-même le titre des poèmes didactiques que sont l'Apotheosis, l'Hamartigeneia et la Psychomachia (cités à la fin du ve s. par Gennade 400 ).

      172 Gennade ne rapporte pas les titres Peristephanon et Cathemerinon (qui semblent néanmoins authentiques), donnant cependant au sujet de ces recueils une information importante : [Prudentius] fecit et in laudem martyrum sub aliquorum nominibus inuitatorium ad martyrium librum unum et hymnorum alterum ('Prudence a aussi composé à la gloire des martyrs, sous certains noms, un livre invitant au martyre, et un autre livre, d'hymnes'). Dans son oeuvre de continuateur du De uiris illustribus hiéronymien, il donne une liste des oeuvres de ceux auxquels il consacre une notice, en se limitant le plus souvent aux titres ; ici, son expression évoque un livre dont toutes les pièces seraient des hymni (le Cathemerinon), et un autre, consacré au martyre, qui contient visiblement des poèmes analogues (cf. unum... alterum), portant des titres apparemment hétérogènes, incluant des noms propres (sub aliquorum nominibus, littéralement 'sous les noms de certains [martyrs]'). Les pièces du Peristephanon ne pouvaient être exclusivement des hymni (l'expression hymnorum alterum serait peu claire) ni des passiones (Gennade eût pu parler de liber passionum) ; cet auteur semble en fait témoigner de la même perplexité que celle d'un lecteur attentif quinze siècles plus tard.

      173 Puisque l'on sait qu'à la fin du ve siècle, les poèmes du Peristephanon portaient des titres - qui ressemblent apparemment à ceux qui ont été conservés -, que Prudence suivait l'usage antique voulant que ce fût l'auteur qui se chargeât de donner un titre à ses poèmes, et que, vu leur forme, les titres conservés doivent remonter à une époque ancienne, la conclusion retenue en vertu de ce seul dernier argument par Delehaye et Cunningham semble s'imposer : les titres des poèmes du Peri-stephanon, fidèlement transmis par la tradition manuscrite, sont authentiques, et corroborent à la fois la chronologie de rédaction des poèmes (les plus anciens étant intitulés Passio) et la spécificité du groupe des sept Passions.


3. Les poèmes tardifs et le Peristephanon

      


a) Peristephanon 1 (martyrs de Calahorra), 3 (ste Eulalie), 4 (XVIII martyrs de Saragosse) et 6 (s. Fructueux et compagnons)

      Perist. 1, 3, 4 et 6 : hymnes hispaniques

      174 Ces quatre poèmes célèbrent des martyrs hispaniques dont la renommée, certes inférieure à celle de saint Vincent, peut cependant dépasser le cadre de leur cité, comme dans le cas de sainte Eulalie et des martyrs de Tarragone (perist. 3 et 6). Contrairement aux sept Passions (même perist. 9, avec saint Cassien), il s'agit de pièces centrées sur une cité, avec à l'occasion certaines exagérations dans le patriotisme local 401 , absentes des poèmes antérieurs. Ces poèmes semblent du reste être des pièces de circonstance voire de commande, chacun ayant sa logique propre, sans souci d'harmonie avec d'autres poèmes (cf. cependant § 193) : si la narration dramatique de perist. 3 peut rappeler la facture de perist. 2. 5. 13. 14 (mais sans que ce poème soit le pendant de perist. 14, cf. § 161), perist. 1 est la première mise par écrit de la passion de martyrs peu connus, perist. 6 constitue au contraire le calque poétique d'un texte antérieur, et perist. 4 développe un catalogue de martyrs à la gloire de Saragosse et complète voire rectifie implicitement perist. 5 (cf. § 113).

      Contemporanéité des hymnes hispaniques

      175 Deux éléments amènent à considérer que ces poèmes disparates ont été composés grosso modo dans un même temps. Tout d'abord, dans ces quatre pièces, Prudence apparaît non plus comme un suppliant espérant une libération, une puri-fication ou un retour au bercail 402 , mais comme le premier des fidèles : il conclut ces poèmes en tant que coryphée 403  - allant jusqu'à évoquer directement sa propre oeuvre de poète 404 , ce qu'il ne faisait pas auparavant. Par ailleurs, le choix de la forme métrique de ces quatre pièces est comme coordonné avec un choix analogue pour le Cathemerinon (cf. § 193) ; l'adjonction de ces poèmes et de perist. 7 aux sept Passions permet d'égaler le nombre (12) des pièces des deux recueils lyriques.

      176 On peut en outre comparer deux passages de ces poèmes, recourant au même lexique (interpellation de la population locale anciennement païenne, en perist. 1 ; référence à l'étendue des persécutions à Saragosse, en perist. 4) :

      
perist. 1, 94-95 perist. 4, 65-68
iamne credis, bruta quondam Vasconum gentilitas,
quam
sacrum crudelis error immolarit sanguinem ?
omnibus portis sacer immolatus
sanguis exclusit genus inuidorum
dæmonum et nigras pepulit tenebras
urbe piata

      Banale en perist. 1, l'image est bien intégrée et suggestive (référence à la dixième plaie d'Égypte) en perist. 4, qui pourrait donc être le modèle. Rien ne confirmant une telle chronologie, on a au moins un indice de la proximité de ces deux poèmes récents.

      177 Parmi les indications montrant l'antériorité des autres poèmes du recueil relativement aux 'hymnes hispaniques' 405 , il y a celle qui sépare radicalement perist. 5, pourtant consacré à un martyr hispanique, de ce groupe de quatre poèmes, pour des raisons liées à la pratique même du culte des martyrs (cf. § 114-115). Ainsi, d'une part la différence du titre, de l'autre la renommée plus universelle du martyr fournissent des critères d'appartenance à un groupe distinct que confirme la chronologie de rédaction. On constate en outre que Prudence n'a pas cherché à gommer les différences ni même les contradictions qu'il pouvait y avoir entre ses poèmes, ce qui rend possible leur comparaison en vue de l'établissement d'une chronologie relative.

      Datation de perist. 6

      178 Étant établi que les 'hymnes hispaniques' (contemporaines) sont selon toute vraisemblance les poèmes les plus tardifs du recueil, le terminus ante quem qui peut être attribué à l'un d'eux vaut pour le recueil. De même, le terminus post quem de perist. 2 et 14 (398-399 : cf. § 104-105) s'applique aussi aux autres poèmes, réputés postérieurs.

      179 L'année 404 donnée par la Præfatio ne peut pour autant être prise comme terminus ante quem du Peristephanon dans son ensemble, puisque l'expression qui la mentionne (præf. 42) peut s'appliquer aussi bien aux sept Passions qu'à un Peri-stephanon plus développé et même à perist. 10. Cependant, 404 marque aussi la sup-pression des jeux du cirque 406 , ardemment souhaitée par Prudence, qui conclut le Contre Symmaque par un appel au prince en faveur de cette abolition 407 . Or, en composant perist. 6, Prudence trouvait dans sa source la localisation (unique dans les poèmes du Peristephanon) de la passion des martyrs dans un amphithéâtre. Le poète insère à ce point du récit une remarque personnelle, occupant deux strophes (perist. 6, 61-66), où il critique, au présent, le caractère sanglant de ces jeux, la bassesse de ses acteurs et l'immoralité de ses spectateurs. Si Prudence avait alors su que ces jeux venaient d'être supprimés, il eût probablement évoqué cette mesure de politique morale et culturelle - comme il le fait par exemple pour celle, analogue, qui protégeait les oeuvres d'art païennes 408  -, sinon par un hommage explicite, du moins par l'usage du parfait ou d'un adverbe de temps indiquant que la barbarie qu'il dénonce dans cette digression (absente de sa source) est révolue.


b) Peristephanon 7 (s. Quirin de Siscia) et 8 (baptistère de Calahorra)

      Perist. 7 et 8 : poèmes damasiens

      180 Ces pièces se distinguent du reste du recueil par leur caractère impersonnel : aucune d'elles n'a de finale lyrique où le poète se met en avant, comme dans les 'hymnes hispaniques' 409 , et sur ce point, elles tranchent également avec les 'poèmes du voyage', dont elles sont pourtant, chacune à sa manière, un avatar. Perist. 7 et 8 s'inscrivent en effet dans le sillage de perist. 12, poème central du groupe des sept Passions, distingué par Prudence même dans sa Præfatio 410 .

      181 En perist. 12, 37-44, l'un des passages saillants du poème, Prudence évoque un baptistère situé près de la tombe de saint Pierre : interior tumuli pars (perist. 12, 37 'un endroit à l'intérieur du tombeau'). Il y a lieu de croire que celui qu'a construit à Calagurris l'évêque Valérien s'inspire de l'exemple du pape Damase, et tout au moins que l'idée de lui consacrer une épigramme et probablement de l'y faire figurer sous forme d'inscription monumentale - à la fois édilitaire et martyriale - est reprise de la pratique du pape hispanique 411 .

      182 Le cas de perist. 7 est plus complexe, ce qui lie ce poème à perist. 12 n'étant pas un élément positif, mais un silence partagé au sujet d'un sanctuaire controversé : en perist. 12, Prudence 'censure' l'existence d'un culte aux Apôtres dans l'actuelle basilique Saint-Sébastien 412  et cache, au moyen d'une formule ambiguë, le fait que le héros de perist. 7 (saint Quirin de Siscia) soit enseveli dans cette même basilique 413 .

      Perist. 7 : hymnus romain

      183 Le martyr célébré dans ce poème n'a pu être connu de Prudence qu'en raison du transfert de ses reliques à Rome, et non lors d'un hypothétique séjour du poète à Siscia. L'information dont il fait état est en effet toute entière tirée de la Chronique hiéronymienne, non de la Passio sancti Quirini 414 , source primaire datant du ive s. 415 , utilisée par saint Jérôme ainsi que par l'auteur du Martyrologe hiéronymien (qui n'est pas saint Jérôme 416 ). Prudence n'ayant pas de dévotion particulière pour ce martyr peu connu, il y a tout lieu de considérer ce poème comme une pièce de commande 417  - plus encore que les 'hymnes hispaniques'. Perist. 7 a été composé d'après les indications sommaires d'une source secondaire - à cet égard, Prudence part de bases analogues à celles de perist. 1, mais son amplification se limite au discours prononcé par le martyr ; la pièce, qui n'a pas de conclusion indépendante du récit, est essentiellement la narration de la passion du martyr. Cependant, elle porte le titre d'Hymnus, tout comme les 'hymnes hispaniques'.

      184 Perist. 7 est vraisemblablement tardif, Prudence ayant pu connaître le commanditaire lors de son voyage à Rome. Ce poème est postérieur à perist. 5, qui évoque également une tentative avortée de faire disparaître un martyr en le noyant attaché à une meule de pierre, celle-ci se mettant miraculeusement à flotter sur des eaux paisibles. Le lexique utilisé est le même :

      
perist. 5, 459-460. 489-490 perist. 7, 23-25. 30
quem fune conexus lapis
præceps in altum deprimat (...)
saxum molaris ponderis
ut spuma candens innatat
in præceps fluuio datur,
suspensum laqueo gerens
ingentis
lapidem molæ (...)
saxi pondera sustinens

      Dans les deux cas, le miracle est comparé avec celui de la marche du Christ (cf. perist. 5, 475-480 ; 7, 59) ou de saint Pierre (cf. perist. 7, 61-65) sur les eaux du lac de Tibériade, puis avec celui de l'ouverture des eaux de la mer Rouge (cf. perist. 5, 481-484) ou du Jourdain (cf. perist. 7, 60. 66-70), lors de l'Exode. Comme en perist. 5 cette mesure du persécuteur et ce miracle sont implicitement présentés comme inouïs 418 , il est peu probable que perist. 7 ait pu originellement figurer aux côtés de perist. 5 ; l'antériorité de perist. 5 relativement à perist. 7 semble confirmée par la uariatio dans les exemples bibliques précités : visiblement, ceux donnés en perist. 5 sont les plus connus, ceux de perist. 7 étant comme des variantes ou des dérivés 419 .

      185 La composition par Prudence d'un poème consacré à saint Quirin doit être mise en rapport avec la translation de ses reliques à Rome, du fait d'incursions barbares en Pannonie, comme il y en eut entre 395 et 405, quand écrit Prudence 420 . Le silence de Prudence sur la présence à Rome des restes de saint Quirin peut s'expliquer aussi bien par l'optimisme patriotique habituel chez le poète que par le caractère peut-être alors provisoire de cette translation ; de fait, il semble que l'installation des reliques du martyr dans la Platonia, chapelle annexe de la basilique Saint-Sébastien, date du début du ve s. 421 . Le choix de ce sanctuaire, auparavant haut-lieu de la pratique du refrigerium 422  en lien avec la tradition de la sépulture temporaire de saints Pierre et Paul, n'a rien de fortuit, et c'est l'instauration d'un culte de substitution que Prudence soutient discrètement en exaltant saint Quirin.

      186 Ce poème est ainsi comme le pendant d'une épigramme damasienne apposée dans ce sanctuaire, pour préciser que ce lieu n'abritait plus qu'un souvenir 423  ; au moment du voyage de Prudence, la fête des Apôtres semble ne plus comporter - officiellement du moins - de pèlerinage ad Catacumbas 424 . Dès lors, en ne parlant pas de ce sanctuaire, Prudence sert une double stratégie :

  • avec perist. 12, exaltation des sanctuaires apostoliques du Vatican et de la voie Ostienne, en insistant sur la dualité des lieux consacrés aux Apôtres, et déniant, ce faisant, la dignité apostolique à la basilique ad Catacumbas ;
  • avec perist. 7, promotion d'un culte de substitution, par la célébration comme tel du martyr enseveli (ou destiné à être enseveli) dans le sanctuaire controversé, l'hôte (actuel ou futur) de la basilique prenant plus d'importance que le temple qui l'abrite.

      Perist. 8 : poème marginal

      187 Perist. 8 sert un même mouvement ecclésial que perist. 7 (indirectement opposé au refrigerium), visant à lier le culte des martyrs (dévotion essentiellement privée) et la liturgie sacramentelle (communautaire et publique). Prudence met en exergue la pratique (qui tend à s'imposer alors) consistant à lier l'autel eucharistique et la tombe du martyr 425 , en établissant une correspondance entre la Passion du Christ, actualisée dans le sacrifice de la messe, et celle du martyr, qui s'est lui-même offert en sacrifice pour Dieu. En perist. 8, le poète vante un baptistère élevé sur la tombe des martyrs de Calagurris (ou, plus probablement même, sur le lieu de leur exécution), par une inscription vraisemblablement appelée à orner cet édifice ; le poème célèbre les deux portes du salut que sont les baptêmes d'eau et de sang. Un tel lien est traduit physiquement par un édifice, et exprimé par une inscription monumentale : l'une et l'autre idées se trouvent chez Damase déjà.

      188 La particularité de perist. 8 est d'être, à deux titres, un doublet de poèmes du Peristephanon : il célèbre les mêmes martyrs que perist. 1 (ceux de Calagurris, sa ville natale) et utilise le même mètre que perist. 11 (le distique élégiaque). Ces similitudes ne sont pas de pures répétitions : le fait que perist. 8 soit une inscription destinée à un baptistère le distingue clairement, par son objet comme par son genre littéraire, de perist. 1 comme de perist. 11. Même si le recueil admet la variatio et un certain mélange des genres, perist. 8 s'y intègre mal : ce poème, de loin le plus bref de tous (18 vers), est le seul du Peristephanon à ne comprendre aucune narration.

      189 Il est vraisemblable qu'à l'instar de perist. 10 (Romanus), perist. 8 ne faisait à l'origine pas partie du Peristephanon - ni celui des sept Passions, ni même celui (augmenté) de douze pièces égalant le nombre de celles du Cathemerinon (cf. § 192-193). Son insertion dans le recueil peut s'expliquer assez aisément : il fut ajouté à perist. 1, tout comme on adjoignit à perist. 14, au moins dès le ixe s. 426 , deux poèmes épigraphiques également consacrés à sainte Agnès 427 . Les manuscrits conservés qui insèrent perist. 8 dans le recueil ne sont pas non plus antérieurs au ixe s. 428 , mais, comme ils appartiennent à toutes les familles, la présence de perist. 8 dans le corpus des oeuvres de Prudence est certainement plus ancienne, et il n'y a pas lieu de mettre en doute son authenticité. Un indice montre toutefois que ce poème, 'publié' comme inscription, n'était pas forcément destiné à figurer dans un livre : il est le seul du recueil à ne pas posséder de titre authentique - qu'il ne nécessitait pas à l'origine -, puisque sa forme généralement reçue n'a rien de l'antiquité voire de l'archaïsme de ceux des autres poèmes du Peristephanon, mais présente au contraire l'aspect d'une scholie assez maladroite : de loco in quo martyres passi sunt, nunc baptisterium est Calagorra (sic ; la mention de la ville manque parfois).


c) Le Peristephanon et le Cathemerinon

      Le modèle des hymnes ambrosiennes

      190 Les deux recueils lyriques de Prudence recourent à des formes métriques très variées, mais suivent le modèle ambrosien (à forme fixe) pour le choix des sujets 429 . Les hymnes du Cathemerinon sont consacrées essentiellement aux heures du jour, ainsi qu'aux fêtes de la Nativité et de l'Épiphanie ; les pièces du Peristephanon traitent une partie du sanctoral. Si des poèmes isolés concernent parfois la même fête du temporal 430 , la même heure 431  ou les mêmes martyrs 432 , c'est en outre un même esprit qui anime les deux auteurs : de même que saint Ambroise compose une hymne pour le commun des martyrs (Ambr. hymn. 14), Prudence insère dans le Cathemerinon un hymnus omnis horæ (cath. 9).

      191 Il semble que Prudence a songé premièrement à célébrer les martyrs ; on en a un indice avec le probable essai de perist. 10 (cf. § 128), à sujet narratif sacré, qui se prêtait davantage à la uariatio et à l'æmulatio que des pièces consacrées aux fêtes ou aux heures, destinées d'abord à la prière et moins aptes à être composées et lues comme oeuvres littéraires - telle est en effet la différence majeure entre la poésie littéraire de Prudence et celle, liturgique, de saint Ambroise. On peut donc supposer que le Cathemerinon est un développement de la lyrique chrétienne déjà mise en oeuvre dans les sept Passions, d'après le modèle ambrosien.

      Deux recueils de douze poèmes

      192 Que Prudence eût choisi de faire du Cathemerinon un ensemble de douze poèmes, sans doute après avoir groupé entre elles les sept Passions, n'aurait en soi rien d'étonnant : le poète ne faisait alors que suivre un usage traditionnel, particulièrement goûté de son temps, consistant à former ou à diviser des ensembles d'après des nombres symboliques (cf. § 156-157). Ces deux groupes de poèmes gardaient un certain rapport, non seulement par leur source d'inspiration commune, mais aussi du fait de similitudes telles que l'encadrement des recueils par des poèmes composés dans le mètre de cette source ambrosienne (dimètre iambique : perist. 2 et 5 ; cath. 1-2. 11-12).

      193 Que, dans cette hypothèse, le poète ait ensuite décidé de porter à douze le nombre des pièces de son premier ensemble lyrique pour obtenir deux recueils symétriques serait moins étonnant encore, vu le goût pour la symétrie qui s'observe non seulement à l'intérieur du groupe des sept Passions, mais aussi au sein de celui des cinq livres hexamétriques, articulés autour de la Psychomachie (cf. § 17). On a un indice de cette adaptation avec le choix de la forme métrique des quatre 'hymnes hispaniques' : alors que les cinq poèmes 'centraux' du premier Peristephanon recourent à des mètres éoliens ou à des distiques que Prudence n'emploie nulle part ailleurs (hormis le cas particulier des distiques élégiaques de perist. 11, cf. § 188), les 'hymnes hispaniques' ont chacune un pendant formel (et, dans une certaine mesure, thématique) dans le Cathemerinon. La même forme métrique se retrouve en effet en :

  • perist. 1 et cath. 9 (str. 3 ; tétramètre trochaïque catalectique) 433 ,
  • perist. 3 et cath. 3 (str. 5 ; trimètre dactylique hypercatalectique) 434 ,
  • perist. 4 et cath. 8 (str. [4] sapphique) 435 ,
  • perist. 6 et cath. 4 (str. 3 ; hendécasyllabe phalécien) 436 .

      Cette reprise est comme l'écho de ce qui s'est produit pour les dimètres iambiques de cath. 1-2 et 11-12, repris de perist. 2 et 5 (avec une fonction analogue de 'cadre'). Les quatre autres poèmes du Cathemerinon (cath. 5-7. 10) ont tous une structure strophique ; on peut relever que la forme métrique de cath. 7 est la même que celle de perist. 10 (str. 5 ; trimètre iambique) 437 .

      194 La forme métrique de perist. 7 ne se retrouve pas dans le Cathemerinon ; on l'a vu (cf. § 186), ce poème ne présente pas les mêmes caractères, ni la même origine que les 'hymnes hispaniques', ce qui peut expliquer qu'il n'ait pas non plus les mêmes liens formels avec l'autre recueil lyrique. Même s'il ne fait pas partie des sept Passions, rien n'exclut qu'il ait été composé avant le Cathemerinon, et retenu indépendamment de la composition de ce recueil pour augmenter le Peristephanon.

      195 Quoi qu'il en soit, le fait que les poèmes tardifs aient reçu non le titre de Passio, mais, comme l'ensemble des pièces du Cathemerinon, celui d'Hymnus, peut être considéré comme un indice de la proximité de la composition du nouveau recueil lyrique - dont les pièces ne pouvaient être appelées Passio - et de celle du supplément aux sept Passions.

      196 C'est l'insertion de perist. 8 qui, à la fin de l'Antiquité (ou durant le haut Moyen-Âge), a porté le nombre de pièces du Peristephanon à treize. Ensuite, la modification, par un éditeur de la Renaissance 438 , de l'ordre des pièces que Prudence consacre aux martyrs, a finalement produit l'actuel Peristephanon à quatorze poèmes.


4. Récapitulation


a) Éléments de datation des poèmes du Peristephanon 439 

      197 Chronologie absolue : terminus post quem (398-399)

  • perist. 2, 237-252 : imitation de Carm. c. pag. 58-59 (peu après 384 ?) [-> 2, 237]
  • perist. 2, 473-484 : allusion aux mesures de Cod. Theod. 16, 10, 15 (fin janvier 399) ; de même, c. Symm. 1, 499-505 [cf. § 104]
  • perist. 5, 445 : imitation d'Avson. 325, 69-70 ; etc. († 394) [->]
  • perist. 7 : reprise des données de Hier. chron. (composée vers 380), à l'exclusion d'autres sources indépendantes [§ 183]
  • perist. 11, 115 : imitation de Clavd. 15, 472-473 (399) [->]
  • perist. 11, 199-212 : imitation de Pavl. Nol. carm. 14, 55-78 (397) [->]
  • perist. 13, 79 : imitation probable d' Avson. Mos. 265-266 (370 ?) [->]
  • perist. 14 : reprise polémique de la forme métrique de Clavd. 11 (février 398) [cf. § 105]

      198 Chronologie absolue : terminus ante quem (404)

  • præf. 1-4. 25 : composition effective ou projetée d'une partie au moins du Peri-stephanon (dont perist. 12) en 404 [cf. § 8]
  • cath. 7, 163-171 : imitation chez Svlp. Sev. chron. 1, 48, 5 (achevée en 404) ? [cf. § 235]
  • perist. 6, 61-66 : absence d'allusion aux mesures de 404 évoquées chez Theodoret. hist. eccl. 5, 26 et demandées en c. Symm. 2, 1109-1132 [cf. § 179]

      199 Chronologie relative : proximité

  • perist. 1 proche de cath. 9 (titre en hymnus, mètre, dimensions, thèmes) [cf. § 193]
  • perist. 1, 94-95 postérieur à perist. 4, 65-68 (ou contemporain) (lexique) [cf. § 176]
  • perist. 2 et 5, et perist. 10, poèmes 'archaïques' (sujet, mètre, type de narration, thèmes) [cf. § 120-121]
  • perist. 2 et 14, poèmes anciens (thèmes, structures internes, sources) [cf. §§ 100. 104]
  • perist. 3 proche de cath. 3 (titre en hymnus, mètre, dimensions, thèmes, lexique) [cf. § 193]
  • perist. 4 proche de cath. 8 (titre en hymnus, mètre) [cf. § 193]
  • perist. 6 proche de cath. 4 (titre en hymnus, mètre, dimensions, thèmes) [cf. § 193]
  • perist. 13 postérieur à perist. 14 (ou contemporain) (lexique, disposition) [cf. § 116-117]

      200 Chronologie relative : postériorité ou antériorité

  • cath. 8, 33-48 postérieur à perist. 11 et 12 (thèmes, lexique) [-> 11, 241-245]
  • perist. 1, 13-15 et 9, 95-98 postérieurs à perist. 2, 565-568 (lexique, doctrine) [cf. § 140]
  • perist. 2 et 14 antérieurs à perist. 9. 11. 12 (sources, inspiration) [cf. § 100]
  • perist. 3, 134-148 postérieur à perist. 9, 52-58 (thèmes, lexique) [cf. § 142]
  • perist. 3 postérieur à perist. 11, 125-128 (thèmes, lexique) [cf. § 143]
  • perist. 3 postérieur à perist. 14 (sources littéraires) [cf. § 106]
  • perist. 4 postérieur à perist. 13 (utilité de perist. 13 pour éviter une incohérence en perist. 4) [cf. § 118 n. 38]
  • perist. 4, 45-48 postérieur à perist. 2, 5-12 (lexique [thématique virgilienne]) [cf. § 108]
  • perist. 4, 77-108 postérieur à perist. 5 (utilité de perist. 5 pour comprendre perist. 4, qui le complète) [cf. § 113]
  • perist. 5 postérieur à perist. 2 (thèmes, lexique ; correspondance) [cf. §§ 109. 111-112]
  • perist. 5 postérieur à perist. 14 (thèmes) [cf. § 109-110]
  • perist. 6, 32-36 postérieur à perist. 14, 67-72 (lexique, disposition)[cf. § 107]
  • perist. 6, 52-60 postérieur à perist. 5, 337-344 (évolution doctrinale) [cf. § 114]
  • perist. 7, 23-30. 60-70 postérieur à perist. 5, 459-490 (lexique, variations thématiques) [cf. § 184]

      201 Chronologie relative et/ou étapes éditoriales

  • triptyque romain : perist. 9. 11. 12 (contexte, usage du distique, type de narration, thèmes) [cf. § 131-137]
  • double cadre : perist. 2. 5 et 13. 14 (analogies entre les poèmes ; analogie avec cath. 1. 2. 11. 12) [cf. §§ 118. 151-153. 192]
  • sept Passions : perist. 2. 5. 9. 11-14 (titre en passio, complémentarité et structure du groupe) [cf. §§ 147-161. 203-206]
  • Hymnes ajoutées aux Passions : perist. 1. 3. 4. 6. (7) (titre en hymnus, rapprochements avec le Cathemerinon mais absence de structure du groupe) [cf. § 192-194]
  • poèmes adventices : perist. 8 et 10 (caractère marginal : titres, dimensions, genre littéraire) [cf. §§ 120-130. 187-189]

b) Les sept Passions et leur ordre : vue synthétique

      202 Les poèmes anciens du Peristephanon, intitulés Passio, forment un ensemble organique ; en son sein, on peut reconstituer un ordre primitif, avec des symétries et correspondances qui se recoupent entre elles, selon trois types de critères distincts.

      203 Forme du poème (stichométrie, type de mètre) :

  • Répartition symétrique ; perist. 12 synthétise les 3 types formels (cf. § 151).

      
2 strophe ambrosienne métrique iambo-trochaïque
13 catastichon métrique éolienne
9


distique
vers dactylique + vers iambo-trochaïque
12 vers éolien + vers iambo-trochaïque
11 métrique dactylique (distique élégiaque)
14 catastichon métrique éolienne
5 strophe ambrosienne métrique iambo-trochaïque

      204 Martyr célébré (qualité ou ministère, lieu, motifs communs) :

  • Répartition symétrique des qualités ou ministères ; alternance Rome / province autour des 'poèmes du voyage' ; motifs communs par ordre de proximité (cf. § 158-160).

      
2 s. Laurent diacre Rome

pouvoir
de la parole
saint Sixte, évêque,
puis saint Laurent
13 s. Cyprien évêque
et docteur
Province
(Carthage)
Massa Candida, puis
saint Cyprien, évêque
9 s. Cassien maître d'école route
de Rome


pèlerinage,
voyage
voyage vers Rome
12 s. Pierre
s. Paul
apôtres Rome surprise du nouvel
arrivé, Rome 'en direct'
11 s. Hippolyte ancien hérésiarque environs
de Rome
rapport de voyage à Rome
14 ste Agnès vierge consacrée Rome
double
couronne
exposition,
puis mort
5 s. Vincent diacre Province
(Hispanie)
mort, puis
exposition

      205 Thématique et récit (causes et mode du martyre) :

  • Répartition symétrique ; perist. 12 synthétise les trois types de supplice (cf. § 152).

      
2 s. Laurent défense de la foi et de l'Église
(ministère diaconal)
tortures extrêmes (gril)
13 s. Cyprien charisme propre
(évêque et docteur)
décapitation
9 s. Cassien 'expiation'
(dureté du maître d'école)
supplice excentrique, modèle littéraire, représentation peinte
12 s. Pierre (persécution de Néron, supplice excentrique, réf. scripturaire
  s. Paul une année d'intervalle) décapitation
11 s. Hippolyte 'expiation'
(schisme et hérésie)
supplice excentrique, modèle littéraire, représentation peinte
14 ste Agnès charisme propre
(vierge consacrée)
décapitation
5 s. Vincent défense de la foi et de l'Église
(ministère diaconal)
tortures extrêmes (entre autres, gril)


III. Transmission et réception du Peristephanon


1. Tradition manuscrite du Peristephanon


a) Classement des manuscrits de Prudence

      Particularités de la tradition manuscrite

      

      206 Jusqu'à la Renaissance, Prudence est un auteur très lu, apprécié surtout pour sa Psychomachie, qui est seule transmise par certains des manuscrits conservés. Ceux-ci sont en tout plus de 300 440 , dont une partie notable date du ixe et du xe s., époque où Prudence semble avoir atteint sa plus grande renommée (cf. § 241) ; l'intérêt des éditeurs - tout comme leurs controverses - se porte peu sur les manuscrits postérieurs, mais essentiellement sur le plus ancien d'entre eux, qui date du vie s.

      207 Ce manuscrit A (Paris, B. nat., Lat. 8084), qui a appartenu à Vettius Agorius Mavortius, consul en 527 et descendant de Prétextat 441 , est pour Bergman un témoin privilégié - opinion relativisée sinon mise en cause par des éditeurs postérieurs ; ce manuscrit, copié au nord de l'Italie, ne comprend qu'une partie du Peristephanon (perist. 1, 1 - 5, 141), le reste étant perdu 442 . Un autre témoin antérieur à l'époque carolingienne est le manuscrit B (Milano, B. Ambr., D 36 sup.), copié à Bobbio vers 620 ; lui aussi mutilé, il fut complété au xe s., moyennant un bouleversement de l'ordre des cahiers. Les parties anciennes de B comprennent notamment perist. 1 ; 2 ; 3, 1-112 ; 4 ; 5, 343-576 ; 6 ; 7 ; 9 ; 10, 1-205. 454-1140 ; 14.

      208 Le ms. A serait, selon Winstedt (1903), le seul témoin conservé d'une pre-mière recension des oeuvres de Prudence, antérieure à la composition de la Præfatio et du second livre du Contre Symmaque (et donc antérieure à 404). Ce manuscrit ne trans-met ni ces poèmes, ni le premier livre du Contre Symmaque, et omet des vers que Prudence lui-même eût pu ajouter par la suite : perist. 4, 181-188 ; apoth. 160 ; psych. præf. 41-42. D'autres leçons divergentes seraient de véritables variantes d'auteur. Cette théorie, séduisante, doit être nuancée : des leçons de A se retrouvent aussi dans le reste de la tradition (issue selon cette hypothèse d'une seconde recension), y compris des leçons corrompues. Si des traces de deux recensions peuvent subsister, il n'y a pas de frontière imperméable entre les deux traditions ; on le verra (§ 211), malgré sa spécificité, le ms. A s'intègre bien dans une famille (aa) de manuscrits.

      209 Pour la plupart, les manuscrits qui transmettent le Peristephanon comprennent l'ensemble des oeuvres de Prudence, jamais ce recueil isolé, rarement les seuls Cathemerinon et Peristephanon. Certaines pièces hagiographiques de Prudence sont aussi transmises isolément dans des collections de Vies et de Passions de saints 443  ou dans des recueils consacrés à un saint particulier 444 .

      210 Parmi les particularités de la tradition manuscrite de Prudence, il y a en outre l'iconographie de la Psychomachie (et, dans une moindre mesure, de perist. 9), qui pourrait remonter à un modèle du ve s. - éventuellement même, selon Eggen-berger (2000), à une 'mise en page' (texte et image) voulue par le poète en personne. Quoi qu'il en soit, ces illustrations, dont le plus bel exemple est donné par le ms. U de Berne, ont une histoire ancienne et complexe : des légendes sont ajoutées dans un second temps, parfois avec de mauvaises interprétations de l'image, qui sera modifiée par les artistes postérieurs pour correspondre à la légende fautive 445 .

      Histoire et géographie de la tradition manuscrite

      211 Les deux premiers manuscrits connus de Prudence proviennent du nord de l'Italie et appartiennent à la classe 'A' : le ms. A est le premier témoin de la famille aa et le ms. B, le premier de la famille ab. Ces deux familles ont essaimé en Gaule, ab s'y maintenant (p.ex. ms. V, ixe s.), alors que les manuscrits de la famille aa sont copiés au nord de la Gaule (ms. C, ixe s.) et aussi en Grande-Bretagne (ms. D, xe s. ; ce manuscrit a, semble-t-il, le même modèle que C). Cf. le stemma, § 215.

      212 Les deux familles de la classe 'B' (ba et bb), concentrées dans l'aire germanique, dérivent d'un manuscrit de la famille aa (ms. b), copié en Germanie 446  ; leurs témoins les plus anciens datent du ixe et du début du xe s. La famille ba, dont l'aire géographique (Pays-Bas, Belgique, Allemagne occidentale) est relativement proche de celle de la famille ab, trahit dans ses témoins la présence d'éléments tirés d'un ancêtre (ms. d) des manuscrits V et N (famille ab). La famille bb ne dépend que de l'archétype commun de la classe 'B' (ms. b) 447 , et ses représentants, nombreux, se situent à l'origine en Suisse et en Allemagne méridionale.

      213 À partir du xie s., les aires géographiques de ces quatre familles, nettes à l'époque carolingienne (moment de la formation des familles ba et bb) tendent à se recouper et à se confondre, avec l'intensification des échanges. Le ms. M, copié en écriture bénéventaine, au ixe s., au Mont-Cassin, est un premier exemple de ce phénomène, puisqu'il appartient à la famille bb, présente surtout au nord des Alpes.

      214 Le déplacement progressif des centres de production de ces manuscrits durant le haut Moyen-Âge correspond, comme il est normal, à celui des foyers de la culture latine en Europe : on passe du nord de l'Italie à la Gaule (fin de l'Antiquité) puis en Grande-Bretagne, à la faveur des expéditions de moines insulaires, au viie s., emportant des textes de ces deux régions (origine de la famille aa) ; avec la Re-naissance carolingienne, dont l'un des artisans fut Alcuin, venu d'York à Aix-la-Chapelle, la culture latine reprend vie sur le continent, et c'est à ce moment qu'ap-paraissent les manuscrits germaniques de la classe 'B'. Les attestations de la lecture de Prudence (citations, mentions de l'auteur) correspondent également à ce lent aller-retour entre le continent européen et les îles Britanniques (cf. § 238-239).

      215. Le stemma ci-après s'inspire de Bergman, repris par Rodriguez (abréviations et datations : cf. Appendice C, p. 132).

      

      Dans ce stemma, on n'a pas reporté les manuscrits à cheval entre les xe et xie s. (c, w), ni les manuscrits postérieurs (xie - xiie s. : a, hijk, nopquv ; xiiie - xve s. : b, de, f, t).

      Qualité des deux classes et critères de répartition

      216 La distinction (que l'on doit à Bergman) de deux classes de manuscrits divisées chacune en deux familles semble définitivement acquise. L'examen de leçons divergentes montre que la classe 'A', dans laquelle se rangent les manuscrits les plus anciens (A et B), est plus proche de l'original ou du moins plus conservatrice que la classe 'B' ; dans des manuscrits de la classe 'B', on trouve notamment des ajouts textuels (interpolations) et des compléments (insertion de poèmes supplémentaires, cf. § 227-228 ; indications métriques voire musicales, cf. § 229-230).

      217 Un critère décisif pour distinguer les deux classes est l'absence en 'A' de cinq interpolations caractéristiques de la classe 'B' : apoth. 937b ; ham. præf. 43b ; ham. 68b. 191b. 858b-858g. Un second critère est l'ordre dans lequel sont rangés les poèmes du corpus prudentien. La classe 'A' conserve une disposition qui correspond à la partitio de la Præfatio de Prudence 448 , encadrant les cinq libri hexamétriques par les deux recueils lyriques. La classe 'B' répartit différemment ces poèmes, rapprochant les deux recueils lyriques, au point même de les fusionner partiellement (cf. §§ 220. 223-226), et mettant à leur suite les cinq livres hexamétriques de Prudence.

      218 La distinction en familles de manuscrits se fonde sur certaines leçons spécifiques, voire sur des particularités orthographiques, mais le plus évident des critères est l'ordre dans lequel sont rangés les poèmes du Peristephanon, ordre qui diverge nettement d'une classe à l'autre (perist. 10 rangé en tête ou en queue du recueil, dans les classes 'A' ou 'B'), et aussi d'une famille à l'autre.


b) Ordre des poèmes de Prudence dans les manuscrits

      OEuvres de Prudence

      219 Les poèmes de Prudence, qui constituent sept livres, sont organisés selon un jeu de symétries et de liens thématiques et formels, avec un appareil de préfaces et une postface (cf. § 17-18), ainsi que, probablement, deux pièces de transition (cf. § 129-130). Cet ordre, dont on a une esquisse dans la Præfatio 449 , est généralement maintenu par les manuscrits de la classe 'A'.

      220 À la fin du ve s., Gennade semble suggérer une autre distribution, par genre poétique : dans sa notice aux oeuvres de Prudence, il évoque successivement l'Apotheosis, l'Hamartigeneia, la Psychomachie, puis, ensemble, le Peristephanon et le Cathe-merinon, et enfin le Contre Symmaque ; semblablement, le ms. B (famille ab, début du viie s.) faisait se suivre les deux recueils lyriques 450 . Les manuscrits de la classe 'B' regroupent aussi Peristephanon et Cathemerinon, avec en outre une réorganisation partielle de ces recueils : dans un premier Liber hymnorum sont rangées les pièces liées à des circonstances de la vie humaine, heures, activités ou événements (cath. 1-10), dans le second (Peristephanon suivi de cath. 11-12) les poèmes qui peuvent être rapportés à des fêtes du calendrier (sanctoral ou temporal) 451 .

      221 Comme celle du ms. B, la disposition donnée par la classe 'B' apparaît comme une redistribution faite a posteriori, à partir du modèle conservé par la classe 'A', dont restent des traces : les titres des recueils sont maintenus dans les incipit, mais aussi dans les explicit, en dépit du déplacement de cath. 11 et 12. Ainsi, on trouve plusieurs fois 452  l'explicit du Cathemerinon après cath. 12, puis celui du Peri-stephanon après l'Epilogus - plus rarement 453 , l'explicit du Peristephanon suit perist. 10, puis celui du Cathemerinon suit cath. 12 454 . Ici encore, on constate la fidélité aveugle des copistes en matière de titres (cf. § 164-167).

      222 On observe une hésitation dans la tradition, indépendamment des classes et des familles, au sujet des places respectives du Dittochæon et de l'Epilogus 455 , le ms. V répétant même l'Epilogus avant et après le Dittochæon 456 . Cette incertitude provient de la contradiction entre le caractère conclusif de l'Epilogus (qui amène les copistes à le placer après le Dittochæon), et la disposition originelle des poèmes (qui n'incluait pas le Dittochæon dans l'ensemble délimité par la Præfatio et l'Epilogus : cf. § 17).

      Poèmes du Peristephanon

      223 Malgré la fusion partielle des deux recueils lyriques dans les manuscrits de la classe 'B' (cf. § 220), les poèmes du Peristephanon restent presque toujours groupés. Certains témoins de la famille bb insèrent dans le recueil, à la suite de perist. 14, deux épigrammes consacrées à sainte Agnès, mais sans jamais les attribuer à Prudence 457 .

      224 Le tableau ci-après donne l'ordre des poèmes de Prudence dans les manuscrits et familles de manuscrits (avec les conventions suivantes : déplacement ; [adjonction] ; mutilation[ ; - absence d'un poème).

      

      Notes : * =B 458 ; **= Famille bb 459 ; *** = U  460 

      225 Les variations de l'ordre des poèmes sont frappantes ; on n'observe rien de tel pour le Cathemerinon, ni dans la tradition manuscrite de poètes lyriques classiques. Si l'ordre des poèmes de ce recueil constitue un critère simple pour définir les familles de manuscrits, on remarque que des modifications peuvent intervenir à l'intérieur même des familles, avec des interversions (mss Ffm, famille ba), des bouleversements presque complets (ms. M) ou des déplacements ne respectant pas l'intégrité du recueil (mss b, B, Us, familles aa ab bb). À côté de ces altérations accidentelles, il y a des interventions délibérées (insertion de deux épigrammes suite à perist. 14 : famille bb, cf. § 222).

      226 Une partie des modifications est consécutive à la juxtaposition du Peri-stephanon et du Cathemerinon dans la classe 'B', ce qui ôte à perist. 10 sa fonction de poème de transition entre le Contre Symmaque et le Peristephanon proprement dit (cf. § 129-130) et explique donc peut-être son déplacement à la fin de la série des poèmes sur les martyrs. On constate aussi que les poèmes à vers brefs, susceptibles d'être copiés sur deux colonnes (perist. 2-7. 14) sont presque toujours groupés en un ou deux blocs, quelle que soit la famille de manuscrits - ce critère éditorial semble donc avoir joué un rôle. Par contre, on ne trouve aucun principe d'organisation de ces poèmes dans les manuscrits, quel que soit le critère envisagé (forme métrique, origine des martyrs, calendrier liturgique).


c) Modifications et compléments apportés par la tradition manuscrite

      Ajout de poèmes épigraphiques

      227 Dans la Præfatio, Prudence évoque l'ensemble des poèmes inclus entre ce poème et l'Epilogus, sans le Dittochæon. Par sa nature même, ce recueil de 48 quatrains hexamétriques, probablement destinés à illustrer autant de représentations plastiques de scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament, s'intégrait mal dans l'architecture poétique voulue par Prudence. Il est difficile de déterminer si l'auteur en a délibé-rément exclu cet ensemble de poèmes, ou si le Dittochæon est simplement postérieur à la Præfatio. Par sa nature, l'Epilogus, pendant de la Præfatio, est une pièce de conclusion, ce qui amène les copistes de plusieurs manuscrits à l'insérer après le Dittochæon, alors que d'autres gardent la disposition originelle des oeuvres de Prudence, voire font l'un et l'autre (cf. § 223).

      228 Un autre poème épigraphique fut ajouté très tôt au recueil des oeuvres de Prudence : perist. 8. Il pouvait s'insérer plus facilement dans le corpus existant, puisqu'il célébrait indirectement les martyrs de perist. 1. On l'a donc inclus dans le Peristephanon de douze pièces qui constituait le pendant du Cathemerinon (cf. §§ 192-193. 196). Semblablement, plus tard, dans de nombreux manuscrits de la famille bb 461 , on fit suivre perist. 14, consacré à sainte Agnès, du texte de deux inscriptions métriques en relation avec la basilique cimétériale de la martyre 462 .

      Intérêt pour les mètres utilisés par Prudence

      229 À partir de la Renaissance carolingienne, les écoles monastiques ne pouvaient que s'intéresser à l'un des derniers poètes de l'Antiquité à avoir illustré les mètres lyriques les plus variés, tel un Horace, et ce, pour des sujets chrétiens (cf. §§ 15. 40. 241). Ce caractère savant, qui avait d'abord empêché une large diffusion du Peristephanon et du Cathemerinon - contrairement aux hymnes ambrosiennes traitant de sujets analogues avec une forme métrique simple et fixe (cf. § 68-69) - allait susciter un intérêt particulier à cette époque, si bien que les manuscrits de la classe 'B', attestée dès le ixe s., regroupent les deux livres lyriques et présentent souvent, à la suite du titre, des indications relatives à la métrique, fidèlement transmises d'un manuscrit à l'autre (cf. § 166) ; on ne les trouve pas dans la classe 'A' 463 .

      230 On observe aussi des tentatives plus ou moins adroites de retrouver la forme originelle des poèmes, avec, parfois, une notation musicale au moyen de neumes 464 , ou la présentation des deux seuls poèmes catastichon des recueils lyriques de Prudence (perist. 13 et 14) sous forme de distiques 465 , en dépit même du nombre impair des vers de perist. 14.

      Scholies et commentaires

      231 Les gloses du texte de Prudence sont rares avant son arrivée en terre germanique ; si des lecteurs de langue romane n'ont, sauf exception, pas de problème de compréhension et prisent les explications symboliques ou érudites, un public de langue germanique veut surtout saisir la signification première, le sens des mots.

      232 Le nombre exceptionnellement important des manuscrits glosés en vieil allemand de Prudence - il n'est dépassé que par celui des manuscrits de la Bible 466  - laisse entrevoir la popularité de cet auteur et en même temps sa difficulté pour les lecteurs germaniques 467 . On trouve aussi des gloses irlandaises 468  et des gloses anglo-saxonnes 469  au texte de Prudence.

      233 Les commentaires latins à Prudence sont nombreux 470  ; certains semblent être restés isolés 471 , mais la plupart dépendent de scholies dont les unes sont attribuées à Jean Scot Érigène (~817-877) 472  et les autres sont de Rémi d'Auxerre (~841 -~908) 473 . Comme dans leurs commentaires à Martianus Capella, ces auteurs ont leur caractère propre : Rémi fait un étalage de science, d'érudition, que l'on ne trouve pas chez Érigène 474 . Une version augmentée du commentaire de Rémi se trouve entre autres dans les manuscrits l  et m (xe s., famille ba). Les deux commentaires d'Érigène et de Rémi constituent ensemble, à leur tour, la source de deux commentaires, l'un attesté par le manuscrit r (début du xe s., famille bb), l'autre, plus courant 475 , attribué à Ison de Saint-Gall († 871) ou à son disciple Salomon de Constance († 919) - le manuscrit U, dans lequel on trouve ce commentaire, fut copié dans la région du Bodan (à Saint-Gall, Constance ou Reichenau), à la même époque.


2. Le Peristephanon au cours de l'histoire


a) Le corpus prudentien, texte scolaire et modèle littéraire

      Témoignages antiques 476 

      234 Prudence n'a pas connu son heure de gloire dans les décennies qui ont suivi la publication de son oeuvre : ses contemporains n'en parlent pas. Il semble toutefois que Sulpice-Sévère (qui écrit vers 400) 477  et Symphosius (fin ive s. - ve s.) 478  s'inspirent de ses oeuvres, ainsi que peut-être saint Augustin 479  lui-même.

      235 Les premières mentions de Prudence datent de la fin du ve s. et se concentrent en Gaule : Sidoine Apollinaire le considère comme le grand poète chrétien 480  ; continuateur du De uiris illustribus hiéronymien, Gennade consacre une notice à Prudence, qu'il ne connaît que par ses oeuvres 481  ; au début du vie s., saint Avit fait au sujet de Prudence un jeu de mots (prudenti... cecinit Prudentius ore ou arte) 482  qui sera repris un peu moins d'un siècle après par deux autres auteurs de Gaule, Grégoire de Tours (540-594) 483 , qui cite et utilise plusieurs fois Prudence 484 , et Venance Fortunat (seconde moitié du vie s.) 485 .

      236 Né en Gaule, devenu prêtre milanais puis évêque de Pavie, saint Ennode (473-521) est aussi un lecteur de Prudence, dont il reprend une fois un mètre rare 486 . C'est également au nord de l'Italie, semble-t-il, que, sur la base de perist. 9, on rédige en prose la Passio sancti Cassiani, qui se réfère expressément à Prudence 487 . On trouve une citation de la Psychomachie dans une des oeuvres attribuées à saint Colomban (543-615) 488 , fondateur du monastère de Bobbio, où sont copiées, vers 620, les parties originales du manuscrit B. L'Italie septentrionale est aussi le berceau du plus ancien manuscrit conservé de Prudence, le luxueux manuscrit A (milieu du vie s.) ; il est probable que l'archétype de toute la tradition des oeuvres de Prudence soit un manuscrit du ve s., dans la même aire géographique (sud de la Gaule, nord de l'Italie).

      237 Saint Isidore de Séville (560-636) émet au sujet de Prudence le même jugement élogieux que Sidoine Apollinaire, premier auteur qui en parlait : pour l'un et l'autre, il s'agit d'un classique 489 . Isidore cite Prudence dans ses Étymologies 490 .

      Les VIIe et VIIIe siècles

      238 Les îles Britanniques deviennent pour un temps le foyer culturel principal de la chrétienté latine, et c'est en Angleterre que se concentrent, durant les VIIe et VIIIe siècles, la lecture, l'étude et l'utilisation de Prudence. Alors que les manuscrits de la famille ab restent sur le continent, en Gaule, ceux de la famille aa sont pour la plupart insulaires (cf. § 211). Prudence est une des sources utilisées par Aldhelm de Malmesbury (640-709), premier grand écrivain d'Angleterre 491 . Comme Aldhelm, Bède le Vénérable (672-735) est l'auteur d'un traité de métrique et s'intéresse au corpus prudentien, véritable encyclopédie de formes poétiques ; dans son De arte metrica, il cite Prudence et l'appelle nobilissimus Hispanorum scholasticus Prudentius Clemens 492  ; Bède est aussi l'auteur d'un Martyrologe où il mentionne parfois Prudence 493 .

      239 Les contacts de l'Angleterre avec la Germanie, notamment par les missions, en font le point de départ d'une nouvelle diffusion des oeuvres de Prudence. On trouve des allusions à Prudence chez les deux grandes figures de ce mouvement culturel : saint Boniface (672-754), apôtre des Germains (auteur aussi de traités de métrique influencés par Aldhelm) 494 , et Alcuin (730-804), organisateur de la réforme culturelle de Charlemagne 495 . L'un est l'autre sont originaires d'Angleterre et exercent en Germanie une activité d'organisateur doublée d'une oeuvre pédagogique et poétique. C'est probablement de la même époque que date l'archétype de la classe 'B' (continentale) des manuscrits de Prudence (cf. § 212), dont le nombre des rejetons, durant les deux siècles suivants, atteste de l'intérêt rencontré par ces poèmes aux mètres variés (signalés dans ces manuscrits : cf. § 229). La famille ba se diffuse surtout dans l'arrière-pays de la Manche et au nord de l'Allemagne, alors que bb est plus méridionale, puisque ses premiers représentants se situent au sud de l'Alle-magne, en Suisse et même, pour le manuscrit M, au Mont-Cassin - illustration du grand retour de la latinité et de la culture dans son bassin originel, avec une Re-naissance qui est l'occasion d'une unité spirituelle à l'échelle du continent européen.

      240 Parmi les auteurs carolingiens qui lisent et utilisent Prudence, il y a encore le Lombard Paul Diacre 496  (720-799), qui vécut la fin de sa vie au Mont-Cassin, avec une interruption de quatre ans passés à la cour de Charlemagne. Les oeuvres de Prudence constituent, après l'Écriture et le corpus virgilien, la source la plus utilisée (et citée comme telle) dans le traité De dubiis nominibus 497 , écrit entre le viie et le viiie s. ; son auteur semble avoir utilisé un manuscrit analogue à E (famille ba), mais atteste aussi des leçons d'autres manuscrits, comme A, B, T ou S. Plus tardif et d'attribution contestée, le Waltharius (poème latin sur un thème germanique, à l'origine des Niebelungen) est constellé de iuncturæ prudentiennes 498 .

      Les IXe et Xe siècles 499 

      241 Écrite au IXe siècle, la Cantilène de sainte Eulalie (premier texte littéraire français) transpose en langue d'oïl le thème traité en perist. 3 500 . Comme en atteste aussi la tradition manuscrite (cf. stemma § 215), Prudence connaît alors l'apogée de la diffusion et de l'influence de ses oeuvres. Par son mode de vie ascétique 501 , sa pratique de la prière des heures (cf. §§ 7. 15), l'importance accordée aux reliques des saints 502 , et aussi avec son intérêt pour l'art sacré, plastique et lyrique 503 , Prudence préfigure une civilisation monastique qui s'intéressera d'autant plus à ses oeuvres qu'elles sont écrites dans des mètres classiques variés. Ce corpus devient un texte scolaire 504 , comme en atteste la diffusion de plusieurs commentaires, dont le principal est attribué à Ison de Saint-Gall († 871) ou à son disciple Salomon († 919) 505 .

      242 Disciple d'Ison, Notker le Bègue (~840-912), renommé pour ses séquences et auteur d'un martyrologe, reprend au sujet de Prudence les jugements élogieux des siècles précédents et encourage sa lecture 506 . Brunon, archevêque de Cologne († 965) et frère de l'empereur Othon Ier, fait de même, et va jusqu'à envoyer les oeuvres de Prudence à toutes les églises de son diocèse 507 . Proche d'Othon Ier et II, Liutprand de Crémone (~920-972) est également un lecteur de Prudence, dont on a une réminiscence dans son Antapodosis 508 .

      243 Les abbayes jouent aussi un rôle important pour la diffusion des oeuvres de Prudence. Théodulfe d'Orléans (750/760-821) et Abbon (940-1004), qui vantent et citent Prudence 509 , sont abbés de Fleury. Fulda sert aussi de relais : Prudence est utilisé par Raban Maur (780-856) 510 , formé dans cette abbaye où il enseigna avant d'en devenir l'abbé en 822, et dans les oeuvres de ses disciples Loup (~805-après 862) 511 , nommé abbé de Ferrières en 841 par Charles le Chauve, et Walafrid Strabon (808-849) 512 , précepteur du même Charles le Chauve puis abbé de Reichenau dès 838 (où il avait étudié avant de rejoindre Raban à Fulda) ; comme Raban, Walafrid est l'auteur de poèmes en mètres variés, et a pu se servir du modèle de Prudence.

      244 Fulda est aussi alors au coeur d'une querelle provoquée par les positions hétérodoxes (doctrine de la double prédestination) de Gottschalk d'Orbais, et qui oppose des théologiens par ailleurs tous auteurs de poèmes et lecteurs de Prudence. Gottschalk (807-867/869) 513  fut formé à Fulda, contraint à la tonsure par Raban, puis attaqué par Loup de Ferrières et par Hincmar de Reims (806-882), qui invoque même l'autorité de Prudence en matière de dogme 514 . Jean Scot Érigène (~810-877) et Florus de Lyon († ~860) prennent également part à cette querelle ; le premier dirige l'école palatine de Charles le Chauve, et commente les oeuvres de Prudence 515  ; le second est diacre et homme de confiance de saint Agobard (évêque de Lyon qui, comme Florus, est un lecteur de Prudence 516 ). Rathramne de Corbie († après 868) participe également au débat ; lui aussi est un auteur qui cite Prudence 517 .

      245 Ceux qui attestent alors de la lecture de Prudence et qui l'utilisent sont extrêmement nombreux ; on peut encore citer des auteurs de poèmes comme Wandalbert de Prüm (817-~870) 518 , Flodoard de Reims (893/894-966) 519 , Hériger de Lobbes (~950-1007) 520  ; des personnages aux destins variés, comme Dungal († 827) 521 , reclus à Saint-Denis ; Énée évêque de Paris († 870) 522  ; Théodule (xe s. ?) 523 , auteur d'une églogue allégorique célèbre ; Hucbald de Saint-Amand (~840-930) 524 , moine et professeur à Reims. Enfin, parmi les témoins de la culture mozarabe, Euloge de Cordoue († 859) s'inspire à l'occasion du Peristephanon 525  dans son Memoriale sanctorum.

      Le XIe s. et le Moyen-Âge classique

      246 Prudence, encore lu et utilisé au xie s. 526 , est mentionné chez des cardinaux de premier plan comme Humbert de Silvacandida († 1061) 527  et Pierre Damien (~1007-1072) 528  qui fut aussi auteur de pièces hagiographiques et poétiques. Parmi leurs contemporains qui citent Prudence et s'en servent comme auteur de référence, on peut nommer Pierre le Vénérable (1092/1094-1156) 529 , abbé de Cluny. Guillaume de Malmesbury (1080-1142) s'inspire de la mort de saint Cassien, telle que la narre Prudence en perist. 9, pour décrire celle, légendaire, de Jean Scot Érigène 530 .

      247 Au xiie s., les citations de Prudence sont très fréquentes, surtout pour la Psychomachie 531  ; un passage comme le tableau de la Foi s'apprêtant à combattre l'Idolâtrie (psych. 21-22 prima petit campum dubia sub sorte duelli | pugnatura Fides agresti turbida cultu, 'la première à gagner la plaine pour combattre, affrontant les aléas de la guerre, est la Foi, agitée, avec des apprêts rustiques') est cité chez Sicard (~1155-1215) 532 , évêque de Crémone ; Hélinand de Froidmont (1160-1229) 533  ; Gerhoch (1092/1094-1169) 534 , prévôt de l'abbaye de Reichersberg ; Hildebert de Lavardin (1056-1133/ 1134) 535 , l'un des plus grands poètes latins du Moyen-Âge, qui, comme Prudence, illustre dans ses vers une grande variété de sujets chrétiens et montre un intérêt pour la grandeur chrétienne et profane de Rome. Le même passage (psych. 21-22) est encore cité au siècle suivant par Hugues de Trimberg (~1230-1313) 536 , auteur notam-ment d'une histoire de la littérature (antique et médiévale) en vers. Parmi les auteurs qui citent Prudence, on peut encore nommer Rupert (~1070-1129/1130) 537 , abbé de Deutz, et saint Martin de León (xiie s.) 538 .

      248 L'abondance de la production poétique médiévale semble ensuite peu à peu éclipser Prudence, qui apparaît comme un poète chrétien parmi d'autres, même si son antiquité lui confère un caractère vénérable : dans sa Bataille des sept Arts, Henri d'Andeli († ~1240) 539  évoque la figure de Prudence aux côtés de celle de Virgile. On a encore des citations de la Psychomachie chez Conrad de Mure (~1210-1281) 540 , Roger Bacon (~1220-après 1292) 541  et Jean de Viktring († 1345/1347) 542 , et une mention de Prudence chez Eberhard de Brême (ou Évrard l'Allemand : xiiie s.) 543 .

      La fin du Moyen-Âge et les temps modernes

      249 Encore lu et utilisé par Dante 544 , Prudence semble connaître un chant du cygne à la fin du Moyen-Âge. Avec la Renaissance, la diffusion et l'influence de Prudence marquent un net recul, du fait de la réaction classicisante qui la caractérise. Érasme voit encore en Prudence un uir quouis etiam sæculo inter doctos numerandus 545  et, dans une de ses Apologies, veut en faire l'égal des docteurs de l'Église : Prudentius poeta tantum spirans tum sanctimoniæ, tum sacræ eruditionis, ut mereatur inter grauissimos Ecclesiæ doctores annumerari 546 . En outre, Érasme affirme à plusieurs reprises son goût pour les poèmes lyriques de Prudence - non absolument, mais dans des comparaisons 547 . Il annote une édition de Prudence (cf. § 251).

      250 On a de très belles copies des oeuvres de Prudence au xve s. 548 , mais le poète, souffrant peut-être de la réputation de sa Psychomachie, ne figure plus au rang des auteurs classiques qu'il était censé égaler ou remplacer 549 , sa lecture semblant désormais être l'apanage d'un cercle relativement restreint. Le phénomène ne fait que s'aggraver avec la Réforme protestante, qui abandonne notamment le monachisme, promoteur de la lecture de Prudence, et le culte des saints, fondement du Peri-stephanon (cf. § 241). Avant de passer à la Réforme, le chanoine Heinrich Wölflin (1470-1532) offrait à la collégiale de Berne un bel ensemble de tapisseries bruxelloises (1513-1515) illustrant 18 scènes du cycle de saint Vincent, dont il conçut le programme iconographique et composa la légende, s'inspirant de perist. 5 550 .

      251 Prudence ne tombe cependant pas dans l'ignorance, et est déjà imprimé à Deventer (Pays-Bas) vers 1492, puis connaît 19 éditions au cours du xvie s., dont la plus importante, par son influence sinon par sa qualité, est celle de Johann Sichard (Bâle, 1527), qui impose la numérotation moderne du Peristephanon 551 . Ces éditions de la Renaissance sont souvent annotées ; celle d'Henricus Petrvs (Bâle, 1540 ; reprise en 1553 et 1562 à Lyon et à Bâle) comprend ainsi des notes dont l'auteur est Érasme. L'oeuvre de Prudence devient généralement un objet d'étude, non de formation ou d'inspiration littéraires. Il y aura cependant des exceptions : outre les écrivains qui s'inspirent de Prudence et le traduisent à partir des extraits intégrés dans le Bréviaire romain (cf. § 255), Baudelaire a utilisé Prudence comme une source (notamment perist. 3 et 14, consacrés à des martyres), ainsi que le montre Gosserez (2000).


b) Les poèmes lyriques de Prudence, source liturgique

      Chant des poèmes de Prudence ?

      252 La question de la destination liturgique des poèmes lyriques de Prudence a été posée (cf. Sanford 1936) : certains manuscrits assortissent le texte de neumes (cf. § 230) et le sujet de ces poèmes s'apparente à celui des hymnes de saint Ambroise (cf. §§ 68-69. 82). La forme de six d'entre eux (perist. 2. 5 ; cath. 1. 2. 11. 12 : strophe ambrosienne) permet sans difficultés qu'ils soient chantés ; cependant, là, la récurrence d'une forme qui deviendra classique visait en l'occurrence moins à rendre ces poèmes aptes à une utilisation liturgique qu'à fournir comme un cadre aux recueils de poèmes (les sept Passions et le Cathemerinon). Si les deux hymnes du matin (cath. 1 et 2) étaient destinées au chant, il devrait en être de même de celles du soir (cath. 5 et 6) ; or, ces poèmes sont certes composés de strophes de quatre vers, mais il s'agit respectivement de petits asclépiades et de dimètres iambiques catalectiques - ces derniers pouvant être très gênants pour qui voudrait les chanter, puisqu'ils sont identiques aux vers ambrosiens, mais qu'il leur 'manque' une syllabe finale.

      253 D'autres poèmes lyriques de Prudence ne pouvaient en aucun cas avoir été composés pour le chant, tels perist. 13, avec ses vers longs (grand archiloquien) ou perist. 11, écrit en distiques élégiaques : dans ce cas, non seulement la tradition litté-raire attachée à cette forme s'y opposait, mais les substitutions nombreuses de la métrique dactylique comportaient en soi une difficulté à une époque où la quantité des syllabes tend à se modifier dans la langue courante 552  et où le lecteur devait faire l'effort de retrouver la prosodie classique, parfois devenue artificielle. À l'instar des tragédies de Sénèque, destinées principalement à la lecture et non à la représentation, les hymnes de Prudence devaient nourrir la dévotion privée ou semi-publique, mais n'étaient pas faites pour être chantées : la nature même de ces recueils, où les pièces s'organisent selon un réseau subtil de correspondances pour former un tout, montre en Prudence un auteur de livres poétiques, destinés à être goûtés par un lecteur. La présence d'extraits de Prudence dans le Bréviaire romain (cf. § 255) leur donnera une renommée universelle et suscitera très tôt leur mise en musique, puis leur traduction, y compris en vers français. Dès la Renaissance et jusqu'à nos jours, des compositeurs mettront en musique des poèmes de Prudence, surtout du Cathemerinon 553 .

      Reprise d'extraits dans les liturgies latines 554 

      254 La liturgie mozarabe reprend, en les adaptant, certains poèmes de Prudence (perist. 1-6. 10. 14) 555 , parfois intégralement, parfois sous forme de centons, avec le cas échéant certaines modifications. La nature de perist. 8 (inscription), le mètre de perist. 11, 12 (auquel est préféré Ambr. hymn. 12) et 13 (d'après lequel le poème est recomposé selon la forme ambrosienne), le sujet de perist. 7 et 9 (martyrs peu connus) font que ces pièces du Peristephanon ne seront pas reprises. Quant au Cathemerinon, il est également très largement utilisé dans la liturgie mozarabe.

      255 Dans la liturgie romaine 556 , on trouve aussi des extraits de Prudence, arrangés en hymnes chantées dans l'office : elles sont tirées de trois des poèmes du Cathemerinon en dimètres iambiques, qui se prêtaient aisément au chant liturgique 557 . Cette insertion dans le Bréviaire romain a valu à certains extraits de Prudence une diffusion universelle, une traduction par Corneille et par Racine ; on a une citation de cath. 12, 125-132 (Saluete, flores martyrum...), accompagnée d'une traduction méditée, à la fin du Mystère des saints Innocents de Péguy. La Liturgia horarum promulguée par le pape Paul VI après le concile Vatican II comporte un nombre accru d'extraits de ce poète, empruntés à toutes ses pièces en dimètres iambiques (sept strophes de Prudence et une doxologie) 558  et même à un poème en tétramètres trochaïques (transformés en dimètres trochaïques, les tercets devenant des strophes de six vers ; elles sont cinq, suivies d'une doxologie) 559 . Prudence est le seul laïc connu dont les compositions aient été retenues dans la liturgie de l'Église universelle.

      Promotion du culte de martyrs

      256 Prudence, qui voulait promouvoir le culte de certains martyrs, tels saint Cassien 560 , semble y être parvenu parfois de manière étonnante, puisque la re-nommée de ce martyr passa la barrière des Alpes et qu'il fut particulièrement honoré dans le Tyrol, en tant qu'apôtre et premier évêque de Saben (Sabiona) 561 . Le texte justifiant ce culte, en expliquant le lien entre Saben, lieu de prédication de saint Cassien, et Imola, lieu de son martyre, fait explicitement référence à Prudence 562 .

      257 On peut voir un lien entre l'oeuvre de Prudence et le culte des martyrs, au nord de l'Italie, au cours des ve et vie s., sans qu'il soit toujours possible de déterminer s'il résulte d'une communauté de contexte (inspiration ambrosienne dans la composition des sept Passions) ou d'une influence effective de Prudence (dont la lecture est bien attestée dans cette région à cette époque précisément) ; cf. §§ 211. 236. Au milieu du ve s. est édifiée à Milan, près de la basilique Saint-Laurent, une petite église dédiée aux saints Hippolyte et Cassien, deux martyrs mis en parallèle par Prudence dans ses sept Passions (cf. § 134-137), où il en promeut le culte ; cette chapelle abrite la sépulture de deux évêques morts à la fin du ve et au début du vie s. À Pavie, l'évêque Ennode (473-521), qui fut aussi un poète et un imitateur de Prudence 563 , fait de saint Cassien le co-patron d'une église secondaire.

      258 Au siècle suivant, à Ravenne, l'évêque catholique Maximien (546-556) fait construire une église consacrée à saint Étienne, où l'on trouve une représentation de saints Pierre et Paul et aussi de saint Quirin de Siscia (martyr peu connu, célébré dans perist. 7) ; son successeur Agnellus (557-570), qui prend possession de la basilique Saint-Apollinaire-le-Neuf édifiée par les ariens, la décore de la célèbre double théorie de 26 martyrs et de 22 martyres, parmi lesquels figurent tous ceux que Prudence célèbre dans les sept Passions (sauf saints Pierre et Paul, représentés ailleurs) 564 . Ces coïncidences laissent entendre que Prudence eut une influence, directe ou non, sur le renom de ces martyrs, et donc sur le programme iconographique des basiliques ravennates. On constate que dans les centres urbains du nord de l'Italie (Milan, Pavie, Ravenne), des évêques - lettrés, tel Ennode - honorent des martyrs dont la renommée ne semble pas être avant tout due à la dévotion populaire, mais résulter, comme pour saint Cassien, des poèmes de Prudence et, en définitive, de la dévotion du poète : il est frappant de constater que l'église milanaise mentionnée ci-dessus est consacrée aux deux seuls martyrs dont Prudence fasse activement la propagande 565 .

      259 S'il a vraisemblablement réussi à introduire ou à renforcer en Hispanie le culte de martyrs italiques 566 , à la suite de la publication de ses sept Passions, Prudence a certainement aussi eu un rôle dans la diffusion du culte de martyrs hispaniques en Italie, avec son Peristephanon : sans aucune exception, le Martyrologe hiéronymien, probablement constitué en Italie du nord au milieu du ve s., mentionne tous les martyrs cités dans les poèmes de Prudence, y compris ceux, nombreux, qui figurent dans le catalogue de perist. 4, 17-48.


c) Le Peristephanon, document historique

      Martyrologes historiques

      260 Prudence demandait à l'évêque Valérien que la fête de saint Hippolyte figurât dans le calendrier de Calagurris (cf. perist. 11, 231-238) ; de telles listes, comprenant le nom du martyr et le jour de sa fête, avec parfois le lieu de sa sépulture, peuvent permettre de remonter au temps même du martyre (cf. § 76). Ces martyrologes anciens connaissent un développement nouveau avec Bède, qui assortit 114 de ses articles de notices biographiques sur le saint en question : on a là le début du genre du 'martyrologe historique' 567 , qui connaîtra une sorte de point culminant dans la Légende dorée de Jacques de Voragine. Bède se base sur les sources liturgiques (notam-ment le Martyrologe hiéronymien) pour établir son calendrier et reprend les données de la littérature hagiographique pour la partie narrative de son oeuvre.

      261 Les auteurs de martyrologes nomment parfois Prudence, comme Bède dans la notice relative à saint Quirin (pour laquelle il utilise cependant moins perist. 7 que la Passio sancti Quirini) 568  ou Adon dans celle qu'il consacre à saint Cassien (où il se base sur perist. 9, dont on a des réminiscences verbales) 569 . Il arrive aussi que Prudence n'exerce d'influence que par tradition indirecte, comme pour les martyrs Hémétère et Chélidoine, dont la notice, chez Bède et ses successeurs, dépend en partie d'une notice de Grégoire de Tours qui résume perist. 1 et en cite un extrait 570 .

      Collections hagiographiques modernes

      262 Le genre du martyrologe historique est encore illustré de nos jours avec un Martyrologium Romanum régulièrement révisé, et s'oriente dans deux directions : celle de la Bibliotheca sanctorum et des dictionnaires des saints, qui donnent, comme les auteurs antérieurs, la biographie de chaque saint (mais dans un classement par ordre alphabétique), et celle des Acta sanctorum, qui maintiennent le classement par dates, mais ont pour objet la présentation de documents, comme avec les Acta sincera de Ruinart et, au xiie s., dans des collections hagiographiques consacrées à un saint 571 .

      263 L'hagiographie contemporaine utilise des poèmes du Peristephanon comme documents de base quand ils sont la source la plus ancienne : pour saints Hémétère et Chélidoine (perist. 1), sainte Eulalie (perist. 3), les martyrs de Saragosse (perist. 4), saint Cassien (perist. 9) voire même saint Vincent, dont la passion en prose est conservée, semble-t-il, dans un état postérieur à celui du moment de la composition de perist. 5. Des épisodes célèbres et traditionnels, sur lesquels on jette, parfois un peu vite, un regard soupçonneux, apparaissent pour la première fois chez Prudence : sainte Agnès au lupanar (perist. 14), saint Hippolyte traîné par les chevaux (perist. 11). Prudence est l'un des premiers témoins d'autres épisodes fameux, comme saint Laurent sur le gril (perist. 2) et saint Vincent dans son cachot, puis, mort, protégé par un corbeau (perist. 5). À ce titre, il est étudié au moins comme source littéraire.

      Histoire culturelle

      264 On peut reprocher à Lavarenne des jugements décrétés à l'aune d'une esthétique classique, qui l'ont amené à affirmer que l'intérêt des oeuvres de Prudence est essentiellement documentaire 572 . Quoi qu'il en soit, Prudence offre ef-fectivement un témoignage intéressant sur la pensée, les mentalités et l'art de son époque (cf. § 270-279). Sa figure plus humaine parmi les géants que sont Ambroise, Jérôme et Augustin semble mieux à même de donner une image de son temps.

      265 On entrevoit chez Prudence une certaine communauté spirituelle des lettrés - il est plein de mesure dans les jugements portés sur ceux dont il combat les idées et l'action, Julien l'Apostat et Symmaque 573  ; sans être un poète profane comme Ausone, il partage avec les derniers païens une admiration sans bornes pour Rome, dont il proclame comme eux la nouvelle jeunesse 574 , et recourt à une esthétique qui est celle de son temps : le 'jeweled style' de Roberts 575 . En même temps, on voit en lui un témoin de la dévotion populaire, dont il célèbre les manifestations orthodoxes et en même temps poétiques : prière sur la tombe, offrandes de parfums ou de fleurs - mais non le refrigerium proprement dit -, hymnes, pèlerinages 576 .

      266 Prudence reflète les apparentes contradictions de la mentalité de son temps :

  • condamnation des jeux du cirque et même profession de végétarisme par dégoût du sang versé, mais intérêt pour les récits sanglants des passions de martyrs 577  ;
  • condamnation des artistes païens menteurs 578 , mais recours à ces mêmes auteurs (réminiscences) et approbation du maintien des idoles comme oeuvres d'art 579  ;
  • propos ascétique, en particulier pour ce qui regarde la richesse 580 , mais émerveillement devant l'éclat de l'or et des gemmes 581 .

      La cohérence sous-jacente de cette mentalité réside dans une attitude (que déve-loppera le thomisme) fondamentalement assimilatrice, où l'analogie et la distinction permettent d'ordonner ce qui semble s'opposer - poétiquement, cela se traduit, pour la forme, par la métaphore, et pour le fond, par la catharsis. Si Prudence n'est pas un philosophe, ni un théologien, il possède néanmoins dans ces domaines une culture qui correspond à celle de son temps, marquée par une volonté d'orthodoxie 582  tout en ayant, en arrière-plan, une vulgate philosophique platonicienne 583 .

      267 L'archéologie et l'histoire de l'art trouvent en Prudence un document intéressant, puisqu'il décrit des monuments contemporains actuellement altérés ou détruits (basiliques romaines ou hispaniques, crypte de saint Hippolyte) 584  et donne un témoignage précieux relativement à un type de représentations picturales mal attesté, et alors tout à fait nouveau : la représentation sanglante du martyre 585 .


3. Le Peristephanon aujourd'hui


a) Intérêt du Peristephanon

      Que lire dans le Peristephanon ?

      268 Il y a dans le Peristephanon des chefs-d'oeuvre, tels les poèmes 11 et 12, qui valent d'être lus et appréciés comme tels. L'ensemble du recueil est également d'intérêt pour qui étudie la littérature de ce temps : poésie ou passiones de martyrs. Enfin, plus d'un passage du Peristephanon est susceptible d'intéresser, à titre docu-mentaire, des domaines aussi divers que l'histoire de l'art, le droit canon, la spiritualité ou l'archéologie - et ce, par le lexique utilisé, par les réalités décrites ou par la pensée exprimée ou sous-jacente. Une sélection de ces passages est donnée ci-après, complétée d'une liste d'extraits typiques de la littérature du martyre 586 , étant entendu que certains motifs récurrents des passiones ('kérygme' ; techniques de torture ; etc.) peuvent aussi intéresser le théologien ou l'archéologue, et que certains documents utiles à l'histoire des idées apparaissent dans maint récit de passion.

      Lecture interdisciplinaire du Peristephanon : passages pertinents

      269 Prudence aime faire des descriptions (cf. § 31-33), et le vocabulaire technique, par sa rareté, prend pour lui une valeur poétique (cf. § 41). En outre, le juriste lettré qu'il est souhaite faire passer un message (religieux, politique, moral, esthétique) dans plus d'un passage de ses poèmes. Les références d'un ensemble d'extraits susceptibles d'intéresser d'autres disciplines que la philologie ou l'hagiographie sont rangés ci-après par catégories (civilisation de l'Antiquité tardive, archéologie, aspects du christianisme antique et du martyre), celles qui présentent un intérêt particulier étant marquées d'un astérisque (*) ; on trouvera tout d'abord un répertoire des principaux motifs tirés de l'Écriture, ainsi que les exemples d'un genre prisé de Prudence, celui du 'catalogue'.

      270 Exempla et motifs scripturaires 587  :

      Genèse

  • - perist. 5, 193-200 : destruction de Sodome et Gomorrhe (allusion, preuve)
  • - perist. 5, 371-372 : mort d'Abel (allusion, comparaison implicite)
  • - perist. 10, 746-750 : sacrifice d'Isaac par Abraham (exemplum à suivre)

      Exode

  • - perist. 2, 363-368 : Moïse au visage resplendissant (comparaison)
  • - perist. 2, 381-384 : sortie d'Égypte, ténèbres et lumière (comparaison)
  • - perist. 3, 51-55. 59 : sortie d'Égypte, colonne de lumière (comparaison)
  • - perist. 4, 65-68 : protection sanglante contre la 10e plaie d'Égypte (allusion)
  • - perist. 5, 481-484 : passage de la mer Rouge (rappel)
  • - perist. 6, 85-91 : épisode du Buisson ardent (allusion)

      autres livres de l'Ancien Testament

  • - perist. 5, 521-536 : Isaïe martyr et les Maccabées (comparaison)
  • - perist. 6, 109-114 : les trois Hébreux dans la fournaise (comparaison)
  • - perist. 7, 66-70 : Josué et la traversée du Jourdain (rappel)
  • - perist. 10, 751-778 : les Maccabées (exemplum à suivre)

      Évangiles et Actes des Apôtres

  • - perist. 2, 369-372 : s. Étienne martyr (comparaison)
  • - perist. 5, 373-376 : mort de s. Jean Baptiste (allusion)
  • - perist. 5, 475-480 : le Christ marchant sur les eaux (allusion)
  • - perist. 7, 56-65 : le Christ et s. Pierre marchant sur les eaux (rappel)
  • - perist. 8, 15-18 : la Crucifixion et l'épanchement d'eau et de sang
  • - perist. 10, 736-745 : les saints Innocents (exemplum à suivre)

      271 'Catalogues' du Peristephanon :

  • - perist. 2, 141-164 : mendiants secourus par le diacre (description médicale)
  • - perist. 2, 233-264 : hommes corrompus, princes de ce monde (description médicale)
  • - perist. 2, 489-500. 509-528 : Romains païens convertis
  • - perist. 4, 17-64 : martyrs des cités
  • - perist. 4, 145-184 : martyrs de Saragosse
  • - perist. 10, 326-335 : créatures de Dieu
  • - perist. 11, 53-76 : 'jardin des supplices'
  • - perist. 11, 199-212 : pèlerins se rendant à Rome le jour de la fête du martyr

      272 Aspects de l'Antiquité tardive :

      institutions et civilisation

  • - perist. 2, 237-244 : luxe, avarice et vanité de l'aristocratie
  • - perist. 6, 61-66 : jeux du cirque et passion du public
  • - perist. 10, 111-150 : privilèges de la noblesse, véritable noblesse
  • - perist. 10, 1111-1115 : mise ad acta du compte-rendu officiel des supplices

      sciences et techniques

  • - perist. 2, 189-202 : critique de l'or ; extraction de l'or
  • - *perist. 9, 21-28. 35-36. 47-54. 71-82 : sténographie (enseignement, matériel)
  • - perist. 10, 886-905. 926-945. 968-1000 : ablation 'médicale' de la langue du martyr

      273 Religion païenne :

      descriptions

  • - perist. 2, 445-452 : le paganisme à Rome
  • - perist. 10, 151-165 : cultes païens (cultes orientaux, lupercales)
  • - *perist. 10, 1006-1050 : taurobole
  • - perist. 10, 1051-1090 : aspects sanglants du paganisme (sacrifices, mutilations)

      polémique contre le paganisme (cf. aussi références indiquées dans l'Appendice B, p. 130-131)

  • - perist. 3, 61-85 : vanité du paganisme et des persécuteurs
  • - perist. 10, 176-265 : immoralité et inanité des dieux du paganisme
  • - perist. 10, 266-305 : idolâtrie, art et superstition

      identification des dieux avec les démons

  • - perist. 2, 465-472 : exorcisme de Jupiter
  • - perist. 5, 33-36. 65-92 : dieux morts, dieux vains et dieux-démons

      274 Archéologie paléochrétienne :

      monuments

  • - perist. 2, 173-176 : atrium et portiques d'une basilique
  • - perist. 3, 191-200 : sanctuaire de ste Eulalie
  • - perist. 11, 1-22 : inscriptions funéraires
  • - perist. 11, 153-170 : descente dans le tombeau souterrain du martyr
  • - perist. 11, 171-194 : tombe du martyr et manifestations de piété
  • - perist. 11, 215-226 : description d'une grande basilique
  • - perist. 12, 31-44 : sanctuaire de s. Pierre (eaux, jeux de lumières, figures)
  • - perist. 12, 47-54 : S.-Paul-hors-les-Murs, aménagement intérieur

      représentations plastiques

  • - perist. 9, 9-16. 93-94 : représentation de la passion du martyr
  • - perist. 11, 123-144 : ecphrasis, recueillement des restes de s. Hippolyte

      275 Christianisme antique (pratiques, culte) :

  • - *perist. 1, 97-111 : description d'un exorcisme
  • - perist. 2, 45-108 : le christianisme vu par un païen (liturgie ; biens amassés)
  • - perist. 6, 52-60 : jeûne
  • - perist. 8, 5-8. 11-12 : baptême
  • - perist. 13, 21-34. 57-60 : conversion, de la magie à l'épiscopat
  • - perist. 14, 21-62 : virginité consacrée, attentat manqué contre la martyre

      276 Christianisme antique (idées, spiritualité) :

      -profession de foi ('kérygme') : cf. références indiquées dans l'Appendice B, p. 130-131.

      -théologie

  • - perist. 10, 311-340 : Dieu transcendant, créateur par son Verbe
  • - perist. 10, 586-590. 621-645 : la Croix au coeur de l'histoire
  • - perist. 10, 596-610 : économie de la Rédemption

      spiritualité (cf. aussi § 279, 'sens spirituel du martyre')

  • - *perist. 10, 1-25 : inspiration divine du poète
  • - perist. 10, 23-50 : sens spirituel de la persécution
  • - perist. 10, 341-365 : culte spirituel à Dieu

      christianisme et platonisme : corps et âme

  • - perist. 2, 205-232. 265-292 : santé intérieure et santé extérieure
  • - perist. 5, 357-364 : la mort, visions platonicienne et chrétienne
  • - perist. 9, 85-92 : description du processus physiologique de la mort

      christianisme et romanité

  • - *perist. 1, 25-69 : de la militia Cæsaris à la militia Christi
  • - *perist. 2, 1-20. 413-484 : accomplissement chrétien du destin de Rome
  • - perist. 10, 400-420. 611-635 : querelle sur l'antériorité des traditions religieuses

      277 Droit canon :

      organisation de l'Église

  • - perist. 2, 37-44 : diaconat
  • - perist. 2, 297-308 : femmes consacrées
  • - perist. 6, 7-27 : l'évêque et ses diacres
  • - perist. 13, 1-20. 96-106 : inspiration et office d'un docteur de l'Église

      martyre

  • - perist. 4, 89-108 : appartenance d'un martyr à une cité
  • - perist. 4, 109-144. 181-188 : martyrs survivants et confesseurs
  • - perist. 7, 16-20 : mode de mise à mort et validité du martyre
  • - perist. 11, 19-40 : conversion et martyre in extremis d'un schismatique
  • - perist. 11, 231-238 : inscription de la fête d'un martyr au calendrier

      278 Culte des martyrs :

      le martyr au Ciel

  • - *perist. 2, 553-572 : le martyr, dignitaire généreux au ciel
  • - perist. 4, 1-16. 65-76. 193-200 : dimensions civique et eschatologique du martyre
  • - perist. 14, 7-9. 61-63. 119-129 : double couronne, virginité et martyre
  • - perist. 14, 91-111 : ascension de la martyre et victoire sur le monde

      vénération des reliques

  • - perist. 4, 137-140 : ostension d'une relique
  • - perist. 5, 333-344 : vénération du martyr mourant, collecte de reliques
  • - perist. 5, 553-556 : vénération d'une relique de la passion d'un martyr
  • - perist. 6, 130-141 : collecte des reliques et admonition des martyrs

      culte public des martyrs

  • - perist. 6, 142-156 : chant collectif pour les martyrs
  • - perist. 11, 211-212. 227-230 : affluence des pèlerins le jour de la fête du martyr
  • - perist. 12, 57-64 : double célébration liturgique pour sts Pierre et Paul

      prière sur la tombe du martyr

  • - perist. 9, 5-8. 95-104 : prière au martyr, prosternation
  • - perist. 11, 175-182. 189-194 : prière dans les catacombes

      279 Passion des martyrs

      préparation au martyre

  • - perist. 3, 11-25 : la martyre, puer-senex
  • - perist. 10, 735-780 : l'exemplum comme encouragement au martyre
  • - perist. 13, 41-48 : exhortation au martyre

      scènes de supplices (cf. aussi références indiquées dans l'Appendice B, p. 130-131)

  • - perist. 2, 329-362. 397-412 : s. Laurent sur le gril
  • - perist. 10, 481-520 : comparaison entre torture et chirurgie
  • - *perist. 11, 111-152 : l'Hippolyte chrétien ; supplice et ecphrasis
  • - perist. 12, 11-20 : supplice de s. Pierre
  • - perist. 13, 76-87 : martyre par suicide collectif forcé, la Massa candida

      le persécuteur (cf. aussi références indiquées dans l'Appendice B, p. 130-131)

  • - perist. 5, 201-204. 325-328. 377-382 : fureur du persécuteur

      prophéties, miracles (cf. aussi références indiquées dans l'Appendice B, p. 130-131)

  • - perist. 2, 473-484 : prophétie relative à l'avenir chrétien de Rome
  • - *perist. 3, 161-185 : 'symphonie en blanc' lors de la mort de la martyre
  • - *perist. 5, 237-328 : miracle dans le cachot
  • - perist. 5, 397-420 : le corps du martyr protégé par les animaux
  • - perist. 5, 485-508 : le corps du martyr protégé par les éléments

      sens spirituel du martyre (cf. aussi références indiquées § 97-99)

  • - perist. 2, 501-508 : le martyre, combat contre le démon
  • - perist. 3, 131-140 : le martyre et la présence du Christ
  • - perist. 5, 213-216. 221-224 : le martyr athlète de la foi
  • - perist. 5, 265-268. 297-300 : le persécuteur, le démon, le Christ, le martyr
  • - perist. 5, 541-544 : le martyre, victoire sur le démon
  • - *perist. 8 : le martyre, baptême sanglant
  • - perist. 14, 67-84 : le martyre, noces avec le Christ
  • - perist. 14, 112-118 : le martyre, victoire sur le démon

b) État de la recherche

      Orientations de la recherche

      280 Bien qu'à partir de l'époque moderne il fût et reste considéré comme le plus grand poète chrétien de l'Antiquité latine, Prudence continue de souffrir de n'être ni un Père de l'Église, ni un poète classique - ou du moins un poète profane, donc 'antique'. Comme victime de son succès médiéval, il n'est plus vraiment étudié comme poète avant les travaux de Puech : cinquante ans après, Lavarenne voit encore dans ses oeuvres surtout un intérêt historique, le poète illustrant les préoc-cupations et l'esthétique d'une époque troublée, sinon décadente. Les études propre-ment littéraires sur Prudence sont alors essentiellement tournées vers ses sources et ses modèles ; son oeuvre est jugée à l'aune des critères classiques, et plus d'une fois, on se choque de son esthétique baroque, attribuée à un 'tempérament espagnol'.

      281 Les auteurs les plus récents, tels Kah (1990), considèrent encore Prudence selon les habituelles catégories scolaires, en voulant faire le départ entre ce qu'il y a chez le poète de spécifiquement chrétien (et donc théologique, et pré-médiéval) et de spécifiquement profane (et donc littéraire, et antique). D'autres, telles Palmer (1989) et Malamud (1989), situent Prudence dans le prolongement de la poésie profane essentiellement, et l'étudient d'après ses critères. Le préjugé voulant que Prudence use d'une forme traditionnelle (profane) pour exprimer un contenu nouveau (chrétien) doit toutefois être fortement nuancé 588 , et voire même renversé : comme le montrent Fontaine et Roberts - dont le point de vue est probablement le plus prometteur pour l'étude des poèmes prudentiens -, les pièces lyriques de Prudence s'inscrivent dans le mouvement littéraire de son temps, un alexandrinisme baroque où les formes classiques sont reconnaissables, mais radicalement transformées 589 . Les sujets traités par Prudence n'ont par contre rien de radicalement neuf : le poète reprend les thèmes et les motifs de la littérature chrétienne, opérant p.ex. une retractatio poétique de la polémique entre saint Ambroise et Symmaque (Contra Symmachum) ou de la littérature hagiographique déjà existante (passions de martyrs, hymnes ambrosiennes), dans une forme poétique nouvelle ; surtout, l'idéologie politique romaine qu'il véhicule reprend (et adapte) celle des poètes augustéens.

      282 Un angle sous lequel Prudence a été particulièrement bien étudié est celui de la paléographie ; en raison de son succès à l'époque carolingienne, la tradition manu-scrite du poète est particulièrement riche, et la valeur même des témoins en présence a suscité des controverses (prééminence du manuscrit A ; existence de deux re-censions - cf. § 207-208) et fait éclore des hypothèses plus ou moins audacieuses, comme, ici, celle de l'authenticité des titres ou, dans le cas du manuscrit U, celle d'une édition mise en page et enluminée selon un concept défini par le poète lui-même (pages en regard illustrées de manière cohérente et originale, dans la Psychomachie : les modèles des illustrations sont clairement antiques, cf. § 210). La question de l'ordre des poèmes et de leur probable organisation en une structure cohérente, posée par les divergences mêmes des manuscrits et l'existence d'un appareil de préfaces, a suscité des modèles d'architecture poétique globale, comme celui de Ludwig (1977) et celui qui a été exposé ici - question surtout étudiée, récemment, à propos du Cathemerinon 590 .

      283 Parmi les études significatives concernant le Peristephanon figurent aussi celles qui ne se consacrent qu'à l'un des poèmes, en examinant l'ensemble du dossier (litté-raire, historique, archéologique notamment) dans une approche pluridisciplinaire, qui tient aussi compte de la 'réception' du poème : tel est notamment le cas des travaux de Frutaz (1960 : perist. 14) puis de Bless-Grabher (1978 : perist. 9). Vu l'intérêt marqué du poète pour les arts plastiques et son insertion dans des débats et un mouvement esthétique propres à son époque, il importe en effet de mettre en situation chacune des pièces du Peristephanon, en recherchant l'occasion de sa composition, son enjeu propre, ses sources d'inspiration.

      Questions

      284 S'il ne faut pas réduire les oeuvres de Prudence à un pur document, il importe néanmoins de les situer dans le contexte contemporain : événements histo-riques, controverses religieuses, évolution des mentalités et de la sensibilité, et surtout histoire de la culture. Des éléments mal connus ou peu pris en compte, comme la liturgie ou les courants artistiques de son époque, ont sans conteste plus d'influence sur l'auteur du Peristephanon (en particulier pour ce qui concerne ses aspects les plus originaux) que les Fastes d'Ovide ou les scènes sanglantes de la Pharsale de Lucain. Pour comprendre Prudence, il importe probablement moins d'identifier des modèles et des sources que de connaître l'esprit du temps ; ce qui paraît véritablement significatif est la motivation du poète, ce qui l'a amené composer telle oeuvre et à y insérer tel motif - le recours à tel modèle n'est qu'une conséquence presque mécanique de ces choix, la poésie antique se devant d'être imitatio et re-tractatio. Quand bien même l'exercice est difficile, il faudrait obtenir davantage d'indices au sujet des rapports de Prudence avec trois sièges épiscopaux : celui de Milan (influence de saint Ambroise sur Prudence haut fonctionnaire), celui de Rome (influence damasienne à partir du voyage de Rome) et celui de Calagurris (rapports avec l'évêque Valérien durant la pieuse retraite de Prudence) et d'autres villes his-paniques ; ceux-ci semblent avoir évolué 591  et avoir perduré 592 .

      285 Si elle s'inscrit dans des débats d'actualité et constitue au moins en partie un arrangement organique de poèmes de circonstance, l'oeuvre de Prudence ne répond pas qu'à une attente de la part de commanditaires, mais aussi à la sensibilité et au goût d'une époque, qui se modifient profondément à la charnière des ive et ve s. Un des aspects les plus intéressants de ce fait est l'apparente contradiction entre, d'une part, un certain puritanisme, qui se traduit dans les mesures législatives de l'époque (sévérité envers toute forme de débauche sexuelle ; interdiction des jeux de gla-diateurs) et, chez Prudence, par la récurrence d'une vulgate platonicienne (où le corps est la prison de l'âme) et d'un discours moralisant voire ascétique, et d'autre part le goût du poète pour la description d'oeuvres d'art luxueuses ou de supplices ef-froyables (cf. § 31-33) et, dans la politique impériale, une dureté brutale de l'État en même temps qu'un faste aulique inouï (cf. aussi § 266). Prendre en compte la complexité de l'époque est une condition sine qua non pour comprendre de la complexité propre à l'oeuvre de Prudence.

      286 En cernant les conditions de l'émergence des poèmes de Prudence et en relevant ce que cette oeuvre a de 'normal' à son époque, il est possible de discerner ce qui reste vraiment original : non la synthèse entre culture traditionnelle et religion chrétienne, ni même une expérimentation poétique jouant avec les genres littéraires, mais l'organisation d'un ensemble de poèmes, avec des dimensions et une hétéro-généité telles que, malgré ses symétries et ses jeux de correspondance subtils, l'archi-tecture poétique du corpus prudentien, sorte de polyptique aux multiples volets, n'a rien de classique.

      287 Dans les études prudentiennes, il est enfin un aspect qui devrait être déve-loppé, indépendamment même d'une tendance aujourd'hui à la mode : la 'réception' de l'oeuvre de Prudence. L'auteur écrivait davantage pour son temps que pour la postérité, comme le montre son engagement dans des controverses contemporaines ; cependant, après une éclipse de plus d'un demi-siècle - la seule avant l'époque moderne - qui suivit, semble-t-il, pour des raisons qui nous sont peu claires, immédiatement la publication de ses oeuvres, Prudence apparaît comme un classique et devient véritablement un auteur de premier plan à l'époque 'romane' du Moyen-Âge, dans la civilisation monastique. Les motifs de ce succès tardif et la nature de l'influence de Prudence à cette époque méritent une attention toute particulière.

      Conclusion

      288 Le premier discours du persécuteur à saint Laurent se conclut par l'invitation ironique 'Estote uerbis diuites !' (perist. 2, 108 : ' Soyez à l'avenir riches de mots !') ; le dernier discours du martyr se conclut par ce quatrain prophétique (perist. 2, 481-484) : 'Tunc pura ab omni sanguine | tandem nitebunt marmora, | stabunt et æra innoxia, | quæ nunc habentur idola' ('Alors, purs de tout sang, brilleront enfin les marbres, se dresseront aussi les bronzes inoffensifs, qui maintenant sont traités comme des idoles'). Sarcastique et cynique, le préfet laisse aux chrétiens la liberté de dire et de croire ; avec la clémence du vainqueur, le martyr espère la sauvegarde de l'art profane, débarrassé des croyances perverses. On pourrait entrevoir ici le paradigme fréquemment énoncé à propos de Prudence : forme profane, sujet chrétien. En fait, le même poème montre en saint Laurent le champion de la romanité, et assimile l'action du persécuteur à celle des barbares - il semble donc y avoir une dialectique relativement complexe ; en fait, Prudence dépasse cette opposition, en voyant dans l'Empire le moyen providentiel d'une præparatio euangelica (ou ecclesiastica), et en attribuant au martyr triomphant une couronne (cf. perist. 2, 556) dont il serait vain de décréter qu'il s'agit davantage de la corona ciuica christianisée ou de la couronne du martyre romanisée. Pour comprendre la synthèse, voire la fusion opérée par Prudence, il importe de dépasser l'analyse univoque de ses poèmes et de les considérer selon l'analogie : le Peristephanon assume en effet totalement l'héritage de la poésie latine, jusque dans ses thèmes traditionnels, et n'en n'est pas moins authen-tiquement chrétien. Ainsi, l'invocation au martyr de perist. 10, 1-25 répond à la fois aux traditions poétiques les plus éculées et à la piété chrétienne la plus sincère : cette sincérité religieuse donne une vigueur inouïe au motif profane, et le caractère convenu d'une telle invocation montre en même temps à quel point le christianisme n'est pas pour Prudence un élément hétérogène dans une culture antique devant être abolie, mais peut s'y incarner et la continuer.

      289 Dans son oeuvre d'adaptation et de transposition, Prudence est conscient d'être pleinement dans la logique de la romanité, à la fois assimilatrice et missionnaire - face à la culture traditionnelle, le poète adopte une attitude généralement sans compromission ni manichéisme. Il opère avec ses modèles classiques de la même manière que les architectes chrétiens : même si le plan de l'église-basilique reproduit celui d'édifices profanes où parfois des martyrs avaient été condamnés à mort, même si ses colonnes peuvent être reprises de temples païens où étaient honorés les démons, ces dernières n'en demeurent pas moins dans leur emploi et dans leur aspect effectivement des colonnes gréco-romaines, et la basilique est véritablement et totalement un sanctuaire chrétien.

      290 Enfin, il reste un fait qu'il ne faudrait en aucun cas sous-estimer : Prudence, poète théodosien 593  comme (mutatis mutandis) Virgile et Horace sont poètes augus-téens, ne se veut pas qu'un artiste, mais produit son oeuvre en tant qu'élément d'une civilisation, reflétant ou même contribuant à forger la sensibilité et les valeurs culturelles, civiques et spirituelles de son temps. En même temps, Prudence se veut moins le porte-parole d'un système ou d'une idée qu'un chrétien qui s'offre lui-même, dans son activité de poète, pour l'édification de ses contemporains et finalement pour son salut éternel.


Bibliographie


Généralités

      Le texte du Peristephanon est établi ici sur la base des éditions de Bergman, de Cunningham et de Lavarenne, d'éventuelles divergences entre eux ou avec eux étant signalées. On a souvent utilisé l'Étude sur la langue du poète Prudence de Lavarenne, qui fournit aussi de précieuses indications bibliographiques 594 , ainsi que l'index des général aux oeuvres de Prudence établi par Deferrari & Campbell 595 .

      Au sens strict, la liste des ouvrages écrits sur le Peristephanon se limite pour l'essentiel à ceux d'Ermini (1914), Marchesi (1917), Bayo (1946), Malamud (1989), Palmer (1989) et Roberts (1993), auxquels on doit ajouter les études, plus brèves ou plus spécialisées, de Paronetto (1957), Pellegrino (1960-1961), Cunningham (1963), Opelt (1967), Richard (1969), von Kennel (1975), Riposati (1979), Henderson (1983/1990), Petruccione (1985) et Evenpoel (1996). Une importante partie du reste des ouvrages cités ci-après concerne le poète Prudence et l'ensemble de son oeuvre 596  : biographie 597 , spiritualité et pensée 598 , style et conceptions poétiques 599 , langue et métrique 600 , sources 601 , transmission du texte 602 , commentaires médiévaux 603 . Les articles qui concernent plus particulièrement un ou certains poèmes du recueil sont signalés dans les Notices de ceux-ci (cf. les notes liminaires pp. 4. 148 pour les abréviations utilisées) ; tel est généralement aussi le cas des études relevant de l'archéologie ou de l'histoire de l'art, pour lesquels le choix - très restreint - qui a été fait peut paraître arbitraire : bien sûr, de Rossi y figure, en raison des nombreuses références à Prudence qu'il fait dans ses articles, mais on a préféré ne pas ouvrir l'ensemble du dossier de la tombe de saint Pierre, même si perist. 12 pouvait y inviter. Les études proprement hagiographiques s'insèrent mieux dans la problématique envisagée ici 604 .

      Les histoires de la littérature et les encyclopédies, depuis Gennade (ve s.), répètent grosso modo les données figurant aux §§ 1-14, y ajoutant trop souvent des erreurs flagrantes, minimes (datation de la Præfatio en 405 au lieu de 404 ; cf. § 5) ou plus substantielles (théorie des deux 'heptades' de poèmes du Peristephanon, et de leur composition successive selon l'ordre numérique moderne : cf. § 252).

      Éditions des oeuvres de Prudence

      Une liste détaillée des éditions, à commencer par l'incunable de 1492, ainsi que des traductions des oeuvres de Prudence dans diverses langues est donnée par Rodriguez dans son introduction à l'édition indiquée ci-dessous (p. 71*-75*).

  • Arevalo Faustinus : M. Aurelii Clementis Prudentii V. C. carmina... , Romæ 1787-1788 [= PL 59-60]
  • Bergman Johannes : Aurelii Prudentis Clementis carmina = CSEL 61, Vindobonæ - Lipsiæ 1926
  • Cunningham Maurice P. : Prudentii carmina (= CCL 126), Turnhout 1966
  • Lavarenne Maurice : Prudence, texte établi et traduit, Paris 1943-1951 (4 t.) ; t. 4 : Le livre des Couronnes (Peristephanon liber) - Dittochæon - Épilogue (11951 ; 21963)
  • Ortega A. & Rodriguez Isidoro : Obras completas de Aurelio Prudencio, Madrid 1981
  • Petrvs Henricus : Aurelii Prudentii Clementis... opera, cum Sichardi et Erasmi commentariis, Basileæ 1540
  • Sichardvs Iohannes = Sichard Johann : Aurelii Prudentii Clementis, uiri consularis, Psychomachia, Cathemerinon, Peristephanon, Apotheosis, Hamartigenia, Contra Symmachum præfectum Vrbis libri duo, Enchiridion noui et ueteris Testamenti, Basileæ 1527
  • Thomson Henri John : Prudentius. With an English Translation (2 t.), Cambridge Mass.-London 1949-1953

Études et autres ouvrages utilisés

      Dans cette liste (par auteurs, puis ordre chronologique), les revues sont citées selon les abréviations de l'Année Philologique.

  • AA.VV. 1977 : Ricerche su Ippolito, Roma
  • AA.VV. 1969 : Sæcularia Petri et Pauli (Studi di antichità cristiana 28), Città del Vaticano
  • Alamo M. 1939 : 'Un texte du poète Prudence. Ad Valerianum episcopum (Perist., hymn. xi)', RHE p. 750-756
  • Aldana García Maria Jesús & Herrera Roldán Pedro 1997 : 'Prudencio entro los mozárabes cordobeses : algunos testimonios', Latomus 56 p. 765-783
  • Alfonsi Luigi 1951 : 'Nota prudenziana', Latomus 10 p. 27-28
  • Amore Agostino 1954 : 'Note su Ippolito martire', RAC 30 p. 63-97
  • -- 1975 : I martiri di Roma, Roma
  • Argenio Raffaele 1967 : 'Prudenzio a Roma visita le basiliche di S. Pietro e di S. Paolo', RSC 15 p. 170-175
  • -- 1968 : 'Due corone di Prudenzio' [perist. 6.14], RSC 16 p. 257-283
  • -- 1970 : 'Due corone di Prudenzio : S. Quirino e S. Cassiano, pres. e trad.', RSC 18 p. 58-79
  • -- 1973 : 'Roma immaginata e veduta dal poeta cristiano Prudenzio', StudRom 21 p. 25-37
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  • Wieland Gernot R. 1983 : The latin glosses on Arator and Prudentius in Cambridge U.L. ms. Gg 5.35, Toronto & Leiden
  • -- 1994 : 'The Prudentius manuscript CCCC 223', Manuscripta 38 p. 211-227
  • Wilson Anna 1995 : 'Reflections on ekphrasis in Ausonius and Prudentius', in Ethics and rhetoric: classical essays for Donald Russel (édd. Innes, Hine & Pelling), Oxford, p. 149-159
  • Wilson Nigel G. : cf. Reynolds Leighton D. & Wilson Nigel G.
  • Winstedt Eric Otto 1903 : 'The double recension in the poems of Prudentius', CR 17 p. 203-207
  • -- 1904 : 'Notes on the mss of Prudentius', JPh 29 p. 166-180
  • Witke Charles 1968 : 'Prudentius and the tradition of Latin poetry', TAPhA 99 p. 509-525
  • -- 1971 : Numen Litterarum. The Old and the New in Latin Poetry from Constantine to Gregory the Great, Leiden - Köln
  • Woodruff Helen 1930 : The illustrated manuscripts of Prudentius, Cambridge Mass.
  • Wytzes Jelle 1977 : Der letzte Kampf des Heidentums in Rom, Leiden
  • ,Zanchi Roppo Franca 1969 : Vetri paleocristiani a figure d'oro conservati in Italia, Bologna
  • Zehnacker Hubert & Fredouille Jean-Claude 1993 : Littérature latine, Paris

Appendice A : liste des oeuvres de Prudence

      (abréviation ; titre ; mètre ; dimensions)

      
præf. Præfatio str. 3 : glyconique
+ asclépiade mineur
+ asclépiade majeur
45 vv.
 
cath. Liber Cathemerinon   1654 vv.
cath. 1 Hymnus ad galli cantum str. 4 : dimètre iambique 100 vv.
cath. 2 Hymnus matutinus str. 4 : dimètre iambique 112 vv.
cath. 3 Hymnus ante cibum str. 5 : trimètre dactylique
hypercatalectique
205 vv.
cath. 4 Hymnus post cibum str. 3 : hendécasyllabe
phalécien
102 vv.
cath. 5 Hymnus ad incensum lucernæ str. 4 : asclépiade mineur 164 vv.
cath. 6 Hymnus ante somnum str. 4 : dimètre iambique
catalectique
152 vv.
cath. 7 Hymnus ieiunantium str. 5 : trimètre iambique 220 vv.
cath. 8 Hymnus post ieiunium str. (4) sapphique 80 vv.
cath. 9 Hymnus omnis horæ str. 3 : tétramètre trochaïque
catalectique
114 vv.
cath. 10 Hymnus circa exsequias defuncti str. 4 : dimètre anapestique
catalectique
172 vv.
cath. 11 Hymnus viii Kal. Ianuarias str. 4 : dimètre iambique 116 vv.
cath. 12 Hymnus Epiphaniæ str. 4 : dimètre iambique 208 vv.
 
de Tr. Hymnus de Trinitate hexamètre dactylique 12 vv.
 
apoth. præf. (præfatio) dist. : trimètre iambique
+ dimètre iambique
56 vv.
apoth. Apotheosis hexamètre dactylique 1084 vv.
ham. præf. (præfatio) trimètre iambique 63 vv.
ham. Hamartigenia hexamètre dactylique 966 vv.
psych. præf. (præfatio) trimètre iambique 68 vv.
psych. Psychomachia hexamètre dactylique 915 vv.
c. Symm. Contra Symmachum   1944 vv.
c. Symm. 1 præf. (præfatio) asclépiade mineur 89 vv.
c. Symm. 1 (liber primus) hexamètre dactylique 657 vv.
c. Symm. 2 præf. (præfatio) glyconique 66 vv.
c. Symm. 2 (liber secundus) hexamètre dactylique 1132 vv.

      
perist. Peristephanon liber   3742 vv.
perist. 1 Hymnus in honorem sanctorum martyrum Emeteri et Chelidoni Calagurritanorum str. 3 : tétramètre trochaïque
catalectique
120 vv.
perist. 2 Passio Laurentii beatissimi martyris str. 4 : dimètre iambique 584 vv.
perist. 3 Hymnus in honorem passionis Eulaliæ beatissimæ martyris str. 5 : trimètre dactylique
hypercatalectique
215 vv.
perist. 4 Hymnus in honorem sanctorum decem et octo martyrum Cæsaraugustanorum str. (4) sapphique 200 vv.
perist. 5 Passio sancti Vincenti martyris
str. 4 : dimètre iambique 576 vv.
perist. 6 Hymnus in honorem beatissimorum martyrum Fructuosi episcopi ecclesiæ Tarraconensis et Augurii et Eulogii diaconorum str. 3 : hendécasyllabe
phalécien
162 vv.
perist. 7 Hymnus in honorem Quirini beatissimi martyris episcopi ecclesiæ Siscianæ str. 5 : glyconique 90 vv.
perist. 8 De loco in quo martyres passi sunt,
nunc baptisterium est Calagorra
distique élégiaque 18 vv.
perist. 9 Passio Cassiani Forocorneliensis dist. : hexamètre dactylique
+ trimètre iambique
106 vv.
perist. 10 Romanus
contra gentiles
str. 5 : trimètre iambique 1140 vv.
perist. 11 Ad Valerianum episcopum
de passione Hippolyti beatissimi martyris
distique élégiaque 246 vv.
perist. 12 Passio Apostolorum
dist. : archiloquien,
+ trimètre iambique
catalectique
66 vv.
perist. 13 Passio Cypriani
archiloquien catastichon 106 vv.
perist. 14 Passio Agnes
hendécasyllabe alcaïque
catastichon
133 vv.
 
epil. Epilogus dist. : dimètre trochaïque,
+ trimètre iambique
catalectique
34 vv.

      
ditt. Dittochæon
(Tituli historiarum)
str. 4 : hexamètre dactylique 192 vv.


Appendice B : motifs propres aux 'passions littéraires' dans le Peristephanon

      Cette comparaison permet de constater le caractère généralement récurrent de ces nombreux motifs narratifs ou thématiques (sauf pour perist. 4 et 8, sans structure narrative comparable), malgré la diversité des poèmes (style, forme, dimensions, ton, abondance ou rareté du parlé, etc.). Le facteur chronologique joue un rôle, mis en évidence avec les cases vides ombrées.

      

      
Passio : perist. 2
(Laurent)
5
(Vincent)
9
(Cass.)
11
(Hippol.)
12
(P./P.)
13
(Cypr.)
14
(Agn.)
Passé du martyr 37-44 30-32 21-28 19-24   16-34  
La persécution (58-60)   29-30 25-38   35-48 10-14
Arrestation, comparution 53-56   31-36 39-86 27 49-50. 88-89  
Édit de persécution   13-16. 21-28   (5-6) 11 81-82  
Le juge : menaces, propos captieux 57-108 17-20. 47-52. 175-184         15-30
Le juge : fureur, invectives 182-184. 313-328. 353-356 41-46. 97-108. 129-136. 201-204. 325-328. 377-384   60. 63 23   63-64
Le juge (ou les bour-reaux) : étonnement 182. 314 129-136. 309-310. 325          
Le juge : sentence, ordres aux bourreaux 333-356. 405 109-116. 137-144. 205-208. 329-332.
385-396. 433-464
37-42 64-76. 87-88 11-12. 24 92-94 65-66
Torture : par le fer   113-116. 173-174 44-64 57-58      
Torture : par le feu 341-349. 397-398 206-208. 217-220. 225-231          
Autres supplices   109-112. 251-264   55-56 76-79. 84-85    
Le martyr : défi, invectives 261-264. 399-409 53-64. 117-120. 145-172 (65-66)   (15-16)   31-37. 67-80
Le martyr : polé-mique anti-païenne 261-264. 445-456 33-36. 65-92          
Le martyr : kérygme   37-40. 57-60       90-91  
Le martyr : sermon moral ou religieux 113-132. 185-312 157-160     41-48    
Le martyr : hymne, prière 413-472 235   110 55-69. 95   52-56. 81-87
Le martyr : prophétie 21-32. 473-484 185-200     25-26. 28   36-37
Bourreaux épuisés   121-124. 133-140 67-68 59      
Le public 489-496 309-324. 345-352 35-36 79-84     40-60
Les autres chrétiens   333-344   133-152      
Les anges   281-304         92-93
Apparitions, visions              
Autres miracles 361-392 269-324. 397-420. 473-504         57-60
Incarcération   238-332   53   51-75  
Exécution       119-122 17. 27 83-85 89
Mort, montée au ciel 485-488. 553-560 353-376 85-92   19-20 86 91-123

      
Hymnus : perist. 1
(Calahor.)
3
(Eulalie)
6
(XVIII)
7
(Quir.)
Romanus : perist. 10
Passé du martyr 31-33. 37-39 1. 11-25     112-113. 123-124
La persécution 34-45 26-65   6-10 51-60
Arrestation, comparution   64-65 10-15. 32-33   36-45. 61-70
Édit de persécution 40-45 26-30 34-42   31-35. 176-177. 916-920
Le juge : menaces, propos captieux   101-120     76-95. 173-175. 421-425. 573-585. 686-695
Le juge : fureur, invectives   96 49   108. 111. 171-172. 391-425. 547. 679. 811-815. 866-875. 962-975. 1003
Le juge (ou les bour-reaux) : étonnement 91-92 173-175     571-572. 676. 961
Le juge : sentence, ordres aux bourreaux   97-100 50   446-450. 548-555. 794-795. 821-825. 876-895. 1101-1107
Torture : par le fer 49 131-135. 146-148     451-455. 484-485. 557-560. 796-799. 896-905
Torture : par le feu 50. 56 118-120. 149-160 67-72. 100-117 12 486-490. 576-577. 846-852
Autres supplices 56-57. 70-72. 81 117   12-13 109-110. 114-120. 491-493. 696-705
Le martyr : défi, invectives 64-69 66-95. 126-130     51-52. 71-75. 96-100. 136-150. 386-390. 458-465. 516-520. 561-570. 651-670. 800-810. 816-820. 928-960. 1091-1095
Le martyr : polémique anti-païenne 69 69-84     101-107. 147. 151-170. 176-310. 371-385. 611-620. 1007-1090
Le martyr : kérygme     44-47   466-470. 586-587. 672-675
Le martyr : sermon moral ou religieux     51. 54-60. 76-84 41-45 53-55. 122-135. 311-370. 426-445. 466-545. 586-610. 621-650. 681-685
Le martyr : hymne, prière   136-140 106-117 56-85 122
Le martyr : prophétie         853-855. 1096-1100
Bourreaux épuisés         456-457. 706-707. 809-810
Le public 91       707-710
Les autres chrétiens     52-53. 73-75. 130-135 31-35. 38 56-60
Les anges   48     1121-1130
Apparitions, visions 82-90 171-175 121-129. 136-141    
Autres miracles     91-99 26-30. 46-50 856-865. 928-960
Incarcération 46. 81   16-31   794. 1106-1107
Exécution 55. 93 116   11-15. 21-25 835-836. 1108-1109
Mort, montée au ciel   161-170 118-120 86-90 1110


Appendice C : titre des poèmes dans la tradition manuscrite

      Pour évaluer la valeur des titres transmis, on s'est basé sur un nombre assez important de mss, même tardifs (liste ci-dessous avec abréviation utilisée ; cf. § 211-218) 605 .

      
Famille aa
a Boulogne-s.-Mer, B. mun., 189 (s. xi) b London, Brit. Libr., Harley 4992 (s. xiii)
C Cambridge, Corpus Christi, 223 (s. ix) c Oxford, Bodl. Libr., auct. F 3. 6 (s. xi)
D Durham, Dean and Chapter Libr.,
B 4. 9 (4446) (s. xin)
A Paris, B. nat., Lat. 8084 (s. vi)

      
Famille ab
d Arras, B. mun., 670 (727) (s. xiii) N Paris, B. nat., Lat. 8305 (s. xin)
e Avranches, B. mun., 241 (s. xii) V Roma, B. Ap. Vat., Reg. Lat. 321 (s. ix)
B Milano, B. Ambr., D 36 sup. (s. viiin) J Saint-Omer, B. mun., 306 (s. x)
T Paris, B. nat., Lat. 8087 (s. ix)    

      
Famille ba
f Auxerre, B. mun., 484 (a. 1472) F Paris, B. nat., Lat. 8085 (s. ix)
g Bern, Burgerb., 394 (s. x uel ix) P Paris, B. nat., Lat. 8086 (s. xin)
h Bruxelles, B. royale, 9987-9991 (s. xi) k Paris, B. nat., Lat. 8306 (s. xi)
E Leiden, B. Rijksuniv., Burm. Q 3 (s. xin) l Roma, B. Ap. Vat., Vat. Lat. 3859 (s. x)
Trier, Stadtb., 1093 (s. x)
i London, Brit. Libr., Harley 3023 (s. xii) m
j Oxford, Bodl. Libr., auct. T 2.22 (s. xiin)    

      
Famille bb
U Bern, Burgerb., 264 (s. ixex) O Oxford, Bodl. Libr., Oriel 3 (s. x)
n Bruxelles, B. royale, 9968-9972 (s. xi) t Paris, B. Mazar., 3858 (25) (s. xivex)
o Genève, B. Bodmer, 142 (s. [xi-] xii) u Paris, B. nat., Lat. 8088 (s. xii)
p London, Brit. Libr., addit. 15090 (s. xi-xii) v Paris, B. nat., Lat. 8307 (s. xi)
q London, Brit. Libr., addit. 16894 (s. xi) w Paris, B. nat., n. acqu. Lat. 241 (s. x-xi)
r London, Brit. Libr., addit. 34248 (s. xin) w' = sommaire ajouté en tête de w
B' = B, compléments (s. x) x Roma, B. Ap. Vat., Vat. Lat. 3860 (s. x)
Roma, B. Ap. Vat., Vat. Lat. 5821 (s. x)
M Monte Cassino, 374 (s. ix) y
M' = M, compléments (s. xi) z St. Gallen, Stiftsb., 135 (s. x)
s Montpellier, B. fac. méd., H 219 (s. x) S St. Gallen, Stiftsb., 136 (s. ix-xin)

      La présentation ci-après du libellé des titres ignore certaines variantes orthographiques (noms propres ou noms martyr ou hymnus) 606 , des éléments syntaxiques mineurs (in honore ou in honorem) et même l'usage du positif ou du superlatif (beatus ou beatissimus). Le jeu des abréviations vise à faire ressortir les éléments structurels essentiels :

      La dédicace de perist. 11 et sa préposition de liaison suivie du titre (Ad Valerianum episcopum de... : Ded. +) sont également abrégées, de même que la conjonction et (&).

      Sauf mention contraire, les explicit et corrections d'une 2e main n'ont pas été retenus.

      Perist. 1 : Hymnus in honorem sanctorum martyrum Emeteri et Chelidoni Calagurritanorum

      Le titre retenu est bien attesté dans 3 familles de mss, notamment dans d'importants mss. Les variantes en omettent ou en déplacent des éléments. Absence de titre : Dac 607  (fam. aa) ; absence du poème : U (fam. bb) ; absence du début du poème : y (fam. bb).

      
Hymn. i.h. sanct. mart. E. & Ch. Ca. ACb, BJTVd, npst 608  aa ab bb
Hymn. sanct. mart. E. & Ch. Ca. EFPfghijklm 609  ba
Hymn. i.h. sanct. mart. E. & Ch. N, O ab bb
Hymn. i.h.       mart. E. & Ch. Ca. Soqrvwx 610  bb
Hymn. i.h.       mart. E. & Ch. Mv 611  bb
      i.h.       mart. E. & Ch. Ca. u bb
Hymn. i.h. sanct. mart. Ca. E. & Ch. e ab
Hymn. i.h. E. & Ch. mart. Ca. z bb
Hymn. mart. w' 612  bb

      Perist. 2 : Passio Laurentii beatissimi martyris

      Le titre retenu est bien attesté par d'importants mss de 2 familles, nonobstant la variante ajoutant 'Hymnus in honorem' à ce titre dans 2 mss importants. Les autres variantes consistent surtout à remplacer beatissimus accordé à martyr par sanctus accordé au nom propre (lectio facilior) et comportent parfois l'ajout du nom diaconus. Absence de titre : Da, F, u 613  (fam. aa ba bb).

      
Pass. L. beat. mart. BJNTVd, EPghjk ab ba
Hymn. i.h. pass. L. beat. mart. ACc aa
Pass. L. mart. m ba
Pass. sanct. L. mart. b, OSnoprsy aa bb
Pass. sanct. L. f, Uqvwx w'  614  ab bb
Pass. sanct. L. diac. & mart. e, M' ab bb
Pass. sanct. L. mart. & diac. t bb
Pass. beat. L. l ba
Pass. sanct. mart. L. i ba
Hymn. i.h. L. diac. & mart. z bb

      Perist. 3 : Hymnus in honorem passionis Eulaliæ beatissimæ martyris

      Le titre retenu est très bien attesté par des mss importants de toutes les familles. Les variantes, nombreuses, n'existent que dans des mss isolés. Absence du poème : h (fam. ba).

      
Hymn. i.h. pass. E. beat. mart. ACDac, JNTVd, EFPgjklm, S 615  aa ab
ba bb      
Pass. E. beat. mart. M' bb
Hymn. i.h. E. beat. mart. B ba
Hymn. i.h. E. mart. i, x ba bb
Hymn. i.h. pass. E. O bb
Hymn. pass. sanct. E. uirg. U bb
Hymn. i.h. sanct. E. uirg. e, v ab bb
Hymn. i.h. sanct. E. uirg. & mart. tu w' bb
Hymn. i.h. sanct. E. n bb
Hymn. i.h. E. uirg. q bb
Pass. E. uirg. z bb
Pass. sanct. E. uirg. p bb
Hymn. i.h. beat. mart. E. y bb
Hymn. i.h. beat. E. mart. rsw (o) 616  bb
Hymn. i.h. pass. beat. E. mart. b aa
Hymn. i.h. pass. beat. E. mart. & uirg. f ba

      Perist. 4 : Hymnus in honorem sanctorum decem et octo martyrum Cæsaraugustanorum

      Le titre retenu est très bien attesté par des mss importants de toutes les familles. Les variantes en omettent des éléments, en particulier l'épithète sanctus. Absence de titre : F (fam. ba).

      
Hymn. i.h. sanct. XVIII mart. C. ACDabc, BJNTVd, EPf, M'OSnopqrsty 617  aa ab
ba bb
Hymn. i.h. sanct. XVIII C. e ab
Hymn. XVIII mart. C. U bb
Hymn. i.h. XVIII mart. C. ghijklm, wz w' (u) 618  ba bb
Hymn. i.h. mart. C. x bb
Hymn. i.h. C. v bb

      Perist. 5 : Passio sancti Vincenti martyris

      Le titre retenu est très bien attesté par la plupart des mss de toutes les familles. Les quelques variantes, diverses, n'existent généralement que dans des mss isolés. Absence de titre : F (fam. ba) ; titre mutilé : h, y (fam. ba bb) ; absence du début du poème : U (fam. bb).

      
Pass. sanct. V. mart. ACDac, JNTVd,
EPfgijl, B'OSnopqrsuvwx
aa ab
ba bb
Pass. sanct. V. m, M (w')  619  ba bb
Pass. V. mart. k, z ba bb
Pass. sanct. V. diac. & mart. e ab
Pass. beat. V. mart. t bb
Hymn. i.h. V. mart. b aa

      Perist. 6 : Hymnus in honorem beatissimorum martyrum Fructuosi episcopi ecclesiæ Tarraconensis et Augurii et Eulogii diaconorum

      Le titre retenu est bien attesté par des mss de toutes les familles. Les variantes, nombreuses, en omettent le plus souvent certains des nombreux éléments (in honorem ; conjonctions). Absence de titre : F 620  (fam. ba) ; absence du poème : A (fam. aa).

      
Hymn. i.h. beat. mart. F. ep. eccl. T.
& A. & E. diac.
CDc, BJNTVd,
f, s 621 
aa ab
ba bb
Hymn. i.h. beat. mart. F. ep. eccl. T.
& A. & E.
a aa
Hymn. i.h. beat. mart. F. ep.
A. & E. diac.
jm ba
Hymn. i.h. beat. mart. F. ep.
A. & E.
EPghikl ba
Hymn. beat. mart. F. ep. eccl. T.
& A. & E.
U bb
Hymn. beat. mart. F. ep. eccl. T.
& A. & E. diac.
Snopqruwxy 622  bb
Hymn. beat. mart. F. ep.
& A. & E. diac.
v bb
Hymn. mart. F. ep. eccl. T.
& A. & E. diac.
M bb
Hymn. mart. F. ep.
A. E. diac.
O bb
Hymn. i.h. sanct. mart. F. ep. eccl. T.
A. quoque & E. diac.
t bb
Hymn. i.h. sanct. mart. F. ep. eccl. T.
& A. & E. diac.
e ab
Hymn. sanct. mart. F. ep.
A. & E. diac.
w' bb
Hymn. beat. mart. F. ep. T. eccl.
& A. & E. diac.
b aa
Hymn. i.h. mart. F. T. ep.
A. & E. diac.
z bb

      Perist. 7 : Hymnus in honorem Quirini beatissimi martyris episcopi ecclesiæ Siscianæ

      Le titre retenu est bien attesté par d'importants mss de 3 familles ; les variantes, diverses, en omettent ou en déplacent des éléments ou remplacent beatissimus accordé à martyr par sanctus accordé au nom propre (lectio facilior). Absence du poème : A (fam. aa).

      
Hymn. i.h. Q. beat. mart. ep. eccl. S. CDac, BJNTVd (e), Efghkl (i) 623  aa ab
ba
Hymn. i.h. Q. mart. ep. eccl. S. F, z ba bb
Hymn. i.h. beat. mart. ep. eccl. S. j ba
Hymn. i.h. Q. beat. mart. & ep. eccl. S. P, s ba bb
Hymn. i.h. Q. mart. & ep. eccl. S. b, SUnopr (M) 624  aa bb
Hymn. i.h. sanct. Q. mart. m, O ba bb
Hymn. i.h. sanct. Q. mart. & ep. eccl. S. qtuy (w) bb
Hymn. sanct. Q. mart. (ep.) eccl. S. w' bb
Hymn. i.h. sanct. Q. mart. & ep. S. eccl. x bb
Hymn. i.h. Q. mart. & ep. S. eccl. v bb

      Perist. 8 : De loco in quo martyres passi sunt, nunc baptisterium est Calagorra

      Ce titre très différent des autres ne remonte probablement pas à l'auteur ; perist. 8, inscription qui ne nécessitait pas a priori de titre, a été intégré tardivement dans le recueil (cf. § 189).

      Perist. 9 : Passio Cassiani Forocorneliensis

      Le titre est bien attesté par des mss de toutes les familles. Le plus souvent, les variantes augmentent ce titre ; la variante la plus répandue ajoute l'adj. sanctus avant le nom (lectio facilior d'apparence plutôt tardive). Absence du poème : A, v (fam. aa bb).

      
Pass. C. F. CDab, JNTVde, EPghjkm, n aa ab ba bb
Pass. C. mart. F. (i), p 625  ba bb
Pass. C. F. mart. z bb
Pass. sanct. C. F. c, B, (l), M'OSorstuxy w' (U) 626  aa ab ba bb
Pass. sanct. C. q bb
Pass. sanct. mart. C. F. w bb
Pass. beat. mart. C. F. f ba
Pass. beat. C. mart. F. F ba

      Perist. 10 : Romanus contra gentiles

      Ce titre sensiblement différent des autres remonte probablement à l'auteur ; perist. 10, para-tragédie, servait de pièce de transition entre les poèmes hexamétriques et le Peristephanon, dans lequel il a été artificiellement intégré à l'époque moderne (cf. § 125).

      Perist. 11 : Ad Valerianum episcopum de passione Hippolyti beatissimi martyris 627 

      Le titre est bien attesté par des mss de toutes les familles. Certaines variantes portent sur la formule de dédicace ; les plus fréquentes substituent à l'épithète beatissimus, accordée avec martyr, l'épithète sanctus, accordée avec le nom propre (lectio facilior d'allure assez tardive). Absence de titre : F (fam. ba) ; absence du poème : A (fam. aa).

      
Ded. + pass. H. beat. mart. Ca, JNTVd, EPfghjm (l), M' 628  aa ab
ba bb
Ded. pass. H. beat. mart. k ba
Ded. + pass. H. mart. e, i, orvxyz ab ba bb
Ded. + pass. sanct. H. beat. mart. Dc aa
Ded. + pass. sanct. H. mart. b, B'OSUnpqsuw aa bb
Pass. sanct. H. w' bb
Ded. + pass. beat. H. mart. f ba
Pass. sanct. H. mart. ded. t bb

      Perist. 12 : Passio Apostolorum

      Le titre retenu est attesté dans des mss importants issues de 3 familles différentes ; sa brièveté est à mettre en parallèle avec celle du titre de perist. 13 et 14. Les variantes augmentent ce titre d'éléments présents dans d'autres titres de poèmes, ici notamment le nom des deux Apôtres (Petrus ; Paulus) désignés par leur seule fonction, conformément à l'usus auctoris (cf. Comm., -> 2, 460). Absence de titre : a, F (fam. aa ba) ; absence du poème : A, p (fam. aa bb).

      
Pass. Apost. C, Ne, EPghijkm aa ab ba
Pass. sanct. Apost. b, B'Mn aa bb
Pass. sanct. Apost. Pe. & Pa. Sst w'  629  bb
Pass. beat. Apost. Pe. & Pa. TVJd ab
Pass. Apost. Pe. & Pa. Dc, fl, OUquwxyz aa ba bb
Pass. sanct. Pe. & Pa. or bb
Pass. Pe. & Pa. v bb

      Perist. 13 : Passio Cypriani

      Le titre retenu est attesté dans des mss importants issus de 2 familles différentes ; sa brièveté est à mettre en parallèle avec celle du titre de perist. 14, mieux attesté, ainsi que de perist. 12. Les variantes augmentent ce titre d'éléments présents pour d'autres poèmes. Absence de titre : a, Fm (fam. aa ba) ; absence du poème : A (fam. aa).

      
Pass. C. CDc, Eghjk aa ba
Pass. C. mart. Pi, z ba bb
Pass. C. sanct. mart. N ab
Pass. sanct. C. mart. e, uv ab bb
Pass. sanct. C. l, qwxy w' 630  ba bb
Pass. beat. C. b, B'MSUnor aa bb
Pass. beat. C. mart. JTVd, Ops ab bb
Pass. beat. C. mart. & episc. t bb
Pass. sanct. C. episc. f 631  ba

      Perist. 14 : Passio Agnes

      Le titre retenu est bien attesté dans 3 familles de mss et constitue clairement une lectio difficilior (génitif Agnes) ; sa brièveté est à mettre en parallèle avec celle du titre de perist. 13 ainsi que de perist. 12. Les variantes augmentent ce titre d'éléments présents dans d'autres titres de poèmes. Absence de titre : a, F, q (fam. aa ba bb) ; absence du poème : A (fam. aa).

      
Pass. A. Cc, BJNTVd, E, ghk 632  aa ab ba
Pass. sanct. A. Pijm, p ba bb
Pass. A. uirg. f ba
Pass. sanct. A. uirg. Db, e, l, OSUnorstwxy w' aa ab ba bb
Pass. sanct. A. uirg. & mart. uv bb
Pass. sanct. A. mart. z bb
Pass. sanct. uirg. A. M' bb


Index des manuscrits

      Manuscrits cités dans l'Introduction (renvois aux paragraphes, le cas échéant aux notes) ; le cas échéant, leur désignation par une lettre correspond à la classification donnée à l'Appendice C, p. 132. Les références faites à tous les manuscrits ou à l'essentiel d'entre eux, dans le stemma (§ 215) et dans les tableaux récapitulatifs (§ 224 ; App. C), ne figurent pas dans cet Index, sauf si elles portent spécialement sur le manuscrit en question.

Arras, B. mun., 670 (727) = d : §§ 25 nn. 55. 57 ; 126 nn. 59. 60 ; 222 n. 16

Auxerre, B. mun., 484 = : §§ 125 n. 55 ; 222 n. 16 ; 230 n. 26

Avranches, B. mun., 241 = e : §§ 125 nn. 55. 57 ; 126 nn. 59. 60 ; 222 n. 16 ; App. C n. 19-20

Bern, Burgerb.,

-- 264 = : §§ 210 ; 212 n. 8 ; 222 n. 16 ; 224 n. 21 ; 230 n. 26 ; 232 n. 28 ; 233 et n. 36 ; App. C n. 21-22

-- 394 = : §§ 222 n. 16 ; 230 n. 26

Boulogne-sur-Mer, B. mun., 189 = a : §§ 166 n. 114 ; 222 n. 16 ; 232 n. 30 ; 233 nn. 32. 34

Bruxelles, B. royale,

-- 5339-5344 : § 167 n. 117

-- 5354-5361 : App. C n. 11

-- 8860-8867 : § 165 ; App. C nn. 13. 16

-- 9332-9346 : § 209 n. 5

-- 9742 : § 209 n. 4

-- 9968-9972 = n : §§ 125 nn. 55. 57 ; 126 nn. 59. 60 ; 232 n. 28 ; 233 n. 36

-- 9987-9991 = h : §§ 125 n. 55 ; 230 n. 26 ; 232 n. 28 ; 233 nn. 34. 36

-- 14586-1590 : § 167 n. 117,

Cambridge, Corp. Christi, 223 = C : § 125 n. 55 ; 164 n. 112 ; 211 ; 212 n. 8,

Douai, B. mun., 290 : § 167 n. 119

Durham, Dean & Chapter libr., B 4. 9 (4446) = : §§ 125 n. 57 ; 166 n. 114 ; 211 ; 222 n. 16 ; App. C nn. 8. 10,

Firenze, B. Laur., Plut. 23.15 : §§ 166 n. 114 ; 167 n. 118 ; 250 n. 109,

Genève, B. Bodmer, 142 = o : §§ 221 nn. 13. 15 ; 222 n. 16 ; 228 n. 22 ; App. C n. 12,

Leiden, B. Rijksuniv., Burm. Q 3 = E : §§ 125 n. 55 ; 165 ; 212 n. 8 ; 240 ; App. C n. 28

London, Brit. Libr.,

-- addit. 15090 = p : §§ 125 n. 55 ; 126 nn. 59. 60 ; 164 n. 112 ; 222 n. 16 ; 228 n. 22 ; 232 n. 28 ; App. C n. 21

-- addit. 16894 = q : §§ 125 n. 55 ; 126 n. 59 ; 166 n. 114 ; 221 nn. 13. 15 ; 222 n. 16 ; 228 n. 22 ; 232 n. 28 ; App. C n. 17

-- addit. 34248 = r : §§ 125 n. 57 ; 126 nn. 59. 60 ; 221 nn. 13. 15 ; 222 n. 16 ; 228 n. 22 ; 230 n. 26 ; 233

-- Burn. 247 : §§ 125 n. 55 ; 167 n. 118

-- Harley 3023 = i : § 125 n. 55 ; App. C nn. 18. 21

-- Harley 4992 = b : §§ 125 nn. 55. 57 ; 164 n. 112 ; 222 n. 16 ; 230 n. 25,

Milano, B. Ambr., D 36 sup. = : §§ 126 n. 60 ; 168 n. 120 ; 189 n. 161 ; 207 ; 211 ; 216 ; 220 et n. 11 ; 224 n. 19 ; 229 n. 24 ; 230 n. 26 ; 236 ; 240 ; 282

Monte Cassino, 374 = : §§ 126 ; 164 n. 112 ; 212 n. 8 ; 213 ; 224 n. 20 ; 228 n. 22 ; 239 ; App. C n. 20

Montpellier, B. fac. méd.,

-- H 35 : § 167 n. 119

-- H 219 = s : §§ 125 nn. 55. 57 ; 126 n. 59 ; 228 n. 22 ; 230 n. 26 ; 232 n. 28,

Oxford, Bodl. Libr.,

-- auct. F 3.6 = : §§ 125 n. 55 ; 126 et n. 60 ; 164 n. 112 ; 166 n. 114 ; 222 n. 16

-- Oriel 3 = : §§ 125 n. 55 ; 126 nn. 59. 60 ; 167 n. 116 ; 212 n. 8 ; 221 nn. 13. 15 ; 222 n. 16 ; 228 n. 22,

Paris, B. s. Gen., 134 : § 209 n. 4

Paris, B. Mazar., 3858 (25) = : §§ 125 nn. 55. 57 ; 126 n. 60 ; App. C n. 22

Paris, B. nat.,

-- Lat. 1647 A : App. C n. 27

-- Lat. 1656 A : § 209 n. 5 ; App. C n. 26

-- Lat. 2335 : § 166 n. 115

-- Lat. 3879 : § 260 n. 128

-- Lat. 8084 = A : §§ 22 n. 57 ; 57 n. 145 ; 126 ; 164 n. 112 ; 168 n. 120 ; 189 n. 161 ; 207-208 et n. 2-3 ; 211 ; 216 ; 236 ; 240 ; 281

-- Lat. 8085 = F : §§ 125 n. 55 ; 166 n. 114 ; 230 n. 26 ; App. C n. 18

-- Lat. 8086 = P : §§ 125 n. 55 ; 212 n. 8 ; 230 n. 26 ; 233 n. 34

-- Lat. 8087 = T : §§ 125 nn. 55. 57 ; 126 nn. 59. 60 ; 240

-- Lat. 8088 = u : §§ 125 n. 55 ; 126 n. 59 ; 165 ; 166 n. 114 ; 189 n. 161 ; 228 n. 22 ; 230 n. 26 ; 233 n. 34 ; App. C nn. 14. 17

-- Lat. 8305 = N : §§ 125 nn. 55. 57 ; 126 nn. 59. 60 ; 165 ; 212 et n. 8 ; 222 n. 17 ; App. C n. 3

-- Lat. 8306 = : §§ 125 n. 55 ; 230 n. 26

-- Lat. 8307 = : §§ 222 n. 16 ; 228 n. 22 ; App. C n. 6

-- Lat. 13026 : App. C n. 23

-- Lat. 13953 : § 233 n. 33

-- n. acqu. Lat. 241 = w : §§ 125 n. 55 ; 167 n. 116 ; 221 n. 14-15 ; 228 n. 22 ; 230 n. 26 ; 232 n. 28 ; 233 n. 36 ; App. C nn. 1. 7. 9. 15. 17. 20,

Roma, B. Ap. Vat.,

-- Pal. Lat. 235 : § 233 n. 33

-- Pal. Lat. 833 : § 70 n. 173

-- Reg. Lat. 74 : §§ 166 n. 114 ; 167 n. 118

-- Reg. Lat. 321 = V : §§ 125 nn. 55. 57 ; 126 nn. 59. 60 ; 211 ; 212 et n. 8 ; 222 ; 230 n. 26

-- Reg. Lat. 348 : App. C n. 5

-- Reg. Lat. 1702 : § 166 n. 115

-- Vat. Lat. 3859 = : §§ 125 n. 55 ; 126 et n. 60 ; 129 n. 64 ; 230 n. 26 ; 233 ; App. C nn. 4. 22. 24

-- Vat. Lat. 3860 = x : §§ 125 n. 55 ; 126 nn. 59. 60 ; 189 n. 161 ; 221 n. 15 ; 222 n. 16 ; 228 n. 22 ; App. C n. 17

-- Vat. Lat. 5821 = : §§ 125 n. 55 ; 126 nn. 59. 60 ; 189 n. 161 ; 222 n. 16 ; 228 n. 22 ; 232 n. 28 ; App. C n. 17

-- Vrb. Lat. 666 : §§ 167 nn. 116. 118 ; 250 n. 109,

Saint-Omer, B. mun., 306 = J : §§ 222 n. 16 ; 230 n. 26

St. Gallen, Stiftsb.,

-- 134 : App. C nn. 5. 15

-- 135 = z : §§ 125 n. 55 ; 164 n. 112 ; 165 ; 221 n. 15 ; 222 n. 16 ; 228 n. 22 ; 232 n. 28

-- 136 = S : §§ 125 nn. 55. 57 ; 126 n. 60 ; 212 n. 8 ; 221 nn. 13. 15 ; 222 n. 16 ; 228 n. 22 ; 230 n. 25 ; 240 ; App. C n. 25,

Trier, Stadtb., 1093 = m : §§ 125 n. 55 ; 126 nn. 59. 60 ; 230 n. 26 ; 233,

Valenciennes, B. mun.,

413 (394) : § 233 n. 34


Index des auteurs anciens et médiévaux

      Auteurs anciens et médiévaux, le cas échéant oeuvres collectives ou anonymes, cités dans l'Intro-duction (renvois aux paragraphes, le cas échéant aux notes). Les références à s. Cyprien et à s. Hippolyte en tant que martyrs (et héros de perist. 13, respectivement 11) et non en tant qu'auteurs ne figurent pas dans cet Index.

Abbon de Fleury (s.) : § 243 et n. 70

Abbon de S.-Germain (s.) : § 244 n. 74

Acta des martyres : §§ 74 ; 78

Adémar de Chabannes : § 244 n. 74

Adon (s.) : §§ 20 n. 50 ; 260 n. 128 ; 261 et n. 129-131

Ælius Stilon : § 44 n. 123

Agobard de Lyon (s.) : § 244 et n. 77

Alcuin (s.) : §§ 214 ; 239 et n. 56

Aldhelm de Malmesbury : § 238 et n. 52

Ambroise (s.) : §§ 6 et n. 20-23 ; 10 ; 12 et n. 33 ; 36 ; 43 n. 120 ; 55 et n. 141 ; 56 ; 62 ; 65 et n. 162 ; 66-67 ; 68-69 ; 72 ; 73 ; 82 ; 96 et n. 253 ; 97 ; 100 et nn. 1. 4 ; 110 ; 122 ; 125 ; 150 ; 155 et n. 101 ; 156 et n. 105 ; 168 n. 121 ; 170 ; 171 n. 179 ; 185 n. 155 ; 186 n. 157 ; 190-191 et n. 163-165 ; 200 ; 229 ; 246 n. 90 ; 252 ; 254 ; 257 ; 264 ; 281 ; 284

Arator : §§ 58 et n. 152 ; 243 n. 71

Aristophane : § 68 n. 167

Aristote : § 121 et n. 41-43

Arius : § 65

Astérius (s.) : § 89 n. 221

Augustin (s.) : §§ 3 n. 7 ; 5 et n. 18 ; 6 n. 22 ; 10 ; 21 n. 54 ; 43 n. 120 ; 55 et n. 142 ; 65 et n. 161 ; 72 et n. 178-179 ; 80 n. 198 ; 89 et n. 221 ; 96 nn. 250. 253 ; 156 n. 105 ; 168 n. 121-122 ; 169 n. 125 ; 171 n. 128 ; 185 n. 155 ; 234 et n. 40 ; 235 n. 41 ; 264 

Ausone : §§ 11 ; 37 ; 52 et n. 135 ; 63 ; 68 n. 167 ; 88 et n. 218 ; 144 n. 89 ; 159 n. 109 ; 197 ; 265 

Avit (s.) : §§ 58 ; 235 et n. 43 ; 243 n. 71,

Basile de Césarée (s.) : § 89 n. 221

Bède le Vénérable (s.) : §§ 20 n. 50 ; 77 et n. 187 ; 238 et n. 53 ; 260 et n. 128 ; 261 et n. 129-131

Bible : §§ 13 ; 41 et n. 113 ; 41 n. 113 ; 42 et n. 119 ; 43 et n. 122 ; 45 et n. 126 ; 50 ; 58-60 ; 65 ; 66 ; 74 et n. 184 ; 79 et n. 193 ; 86 ; 90 ; 91 n. 235 ; 92 n. 238 ; 93 n. 243-244 ; 98 ; 99 nn. 260. 263 ; 102 et n. 5-6 ; 112 ; 159 ; 176 ; 184 ; 232 ; 240 ; 270 et n. 148

Boniface (s.) : § 239 et n. 55

Brun(on) de Cologne (s.) : § 242 et n. 69,

Cantilène de ste Eulalie : § 241 et n. 61

Carmina liturgiques païens : § 44 n. 123

Carmina anti-païens : §§ 11 n. 32 ; 57 et n. 144-146 ; 183 n. 150 ; 197

Carmina triumphalia : §§ 29 n. 79 ; 66 n. 163

Caton : § 156

Centons virgiliens : §§ 51 ; 60 et n. 153 ; cf. Proba

Cicéron : §§ 28 n. 71 ; 39 n. 108 ; 48 n. 133 ; 64 n. 159 ; 171 nn. 129. 131 

Claudien : §§ 11 ; 29 n. 179 ; 36 ; 37 ; 52 et n. 136 ; 105 et n. 12 ; 138 n. 77 ; 197 ; 265 n. 135 ; 281 n. 150 

Clément de Rome (s.) : § 93 et n. 239

Code Théodosien : §§ 104 n. 10 ; 197

Colomban (s.) : § 236 et n. 49

Commodien : §§ 48 et n. 132-134 ; 55 n. 142

Conciles régionaux : §§ 65 n. 162 ; 80 n. 198 ; 168 n. 122

Conrad de Mure : § 248 et n. 101

Cosmas de Prague : § 247 n. 92

Constantin : §§ 96 et n. 251 ; 155 n. 100 ; 185 n. 155

Constantina : § 228 n. 23

Cyprien de Carthage (s.) : §§ 4 nn. 11. 13 ; 75 ; 93 et n. 240 ; 95 et n. 247 ; 118 n. 38 ; 156 n. 105

Cyprien le Gaulois : § 58 et n. 147,

Damase (s.) : §§ 9 ; 12 et n. 33-34 ; 27 n. 64 ; 28 n. 75 ; 43 ; 55 et n. 140 ; 62 ; 71-73 ; 76 ; 77 n. 191 ; 83 et n. 200-201 ; 97 ; 100 et n. 1 ; 106 et n. 13-15 ; 112 n. 22 ; 139 et n. 79-82 ; 145 ; 55 et n. 99-100 ; 181 ; 185 n. 155 ; 186 et n. 156 ; 187 ; 200 ; 228 n. 23 ; 284 

Dante Alighieri : § 249 et n. 105

Démosthène : § 171 n. 129

De dubiis nominibus : § 240 et n. 57

Dungal : § 245 et n. 82,

Eberhard de Brême : § 248 et n. 104

Énée de Paris : § 245 et n. 83

Ennode (s.) : §§ 236 et n. 47 ; 257 ; 258

Euloge de Cordoue (s.) : § 245 et n. 86

Eusèbe de Césarée : § 96 n. 251

Évrard l'Allemand : § 248 et n. 104,

Flodoard de Reims : §§ 245 et n. 80 ; 261 n. 131

Florus de Lyon : § 244 et n. 77

Fulgence de Ruspe (s.) : § 65 n. 161,

Gennade : §§ 1 n. 2 ; 8 et n. 27 ; 18 n. 47 ; 22 et n. 57 ; 48 et n. 134 ; 171 et n. 133 ; 172 ; 220 ; 235 et n. 42

Gerhoch de Reichersberg : § 247 et n. 95

Gottschalk d'Orbais : § 244 et n. 74-75

Grégoire de Nazianze (s.) : §§ 122 n. 44 ; 156 n. 105

Grégoire de Nysse (s.) : § 89 n. 221

Grégoire de Tours (s.) : §§ 20 n. 50 ; 54 n. 139 ; 235 et n. 44-45 ; 261 et n. 131

Guibert de Gembloux (s.) : § 247 n. 92

Guillaume de Malmesbury : § 246,

Hélinand de Froidmont (s.) : § 247 et n. 94

Henri d'Andeli : § 248 et n. 100

Hériger de Lobbes : § 245 et n. 81

Hésiode : § 37

Hilaire (s.) : §§ 50 ; 53 ; 65 et n. 162 ; 66-67 ; 69 

Hildebert de Lavardin : § 247 et n. 96

Hincmar de Rheims : § 244 et n. 75

Hippolyte (s.) : § 4 n. 11

Historia Augusta : § 88 et n. 219

Homère : §§ 46 n. 128 ; 91 et n. 234 ; 266 n. 139

Horace : §§ 12 ; 15 et n. 37-38 ; 40 et n. 110 ; 44 ; 64 n. 159 ; 66 n. 163 ; 124 n. 52 ; 207 n. 2 ; 229 ; 235 n. 41 ; 237 n. 50 ; 290

Hucbald de Saint-Amand : § 245 et n. 85

Hugues de Trimberg : § 247 et n. 97

Humbert de Silvacandida : § 246 n. 88,

Ignace d'Antioche (s.) : § 75

Isidore de Séville (s.) : §§ 237 n. 50-51 ; 243 n. 71 ; 250 n. 110

Ison de Saint-Gall : § 233 et n. 36 ; 241,

Jacques de Voragine : § 260

Jean Chrysostome (s.) : § 156 n. 105

Jean Scot Érigène : §§ 233 et nn. 33. 35 ; 244 et n. 76 ; 246

Jean de Viktring : § 248 et n. 103

Jérôme (s.) : §§ 1 n. 2 ; 13 ; 21 n. 54 ; 41 n. 113 ; 45 n. 126 ; 48 n. 134 ; 55 et n. 143 ; 64 n. 159 ; 88 et n. 218 ; 168 n. 122 ; 172 ; 183 et n. 147 ; 235 ; 264

Juvénal : § 40 n. 112

Juvencus : §§ 50 ; 53 ; 58 et n. 149-150 ; 243 n. 71 ,

Lactance : §§ 50 ; 51 ; 53 ; 54 et n. 137-138 ; 121 n. 42

Liber pontificalis : §§ 89 n. 221 ; (96 n. 250) ; 258 n. 125

Liutprand de Crémone : § 242 n. 69

Livius Andronicus : § 16

Liturgie chrétienne : §§ 43-44 ; 46 ; 64-69 ; 81-82 ; 122 n. 45 ; 144 ; 154 n. 98 ; 253 ; 254-255 et n. 115-120

Loup de Ferrières : §§ 243 n. 72 ; 244

Lucain : §§ 40 n. 112 ; 88 ; 237 n. 50 ; 284

Lucrèce : § 40 n. 112

Lycophron : § 37,

Maccabées (4e livre des) : § 156

Marius Victorinus : § 45 n. 125

Martianus Capella : § 233

Martin de León (s.) : § 247 et n. 99

Martyrologia : §§ 76-77 ; 183 ; 259 ; 260-261 et n. 128-131,

Nævius : § 16

Notker le Bègue : §§ 8 n. 27 ; 242 et n. 68 ; 250 n. 110 ; 261 n. 130-131,

Oracles sibyllins : § 45

Origène : § 93 et n. 241

Ovide : §§ 40 n. 112 ; 44 ; 171 n. 127 ; 237 n. 50 ; 284,

Passiones de martyrs : §§ 78-80 ; 81 ; 95 et n. 249 ; 114 ; 115 n. 33 ; 183 et n. 147 ; 185 et n. 153 ; 236 et n. 48 ; 256 et n. 123 ; 261 ; 281

Paul Diacre : § 240 et n. 57

Paulin de Milan : § 6 n. 23

Paulin de Nole (s.) : §§ 11 et n. 31-32 ; 36 n. 100 ; 53 ; 61-63 et n. 156-157 ; 72 et n. 177 ; 82 ; 197 ; 243 n. 71

Paulin de Périgueux : § 58 n. 152

Perse : § 237 n. 50

Pierre le Chantre : § 247 n. 92

Pierre Damien : § 246 et n. 89

Pierre le Vénérable : § 246 et n. 90

Platon : §§ 125 ; 266 et n. 144 ; 276

Plaute : § 124 n. 52

Pline le Jeune : §§ 43 et n. 120 ; 91 n. 237

Polémius Silvius : §§ 77 ; 155 et n. 102 ; 156 n. 105

Polybe : § 171 n. 128

Polycarpe (s.) : §§ 75 ; 93 et n. 239

Possidius (s.) : § 72 n. 178

Proba : §§ 53 ; 60 et n. 154

Properce : § 40 n. 112

Prudence : passim

Psaumes alphabétiques : §§ 45 et n. 125-126 ; 65 et n. 161,

Quintilien : § 2

Quintus de Smyrne : § 121 n. 42,

Raban Maur : §§ 243 et n. 70-71 ; 244 ; 260 n. 128 ; 261 n. 130

Rathramne de Corbie : § 244 et n. 78

Rémi d'Auxerre : § 233 et n. 34

Rhétorique à Hérennius : § 171 n. 131

Roger Bacon : § 248 et n. 102

Roswitha : § 122 n. 44

Ruotger de Cologne : § 242 n. 68

Rupert de Deutz : § 247 et n. 98

Rutilius Namatianus : § 265 n. 135,

Salomon de Constance : §§ 233 et n. 36 ; 241

Sédulius : §§ 58 ; 243 n. 71

Sénèque : §§ 27 n. 65 ; 40 n. 112 ; 88 ; 143 ; 171 n. 127 ; 253

Servius : § 171 n. 132

Sicard de Crémone : § 247 et n. 93

Sidoine Apollinaire (s.) : §§ 1 n. 2 ; 14 n. 36 ; 235 et n. 41 ; 237 ; 250 n. 110

Sixte iii (s.) : § 72 et n. 177

Stace : §§ 40 n. 112 ; 237 n. 50 ; 240 n. 59

Suétone : § 156

Sulpice-Sévère : §§ 58 n. 152 ; 72 n. 177 ; 168 n. 122 ; 197 ; 234 et n. 38

Symmaque : §§ 6 n. 20 ; 56 ; 246 n. 90 ; 265 et n. 134 ; 281

Symphosius : § 234 et n. 39,

Térence : §§ 48 n. 133 ; 122 n. 44

Tertullien : §§ 43 n. 120 ; 47 et n. 130 ; 91 n. 237 ; 93 et n. 240 ; 99 et n. 265

Théodoret de Cyr : §§ 179 n. 139 ; 197

Théodule : § 245 et n. 84

Théodulphe d'Orléans : § 243 et n. 70

Trajan : § 91 n. 237,

Usuard : § 260 n. 128 ; 261 nn. 129. 131,

Varron : § 156 ; 231 n. 41

Venance Fortunat (s.) : §§ 58 n. 152 ; 235 et n. 46 ; 243 n. 71

Virgile : §§ 12 ; 15 n. 37 ; 30 et n. 82 ; 39 n. 108 ; 40 et n. 111 ; 48 n. 133 ; 54 ; 58 ; 58 n. 149 ; 64 n. 159 ; 108 et n. 17 ; 156 ; 171 n. 127 ; 200 ; 237 n. 50 ; 240 n. 59 ; 248 ; 290 ,

Walafrid Strabon : § 243 et n. 73

Waltharius : § 240 et n. 59

Wandalbert de Prüm : §§ 245 et n. 79 ; 260 n. 128


Index des ouvrages modernes

      Ouvrages des auteurs modernes cités dans l'Introduction (renvois aux paragraphes, le cas échéant aux notes), à l'exception de la Bibliographie où seules les mentions spécifiques dans le texte (Bibl.) ou les notes (Bibl. n.) sont reportées ; la désignation par l'auteur suivie de l'année correspond aux indications de la Bibliographie.

Aldana García & Herrera R. 1997 : § 245 n. 86

Argenio 1973 : § 3 n. 7

van Assendelft 1984 : Bibl. n. 6,

Bardy 1949 : § 3 n. 7

Bastiænsen 1993 : Bibl. n. 1

Bayo 1946 : Bibl.

Beer 1980 : § 210 n. 6 ; Bibl. n. 9

Bergman 1910 : § 206 n. 1 ; Bibl. n. 9

-- 1922 : Bibl. n. 3

-- 1926 (éd.) : §§ 39 ; 207 ; 215 ; 270 n. 148 ; App. C n. 1 ; Bibl.

Bieler 1962 : § 246 n. 91

Bless-Grabher 1978 : §§ 232 n. 27 ; 236 n. 48 ; 256 n. 122-123 ; 258 n. 125 ; 283

Brakman 1920 : § 40 n. 112

Brown 1981 : Bibl. nn. 5. 11

Brozek 1954, 1957-1958 : Bibl. n. 6

-- 1983 : §§ 22 n. 57 ; 171 n. 127

de Bruyne 1969 : § 157 n. 106

Buchheit 1966 : Bibl. n. 5

Burnam 1900, 1905, 1910 : Bibl. n. 10,

Cacitti 1972 : § 3 n. 7 ; Bibl. n. 5

Callu 1981 : § 8 n. 25

-- 1984 : § 88 n. 219

-- 1985 : § 156 n. 104

Cameron 1995 : § 38 n. 106

Carcopino 1956 : § 185 n. 154 ; Bibl. n. 5

Carletti, Guyon & Charlet 1986 : § 89 n. 223

Cerri 1964 : Bibl. n. 5

Charlet 1980a : Bibl. n. 6

-- 1980b : § 11 n. 30

-- 1982 : § 26 n. 62

-- 1983 : § 41 n. 113

-- 1986 : Bibl. n. 6

Colombo 1927 : Bibl. n. 9

Corneille --- : § 255

Costanza 1976, 1977 : § 11 n. 32 ; Bibl. n. 6

-- 1983 : 11 n. 32

Cracco Ruggini 1979 : § 57 n. 145-146

Cunningham 1958 : Bibl. n. 9

-- 1963 : § 169 n. 124 ; 173 ; Bibl.

-- 1966 (éd.) : § 166 n. 113 ; 270 n. 148 ; Bibl.

-- 1976 : § 181 n. 144,

Defferrari & Campbell : Bibl.

Delehaye --- : Bibl. n. 11

-- 1927 : § 169 n. 124-125 ; 173

-- 1934 : § 77 n. 188 ; 260 n. 128

Dexel 1907 : § 40 n. 111

Diaz y Diaz 1975 : § 259 n. 127

Dölger 1932 : § 102 n. 5

Doepp 1986 : § 8 n. 25

-- 1988 : Bibl. n. 6

Dolbeau 1977 : § 245 n. 85

Dubois 1965, 1976, 1984 : § 260 n. 128 ; Bibl. n. 10,

Eggenberger 1986, 2000 : § 210 n. 6 ; Bibl. n. 9

Erasmvs --- : §§ 249 et n. 106-108 ; 251

Ermini 1914 : Bibl.

Ernesti 1998 : § 190 n. 154

Evenpoel 1982 : § 40 n. 112

-- 1996 : § 99 n. 262,

Ferrua 1942 : § 185 n. 154

-- 1979 : § 185 n. 154

Fontaine 1964b : §§ 31 n. 83 ; 145 n. 93 ; Bibl. n. 5

-- 1970b : Bibl. n. 6

-- 1972 : Bibl. n. 5

-- 1975, 1976 : § 281 ; Bibl. n. 6

-- 1981 : §§ 15 n. 39 ; 17 n. 46 ; 43 n. 121 ; 48 n. 131 ; 54 n. 137 ; 57 n. 146 ; 58 n. 152 ; 60 n. 153 ; 61 n. 155 ; 63 n. 157-158 ; 65 n. 160 ; 66 et n. 164 ; 68 n. 167 ; 70 n. 173 ; 121 n. 42 ; 149 n. 96 ; 281 ; Bibl. n. 6

Fontanier 1986 ; 1987 : Bibl. n. 5

Franchi de' Cavalieri --- : Bibl. n. 11

Frend 1965 : Bibl. n. 5

Frutaz 1960 : §§ 86 nn. 210. 212 ; 87 nn. 214. 217 ; 283

Fuchs 1938 : Bibl. n. 5,

de Gaiffier --- : Bibl. n. 11

-- 1937 : § 260 n. 128

Gelsomino 1973 : § 249 n. 105

Giovini 1998 : § 242 n. 69

-- 2000 : § 240 n. 57

Gnilka 1975 : Bibl. n. 9

-- 1990 : § 40 n. 112

-- 1994 : § 3 n. 7

Gomez Pallares 1996 : § 12 n. 34

Grasso 1972 : § 41 n. 113

Guerreiro 1992 : § 259 n. 127 ; Bibl. n. 11

Guyon 1987 : § 96 n. 250 ; 155 n. 100,

Hanley 1962 : § 40 n. 112

Harries 1984 : § 9 n. 28

Henderson 1983/1990 : Bibl. ; Bibl. n. 6

Henriksson 1956 : § 171 n. 127

Herzog 1966 : Bibl. n. 6

-- 1989 : §§ 95 n. 249 ; 183 n. 148

Hoppenbrouwers 1961 : Bibl. n. 7,

Jannaccone 1948 : §§ 207 n. 2 ; 212 n. 8 ; Bibl. n. 9  ,

Kah 1990 : § 3 n. 7 ; 281 ; Bibl. n. 5

Katscher 1973 : § 240 n. 59

von Kennel 1975 : Bibl.

Klein 1986 : 3 n. 7 ; Bibl. n. 5

Kudlien 1962 : § 41 n. 116,

de Labriolle 1920 : Bibl. n. 6

Lana 1962 : §§ 2 n. 3 ; 4 n. 13 ; 5 n. 17 ; 9 n. 28 ; 100 n. 1 ; 131 n. 67 ; Bibl. nn. 3. 4. 6

Lavarenne 1933 : §§ 38 ; 280 ; Bibl. ; Bibl. nn. 3. 7

-- 1949 : Bibl. n. 9

-- 1943-1951 (éd.) : §§ 247 n. 97 ; 248 n. 100 ; 254 n. 115 ; 264 et n. 133 ; Bibl.

Lazzati 1941-1942 : Bibl. n. 9

-- 1956 : Bibl. n. 6

Lease 1895 : § 124 n. 52 ; Bibl. n. 7

Leclercq 1907 : § 89 nn. 221. 225

Liébana Pérez 1981-1983 : § 233 n. 36 ; Bibl. n. 10

Lo Porto 1957 : § 1 n. 2

Longosz 1997 : § 122 n. 45

Ludwig 1977 : § 282 ; Bibl. n. 6

Luque Moreno 1978 : Bibl. n. 7,

Magazzù 1977 : Bibl. n. 1

Mahoney 1936 : § 40 n. 111

Malamud 1989 : §§ 38 n. 106 ; 281 ; Bibl. ; Bibl. n. 6

-- 1990 : Bibl. n. 6

Marchesi 1917 : Bibl.

Merkle 1896 : § 234 nn. 38. 40

Messenger 1962 : Bibl. n. 4

Micaelli 1984 : Bibl. n. 5

Mohrmann 1958-1977 : Bibl. n. 7

Momigliano 1963 : Bibl. n. 5,

Nestori 1975 : §§ 87 n. 215 ; 89 n. 224 ; 90 et n. 232

Norberg 1967 : Bibl. n. 6,

Opelt 1965 : Bibl. n. 7

-- 1967 : Bibl.

-- 1970 : § 40 n. 110

-- (DECA) : §§ 48 n. 131 ; 57 n. 145

Orselli 1965 : Bibl. nn. 5. 11

Ortega & Rodriguez 1981 : §§ 2 n. 3 ; 215 ; 232 n. 27 ; 234 n. 37 ; 241 n. 60 ; 245 n. 84 ; 246 n. 87 ; 249 n. 106 ; 251 n. 112 ; 254 n. 115 ; Bibl. n. 3 ,

Padovese 1980 : Bibl. n. 5

Palmer 1989 : §§ 5 n. 18 ; 40 n. 112 ; 44 n. 124 ; 281 ; Bibl. ; Bibl. n. 1

Paratore 1985 : Bibl. n. 6

Paronetto 1957 : Bibl.

Paschoud 1967 : §§ 3 n. 7 ; 138 n. 77

Peebles 1951 : Bibl. n. 3

Péguy --- : § 255

Pellegrino 1960-1961 : Bibl.

Pelosi 1940 : Bibl. n. 9

Perler 1951 : § 70 n. 173

Petruccione 1985 : Bibl.

-- 1995 : § 32 n. 91

Petrvs 1540 : § 251

Pietri 1961 : Bibl. n. 5

-- 1976 : § 145 n. 93 ; Bibl. n. 5

Poinsotte 1982 : §§ 11 n. 32 ; 57 n. 144

Puech 1888 : § 280 ; Bibl. nn. 3. 6,

Racine --- : § 255

Rand 1920 : § 233 n. 34

Rapisarda C. 1948 : § 41 n. 113

Rapisarda E. 1950 : § 40 n. 112 

-- 1963 : Bibl. n. 5

Recanatini 1991 : §§ 26 n. 62 ; 149 n. 96 ; 282 n. 151 ; Bibl. n. 9

Richard 1969 : § 40 n. 111 ; Bibl.

Riposati 1979 : Bibl.

Roberts 1989 : §§ 88 n. 220 ; 89 n. 222 ; 265 et n. 136 ; 281 ; Bibl. n. 6

-- 1993 : 281 ; Bibl. ; Bibl. nn. 1. 6

Rodriguez-Herrera 1936 : Bibl. n. 5

Rösler 1886 : § 232 n. 27 ; Bibl. n. 5

Ross 1990 : § 142 n. 86

de Rossi 1881 ; 1882 : Bibl.

Ruinart --- : § 261,

Sabattini --- : Bibl. n. 11

Saggiorato 1968 : § 90 nn. 226-228. 231

Salvatore 1959 : § 40 n. 112

Sanford 1936 : § 252 ; Bibl. n. 6

Saxer 1980 : §§ 80 n. 198 ; 94 n. 246 ; 96 n. 250

Schanz 1914 : Bibl. n. 6

Schetter 1986 : § 166 n. 113

Schmid 1953 : Bibl. n. 9

Schwen 1937 : § 40 n. 111

Seng 2000 : §§ 26 n. 62 ; 149 n. 96 ; 282 n. 151 ; Bibl. n. 7

Shackleton Bailey 1952 : § 40 n. 112

Shanzer 1989 : § 8 n. 25

Sichardvs 1527 : §§ 125 et n. 58 ; 251

Silvestre 1956 : §§ 233 n. 33 ; 244 n. 76 ; Bibl. n. 10

-- 1957a : §§ 232 n. 29 ; 233 nn. 31-33. 35 ; 241 n. 65 ; Bibl. n. 10

-- 1957b : Bibl. n. 9

Sixt 1892 : § 40 n. 112

Steinmeyer 1872/1873 : Bibl. n. 10

Steinmeyer & Sievers 1882 : § 232 n. 28

Stettiner 1895 : § 210 n. 6 ; Bibl. n. 9

Strzelecki 1935 : § 40 n. 110 ; Bibl. n. 7,

Thraede 1965 : § 142 n. 86 ; Bibl. nn. 6. 7

Toohey 1991 : §§ 26 n. 62 ; 149 n. 96 ; 282 n. 151 ; Bibl. n. 9

Torro 1976 : Bibl. n. 5

Torti 1970 : Bibl. n. 5,

van Uytfanghe 1992 : § 266 n. 144 ; Bibl. n. 5

Valmaggi 1893 : § 40 n. 112,

Ward 1993 : § 240 n. 59

Wieland 1983 : Bibl. n. 10

-- 1994 : Bibl. n. 9

Wilson 1995 : Bibl. n. 6

Winstedt 1903 : §§ 208 ; 232 nn. 27. 30 ; Bibl. n. 9

-- 1904 : § 210 n. 6 ; Bibl. n. 9

Witke 1968, 1971 : Bibl. n. 6

Wölflin --- : § 250 et n. 111

Woodruff 1930 : Bibl. n. 9

Wytzes 1977 : Bibl. n. 5,

Zanchi Roppo 1969 : §§ 86 n. 207-213 ; 155 n. 103

Zehnacker & Fredouille 1993 : § 122 n. 45 ; Bibl. n. 6


IIe Partie : Commentaire

      Note liminaire

      Dans le Commentaire, les citations, les renvois internes et références biblio-graphiques, les abréviations et l'orthographe suivent les conventions utilisées dans l'Introduction générale, comme indiqué dans la note de la p. 4.

      Dans les Notices de chaque poème est donnée une bibliographie sommaire relative au poème et au martyr, avec les références hagiographiques fondamentales :


Peristephanon 2
Première Passion : Passion du bienheureux martyr Laurent (Passio Laurentii beatissimi martyris)

      Consacré à saint Laurent, perist. 2 est le seul poème où Prudence se nomme (v. 582) ; il devait ouvrir les sept Passions, et perist. 5, consacré à saint Vincent, le clore (cf. Introd. § 158-160). Ces diacres martyrs renvoient au Protomartyr Étienne (cf. vv. 369-372 et le titre Peristephanon ; cf. § 21) - mais c'est son pendant romain qu'exalte Prudence : pour lui, Rome a comme pris la place de Jérusalem ; le peuple élu, dont la conversion parachève un office universel, n'est pas celui des Juifs (N.T. Rom. 11, 25-32), mais celui de l'Vrbs (perist. 2, 416-444). Perist. 2 (proche à cet égard de la per-spective providentialiste du Contre Symmaque) est le seul poème du recueil à se placer sur le plan de l'histoire du salut, dépassant la description des faits (à la différence de perist. 5) 633 . Perist. 2 est, avec perist. 14, l'un des plus anciens poèmes du recueil (cf. §§ 100-104. 108) ; l'un et l'autre évoquent une sainteté accessible non seulement par le martyre, mais aussi par l'ascèse (pauvreté, virginité consacrée) et font du martyr un triomphateur (sur le monde et le démon) et un protecteur des Romains 634 .


Le martyr 635 

      

      Laurent, martyrisé sous Valérien, le 10 août 258 636  (trois jours après le pape Sixte II et d'autres membres du clergé romain) 637 , est enterré sur la voie Tiburtine.

      Tradition hagiographique et liturgique

      Prudence reprend la version ambrosienne 638  de la passion de saint Laurent, avec les épisodes de l'entrevue avec Sixte II, de la présentation des pauvres, et du gril. Cette version, transmise dans un récit en prose, aura une postérité remarquable ; tous les épisodes (sauf l'entrevue avec Sixte) se retrouvent p.ex. chez saint Augustin 639 . Comme pour sainte Agnès, Prudence semble ne pas connaître l'inscription damasienne (carm. 33). Léon le Grand (serm. 85) prolongera la tradition qui fait état d'une succession de supplices avant celui du feu et compare le martyr à saint Étienne.

      La tradition hagiographique s'enrichira de développements romanesques (p.ex. chez le poète Marbod de Rennes : xie - xiie s.) ou de récits de miracles (cf. Greg. Tvr. glor. mart. 42 où est cité Venance Fortunat et dont s'inspirera Flodoard au xe s.) 640 . Notker le Bègue et Adam de Saint-Victor ont composé des séquences en l'honneur de saint Laurent 641 . Perist. 2 fut utilisé dans la liturgie mozarabe 642 . En outre, on trouve des allusions ou des emprunts à perist. 2 p.ex. chez Walafrid Strabon (ixe s.), Dungal (ixe s.), Rupert de Deutz (xie - xiie s.), Sicard de Crémone (xiie - xiiie s.) 643 .

      Témoignages archéologiques et artistiques du culte

      Une basilique Saint-Laurent, édifiée par Constantin, communiquait avec les cata-combes par des escaliers à sens unique. Pélage II (579-590) en construisit une, plus petite, au-dessus de la tombe, où il plaça les reliques de saint Étienne, amenées de Byzance ; Honorius III (1216-1227) édifia la basilique actuelle en prolongement de la deuxième (transformée en presbyterium abritant la tombe vénérée, dans une crypte). À Rome, il y a aussi S.-Laurent-in-Panisperna (lieu du martyre), S.-Laurent-in-Damaso (intra muros : cf. Introd. § 84) et, au Latran, le Sancta Sanctorum : S.-Laurent-in-Palatio 644 .

      Le culte de saint Laurent, nommé au canon de la messe, est universel. Le martyr est souvent représenté dans des catacombes 645 , en mosaïques (basilique de Pélage II ; mausolée de Galla Placidia à Ravenne) et sur des verres dorés. Son attribut est le gril.

      Bibliographie : cf. Fontaine 1992, p. 559 [de Montgolfier, Nauroy] ; Nauroy 1989, Boscaglia 1938, Courcelle 1948, Leclercq 1925a et 1929, Franchi de' Cavalieri 1895. Cf. DECA 1414-1415 (Saxer, Marinone) ; BSS 8, 108-130 (Carletti, Celetti) ; AA. SS. 36 (août t. 2), 485-532 ; BHL 708-712, suppl. 518-521 ; Fros p. 355-356 ; BHG 2, 51-52, app. 113 ; MHier 431-432 ; MRom (299-300). 331-332.


Le poème

      

      Résumé

      Après une évocation de l'ultime triomphe de Rome, remporté par Laurent (v. 1-20) dont le martyre avait été prophétisé par Sixte II (v. 21-32), et après un exorde (v. 33-36), sont présentés les adversaires : l'archidiacre (v. 37-44) et le préfet (v. 45-52). Celui-ci demande à Laurent l'or de l'Église (v. 53-108), ce qu'il fait mine d'accepter (v. 109-140) ; il rassemble les pauvres (v. 141-164), qu'il présente au préfet (v. 165-184), avant de lui expliquer sa mise en scène (v. 185-312) ; furieux (v. 313-328), le juge décide de le faire mourir à petit feu (v. 329-360). Le visage du martyr apparaît illuminé aux seuls baptisés (v. 361-396). Après un sarcasme (v. 397-409), il prie pour la conversion de Rome, l'exorcise et fait une prophétie (v. 410-484), puis il meurt (v. 485-488). Sa prière commence tout de suite à être exaucée : peu à peu, les Romains entrent dans l'Église (v. 489-528). Prudence demande au martyr d'avoir part aux faveurs qu'il leur accorde (v. 529-584).

      Dynamique et thématique du récit

      Poème à épisodes (comme perist. 5 et 10), perist. 2 confronte deux personnages prêts à aller jusqu'au bout : le diacre veut le martyre ou la conversion du préfet (et de Rome) ; ce dernier veut l'or ou le châtiment exemplaire du chrétien. Au long du récit s'opèrent des retournements, suite à des malentendus. Ces quiproquos ne sont pas qu'un ressort narratif (cf. § 28) : ils découlent du problème de la nature du véritable or, question qui en pose deux autres : celles de la perception de la réalité d'une part, et d'autre part celle des vraies 'valeurs'. Par ses éléments de satire de la classe séna-toriale (paganisme, luxe) et avec la mention de la conversion de sénateurs, perist. 2 renvoie à l'époque voire à l'expérience de Prudence. L'archidiacre Laurent, qui durant le supplice a exorcisé Rome du roi des dieux-démons, Jupiter, est l'origine d'un pro-cessus de conversion de la tête de l'Empire 646 , qui s'achève avec les mesures prises par Honorius en 399. Dans ce processus de Rome, les sénateurs jouent le même rôle d'alpha et d'omega : certains furent les premiers à se convertir, et d'autres, les Symmaque du temps de Prudence, seront les derniers à le faire, parachevant le tout.

      Bibliographie : cf. Shanzer 1986, MacCarthy 1982, Thraede 1973, Cameron 1968, Kudlien 1962, Kranz 1961, Lavarenne 1949 ; sur l'idéologie, cf. Buchheit 1966/1971 et 1986, Fuchs 1938.

      Mots rares (seules occurrences chez Prudence) : monstruosis (v. 7), turbulentis (v. 13), Cossi (v. 14), Sixtus (v. 22), discessu (v. 25), dolenter (v. 26), præcedo (v. 27), prænuntiatrix (v. 30 ; ->), clauibus (v. 43), exactor (v. 48), conqueri (v. 57), cereos (v. 72), prædia (v. 77), occuluntur (v. 81), deprome (v. 85), exaggeratos (v. 87), nomisma (v. 96), obtemperanter (v. 112), plurimum adv. (v. 115), uulgabo (v. 123), flagito (v. 125), indutiarum (v. 126), paululum (v. 126), promissionis (v. 128), calculanda (v. 131), subnotanda (v. 132), summula (v. 132), semipes (v. 150 ; ->), promus (v. 160), uiritim (v. 162), poenalis et excudit (v. 192), insolescat (v. 208), robustior (v. 210), optio (v. 217), lepra (v. 230), claudicat (v. 231), aduncis (v. 243), mendicat (v. 248), strumas (v. 258), purulenta (v. 259), malignitatum (v. 260), contemptor (v. 262), despicis (v. 264), interim (v. 274), facultas et suppetat (v. 277), mucculentis (v. 282), leprosum et putidum (v. 286), proxime (v. 294), furcifer (v. 317), scurra (v. 320), concinna et urbanitas (v. 321), egon (v. 323), acroma et festiuum (v. 324), austeritas (v. 325), lenitas (v. 328), persuasionis (v. 332), compendiosus (v. 335), inextricabilis (v. 339), semustulati (v. 348), mysteriarches (v. 350 ; ->), decumbe (v. 354), adfatu (v. 400), experimentum (v. 407), assum (v. 408), ludibundus (v. 409), congemiscens (v. 411), Quirinali (v. 419), confoederantur (v. 437), symbolum (v. 438), aduertat (v. 441), Troicus (v. 445), Sterculum (v. 449), absterge (v. 453), recludit (v. 463), exterminat (v. 469), exturbat (v. 470), ualuas (v. 478), nefasta (v. 479), obdens (v. 480), adlectus (v. 554), municeps (v. 554), consequi (v. 580) - et Prudentium (v. 582).

      Mètre : 584 dimètres iambiques, répartis en 146 quatrains 647 .

      Schéma métrique :

      Parmi les substitutions : celle de l'anapeste au spondée du 1er ou même du 3e pied 648 .


Commentaire

      Passio Laurentii beatissimi martyris : cf. Introd., App. C, p. 133-134.

      1-20 : dans un crescendo, l'adversaire est désigné comme une pratique (v. 4 ritum... barbarum), un objet (v. 7 monstruosis idolis) et une personne (v. 12 spurcum Iouem) ; la victoire du martyr, définie en termes de soumission (vv. 4 triumphas ; 8 imponis... iugum ; 12 domaret), devient une destruction de la mort (v. 19). Lexique et thèmes rapprochent ces vv. d'Ambr. hymn. 10 (martyrs passés de la militia Cæsaris à la militia Christi ; -> 5, 117) ; cf. Buchheit 1986.

      

      
Ambr. hymn. 10 Prvd. perist. 2
20. 22 pro Christo pati... Christi milites 2-3 Christo dedita | Laurentio uictrix duce
21-22 non tela quærunt ferrea, | non arma Christi milites 13-14 non turbulentis uiribus | Cossi, Camilli aut Cæsaris
23-25 munitus armis ambulat | ueram fidem qui possidet. | scutum uiro sua est fides. 17 armata pugnauit fides
26 mors triumphus 19 morte mortem diruit

      

      Sur ce passage, cf. aussi Thraede 1973 ; perist. 4, 45-48 s'en inspire (cf. Introd. § 108).

      1-8 : comme aux vv. 13-16, confrontation de 2 aspects de la suprématie (en 2 temps de l'histoire) : gloire militaire (contre l'orgueil des rois, vv. 1. 5-6) et spirituelle (contre la barbarie païenne, vv. 2-4. 7-8). La personnification de Rome est rare chez Prudence (c. Symm. 2, 441-442 subdita Christo seruit Roma Deo | cultus exosa priores) ; sa connotation païenne fait réagir p.ex. s. Augustin (serm. 81, 8 Romam enim quid est nisi Romani ? ; cf. ici v. 433-434).

      
1-4 Antiqua fanorum parens,
iam Roma Christo dedita,
Laurentio uictrix duce
ritum triumphas barbarum.
Ancienne mère des temples, désormais offerte au Christ, Rome, victorieuse sous la conduite de Laurent, tu triomphes du culte barbare.

      

      1-2 : vv. parallèles, Christo répond à fanorum, dedita à parens. L'opposition entre passé (antiqua) et présent (iam) évoque discrètement le thème de Roma renascens (cf. c. Symm. 2, 655-665).

      1 : l'antique paganisme est caduc (cf. v. 496 nugas pristinas ; perist. 5, 24 ; c. Symm. 1, 7-8. 39). Prudence a une vision 'progressiste' de l'histoire (cf. c. Symm. 2, 277-369), s'opposant à Symmaque qui invoque le mos maiorum. fanorum parens : quasiment 'créatrice de divinités', Rome est vue comme le berceau du paganisme (fanum ; de même, fanaticus, perist. 10, 1061).

      2 : Prudence sait qu'à Rome, la victoire du christianisme est acquise ; cf. Pavl. Nol. carm. 19, 63 tota pio Christi censetur nomine Roma. Roma : Rome est aussi interpellée en perist. 9, 3 ; 10, 167 ; præf. 41 ; cath. 12, 202. Christo dedita : cf. ham. 551 alieno et dedita regno. La capitulation de la Rome païenne est comme une victoire militaire (v. suiv. uictrix) pour la ville.

      : Laurentio : -> 14, 1. uictrix : cf. Liv. 5, 40, 1 urbis... omnibus bellis uictricis ; Cic. Phil. 13, 7 ; motif repris par uiceras au v. 5. duce : titre militaire (et impérial : -> v. 47) donné au défenseur de la cité, qui, dans la Rome céleste, est orné de la couronne civique (v. 556), d'une toga picta (v. 557-558) et revêtu d'un consulat perpétuel (v. 560) ; l'archidiacre (v. 37-40) mène la ville au triomphe, mais ses souverains restent les Apôtres (v. 457-460). D'autres martyrs, ministres ordonnés et pasteurs, sont appelés dux (cf. perist. 10, 62 ; 11, 37 ; 13, 46).

      4 : les motifs religieux (ritum) et militaire (triumphas) sont unis autour d'un terme politique et éthique (barbarum : 'barbare' et 'grossier'). Prudence tend à identifier chrétienté, romanité et humanité, cf. c. Symm. 2, 816-819 tantum distant Romana et barbara, quantum | quadrupes abiuncta est bipedi, uel muta loquenti. | tantum etiam, qui rite Dei præcepta sequuntur, | cultibus a stolidis et eorum erroribus absunt. Tels les barbares, les païens menacent l'Empire en résistant à ses progrès civilisateurs. Au v. 382, les barbari sont les Égyptiens poursuivant les Hébreux. ritum : par synecdoque, l'ensemble d'une religion ; cf. perist. 1, 98 lupino capta ritu ; 5, 26 rudemque ritum spernite. triumphas : ce n'est pas le martyr (-> 14, 52), mais Rome qui triomphe.

      5-12 : passage d'inspiration virgilienne imité en perist. 4, 45-48 (cf. Introd. § 108).

      
5-8 Reges superbos uiceras
populosque frenis presseras ;
nunc monstruosis idolis
imponis imperii iugum.
Tu avais vaincu les rois orgueilleux et avais contenu les peuples par tes freins ; maintenant, c'est aux idoles monstrueuses que tu imposes le joug de ton empire.

      

      5-6 : vv. parallèles, cf. la position (avec rime) de uiceras et de presseras. La conversion de Rome est une révolution (v. 5 ; cf. Verg. Æn. 6, 817-818 Tarquinios reges animamque superbam | ultoris Bruti fascesque...receptos ; 6, 853) et une conquête (v. 6 ; cf. Verg. Æn. 6, 756-859, en part. 851-853 tu regere imperio populos, Romane, memento | - hæ tibi erunt artes -, pacique imponere morem, | parcere subiectos et debellare superbos ; cf. aussi 1, 522-523 o, regina, nouam cui condere Iuppiter urbem | iustitiaque dedit gentes frenare superbas), toutes deux civilisatrices. Cette idéologie classique (cf. p.ex. Octavia 676-682 ubi Romani uis est populi, | fregit claros quæ sæpe duces | dedit inuictæ leges patriæ, | ... | iussit bellum pacemque, feras | gentes domuit, | captos reges carcere clausit ?), christianisée, est réaffirmée dans le Contre Symmaque ; cependant, l'idée de pérennité de Rome (c. Symm. 1, 541-542 nec metas statuit nec tempora ponit, | imperium sine fine docet, qui reprend Verg. Æn. 1, 278-279) n'apparaît pas en perist. 2, où l'éternité véritable de Rome est au Ciel (v. 553-560).

      5 : reges superbos : même début de v. en psych. præf. 27 ; cf. aussi v. 65 (->).

      6 : de l'idéologie virgilienne, Prudence retient moins la clémence que l'hégémonie romaine (cf. c. Symm. 2, 638-640 excellentia Romæ, | quæ motus uarios simul et dicione coercet | et terrore premit), instrument d'une fin qui la dépasse : l'unification de l'humanité (v. 416-432). frenis presseras : de même, Ov. met. 4, 24 ; Sen. Phædr. 1075. Premere désigne une emprise forcée, sinon violente (-> 14, 113) ; cf. c. Symm. 2, 500 (image du frein pour la soumission à Rome).

      7 nunc : cf. v. 484 (où nunc... idola répond à nunc... idolis ici), moment proche de celui de la réouverture des temples comme monuments artistiques, mesure consacrant le triomphe du christianisme. monstruosis idolis : cf. v. 451 tot monstra deum ; reprise ironique de Verg. Æn. 8, 699 omnigenumque deum monstra (critique ne visant pas que le paganisme égyptien, mais tout paganisme ; v. cité chez Avg. conf. 8, 2, 3 ; cf. Lact. inst. 1, 20, 36). Sur idolis, -> v. 484.

      8 imponis... iugum : de même, Ov. epist. 9, 6 ; Sen. epist. 80, 50 (cf. Thraede 1973, p. 326 n. 17). Prudence file sa métaphore, passant de l'image du frein (v. préc.) à celle du joug, aussi applicable à des chevaux (-> 11, 89-90) ; cf. perist. 4, 47-48 gentes domitas coegit | ad iuga Christi ; cath. 12, 160. imperii : ce mot-clef du passage où est annoncée la grandeur de Rome (Verg. Æn. 6, 756-859) désigne ici son empire en tant qu'État 'universel'.

      

      
9-12 Hæc sola derat gloria
Vrbis togatæ insignibus,
feritate capta gentium
domaret ut spurcum Iouem,
Cette gloire seulement manquait aux titres de la Ville en toge : après avoir capturé la sauvagerie des gentils, de dompter l'immonde Jupiter, ...

      

      9 : derat : leçon de la plupart des mss, préférable à deerat (cf. Lavarenne § 9). gloria : le prestige propre à Rome - ni la vaine gloire du monde (cf. v. 201), ni seulement celle du martyr (vv. 30. 370 ; -> 14, 9) qui rejaillit sur sa cité (de même, au début de perist. 13 et perist. 1, 4-6 ; 3, 6-10 ; 4, 33. 59-60. 99 ; 6, 1-3).

      10 : Vrbis togatæ : de même, perist. 12, 56 ; cf. vv. 46 Vrbi regiæ ; 310. 412 Vrbem Romulam ; Verg. Æn. 1, 282 Romanos, rerum dominos gentemque togatam (imité en c. Symm. 1, 35). Parfois, urbs seul suffit à désigner Rome (-> v. 141). La toge, symbole de romanité (v. 419 Quirinali togæ), est entre autres (-> 12, 56) le vêtement du temps de paix (Cic. Pis. 73 pacis est insigne et oti toga). Critiquée en perist. 10, 142-145, elle est prisée ailleurs (c. Symm. 1, 8. 538. 546. 623) : marque de civilisation (c. Symm. 2, 696-699) voire d'excellence (perist. 4, 75-76).

      11 : abl. absolu (capta n'est pas un nomin., contrairement à ce que laisse entendre la traduction de Lavarenne). gentium : les païens (cf. perist. 4, 47 ; 5, 15 ; 12, 24), appelés aussi nationes (perist. 10, 372), ethnici, impii (-> v. 377), paganus (perist. 10, 1009), pago deditus (perist. 10, 296).

      12 : domaret : désigne parfois la domination de Rome (-> v. 424), utilisé à propos de lutte contre le démon (perist. 4, 103-104 horrendum didicit domare | uiribus hostem ; cath. 3, 152), en part. l'exorcisme (perist. 1, 97 ; 10, 24). Ici, Jupiter est à la fois un démon (-> 5, 78-92) et un hostis (cf. c. Symm. 1, 455 ; 2, 609. 749). spurcum Iouem : cf. c. Symm. 1, 60 Iuppiter incesta spurcauit labe Lacænas. Spurcus peut prendre un sens moral (v. 248) ou esthétique, qualifiant les démons (perist. 1, 106) ou les dieux (perist. 13, 37), dont Jupiter est le chef emblématique (-> 13, 93). Prudence adapte l'idéologie romaine de Virgile (Æn. 1, 522-523 nouam cui condere Iuppiter urbem | iustitiaque dedit gentes frenare superbas), mais s'y oppose aussi, puisque le Christ est substitué à Jupiter, assimilé aux monstruosa idola (v. 7-8) barbares.

      

      
13-16 non turbulentis uiribus
Cossi, Camilli aut Cæsaris,
sed martyris Laurentii
non incruento proelio.
non pas grâce aux forces tumultueuses de Cossus, de Camille ou de César, mais par celles du martyr Laurent, dans un combat d'où le sang ne fut pas absent.

      

      13 : les figures du patriotisme romain sont amoindries au profit du héros chrétien (cf. v. 501-502 sic dimicans Laurentius | non ense præcinxit latus). uiribus : relatif aux généraux (v. suiv.), uiribus désigne leurs armées ou la force des armes ; relatif au martyr (v. 15), sa propre vigueur.

      14 : série allitérante ; ces figures historiques (nommées resp. aux vv. 825, 841 et 834 du chant 6 de l'Énéide) incarnent la Rome conquérante. Cossi : A. Cornélius Cossus, consul en 428, a battu les Véiens, détruit leur cité et ramené leurs dépouilles opimes, remportées sur le roi Lars Tolumius lors d'un combat singulier (Liv. 4, 19, 1-6). Un autre Cossus, dictateur en 385, a triomphé des Volsques (Liv. 6, 11, 10-13). Camilli : M. Furius Camillus, réorganisateur de l'armée, remporta 2 triomphes (396 et 389) et devint un personnage de légende, appelé parens patriæ conditorque alter Vrbis en Liv. 7, 1, 10. Prudence loue sa valeur militaire en c. Symm. 2, 721-725 (analogie avec la victoire d'Honorius sur les Goths) et le cite dans une autre liste de guerriers illustres : Fabricios, Curios, hinc Drusos, inde Camillos (c. Symm. 2, 558). Cæsaris : probablement Jules César (cf. Verg. Æn. 6, 789-792), à la fois conquérant et fauteur de guerre civile ; une mention d'Auguste (cf. Buchheit 1971, p. 465) est improbable (même si Prudence reconnaît son rôle, c. Symm. 2, 430-435), car il évoque ici surtout une manière de se battre, distincte de celle du martyr. Ailleurs, Cæsar est un titre impérial (-> v. 95).

      15 : Prudence romp la symétrie, en ne qualifiant pas les uires mises en oeuvre par s. Laurent (cf. v. 13 turbulentis), mais en donnant un titre à ce dernier (martyr : -> v. 169).

      16-17 : thème de la 'victoire sans combat' (cf. Heim 1974) : cf. Ambr. in psalm. 43, 9, 2 uictorias pietatis eius enumerat, quæ non in brachio neque in gladio suo feras expulit gentes (cf. v. 11 feritate... gentium), et non certamine bellico turmas fugauit hostiles, sed mansuetudine ac fide terras inimicorum sine ullo cruore (cf. v. 16) possedit ; fides enim sola pugnauit (cf. v. 17), et ideo triumphos (cf. v. 4) meruit... non ergo pugnauit militaribus armis et ferreis telis populus Ecclesiæ... nos pugnamus in spiritu.

      16 : cf. Liv. 2, 56, 15 haud incruento proelio. Spirituel, le combat du martyr n'est pas qu'une métaphore, mais revêt une valeur symbolique (v. 17-20) et quasi sacramentelle (ici), au moyen de la parole et, arme suprême, de son sang ; cf. v. 470 te [= Iouem] sanguis exturbat Petri. non incruento : insistance sur la réalité de l'effusion de sang, sans qu'il soit dit de quel sang il s'agit (cf. ensuite v. 18 proprii cruoris prodiga). Dans l'anthropologie biblique, le sang est le siège de la vie ; le martyre est à la fois don de sa vie et baptême sanglant - Prudence croit devoir expliquer que l'on peut être martyr par noyade (perist. 7, 16-20) ; celui qui survit à ses blessures n'est pas 'martyr', mais 'confesseur' (cf. perist. 4, 182-184 quibus incruentum | ferre prouenit decus ex secundo | laudis agone). proelio : ici et v. 506, seuls ex. de ce nom dans le recueil.

      

      
17-20 Armata pugnauit Fides
proprii cruoris prodiga ;
nam morte mortem diruit
ac semet impendit sibi.
En armes, la Foi a mené le combat, prodigue de son propre sang ; en effet, elle détruisit la mort par la mort, et fit pour elle la dépense d'elle-même.

      

      17 : cf. N.T. Eph. 6, 16 in omnibus sumentes scutum fidei, in quo possitis omnia tela nequissimi ignea extinguere ; I Ioh. 5, 4 hæc est uictoria, quæ uincit mundum, fides nostra. Ce quatrain donne une clef de lecture des faits relatés ; cf. perist. 1, 43-45, en part. 43 liberam succincta ferro pestis urgebat Fidem. armata : marque de puissance et d'efficience ; cf. c. Symm. 2, 179 Lex armata sedet, sed nescit crimen opertum (ironique). La Foi a pour armes le martyr, qui l'incarne (v. 18-20), et la persécution, retournée contre le démon (v. 501-508). Cf. psych. 25-26 nec telis meminit nec tegmine cingi, | pectore sed fidens ualido membrisque retectis (duel entre Foi et Idolâtrie). Ici, on a peut-être un contraste entre armata... Fides et, au v. 10, Vrbis togatæ (cf. Liv. 4, 10, 8 æquauit... consul togatus armati gloriam collegæ). pugnauit Fides : cf. psych. 21-22 prima petit campum dubia sub sorte duelli | pugnatura Fides ; seul ex. de pugnare dans le recueil. Sur fides, -> 5, 214.

      18 : la générosité de la Foi se mesure dans l'effusion de sang et dans la générosité pour les pauvres - à l'opposé, le juge (vv. 45-56. 133-136. 166-168) et sa suite (v. 241-244) sont avares et cupides. proprii : adj. remplaçant le possessif (soulignant parfois, comme ipse, un para-doxe), cf. perist. 4, 115 ; 5, 299 ; 11, 16 ; Lvcr. 3, 991 ; Hor. epist. 1, 7, 5 (cf. Lavarenne § 513-514). cruoris prodiga : cf. perist. 3, 68 ; Hor. carm. 1, 18, 16 arcani... fides prodiga.

      19-20 : 2 polyptotes (cf. Lavarenne § 1542-1544), faisant varier le sens des termes : grâce à la mort du corps (morte), la mort de l'âme (mortem) est empêchée ; la foi sacrifie le corps (semet) pour sauver l'âme (sibi). Cf. perist. 1, 27 morte et mortem uincere ; 10, 644 moritur et mortem domat.

      19 : cf. N.T. I Cor. 15, 54-55 absorpta est mors in uictoria. ubi est, mors, uictoria tua ? ubi est, mors, stimulus tuus ? ; cf. Ambr. hymn. 10, 26 et mors triumphus ; Tert. apol. 50, 3. Par son baptême sanglant (cf. Introd. § 99 et n. 263), le martyr participe à la victoire du Christ sur la mort. nam : introduction d'une vérité générale (à l'indicatif prés.) expliquant la portée du martyre (v. 17 pugnauit). morte mortem : la mort (du corps ou de l'âme) est comme réifiée ; de même, mors est sujet aux vv. 330 uotiua mors est martyri ; 339-340 ; 509-510 mors illa sancti martyris | mors uera templorum fuit (double sens de mors). diruit : les victoires de Rome domptaient le vaincu (vv. 6 presseras ; 8 imponis... iugum ; 12 domaret), sans le détruire, comme ici.

      20 : cf. Avg. serm. 31, 2, 2 se ipsos impenserunt (les martyrs). semet : même forme en perist. 5, 279. 363 ; cath. 5, 76. Cf. aussi memet en perist. 10, 399 ; temet en ham. 705 ; sibimet en perist. 12, 25 (cf. Lavarenne § 60). impendit : cf. perist. 4, 122 sanguis impensus ; 10, 78.

      21-32 : l'entrevue entre Sixte et Laurent (reprise du De officiis ambrosien) marque le 1er acte de l'action dramatique. Ce tableau évoque 2 passages johanniques : présence du disciple bien-aimé au pied de la Croix (Ioh. 19, 26-27) et prédiction du martyre de s. Pierre (Ioh. 21, 18-19). Sixte II fut martyrisé avec plusieurs diacres le 6 août 256, lors d'une célébration dans les catacombes de Prétextat ; s. Laurent ne sera mis à mort que le 10 août, d'où ici son dépit. Un tel dialogue est possible si p.ex. le pape a été crucifié ; cette tradition (Ps.-Fvlg. Rvsp. serm. 60 [= PL 65, 931a] iuxta equuleum pendentis pontificis ; Max. Tavr. hom. 74) semble résulter d'une mélecture de Damas. carm. 25, 3-4 hi crucis inuictæ comites pariterque ministri | rectoris sancti meritum fidemque secuti (à propos de diacres de Sixte II, qui semble en fait avoir été décapité : cf. Damas. carm. 17, 4-6 militibus missis tunc colla dedere. | mox ubi cognouit senior quis tollere uellet | palmam, seque suumque caput prior obtulit ipse ; cf. aussi Cypr. epist. 80).

      

      
21-24 Fore hoc sacerdos dixerat
iam Sixtus adfixus cruci,
Laurentium flentem uidens
crucis sub ipso stipite :
Que cela adviendrait, un prêtre l'avait dit : Sixte, désormais cloué sur la croix, voyant Laurent en pleurs au pied du poteau même de la croix.

      

      21. fore : s. Laurent prophétisera aussi (v. 473-484) ; cf. perist. 12, 25 ipse prius sibimet finem cito dixerat futurum ; 10, 853-855 scio... non futurum, ut concremer, | nec passionis hoc genus datum est mihi, | et restat ingens quod fiat miraculum ; 14, 36-37. Dans les poèmes tardifs, insistance plutôt sur l'exaucement des prières. hoc : ce qui précède (v. 1-20). sacerdos : l'évêque, revêtu de la plénitude du sacerdoce (Tert. bapt. 17 summus sacerdos, qui est episcopus ; Ambr. epist. 17, 10 sanctus Damasus Romanæ ecclesiæ sacerdos) ; cf. perist. 4, 79 ; 6, 14. 43. 52 ; 11, 179 ; 12, 63.

      22. Sixtus : sur s. Sixte, cf. AA. SS. 36, 130-142 (en part. 130-131). Les mss donnent les formes Sixtus, Syxtus et Xystus. adfixus cruci : cf. Plavt. Pers. 295 ; N.T. Col. 2, 14 adfigens illud cruci ; cf. apoth. 5 obiectare neci duroque adfigere ligno ; ici, l'expression n'est pas métaphorique ('souffrant pour le Christ' : -> 5, 299), cf. v. 24 crucis sub ipso stipite. Avec s. Pierre (perist. 12, 11-20), Sixte II est le seul pape martyr cité par Prudence, et l'un comme l'autre sont crucifiés ; dans les listes détaillées de supplices (perist. 1, 55-57 ; 3, 116-120 ; 7, 11-15), la crucifixion n'est pas mentionnée ailleurs (sinon en perist. 11, 65 : ->), malgré son caractère fréquent dans la réalité ; il pourrait s'agit d'une marque d'honneur délibérée pour ces 2 martyrs.

      23 : s. Laurent pleure par crainte d'avoir la vie sauve (et de perdre une occasion de salut) et se moquera de ses bourreaux ; il gémira sur la perte de Rome (v. 410-412). flentem uidens : tour classique ; cf. perist. 5, 128 te, Christe, præsentem uidens ; 6, 53. 111 ; 10, 239 ; -> 12, 44.

      24. stipite : le poteau de la croix (cf. perist. 12, 16), désignée concrètement.

      

      
25-28 " Desiste discessu meo
fletum dolenter fundere !
Præcedo, frater ; tu quoque
post hoc sequeris triduum.
"
" Cesse de répandre de douloureuses larmes du fait de mon départ ! Je te précède, mon frère : toi aussi, tu me suivras, après ces trois jours. "

      

      25-26 : s. Sixte sait que ce n'est pas le deuil, mais la crainte de ne pas être martyr qui affecte s. Laurent. D'autres évêques martyrs doivent rassurer leurs ouailles à leur sujet (cf. perist. 7) ou les encourager au martyre (perist. 13, 72-75), même s'il s'agit de diacres (perist. 6, 19-27).

      25 : discessu : euphémisme désignant la mort (cf. Cic. diu. 1, 47 discessus e uita) ; l'emploi absolu de discessus n'est attesté que tardivement (cf. Apring. in apoc. 2, 10).

      26 : fletum... fundere : cf. v. 23 flentem ; perist. 9, 99 ; Verg. Æn. 2, 271 uisus... effundere fletus ; Ov. met. 11, 672. dolenter : le martyr ne laissera pas transparaître la douleur, réelle (cf. vv. 218. 340), du supplice, mais exprimera à nouveau sa douleur morale au v. 411.

      27 : præcedo : -o est abrégé (-> v. 297). En tant qu'évêque, s. Sixte donne l'exemple et devient la première victime de la persécution (Ps.-Max. Tavr. hom. 75 p. 411a nocendi artifex inimicus peruigilis prius molitur custodiam pastoris eripere. et ideo Sixtum ante omnes summum Domini sacerdotem furor gentilis aggreditur ; cf. perist. 13, 46-48). frater : désignation des chrétiens (-> v. 73) prenant un sens fort durant les persécutions, les hommes devenant frères d'armes (-> 5, 288). Corrigeant la version ambrosienne (-> 13, 48), Prudence remplace les rapports de filiation (Ambr. off. 1, 41, 205 quo progrederis sine filio, pater ? quo, sacerdos sancte, sine diacono properas tuo ? ; hymn. 13, 7 mærere, fili, desine) par des rapports de fraternité. (En l'espèce, il eût été difficile de faire précéder tu quoque par fili : allusion déplacée à la mort de César).

      28 : sequeris : -> 14, 83 ; cf. perist. 13, 48 qui sociare animam Christo uelit, ut comes sequatur. triduum : décalage temporel attesté par les martyrologes ; exécuté après le reste du clergé romain, le diacre-trésorier a de fait échappé à la mise à mort immédiate. Le délai prédit et celui qui sera convenu (vv. 137 pepigere tempus tridui ; 141-142) sont les mêmes. La comparution de s. Laurent a donc eu lieu le même jour, ce qui donne un ton particulier à l'affirmation de clémence par laquelle le préfet commence son discours (v. 57-64).

      

      
29-32 Extrema uox episcopi,
prænuntiatrix gloriæ,
nihil fefellit ; nam dies
prædicta palmam prætulit.
Les derniers mots de l'évêque, annonciateurs de gloire, à l'avance, n'ont en rien été trompeurs ; en effet, le jour prédit apporta la palme.

      29 : extrema uox : cf. perist. 11, 109 ultima uox audita senis uenerabilis. Le diacre prophétisera aussi avant de mourir (v. 473-474) ; ailleurs, on a une dernière prière de demande (perist. 7, 79-85 ; 11, 110 ; 14, 81-84) ou d'action de grâces (perist. 3, 136-140 ; 13, 95), un macarisme (perist. 6, 97-99), un constat de victoire (perist. 10, 1091-1100). uox : nom repris au v. 33 (la voix du poète, qui célèbre a posteriori ce qui est ici prophétisé). episcopi : l'évêque (cf. perist. 7, 22. 51), désigné aussi par gregis pastor (perist. 6, 47), sacerdos (-> v. 21).

      30 : prænuntiatrix : seule occurrence du terme dans la littérature latine ; cf. prænuntius (cath. 7, 102), prænuntiatus (perist. 10, 625). gloriæ : la gloire du martyre ; -> v. 9.

      31 : nihil fefellit : cf. perist. 12, 28 non hora uatem, non dies fefellit. L'acc. nihil est quasi adverbial. dies : providentiel, le jour de ce martyre (fixé par le juge : -> v. 165-166) marque le début du déclin du paganisme (v. 497-498 refrixit ex illo die | cultus deorum turpium). Ce jour est vu d'abord comme une date historique unique (en perist. 3. 5. 11. 12 : fête liturgique, surtout).

      32 : palmam : symbole du martyre, -> 5, 539. prætulit : cf. v. 369-370 talemque et ille prætulit | oris corusci gloriam. Cette leçon des mss ACD est retenue par Bergman et Lavarenne ; se basant sur d'autres mss (notamment BTES), Cunningham préfère præstitit.

      
33-36 Qua uoce, quantis laudibus
celebrabo mortis ordinem,
quo passionem carmine
digne retexens concinam ?
Par quels mots, par quel déploiement de louanges célébrerai-je le déroulement de sa mort ? En quel poème, retissant le fil de sa passion, la chanterai-je dignement ?

      

      33-36 : contrairement à ce que traduit Lavarenne, ce prélude retardé n'est pas une adresse au martyr (cf. perist. 10, 1-4 Romane..., | elinguis oris organum fautor moue, | largire comptum carmen infantissimo, | fac ut tuarum mira laudum concinam !), mais un monologue intérieur. Cf. de même le postlude de perist. 3, 208-210 ; præf. 36 uoce Deum concelebret ; cf. aussi apoth. 741-742.

      33 : laudibus : cf. perist. 10, 565 ad laudes Dei ; (sur le sing., 'gloire', -> 13, 75).

      34 : celebrabo : -> 11, 198 ; -o est abrégé (-> v. 297). mortis ordinem : cf. ThlL s.v. ordo, 956, 62-65) ; équivalent de passionem (v. 35 ; cf. perist. 1, 77 ordinem, tempus modumque passionis), la mort (-> v. 19) étant vue ici moins comme fait ponctuel que comme processus.

      35 : Prudence évoque son genre littéraire : passio (cf. titre) poétique (cf. Introd. § 168 et n. 122). passionem : repris à la même position au v. 550, soit à une place symétrique dans le poème (35 vv. avant la fin) ; même jeu en perist. 12, 2 et 65 avec Romam / Romæ. carmine : même désignation des poèmes du Peristephanon en perist. 3, 215 ; 4, 165 ; 10, 3 ; præf. 42. Martyrs (perist. 5, 314 ; 14, 53) et fidèles (perist. 6, 156 ; 10, 838) chantent des carmina.

      36 : retexens : même image aux vv. 257-258 quid inuidorum pectorum | strumas retexam turgidas ; cf. perist. 3, 208-209 serta... | texta feram pede dactylico ; 10, 408. 944 ; cath. 5, 80-81 quæ... poterit lingua retexere | laudes, Christe, tuas ; Avson. 38, 1 Licia qui texunt et carmina. concinam : cf. perist. 4, 150 mors et Vrbani tibi concinatur ; 10, 4 ; 14, 53.

      
37-40 Hic primus e septem uiris,
qui stant ad aram proximi,
Leuita sublimis gradu
et ceteris præstantior,
Celui-là était le premier des sept hommes qui se tiennent tout près de l'autel : lévite le plus haut par son rang et plus excellent que tous les autres, ...

      

      37-38 : périphrase quasi énigmatique désignant l'archidiacre (archidiaconus : Hier. epist. 146, 1 ; Sidon. epist. 4, 25, 4) ; cf. l'épitaphe de Sabinus : altaris primus per tempora multa minister | elegi sancti ianitor esse loci (pronaos de S.-Laurent-hors-les-Murs ; Inscr. christ. Diehl I 1194). Le nombre 7 évoque celui des lampes brûlant devant le trône divin (N.T. apoc. 4, 5 septem lampades ardentes ante thronum quæ sunt septem spiritus Dei) ; cf. perist. 5, 30-32 (Introd. §§ 112. 159).

      37 : septem : à Rome, l'usage d'avoir 7 diacres (origines : -> 5, 32) est attesté dès les premiers temps (cf. Liber Pontificalis, t. 1 pp. 118. 126) ; au milieu du iiie s., ils seront préposés à des régions ou 'diaconies' (ibid., t. 1, p. 148) pour l'assistance aux pauvres - ici, l'archi-diacre, seul survivant, parcourra toute la ville (vv. 141. 157) ; cf. DECA, s.v. archidiacre, p. 221-222 (Di Berardino). uiris : uir (connotation militaire voire héroïque) se retrouve dans tous les poèmes, sauf perist. 3. 14 (uirgines ; -> 14, 4), et 12 (apôtres Pierre et Paul ; absence aussi du terme martyr, -> v. 169) : vv. 491. 558 et perist. 1, 25. 81 ; 4, 161 ; 5, 222 ; 6, 16. 22. 123 ; 7, 49 ; 8, 4 ; 9, 34. 84 ; 10, 125. 387. 452. 753 ; 11, 11. 40. 103. 126 ; 13, 42 (->). 49.

      38 : périphrase précisant l'office liturgique des diacres. stant : le diacre assiste le prêtre, se tenant debout près de l'autel. aram : ara désigne aussi bien l'autel chrétien (ici) que les autels païens (-> 5, 518). proximi : allusion possible à la hiérarchie de l'État (cf. le 'consulat' de s. Laurent, v. 560) - Prudence acheva sa carrière comme 'proxime' (cf. Introd. § 5 et n. 17).

      39 : Leuita : cf. perist. 5, 30 ; 6, 3. 15 ; à côté de cette forme (Vulgate ; LXX ; hébreu), les dérivés de Leui ont dans certains mss un double -u- (Vetus Latina et, semble-t-il, s. Cyprien ; cf. Lavarenne § 7 ; Charlet 1983, p. 14) ; on a Leuites en perist. 5, 145. Prudence est le 1er témoin latin de l'usage (courant par la suite) de 'lévite', attesté en grec dès Clem. epist. 1, 40, 5 ; cf. Sidon. epist. 2, 9 ; Isid. orig. 7, 12 Leuitæ ex nomine auctoris uocati : de Leui enim Leuitæ exorti sunt, a quibus in templo Dei mysteria explebantur. hi Græce diaconi, Latine ministri dicuntur. L'analogie entre diacres et lévites provient de la similitude de leurs fonctions : assistance du prêtre dans la liturgie, relations avec le peuple (V.T. II chron. 29, 34), intendance du sanctuaire et garde des objets sacrés (num. 3, 8), gestion des offrandes (num. 18, 26-32) ; cf. II Esd. 12, 1 sacerdotes et Leuitæ. Il y a encore un certain flou chez Prudence, puisque gentis Leuitidis (psych. 502) désigne les prêtres. Diaconus n'apparaît jamais chez Prudence, si ce n'est dans le titre de perist. 6. gradu : rang (-> 14, 100) dans la hiérarchie sacerdotale.

      40 : vu l'étymologie de præstantior, ce v. résume les vv. 37-38 et introduit l'idée d'une plus grande excellence personnelle, complétant sublimis gradu (v. préc.). præstantior : ce comparatif se rapporte au ministère liturgique de l'archidiacre ; au v. 569, præsto concernera son attitude de père nourricier, au Ciel. ceteris : complétant un comparatif, cet adj. est utilisé dans des expressions équivalant à un superlatif ; cf. perist. 10, 830 puriorem ceteris.

      
41-44 claustris sacrorum præerat,
cælestis arcanum domus
fidis gubernans clauibus,
uotasque dispensans opes.
il présidait aux serrures des choses sacrées, tenant avec ses clefs fidèles le gouvernail de ce que la demeure céleste a de secret, et répartissant les ressources données par voeu.

      41 : sacrorum : les vases et ustensiles liturgiques que convoitera le préfet (v. 65-72) - peut-être aussi les Écritures (perist. 5, 181-190) ou la réserve eucharistique (v. suiv. arcanum).

      42 : cælestis... domus : le bâtiment de l'église (perist. 10, 102 sanctam salutis... nostræ domum), -> v. 82. Sur cælestis, -> 14, 62. arcanum : adj. substantivé (cf. c. Symm. 2, 75. 926 ; Liv. 39, 13, 1 ; Ivv. 9, 115), désignant un trésor secret ; év. référence à l'Eucharistie, mysterium fidei - le juge voit la messe comme un culte à mystères (cf. vv. 65 orgiis ; 350 mysteriarches).

      43 : fidis... clauibus : hypallage (c'est le sujet de gubernans qui est fidus) ; de même, à propos d'un autel, custos fida sui martyris apposita (perist. 11, 172). Fidus se retrouve au v. 458 à propos de sts Pierre et Paul, obsides | fidissimos huius spei. Par son pouvoir symbolisé et exercé par les clefs, le martyr est à l'image de s. Pierre (v. 463-464 recludit creditas | æternitatis ianuas ; ->), qu'il invoquera pour chasser Jupiter (v. 470 te sanguis exturbat Petri). gubernans clauibus : év. jeu de mots, clauus (c. Symm. 2, 419), proche de clauis, désignant la barre, le gouvernail.

      44 : uotasque... opes : les offrandes faites à l'Église, 'vouées' à Dieu, peut-être suite à un voeu (-> v. 536) ; le juge critiquera de telles donations (v. 73-88). uotasque : participe passé ; ailleurs, on a uotiuus (cf. v. 330), moins susceptible d'être confondu avec le nom uotum. (Le texte notasque de Lavarenne est une faute d'impression.) dispensans : verbe utilisé en c. Symm. 1, 582 à propos des distributions de pain faites à la plèbe. L'office du diacre est de distribuer (vv. 158-160. 569-572) des biens que le juge croit être cachés et thésaurisés.

      
45-48 Versat famem pecuniæ
præfectus Vrbis regiæ,
minister insani ducis,
exactor auri et sanguinis,
La faim de l'argent agite le préfet de la Ville reine, serviteur d'un prince insensé et percepteur d'or et de sang : ...

      

      45-48 : ce quatrain est rimé (vv. 45-46 en -iæ ; vv. 47-48 en -is).

      45 : uersat : verbe régissant à la fois famem et l'interrogative indirecte qua ui latentes eruat nummos (v. 49-50) ; trait de style tacitéen. famem pecuniæ : cf. v. 189 aurum, quod ardenter sitis ; év. allusion à Verg. Æn. 3, 57 auri sacra fames (repris en ham. 257 auri namque fames parto fit maior ab auro). La condamnation de la cupidité (-> v. 18 ; tirade contre l'or, cf. v. 189-204) est typique du milieu ambrosien (cf. Pavl. Med. uita Ambr. 41 ; Ambr. off. passim).

      46 : præfectus Vrbis : magistrat parvenu au faîte de la carrière sénatoriale, chargé surtout de l'ordre public à Rome et dans le territoire inscrit dans un rayon de 100 milles. On retrouve præfectus (employé seulement en perist. 2 et 10) en début des vv. 134. 182. 314. 405 et au v. 357. De très bons mss (ABTV) ont ici præfectus Vrbi (Bergman, Cunningham). Il vaut mieux, comme Lavarenne, suivre le texte de la majorité des mss, vu la symétrie avec le v. suiv. minister insani ducis : le préfet est à la tête de Rome et subordonné à l'empereur. Vrbis regiæ : Rome (-> v. 10), appelée regina en c. Symm. 1, 430. 464. Regia, marque d'excellence (-> 12, 47), évoque aussi le pouvoir impérial (-> 14, 66).

      47 : persécuteurs et démons tendant à être assimilés (perist. 5, 265-268), le préfet, serviteur de l'empereur (minister), peut apparaître comme le suppôt de Satan (dux pour Satan, c. Symm 2, 889 ; minister pour des démons, ham. 392. 958), l'adversaire du martyr (-> v. 505). Comme en perist. 5 (-> 5, 176), le juge sera présenté comme un possédé : vv. 166 furebat feruidus ; 182. 184 horrescit stupens... oculisque turbatis minax ; 185 frendens. insani : -> 5, 203 ; cf. v. 316 et uiuit insanum caput ! (le préfet, contre le martyr). ducis : l'empereur (cf. v. 92 ; perist. 3, 86 ; 7, 6).

      48 : cf. ham. 396 sanguinis atra sitis et sitis auri. Le juge verse le sang des martyrs et recherche l'or matériel - les martyrs offrent leur sang et gagnent l'or incorruptible du Ciel : cf. perist. 1, 1-3 (nom des martyrs, en lettres d'or au ciel, de sang sur terre) ; cf. v. 275-276 purpurantibus stolis | clari et coronis aureis. exactor : celui qui fait rentrer l'argent (Cæs. ciu. 3, 32, 4 ; Vlp. dig. 22, 1, 33) ; cf. psych. 950-951 (Purgatoire) cuncta exacturus adusque | quadrantem minimum damnosæ debita uitæ. auri : l'or est sans cesse mentionné, dans un sens concret (ici et aux vv. 68. 71. 101. 135. 189-200. 365) ou métaphorique (vv. 115. 174. 203. 276. 293). sanguinis : le sang des martyrs a une valeur sacrée (cf. vv. 470. 546), au contraire du sanguis in culpam calens (v. 213) du pécheur ou du sang des sacrifices païens (v. 481).

      
49-52 qua ui latentes eruat
nummos, operta existimans
talenta sub sacrariis
cumulosque congestos tegi.
par quel coup de force allait-il tirer la monnaie au dehors ? Il pense que des lingots sont dissimulés sous les lieux saints et que des tas amoncelés y sont abrités.

      

      49-51 : latentes... nummos, operta... talenta : répétition, avec rejet du substantif au v. suiv. (syntaxe différente) ; cf. perist. 5, 181-182 latentes paginas | librosque opertos detege.

      50 : nummos : cf. v. 107 nummos libenter reddite et vv. 96. 120. 293. operta : ce qui est caché sous le choeur des églises n'est pas de l'or, mais les reliques ; cf. perist. 4, 194-196 ; 5, 517 ; 11, 169 talibus Hippolyti corpus mandatur opertis (operta désigne une crypte) ; cf. v. 52.

      51 : talenta : unité monétaire grecque (poids élevé de métal précieux : -> 12, 48), mentionnée aux vv. 176. 309, à côté des philippes (v. 102 ; ->) et des sesterces (v. 76). Ces indications vagues suggèrent la valeur du trésor. sacrariis : le choeur de l'église (-> 5, 517).

      52 : cumulosque congestos : termes redondants ; cf. ham. 254 cumulos nummorum ; c. Symm. 2, 151 nimium ne congerat aurum ; 718 in cumulos congesta iacent (cadavres des ennemis de Rome). congestos : ce qui est amassé dans les églises n'est pas l'or, mais les prières (perist. 1, 13 nemo puras hic rogando puras congessit preces) et aussi les corps de défunts (perist. 11, 11 quanta uirum iaceant congestis corpora aceruis). tegi : souvent, sens funéraire (perist. 3, 178 ; cath. 10, 62. 133), ce qui peut amener à voir ici une allusion involontaire au véritable trésor de l'Église (les saints et leurs reliques) ; de même pour condere, utilisé au v. 56 (cf. perist. 10, 525 ; 14, 3).

      53-488 : narrations, dialogues et discours alternent dans le récit de la 'passion'. Le martyr relève successivement un défi à l'Église, puis un défi à sa propre personne (torture).

      
1. ordre du préfet 2. réaction du martyr 3. défi du martyr 4. discours du martyr
v. 53-140 : livrer les biens de l'Église v. 141-164 : mise en scène des pauvres v. 165-184 : présentation des pauvres v. 185-312 : discours moral explicatif
v. 313-360 : mettre le martyr sur le gril v. 361-396 : illumination du visage v. 397-409 : moquerie relative au gril v. 410-488 : grande prière avant la mort

      53-140 : la 1ère confrontation des protagonistes constitue un nouvel 'acte' de l'action (cf. Introd. § 121). Le juge expose sa volonté, son analyse de la situation et ses demandes (v. 53-108). Le martyr n'obéira et ne répondra qu'à l'injonction du v. 85 deprome thesauros (->). Faisant mine d'accepter, il attise la soif d'or du préfet, qui accepte, joyeux (v. 133-140), la demande d'un délai (v. 109-132). Le martyr a un plan pour duper le juge - à cette fin, il donne à tous ses mots une valeur métaphorique.

      
53-56 Laurentium sisti iubet ;
exquirit arcam ditibus
massis refertam et fulgidæ
montes monetæ conditos.
Il ordonne de faire comparaître Laurent ; il s'enquiert de la cassette remplie de riches métaux et des monceaux cachés de pièces brillantes.

      

      53: sisti : cf. perist. 1, 100 ; 11, 39 ; 13, 89 ; 14, 38-39 iubet | ... sistere uirginem.

      54 : exquirit : cf. v. 157-158 tales plateis omnibus | exquirit ; ici, le préfet recherche l'or caché dans l'église, là, le martyr recherche dans Rome les pauvres qu'il présentera comme le vrai trésor de l'Église. arcam : nom repris dans la réponse (même position du v.) : nec recuso prodere | locupletis arcam numinis (v. 121-122). Arca, contenant des trésors de l'Église, suggère une correspondance avec l'arche d'Alliance (psych. 813) ; arca désignant aussi le sarcophage, la tombe (cf. Avg. ciu. 18, 5, 262), son contenu peut être humain (-> v. 113-120).

      54-55 : ditibus massis : le métal précieux destiné à être travaillé (perist. 10, 284) ; massa désigne l'homme dans sa matérialité en perist. 13, 87 ; apoth. 1030. Sur la richesse de cette 'masse', cf. vv. 116 nec quisquam in orbe est ditior (le Christ) ; 309. 311-312 eccum talenta, suscipe... ditabis et rem principis, | fies et ipse ditior.

      55 : et : épidictique ou pur coordonnant, et avec ce qui suit suggère la surenchère des espérances du préfet qui, malgré l'incertitude, se représente un immense trésor (cf. v. 65-80).

      55-56 : fulgidæ... monetæ : cf. psych. 526-527 sordet Christicolis rutilantis fulua monetæ | effigies. Le serviteur de César, qui ne veut voir que l'effigie de son maître sur sa monnaie (v. 95-98), ne pourra percevoir la transfiguration du visage du martyr (v. 362 fulgorque circumfusus est).

      56 : montes monetæ : expression allitérante, proverbiale. montes... conditos : cf. cumulosque congestos tegi (v. 52 ; ->). conditos : cf. v. 135-136 [præfectus] aurum, uelut iam conditum | domi maneret, gestiens (correspondance suggérant que le juge évoque son propre vice).

      
57-60 " Soletis ", inquit, " conqueri
sæuire nos iusto amplius,
cum Christiana corpora
plus quam cruente scindimus.
" Vous avez coutume ", dit-il, " de vous plaindre que nous fassions preuve d'une cruauté plus grande que de juste, quand nous déchirons les corps des chrétiens de manière plus que sanguinaire.

      

      57 : soletis : le préfet, qui se prétend bien informé (cf. vv. 65-84. 329-332), évoque les griefs habituels des chrétiens. conqueri : le préfixe con- a un sens intensif, év. aussi collectif.

      58 : sæuire : verbe utilisé à propos du juge (perist. 5, 381 ; c. Symm. 2, 683) ou des bourreaux (perist. 9, 62 ; 10, 457. 481 ; 14, 17). nos : le préfet use des 1ère (v. 60) et 2e (soletis) pers. du plur. : 2 'camps' s'affrontent. iusto amplius : 'au-delà ce ce qui est juste', et non 'avec plus de justice' (iustius ; cf. perist. 5, 188) ; cf. v. 60 plus quam cruente. Les chrétiens se plaindraient non d'une cruauté en soi admissible mais de son excès ; ajouté à l'hypocrisie des vv. 61-64, cet euphémisme contraste avec le cynisme de l'aveu de sa cruauté - le préfet vient de supplicier s. Sixte. iusto : sens abstrait (cf. ham. 703) ; au v. 98, individuel et concret.

      59 : Christiana corpora : équivalent de Christianorum corpora, voire de Christianos, avec év. une ironie involontaire, le pouvoir du préfet atteignant le corps, non l'âme (cf. perist. 5, 153-172). Le martyr accepte de se soumettre à ce pouvoir (v. 218-220). Moins fréquent que Christicola (-> 11, 39), Christianus est utilisé aux vv. 430. 434 (même place du v.) et en perist. 5, 64. 377 ; 9, 30 ; 10, 57. 406. 443. 1002. Les formes fléchies de corpus font aussi une fin de v. aux vv. 229. 348. 583 et en perist. 5, 339. 425. 470. 486. 530. 544.

      59-60 : corpora... scindimus : cf. perist. 1, 104 scinditur per flagra corpus (exorcisme). Scindere est utilisé à propos de supplices en perist. 5, 150 ; 9, 56 ; 10, 451. 560 ; 11, 119. Expressions analogues en perist. 3, 89 ; 6, 70 ; 10, 1093 ; 13, 86 ; 14, 19.

      60 : le préfet, cynique, reconnaît l'horreur (plus quam cruente) des persécutions comme un fait objectif et actuel (cf. l'indicatif scindimus). plus quam cruente : expression à valeur superlative, indiquant l'excès (cf. apoth. 37 plus quam mortale). Sur cruentus, -> 5, 153.

      

      
61-64 " Abest atrocioribus
censura feruens motibus ;
blande et quiete efflagito,
quod sponte obire debeas.
" Loin de moi une répression bouillonnant d'élans trop violents ; c'est sur un ton caressant et calme que je sollicite avec empressement ce pour quoi tu devrais spontanément prendre les devants.

      61 : abest : même tour impersonnel en perist. 3, 143 ; c. Symm. 2, 737. atrocioribus : comparatif employé comme un intensif (cf. perist. 10, 921), proche du positif.

      62 : censura : cf. v. 325-326 adeone nulla austeritas, | censura nulla est fascibus... ? (cri du préfet, qui tombe le masque). feruens : même emploi au v. 249 et en perist. 5, 468.

      63 : blande et quiete : cf. perist. 5, 17-18 uerba primum mollia | suadendo blande effuderat ; 14, 16 ore blandi iudicis illice (->) ; Cic. Rosc. 49 rogare coepit blande et concinne ; Tusc. 4, 49 leniter et quiete. Le préfet commence par flatter celui dont il veut obtenir quelque chose et se prétend sans passions et raisonnable. efflagito : Prudence n'utilise ce verbe qu'ici (demande déguisant un ordre) et au v. 168 (promissa solui efflagitans). Le martyr dira : unum sed orans flagito (v. 125).

      64 : sponte obire : le préfet en appelle à la réaction spontanée du martyr - obéissance accordée à Dieu seul (-> 5, 221). Ici, obire a le sens étymologique d''aller au-devant' (cf. sponte) ; sens de 'mourir', -> 13, 5. debeas : conclusion menaçante de la captatio beneuolentiæ.

      65-72 : le juge est précis dans son évocation de la vaisselle liturgique - ce trait, même peu vraisemblable, relève du portrait de l'avare. Même si, dans la liturgie du iiie s., l'emploi de vases sacrés en métaux précieux est probable, Prudence recourt à l'anachronisme (cf. vv. 73-84. 237-240. 445-452. 513-528), afin de toucher son public ; les objets évoqués ici (patène ou ciboire en or, calices en argent, chandeliers en or), correspondent p.ex. à ceux de la donation de Constantin à la basilique de S.-Laurent : in crypta posuit lucernam ex auro purissimo... candelabra duo... patenam auream..., patenas argenteas duas..., scyphum ex auro purissimo..., scyphos argenteos duos..., calices ministeriales argenteos decem... (AA. SS. 36, 486c = Athan. biblioth. 1, 34, 47).

      

      
65-68 " Hunc esse uestris orgiis
moremque et artem proditum est,
hanc disciplinam foederis,
libent ut auro antistites.
" Tels sont l'usage et la pratique, dans vos orgies, m'a-t-on rapporté, telle est la règle de cette alliance : que les prêtres sacrifient dans l'or.

      

      65 : hunc : accord avec le nom le plus proche (moremque, v. 66) ; cf. hanc, v. 67. orgiis : le juge parle du christianisme comme d'un culte à mystères (cf. aussi v. 350 mysteriarches). Orgia, utilisé pour la messe, désigne des cultes païens (c. Symm. 1, 188 ; cf. Stat. silu. 5, 5, 4 ; Ivv. 2, 91) ; ici sans connotation négative, appliqué aux rites d'hérétiques par Hier. epist. 84, 3, 7.

      66-67 : moremque et artem... disciplinam foederis : la liturgie, usage traditionnel (mos) et savoir pratique (ars) et théorique (disciplinam), scellant une alliance (foederis ; ce gén. dépend des 3 noms). Lavarenne voit moremque et artem comme un hendyadyn ('le procédé habituel'), dont disciplinam foederis ('la méthode rituelle') serait un doublet ; cependant, on explique mal l'emploi de -que s'il y a un hendiadyn - on a plutôt ici l'équivalent de et morem et artem (même tour au v. 115 p.ex.), et chaque terme a un sens précis.

      66 : moremque : cf. perist. 6, 107 ; 10, 401. artem : cf. cath. 2, 49-52. 54 te mente pura et simplici,| te uoce, te cantu pio | rogare curuato genu | flendo et canendo discimus... hac arte tantum uiuimus.

      67 : disciplinam : la liturgie comporte des principes et un enseignement spirituel (lex orandi, lex credendi). Disciplina désigne la doctrine chrétienne en perist. 10, 45. 366. 687. foederis : dans la tradition biblique, l'acte sacrificiel scelle une alliance avec Dieu ; cf., durant la messe, les paroles de la consécration du calice (hic est enim calix sanguinis mei, noui et æterni testamenti...). La messe est tradition et usage (mos) de l'Alliance, pratique et actualisation (ars) du sacrifice de cette Alliance, et enseignement du mystère qui la fonde (disciplina).

      68 : parlant de 'libation', le préfet ne songe qu'à la consécration du calice ; il se fonde sur son imagination (cf. v. 69-70 ; incohérence, avec les mentions ici de vases en or et là de coupes d'argent) et sur des on-dit (vv. 66 proditum est ; 69 ferunt ; 74 ut sermo testatur loquax ; 93 audio). libent... auro : cf. Verg. Æn. 7, 245 hoc... auro libabat ad aras ; georg. 2, 192 [latex] qualem pateris libamus et auro. Ici et au v. 71, auro est utilisé par synecdoque ; seule sa matière (l'or : -> v. 48) intéresse le préfet. libent : employé non au sens dérivé profane de 'boire' (perist. 6, 53. 60), mais par analogie avec son sens religieux païen (perist. 10, 255). L'emploi de la 3e pers. (et non de la 2e) laisse entendre que le préfet sait que s. Laurent, diacre, n'est pas habilité à célébrer la messe (il l'appelle cependant mysteriarches au v. 350). antistites : nom désignant le prêtre (perist. 11, 226 ; apoth. 406 ; Tert. fug. 2 ; nat. 1, 11), parfois l'évêque (Cypr. laps. 22 ; epist. 66, 5) ; utilisé aussi dans un contexte païen (apoth. 499), comme sacerdos. Prudence utilise aussi presbyter (perist. 11, 20), sacerdotes Domini (psych. 498), gens Leuitis (psych. 502).

      
69-72 " Argenteis scyphis ferunt
fumare sacrum sanguinem

auroque nocturnis sacris
adstare fixos cereos.
" On dit que c'est dans des calices d'argent que fume le sang sacré et que c'est dans l'or que, durant les cultes nocturnes, sont maintenus les cierges qui se dressent.

      

      69 : argenteis scyphis : scyphus, coupe à boire (epil. 15) ; ici, calices d'argent contenant le Sang du Christ (v. suiv. sacrum sanguinem) ; Prudence mentionne moins l'argent (pièces : v. 118 ; plats : epil. 18) que l'or, qui lui est parfois associé (-> 14, 102). ferunt : -> v. 68.

      70 : fumare... sanguinem : peut-être vaguement informé à propos de la trans-substantiation ou songeant à l'égorgement d'un animal, le préfet évoque concrètement le sang encore chaud (cf. ditt. 115 ; psych. 808 fumarat calido regum de sanguine dextra ; c. Symm. 2, 296 ; cf. perist. 5, 152 ; 10, 1028-1029 ; 11, 143) ; -> 9, 92. sacrum sanguinem : le préfet parle du culte chrétien avec respect (cf. sacrum ; au contraire, -> 5, 26), sans faire état de rumeurs (infanticide, débauche) que Tertullien (apol. 7-9) devait réfuter 60 ans plus tôt ; il garde ses sarcasmes pour ce qui l'intéresse, les questions financières (v. 73-108). Sur l'Eucharistie chez Prudence, cf. p.ex. perist. 11, 171. Sacer (-> 14, 14) est repris, substantivé, au v. suiv.

      71 : le juge voit l'or là où l'Église voit l'homme, considérant les chandeliers dressés autour du prêtre (v. suiv. adstant), non les diacres (cf. v. 37-38 e septem uiris | qui stant ad aram proximi). auroque : -> v. 48 ; abl. de moyen dépendant de fixos (v. suiv.) ; même tour au v. 68 ; la 1ère moitié du quatrain commençait par argenteis - parallélisme et gradation. nocturnis sacris : les vigiles, célébrations (sacra : -> v. 423) nocturnes s'achevant à l'aube ; cf. Plin. epist. 10, 96, 7 quod essent soliti stato die ante lucem conuenire ; cf. cath. 5, 137-140 nos festis trahimus per pia gaudia | noctem conciliis, uotaque prospera | certatim uigili congerimus prece, | extructoque agimus liba sacrario.

      72 : adstare : cf. v. 164, à propos des pauvres réunis par le martyr, adstare pro templo iubet. cereos : dans son hymnus ad incensum lucernæ, Prudence évoque les types de luminaires : lampes à huile (cath. 5, 13-14 pinguis quos oleis rore madentibus | lychnis ; 17-18 ; 141-144), torches (cath. 5, 14. 19) et cierges (cath. 5, 15-16 ; 20 ceram teretem stuppa calens bibit).

      73-84 : sur les legs (N.T. act. 4, 34-35), question alors débattue (-> v. 65-72), cf. DECA, s.v. donations à l'Eglise, p. 715-716 (Munier) ; cf. Hier. epist. 60, 11 alii nummum addant nummo, et marsuppium suffocantes matronarum opes uenentur obsequiis, sint ditiores monachi quam fuerant sæculares, possideant sub Christo paupere quas sub locuplete diabolo non habuerant, et suspiret eos Ecclesia diuites quos tenuit mundus ante mendicos. En 370, Valentinien notifie à Damase l'interdiction aux clercs de visiter vierges et veuves pour en obtenir des dons (Cod. Theod. 16, 2, 20). Du temps de s. Laurent, l'Église, ne pouvait figurer dans un testament (sinon comme collège funéraire).

      

      
73-76 " Tum summa cura est fratribus,
ut sermo testatur loquax,
offerre fundis uenditis
sestertiorum milia.
" Et puis, le souci principal des chers frères, comme en attestent des propos bavards, c'est d'offrir des milliers de sesterces, suite à la vente de leurs terrains.

      

      73 : tum : sans valeur temporelle ou logique. summa cura : ironique, venant d'un homme cupide ; cf. v. 83 summa pietas creditur. fratribus : désignation ironique des chrétiens (au quatrain suiv., reproche d'un manque de piété familiale) ; cf. vv. 27. 374 ; perist. 6, 133.

      74 : incise rappelant que le préfet s'appuie sur les dires d'autrui (-> v. 68). sermo : syllabe finale abrégée (fréquent pour des noms en -o : cf. perist. 3, 147 ; 4, 82 ; 5, 111 ; 6, 1 ; 10, 493. 759. 896 ; 11, 64. 196. 219 ; 12, 23) ; id., formes verbales (-> v. 297). Cf. Lavarenne § 168-169. loquax : cf. Ov. Pont. 2, 9, 3 fama loquax. Cet adj. est une sorte d'epitheton ornans de sermo ; de même, avec lingua (c. Symm. 2 præf. 45) et avec cornix (apoth. 298).

      75 : offerre : cf. v. 523-524 offerre uotis pignera | clarissimorum liberum (enfants voués à Dieu) : ici aussi (-> v. 113-120), l'homme prend la place de l'or comme valeur ultime. uenditis : souvent utilisé par le préfet, obsédé par l'argent : vv. 105-106 dictorum fidem, | qua uos per orbem uenditis ; 323-324 egon cachinnis uenditus | acroma festiuum fui ?

      76 : sestertiorum : gén. de la 2e décl., plus rare que -um ; cf. Colvm. 3, 3, 8. Le sesterce, encore en circulation à l'époque impériale, désigne une pièce de monnaie quel-conque ; au v. 102, des philippes. milia : grand nombre, indéterminé (-> 13, 37).

      
77-80 " Addicta auorum prædia
foedis sub auctionibus
successor exheres gemit,
sanctis egens parentibus.
" Les domaines ancestraux sont adjugés lors d'enchères honteuses, le descendant déshérité en gémit, privé qu'il est de saints parents.

      

      77 : addicta : même emploi, à propos d'une vente, en psych. 874. auorum : seule occurrence dans le recueil. prædia : synonyme de fundus (v. 75).

      78 : foedis : une dilapidation ou une spoliation prend pour le préfet le caractère d'une souillure physique. Le martyr utilise aussi foedus : v. 223-224 carnisne morbus foedior, | an mentis et morum ulcera ? sub auctionibus : cf. Cod. Theod. 10, 17, 1 quæcumque sub auctione licitanda sunt.

      79 : successor exheres : oxymore (successor est synonyme d'heres : cf. Qvint. inst. 12, 10, 6 ; Ov. met. 13, 51) ; la transmission du patrimoine aux générations suivantes est inter-rompue. gemit : régit une proposition infinitive (v. 77-78 : addicta [esse]) ; cf. Cic. Phil. 13, 23.

      80 : double jeu de mots, sur egere (l'héritier, 'appauvri par de saints parents' et 'privé de saints parents') et sur sanctus (regret de la mort de ses 'parents chrétiens' ou de l'absence de 'parents soucieux de leurs devoirs familiaux'). sanctis : comme iustus (-> 5, 83), sanctus désigne les chrétiens (N.T. Eph. 1, 4 ; 5, 3 ; Col. 1, 22). Le préfet joue sur ce sens technique (v. 172 ; perist. 5, 509) et sur celui de 'vertueux' ; sens de 'saint' aux vv. 509. 542 (->). 549.

      
81-84 " Hæc occuluntur abditis
ecclesiarum in angulis,
et summa pietas creditur
nudare dulces liberos.
" Ces richesses sont dissimulées dans les recoins cachés des églises, et l'on croit que la piété suprême consiste à dépouiller sa douce progéniture.

      81 : occuluntur : seul emploi de ce verbe chez Prudence, hormis le participe occultus (cf. v. 447). occuluntur abditis : juxtaposition de synonymes, mais sans redondance.

      81-82 : abditis... in angulis : autres cachettes aux vv. 50-52 operta existimans | talenta sub sacrariis | cumulosque congestos tegi ; 88 nigrante quos claudis specu. Cf. epil. 13-14 multa diuitis homo | sita est per omnes angulos supellex. On a abditis en fin de v. à propos de corps saints (v. 541-542 uix fama nota est, abditis | quam plena sanctis Roma sit) : une telle reprise de termes s'appliquant aussi bien à des richesses matérielles qu'aux reliques des martyrs s'observe déjà aux vv. 49-56.

      82 : ecclesiarum : -> v. 114 ; le bâtiment de l'église (Cypr. epist. 59, 16 ; Avg. symb. 4, 1) ; de même, cælestis... domus (v. 42), templum (v. 164), ædes (v. 527), Christi atria (v. 515).

      83 : summa pietas : reprise de summa cura (ironique, v. 73). Pietas prend le double sens de piété à l'égard de Dieu (perist. 4, 59 ; 10, 713 ; 11, 175) et de piété familiale (perist. 3, 112).

      84 : expression d'un pathétique outré ; si moquerie il y a, ce n'est pas l'excès de l'image, mais l'hypocrisie du préfet cruel et avare qui est visée. dulces liberos : même fin de dimètre iambique chez Hor. epod. 2, 40 (imitation probable). Dulcis exprime une marque d'affection habituelle à propos d'enfants (epitheton ornans) : cf. perist. 11, 209-210 dulcibus et cum | pigneribus ; cath. 11, 13. liberos : également en fin de vers, cf. v. 523-524 offerre uotis pignera | clarissimorum liberum ; ces passages se correspondent, cf. aussi la récurrence d'offerre au v. 75 (->).

      
85-88 " Deprome thesauros, malis
suadendo quos præstigiis
exaggeratos obtines,
nigrante quos claudis specu.
" Mets au jour les trésors que, suite aux méchantes ficelles de tes conseils, tu tiens accumulés par-devers toi, que tu enfermes dans les ténèbres d'une cavité.

      

      85 : deprome thesauros : cessant d'utiliser la 2e pers. du plur., le préfet s'adresse au martyr ; il obéira à cette demande (répétée aux vv. 97-100), ignorant la suite, comme si le préfet ne voulait que voir les richesses de l'Église. Le préfet dira : hoc poscit usus publicus, | hoc fiscus, hoc ærarium (v. 89-90) ; ce triple hoc, pour le martyr, reprend deprome thesauros, et non thesauros seul (qui eût été désigné par hos, et l'est par quos aux vv. 86. 88). On a une autre ambiguïté involontaire dans les propos du préfet, avec nummos libenter reddite (-> v. 107). thesauros : Bergman et Cunningham éditent thensauros, leçon des mss Aa.c., TF.

      86 : suadendo : même forme en début de v., en perist. 5, 18 (syllabe finale abrégée dans les 2 cas). On a aussi des gérondifs en en perist. 6, 20 ; 9, 72 ; 10, 28 ; 12, 13 (cf. Ivv. 3, 232 ; Sen. Tro. 264). Suadendo prend une nuance d'antériorité ('pour avoir su persuader', 'par la persuasion'), non la valeur conative qu'il a en perist. 5, 18. præstigiis : abl. de moyen ; à cette forme, les éditeurs préfèrent præstrigiis, plus proche de l'étymologie (præstringere, 'éblouir'), donnée par les mss A et B notamment.

      87 : exaggeratos : cf. v. 52 congestos (sens proche). obtines : cf. perist. 11, 46.

      88 : nigrante... specu : cf. v. 50-52 operta existimans | talenta sub sacrariis | cumulosque congestos tegi. L'obscurité caractérise aussi les prisons (-> 5, 242), au contraire des cryptes chrétiennes, lumineuses (cf. perist. 11, 155-168). nigrante : de même, v. 379 nigrante sub uelamine (ceux qui ne peuvent percevoir l'éclat du visage du martyr). claudis : dépositaire des clefs (v. 43) et responsable des serrures (v. 41), le martyr est personnellement mis en cause.

      

      
89-92 " Hoc poscit usus publicus,
hoc fiscus, hoc ærarium,
ut dedita stipendiis
ducem iuuet pecunia.
" Cela, l'usage public le réclame, le fisc (im-périal), le trésor (sénatorial) le réclame, afin que l'argent consacré aux soldes vienne en aide au prince.

      

      89-90 : hoc... hoc... hoc : triple anaphore de hoc, reprenant deprome thesauros (-> v. 85).

      89 : poscit : employé aussi à propos des mendiants (v. 143 qui poscunt stipem ; à stipem correspond stipendiis, v. 91) et des fidèles qui prient le martyr (v. 567). usus publicus : précisé aux vv. 91-92 - les confiscations ne visent pas à rembourser les héritiers spoliés (cf. v. 73-84), mais à aider l'État. Cf. Vlp. dig. 43, 9, 1, 1 publicæ utilitatis causa.

      90 : le préfet, qui médite un détournement de fonds (-> v. 135) et violera les décrets en relâchant s. Laurent, utilise des termes officiels pour impressionner l'accusé. fiscus : le fisc impérial est au iiie s. le véritable trésor de l'État. ærarium : au iiie s., l'ærarium est la caisse municipale de Rome, administrée par le Sénat (nombreuses allusions : -> v. 513-528), mais en fait confiée par l'empereur à 2 préfets ; une partie de l'ærarium (appelée sanctius ou sanctum) comprenait des réserves spéciales de guerre (cf. Cic. Att. 7, 21, 2 ; Liv. 27, 10, 11). Moins probablement, il pourrait s'agir de l'ærarium militare (destiné à entretenir et à récompenser les troupes ; cf. Tac. ann. 1, 78, 2) créé par Auguste.

      91 : l'entretien des troupes est une charge importante, surtout en 258, alors que l'Empire est menacé : 2 ans auparavant, il subissait les attaques des Perses en Orient (prise d'Antioche par Sapor) et des Goths en Dacie ; 2 ans après, Valérien sera fait prisonnier par Sapor, les Alamans pénétreront en Rhétie et les Francs en Gaule. stipendiis : cf. perist. 1, 66 clara... angelorum... stipendia (service militaire des martyrs dans les cohortes angéliques).

      92 : ducem : l'empereur (-> v. 47), avec une nuance militaire que n'a pas princeps (vv. 311. 473). iuuet : la puissance temporelle de l'Église est censée 'aider' l'empereur ; avec en arrière-fond le rapport passionnel que le préfet entretient avec l'argent, une allusion au sens de 'faire plaisir' n'est pas exclue. pecunia : cf. v. 100 pecuniam (dernier mot du quatrain).

      
93-96 " Sic dogma uestrum est, audio :
'Suum quibusque reddito.'
En, Cæsar agnoscit suum
nomisma nummis inditum.
" Telle est votre doctrine, à ce que j'entends : 'Qu'à chacun soit rendue sa part.' Eh bien voilà, César reconnaît son empreinte marquée sur les monnaies.

      93 : dogma uestrum : cf. perist. 13, 32 dogma nostrum (->). Dogma ne désigne pas ici un dogme de la foi (cf. apoth. præf. 3 ; apoth. 2, 552. 952 - dogmes hérétiques) mais une opinion (sens du grec dogma ; cf. Cic. Luc. 106 ; Sen. epist. 95, 10 ; Ivv. 13, 121) ; pour les chrétiens, les préceptes moraux (dogma ici et en cath. 7, 197 ; 8, 8), révélés, ont force de loi. audio : le préfet se réfère à une tradition orale (-> v. 68) ; même emploi en c. Symm. 2, 921.

      94 : cet adage (non scripturaire) généralise le précepte des vv. 95-98 (->). L'idée de justice distributive (Plato resp. 1, 331e ; Arist. fr. 85 R), une des bases du droit romain (Vlp. dig. 1, 10, 1 ; Inst. Iust. 1, 1, 3), est souvent exprimée avec les termes suum cuique (Cato orat. 218a ; Cic. off. 1, 5, 15), plutôt que suum quibusque (ici). suum : adj. substantivé ; on retrouve suum à la fin du v. suiv., mais comme épithète de nomisma (v. 96). reddito : -> v. 107.

      95-98 : cf. N.T. Luc. 20, 24 ostendite mihi denarium : cuius habet imaginem et inscriptionem ? respondentes dixerunt ei : Cæsaris. et ait illis : Reddite ergo quæ sunt Cæsaris, Cæsari, et quæ sunt Dei, Deo (Matth. 22, 20-21 ; Marc. 12, 16-17). Cf. aussi les paroles des soldats martyrs de perist. 1, 62-63 debitum persoluit omne functa rebus Cæsaris ; | tempus est Deo rependi quidquid est proprium Dei.

      95 : quasi prosopopée de l'empereur. en : -> v. 293. Cæsar : comme Augustus au v. 119, Cæsar (répété au v. 97) n'est pas un nom propre (sauf v. 14 : Jules César), mais désigne l'empereur par un titre ; cf. perist. 1, 34. 62 ; 5, 66. 108 ; 6, 41. agnoscit : sens de 'reconnaître (quelqu'un)', cf. c. Symm. 2 præf. 24 ; ham. 276. Au v. 455, 'reconnaître (l'autorité de)' (->).

      96 : nomisma nummis : paronomase avec jeu étymologique ; nomisma (Hor. epist. 2, 1, 234 ; Mart. 12, 62, 11) et nummus (-> v. 50) peuvent chacun signifier 'pièce de monnaie'. Ici, comme ænigma au v. 118, nomisma désigne l'effigie représentée sur la monnaie. Prudence utilise effigies en psych. 526-527 sordet Christicolis rutilantis fulua monetæ | effigies, sordent argenti emblemata.

      
97-100 " Quod Cæsaris scis, Cæsari
da, nempe iustum postulo ;
ni fallor, haud ullam tuus
signat deus pecuniam,
" Ce que tu sais appartenir à César, donne-le à César, car oui, je réclame ce qui est juste ; si je ne m'abuse, ton dieu ne bat pas la moindre monnaie, ...

      97-98 : quod Cæsaris scis, Cæsari da : claire allusion à l'Évangile (reddite ergo quæ sunt Cæsaris, Cæsari), encourageant indirectement le martyr à exécuter la suite : [reddite] quæ sunt Dei, Deo (-> v. 95-98). Le préfet utilise à nouveau la 2e pers. du sing. (cf. v. 85-88), mais reprend la 2e pers. du plur. au v. 107 nummos... reddite - ordre qui, lui, ne sera pas exécuté.

      98 : nempe : par erreur ou par conjecture, Lavarenne donne namque. iustum : adj. substantivé au sens individuel et concret de 'chose juste' (sens général abstrait v. 58 ; ->).

      99 : ni fallor : cette incise (perist. 10, 91 ; præf. 2 ; c. Symm. 2, 965) est ici fortement ironique (cf. Sen. Ag. 960 ; sur le sens restrictif ou au contraire affirmatif de cette expression, cf. Gnilka 1987, p. 234-237). haud ullam : périphrase pour nullam ; cf. v. 568 haud ullus (= nemo). Haud, rare chez Prudence, se retrouve en perist. 10, 584 ; 11, 153. 214 ; 14, 31.

      99-100 : tuus... deus : irrévérencieux (le martyr dira tuus Vulcanus, v. 403-404) ; les vv. suiv. évoquent la pauvreté du Christ sur le mode sarcastique ; s. Laurent rétorque en affirmant la richesse de l'Église (v. 113-116) et du Christ (v. 121-124). Cf. aussi v. 171 noster Deus.

      100 : signat... pecuniam : signare est utilisé à propos de métaux précieux chez Liv. 4, 60, 6 ; Plin. nat. 18, 12. Cf. apoth. 51-52 figura hominis nondum sub carne Moysi | obiecta effigiem nostri signauerat oris (incarnation du Christ). Cf. N.T. apoc. 7, 3-4 'Nolite nocere... quoadusque signemus seruos Dei nostri in frontibus eorum.' Et audiui numerum signatorum : CXLIV milia signati (cf. cath. 6, 131-132 frontem locumque cordis | crucis figura signet). Le juge ne pense qu'à l'argent, dont il parle de telle façon qu'il pourrait aussi s'agir d'hommes (inversément, -> v. 113-120) ; le martyr répondra avec l'expression univoque cui nummus omnis scribitur (v. 120).

      

      
101-104 " nec, cum ueniret, aureos
secum Philippos detulit,
præcepta sed uerbis dedit
inanis a marsuppio.
" ... et quand il est venu, il n'a pas apporté avec lui des philippes d'or, mais a donné ses préceptes avec des mots, la bourse vide.

      

      101 : cum ueniret : la venue du Christ, motif chrétien (de même, avec uenire, perist. 4, 10). aureos : employé aussi en fin des vv. 174. 276. 293 et 365 ; sur l'or, -> v. 48.

      102 : Philippos : pièces d'or à l'effigie de Philippe de Macédoine, père d'Alexandre le Grand ; le terme grec, utilisé dans la comédie nouvelle, est repris par Plaute (p.ex. Bacch. 230), puis par Horace (epist. 2, 1, 234 rettulit acceptos, regale nomisma, Philippos) dont Prudence s'inspire peut-être ici (cf. v. 96 nomisma). Le préfet veut faire du Christ un personnage de comédie, mais sera lui-même, de son propre aveu (v. 313-324), victime d'une mise en scène.

      103 : præcepta... dedit : de même, perist. 10, 17 ; c. Symm. 2, 1023. Præcepta désigne l'enseignement (perist. 9, 25), en part. la doctrine révélée (cath. 9, 65 ; c. Symm. 2, 270. 818). uerbis : même forme au v. 108 estote uerbis diuites.

      104 : inanis : 'vide', au sens concret (cf. perist. 10, 977) ; il peut signifier 'désargenté' (Plavt. Bacch. 517 ; Cic. Att. 7, 20, 1) ; son emploi avec ab ('sous le rapport de') semble sans parallèles. marsuppio : mot transcrit du grec marsipion, cf. psych. 598-601 auri | sordida frusta rudis, nec adhuc fornace recoctam | materiam, tiniis etiam marsuppia crebris | exesa, et uirides obducta ærugine nummos ; Plavt. Cas. 490 ; Varro Men. 391 ; Hier. epist. 6, 11, 3.

      
105-108 " Implete dictorum fidem,
qua uos per orbem uenditis,
nummos libenter reddite,
estote uerbis diuites ! "
" Remplissez les engagements de vos paroles, moyen de votre commerce à vous dans le monde, rendez de plein gré la monnaie, soyez à l'avenir riches de mots ! "

      105: implete... fidem : cf. perist. 5, 407 munus implet ; 10, 556 implet... dicta. fidem : -> 9, 20 ; le martyr reprendra ce terme, avec le même sens profane, dans sa critique de l'or (v. 199).

      106 : qua : abl. de moyen dépendant de uenditis (cf. les meilleurs mss) ; certains mss ont quæ (antécédent dictorum) ou quam (antécédent fidem ; uos serait apposé au sujet : 'comme vous le recommandez'). uos... uenditis : s'il n'est pas apposé au sujet, uos pourrait être objet de uenditis (= se uenditare, 'se vanter') ; cf. uenditis en fin du v. 75 (->). per orbem : de même, perist. 1, 4. Orbis n'a pas ici de connotation péjorative (cf. vv. 116. 415. 439 ; -> 13, 2).

      107 : nummos libenter reddite : au nom de l'Église, le martyr se désaisit de biens temporels (nummos, -> v. 50) au profit des pauvres (v. 157-160), non de l'empereur (sur l'ambiguïté des propos du préfet, -> v. 85). libenter : reprise de l'idée exprimée au v. 64 quod sponte obire debeas. Cf. aussi v. 94 (la mort acceptée comme une grâce) dicis 'Libenter oppetam...'. reddite : la confiscation est présentée comme une restitution volontaire de biens appartenant à l' État ; cf. v. 94 suum quibusque reddito (-> v. 97-100).

      108 : fin du discours lourde d'ironie, volontaire ou non. Le martyr paiera le préfet de mots, ce qui lui sera reproché (v. 313-324) ; contrairement aux soldats de César qui ont besoin d'or et d'armes (cf. vv. 13-14. 91-92. 502), le soldat du Christ vainc par la parole (prière et exorcisme, -> v. 457-472). estote : seul emploi chez Prudence. uerbis diuites : le préfet, matérialiste, ne s'intéresse qu'à l'or, et laisse aux chrétiens ce qu'il croit inconsistant, les paroles : cf. v. 103-104 præcepta sed uerbis dedit | inanis a marsuppio (uerbis à la même position du v.).

      
109-112 Nil asperum Laurentius
refert ad ista aut turbidum,
sed ut paratus obsequi
obtemperanter adnuit.
Laurent ne rétorque à cela rien de désagréable ou d'emporté, mais, comme s'il était prêt à obéir, acquiesce en ob-tempérant.

      109 : asperum : s. Vincent n'observe pas la même retenue qu'ici lors de sa première comparution : cf. perist. 5, 42-44 (paroles du juge) audesne... | ius hoc deorum et principum | uiolare uerbis asperis... ? De même, il est dit de ste Eulalie : terruit aspera carnifices (perist. 3, 14).

      110 : refert ad ista : s. Vincent est plus agressif, cf. perist. 5, 145 his contra... refert.

      112 : v. redondant, avec 2 termes reprenant obsequi (v. préc.). obtemperanter : rare, cf. Avg. ciu. 16, 25. adnuit : fin de v. analogue à propos de l'exaucement des prières adressées au martyr : v. 564 quibus rogatus adnuis (-> ; correspondances, opposition apparence / réalité).

      113-120 : le défi pourrait faire surgir des soupçons chez le préfet s'il n'était aveuglé par sa cupidité ; le martyr lui fait miroiter des biens considérables, attribués au Christ (-> v. 122). Ces richesses sont humaines : les ascètes par nécessité ou par vocation (v. 289-308), peut-être aussi les martyrs, dont les reliques constituent le trésor des basiliques (cf. vv. 529-536. 541-544). Leur évocation reprend les termes du préfet : or (v. 115 auri, cf. vv. 68. 71), argent (v. 118 argenteorum enigmatum, cf. v. 69), monnaie avec une effigie (v. 120 cui nummus omnis scribitur, cf. vv. 96. 100), cassette (v. 122 locupletis arcam numinis, cf. v. 54-55). Il est question dans les 2 cas de vaisselle précieuse : vv. 68-72 (vases liturgiques, chandeliers) et 130 (Christi supellex).

      
113-116 " Est diues, " inquit, " non nego,
habetque nostra Ecclesia
opumque et auri plurimum
nec quisquam in orbe est ditior.
" Elle est riche ", dit-il, " je ne le nie pas, notre Église, et elle possède des ressources et de l'or en très grande quantité ; personne sur terre n'est plus riche.

      113 : est diues : le martyr 'avoue' ce que lui impute le préfet, en reprenant ses termes conclusifs (v. 108 estote uerbis diuites ; ->) ; diues est aussi employé à propos du nombre des martyrs romains, v. 543-544 quam diues urbanum solum | sacris sepulcris floreat (-> v. 543). non nego : cf. perist. 10, 207 ; la réponse, paradoxale, n'est ni une dénégation, ni un refus.

      114 : habetque : repris au v. 117 (richesses de l'empereur) et dans l'invitation à voir les richesses de l'Église, v. 171-172 quas noster Deus | prædiues in sanctis habet. Ecclesia : l'institution (vv. 159. 305), au v. 82, l'édifice (->) ; Ecclesia n'apparaît ailleurs qu'en cath. 12, 187.

      115 : opumque et auri : équivalent d'et opum et auri (cf. v. 66). L'or est comme l'emblème des opes (-> v. 48 ; cf. la diatribe contre l'or, v. 189-204). Avec argenteorum enigmatum (v. 118 : le numéraire), on a une triade qui se retrouve quand le martyr invite le préfet à voir les trésors de l'Église : coramque dispositas opes (v. 170), uasis aureis (v. 174), structos talentis ordines (v. 176).

      116 : in orbe : expression renforçant nec quisquam ; cf. perist. 4, 115-16 sola tu morti propriæ superstes | uiuis in orbe (sur orbis, -> v. 106). ditior : Prudence n'utilise ce comparatif qu'ici et à la fin du v. 312 (et ipse fies ditior), qui conclut le discours de s. Laurent ; reprise de l'idée des vv. 108 (diuites) et 113 (diues ; ->). Utilisés en lien avec l'adj. diues, ditior et ditissimus dérivent formellement de dis (équivalent de diues employé au v. 54 et en ham. 796. 859).

      
117-120 " Is ipse tantum non habet
argenteorum enigmatum
Augustus arcem possidens
cui nummus omnis scribitur.
" Celui-là même ne possède pas autant d'ef-figies en argent, Auguste, qui possède le trône élevé, au nom de qui toute monnaie est frappée.

      117 : is ipse : même début de v., v. 395. tantum : corrélatif de quantité avec le gén. partitif enigmatum (v. 118) ; second terme de la comparaison (quantum Ecclesia) sous-entendu.

      118 : argenteorum enigmatum : cf. psych. 527 argenti emblemata ; la mention de l'argent suit celle des richesses et en part. de l'or (-> v. 115) ; de même, v. 68-69 (-> 14, 102). enigmatum : nom d'origine grecque (ainigma), ici l'effigie de l'empereur sur les monnaies (cf. cath. 10, 133-140). Prudence se réfère au sens d'enigma en N.T. I Cor. 13, 12 et, en général, à l'homme image de Dieu (V.T. gen. 1, 27), cf. cath. 10, 4 hominem, Pater, effigiasti ; apoth. 807.

      119-120 : apposition au sujet is ipse (v. 117), rejetée à la fin de la phrase.

      119 : Augustus : désignation de l'empereur (de même, Cæsar : -> v. 95) ; rare, cf. Ov. met. 15, 860 ; Sen. clem. 1, 14, 2 ; Ivv. 10, 74. En c. Symm. 2, 764, le poète interpelle l'empereur régnant en l'appelant Auguste. arcem : sens proche de celui d'imperium ('pouvoir' et 'empire' : cf. ham. 18) ; utilisé à propos du Royaume des cieux aux vv. 272 in arce... Patris ; 555 æternæ in arce curiæ (-> 14, 125). possidens : cf. v. 462 alter cathedram possidens (s. Pierre) ; à l'opposition ciel/terre suggérée par la correspondance entre 2 acceptions d'arx se superpose une opposition entre Église et Empire (thèmes développés et explicités chez Avg. ciu.).

      120 : le martyr exprime son accord avec le préfet (v. 95-96 en Cæsar agnoscit suum | nomisma nummis inditum) et fait écho à son ordre (v. 107 nummos libenter reddite). cui : dat. d'intérêt. nummus omnis : cf. v. 481 tum pura ab omni sanguine ; sur nummus, -> v. 50. scribitur : même forme en fin du v. 130 (acception différente : ->). Le fait d'inscrire son nom constitue une marque de propriété ; ste Eulalie blessée par les bourreaux dira de même : scriberis ecce mihi, Domine (perist. 3, 136). De même, à propos de Constantin : Christus purpureum gemmanti textus in auro | signabat labarum, clipeorum insignia Christus | scripserat (c. Symm. 1, 486-488).

      
121-124 " Sed nec recuso prodere
locupletis arcam numinis,
uulgabo cuncta et proferam,
pretiosa quæ Christus tenet.
" Mais je ne refuse pas de produire la cassette de notre opulente divinité, je publierai et présenterai tout ce que le Christ possède de précieux.

      121 : nec : emploi au sens de non (cf. apoth. 976 ; c. Symm. 2, 512 ; Verg. ecl. 9, 6 quod nec uertat bene). nec recuso prodere : cf. Verg. Æn. 2, 126 recusat prodere. Usant d'une double négation (cf. v. 113), s. Laurent accepte de montrer les richesses du Christ - non de les donner (cependant, cf. v. 310-314) ; l'ambiguïté de prodere ('produire' ou 'livrer') sera partiellement levée au v. 123. On retrouve prodere en fin du v. 254 (silenda prurit prodere : le bavard) ; sans dévoiler des silenda, le martyr 'prêche' en montrant les richesses de l'Église.

      122 : locupletis... numinis : le martyr contredit le préfet (v. 95-104, pauvreté du Christ) ; cf. v. 298 ne pauperem Christum putes ; les richesses de l'Église (v. 113-116) sont en fait sa dot au Christ-Époux (v. 305-308). locupletis : cf. cath. 3, 171 locuples Deus. arcam numinis : év. double jeu de mots avec arcem (v. 119) et nummus (v. 120). Par opposition à l'arx, lieu fixe (terrestre ou céleste), l'arca (-> v. 54) est mobile, comme l'arche de Noé ou l'arche d'Alliance. numinis : le Christ (perist. 10, 946) ; ailleurs, Dieu (p.ex. cath. 1, 42) ou le Saint-Esprit (cath. 3, 142), et surtout des divinités païennes (perist. 3, 84 ; 5, 33. 68 ; 10, 211. 225. 265. 293).

      123 : uulgabo cuncta et proferam : suggérant que la faute provient de l'aveuglement du préfet, Prudence évite de faire du martyr un menteur et laisse transparaître ses intentions (se borner à montrer les richesses de l'Église). uulgabo : dernière syllabe abrégée (-> v. 297).

      124: pretiosa : cf. perist. 4, 14-15 quæque pretiosa portans | dona canistris (les martyrs, dons apportés au Christ par les cités lors du Jugement).

      
125-128 " Vnum sed orans flagito :
indutiarum paululum,
quo fungar efficacius
promissionis munere,
" Je ne réclame qu'une chose, mais en t'en priant : un petit peu de délai, afin que je m'acquitte avec plus d'efficacité du service de ma promesse, ...

      126 : indutiarum : 'répit' (ailleurs, 'trève'), cf. Cassiod. uar. 5, 34, 1 ; Cassian. inst. 2, 9, 2. Indutiæ désigne le délai, pour un débiteur, chez Ambr. Tob. 7, 27.

      127 : quo : subordonnant à valeur finale ; cf. ici le comparatif efficacius ; cf. v. 429 ; perist. 13, 19 ; 14, 13. efficacius : Prudence n'utilise efficax qu'ici et en perist. 5, 547 ; 10, 271. 807.

      128 : munere : même emploi, à propos de la fonction d'intercesseur exercée par le martyr glorifié, aux vv. 561-562 quæ sit potestas credita | et muneris quantum datum.

      

      
129-132 " dum tota digestim mihi
Christi supellex scribitur ;
nam calculanda primitus,
tum subnotanda est summula. "
" ... le temps que tout le mobilier du Christ soit inscrit dans l'ordre par mes soins ; car il faut d'abord faire le calcul, et puis inscrire au-dessous la petite somme. "

      

      129 : dum : 'le temps que' ; ailleurs (vv. 248. 263. 320. 505), 'pendant que'. digestim : 'en ordre', hapax legomenon dans la littérature latine. Sur les adv. en -im, cf. Lavarenne § 1210-1211. mihi : datif complément d'agent de scribitur (v. 130). Sur ce tour (cf. perist. 5, 105 ; 10, 952), rare en prose classique (p.ex. Cic. off. 3, 38), cf. Lavarenne § 299.

      130 : Christi supellex : attribution au Christ des biens de l'Église (-> v. 122). Supellex (au sens propre de 'vaisselle' en epil. 14) prend le même sens élargi en ham. 207 mundique omnis labefacta supellex (le mal dans le monde, après le péché originel). scribitur : même forme en fin du v. 120, désignant la marque du propriétaire ; ici, on a un inventaire (-> v. 162).

      131 : calculanda : 'calculer' ; rare tardif, cf. Ambr. epist. 23, 1 ; Symm. orat. 2, 2 ; Sidon. epist. 7, 9. primitus : adv. désignant ici une simple antériorité ('d'abord', 'en premier lieu') ; il évoque des événements du passé lointain en apoth. 1044 ; ham. 172.

      132 : subnotanda : cf. p.ex. Plin. epist. 1, 10, 9. summula : cf. Sen. epist. 77, 8 ; Ivv. 3, 7, 174 ; Cypr. epist. 6, 2, 5 ; Avson. 396, 23. Après la mention de richesses considérables, ce diminutif conclut le discours sur une note familière et aimablement ironique.

      

      
133-136 Lætus tumescit gaudio
præfectus ac spem deuorat,
aurum, uelut iam conditum
domi maneret, gestiens.
Joyeux, le préfet s'enfle de joie et dévore son espérance, transporté du désir de l'or, comme s'il demeurait déjà caché dans son foyer.

      133 : lætus : cf. perist. 10, 921 irridet hoc Asclepiades lætior ; ailleurs, se rapporte au martyr (perist. 3, 142 ; 10, 791) ou aux fidèles (perist. 1, 14. 119 ; 11, 209) ; redondance avec gaudio. tumescit : le préfet est un personnage passionné. Cf. c. Symm. 2, 154 pulchroque inflata tumescat honore. L'image de l'enflure (analogue à uapor : -> v. 345) suggère la vanité (-> 14, 101) : vv. 208 mens... turgida ; 238 inflatum ; 240 tendit ueneno intrinsecus ; 258 struma turgida. gaudio : ici, passion propre au monde (-> 14, 107) ; au v. 563, la joie de l'exaucement des prières.

      134 : præfectus : -> v. 46. spem deuorat : cf. Cvrt. 8, 6, 18 adeo pertinax spes est, quam humanæ mentes deuorauerunt ; Verg. Æn. 10, 648 spem turbidus hausit inanem. Inversion : on attendrait p.ex. spes auri deuorat eum gestientem La leçon spem, retenue par les éditeurs (cf. Cunningham 1971, p. 67), est celle des meilleurs mss ; d'autres ont spe (préférée par Meyer 1932), qui modifie l'équilibre de la phrase : aurum serait objet de deuorat, et gestiens, soit intransitif (comme exsultans ; -> v. 136), soit complété par conditum (aurum sous-entendu) ; expression bien attestée (Cic. Verr. II 1, 135 ; Att. 1, 16, 10), spe deuorat serait une lectio facilior banalisante. spem : ailleurs dans le recueil, spes n'a pas ce sens profane et est lié à la vertu théologale d'espérance, y c. (de manière atténuée) au v. 458 (-> 13, 43). deuorat : reprise, avec une idée de sauvagerie, de l'image du v. 45 uersat famem pecuniæ. Le martyr emploiera deuorare à propos de sa chair (v. 406 coctum est, deuora ; même place dans le v.) ; ici aussi, cor-respondance entre l'or espéré par le préfet et l'humanité offerte par l'Église (-> v. 113-120).

      135 : aurum : mise en évidence d'aurum (-> v. 48), quelle que soit la ponctuation du v. préc. : anastrophe s'il dépend de maneret, hyperbate s'il dépend de gestiens, rejet s'il dépend de deuorat. conditum : le préfet veut faire ce qu'il reproche aux chrétiens (-> v. 56 montes monetæ conditos), mais prétend que l'État exige cet argent pour financer la guerre (v. 89-92) ; cf. v. suiv.

      136 : domi maneret : il s'agit de thésauriser durablement (et secrètement, v. préc. conditum) l'or confisqué, au domicile du préfet. gestiens : insistance sur la force des passions.

      
137-140 Pepigere tempus tridui,
laudatus inde absoluitur
Laurentius, sponsor sui
et sponsor ingentis lucri.
Ils déterminèrent un temps de trois jours et dès lors, couvert d'éloges, Laurent est relâché, répondant de lui-même et répondant d'un gain considérable.

      137 : tempus tridui : délai prédit par s. Sixte (v. 28 : triduum en fin de v.) ; en demandant indutiarum paululum (v. 126), le martyr n'a pas forcé cet accomplissement.

      138 : laudatus : indication ironique de la servilité du préfet. inde : adv. à valeur locale et temporelle atténuées, qui marque avant tout une étape dans la progression du récit.

      139 : sponsor sui : thème classique (cf. Régulus : -> 5, 263) du héros se portant garant de son retour et tenant parole même au prix des pires souffrances après avoir déçu les attentes de l'ennemi. sponsor : terme répété au v. suiv. (seuls emplois chez Prudence), mettant sur le même plan le martyr et les richesses promises ; point de convergence des 2 interprétations de la richesse (humanité ; or), qui jusqu'ici se superposent dans l'ambiguïté (-> v. 113-120).

      140 : sponsor ingentis lucri : le martyr affirmera implicitement ne pas manquer à sa parole en concluant son discours (v. 309-312 eccum talenta, suscipe, | ornabis urbem Romulam, | ditabis et rem principis, | fies et ipse ditior). ingentis : adj. reprenant les expressions hyperboliques des vv. 113-120. lucri : péjoratif chez Prudence : cf. cath. 2, 44 ; c. Symm. 2, 1017.

      141-164 : dans ce '3e acte' du drame (cf. Introd. § 121), le martyr recrute des acteurs jouant leur propre rôle, disposés selon une mise en scène devant servir de leçon au préfet. Ce tableau rappelle la parabole du festin nuptial : N.T. Luc. 14, 21 'Exi cito (ici v. 141 cursitat) in plateas (v. 157 plateis omnibus) et uicos ciuitatis, et pauperes (cf. v. 143) ac debiles (cf. v. 142) et cæcos (cf. v. 145-148) et claudos (cf. v. 149-152 ; v. 149 claudus) introduc huc.' ; 23 'Exi in uias et sepes et compelle (v. 144 cogens) intrare ut impleatur domus mea' ; Matth. 22, 10 et egressi serui eius in uias congregauerunt (v. 144 congregans) omnes (v. 143 omnesque) quos inuenerunt malos et bonos.

      
141-144 Tribus per Vrbem cursitat
diebus, infirma agmina
omnesque qui poscunt stipem
cogens in unum et congregans.
En trois jours, il ne cesse de courir à travers la Ville, poussant à se réunir en un seul groupe les troupes infirmes et tous ceux qui mendient le sou.

      141-142 : tribus... diebus : abl. de durée (reprenant tempus tridui, v. 137) indiquant le temps requis pour l'accomplissement d'une action ; même tour p.ex. en perist. 6, 31.

      141 : per Vrbem : Rome (cf. v. 530 ; perist. 9, 105 ; c. Symm. [nombreux ex.]). cursitat : à côté de cursitare (perist. 10, 164 ; 12, 2), on a le fréquentatif simple cursare en cath. 7, 143.

      142 : infirma agmina : -> v. 342 ; expression désignant tout le genre humain en apoth. 1020 (cf. N.T. I Cor. 1, 27 infirma mundi elegit Deus ut confundat fortia ; chacun est infirmus relativement au Christ qui le sauve, même les martyrs : psych. 69 infirmos... ministros). Avant la pauvreté ou la maladie, qui appellent pitié ou justice distributive, c'est la faiblesse que le diacre vient secourir. agmina : s. Laurent, appelé dux (v. 3), organise de manière quasi militaire (cf. v. 161-164) les cateruæ pauperum (v. 179). Agmen désigne aussi les fidèles durant la persécution (perist. 10, 57), martyrs (perist. 11, 53) ou spectateurs (perist. 7, 35).

      143 : omnesque : hyperbole ; -que empêche d'identifier les infirma agmina aux seuls pauvres (cf. v. 296-304). qui poscunt stipem : périphrase (les mendiants ; cf. Ambr. Nab. 2, 8 stipem publicam postulare). stipem : stips (cf. c. Symm. 2, 911) désigne l'obole, pièce de peu de valeur (par opposition à l'or ou à l'argent, vv. 101-102. 118) ; le sing. souligne le contraste avec les talents (v. 51), monceaux de pièces (vv. 52. 56. 87), milliers de sesterces (v. 76).

      144 : redondance ; evergète, le martyr se substitue à l'État auquel est dévolu l'entretien de la plèbe annonaire. cogens : l'idée de contrainte inhérente à ce verbe exprime l'autorité du martyr (cf. perist. 4, 47-48 qui cinis gentes domitas coegit | ad iuga Christi), év. en référence au passage scripturaire cité plus haut (N.T. Luc. 14, 23 compelle intrare). in unum : le martyr est un artisan d'unité, qui rassemble des êtres disparates. Son oeuvre annonce son éloge du rôle unificateur de Rome, préparant l'union de l'humanité dans l'Église (cf. vv. 424. 432. 436).

      145-154 : évocation de l'aveugle (v. 145-148), du boiteux (v. 149-152) et du lépreux (v. 153-154). Ces affections physiques sont transposées sur le plan moral, dans l'ordre inverse, aux vv. 229-232 : uestros ualentes corpore | interna corrumpit lepra, | errorque mancum claudicat, | et cæca fraus nihil uidet. Ici, le poète prend soin de susciter la pitié (v. 145-152) avant le dégoût (v. 153-154) ; quand le martyr évoquera les puissants du siècle, il parlera surtout de leur aspect repoussant (vv. 237-260. 281-288). Cf. Introd. § 41 n. 116.

      
145-148 Illic utrisque obtutibus
orbes cauatos præferens
baculo regebat præuio
errore nutantem gradum
Là, celui qui met en avant les orbites vides des deux regards, dirigeait du bâton qui lui ouvrait la route sa marche chancelante dans ses détours ...

      145 : utrisque : au lieu du sing. (p.ex. v. 522), emploi du plur., peut-être (ici et en perist. 1, 71) pour des raisons métriques (non en perist. 10, 821). obtutibus : cf. v. 278 coram tuis obtutibus. Ce nom désigne aussi les yeux en perist. 10, 288. 433 (cf. Ambr. bon. mort. 3, 11).

      146 : orbes : cf. cath. 9, 36 apertis hac medella lux reducta est orbibus. cauatos : métaphorique (on a comme 'creusé' les orbites pour en retirer les yeux ou, métaphoriquement, le regard) ; cf. psych. 483 effossisque oculis. præferens : l'aveugle, exhibant son invalidité, veut susciter la pitié des passants (usage analogue de præferens en perist. 9, 12, contexte différent).

      147 : cf. psych. 482-485 lumine adempto | effosisque oculis, uelut in caligine noctis | cæcum errare sinit, perque offensacula multa | ire, nec oppositum baculo temptare periclum. baculo... præuio : le bâton guidant l'aveugle se trouve devant ses pas (præuio) ; præuius qualifie toute sorte de guide (cf. perist. 6, 10). baculo regebat : ironique - peut signifier 'il commandait avec son sceptre'.

      148 : cf. apoth. præf. 37 dum plura temptat, cæcus incerto gradu (un aveugle). errore nutantem : cf. vv. 231-232 errorque mancum claudicat | et cæca fraus nihil uidet ; 456 errans Iuli cæcitas ; psych. 569-570 nutabat uirtutum acies errore biformis | portenti. nutantem gradum : objet de baculo regebat.

      
149-152 et claudus infracto genu,
uel crure trunco semipes,
breuiorue planta ex altera
gressum trahebat imparem.
et le boiteux du fait d'un genou brisé, ou estropié avec une jambe raccourcie, ou encore avec un pied plus court que l'autre, traînait un pas inégal.

      149 : et : transition aisée, après la marche hésitante de l'aveugle ; cette succession reflète le modèle de N.T. Luc. 14, 21 (-> v. 141-164). claudus : plutôt que 1er d'une série (avec ensuite semipes et breuiorue), sing. collectif, sujet de trahebat. La claudication peut ici avoir 3 sources (cf. uel ; -ue) : genou brisé (v. 149), jambe amputée (v. 150), jambes de longueur inégale (v. 151).

      149-151 : genu, uel crure... planta : même séquence de genu et de crus en perist. 11, 140 ; sur la séquence de crus et de planta, -> 5, 251-252. C'est l'ordre a capite ad calcem des traités de médecine (-> 11, 137-140).

      150 : crure trunco : 2e cause de claudication accidentelle (comme la 1ère), mais liée à la longueur du membre estropié (comme la 3e). semipes : seul emploi dans la littérature latine du sens concret de cet adj., ailleurs unité de longueur (Vitr. 2, 3 ; Plin. nat. 17, 80) ou de mètre (Gell. 18, 15, 2 ; Avg. mus. 5, 47). Prudence utilise aussi p.ex. semustulatus (v. 348), semicombustus (perist. 10, 859), seminex (perist. 14, 50). Semipes est apposé à claudus (v. 149).

      151 : 3e cause de claudication, congénitale. planta : par synecdoque, la jambe (le pied, en Verg. Æn. 4, 259 ; cf. perist. 5, 251 ; 11, 104 ; de même, perist. 12, 17 sola). L'accent est mis sur la partie de l'objet en cause : si tel homme boite, c'est que la plante d'un de ses pieds est trop haute par rapport à l'autre ; cf. perist. 5, 479 (->). ex : idée de provenance.

      152 : cf. v. 147-148 regebat... errore nutantem gradum ; ici, la démarche des boiteux est plus difficile (trahebat au lieu de regebat) mais moins hésitante (imparem au lieu de errore nutantem). gressum : synonyme de gradus (v. 148). imparem : idée d'asymétrie, cf. v. préc.

      
153-156 Est, ulcerosis artubus
qui tabe corrupta fluat ;
est, cuius arens dextera
neruos in ulnam contrahat.
Il y a celui dont les membres couverts d'ulcères laissent s'écouler une sanie corrompue ; il y a celui dont la main droite, desséchée, contracte ses tendons vers l'avant-bras.

      153-154 : cf. v. 267-270 ulcerosos exuent | artus... | ... carne corruptissima | tandem soluti ac liberi.

      153 : artubus : le corps (synecdoque, -> 13, 13) ou plutôt les membres (v. 149-152, jambes ; v. 154-156, bras) ; abl. instrumental de point de vue (cf. perist. 3, 23).

      154 : tabe... fluat : cf. Verg. Æn. 3, 626 membra fluentia tabo ; 8, 487 ; Lvcan. 2, 166 cum iam tabe fluunt ; Cypr. patient. 18. corrupta : corrumpere est repris dans le discours du martyr aux vv. 230 interna corrumpit lepra ; 289-290 animabus... | corrupta forma infligitur ; cf. aussi v. 269.

      155-156 : les traits de ce rhumatisant souffrant d'arthrose sont repris (parfois à la même place du v.) dans le portrait de l'avare (v. 241-244 contrahit | manus recuruas, et uolam | plicans aduncis unguibus | laxare neruos non ualet), sujet de contrahere (et de plicare), contrairement à ce patient.

      155 : arens dextera : cf. N.T. Luc. 6, 6 erat ibi homo et manus eius dextra erat arida ; Matth. 12, 10 ; Marc. 3, 1. Fait aggravant, il s'agit de la main droite (-> 5, 139).

      156 : neruos : les tendons, les ligaments, voire les muscles, cf. v. 244 ; cath. 9, 102 ossa, neruos et medullas glutino cutis tegi ; ham. 940-942. ulnam : l'avant-bras, partie du corps par laquelle on exerce sa force (psych. 590) ou la perd, si l'on est enchaîné (perist. 10, 492 ; psych. 357). contrahat : cf. vv. 216. 241 (en fin de v.), formes non participiales de contrahere.

      
157-160 Tales plateis omnibus
exquirit, adsuetos ali
Ecclesiæ matris penu,
quos ipse promus nouerat.
Tels sont ceux que, sur toutes les places, il recherche, ceux que, habitués d'être nourris du garde-manger de l'Église mère, il connaissait lui-même comme intendant.

      157 : plateis : cf. N.T. Marc. 6, 56 in plateis ponebant infirmos. Cf. perist. 4, 71 Christus in totis habitat plateis (où totis équivaut à omnibus) ; 10, 164 plateas... per omnes cursitans ; 12, 57 ; 14, 39. 49. Dans tous ces cas, la syllabe -te- est longue, contrairement à l'usage de Catvll. 15, 7 ; Hor. epist. 2, 2, 71 ; prosodie artificielle, même si elle correspond au grec plateia. omnibus : ces recherches sont exhaustives et scrupuleuses (cf. aussi omnes, v. 143).

      158-159 : agissant ici pour l'Ecclesia mater, le diacre sera après sa mort un père nourricier, v. 569-572 ceu præsto semper adsies | tuosque alumnos urbicos | lactante complexus sinu | paterno amore nutrias. L'Église est aussi présentée comme mère en perist. 11, 229-230 maternum pandens gremium, quo condat alumnos | ac foueat, fetos adcumulata sinus.

      158 : exquirit : reprise de la forme utilisée au début du v. 54 (enquête du préfet ; ->).

      159 : Ecclesiæ matris : -> v. 114 ; cf. Tert. orat. 2 ; Cypr. epist. 9, 3 ; Ambr. hex. 6, 13 matri dedit Ecclesiæ nutriendos ; Avg. serm. 217, 6.

      160 : ipse : la relation de s. Laurent avec chacun des pauvres est personnelle, et non seulement fonctionnelle. promus : l'intendant qui distribue les secours (cf. N.T. act. 6, 1-6).

      
161-164 Recenset exim singulos
scribens uiritim nomina,
longo et locatos ordine
adstare pro templo iubet.
Ensuite, il les recense un à un, écrivant les noms de chaque homme et, les ayant rangés en une longue file, il leur ordonne de se tenir devant le sanctuaire.

      161 : recenset : à ce recensement correspond celui des puissants, cf. v. 280 ; la rationalité de l'action du diacre s'oppose aux prétentions du préfet, fondées sur des on-dit (-> v. 68). exim : rare (à côté de exin), cf. cath. 7, 126 ; uiritim (v. suiv.) semble lui faire écho.

      162 : le martyr connaît chacun des pauvres (v. préc. singulos, ici uiritim, cf. v. 129-130 dum tota digestim mihi | Christi supellex scribitur). scribens... nomina : paraphrase de recenset (v. préc.). Cf. perist. 1, 1-3 scripta sunt cælo duorum martyrum uocabula, | aureis quæ Christus illic adnotauit litteris ; | sanguinis notis eadem scripta terris tradidit ; 4, 161-172.

      163 : longo... ordine : cf. perist. 9, 79 ; expression récurrente chez Virgile (Æn. 2, 766 ; 6, 482. 754 ; cf. Clavd. 24, 328-329), suggérant le grand nombre des pauvres et la colonne des chiffres évoquée aux vv. 131-132 ; cf. v. 176 structos talentis ordines. locatos : -> v. 418.

      164 : adstare pro templo : cf. Verg. Æn. 8, 653 stabat pro templo. Ici, templum désigne une église (cf. vv. 173 ingens atrium [->] ; 178 sacratam ianuam). L'anachronisme, relatif (il y avait déjà des biens-fonds ecclésiastiques - confisqués), permet un parallèle avec la mention d'hymnes chantées dans l'atrium des églises (v. 515-516). Par rapport à la version (p.ex. Avg. serm. 303) selon laquelle le martyr fait défiler les pauvres dans la ville jusqu'au tribunal, la perspective est inversée : le préfet (v. 233-264) vient voir les pauvres. adstare : -> v. 72.

      165-356 : dans ce '4e acte' (cf. Introd. § 121), l'action (v. 165-184) cède vite la place aux discours : explications du martyr (v. 185-312), réplique du préfet (v. 313-356) ; les vv. 357-360 décrivent l'exécution de ses ordres (préparation du supplice).

      
165-168 Præscriptus et iam fluxerat
dies : furebat feruidus
iudex auaro spiritu,
promissa solui efflagitans.
Le jour prescrit s'était déjà écoulé : fébrile, le juge à l'esprit cupide était en fureur, ré-clamant avec empressement que ce qui avait été promis fût accompli.

      165-166 : præscriptus... dies : le 3e jour après la comparution, moment providentiel (-> v. 31), prédit par s. Sixte (v. 28) et décrété ensuite par le préfet ; dies est mis en évidence par son rejet. fluxerat dies : seul recours chez Prudence de l'image de l'écoulement du temps.

      166 : furebat feruidus : cf. perist. 5, 468 furore feruens ; 12, 23 feruidum furorem. L'émotion du préfet (-> v. 313 furens), semblable à la fureur d'un possédé (-> v. 47) et à celle de l'ambitieux (vv. 249. 251-252 ille feruens ambitu... mersisne anhelat febribus | atque igne uenarum furit), contredit ce qu'il disait, cf. v. 61-62 abest atrocioribus | censura feruens motibus.

      166-167 : feruidus iudex auaro spiritu : un groupe important de mss (en part. BVNEMOSU) a la leçon feruido iudex auarus spiritu, intervertissant la fonction des épithètes.

      167 : iudex : le préfet ; cf. v. 399 ; perist. 5, 6. 94 ; 6, 34 ; 10, 386. 447. 866. 997. 1102 ; 11, 59 ; 13, 65 ; 14, 16 ; on a aussi præfectus, -> v. 46. auaro spiritu : équivalent d'auarus (cf. cath. 11, 85 fideli spiritu). L'auaritia du préfet (cf. v. 45 uersat famem pecuniæ) sera comme illustrée par le portrait de l'avare (v. 241-244 ; cf. v. 241, avec auarus à la même position qu'ici dans le v.) ; il s'agit non pas de lésinerie, mais de cupidité (cf. psych. 254-255 ; c. Symm. 2, 1017).

      168 : promissa solui : même expression chez Cic. fam. 12, 30, 4 (cf. perist. 13, 69 ; cath. 12, 176). efflagitans : de même, la 1ère demande du préfet, v. 63 blande et quiete efflagito (->).

      
169-172 Tum martyr : " Adsistas uelim
coramque dispositas opes
mirere, quas noster Deus
prædiues in sanctis habet.
Alors, le martyr : " J'aimerais que tu te présentes et que tu admires les ressources qui ont été disposées publiquement, celles que notre Dieu, richissime, possède dans ses saintes demeures.

      

      169 : martyr : le 'martyre' (témoignage, souffrances et mort) commence. Martyr, utilisé au v. 15, se retrouve aux vv. 330. 359. 509. 516. 519. 579. Il est utilisé dans tous les poèmes du recueil, sauf perist. 8 et 12 (d'où uir est aussi absent [-> v. 37]). uelim : verbe régissant (sans subordonnant) adstistas et mirere ; cf. perist. 10, 880. 1136-1139 ; Cic. fam. 9, 12, 2.

      170 : coramque : cf. vv. 278 coram tuis obtutibus ; 547. dispositas opes : cf. v. 176 structos talentis ordines (par opposition à l'idée du préfet de richesses amassées en vrac, vv. 52 cumulosque congestos ; 87 exaggeratos) ; les pauvres ont été alignés (v. 163 longo... locatos ordine).

      171 : mirere : jeu sur les sens d''admirer' (v. 302 miraris intactas anus : discours du martyr) ou d''être étonné' (v. 314 mirus : réponse du préfet). noster Deus : cf. v. 99-100 tuus... deus.

      172 : prædiues : de même, v. 122 locupletis... numinis (le Christ ; ->). sanctis : soit le sanctuaire, soit les 'saints', c'est-à-dire les chrétiens (-> v. 80). Les 2 sens convergent avec la doctrine paulinienne de l'homme, temple de l'Esprit-Saint (I Cor. 3, 16 nescitis quia templum Dei estis et Spiritus Dei habitat in uobis ? ; 6, 19 ; II Cor. 6, 16 uos enim estis templum Dei uiui ; Eph. 2, 22), évoquée en perist. 10, 346-350 ; cath. 4, 16-18 ; c. Symm. 2, 249-255 ; psych. 819. 822.

      
173-176 " Videbis ingens atrium
fulgere uasis aureis
et per patentes porticus
structos talentis ordines. "
" Tu verras un péristyle immense resplendir de vases dorés et, à travers les portiques béants, les piles de lingots entassés. "

      173-174 : le motif de l'éclat de l'atrium comporte év. un jeu de contrastes avec l'étymologie ater du nom ; cf. perist. 3, 192 atria luminat alma nitor ; cath. 5, 25-26 ; psych. 912-913.

      173 : uidebis : comme promis (vv. 121 nec recuso prodere ; 123 uulgabo cuncta et proferam), le martyr dit au préfet qu'il pourra voir les richesses de l'Église, non s'en emparer. Videre est fréquent dans ce poème où l'opposition entre être et paraître constitue, avec l'idée du regard sur les réalités invisibles, un moteur de l'action : vv. 23. 232. 281. 380. 473. 521. 547. 557. ingens atrium : cf. Pavl. Nol. epist. 32, 15 atria spatiosa patebant ; évocation anachronique des grandes basiliques du ive s., avec leur péristyle (atrium ; v. 175 porticus, ->). Au plur, atrium semble désigner (par synecdoque) l'église au v. 515 et en perist. 3, 192 ; apoth. 447.

      174 : fulgere : le préfet espérait des fulgidæ | montes monetæ conditos (v. 55-56) - mais il ne verra même pas (v. 373-380) le seul fulgor dont il sera question, celui du visage du martyr (v. 362 fulgorque circumfusus est). uasis aureis : les vases sacrés précieux, mentionnés par le préfet (v. 65-72) ; image reprise en epil. 25. 29, où Prudence se compare à un vase d'argile (cf. Costanza 1976, n. 27 p. 135-136). aureis : -> v. 101.

      175 : triple allitération en p-. patentes porticus : probable allusion aux grilles de bois, amovibles, fermant l'entrecolonnement des portiques ; ici, elles sont ouvertes, pour permettre au préfet de voir les pauvres mis à l'abri. Cf. Evs. Cæs. hist. eccl. 10, 4, 39 ('... quatre portiques fermés sur eux-mêmes... une sorte d'enceinte à quatre côtés, avec des colonnes qui s'élèvent de partout : les intervalles qui séparent ces colonnes sont fermés par des barrières de bois, disposées en réticule, qui s'élèvent à une hauteur convenable') ; Pavl. Nol. carm. 28, 44-47 circumiectis in porticibus spatiari | copia larga subest interpositisque columnas | cancellis fessos incumbere et inde fluentes | aspectare lacus. C'est là que se tenaient catéchumènes et pénitents (cf. Greg. Tvr. hist. 5, 49). En perist. 11, 164, on a des atria et porticus souterrains. patentes : contrairement aux dires du préfet (cf. vv. 81-82. 88), l'Église ne cache rien, est un lieu ouvert.

      176 : structos... ordines : cf. vv. 163. 170 (->). Structos évoque l'empilement de nombre de lingots, tels les briques d'un édifice. talentis : cf. v. 309 eccum talenta, suscipe ; -> v. 51.

      
177-180 It ille nec pudet sequi ;
uentum ad sacratam ianuam,
stabant cateruæ pauperum,
inculta uisu examina.
Celui-là y va et n'a pas de vergogne à le suivre ; l'on arriva à la porte sacrée : des bandes de pauvres s'y tenaient debout, essaims d'apparence débraillée.

      

      177 : nec pudet sequi : attiré par l'or, le préfet suit le martyr sans vergogne ; ce dernier lui dira (v. 197) : pudor per aurum soluitur:

      178 : uentum : est sous-entendu (cf. perist. 5, 213). sacratam ianuam : la porte symbolise l'office du diacre (vv. 41. 43 claustris sacrorum præerat... fidis gubernans clauibus) et constitue le lieu de passage du profane au sacré (perist. 10, 351 sacrato in limine).

      179 : stabant : en restant immobiles, les pauvres obéissent au diacre (cf. v. 164 adstare pro templo iubet) sans menacer aucunement préfet, même s'il est humilié (cf. v. 181). On a une correspondance avec le v. 483, qui commence avec stabunt (statues devant les temples) : devant l'église, les pauvres sont repoussants mais vertueux, alors que les oeuvres d'art païennes sont belles mais pernicieuses. cateruæ : terme à connotation militaire (cf. agmina, v. 142), désignant des foules (-> 11, 213) ; cf. v. suiv. examina.

      180 : inculta uisu : supin en -u avec un adj. ; de même avec uisu, perist. 9, 13 ; 10, 1043. L'aspect des pauvres contraste avec leur beauté intérieure, promise à se manifester dans la vie éternelle (cf. v. 273-276) ; de même, à propos de la voie droite, c. Symm. 2, 885-888 prima uiæ facies inculta, subhorrida, tristis, | difficilis, sed fine sui pulcherrima, et amplis | prædita diuitiis, et abundans luce perenni, | et quæ præteritos possit pensare labores. À cette apparence s'oppose celle de l'escorte du préfet (cf. vv. 234. 237). examina : ce terme peut suggérer le bourdonnement, la rumeur de la foule.

      

      
181-184 Fragor rogantum tollitur ;
præfectus horrescit stupens,
conuersus in Laurentium
oculisque turbatis minax.
La clameur des quémandeurs s'élève ; le préfet, stupéfait, est horrifié ; il se tourne vers Laurent, avec les yeux troublés, menaçant.

      

      181 : rogantum : participe prés., gén. plur. en -um (fréquent en poésie ; cf. Lavarenne § 94) ; ici substantivé, il désigne les mendiants (v. 143 qui poscunt stipem).

      182 : præfectus : -> v. 46. horrescit stupens : cf. perist. 10, 961 horror stupentem persecutorem subit ; cf. Verg. Æn. 2, 204 horresco referens. L'horror se retrouve chez les païens avec l'odeur du bûcher du martyr (v. 390-392), et chez le martyr à propos des dieux (v. 450).

      184 : tel un possédé (-> v. 47), le préfet est sous l'emprise de passions violentes et contra-dictoires ; le martyr fera mine de s'en étonner (v. 185-186 quid frendens, ait, | minitaris aut quid displicet ?), sans tenir compte de la menace. oculisque turbatis : ce trouble (cf. perist. 5, 203 insana torquens lumina) est un signe de faiblesse ; au contraire, v. 193-194 nil asperum Laurentius | refert ad ista aut turbidum. minax : cf. v. 185-186 quid frendens... | minitaris (-> 14, 17).

      185-312 : le martyr explique sa mise en scène, disant d'abord la véritable nature de l'or (v. 185-202) ; cf. Ambr. off. 2, 28 hi sunt thesauri Ecclesiæ : et uere thesauri, in quibus Christus est, in quibus Christi fides est. denique Apostolus ait : 'Habemus thesauri in uasis fictilibus'. quos meliores thesauros habet Christus, quam eos, in quibus esse dixit ? (...) quos meliores Iesus habet thesauros, quam eos, in quibus amat uideri ?

      
185-188 Contra ille : " Quid frendens, ait,
minitaris aut quid displicet ?
Num sordida hæc aut uilia,
num dispuenda existimas ?
Mais celui-ci : " Pourquoi ", dit-il, " me menaces-tu en grinçant des dents ? qu'y a-t-il qui te déplaise ? Ce que tu vois, l'estimes-tu par hasard sordide ou vil, l'estimes-tu méprisable ?

      185-188 : quid... quid... num... num : 2 doubles questions rhétoriques ironiques.

      185 : rendens : cf. perist. 5, 204 spumasque frendens egerit (le juge ; le v. préc. est proche aussi de perist. 5, 203) et 393 ; ce trait se retrouve chez les possédés, -> v. 47.

      186 : minitaris : reprise de l'idée exprimée par minax (v. 184 ; -> 14, 17).

      187 : sordida... uilia : avec ses valeurs esthétique et éthique, la catégorie du sordide est évoquée par le préfet, qui considère les pauvres comme sordidi ou sordidati (v. 273), et par le martyr, qui qualifie ainsi l'or (v. 195) et utilise sordes à propos du paganisme (vv. 263. 475).

      188 : dispuenda : dans les bons mss, on trouve souvent le préfixe di- remplaçant de- (cf. Lavarenne §§ 19. 21), comme ici, pour le verbe despuere. existimas : même forme en fin de v. dans la réponse du préfet, cf. v. 317-319 impune tantas... | strophas... | te nexuisse existimas ?

      189-196 : cf. ham. 259-260 dum scatebras fluuiorum omnes et operta metalla | eliquat ornatus soluendi leno pudoris ; Manil. 5, 520-537 ; Ov. met. 1, 138-140 ; Rvt. Nam. 351-368. En perist. 5, 69-70, le martyr parle de métallurgie pour suggérer la grossièreté des idoles. L'or (-> v. 48) figure le destin des pauvres : leur valeur est invisible au préfet et leur éclat ne peut être dégagé de sa gangue terreuse que dans la souffrance (v. 192 poenalis... labor) et par une purification (v. 196 flammis necesse est decoqui) ; comme le martyr torturé ainsi (v. 361-380), ils brilleront, glorieux.

      
189-192 " Aurum, quod ardenter sitis,
effossa gignunt rudera,
et de metallis squalidis
poenalis excudit labor,
" L'or, dont la soif te brûle, ce sont des gravats extraits du sol qui le produisent, et un labeur de forçat l'extrait de mines affreuses, ...

      189 : aurum, quod... sitis : cf. vv. 45 famem pecuniæ (->) ; 250 sitimque honoris æstuans ; perist. 14, 102-103 argenti et auri uim rabida siti | cunctis petitam ; ham. 396 sitis auri ; Hor. epist. 1, 18, 23 argenti sitis importuna famesque. L'image de la soif s'applique aussi à la vaine gloire (cf. v. 250) ; ambivalente, comme l'idée de boire (-> 5, 152), elle exprime le désir, bon ou mauvais. Sitire a aussi un objet direct (cf. Cic. Phil. 5, 20) en perist. 12, 44 ; ham. 587. ardenter sitis : cf. Cic. Tusc. 5, 16 eo grauius ardentiusque sitientem ; sur la soif et de la brûlure, expressions de désir, -> 5, 356. Ardens se retrouve au v. 404 (Vulcanus ardens) à propos du bûcher du martyr (feu visible inoffensif, par opposition au feu caché et douloureux).

      190 : gignunt : à cette génération naturelle de produits du sol (cf. Cic. nat. 1, 4 ; Ac. 1, 26) s'oppose la production au moyen de techniques humaines (cf. v. 192 excudit).

      191 : metallis : les mines, d'où sont extraits les métaux (ham. 104. 259 ; c. Symm. 2, 287) ; ailleurs, ce nom a le sens (tardif) de 'métal' (-> 11, 193). squalidis : proche de sordidus (v. 187), employé en ham. 261-262, après le passage sur la recherche de l'or : dum uenas squalentis humi scrutatur inepta | ambitio scalpens naturæ occulta latentis (recherche de pierres précieuses).

      192 : poenalis... labor : des condamnés étaient envoyés aux mines (Tac. Agr. 32, 5 tributa et metalla et ceteræ seruentum poenæ), peine infligée à s. Hippolyte (cf. perist. 11). Poenalis labor désigne un travail difficile, un 'travail de forçat' ; cf. les souffrances des pauvres (v. 228 : -> v. 189-196). excudit : avec de au lieu du dat. (Verg. Æn. 1, 174) ou de ex (Cic. nat. 2, 129).

      
193-196 " torrens uel amnis turbidis
uoluens harenis implicat ;
quod terrulentum ac sordidum
flammis necesse est decoqui.
" ... ou bien c'est une rivière torrentueuse qui, en le roulant, l'enveloppe dans les sables qui la troublent ; cet or, limoneux et crasseux, il est nécessaire de le fondre dans les flammes.

      193 : torrens uel amnis : torrens est épithète d'amnis (uel est postposé).

      194 : uoluens... implicat : cf. perist. 14, 97 quod mundus omnis uoluit et implicat.

      195-196 : cf. cath. 7, 77-78 non secus quam si rudis | auri recocta uena pulchrum splendeat (baptême).

      195 : terrulentum : cet adj. n'est employé dans la littérature latine que chez Prudence, ici et en perist. 10, 378 rem spiritalem terrulente quærere ; ham. præf. 5. sordidum : -> v. 187.

      196 : l'image de l'or purifié au feu est fréquente dans l'Écriture : Iob 23, 10 probauit me quasi aurum quod per ignem transit ; prou. 17, 3 ; 27, 21 ; Sir. 2, 5 in igne probatur aurum..., homines uero receptibiles in camino humiliationis ; Is. 1, 25 excoquam ad purum scoriam tuam ; Zach. 13, 9. Cf. Cypr. op. et el. 14 sordibus tuis tamquam igne decoctis. flammis : allusion aux flammes du bûcher, qui n'est pas reprise dans la narration de l'épisode du gril (au contraire de decoqui, cf. v. 398 decoxit exustum latus). decoqui : cf. c. Symm. 2, 286 ; 331 (au figuré) ; apoth. 725.

      
197-200 " Pudor per aurum soluitur,
uiolatur auro integritas,
pax occidit, fides perit,
leges et ipsæ intercidunt.
" La vertu se brise en recourant à l'or ; avec l'or, la probité est altérée, la paix meurt, la loyauté périt, les lois elles-mêmes trépassent.

      197-200 : cf. perist. 10, 356-358 frontis pudorem, cordis innocentiam | pacis quietem, castitatem corporis, | Dei timorem, regulam scientiæ ; 14, 102-103 argenti et auri uim rabida siti | cunctis petitam per uarius nefas (cf. Introd. § 103) ; ham. 257-258 ; l'or (-> v. 48) anéantit des valeurs morales et aussi les valeurs chrétiennes. Ce motif (p.ex. Tert. cult. fem. 2, 3) a des modèles profanes : Verg. Æn. 3, 56-57 quid non mortalia pectora cogis | auri sacra fames ; 8, 364 ; Hor. carm. 3, 495-498 aurum irrepertum et sic melius situm, | cum terra celat, spernere fortior | quam cogere humanos in usus | omne sacrum rapiente dextra ; Plin. epist. 7, 26 ; Ov. met. 1, 129-131 (fuite de pudor et de fides, arrivée de l'amor sceleratus habendi) ; Prop. 1, 1 ; Tib. 1, 9, 17-20. 31-32.

      197-198 : Jupiter, qui se transforme en pluie d'or pour posséder Danaé (c. Symm. 1, 78 nummos fieri et gremium penetrare puellæ), sera chassé par le martyr (v. 465-472, cf. v. 465 adulter Iuppiter).

      197 : pudor... soluitur : cf. perist. 10, 509 ; Verg. Æn. 4, 55 soluitque pudorem ; Manil. 4, 508 ; Avson. 28, 2, 100. Le martyr évoque peut-être l'attitude du préfet (v. 177 it ille nec pudet sequi) ou du débauché (portrait, v. 245-248). Pudor n'apparaît dans le recueil que dans les 'passions dramatiques' et en perist. 14 (motif récurrent, -> 14, 23). per aurum : per exprime l'instrument de l'action (repris au v. suiv. par auro : polyptote et uariatio). Sur aurum, -> v. 48.

      198 : uiolatur... integritas : uiolare a une connotation sexuelle, comme uiolabile en perist. 14, 55 (->) ; sens plus général en perist. 5, 44. 158. Integritas n'est employé chez Prudence qu'ici et en perist. 14, 35. La chasteté est aussi mentionnée au v. 302 miraris intactas anus.

      199 : pax : dans le recueil, pax désigne la sérénité et l'ordre plutôt que l'absence de conflits armés (-> 5, 514) ; ici, tous les sens sont possibles, y compris 'paix civile'. fides : -> v. 105.

      199-200 : occidit... perit... intercidunt : synonymie, reprenant soluitur (v. 197) ; l'usage instransitif de ces 3 verbes tend à personnifier leurs sujets pax, fides et leges.

      200 : leges et ipsæ : il est question des leges civilisatrices au v. 424 (->). On a une mise en évidence comparable de ipse par la postposition de et, au v. 517 ipsa et senatus lumina.

      
201-204 " Quid tu uenenum gloriæ
extollis et magni putas ?
Si quæris aurum uerius,
lux est et humanum genus.
" Toi, pourquoi portes-tu aux nues ce poison de la gloire et lui prêtes-tu une grande valeur ? Si tu cherches un or plus vrai, il y a la Lumière, et le genre humain.

      201 : uenenum : métaphore (cf. Catvll. 44, 12 ; Prop. 2, 12, 19) ; uenenum, repris par uirus (v. 216), se retrouve au v. 240 tendit ueneno intrinsecus ; cf. perist. 5, 378-379 (->). gloriæ : la vaine gloire (cath. 1, 89-95 falsa et friuola, | quæ mundiali gloria | ceu dormientes egimus | ... | aurum, uoluptas, gaudium, | opes, honores, prospera, | quæcumque nos inflant mala).

      202 : putas : cf. v. 298 ne pauperem Christum putes.

      203-204 : brachylogie (si quæris [quid] uerius aurum [dici possit]), avec en outre une ambiguïté de quæris (le préfet veut-il voir ou avoir les richesses de l'Église ?).

      203 : aurum uerius : ces 2 mots résument l'explication du martyr : aurum (-> v. 48), au figuré, désigne un or 'plus vrai' (à ce sujet, -> v. 510). Le comparatif de uerus ne peut du reste être utilisé que s'il existe une pluralité de niveaux sémantiques (ainsi, en cath. 12, 173).

      204 : lux : repris au v. suiv. par lumen, les 2 termes désignant le Christ : N.T. Ioh. 1, 8 non erat ille [= Iohannes] lux, sed ut testimonium perhiberet de lumine ; cf. perist. 10, 318-319. humanum genus : même fin de v. en perist. 5, 46 ; cath. 1, 55 ; cf. mortale genus (v. 426), genus hominum (-> 13, 6). L'humanité forme le corps mystique de l'Église, dont tous sont membres en puissance ou en acte ; refuser le Christ revient à s'exclure de l'humanité (et de la romanité).

      
205-208 " Hi sunt alumni luminis,
quos corpus artat debile,
ne per salutem uiscerum
mens insolescat turgida.
" Ceux-ci sont des nourissons de la Lumière, qu'un corps infirme amoindrit, de peur que dans la santé des chairs l'esprit enflé ne devienne arrogant.

      205 : alumni luminis : jeu de sonorités et hébraïsme (cf. perist. 5, 137 alumni carceris [->] ; Tert. apol. 39, 6). Le lien des chrétiens avec la Lumière (au contraire des païens, enténébrés) se retrouve aux vv. 232. 377-380 ; cf. v. 299 gemmas corusci luminis (vierges et veuves). alumni : ces pauvres sont nourris par l'Église (v. 158-159 adsuetos ali | Ecclesiæ matris penu). Cf. v. 570-572 tuosque alumnos urbicos | lactante complexus sinu | paterno amore nutrias. luminis : reprise de lux (v. préc. ; ->) ; lumen peut désigner le Père ou le Fils (cf. le Credo de Nicée : Lumen de Lumine).

      206-208 : la vie des pauvres, martyre atténué, exacerbe la situation de tout mortel (perist. 10, 478-480 membra parui pendo quo pacto cadant, | casura certe lege naturæ suæ ; | instat ruina ; quod resoluendum est, ruat) ; leur faiblesse corporelle est presque la condition de la santé spirituelle et lui est proportionnée (perist. 12, 18 hoc mente maior, quo minor figura ; N.T. II Cor. 12, 10 cum enim infirmor, tum potens sum). Face au matérialisme s'affirme une vision ascétique (-> 5, 157).

      206 : corpus... debile : cf. Lvcan. 4, 951 debile fit corpus ; idée reprise aux vv. 225 per artus debiles ; 273 non sordidati aut debiles. Ici, il est question de la faiblesse des pauvres (cf. v. 142) ; le tableau des riches évoquera la maladie, la corruption (sauf v. 235 magis probabo debilem).

      207 : salutem : nom pouvant désigner aussi bien la santé (ici et p.ex. perist. 1, 119) que le salut éternel (p.ex. perist. 10, 471). uiscerum : le corps (par synecdoque) - en soi, désignation non péjorative (cf. perist. 3, 89 uiscera sobria ; 5, 506-507 sacra... uiscera).

      208 : mens : l'intériorité de l'homme, ici le siège des décisions morales (cf. v. 224 mentis et morum ulcera), ailleurs son âme immortelle (v. 552) ; au v. 436, sens collectif de 'mentalité', 'esprit' : mens una sacrorum foret. insolescat : inchoatif, cf. Sall. Catil. 6, 7 ; Hilar. Matth. 18, 1. turgida : cf. v. 258 strumas retexam turgidas (portrait de l'envieux). L'enflure est un signe pathologique d'immoralité (cf. apoth. 354 cum fermentati turgescant crimine mores ; cf. aussi v. 238).

      
209-212 " Cum membra morbus dissicit,
animus uiget robustior,
membris uicissim fortibus
uis sauciatur sensuum.
" Lorsque la maladie disloque les membres, la vigueur de l'âme est plus forte ; inversement, avec des membres robustes, la force des pensées est entamée.

      209 : membra : -> 14, 37 ; repris au v. 211 membris (polyptote) ; aux vv. 219 (fragmenta membrorum) et 360 (uincire membra), au sens propre. Le martyr comparera l'humanité à un corps, lui attribuant mens (v. 436 ; cf. v. 208) et membra (v. 438). dissicit : cf. cath. 1, 97.

      210 : relativisée, la douleur semble soutenir la vie intérieure (vv. 220 pulcher intus uiuere ; 226-228 intus decoris integri | sensum uenusti innoxium | laboris expertes gerunt) ; les païens sont dans la situation inverse (cf. vv. 224. 230). Cf. Cic. diu. 1, 63 iacet... corpus dormientis... uiget autem et uiuit animus ; Ivv. 10, 240 ut uigeant sensus animi. animus : reprend mens (v. 208) ; cf. perist. 3, 94. 143 ; 10, 54. 732. 771 ; 11, 177 ; 13, 38. uiget robustior : cf. v. suiv. fortibus et v. 212 uis.

      211 : membris... fortibus : cf. v. 229 ualentes corpore ; opposé de corpus debile (v. 206) et d'artus debiles (v. 225). uicissim : seul emploi dans le recueil. Cette idée d'opposition et de compensation fonde le raisonnement du martyr ; cf. aussi v. 289 inuersa uice.

      211-212: fortibus uis : cf. perist. 9, 65 este, precor, fortes et uincite uiribus annos ; cath. 1, 71.

      212 : uis... sensuum : sensuum reprend animus (v. préc.) : cf. perist. 10, 771 interpres animi, enuntiatrix sensuum ; cf. aussi perist. 1, 99 strangulant mentes et ipsas seque miscent sensibus. Vis est repris au v. 214 (minus ministrat uirium), sensus au v. 227 (sensum... innoxium).

      
213-216 " Nam sanguis in culpam calens
minus ministrat uirium,
si feruor effetus malis
elumbe uirus contrahat.
" En effet, le sang qui s'échauffe procure moins de forces pour fauter, si son bouil-lonnement, épuisé dans les maladies, contracte un venin dès lors sans vigueur.

      213 : sanguis et culpa sont aussi associés en apoth. 69 (sang du Christ : tristes purgantur sanguine culpæ). nam : la proportionnalité inverse entre santé physique et santé morale (quatrain préc.) reçoit une explication physiologique, basée sur la théorie médicale des humeurs. sanguis... calens : cf. v. 70 fumare sacrum sanguinem ; perist. 1, 7 ; psych. 50-51. 808. Ailleurs, calens exprime la vigueur de la passion (-> 14, 12). sanguis : le sang (-> v. 48), siège de la vie et de l'âme (-> 9, 89-92), joue un rôle important dans le processus décrit ici. in culpam : in (suivi de l'acc.) indique le but ou le résultat. Dans le recueil, culpa n'apparaît qu'ici et en perist. 9, 81.

      214 : minus ministrat : jeu de sonorités (homéoarques). minus... uirium : gén. partitif (seul ex. chez Prudence ; même tour avec plus en perist. 9, 64 ; 10, 700). Par ses sonorités, uirium (reprise de uis, v. 212) permet un éventuel rapprochement avec uirus (v. 216).

      215 : cf. c. Symm. 2, 1045-1046 ne pectoris æstus | flagret et effetis urat charismata uenis. feruor : même forme au v. 342 (->). malis : adj. substantivé à l'abl. de moyen. Ces maux sont physiques (par opposition à culpam, v. 213) : mutilations, maladie, douleur (v. 145-156).

      216 : elumbe : anticipation du résultat de contrahat. Elumbis (cf. psych. 314 elumbem mollire animum) a ici un sens actif. uirus : cf. v. 201 uenenum (->). Virus (venin d'un serpent) évoque souvent le démon, cf. cath. 3, 152 ; c. Symm. 1 præf. 32. 53. 78 ; ham. 531-532 maior inest uis illa homini, quæ flatile uirus | ingerit et tenuem tenui ferit ære mentem. contrahat : -> v. 156.

      

      
217-220 " Si forte detur optio,
malim dolore asperrimo
fragmenta membrorum pati
et pulcher intus uiuere.
" Si d'aventure on me donnait le choix, je préférerais subir, dans la plus cruelle des souffrances, que l'on me brisât les membres et avoir une belle vie intérieure.

      217 : detur optio : euphémisme présentant un dilemme imposé comme un libre choix.

      218 : malim : le martyr s'applique ce qu'il vient d'affirmer, manifestant sa libertas (-> v. 491) et lançant un défi. dolore asperrimo : au contraire, vv. 336 perire raptim non dabo ; 339-340 mors inextricabilis | longos dolores protrahet.

      219 : fragmenta : Prudence emploie aussi fragmen (apoth. 716) avec le même sens rare de 'brisure' (cf. Hil. in psalm. 2, 38 ; Ps.-Soran. quæst. med. 224 ; Petr. Chrys. serm. 160, p. 622b), au lieu de fractio (Hier. epist. 108, 8) ou fractura (Cels. 8, 10). membrorum : -> v. 209.

      220 : cf. v. 271 pulcherrimo uitæ statu (la béatitude éternelle ; ->) pulcher : de même, v. 291 pulcher aspectus. intus : adv. repris aux vv. 225-226 nostri, per artus debiles, | intus decoris integri ; cf. aussi, à propos de l'âme inaccessible aux tortures, perist. 5, 157 (->).

      

      
221-224 " Committe formas pestium
et confer alternas lues :
carnisne morbus foedior,
an mentis et morum ulcera ?
" Confronte les types de fléaux et compare ces pestes l'une après l'autre : est-ce la maladie de la chair qui est la plus affreuse, ou les ulcères de l'âme et des moeurs ?

      221-222 : construction du distique analogue à celle des versets des Psaumes : le second v. répète les termes du 1er, avec, parfois, une précision (alternas précise qu'il y a une alternative).

      221 : committe : s'étant appliqué sa doctrine sur le rapport entre beauté (ou santé) intérieure et extérieure, le martyr invite (question rhétorique, v. 223-224) le préfet à faire de même. formas pestium : la précision formas est amenée par l'usage de committere : committere pestes eût pu signifier 'lancer un fléau l'un contre l'autre'. Ailleurs (-> 11, 42), pestis désigne la persécution ; ici, les maux aussi bien physiques (cf. cath. 10, 105) que moraux (cf. psych. 259).

      222 : alternas : idée de succession de 2 éléments (cf. v. 223-224). lues : cf. Plin. nat. 29, 27 lues morum. En psych. 508. 558, lues désigne la Cupidité (vice du préfet, ici).

      223-224 : les termes de l'alternative seront chacun l'objet d'un quatrain (vv. 225-228 et 229-232, ce dernier étant développé aux vv. 233-264. 277-288 : vices cachés des puissants).

      223 : carnisne morbus : morbus est, au sens propre, toujours physique ; la métaphore du v. suiv. explique cette précision (v. 229 ualentes corpore ; ->). Sur caro, -> v. 269. foedior : péjoratif aussi bien sur les plans esthétique qu'éthique (cf. v. 78 ; opposé de pulcher, cf. v. 220).

      224 : cette métaphore ouvre une longue série de vices moraux, assimilés à des infirmités physiques ; cf. v. 230 par interna... lepra. mentis et morum : association sur un même plan de l''esprit' (mens ; -> v. 208), opposé à la chair (caro, v. préc), et de la vie morale (morum), dont la mens est le siège, opposée à la vie végétative et animale. ulcera : cf., au sens propre, vv. 153 ulcerosis artubus ; 267-268 ulcerosos... artus.

      
225-228 " Nostri, per artus debiles,
intus decoris integri,
sensum uenusti innoxium
laboris expertes gerunt ;
" Nos gens sont maladifs dans leur corps, mais ont leur noblesse intérieure intacte ; avec grâce, ils portent une sensibilité innocente, sans éprouver de peine ;

      225 : nostri : martyr et préfet apparaissent comme chefs de partis, non comme l'accusé face à son juge. De même, le quatrain suiv. commence par uestros et décrit l'apparence au 1er v., tandis que la réalité intérieure est l'objet des 3 vv. suiv. debiles : -> v. 206.

      226 : intus : -> v. 220. decoris integri : gén. avec integer (cf. Hor. serm. 2, 3, 65) ; écho du thème de l'integritas gâtée par l'or (v. 198), gardée chez les pauvres. decoris : comme pour pulcher (v. 220) et foedior (v. 223), connotations éthiques et esthétiques. Quand le martyr monte sur le bûcher, le decus caché se manifeste aux baptisés (v. 361 illi os decore splenduit).

      227 : sensum : quasi équivalent de mens ou animus (-> v. 212). uenusti : cf. cath. 10, 97-100 hæc quæ modo pallida tabo | color albidus inficit ora, | tunc, flore uenustior omni, | sanguis cute tinguet amoena (visage des ressuscités). innoxium : cf. v. 483 stabunt et æra innoxia (-> v. 482).

      228 : laboris : dans certains mss, on a lang(u)oris (Cunningham), probablement glose passée dans le texte. Labor peut prendre le sens de morbus, de uitium (ici) ou celui de 'travail' (v. 192 poenalis excudit labor - l'extraction pénible de l'or ; -> v. 189-196). expertes : -> 5, 246. gerunt : cf. perist. 1, 59 Dei formam gerentes ; 9, 11 ; psych. 767.

      
229-232 " uestros ualentes corpore
interna corrumpit lepra
errorque mancum claudicat
et cæca fraus nihil uidet.
" ... les vôtres, physiquement vigoureux, sont corrompus par une lèpre intérieure : l'erreur boite comme un estropié et la perfidie aveugle ne voit goutte.

      229 : uestros : opposé à nostri (v. 225 ; ->), repris au v. 233 par tuorum. ualentes corpore : faux pléonasme (cf. v. 223 carnisne morbus) suggérant l'existence aussi d'une santé et de maladies morales. ualentes : à la fois santé et force (cf. v. 244) ; les pauvres sont faibles et malades.

      230-232 : les 3 images décrivant la laideur intérieure des puissants reprennent, dans l'ordre inverse, les types d'affections physiques des vv. 145-154 : l'aveugle, le boiteux, le lépreux.

      230 : cf. v. 153-154 est, ulcerosis artubus, | qui tabe corrupta fluat. interna : cet adj. reprend intus (vv. 220. 226) ; cf. c. Symm. 1, 19-21 studuit quo pars hominis generosior intus | uiueret atque animam letali peste piatam | nosset ab interno tutam seruare ueneno. corrumpit : employé aussi à propos du corps des pauvres (-> v. 154) ; cf. v. 289-290 animabus inuersa uice | corrupta forma infligitur. lepra : seul emploi chez Prudence (cf. v. 286 leprosum [->]) ; lepra (au plur. chez Pline) est au sing. ici et dans la Vulgate (V.T. leu. 13-14) ; comme scabies (v. 256), maladie interprétée allégoriquement (cf. Method. Olynth. lepr. ; Theodoret. quæst. in leu. 15).

      231 : cf. le boiteux des vv. 149-152 claudus... gressum trahebat imparem. errorque : repris dans le portrait de l'aveugle (v. 148), désigne le paganisme au v. 445 (-> ; cf. v. 546 errans Iuli cæcitas). Comme fraus (v. suiv.), error est personnifié (sujet de claudicat). mancum : adj. employé adverbialement ; absent du portrait du boiteux (comme cæcus, v. suiv., de celui de l'aveugle).

      232 : opposition avec les chrétiens (alumni luminis, v. 205 ; ->) et parallèle avec l'aveugle (v. 145-148) ; la métaphore montre que la volonté et l'intelligence des païens sont atteintes ; cf. v. 377-380 impiorum cæcitas | os oblitum noctis situ, | nigrante sub uelamine | obducta, clarum non uidet. Le martyr voudrait que le préfet voie (-> v. 301-302). cæca : adj. qualifiant souvent le paganisme (-> v. 456) ; pléonasme avec nihil uidet. fraus : gradation par rapport à error (également personnifié) : on passe de l'erreur à la faute. uidet : -> v. 173.

      
233-236 " Quemuis tuorum principum,
qui ueste et ore prænitent,
magis probabo debilem,
quam quis meorum est pauperum.
" N'importe lequel de tes princes, qui brillent par l'habit et par l'allure, je prouverai qu'il est plus maladif que ne l'est l'un de mes pauvres.

      233 : quemuis : début d'une énumération de types de comportements ; ici l'indéfini (cf. v. 252 quiquis), ailleurs le démonstratif (vv. 237. 241. 245. 249) ou le plur. (v. 257-260). tuorum : pendant de meorum (v. 236), reprend l'idée de partis opposés (vv. 225. 229 nostri... uestros). principum : certains mss ont diuitum (parallélisme avec meorum... pauperum, v. 236) préféré par Cunningham, alors que Bergman et Lavarenne retiennent la leçon principum, qui est une lectio difficilior. Aux vv. 311. 473, princeps désigne l'empereur, au v. 460, sts Pierre et Paul.

      234 : ueste : habits précieux tels la toga picta (cf. v. 557-558 ; -> 14, 105) ou la soie (v. 237 serico) ; contraste avec l'apparence des pauvres (v. 273 sordidati) et avec l'aspect intérieur des pécheurs (v. 281 pannis... obsitos). ore : leçon de la plupart des mss ; pour Bergman, la leçon oro (ms. V) pourrait être la trace d'un texte auro (arguments : régularité métrique, spondée mieux que trochée ; intégration dans la thématique générale et dans une description visuelle ; correspondance avec le tableau des pauvres glorifiés : v. 275-276 purpurantibus stolis | clari et coronis aureis) ; mais une double corruption (auro > oro > ore) ancienne est peu probable, d'autant que l'erreur était aisée à corriger (prænitent appelle plus facilement auro qu'ore). Ore met en parallèle la jactance des païens et l'éloquence du martyr et, par son ambivalence (-> 5, 283), lie le visage illuminé du martyr (v. 361-362 illi os decore splenduit | fulgorque circumfusus est) et celui de s. Étienne (v. 370 oris corusci gloriam). prænitent : cf. cath. 7, 78-80 auri recocta uena pulchrum splendeat | micet metalli siue lux argentei, | sudum polito prænitens purgamine (le baptisé).

      235 : magis... debilem : Prudence n'utilise pas le comparatif debilior (Tac. hist. 4, 62, 2 ; Clavd. 2, 318), peut-être pour inister sur debilis (-> v. 206) ; cf. perist. 3, 9-10 ; ham. 710. probabo : le martyr promet une démonstration de ses affirmations (-> v. 563).

      236 : meorum... pauperum : correspondant de tuorum principum (ou, selon certains mss, tuorum... diuitum), v. 233 ; le martyr se pose en chef des pauvres de Rome, qu'il sert. est : mise en évidence la valeur indéfinie de quis (est est facultatif, cf. aphérèse avec de meorum).

      237-260 : comme à propos de l'or (v. 197-200), satire d'ordre moral. Cf. cath. 1, 89-95 falsa et friuola, | quæ mundiali gloria | ceu dormientes egimus | ... | aurum, uoluptas, gaudium, | opes, honores, prospera, | quæcumque nos inflant mala. Sauf le bavardage (v. 253-256) et la malignitas (v. 259-260), les vices critiqués sont contemplés par ste Agnès du haut des cieux ou se retrouvent, personnifiés, dans la Psychomachie : superbia (v. 237-240 ; perist. 14, 104-105 ; psych. 186-309) ; auaritia (v. 241-244 ; psych. 454-628) ; libido (v. 245-248 ; psych. 310-453) ; ambitus (v. 249-252 ; perist. 14, 100-101) ; inuidia (v. 257-258 ; perist. 14, 108-109). Le comble de l'immoralité est l'irréligion, le paganisme (attribué au préfet, v. 261-264) ; cf. perist. 14, 110-111 quod malorum tætrius omnium est, | gentilitatis sordida nubila ; psych. 799-822, où la lutte morale s'achève sur une allocution de la Foi, uirtutum regina Fides (psych. 716). De tels catalogues, fréquents chez Prudence et chez ses contemporains, dépeignent un fait complexe par des traits saillants plutôt que de manière abstraite et globale (cf. Introd. §§ 35. 103 ; Roberts 1989, p. 41).

      237-252 : 4 vices et 4 'caractères' sont présentés chacun dans un quatrain, avec des images empruntées aux éléments matériels (cf. la théorie médicale antique et aussi la démonologie) :

  • le vaniteux : air (v. 238 inflatum) et eau (v. 239 hydrops aquosus) ; cf. apoth. 411 uentose liquor (démoniaque) ;
  • le cupide : resserrement (vv. 241 contrahit ; 243 plicans) ; cf. perist. 1, 99 strangulant mentes (possesssion) ;
  • le libertin : boue et saleté (cf. v. 247 luto et cloacis) ; cf. le qualificatif spurcus de Jupiter, v. 12 ;
  • l'ambitieux : brûlure, feu (vv. 249 feruens ; 250 æstuans ; 251 febribus ; 252 igne) et soif (v. 250 sitimque) ; cf. le démon exorcisé (perist. 1, 109 faucibus siccis fugit ; 111 confitens ardere sese).

      Prudence reprend des éléments du Carmen contra paganos, v. 58-59 : inflatus (cf. v. 238 inflatum) diues, subito mendicus (cf. v. 248 mendicat) ut esset | obsitus et pannis (cf. v. 281 pannis... obsitos).

      
237-240 " Hunc, qui superbit serico,
quem currus inflatum uehit,
hydrops aquosus lucido
tendit ueneno intrinsecus.
" Un tel, qui se drape orgueilleusement de soie, qui s'enfle dans le char qui le transporte, c'est l'aqueuse hydropisie, avec son venin clair, qui le tend de l'intérieur.

      237 : hunc : év. allusion à Prétextat, mort d'hydropisie en 384, cible probable du Carmen contra paganos (cf. Cracco Ruggini 1979, pp. 82-83. 116) ; il s'était soumis à la cérémonie du taurobole (décrite en perist. 10, 1007-1055) ; cf. Poinsotte 1982, p. 54-55. superbit : malgré l'insistance sur l'hydropisie, c'est la superbia qui est visée (le préfet est appelé superbus, v. 265) : cf. perist. 10, 148-150 aquila ex eburna sumit adrogantiam | gestator eius, ac superbit beluæ | inflatus (cf. v. suiv. inflatum) osse cui figura est alitis ; ham. 399 ambitio uentosa tumet, doctrina superbit. serico : la soie, importée de Chine, est par excellence le produit de luxe : cf. Hier. epist. 79, 9 in serico et in pannis (cf. v. 281 pannis) eadem libido dominatur ; le prêtre taurobolié est vêtu ainsi : perist. 10, 1015 cinctu Gabino sericam fultus togam.

      238 : le véhicule de fonction du préfet de la Ville, incrusté d'argent, était luxueux (év. allusion à Symmaque, préfet de la Ville lors de la mort de Prétextat). Peu avant la composition de perist. 2 fut écrite la satire de Palladas (Anth. Palat. 11, 292) contre un magistrat se pavanant sur son char : Thémistios, philosophe païen et préfet de la Ville à Constantinople - Thémistios y répondit vers 395, par son célèbre Discours 34. currus... uehit : cf. psych. 334-339 (char de la Sensualité) dum currum uaria gemmarum luce micantem | mirantur, dum bracteolis crepitantia lora | et solido ex auro pretiosi ponderis axem | defixis inhiant obtutibus et radiorum | argento albentem seriem, quæ summa rotarum | flexura electri pallentis continet orbe. Ces chars sont à l'origine ceux des triomphateurs, cf. p.ex. c. Symm. 2, 556-558 frustra... currus summo miramur in arcu | quadriiugos stantesque duces in curribus altis | Fabricios, Curios, hinc Drusos, inde Camillos (texte inspiré de Ivv. 8, 4-5). inflatum : même idée, à propos d'insignes du pouvoir, en perist. 10, 145 quibus tumetis moxque detumescitis ; la Superbia est qualifiée d'inflata en psych. 178.

      239 : hydrops aquosus : quasi pléonasme, aquosus équivalant au grec hydrops. L'hydropisie (Hippocr. aff. morb. 23-26 ; Cels. med. 3, 21) s'accompagne d'une soif sans bornes, vue comme la cause de son symptôme, l'enflure des membres. Platon (resp. 439a-d) et Diogène (cf. Lært. 6, 2, 29) utilisent cette image, appliquée par Bion à l'assoiffé de pouvoir (cf. Stob. flor. 4, 2) ; Aristote compare le vice invétéré à l'hydropisie (eth. Nic. 1150 b 29-36) ; ce motif littéraire (Polyb. 13, 2) est utilisé par les Latins (Ov. fast. 1, 215-216 ; Sen. dial. 12, 11, 3), y compris les chrétiens (Avg. serm. 61, 3 ; Mamert. st. an. 3, 7 hydrops superbiæ tumuit). Bien qu'Horace (epist. 2, 2, 146-148) en fasse une image de la cupidité plus que de l'orgueil, c'est de lui que semble s'inspirer Prudence : cf. Hor. carm. 2, 2, 13-16 crescit indulgens sibi dirus hydrops, | nec sitim pellit, nisi causa morbi | fugerit uenis et aquosus albo | corpore languor.

      239-240 : lucido... ueneno : cf. v. 201 uenenum gloriæ (->) ; ce poison d'aspect 'translucide' (cf. ham. 868) et 'luminescent' (cf. perist. 6, 9 ; 11, 22) est inquiétant. Cet éclat correspond à l'idée du faux prestige du luxe (vv. préc.), exprimée par prænitent au v. 234. Lucidus évoque aussi l'aspect séduisant de ce poison ; cet adj. peut signifier 'pur', 'irréprochable' (cf. Avg. ord. 2, 5, 14) - on serait alors ici proche de l'oxymore.

      240 : l'idée de tension extrême, au bord de l'éclatement, contraste avec celle de contraction au quatrain suiv. (cf. l'usage de ast au v. 241). intrinsecus : la source du mal réel est intérieure.

      
241-244 " Ast hic auarus contrahit
manus recuruas, et uolam
plicans aduncis unguibus
laxare neruos non ualet.
" Quant à cet avare, il contracte ses mains recourbées et, repliant sa paume sous ses ongles crochus, il n'a pas la force de relâcher ses tendons.

      241 : hic auarus : ce personnage n'est pas le préfet (malgré le v. 167 iudex auaro spiritu). contrahit : cf. v. 155-156 est, cuius arens dextera | neruos in ulnam contrahat (->).

      242 : manus : la main symbolise l'action humaine, -> 5, 69. recuruas : adj. désignant en quelque sorte le résultat de contrahit, v. préc. uolam : nom rare, employé aussi en apoth. 860.

      243 : aduncis unguibus : jeu de sonorités voire jeu étymologique (ad-uncis ; unguibus) ; cf. psych. 462-463 uelox nam dextra rapinas | abradit, spoliisque ungues exercet ænos ; Cic. Tusc. 2, 24.

      244 : laxare neruos : de même, Plin. nat. 23, 157 ; sur neruus, -> v. 156. non ualet : même tour avec ualere (au sens de posse) suivi de l'infinitif en perist. 10, 314. Cf. aussi v. 229 ualentes ('bien portants') : la santé et la force des puissants du siècle n'est qu'apparente.

      
245-248 " Istum libido foetida
per scorta tractum publica
luto et cloacis inquinat,
dum spurca mendicat stupra.
" Cet autre, traîné parmi les femmes publiques, une répugnante sensualité le souille de boue et d'immondices, tandis qu'il mendie d'ignobles débauches.

      245 : libido foetida : cf. perist. 14, 37 non inquinabis (cf. v. 247 inquinat) membra libidine ; cath. 7, 13. libido : appétence irrationnelle, souvent lascive (perist. 10, 197. 229. 509 ; 14, 37).

      246 : tractum : utilisé au v. 152 à propos de la marche pénible de l'estropié, sujet (actif) de trahere ; l'esclave de ses passions a plus de peine à se mouvoir, il est lui-même traîné (objet passif de trahere), sans autonomie. publica : cf. perist. 14, 25 in lupanar trudere publicum (->).

      247 : luto et cloacis : hendiadyn ; l'idée de souillure, suggérée par la fange, est liée à l'amour lascif (cf. v. 245) ; cf. perist. 13, 61 si luteum facili charismate pectus expiasti ; c. Symm. 1, 172 ; præf. 12 nequitiæ sordibus et luto. inquinat : cf. perist. 14, 37 ; verbe utilisé au v. 366 à propos de la souillure provenant de l'adoration du Veau d'or ; cf. aussi perist. 1, 39 ; 10, 1046.

      248 : spurca... stupra : paronymie ; spurcus qualifie Jupiter au v. 12 (->) et comporte souvent une connotation païenne et démoniaque ; cf. v. 466 stupro sororis oblite (Jupiter ; ->). mendicat : ce verbe (repris du Carmen contra paganos : -> v. 237-252) permet un parallèle de plus entre le groupe des puissants du siècle et celui des pauvres et des malades (vv. 143. 181).

      
249-252 " Quid ? Ille feruens ambitu
sitimque honoris æstuans
mersisne anhelat febribus
atque igne uenarum furit ?
" Et que dire de celui-là, bouillant d'ambition et altéré d'une soif d'honneurs : sont-ce des fièvres profondes qui le font haleter, et le feu de ses veines qui le met en fureur ?

      249 : quid ? : cf. perist. 10, 206. 231. 1076. feruens ambitu : cf. Tac. ann. 12, 1, 2 nec minore ambitu feminæ exarserant. Sur feruens, -> v. 62. ambitu : synonyme ici d'ambitio (-> 11, 200) ; l'ambition, critiquée si elle vise à une gloria vaine (cf. v. 201 ; perist. 14, 100-101 reges, tyrannos, imperia et gradus | pompasque honorum stulta tumentium ; præf. 14-15 ; ham. 399), peut être transfigurée (v. 492 ambire Christum).

      250 : sitimque... æstuans : acc. avec æstuare, cf. Stat. silu. 1, 3, 8 et perist. 9, 96 ; cath. 7, 156 (cf. Lavarenne § 233-258). La soif exprime la force des passions (-> v. 189). honoris : souvent connoté positivement (-> 13, 39), parfois négativement (ici ; perist. 14, 101).

      251-252 : la fièvre, symbole, symptôme ou cause des passions, est vue comme un échauffement de l'air circulant dans les veines : cf. perist. 10, 487-489 ut febris (cf. v. 251 febribus) atro felle uenas (cf. v. 252 uenarum) exedit, | uel summa pellis ignis obductus coquit | papulasque feruor æstosus excitat ; apoth. 839-840 flatum tepidum calor exhalatus anhelat (cf. v. 251 anhelat), | rorantes nebulas udis de faucibus efflans. Prudence parle cependant aussi des veines comme vaisseaux sanguins (-> 9, 89 ; cf. apoth. 917). Cf. Hor. serm. 1, 2, 33 uenas inflauit tætra libido.

      251 : mersisne : -ne a la valeur de nonne, la réponse attendue étant positive (cf. perist. 10, 376 ; cf. Lavarenne § 57). Mersus est pris absolument ('caché' ; cf. perist. 5, 243 ; 11, 154). febribus : cf. ham. 157 consecrasse deas Febrem Scabiemque (cf. v. 256 scabiemque) sacellis.

      252 : igne : ce feu intérieur, symbolisant les passions (morales ; cf. de même v. 304) s'oppose à celui que le martyr devra subir, lors de sa passion (physique). furit : -> v. 166.

      
253-256 " Quisquis tacendi intemperans
silenda prurit prodere,
uexatur et scalpit iecur
scabiemque cordis sustinet.
" Quiconque, trop intempérant pour se taire, est démangé de l'envie de révéler ce qui requiert le silence, subit la torture, se ronge le foie et endure une irritation du coeur.

      253 : quisquis : le martyr n'évoque plus des types précis (cf. démonstratifs des vv. 237. 241. 245. 249), mais généralise son propos. tacendi intemperans : intemperans est employé avec un curieux complément au gén. Sur le vice du bavard, cf. Hor. epist. 1, 18, 69-71 percontatorem fugito, nam garrulus idem est, | nec retinent patulæ commissa fideliter aures, | et semel emissum uolat irreuocabile uerbum ; Cato orat. 81 (p. 57, 29 J) numquam tacet, quem morbus tenet loquendi, tamquam ueternosum bibendi atque dormiendi. Le martyr songe peut-être aux délateurs qui ont dévoilé le déroulement des mystères chrétiens (cf. v. suiv. silenda et prodere à la fin des vv. 66. 254) ; le préfet se référait à ces bruits (-> v. 68). S. Laurent se défend peut-être aussi de parler hors de propos, la prédication faisant partie du ministère du diacre.

      254 : prurit prodere : construction sans parallèles de prurire avec un infinitif complément.

      255 : uexatur : lexique de la torture (perist. 1, 108 ; 4, 82 ; 10, 693 ; 11, 40) ; cf. Tert. ad Scap. 4 ; Pass. Claud. Ast. 2 tunc Lysias præses ungulis eum uexari præcepit. iecur : le siège des sentiments (-> 14, 131), de l'intériorité en général (repris par cordis, v. suiv.) ; élément peut-être emprunté à Hor. epist. 1, 18, 72 (juste après le passage sur le bavard, cité plus haut). Le foie, mentionné dans les descriptions de tortures, souligne leur violence (-> 5, 116).

      256 : scabiemque : comme lepra (v. 230), maladie de la peau. Cf. Hor. epist. 1, 12, 14 cur tu inter scabiem tantam et contagia lucri ; ars 453-456 ut mala quem scabies aut morbus regius (cf. v. 264) urget | aut fanaticus error et iracunda Diana, uesanum tetigisse timent fugiuntque poetam | qui sapiunt ; cf. Avg. conf. 9, 1 scabies libidinum. La démangeaison provoquée par cette maladie explique les blessures évoquées au v. préc. Cf. ham. 157 consecrasse deas Febrem Scabiemque sacellis ; -> v. 251. cordis : de même, v. 575 (le coeur comme siège des décisions morales).

      
257-260 " Quid inuidorum pectorum
strumas retexam turgidas,
quid purulenta et liuida
malignitatum uulnera ?
" À quoi bon retracerais-je les scrofules gonflées des coeurs jaloux ? les plaies purulentes et noirâtres des mesquineries ?

      257 : quid : ce pronom, répété au v. 259, introduit retexam (v. suiv.), sous-entendu après. inuidorum pectorum : inuidorum est soit épithète, soit complément (gén. au second degré) de pectorum. L'inuidia, attribuée aux persécuteurs et aux païens p.ex. en perist. 13, 66 (->), est un vice démoniaque : cf. perist. 4, 66-67 genus inuidorum | dæmonum ; 14, 108-109 liuoris (cf. v. 259 liuida) atri fumificas faces | nigrescit unde spes hominum et decus. pectorum : quasi synonyme de cor (v. 256) et de iecur (v. 255), au sens moral ; concret mais symbolique au v. 535.

      258 : strumas : même image chez Cic. Vatin. 16, 39 ; Sest. 65, 135 (cf. Kudlien 1962, p. 108-109). retexam : -> v. 36. turgidas : cf. v. 208 mens insolescat turgida (->).

      259 : purulenta : cf. Cels. 2, 8, 1 ; Sen. epist. 57, 5. liuida : cette couleur bleuâtre ou noirâtre évoque une blessure sanglante et corrompue (cf. perist. 10, 705 quem plaga flerat roscidis liuoribus). Liuor prend aussi un sens éthique (-> 14, 108), comme liuidus (cf. Hor. sat. 1, 4, 93 ; carm. 4, 9, 33) ; cf. en part., à propos du démon, perist. 5, 379-380 fellis uenena et liuidum | cor efferata exusserant. On a peut-être ici un rappel de la jalousie, v. 257-258.

      260 : malignitatum : plur. poétique, s'expliquant comme un distributif, vu la pluralité des uulnera. Cf. Sen. dial. 5, 8, 4 offendet te superbus contemptu, ... liuidus (v. préc. liuida) malignitate.

      
261-264 " Tute ipse, qui Romam regis,
contemptor æterni Dei,
dum dæmonum sordes colis,
morbo laboras regio.
" Et toi-même, qui gouvernes Rome, contempteur du Dieu éternel, tandis que tu rends un culte à la crasse des démons, tu souffres de la royale jaunisse !

      261: tute ipse : cf. perist. 9, 69 ; 10, 957 ; apoth. 674. Avec cette adresse insistante, le catalogue des vices atteint un sommet : le paganisme, perversion religieuse ; cf. perist. 14, 110-111 quod malorum tætrius omnium est, | gentilitatis sordida nubila (cf. Introd. § 103). regis : jeu de mots entre la fonction du préfet et le morbus regius ; regis et regio (v. 264) en fin de v.

      262 : cf. Verg. Æn. 7, 648 contemptor diuum Mezentius ; 8, 7 contemptorque deum Mezentius ; honorer les dieux, c'est mépriser Dieu, cf. v. 443-444 fiat fidelis Romulus | et ipse iam credat Numa. æterni Dei : de même, fin du v. 393. Æternus qualifie les noms divins rex (perist. 1, 18), princeps (perist. 6, 44), Pater (perist. 7, 55), uindex (perist. 11, 173), rector (perist. 14, 81).

      263 : cf. perist. 6, 36 aras dæmonicas coli iubebat. dæmonum : cf. perist. 1, 97 ; 4, 67 ; 5, 92 ; 10, 101. 920. Ce nom, au sing., désigne Satan en perist. 10, 24. 1088. Identifiant démons et dieux païens (-> 5, 78-92), Prudence emploie aussi monstra (perist. 1, 69 ; 10, 241). sordes : -> v. 187 ; repris dans la prophétie opposant implicitement le préfet à l'empereur chrétien Honorius (v. 474-476 qui seruus Dei | tætris sacrorum sordibus | seruire Romam non sinat). colis : -> 11, 231.

      264 : morbo... regio : la maladie du préfet est significative (jeu de mots avec regis, v. 261). Distinct du morbus sacer (épilepsie), le morbus regius (jaunisse ; cf. Cels. 3, 24, 1 ; Plin. nat. 20, 15 ; cf. Kudlien 1962, p. 109-111) est associée à l'égarement, voire à la folie : Hor. ars 453-455 ut mala quem scabies (cf. v. 256 scabiemque) aut morbus regius urget | aut fanaticus error et iracunda Diana, | uesanum tetigisse timent. morbo laboras : de même, Cic. fin. 1, 59.

      265-292 : reprenant le diptyque des vv. 225-232 dans une perspective eschatologique, le martyr fait le tableau des 2 groupes : la réalité intérieure correspond au sort promis à l'âme immortelle. Même si les vv. 277-288 ne parlent pas de damnation et prolongent le discours moral des vv. 229-260, il y est aussi question du sort éternel de ces hommes, cf. v. 289-292.

      
265-268 " Hi, quos superbus despicis,
quos exsecrandos iudicas,
breui ulcerosos exuent
artus et incolumes erunt,
" Ceux-ci, que dans ton orgueil tu méprises, que tu juges dignes d'être maudits, sous peu, dépouilleront leurs membres couverts d'ul-cères et seront indemnes, ...

      265-268 : quatrain à structure répétitive ; forme verbale à la fin des vv. (ind. prés., 2e pers. du sing. aux vv. 265. 266 ; ind. fut. simple, 3e pers. du plur. aux vv. 267. 268), précédée d'un adj., au nomin. (vv. 265. 268) ou à l'acc. (vv. 266. 267) ; après le démonstratif hi, 2 relatives introduites par quos. Le rejet d'artus au v. 268 évite cependant la monotonie.

      265-266 : cf. début du discours, v. 187-188 num sordida hæc aut uilia | num dispuenda existimas ?

      265 : superbus : cf. vv. 5 reges superbos uiceras (cf., au v. préc., le morbus regius dont souffre le préfet - il apparaît presque comme un ennemi de Rome) et 237 hunc, qui superbit serico.

      266 : iudicas : rappel de la fonction judiciaire du préfet, appelé iudex au v. 399.

      267-268 : breui... exuent... erunt : avec le passage au futur, changement de perspective (eschatologie). ulcerosos exuent artus : périphrase évoquant la mort comme un processus désirable, les mendiants se dépouillant (exuere, -> 13, 29) de leurs ulcerosos... artus (expression reprise du v. 153). Sur la synecdoque artus (pour 'corps'), -> 13, 13.

      268 : incolumes : la résurrection, salut et recouvrement de l'intégrité (-> 13, 69).

      
269-272 " cum, carne corruptissima
tandem soluti ac liberi,
pulcherrimo uitæ statu
in arce lucebunt Patris,
" ... quand, enfin détachés et délivrés de leur chair si corrompue, dans le plus bel état que puisse avoir la vie, ils resplendiront dans la citadelle du Père, ...

      269 : triple alitération en c-. carne corruptissima : cf. v. 267-268 ulcerosos... artus. Cf. perist. 10, 506-507 quis nescit autem, quanta corruptela sit | contaminatæ carnis ac solubilis ? ; apoth. 816-818 (création de l'âme : vision assez négative du corps) corruptela putris nascentem turbida carnis | concipit, ac membris tabentibus interfusam | participat de fæce sua. corruptissima : -> v. 154.

      270 : tandem : -> v. 482. soluti ac liberi : la libération de l'âme la fait sortir du corps-prison (-> 5, 357-560) et aussi du monde, pour lui faire gagner la vraie patrie, céleste. En décrivant la mort, Prudence utilise solutus aussi bien à propos de l'âme ('libérée' : ici et ham. 911) que du corps ('brisé' : perist. 5, 163 uas est solutum et fictile). Sur liber, -> 14, 92.

      271 : pulcherrimo : comme corruptissima (v. 269), reprend le positif utilisé à propos de la vie temporelle (intériorité des chrétiens, v. 220 pulcher intus uiuere ; apparence des païens, v. 291-292 quas pulcher aspectus prius | in corpore oblectauerat). uitæ statu : de même, c. Symm. 2, 632. Le préfet, matérialiste, ne considère que la vie ici-bas (cf. v. 337 uitam tenebo et differam).

      272 : adaptation du motif homérique de l'Olympe (citadelle de Jupiter) et de la doctrine stoïcienne du catastérisme (terminologie évocatrice, autant pour le personnage du préfet que pour les contemporains de Prudence). in arce... Patris : cf. apoth. 177-178 Patris arcem | sumpta caro ascendit (-> 14, 125). Cette citadelle éternelle s'oppose à celle, terrestre, de l'empereur (v. 119 Augustus, arcem possidens). Cf. aussi v. 555-556 æternæ in arce curiæ | gestas coronam ciuicam. lucebunt : cf. v. 276 clari et coronis aureis (martyrs glorieux).

      
273-276 " non sordidati aut debiles,
sicut uidentur interim,
sed purpurantibus stolis
clari et coronis aureis.
" ... non pas déguenillés ou maladifs, comme on les voit pour le moment, mais magnifiques, avec leurs robes empourprées et leurs couronnes d'or.

      273 : sordidati : pseudo-participe, équivalent de sordidus (v. 187) ; cf. v. 275 purpurantibus au lieu de purpureis (tournures 'actives' suggérant la volonté des sujets). debiles : -> v. 206.

      274 : uidentur interim : un dégoût fondé sur une apparence ephémère est vain.

      275-276 : les élus sont comme des triomphateurs montant au Capitole, arx (vv. 272. 555) ; cette vision politique (liée à l'idée de militia Christi) contraste avec celle du Paradis (locus amoenus) : cf. cath. 3, 101-105 ; 5, 113-124 (l'explication de Kah 1990, p. 343, opposant otium intime et negotium grandiose, est peu satisfaisante). Au Ciel où tout est vérité, il n'y a plus de vanité à porter les emblèmes luxueux d'une excellence réelle ; le martyr y aura plus d'éclat que les mendiants (cf. v. 556-558). La pourpre et l'or symbolisent le sang versé et l'éternelle lumière conquise ; cf. perist. 1, 1-3 ; 11, 22. Le costume décrit est celui des empereurs portant le diadème et, dès Domitien, se vêtent de pourpre. Cf. aussi les ornements donnés aux martyrs par la Foi : psych. 38-39 fortes socios parta pro laude coronat | floribus, ardentique iubet uestirier ostro. De même, dans l'Écriture : stola éclatante, apoc. 7, 13-14 ; coronæ aureæ, apoc. 4, 4).

      275 : purpurantibus : cf. perist. 5, 339 purpurantem cruorem (purpurans : Arnob. nat. 5, 7 ; Pervig. Ven. 12) ; ailleurs, purpura (perist. 3, 140 ; 10, 512) ou purpureus (-> 11, 128). Purpurare signifie 'rendre pourpre' (Gell. 18, 11, 3), 'embellir' (Apvl. met. 6, 24), 'être resplen-dissant' (Colvm. 10, 100), toutes acceptions convenant à ce contexte ; on a simultanément les symboliques triomphale (toge pourpre) et apocalyptique (toge blanche) ; -> 5, 10. stolis : robe couvrant l'ensemble du corps ; cf. perist. 5, 10 collucis insigni stola ; 6, 139 niueis stolis.

      276 : clari : terme en rejet (suivi de et). Clari évoque un rang de noblesse précis, les sénateurs portant le titre de clarissimes ; cf. v. 524 clarissimorum liberum. coronis aureis : l'or convoité par le préfet est ici attribué aux mendiants. La couronne, emblème du salut, est 'gagnée' par le martyre ou par l'ascèse (-> 14, 119-123) ; il faut ici la distinguer de la corona ciuica propre à s. Laurent (-> v. 556), nonobstant Kah 1990, p. 230 n. 592. aureis : -> v. 101.

      
277-280 " Tunc, si facultas suppetat,
coram tuis obtutibus
istos potentes sæculi
uelim recensendos dari.
" Alors, si la possibilité se présentait, je voudrais que devant tes yeux, l'on procédât au recensement de ces puissants du siècle.

      277 : tunc : le moment où les mendiants seront en gloire, soit en fait l'éternité. si facultas suppetat : demande polie teintée d'ironie ; facultas et suppetere sont aussi associés chez Svet. Tit. 8, 3). Suppetat a la nuance du potentiel, comme le verbe principal uelim (v. 280).

      278 : coram : ici peut-être préposition, adv. aux vv. 170. 547. obtutibus : -> v. 145.

      279 : le motif des puissants du siècle, lié à celui, biblique, du Prince de ce monde (N.T. Ioh. 12, 31 ; 14, 30), apparaît chez Damas. carm. 7, 2 ; 31, 2 ; 39, 7 ; 43, 4. istos : groupe proche du préfet (opposé à hi, v. 265). sæculi : cf. perist. 1, 58-59 nosne Christo procreati Mammonæ dicabimur, | et Dei formam gerentes seruiemus sæculo ? ; 5, 5 ; 10, 88. 386. 608 ; -> 14, 99. De même, avec mundus, perist. 10, 545 uince mundum et sæculum.

      280 : après le recensement des pauvres (vv. 115-132. 161-162), le martyr fera de même avec les puissants (v. 281-288) ; ces actes d'autorité seront suivis de l'adhésion de l'aristocratie au christianisme (vv. 489-492. 517-524). uelim : cf. v. 169-171 adsistas uelim | coramque (cf. v. 278 coram) dispositas opes | mirere. recensendos dari : cf. perist. 5, 388 carpendum dare (->).

      
281-284 " Pannis uideres obsitos
et mucculentis naribus,
mentum saliuis uuidum
lipposque palpebra putri.
" Tu les verrais chargés de haillons et avec les narines morveuses, le menton couvert de salive et les yeux chassieux, avec des paupières purulentes.

      281 : pannis... obsitos : de même, Ter. Haut. 294 ; Eun. 236. Prudence semble cependant ici s'inspirer du Carmen contra paganos (-> v. 237-252) ; cf. Lact. Phoen. 19. La laideur du costume s'oppose aux habits luxueux des princes dans le monde (cf. vv. 234. 237).

      282-283 : contruction relâchée : entre les acc. obsitos et lipposque, on a un abl. de qualité (v. 282) et un tour à l'acc. de relation (v. 283).

      282 : mucculentis : rare, cf. Arnob. nat. 3, 107 ; Fronto p. 62, 17. naribus : -> v. 391.

      283 : mentum... uuidum : détail suggestif. saliuis : Prudence emploie toujours saliua au plur. (p.ex. perist. 1, 101) ; même plur. poétique avec les noms de matière lymphæ (perist. 7, 14), mella (perist. 10, 740) ; cf. Lavarenne § 872. Répandre la salive, déréglement patho-logique, év. indice de possession : perist. 1, 101 spumeas efflans saliuas, cruda torquens lumina.

      284 : lipposque : adj. substantivé ; cf. perist. 10, 592. palpebra : rare au sing. (cf. Cels. 5, 26, 23) ; dans les mss, à côté de cette graphie (retenue par Lavarenne), on a aussi palfebra (Bergman, Cunningham) ; c'est le phénomène inverse de l'hyper-urbanisme consistant à noter sulpur pour sulphur = sulfur (perist. 5, 198) ; cf. Lavarenne § 71.

      
285-288 " Peccante nil est tætrius,
nil tam leprosum aut putidum ;
cruda est cicatrix criminum
oletque ut antrum tartari.
" Rien n'est plus hideux que celui qui pèche, rien n'est si lépreux ni fétide ; elle saigne, la plaie des crimes, et son odeur est comme celle de l'antre du Tartare.

      285 : peccante : participe prés. substantivé (cf. Cypr. op. et el. 5 ; Ambr. epist. 64, 48) ; on a peccare en perist. 10, 221, peccamen en perist. 10, 517. tætrius : repris au v. 475 (à propos du culte païen) ; cf. perist. 14, 110-111 quod malorum tætrius omnium est, | gentilitatis sordida nubila.

      286 : leprosum : cf. Rvfin. Orig. in Leu. 8, 10 immundam ac leprosam animam ; Avg. serm. 176, 2, 2 emundatos in cute, leprosos in corde. Cf. lepra, v. 230. putidum : cf. v. 284 putri.

      287 : triple allitération en c-. cruda... cicatrix : cf. perist. 4, 129 cruda te longum tenuit cicatrix ; cf. perist. 5, 336 cruda uulnera. Cicatrix désigne ici non la cicatrice (c. Symm. 1, 15 ; psych. 167), mais la plaie (perist. 5, 142-143 dum se cicatrix colligit | refrigerati sanguinis) ; on est entre les 2 sens en perist. 10, 796. Crudus est repris au v. 408. criminum : équivalent de peccata (cf. Mohrmann 1958-1977, t. 2 p. 105), repris au v. 575 cordis fatentem crimina ; cf. perist. 1, 102 ; 5, 78. 194 ; 13, 58. Au sens de 'crime', perist. 13, 92.

      288 : cf. Verg. Æn. 6, 201 ad fauces graueolentis Auerni. oletque : l'odeur de l'Enfer où brûlent les damnés (v. 396) s'oppose au parfum de la chair brûlée du martyr (v. 385-392), suave pour les baptisés (-> 5, 280), désagréable pour les païens insensibles à leur propre puanteur morale. antrum tartari : désignation de l'Enfer, d'origine païenne (cf. Lvcan. 6, 712 in Tartareo... antro ; cf. perist. 5, 200 ; 10, 475 ; 13, 52) ; tartarus est pour Prudence un nom commun (de même que p.ex. lares, -> v. 511), comme adhV dans la Septante et le Nouveau Testament. Prudence fait coexister les terminologies biblique et profane en cath. 11, 111-112 his lucis usum perpetis | illis gehennam et tartarum. antrum : -> 13, 51.

      
289-292 " Animabus inuersa uice,
corrupta forma infligitur,
quas pulcher aspectus prius
in corpore oblectauerat.
" Par un retour des choses, un aspect dégradé est infligé aux âmes qu'une belle apparence avait auparavant flattées dans leur corps.

      289-292 : même idée de proportionnalité inverse entre le sort éternel de l'âme et le sort temporel du corps aux vv. 206-212 (santé physique et santé morale), ainsi qu'en perist. 12, 18.

      289 : animabus : forme du dat. plur. fréquente p.ex. dans la Vulgate (évitant la confusion avec le dat. plur. d'animus) ; cf. c. Symm. 1, 531. inuersa uice : équivalent d'inuicem ; cf. alterna uice chez Plin. epist. 9, 33, 2 ; uersa uice chez Sen. Herc. O. 470 ; Apvl. flor. 20.

      290 : corrupta forma : au contraire, v. suiv. pulcher aspectus ; la forma de l'âme est plus qu'une simple 'apparence' (aspectus), cf. perist. 1, 59 Dei formam gerentes ; de même, l'idée morale exprimée par corrupta (-> v. 154) va au-delà de pulcher. infligitur : infligere signifie à la fois 'faire subir' et 'imprimer'. L'âme pécheresse reçoit une marque qui la flétrit et la punit.

      291 : pulcher aspectus : cette beauté n'était qu'apparente, contrairement à la beauté intérieure (v. 220 pulcher intus uiuere), éternelle (v. 271 pulcherrimo uitæ statu). Aspectus prend un sens passif ('apparence') ; ailleurs (perist. 5, 464 ; 10, 839), sens actif de 'vue', 'regard'.

      292 : in corpore : expression dépendant logiquement non d'oblectauerat, mais de quas (c'est-à-dire d'animas), précisant prius. oblectauerat : cf. v. 392 mulcet oblectamine.

      
293-296 " En ergo nummos aureos,
quos proxime spoponderam,
quos nec fauillis obruat
ruina nec fur subtrahat.
" Voici donc les pièces d'or que tout ré-cemment je t'avais promises, qu'un désastre ne saurait ensevelir sous les cendres et qu'un voleur ne saurait soustraire.

      293 : en... nummos aureos : même construction en apoth. 503 (cf. Verg. ecl. 5, 65). En seul aux vv. 95. 425 et en perist. 3, 72 ; 14, 46 ; en tibi en perist. 11, 69 (->). Sur nummus, -> v. 50. ergo : syllabe finale abrégée (perist. 4, 145 ; 5, 54. 105 ; 11, 87 ; 12, 17). aureos : -> v. 110.

      294 : proxime : soit le moment de l'arrivée du préfet (v. 169-176, en part. 173. 176 uidebis... structos talentis ordines), soit plutôt celui de la promesse, 3 jours plus tôt (v. 139-140).

      295 : fauillis : possible allusion anticipée au bûcher du martyr (cf. perist. 6, 130 ; 10, 815. 863). obruat : cf. perist. 10, 85 uictique flammis obruantur montium.

      296 : ruina : mis en évidence par le rejet ; figure étymologique avec obruat (v. préc.) ; cf. perist. 10, 1118 ruinis obruit ; ditt. 159-160. nec fur subtrahat : cf. cath. 12, 107 ne qua furtim subtrahat ; N.T. Matth. 6, 19-20 nolite thesaurizare uobis thesauros in terra, ... ubi fures effodiunt et furantur. thesaurizate autem uobis thesauros in cælo, ubi neque ærugo neque tinea demolitur et ubi fures non effodiunt nec furantur (évoqué en c. Symm. 2, 1053-1054, avant une mention des vierges consacrées ; de même ici, v. 301). L'image des mites et des vers est remplacée ici par celle de l'incendie (v. 295, évoquant autant le sort de Troie que le châtiment divin de Sodome).

      
297-300 " Nunc addo gemmas nobiles,
ne pauperem Christum putes,
gemmas corusci luminis,
ornatur hoc templum quibus.
" Et maintenant, j'ajoute de nobles joyaux, de peur que tu ne penses que le Christ est pauvre, des joyaux aux feux lumineux, avec lesquels ce temple est orné.

      297 : nunc : opposé à proxime (v. 294) : le martyr va au-delà de sa promesse (montrer l'or). addo : prosodie ; cf. vv. 27. 34. 123 ; perist. 3, 66. 74 ; 5, 101 ; 6, 54. 56 ; 10, 301. 466. 467. 478. 522. 573. 925 ; 14, 69 (formes attestées dès l'époque classique, cf. Lavarenne § 170). gemmas : répété au v. 299, repris au v. 306 ; les joyaux surpassent l'or par l'éclat et par leur prix - image appliquée aux martyrs en perist. 4, 22. 25-26. Ici, cet ornement est destiné à un édifice (-> v. 300) ou à une femme, figure de l'Église (-> v. 307). Les pauvres vivent un ascétisme de fait, les vierges consacrées le font par choix. nobiles : le thème de la noblesse des vierges chrétiennes se retrouve en perist. 3, 1-2 et 14, 124-125, év. polémique contre les vestales (-> v. 303-304). La foi ennoblit ses confesseurs (cf. perist. 4, 74-76 ; 10, 111-145).

      298 : on a aussi putare avec un adj. attribut à l'acc. (ici pauperem) en perist. 10, 248. 491. 608 ; 13, 22. Malgré son amour des pauvres, le martyr n'admet pas que le Christ soit qualifié comme tel par le préfet (v. 99-108) : comme l'Église (v. 113-120), le Christ (v. 121-124) est riche. L'ex. des vierges montre que le Christ n'est pas l''anti-divinité' de parias.

      299 : même image en perist. 4, 27-28 (joyaux auxquels sont comparés les martyrs) ardet et splendor parilis duorum | igne corusco. gemmas corusci : cf. v. 558 gemmis coruscantem uirum. corusci luminis : même iunctura en perist. 14, 48 ; apoth. 327. Sur lumen, -> v. 205.

      300 : bâtiments ornés de gemmes, cf. c. Symm. 2, 838 (sens propre) ; psych. 851-867 (temple spirituel). ornatur : repris aux vv. 308. 310, utilisé aussi à propos des martyrs, ornement des cités (-> 9, 5). hoc templum : soit le bâtiment concret devant lequel a lieu la scène, soit la société que représente l'Église (cf. perist. 4, 83) : cf. N.T. I Petr. 2, 5 ipsi tamquam lapides uiui superædificamini, domus spiritalis. quibus : rejet du relatif à la fin de la proposition qu'il introduit.

      
301-304 " Cernis sacratas uirgines,
miraris intactas anus
primique post damnum tori
ignis secundi nescias.
" Tu vois des vierges consacrées, tu admires de chastes vieilles femmes qui, après la perte d'un premier mariage, ignorent la flamme d'un second.

      301-302 : cernis... miraris : malgré les invitations répétées du martyr à voir et à s'émerveiller (ici ; vv. 169-171 adsistas uelim | coramque... | mirere ; 173. 278. 281), le préfet est aveuglé (-> v. 232) et son étonnement devient colère. Il pourrait év. s'agir de questions (sans nonne ou -ne).

      301 : sacratas uirgines : cf. perist. 3, 3 sacra uirgo ; 14, 34-35 sacræ integritatis. Sacratus suggère une consécration rituelle (en perist. 10, 226, sacratus substantivé : un prêtre païen) ; il est parfois délicat de déterminer dans quelle mesure les vierges que Prudence mentionne (perist. 3 ; 4, 109-144 ; 6, 38-39 ; 10, 57-58) appartiennent à un ordre au sein de l'Église.

      302 : miraris : le juge sera étonné, mais non admiratif (cf. v. 314-315 miris modis | tot figuris ludimur) - jeu sur le sens de mirari (cf. perist. 14, 94). intactas : cf. perist. 14, 8 intactum... uirginal ; cath. 11, 55. anus : le personnage de la vieille femme étant souvent grotesque (cf. perist. 9, 18), par ses désirs immodérés (cf. perist. 10, 249-250 ; c. Symm. 2, 1082-1085), les veuves chrétiennes n'en paraissent que plus vertueuses.

      303-304 : réponse indirecte aux reproches de manque de pietas familiale (v. 77-80) ; les vierges chrétiennes (c. Symm 2, 1055-1063) sont supérieures aux vestales (c. Symm. 2, 1064-1113) dont la consécration n'est pas définitive (c. Symm. 2, 1082 : retraitée cherchant un amant).

      303 : l'Église autorise le remariage des veuves ; leur vie consacrée est un choix ascétique.

      304 : ignis secundi : -> v. 252 ; comme tori (-> 14, 10), image du mariage ; le feu désigne plus généralement les passions, en part. l'amour (cf. Verg. Æn. 1, 660) - image utilisée à propos des vestales (cf. c. Symm. 2, 1075). On a peut-être ici une prophétie voilée du sort du martyr : il connaît le feu du bûcher (v. 341-344), non celui de l'Enfer (v. 393-396 ; N.T. apoc. 21, 8 in stagno ardenti igne et sulfure, quod est mors secunda). nescias : cf. perist. 5, 234 ; -> 13, 5.

      
305-308 " Hoc est monile Ecclesiæ,
his illa gemmis comitur,
dotata sic Christo placet,
sic ornat altum uerticem.
" Tel est le collier de l'Église, c'est avec ces joyaux qu'elle se pare, c'est ainsi dotée qu'elle plaît au Christ, c'est ainsi qu'elle orne sa tête altière.

      305 : hoc est : au lieu de hæ sunt (attraction de l'attribut monile). monile : terme filant la métaphore des gemmæ désignant le groupe des vierges et veuves, alignées pour être présentées (cf. vv. 163-164. 176). Objets de luxe (perist. 3, 22 ; cath. 7, 148-149), les monilia peuvent aussi désigner, comme ici, une réalité spirituelle ; de même, la toga picta attribuée à s. Laurent (-> v. 558). Ecclesiæ : l'institution (-> v. 114) et peut-être aussi, par métaphore, le bâtiment (-> v. 82 ; cf. v. 300), même si la suite (v. 306-307) exclut cette interprétation.

      306 : gemmis : -> v. 297. comitur : seul emploi de comere dans le recueil.

      307 : cf. N.T. apoc. 21, 2 ciuitatem sanctam Hierusalem nouam uidi descendentem de cælo a Deo, paratam sicut sponsam ornatam uiro suo. Le thème de l'Église, épouse du Christ (N.T. Ioh. 3, 29 ; apoc. 19, 7 ; 21, 9 ; 22, 17) est repris en perist. 4, où les cités se présentent, avec en dot leurs martyrs (perist. 4, 9-56, en part. 25-29 : image des bijoux de perist. 6, 1-3. 6) ; cf. aussi perist. 14, 79 nupta Christo. dotata : cf. perist. 3, 110. sic : ici postposé, sic est répété au début du v. suiv. ; anaphore semblable en perist. 10, 524 ; 11, 239-245. placet : cf. perist. 4, 50 ; 14, 74.

      308 : des représentations (mosaïques de S.-Vital, Ravenne ; ivoires) de l'impératrice Théodora illustrent peut-être la parure évoquée ici : un double rang (v. 305 monile) de pierres précieuses ou de perles (v. 306 gemmis) tombant des cheveux (où ces colliers sont fixés : v. 306 comitur) jusqu'à la poitrine, par-devant un bijou pectoral. Lavarenne, qui parle de collier (monile) et de diadème (comitur) distingue (artificiellement ?) 2 bijoux différents. ornat : même verbe aux vv. 300 et 310. altum uerticem : même sens de uertex en perist. 3, 155 ; 4, 55 ; 5, 535 ; 10, 761. 875. 1044 ; 14, 85. 118. Il ne s'agit pas forcément du haut de la tête (Lavarenne). Cf. c. Symm. 1, 418-421 (Rome personnifiée) attollis caput, et multo circumfluis auro ; | sed nebulis propter uolitantibus obsitus alti | uerticis horret apex, ipsas quoque liuida gemmas | lux hebetat.

      
309-312 " Eccum talenta, suscipe,
ornabis Vrbem Romulam,
ditabis et rem principis,
fies et ipse ditior. "
" Voici les lingots, prends-les, tu orneras la Ville romuléenne, tu enrichiras également la fortune du prince et deviendras, toi-même aussi, plus riche. "

      309 : eccum : équivalent d'ecce (cf. Lavarenne § 64) ; cf. perist. 10, 1006. talenta : -> v. 51 ; cf. perist. 11, 188 addidit ornando (cf. v. 310 ornabis) clara talenta operi. suscipe : le martyr ne se contente pas de montrer (comme promis, v. 297) les richesses de l'Église, mais invite le préfet à les prendre, pour que cet ornement de l'Église (v. 297-308) devienne celui de Rome (v. 310), enrichissant prince et préfet (v. 135-136) - offre ambiguë : l'État devrait entretenir les mendiants (remplaçant l'Église qui, telle une mère, les prend à sa charge ; de même, avec suscipere, p.ex. cath. 10, 125) et officialiser l'ordre des vierges et des veuves chrétiennes.

      310 : ornabis : -> v. 300. Vrbem Romulam : périphrase désignant Rome (-> v. 10) ; cf. v. 412 miseratus Vrbem Romulam ; perist. 11, 1 Romula in Vrbe. Romulam : comme Romuleus (-> 14, 1), 'romain' ; cf. perist. 12, 57 ; Verg. Æn. 6, 876-877 Romula... tellus.

      311-312 : et... et : répétition de et postposé au verbe. Le martyr répond d'abord au désir affiché du préfet (v. 89-92 : des richesses pour l'empereur), puis, ironiquement, à celui, caché, de détourner cette somme (-> v. 135). S'il amenait l'empereur à faire preuve de charité envers ceux qu'assiste l'Église, le préfet en serait lui-même (ipse, v. 312) récompensé par Dieu.

      311 : ditabis : cf. v. suiv. par fies ditior, paraphrase étymologique. rem principis : le préfet utilisait fiscus, ærarium (v. 90) et stipendia (v. 91) pour impressionner le martyr qui, lui, utilise un terme général, pouvant désigner une richesse intérieure. Sur princeps, -> 13, 35 ; cf. v. 473.

      312 : ditior : même forme à la fin du v. 116 nec quisquam in orbe est ditior.

      
313-316 " Ridemur ", exclamat furens
præfectus, " et miris modis
per tot figuras ludimur,
et uiuit insanum caput !
" On ne moque de nous ", s'exclame, furieux, le préfet, " et merveilleusement, par tant de métaphores, on se joue de nous - et cet effronté vit encore !

      313 : ridemur : rire et moquerie (v. 315 ludimur) sont des armes des protagonistes ; la première attaque du préfet (v. 99-108) a un ton comique, que l'on retrouve dans l'ultime échange (vv. 353-356. 401-409). furens : même introduction aux paroles d'un persécuteur en perist. 5, 130 ; 10, 547 ; 11, 63 ; cf. v. 167-168 furebat feruidus | iudex auaro spiritu. À la leçon furens (mss ACN ; Bergman et Lavarenne), Cunningham préfère fremens (ms. B).

      314 : præfectus : -> v. 46 ; cf. v. 325-328. et : éditeurs et mss sont partagés entre cette leçon et ac. miris modis : reprise ironique ou involontaire de mirere (v. 171) et de miraris (v. 302), avec un sens négatif. Mirus sera repris in bonam partem au v. 491 mira libertas uiri.

      315 : per tot figuras : per exprime, outre le moyen, l'idée de succession et de durée. Figuras (sens technique, cf. Qvint. inst. 9, 1, 1) évoque un mode d'expression 'oblique', allégorique (cf. Sen. contr. 7, 1, 20 ; Svet. Vesp. 13, 1). ludimur : même motif dans le récit ambrosien (off. 1, 41 illuso tyranno) ; cf. vv. 322 ludicris ; 409 hæc ludibundus dixerat.

      316 : motif repris aux vv. 325-328 - celui des vv. 313-315 l'est aux vv. 321-324. et uiuit : expression de fureur reprise de Cic. Catil. 1, 2 senatus hæc intelligit, consul uidit, hic tamen uiuit. uiuit ? (cf. Introd. § 39 n. 108). caput : désignation d'une personne, attestée dans la tragédie grecque (Soph. Antig. 1) et chez Plavt. Mil. 725 ; Hor. carm. 1, 24, 2 ; ici, avec un relief particulier, car caput peut aussi désigner la vie mise en péril (cf. perist. 13, 36 poenam capitis).

      
317-320 " Impune tantas, furcifer,
strophas cauillo mimico
te nexuisse existimas,
dum scurra saltas fabulam ?
" Est-ce impunément, pendard, que tu imagines avoir tramé de tels artifices, avec tes balivernes de mime, en jouant ta comédie de bouffon ?

      317 : impune : cf. v. 511-512 Vesta Palladios lares | impune sensit deseri ; perist. 5, 103-104 impune ne nostris sibi | dis destruendis luserit. tantas : équivalent de tot (-> 11, 5). furcifer : fréquent en comédie, cf. Plavt. Capt. 563 ; Ter. Eun. 989 ; la furca tient du gibet et du pilori.

      318 : strophas : une ruse, un artifice (cf. Hier. epist. 133, 2), en part. dans un contexte théâtral (cf. Tert. apol. 15, 1 ; Hier. Iou. 15). cauillo mimico : év. repris d'Amm. 26, 6, 15 mimicam cauillationem. La forme cauillo est soit masc., soit neutre (cf. Apvl. met. 1, 7 ; fém. chez Plavt. Aul. 638) ; comme strophas, ce nom peut revêtir ici ses sens obvie ('plaisanterie') et rhétorique ('sophisme') ; mimico a ses sens propre ('relatif à un mime') et figuré ('simulé').

      319 : nexuisse : image du tressage, convenant aux créations littéraires (-> v. 36) et aux ruses (cf. ham. 400). Nectere semble spécialisé dans le second de ces emplois (cf. Liv. 27, 28, 4). existimas : interrogatif ou exclamatif sans particule (cf. v. 321-322 ; -> 5, 105-108).

      320 : scurra : outre le 'bouffon', ce terme désigne chez Plaute l'esclave rusé (Most. 15 urbanus... scurra) ou les bavards et vantards qui font les importants sur les places (Trin. 202). Le préfet ne condamne pas que le grotesque de la mise en scène, mais aussi les côtés roué et hâbleur du martyr. saltas fabulam : saltare ('exprimer par la danse' ou '... la pantomime', cf. v. 318 mimico), avec l'acc. désignant l'oeuvre (Svet. Cal. 57, 9 tragoediam saltare). fabulam : les paroles du martyr, jeu quasi littéraire (fabula, pièce de théâtre) ou sornettes (cf. perist. 9, 18).

      
321-324 " Concinna uisa urbanitas
tractare nosmet ludicris ?
Egon cachinnis uenditus
acroma festiuum fui ?
" Cela parut être une finesse élégante, que de nous manipuler avec des amusements ? Et moi, livré à la risée, ai-je fait un numéro joyeux ?

      321 : concinna : la disposition harmonieuse et symétrique des parties qu'évoque cet adj. se retrouve dans le discours (structures binaires). uisa : -> 9, 25 ; reprise sur un ton impersonnel d'existimas (v. 319) ; le préfet cesse peu à peu d'interpeller le martyr (il le refera au v. 329), adressant ses réflexions à la cantonnade. urbanitas : 'langage spirituel' (Cic. fin. 2, 103) ou 'plaisanterie' (Tac. hist. 2, 88) ; c'est l'urbanitas du scurra (v. préc.) parcourant la ville en y tenant ses discours, à la manière du martyr rassemblant les mendiants (v. 157-158).

      322 : tractare : ce verbe a aussi le sens littéraire de 'traiter (un sujet)' : le préfet est sujet et victime des ludicra. nosmet : cf. ham. 326 ; psych. 86 ; autres pronoms avec l'enclitique -met en perist. 4, 147 ; 10, 1059. ludicris : comme fabula, ce terme reprenant ludimur (v. 315) a un sens technique ('jeu public [cirque ou théâtre]') et un sens général ('amusement' : cath. 2, 34 ; 3, 18). De même, perist. 10, 164-165 (à propos des Lupercales) : nudus plateas si per omnes (cf. v. 157 plateis omnibus) cursitans (cf. v. 141 per urbem cursitat) | pulset puellas uerbere ictas ludicro.

      323 : egon : forme apocopée de egone (cf. Ter. Heaut. 1050), avec le sens de nonne ego (-> v. 251) ; pastiche probable du genre comique (où egon exprime l'indignation). Au v. 327, la forme apocopée adeon suit la forme pleine (v. 325 adeone). cachinnis uenditus : la métaphore de la vente rappelle la cupidité obsessionnelle du préfet (-> v. 75 ; cf. v. 106). Cachinnis est employé dans un contexte théâtral en perist. 10, 226.

      324 : acroma festiuum : repris de Cic. Verr. II 4, 49 (avec la forme habituelle acroama). acroma : contraction vocalique (raisons métriques) ; cf. Not. Tir. 106, 77 ; Gloss. v 162, 21. En grec et en latin, ce terme désigne aussi bien le concert (le récit) que l'artiste qui se produit (Svet. Aug. 74, 5) - ici, le préfet se l'applique à lui-même, bien qu'il soit resté en retrait.

      
325-328 " Adeone nulla austeritas,
censura nulla est fascibus ?
adeon securem publicam
mollis retudit lenitas ?
" À ce point, donc, n'y a-t-il aucune gravité, aucune sévérité dans les faisceaux ? À ce point, la hache publique a-t-elle été émoussée par une molle indulgence ?

      325-328 : cf. perist. 1, 44. 55-56 ; 5, 101-102 iam faxo ius prætorium | conuiciator sentiat ; 107-108 tu porro solus obteras | Romam, senatum, Cæsarem.

      325 : adeone : forme reprise, apocopée, au v. 327. Adeo n'est pas employé ailleurs chez Prudence. nulla : terme répété à la même place du v. suiv., avec est, ici sous-entendu.

      326 : censura : métaphore pour 'sévérité' (reprise d'austeritas, v. préc.) ; -> v. 62.

      326-327 : fascibus... securem publicam : hache et faisceau de verges portés par des licteurs symbolisent l'imperium des magistrats (cf. perist. 10, 143) ; ils sont autant emblèmes officiels (perist. 1, 55 ad bipennem publicam) qu'instruments répressifs (ham. 440-442 trementes | exanimare reos, miserorum in corpore fasces | frangere, terribiles legum exercere secures) ; la hache est citée comme moyen d'exécution p.ex. en perist. 1, 44. Cf. perist. 3, 65 fascibus adstat et in mediis.

      327 : adeon : apocope d'adeone (v. 325), cf. Ter. Eun. 225 ; cf. v. 323 egon ; fréquent dans les comédies (cf. aussi Verg. Æn. 12, 503 tanton placuit), surtout devant une consonne (cf. Lavarenne, § 59). securem : classique (c. Symm. 1, 557), mais plus rare que securim.

      328 : mollis... lenitas : redondance ; cf. cath. 8, 2-4 mollibus qui nos moderans habenis | leniter frenas facilique sæptos | lege coerces. retudit : si l'on ne retient pas la leçon retundit (mss TS) mais suit les meilleurs mss (p.ex. AB), allongement de la syllabe -tu-, peut-être par analogie avec refudi. Cf. c. Symm. 2, 467 cedite, si pudor est, gladiumque retundite uestrum (invective ironique contre les lois romaines). lenitas : rime avec austeritas (v. 325), terme opposé.

      
329-332 " Dicis : 'Libenter oppetam,
uotiua mors est martyri.'
Est ista uobis, nouimus,
persuasionis uanitas.
" Tu dis : 'C'est volontiers que je fais le pas, la mort est le voeu du martyr.' Telle est pour vous, nous le savons, cette vaine conviction.

      329-332 : la position alléguée du martyr, sous forme de maxime, est citée avec les mêmes précautions que l'Écriture, aux vv. 93-94 sic dogma uestrum est, audio : | 'Suum quibusque reddito. '

      329 : libenter oppetam : cf. Ivl. Val. 1, 18 libens oppetam. Cf. perist. 5, 64 mors Christianis ludus est (->) ; 10, 60 fidem tueri uel libenter emori ; 219. Oppetere est employé absolument (cf. c. Symm. 2, 570) au sens de 'mourir' ; de même, obire -> 13, 5.

      330 : uotiua : la mort, 'souhaitée' (cf. Apvl. met. 7, 13 ; -> 5, 356) et 'votive' (vv. 19 morte mortem diruit [->] ; 509-510) ; le préfet aux paroles lourdes d'ironie tragique ignore cette deuotio du martyr, qui lui vaudra la couronne civique (v. 556) ; -> 14, 9. martyri : -> 5, 392.

      331 : ista uobis : se distanciant de ses propos, le juge les attribue au martyr (v. 329 dicis) et à tous les chrétiens. nouimus : chef des cohortes urbaines, le préfet de la Ville aime faire état de son information relativement à ceux qu'il poursuit (cf. aussi v. 65-84).

      332 : persuasionis uanitas : équivalent de uana persuasio ; cf. perist. 5, 65 ; 10, 251.

      333-348 : contrairement à Dioclétien, Valérien ne veut pas l'abjuration des chrétiens, mais fait exécuter les 'cadres' de l'Église. Le supplice de Laurent, justifié par le désir de faire un exemple (cf. v. 349-352), dans une sorte de défi (cf. v. 353-356), serait un cas particulier - expliquant un renom dépassant p.ex. celui du pape Sixte. Plutôt que de nier la possibilité du supplice du gril, en invoquant son illégalité ou en citant des récits parallèles (pouvant être interprétés diversement : attestation d'une pratique réelle ou d'une topique littéraire), comme p.ex. Franchi de' Cavalieri (1895, p. 383-399), il est préférable de considérer cet épisode à la lumière de données établies (décalage entre la mort du diacre et celle du reste du clergé romain) et du contexte historique (coûteuse guerre contre les Perses, cf. v. 89-92, et intérêt particulier à faire parler le trésorier de l'Église). Prudence, qui semble évoquer la torture du chevalet (v. 360), a stylisé son récit, ne retenant que la torture létale (cf. perist. 5, 206-208 ; Leo M. serm. 72, 3), alors que Damase (carm. 33) évoque aussi d'autres tourments.

      
333-336 " Sed non uolenti impertiam
præstetur ut mortis citæ
compendiosus exitus,
perire raptim non dabo.
" Mais à qui le veut, je ne permettrai pas que l'on procure l'issue rapide d'une prompte mort, je n'accorderai pas de trépasser à la hâte.

      333 : non : négation portant sur impertiam, non sur uolenti. uolenti : la mort du martyr sera volontaire (v. 487-488 erupit uolens... spiritus), marque non d'un fanatisme suicidaire, mais de la liberté (v. 491) de celui qui accepte son destin (cf. perist. 12, 25-26).

      334 : præstetur ut : mis en anastrophe, præstare est un peu redondant avec impertiam ; cf. v. 336 non dabo ; cf. perist. 5, 527-528 finem malorum præstitit | mortis supremus exitus.

      334-335 : mortis citæ compendiosus exitus : double pléonasme, repris au v. 336 par perire raptim ; de même, p.ex. perist. 5, 291 mortis exitus (->). Une mors cita est accordée à ste Agnès (-> 14, 90) ; celle de s. Laurent sera au contraire une mors inextricabilis (v. 339).

      335 : compendiosus : 'raccourci' (cf. Apvl. met. 11, 22 ; Ambr. Isaac 6, 50), cf. citæ (v. préc.) et 'avantageux' (sens premier, cf. Colvm. 1, 4, 5 ; Avg. quant. anim. 7, 11 tit.).

      336 : perire... dabo : sur ce tour, -> 13, 27 (ailleurs, on a dare ut : cf. p.ex. v. 433-436). Prudence n'emploie pas ailleurs perire à propos de la mort du martyr (anéantissement pour le préfet, matérialiste ; cf. perist. 10, 636-637 hinc nos et ipsum non perire credimus | corpus ; 13, 56).

      
337-340 " Vitam tenebo et differam
poenis morarum iugibus,
et mors inextricabilis
longos dolores protrahet.
" Je retiendrai la vie et la ferai durer dans des tourments continuellement prolongés, et la mort à laquelle tu ne peux te soustraire prolongera longtemps tes souffrances.

      337 : laissant le martyr en vie (uitam tenebo), le préfet diffère non sa vie, mais sa mort (mortem, sous-entendu a contrario). À la ruse du martyr, il oppose sa science en matière de supplices

      338 : poenis : -> 14, 22 morarum : génitif explicatif (nature du châtiment ; cf. iugibus) ; cf. perist. 9, 87 difficilesque moras animæ et retinacula uitæ. En perist. 10, 813-814, le juge dit au contraire : si te morarum pænitet, finem citum | subeas licebit ; cf. perist. 5, 355 (->). iugibus : cf. iugiter, v. 401-402 : conuerte partem corporis | satis crematam iugiter (le martyr, durant son supplice).

      339 : mors : -> v. 19. inextricabilis : cf. Nicet. symb. 12 [martyres] labores inextricabiles sustulerunt. Le supplice sera irrévocable et sans fin (cf. perist. 5, 200 imo implicabunt tartaro).

      340 : longos dolores : -> 14, 107 ; expression s'opposant à mortis citæ (v. 334 ; cf. v. préc.) et contrastant le dolor asperrimus (v. 218) accepté par le martyr.

      
341-344 " Prunas tepentes sternite,
ne feruor ignitus nimis
os contumacis occupet
et cordis intret abdita.
" Étendez des braises tièdes, de peur qu'une ardeur excessive du feu ne saisisse la face du rebelle et ne pénètre les tréfonds de son coeur !

      341 : prunas tepentes : le feu n'est pas vif (-> 5, 219-220), on laisse refroidir (tepentes) les charbons ardents (prunæ). sternite : peut signifier 'dresser un lit' (le garnir de tapis ; cf. Plin. epist. 7, 27, 7). Le préfet ironisera (v. 354 decumbe digno lectulo) - cependant, -> v. 508.

      342-343 : le martyr mourrait asphyxié si le feu atteignait son visage ; une lumière surnaturelle (v. 361-362 illi os decore splenduit | fulgorque circumfusus est), invisible au païen, l'illuminera.

      342 : ne... nimis : comme le montre nimis, cette proposition finale se rapporte pour le sens à tepentes (v. préc.), non à sternite. feruor : même forme au v. 215 (feu intérieur des passions) ; ici, le feu, extrinsèque, est bénin (cf. N.T. Marc. 7, 15. 21-23). ignitus : adj. dérivé (cf. ham. 269 ; ailleurs, igneus [-> 5, 229]) au lieu du gén. de ignis ; tour poétique, cf. vv. 142 infirma agmina ; 371 per imbrem saxeum ; 503 hostile... ferrum ; perist. 7, 81-82 amnicus | ... liquor.

      343 : os... occupet : cf. perist. 3, 156-158 flamma crepans uolat in faciem, | ... caput | occupat exsuperatque apicem ; Verg. Æn. 10, 699 ; 12, 300 ; Val. Fl. 3, 168. contumacis : autant que sa foi, voire davantage, le préfet reproche au martyr son insoumission ; cf. perist. 5, 105.

      344 : proposition coordonnée à une subordonnée en ne (v. 342), introduite par et (cf. c. Symm. 1, 14-18) au lieu de neu. abdita : adj. substantivé (-> 13, 51) désignant les entrailles (cf. perist. 5, 114 nudate costarum abdita). intret : même verbe dans des descriptions de torture par le fer (ici : par le feu), en perist. 5, 120 [quod] intraret artus ungula ; 9, 56.

      
345-348 " Vapor senescens langueat,
qui fusus adflatu leui
tormenta sensim temperet
semustulati corporis.
" Qu'une chaleur sur le déclin reste lan-guissante pour que, se répandant en bouf-fées légères, elle tempère graduellement les tourments d'un corps à moitié consumé !

      345 : cf. perist. 3, 167 rogus igneus emoritur. uapor : ce feu, moins fort que celui, intérieur, des passions (v. 213-216 ; -> v. 342), n'a pas la vigueur de celui que subit s. Vincent (perist. 5, 219-220 cui multa carbonum strues | uiuum uaporat halitum). Le juge assimilera ce uapor senescens à Vulcain (ironie tragique, -> v. 356) ; cf. v. 397 uapor diutinus. senescens langueat : redondant.

      346 : fusus : cf. v. 536 qui uota fundit murmure (murmures et larmes touchent davantage le martyr que le feu). adflatu : le souffle qui émane du feu (Liv. 28, 23, 4 adflatu uaporis ; cf. ThlL i 1228, 83) ne parviendra pas au coeur du martyr, alors que celui de l'Esprit embrasera les sénateurs (v. 493-496 repens medullas indoles | adflarat et coegerat | amore sublimis Dei | odisse nugas pristinas). leui : cf. c. Symm. 2, 815 leui... flatu (-> 5, 418) ; idée d'atténuation (cf. v. préc.).

      347 : sensim temperet : légère redondance ; cf. v. 341 tepentes ; sensim, auquel s'oppose repens (v. 493), se retrouve en perist. 5, 232 ; 10, 903 (mise en oeuvre méticuleuse de supplices).

      348 : semustulati : cf. Cic. Mil. 33 ; Cypr. epist. 40 ; on a plus souvent sem(i)ustus, cf. Verg. Æn. 3, 578 Enceladi semustum fulmine corpus. Composés en semi-, -> v. 150. corporis : cf. v. 401-402 conuerte partem corporis | satis crematam iugiter (réplique du martyr) ; -> v. 59.

      
349-352 " Bene est, quod ipse ex omnibus
mysteriarches incidit,
hic solus exemplum dabit,
quid mox timere debeant.
" Il est bon que l'on soit tombé, entre eux tous, sur le président des mystères en per-sonne : celui-là seul donnera un exemple de ce qu'ils devraient craindre bientôt.

      349-352 : même syllogisme à propos de s. Hippolyte (-> 11, 79-84). Aveuglé ou de mauvaise foi, le juge dit profiter d'une occasion, alors qu'il est à l'origine du sursis accordé au trésorier.

      349 : bene est : seul emploi chez Prudence de cette locution classique. ipse ex omnibus : ipse renforcé par ex omnibus. Cf. perist. 11, 80 ipsum Christicolis esse caput populis.

      350 : mysteriarches : néologisme pompeux, légèrement comique ; hapax en latin comme en grec, ce nom désigne ici l'archidiacre (cf. v. 37-40). Assez bien informé (cf. v. 65-84. 331), le préfet ne connaît cependant le christianisme que de l'extérieur et s'exprime par analogies maladroites avec des catégories connues (ici, les cultes à mystères ; cf. v. 65 orgiis).

      351 : hic solus : cf. v. préc. ipse ex omnibus ; être d'exception sur qui tout repose (-> 5, 105 ; cf. perist. 10, 66-68), le martyr est seul contre tous. exemplum dabit : cf. ham. 250 ; psych. præf. 10. Le supplice du martyr suscite un effroi (perist. 7, 38 ; 10, 465 ; 11, 85) qui se trans-formera en courage (v. 489-496) - ironie tragique, l'exemplum se retourne contre le juge (cf. Introd. § 30 n. 81). L'exemplum des martyrs sert de protreptique, p.ex. pour s. Vincent (cf. perist. 4, 101-108) et pour le compagnon de s. Romain (cf. perist. 10, 736-780).

      352 : mox : la persécution de Valérien procède par décrets toujours plus sévères ; le préfet laisse entendre qu'elle pourrait devenir générale. timere : la crainte de Dieu est légitime (-> 13, 20) ; les martyrs dissuadent de succomber à celle des persécuteurs (perist. 6, 19 ; 13, 40).

      
353-356 " Conscende constratum rogum,
decumbe digno lectulo ;
tunc, si libebit, disputa
nil esse Vulcanum meum ! "
" Monte sur le bûcher que l'on a étendu, allonge-toi sur cette digne couchette ; puis, si cela t'agrée, soutiens que mon Vulcain n'est rien ! "

      353-354 : débuts de vers allitérants (cons- ; d-). Les impératifs sont mis en asyndète, de même qu'aux vv. 453-454 et en perist. 11, 29-30 ; cath. 12, 99-100 ; apoth. 594.

      353 : conscende constratum : comme sternite (v. 341) et decumbe (v. suiv.), constratum et conscende (cf. c. Symm. 1, 474) se disent à propos d'un lit. conscende... rogum : cf. perist. 5, 221 hunc sponte conscendit rogum. constratum rogum : cf. v. 341 prunas tepentes sternite. Ce bûcher est plat, à la différence celui de perist. 6 (cf. construere en perist. 6, 69) ; cf. aussi perist. 5, 260.

      354 : decumbe : verbe utilisé aussi à propos du gladiateur vaincu se laissant tomber pour le coup de grâce (Cic. Tusc. 2, 41 ; Phil. 3, 35). digno lectulo : abl. de lieu (év. de direction) ; les 2 termes sont, chacun dans son ordre, ironiques. Le diminutif lectulo, qui désigne le lit de douleur et de mort, semble familier voire affectif, ce qui n'est pas le cas en perist. 5, 353. 556.

      355-356 : le préfet répond par un défi au martyr qui disait ne pas craindre la douleur (v. 217-220) et niait l'efficacité des instruments de répression symbolisant l'État (v. 325-328).

      355 : le préfet ne s'inquiète pas du discours religieux du martyr (v. 107-108 nummos libenter reddite, | estote uerbis diuites), mais exige sa soumission à l'État. tunc : valeur chronologique et logique. si libebit : reprise du v. 329 dicis : 'libenter oppetam.' disputa : cf. perist. 10, 404-405 (le préfet) quis hos sophistas error inuexit nouus, | qui non colendos esse diuos disputent ? Le martyr obéira à cette invitation (v. 401-408), mais conclura sur une prière, un exorcisme et une prophétie.

      356 : cf. perist. 3, 76-80 Isis, Apollo, Venus nihil est, | Maximianus et ipse nihil, | illa nihil, quia facta manu, | hic manuum, quia facta colit ; | friuula utraque et utraque nihil. Vulcanum : pas plus qu'il n'est loyal à l'empereur (-> v. 135), le préfet n'est dévot ; il use à son tour de métaphores ('antonomase de Voss' qui revient à une vue rationnaliste de la mythologie) ; cf. c. Symm. 1, 297-308, en part. 304-307 ipse ignis, nostrum factus qui seruit ad usum | Vulcanus perhibetur et in uirtute superna | fingitur ac delubra deus et nomine et ore | adsimulatus habet ; cf. Avg. ciu. 7, 35 ; figure semblable, un peu forcée, en perist. 5, 98-100 (Pluton et les bourreaux). L'identification du dieu des enfers au uapor émanant des charbons ardents (v. 345) recèle une ironie in-volontaire ; d'un point de vue chrétien, uapor évoque les démons, réputés habiter l'air (N.T. Eph. 2, 2 secundum principem potestatis æris huius, spiritus qui nunc operatur in filios diffidentiæ ; 6, 12), et la vanité du néant (N.T. Iac. 4, 15 quæ enim uita uestra ? uapor est, ad modicum apparens, deinceps exterminabitur) ; cf. McCarthy 1982. meum : de même, à propos du Dieu de s. Laurent (v. 99-100 tuus | ... deus). Cf. v. 403-404 (réponse) fac periclum, quid tuus | Vulcanus ardens egerit.

      357-496 : le dernier acte du drame (cf. Introd. § 121) est le supplice du martyr, dont il sortira victorieux, mourant sans avoir apostasié, exorcisant même Rome des démons du paganisme.

      
357-360 Hæc fante præfecto truces
hinc inde tortores parant
nudare amictu martyrem,
uincire membra et tendere.
À ces paroles du préfet, brutaux, les bourreaux, de part et d'autre, font leurs préparatifs : ôter les vêtements du martyr pour le mettre à nu, ligoter ses membres et les tendre.

      357 : hæc fante præfecto : abl. absolu marquant une transition. On trouve aussi le part. prés. de fari en perist. 6, 43. Præfectus désigne le persécuteur ès fonctions (-> v. 46).

      357-358 : truces... tortores : termes topiques (trux, -> 14, 21 ; tortor, -> 5, 6), mimétique-ment séparés par hinc inde. Cf. Hor. carm. 3, 5, 50 quæ... barbarus tortor pararet (v. suiv. parant).

      358 : hinc inde : cette expression (-> 11, 163 ; à la même place, v. 438 et perist. 5, 374) laisse entendre que les bourreaux sont au nombre de 2 (fréquent, -> 5, 138). parant : de même, à propos de supplices, perist. 3, 114 ; 6, 68 ; 11, 105. Les infinitifs compléments nudare (v. suiv.) et uincire... et tendere (v. 360) décrivent les préparatifs plus qu'ils n'expriment leur but.

      359-360 : pour l'humilier autant que pour des raisons pratiques, les bourreaux mettent à nu le patient et lui lient les mains ; cf. perist. 9, 43 uincitur post terga manus spoliatus amictu.

      359 : nudare amictu : réponse indirecte aux méfaits imputés aux chrétiens (v. 84 nudare dulces liberos) ; par rapport aux fins dernières (cf. v. 267-268 exuent | artus), l'action du préfet reste limitée. Cet outrage, infligé au cadavre de s. Vincent (perist. 5, 395 nudum negato tegmine), est miraculeusement atténué pour les vierges (cf. perist. 3, 151-155. 176-180 ; 14, 40-49).

      360 : le supplice du chevalet (-> 5, 109-112), torture préliminaire que le martyr était prêt à subir (v. 219 fragmenta membrorum pati), aggrave le supplice, comme pour s. Vincent les pointes acérées du gril (perist. 5, 217-218). uincire membra : cf. perist. 5, 109. 236 ; 6, 103-104 ; 9, 43. Sur membra, -> v. 209. S. Laurent, comme s. Vincent (perist. 5, 235-236), ne peut étendre les mains pour prier (un miracle le permet aux martyrs de Tarragone, cf. perist. 6, 103-108). tendere : cf. v. 240 tendit ueneno intrinsecus (l'hydropique ; ici, tension externe : -> v. 342).

      361-409 : le récit du supplice est celui d'un double miracle : l'illumination du visage du martyr (perçue par quelques-uns, v. 361-372) et sa résistance (patente, cf. vv. 397-409 et 491-492).

      361-372 : les traits transfigurés, le martyr évoque Moïse (champion de la vraie religion face à l'idolâtrie) et s. Étienne (protomartyr et premier diacre). S. Laurent, membre des cohortes des martyrs (cf. psych. 21-39) combat aux côtés de, et pour la Fides (cf. v. 16-20).

      
361-364 Illi os decore splenduit
fulgorque circumfusus est ;
talem reuertens legifer
de monte uultum detulit,
Quant à lui, sa figure brille magnifiquement et il est auréolé d'un éclat ; tel était le visage qu'à son retour de la montagne ramenait le Législateur, ...

      361-362 : l'illumination du visage du martyr est réelle (et non métaphorique : perist. 5, 125-128) et contredit la volonté du préfet (cf. v. 342-343 ne feruor ignitus... | os... occupat). Dans l'iconographie du temps de Prudence, le nimbe n'est pas encore réservé aux saints ni systématique ; de tels récits de miracles ont pu jouer un rôle dans cette évolution.

      361 : à ce visage s'oppose l'aveuglement du juge et des siens (v. 378-380 os oblitum noctis situ | nigrante sub uelamine | obducta clarum non uidet). decore splenduit : la beauté intérieure (cf. v. 226 intus decoris integri) du martyr devient manifeste, anticipant sa gloire céleste (cf. v. 557-558).

      362 : cf. la promesse des vv. 173-174 uidebis ingens atrium | fulgere uasis aureis.

      363-368 : cf. V.T. exod. 34, 29-30 cumque descenderet Moses de monte Sinai, tenebat duas tabulas testimonii et ignorabat quod cornute esset ex consortio sermonis Dei. uidentes autem Aaron et filii Israhel cornutam Mosi faciem timuerunt prope accedere (cf. cath. 12, 153-156, autre allusion à cet épisode).

      363-364 : talem... uultum : comparaison (v. 363-368) avec Moïse, uultum reprenant os (v. 361) ; de même, avec s. Étienne, talemque et ille prætulit | oris corusci gloriam (v. 369-370).

      363: legifer : cf. apoth. 51 dator legis diuinæ. Legifer (cf. Verg. Æn. 4, 58) se retrouve à propos de Moïse chez Lact. inst. 4, 17, 7 ; Hier. adu. Iouin. 1, 20 ; Pavl. Nol. carm. 26, 35.

      364 : de monte : le mont Sinaï, lieu des théophanies. Ce complément dépend à la fois de reuertens (v. préc.) et de detulit. detulit : même forme en fin du v. 102 secum Philippos detulit.

      
365-368 Iudæa quem plebs aureo
boue inquinata et decolor
expauit et faciem retro
detorsit impatiens Dei.
[visage] dont le peuple juif, souillé et terni par le veau d'or, prit peur ; il détourna alors sa face vers l'arrière, incapable qu'il était de supporter Dieu.

      365-368 : l'éblouissement des Hébreux infidèles (V.T. exod. 34, 29-30) préfigure in-directement l'aveuglement du persécuteur et des païens (v. 377-384 ; autre allusion à l'Exode).

      365 : Iudæa... plebs : désignation anachronique du peuple hébreu, appelé ailleurs chez Prudence Hebræi (v. 383), gens Hebræorum, Israhel, Iacob genus, ainsi que populus Iudaicus et Iudæa.

      365-366 : aureo boue : mis en évidence par le rejet de boue ; aureo (-> v. 48) s'oppose à decolor.

      366 : le Veau d'or symbolise la souillure causée par l'idolâtrie (cf. v. 475) et par l'or (-> v. 197-200). inquinata et decolor : cf. c. Symm. 1, 504-505 nec decolor usus | in uitium uersæ monumenta coinquinet artis. L'adj. inquinata relève plutôt du religieux, decolor de l'esthétique. inquinata : cf. v. 247 à propos du débauché (inspiré du Carmen contra paganos, allusion au taurobole ; cf. aussi inquinatus en perist. 10, 1046) ; un év. lien entre taurobole et Veau d'or serait ici fortuit.

      367 : expauit : cf. cath. 7, 45 expauit ignem non ferendum uisibus (Moïse et le buisson ardent).

      367-368 : faciem retro detorsit : mouvement de torsion vers l'arrière ; même emploi de retro en perist. 11, 99. Cf. ham. 747-748 flexam in tergum faciem paulumque relata | menta retro (femme de Loth). Le sing. faciem a une valeur distributive, il se rapporte au collectif plebs (v. 365).

      368 : detorsit : connotation morale ; cf. perist. 11, 35 his ubi detorsit læuo de tramite plebem ; ham. 554. impatiens Dei : les baptisés en état de grâce sont Christi capaces (v. 376), mais les pécheurs ne supportent pas la manifestation de Dieu, douloureuse ou désagréable (-> 13, 68).

      
369-372 Talemque et ille prætulit
oris corusci gloriam
Stephanus per imbrem saxeum
cælos apertos intuens.
Telle était encore la gloire qu'arborait la figure étincelante de l'illustre Étienne également, quand sous la pluie de pierres il voyait les cieux ouverts.

      369 : talemque et : -que et n'est pas pléonastique (et : valeur d'etiam) ; talemque est coor-donné avec talem, v. 363. ille : hyperbate avec Stephanus (v. 371). prætulit : cf. v. 32.

      370 : gloriam (-> v. 9) est complété du gén. exégétique oris corusci. Par cette gloire anticipant celle du Ciel s'accomplit déjà la prophétie de s. Sixte (v. 30 ; cf. v. 557-558). oris corusci : cf. v. 299 gemmas corusci luminis (les pauvres) ; perist. 6, 2 attollit caput ignibus coruscum (Tarragone).

      371-372 : seule mention dans le recueil de s. Étienne, modèle pour s. Laurent (cf. Introd. § 21 ; cf. Leo M. serm. 72, 4 ita per uniuersum mundum clarificauit gloriam suam, ut a solis ortu usque ad occasum, Leuiticorum numerum coruscante fulgore, quam clarificata est Ierosolyma Stephano, tam illustris fieret Roma Laurentio). Prudence unit 2 épisodes successifs (vision durant l'interrogatoire ; lapidation) de la passion de s. Étienne (N.T. act. 7, 55-59) ; cf. aussi ditt. 172-175.

      371 : Stephanus : mise en évidence par le rejet ; le titre du Peristephanon ('Livre des Étienne' ou 'des couronnes') évoque s. Étienne. imbrem saxeum : de même, Stat. Theb. 7, 408 ; Sil. 13, 181. L'adj. saxeus est utilisé au lieu du gén. saxorum (cf. perist. 7, 89 pondus... saxeum ; -> v. 342) ; même image en ditt. 173-174 imbri | afflictus lapidum ; 175 inter saxa.

      372 : cf. NT. act. 7, 56 'Ecce uideo cælos apertos.' L'ouverture des cieux symbolise le salut ; cf. perist. 5, 369-370 (->) ; 6, 122 cælum martyribus patere apertum. cælos : acc. plur. de cælum, régulier. Objet du regard des suppliants (-> v. 548), les cieux, demeure de Dieu (perist. 14, 125 arx cælestis) et des élus (v. 559 Roma cælestis), sont source de visions et de miracles (perist. 1, 85-92 ; 3, 161-165. 171-175 ; 6, 91-99. 121-129 ; 10, 852-865 ; 14, 46-49). apertos : attribut de cælos. intuens : le lieu où se porte le regard montre les intentions : bonnes chez le poète (v. 548 cælum intuemur), non chez les païens (perist. 10, 375 subiecta semper intuens, numquam supra).

      
373-376 Illuminatum hoc eminus
recens piatis fratribus,
baptisma quos nuper datum
Christi capaces fecerat ;
Il apparut illuminé de la sorte aux frères récemment purifiés, que le baptême conféré peu de temps auparavant avait rendus à même d'accueillir le Christ ; ...

      373 : illuminatum : cf. perist. 5, 126-127 omni uacantem nubilo | frontem serenam luminat. hoc : abl. de manière. eminus : cf. v. 548 ; cet adv. suggère ici la portée du rayonnement du martyr, ailleurs (perist. 7, 31 ; 10, 719) la peur ou l'impuissance des spectateurs d'un martyre.

      374 : recens : nomin. neutre à valeur adverbiale (cf. Verg. georg. 3, 156) ; recens lié à piatis constitue un pendant à baptisma... nuper datum (v. suiv.). piatis : cf. cath. 7, 73 (baptême d'eau) et perist. 5, 361 (baptême de sang). fratribus : -> v. 73 ; la suite confirme qu'il s'agit des témoins du martyre de s. Laurent (non de s. Étienne). En état de grâce, ceux qui viennent d'être baptisés perçoivent l'éclat du martyr (celui des corps transfigurés des élus : v. 275-276) ; de même, s. Vincent a le regard purifié, et voit la présence du Christ (perist. 5, 125-128).

      375 : baptisma : technique (apoth. 697. 881 ; psych. 103) ; on a plus souvent lauacrum (-> 5, 362). datum : cf. psych. 361 unguentum regale datum est et chrisma perenne ; cath. 9, 87.

      376 : Christi capaces : cf. Pavl. Nol. epist. 16, 6 Dei capax ; cf. aussi perist. 10, 743. Les baptisés peuvent recevoir les sacrements par lesquels Dieu se donne à eux ; ici, ils sont à même de percevoir la passion glorieuse du Christ dans celle du martyr (-> 5, 128).

      
377-380 ast impiorum cæcitas
os oblitum noctis situ,
nigrante sub uelamine
obducta, clarum non uidet ;
par contre, l'aveuglement des impies, recouvert d'un voile ténébreux, voit ce visage souillé par la crasse de la nuit, et non dans sa clarté ; ...

      377 : impiorum cæcitas : cf. v. 456 errans Iuli cæcitas ; perist. 10, 371 cæcitas gentilium ; image fréquente chez les auteurs chrétiens (cf. ThlL iii 39, 74 - 40, 40) ; cf. v. 232 cæca fraus nihil uidet. Impius (perist. 10, 556. 1001 ; 11, 5 ; 14, 12) désigne les païens (-> v. 11). L'hyperbate cæcitas... obducta confère au quatrain son unité, liant le sujet principal cæcitas à uidet (v. 380).

      378 : les païens ne voient qu'un visage noir de suie, et non son illumination. oblitum : cf. v. 466 (Jupiter) stupro sororis oblite. noctis situ : la métaphore suggère l'inconsistance du phénomène perçu par les païens au regard est obscurci (v. 379-380). Sur situs, -> 11, 53.

      379-380 : nigrante sub uelamine obducta : apposition à cæcitas (v. 377) mimétiquement intercalée entre oblitum noctis situ et clarum, attributs d'os (v. 378 ; uidet sous-entendu) ; un voile (v. 365-368 ; V.T. exod. 34, 33 ; N.T. II Cor. 3, 13 Moses ponebat uelamen super faciem suam ut non intenderent filii Israhel in faciem eius) empêche les impies de voir la gloire du Christ (cf. v. 376).

      379 : nigrante : même forme au début du v. 88 nigrante quos claudis specu.

      380 : obducta : cf. perist. 10, 1117 puluis obducit situ (situs est employé au v. 378). clarum : cet adj. qualifie les martyrs Cucufat (perist. 4, 33) et Fructueux (perist. 6, 12), le sang des martyrs (perist. 4, 86) ainsi que les cohortes angéliques (perist. 1, 66). Il est ici employé au sens propre : l'éclat du martyr est visible, concret, bien que surnaturel. non uidet : -> v. 173.

      
381-384 Ægyptiæ plagæ in modum,
quæ, cum tenebris barbaros
damnaret, Hebræis diem
sudo exhibebat lumine.
c'était comme lors de la plaie d'Égypte qui, tandis qu'elle condamnait les barbares aux ténèbres, montrait aux Hébreux le jour avec sa lumière sereine.

      381 : Ægyptiæ plagæ : de même, apoth. 360 ; il s'agit de la 9e plaie d'Égypte (V.T. exod. 10, 22-23 extendit Moses manum in cælum et factæ sunt tenebræ horribiles in uniuersa terra Ægypti tribus diebus ; nemo uidit fratrem suum nec mouit se de loco in quo erat ; ubicumque autem habitabant filii Israhel lux erat). in modum : de même, perist. 14, 46 fulminis in modum.

      382 : barbaros : les Égyptiens sont des barbares pour la Bible (psalm. 113, 1 in exitu Isræl de Ægypto, domus Iacob de populo barbaro) comme pour Rome (Verg. Æn. 8, 685-688, Antoine et Cléopâtre face à l'Occident ; 698-700, le chien Anubis opposé aux dieux anthropomorphes). Prudence ne distingue pas 2 types de paganisme (v. 4 ritum... barbarum ; perist. 10, 253-255).

      383 : Hebræis : adj. substantivé (cf. ditt. 89 ; apoth. 379) désignant les Israélites (-> v. 365). diem : la lumière du jour (cf. perist. 3, 57 ; 10, 327. 955 ; 11, 158 ; 13, 43) ; ailleurs, dies indique sa durée (v. 142) ou un moment dans le temps (vv. 31. 166. 497).

      384 : sudo... lumine : cf. Apvl. met. 11, 7. La forme lumine est aussi employée en fin de v. dans l'expression des vv. 395-396 is ipse complet lumine | iustos et urit noxios.

      
385-388 Quin ipsa odoris qualitas,
adusta quam reddit cutis,
diuersa utrosque permouet :
his nidor, illis nectar est.
Bien plus, la nature même de l'odeur qui émane de la peau grillée affecte les uns et les autres de manière opposée : pour ceux-ci, du brûlé, pour ceux-là, une fragrance.

      385 : quin ipsa : quin adv. (cf. perist. 4, 177 ; 5, 165. 253. 281. 401 ; 6, 124 ; 10, 1036) est souvent renforcé par et ou, comme ici, par ipse, qui souligne un miracle supplémentaire.

      386 : adusta... cutis : cf. perist. 3, 91 ergo age, tortor, adure, seca ; 6, 105 intacta cute decidunt adusti ; 10, 486. Il est aussi question de tortures infligées sur la peau (cutis) en perist. 3, 148 ; 9, 12. 56 ; 10, 559. 761. reddit : même emploi à propos d'une odeur chez Plin. nat. 22, 51.

      387 : diuersa : adj. apposé à qualitas (valeur adverbiale ; de même, v. 409 ludibundus). utrosque : aux uns, en état de grâce (illis ; v. 373-376) correspondent les Israélites et les justes (vv. 383 Hebræis ; 396 iustos), aux autres, en état de péché (his ; v. 377-380), les Égyptiens et les coupables (vv. 382 barbaros ; 396 noxios). permouet : affection sensible, peut-être émotion.

      388 : opposition entre nidor et nectar (paronomase). nidor : l'odeur de ce qui brûle (apoth. 759 ; Lvcr. 6, 792 extinctum lumen ubi acri nidore offendit naris). nectar : plus souvent utilisé pour un goût (perist. 10, 345. 783 ; cath. 3, 72 ; 9, 35) que pour un parfum (ici ; cf. perist. 5, 280 ; cath. 11, 68). Cf. Lvcr. 2, 848 nardi florent, nectar qui naribus halat.

      
389-392 Idemque sensus dispari
uariatus aura aut adficit
horrore nares uindice
aut mulcet oblectamine.
Et la même odeur, dont les émanations contraires varient, soit remplit les narines d'une horreur vengeresse, soit les flatte par son agrément.

      389 : cf. perist. 10, 825 sit his sub uno fine dispar exitus. idemque sensus : l'objet sensible, non sa perception ; le rayonnement du martyr était caché aux païens aveuglés, mais ici, ce sont les chrétiens qui perçoivent miraculeusement un suave parfum dans une odeur de chair brûlée.

      390 : uariatus : employé à propos d'une alternative (cf. psych. 894 ; en c. Symm. 2, 436. 846, par contre, multitude de possibilités). aura : sens figuré attesté p.ex. chez Verg. georg. 3, 251 ; cf. apoth. 759-760 nec de corporeo nidorem sordida tabo | aura refert.

      390-391 : adficit horrore : cf. Plavt. Amph. 1068 ea res me horrore adficit.

      391 : horrore... uindice : uindex (-> 11, 173) montre que l'horror n'est pas la crainte (cf. perist. 10, 722. 961), mais un frisson de répulsion, sorte de châtiment qui endurcit des pécheurs, à l'opposé des chrétiens et des païens qui se convertiront (v. 489-496). nares : les narines (v. 282 ; ham. 312-313), nommées dans la liste d'organes sensoriels de ham. 300.

      392: mulcet : cf. cath. 8, 20 (en mauvaise part, psych. 331). oblectamine : contrairement aux prosateurs qui préfèrent oblectamentum, Prudence utilise plusieurs fois cette forme (p.ex. cath. 7, 18) attestée chez Ov. met. 9, 342 ; Stat. Ach. 1, 185. Sur les noms en -men, -> 5, 215.

      
393-396 Sic ignis æternus Deus
- nam Christus ignis uerus est - :
is ipse complet lumine
iustos et urit noxios.
Ainsi en est-il du feu qu'est le Dieu éternel - car le Christ est le vrai feu - : lui-même comble de lumière les justes et brûle les coupables.

      393-394 : l'analogie entre feu et principes spirituels (âme, divinité), à coloration stoïcienne (cf. Torro 1976, p. 42-43), se trouve aussi en V.T. deut. 4, 24 Dominus Deus tuus ignis consumens est ; N.T. Hebr. 12, 29 Deus noster ignis consumens est. Cf. perist. 1, 60 cælestis ignis ; 6, 71 feruentes animas ; 10, 439-440 feruentissimæ | diuinitatis uim coruscantem ; apoth. 72 lumen imago Dei, Verbum Deus et Deus ignis (-> 5, 297). Ce que les spectateurs perçoivent équivaut au sort qui les attend : illumination ou brûlure éternelles. Le feu divin est réel, contrairement au Vulcain du bûcher (v. 356), que le martyr ne semble pas ressentir. ignis æternus : cf. perist. 6, 99 (perennis ignis auquel sont livrés les damnés). æternus Deus : -> v. 262.

      394 : précision, parenthèse interrompant l'argument. ignis uerus : au vrai feu s'oppose le feu matériel, apparent (-> v. 510), identifié au faux dieu Vulcain (cf. vv. 356. 404). La veritas (attribut divin : -> 5, 39) est liée à l'éternité (v. préc. æternus) du feu, cf. l'emploi de nam.

      395 : is ipse : de même, v. 117. complet lumine : Dieu comble l'homme (cath. 4, 35-36 artus atque animas utroque pastu | confirmas, Pater, ac uigore comples), illuminant déjà ici-bas le martyr (v. 373) ; la lumière symbolise vie et fécondité (-> 11, 168). Lumine conclut le v. 384.

      396 : cf. ham. 704 lux comes est iusti, comes est mors horrida iniqui ; 863-864 inter | damnatas iustasque animas. iustos : les chrétiens (c. Symm. 2, 667), non seulement les saints (ici ; perist. 1, 29 ; 10, 539), mais aussi les martyrs subissant leur épreuve (perist. 1, 51) et, de façon générale, les fidèles (perist. 5, 83. 515 ; 11, 5) ; outre iustus, on trouve dans le même sens sanctus (-> 2, 80). urit noxios : l'allusion au feu brûlant les damnés (noxii : cf. perist. 5, 134) permet de renouer avec le récit proprement dit (le martyr sur le bûcher).

      
397-400 Postquam uapor diutinus
decoxit exustum latus,
ultro e catasta iudicem
compellat adfatu breui :
Après que la chaleur eut bien longuement cuit le flanc qu'elle a brûlé, prenant l'offensive, de sur le gril, il apostrophe le juge par ces brèves paroles : ...

      397-398 : Prudence ne décrit pas le déroulement du supplice (au contraire, perist. 5, 225-236) et, après une digression, évoque ici directement sa phase avancée.

      397 : diutinus : cf. Plavt. Mil. 503 supplicium... longum... diutinumque ; rappel de la décision de faire mourir le martyr à petit feu (vv. 333-340. 345-349). L'éternité du feu divin (v. 393 ignis æternus) est distinguée de la relative permanence du uapor de Vulcain (-> v. 356).

      398 : decoxit et exustum constituent presque un hysteron-proteron, l'objet de l'action étant présenté comme son effet. decoxit : repris au v. 406 (coctum est), employé au v. 196 (flammis necesse est decoqui) à propos de l'affinage de l'or ; une correspondance n'est pas exclue, avec un recours à une thématique alchimique qui est aussi une image biblique : I Petr. 1, 7 ut probatum uestræ fidei multo pretiosius sit auro quod perit per ignem probato, inueniatur in laudem et gloriam et honorem in reuelatione Iesu Christi. Cf. Cypr. eleem. 14 sordibus tuis tamquam igne decoctis. latus : ne désigne pas ici le flanc du martyr (trad. Lavarenne), mais une partie, un côté de son corps (v. 401-402 partem corporis | ... crematam) ; en perist, 5, 263, le dos. Une correspondance reste possible avec le v. 502 non ense præcinxit latus (->). Peut-être en rapport avec la blessure du Christ crucifié (cf. N.T. Ioh. 19, 34, repris en perist. 8, 15-16 ; ditt. 165-166), Prudence parle souvent de blessures au côté, latus (perist. 3, 133. 150 ; 4, 121 ; 5, 263 ; 10, 452. 484).

      399 : ultro : -> 14, 20. catasta : désigne aussi le gril en perist. 1, 56 (grabatus en perist. 5, 207) ; en perist. 10, 467, le chevalet (ce supplice semble être infligé sur le même instrument, cf. v. 360). Chez les auteurs antérieurs (Tib. 2, 3, 60 ; Svet. gram. 13), ce nom grec désigne l'estrade destinée à la vente des esclaves. iudicem : -> v. 167.

      400 : compellat : cf. perist. 5, 284. adfatu breui : la réponse au défi du juge est cinglante (v. 401-404) ; plus brève et sarcastique encore sera la suite (v. 406-408). L'explication sur les pauvres (v. 185-312 : 128 vv.) et la prière finale (v. 413-484 : 72 vv.) sont plus développées.

      401-409 : le supplice permet au martyr de s'adresser ironiquement au juge (cf. perist. 3, 86 ; 10, 246). Cf. Ambr. off. 1, 41, 206 ipse, post triduum, cum illuso tyranno impositus super craticulam exureretur, " Assum est ", inquit, " uersa et manduca ! ". ita animi uirtus uincebat ignis naturam ; hymn. 13, 31-32 " Versate me ", martyr uocat, | " uorate, si coctum est ! ", iubet.

      
401-404 " Conuerte partem corporis
satis crematam iugiter
et fac periclum, quid tuus
Vulcanus ardens egerit. "
" Tourne complètement la partie de mon corps suffisamment exposée à la brûlure continuelle et fais l'épreuve de ce que ton Vulcain ardent a accompli ! "

      401 : partem corporis : cf. cath. 2, 82 ; ici, le dos du martyr, exposé au feu.

      402 : satis : pour le préfet, le martyr ne sera 'assez' brûlé qu'à sa mort (v. 339-340) ; le sens culinaire de satis n'apparaît qu'aux vv. 406-408. crematam : de même, perist. 1, 51 ; 6, 50 ; 10, 760. Ici, ensuite, variation lexicale : vv. 396 urit ; 397 decoxit exustum ; 406 coctum.

      403 : fac periclum : de même, Plavt. Bacch. 63 ; Cic. Phil. 5, 14 ; cf. perist. 10, 991 ; même idée au v. 407 avec experimentum cape. Aveuglé, le juge ne voit pas l'inefficacité du supplice, manifestée par cette demande même, et obéira à cette invitation.

      403-404 : quid... egerit : l'action du feu, purement physique, n'atteint pas le martyr dans sa détermination. tuus Vulcanus : cf. v. 355-356 tunc, si libebit, disputa | nil esse Vulcanum meum (-> v. 356) ; le préfet utilisait le même ton à propos du Christ (v. 99-100 tuus | ... deus).

      404 : Vulcanus ardens : reprise d'un début de v. horatien : Hor. carm. 1, 4, 8.

      
405-408 Præfectus inuerti iubet ;
tunc ille : " Coctum est, deuora
et experimentum cape,
sit crudum an assum suauius ! "
Le préfet donne l'ordre de le retourner ; alors, celui-là : " C'est cuit, avale, et profite de goûter si c'est meilleur cru ou grillé ! "

      405 : præfectus : -> v. 46. inuerti iubet : même s'il donne des ordres, le juge n'est qu'un exécutant (v. 47), obéissant ici même au martyr (v. 401 conuerte partem corporis).

      406 : coctum est, deuora : cf. Ambr. hymn. 13, 32 " uorate, si coctum est ! ", iubet ; Petr. Chrys. serm. 135, 2 " ... si una pars cocta est, uorate ! ". Sur (de)uorare, -> 11, 68 ; ce verbe montre la cruauté bestiale des persécuteurs (-> 5, 100). La plaisanterie assimilant le supplicié sur le gril à de la viande rôtie sur cet instrument est relativement naturelle et se trouve dans d'autres récits de martyres (Socrat. hist. 3, 15 ; Sozom. hist. 5, 11), sans qu'il soit besoin de rechercher une filiation littéraire. Ici se poursuit en outre le parallèle entre l'or et les hommes : (de)coquere est utilisé à propos de l'or et du martyr (-> v. 398) et deuora(t) est en fin de v. ici et au début du poème, à propos du préfet (v. 134-135) : spem deuorat | aurum.

      407 : experimentum cape : de même, Sen. dial. 2, 9, 3 ; reprise du v. 403 fac periclum. Face à un positiviste, le martyr fait appel à l'expérience sensible (experimentum) : voir les vraies richesses de l'Église (v. 169-176), constater de même l'effet de 'Vulcain' sur son dos brûlé.

      408 : interrogation indirecte double, avec an mais sans -ne introductif (classique). crudum : -> v. 287 ; ici, mêmes valeur et connotations que 'saignant' en français.

      409-488 : déjà glorieux, le martyr met à profit son long supplice pour prier (cf. Buchheit 1971, p. 473-475 ; Hagenauer 1955, p. 36) : invocation du Christ pour la conversion de Rome (v. 413-456), exorcisme de la ville (v. 457-472), ultime prophétie (v. 473-484).

      
409-412 Hæc ludibundus dixerat ;
cælum deinde suspicit
et congemiscens obsecrat
miseratus Vrbem Romulam :
Il avait dit cela, goguenard ; ensuite, il lève les yeux au ciel et, gémissant profondément, il émet une supplication, pris de pitié pour la Ville romuléenne : ...

      409 : ludibundus : joyeux (-> 14, 68) et surtout moqueur, le martyr apparaît tel un sage cynique ou stoïcien. Ce détachement (cf. v. 109-110) de l'avocat de l'Église (-> 5, 545-548) s'oppose à l'attitude qu'adoptait Prudence en tant qu'avocat (cf. præf. 13-15).

      410 : cælum... suspicit : cf. Verg. Æn. 12, 196 ; même attitude de prière chez s. Étienne (v. 372) et chez le poète lui-même (v. 548) ; cf. aussi perist. 5, 235 tenditque in altum lumina (->) ; 9, 9 erexi ad cælum faciem. deinde : changement de ton et d'interlocuteur.

      411 : congemiscens : cf. Tert. spect. 30 ; Ambr. hex. 4, 1, 14 ; (la forme congemescens des éditeurs se trouve notamment dans les mss ABC). Ce n'est pas la douleur, mais l'erreur de sa cité qui fait gémir le héros ; de même, voyant s. Sixte martyrisé, il pleurait (v. 23), croyant que la couronne du martyr lui échappait. obsecrat : cf. perist. 1, 9 obsecrantes uoce, uotis, munere.

      412 : Vrbem Romulam : périphrase pour Rome (-> v. 10), avec une allusion indirecte à Romulus (de même, Quirinali au v. 419 ; cf. aussi v. 443) ; même expression en fin du v. 310.

      413-432 : l'idéologie d'une Rome civilisatrice et unificatrice, sans être ici anachronique (-> v. 73-84), est importante du temps de Prudence (qui lui reconnaît une mission providentielle, cf. c. Symm. 2, 578-640). Ces vv. sont comparables à l'éloge de Rome de Rvt. Nam. 1, 47-164.

      413-420 : invocation comparable à l'adresse à Jupiter chez Verg. Æn. 1, 229-230 o qui res hominumque deumque | æternis regis imperiis - ici, le Christ prend la place du dieu vaincu.

      
413-416 " O Christe, nomen unicum,
o splendor, o uirtus Patris,
o factor orbis et poli
atque auctor horum moenium,
" Ô Christ, Nom unique, ô splendeur, ô force du Père, ô créateur de la terre et du ciel et fondateur de ces remparts, ...

      413-415 : emphatique (quadruple invocation en o ; cf. perist. 10, 371-373) ; o accompagne des invocations au Christ (ici) ou aux martyrs (v. 573 ; perist. 5, 537 ; 14, 124), ou de simples adresses au vocatif dans un dialogue (p.ex. perist. 5, 293 ; 11, 2. 29).

      413 : Christe : ce vocatif revient régulièrement ici (cf. vv. 433. 453 ; la prière de demande s'achève aussi 20 vv. après, au v. 472) ; cf. perist. 3, 135-138 ; 7, 56-85 ; 11, 110 ; 13, 56 ; 14, 83 ; cf. aussi le premier v. de cath. 3 ; 5 ; 7 ; 8. nomen unicum : cf. V.T. psalm. 8, 2 ; N.T. act. 4, 12 nec enim aliud nomen est sub cælo datum hominibus, in quo oportet nos saluos fieri ; Phil. 2, 9 Deus... donauit illi nomen super omne nomen (cf. cath. 6, 99-100 ; ham. 28-29). Sur le nom, -> v. 162 et 13, 54. Cf. v. 430 ius Christiani nominis.

      414 : Patris complète splendor et uirtus, traits communs au Père et au Fils (perist. 10, 321-325) ; le martyr a part au splendor (v. 361 illi os decore splenduit ; perist. 4, 27 ; 10, 132) et à la uirtus (-> 5, 91) divins. splendor... Patris : cf. perist. 10, 468 Christus, paternæ gloriæ splendor, Deus (allusion à Ambr. hymn. 2, 1 splendor paternæ gloriæ) ; N.T. Hebr. 1, 3.

      415 : paraphrase de l'un des articles du Symbole de Nicée-Constantinople : qui fecit cælum et terram ; cf. c. Symm. 2, 241-243. factor : de même, perist. 6, 45 ; 10, 788. 943. orbis et poli : même distinction du ciel et de la terre au v. 552 hic corporis, mentis polo. Sur orbis, -> v. 106.

      416 : Prudence christianise les traditions attribuant à Saturne les premiers remparts de Rome (c. Symm. 1, 50-51), reprenant le lexique relatif aux fondations de villes (Verg. Æn. 8, 134 Dardanus, Iliacæ primus pater urbis et auctor). Cf. c. Symm. 1, 288-290. 427-429. auctor : ici, ce terme est distinct de factor et ne désigne pas le créateur (perist. 5, 37. 360 ; 10, 318), mais l'instigateur d'une action accomplie par autrui (perist. 10, 680. 795 ; 11, 38 ; 13, 9. 71 ; c. Symm. 2, 1022) ; aux vv. 503-504 l'auctor est celui qui agit en premier : hostile sed ferrum retro | torquens in auctorem tulit. horum moenium : les remparts de Rome (cf. perist. 11, 43 ; 14, 3) sont devenus l'enceinte de toute l'humanité, cf. c. Symm. 2, 610-612.

      
417-420 " qui sceptra Romæ in uertice
rerum locasti, sanciens
mundum Quirinali togæ
seruire et armis cedere,
" ... toi qui as placé le sceptre de Rome au sommet du monde, décrétant que l'univers obéirait à la toge quirinale et céderait à ses armes, ...

      417-420 : les victoires de Rome (Verg. Æn. 1, 263-264 populosque feroces | contundet moresque uiris et moenia ponet ; Rvt. Nam. 1, 72 quos timuit superat, quos superauit amat) préparaient l'avènement du Christ et de l'Église (c. Symm. 1, 278-290 ; 2, 23-38). En perist. 5, 21-24, le préfet use du même lexique à propos de l'empereur : rex... orbis maximus, | qui sceptra gestat publica, | seruire sanxit omnia | priscis deorum cultibus.

      417 : qui sceptra : de même, perist. 5, 22. uertice : sommet, ici abstrait (ici) ; -> v. 308.

      418: rerum : cf. perist. 9, 3 rerum maxima Roma ; 14, 98. locasti : cf. perist. 4, 62 Roma in solio locata ; cf. aussi v. 163 longo et locatos ordine. sanciens : cf. perist. 5, 23 ; c. Symm. 1, 28-29 hic imperium protendit latius æuo | posteriore, suis cupiens sancire salutem.

      419-420 : transformation de l'adage cedant arma togæ (Cic. off. 1, 77) en faveur de l'usage de la force (cf. Introd. § 39 n. 109).

      419 : mundum : reprise de rerum (v. préc.). Quirinali togæ : métonymie désignant les Romains par leur vêtement emblématique ; l'adj. Quirinalis (cf. Verg. Æn. 7, 612 Quirinali trabea ; Varro ling. 5, 51) évoque Quirinus (autre nom de Romulus, c. Symm. 1, 539 ; 2, 305) et les Quirites, citoyens romains (-> v. 513) ; expression reprise au v. 425 par regnum Remi.

      420 : seruire : en soi, la soumission à l'Empire n'est pas aliénante comme l'est celle au paganisme (v. 475-476 tætris sacrorum sordibus | seruire Romam non sinat) ou à la matière (v. 583-584 seruientem corpori | absolue uinclis sæculi). armis cedere : Rome se soumettra de même au Christ (apoth. 506-508 gentibus emicuit, præfulsit regibus, orbem | possidet, imperii dominam sibi cedere Romam | compulit et simulacra deum Tarpeia subegit).

      421-428 : cf. Plin. nat. 3, 6 [Italia] numine deum electa, quæ sparsa congregaret imperia ritusque molliret et tot populorum discordes ferasque linguas sermonis commercio contraheret breuiterque una cunctarum gentium in toto orbe patria fieret ; Clavd. 24, 150-151 hæc est in gremium uictos quæ sola recepit | humanumque genus communi nomine fouit ; Rvt. Nam. 1, 63-64 fecisti patriam diuersis gentibus unam | profuit iniustis te dominante capi. Cf. c. Symm. 2, 578-640 ; Ambr. in psalm. 45, 21 didicerunt omnes homines sub uno terrarum imperio uiuentes unius Dei omnipotentis imperium fideli eloquio confiteri. La conception voyant dans la pax Romana une soutien voire une condition pour l'évangélisation apparaît chez Origène (c. Cels. 2, 30) ; cf. Evs. Cæs. præp. euang. 1, 4, 1-6.

      
421-424 " ut discrepantum gentium
mores et obseruantiam
linguasque et ingenia et sacra
unis domares legibus !
" ... afin de soumettre à des lois uniformes les moeurs qu'observent des nations différentes, leurs langues, leur génie et leurs cultes !

      421-424 : l'empire chrétien, unifiant l'humanité dans la foi, accomplit la prophétie de Jupiter à Junon, Verg. Æn. 12, 834-837 sermonem Ausonii patrium moresque tenebunt, | utque est, nomen erit ; commixti corpore tantum | subsident Teucri ; morem ritumque sacrorum | adiiciam faciamque omnes uno ore Latinos ; cf. c. Symm. 1, 455-456 domitis leges ac iura dedisti | gentibus ; 2, 586-588 discordes linguis populos et dissona cultu | regna uolens sociare Deus subiungier uni | imperio (cf. Fuchs 1938).

      421 : discrepantum : gén. plur. en -um, forme poétique ; hypallage, l'épithète de gentium se rapportant, pour le sens, à mores (v. suiv.). gentium : même forme en fin des vv. 11 et 461, où ce nom désigne les païens ; cf. perist. 4, 47-48 gentes domitas coegit | ad iuga Christi.

      422-423 : polysyndète assez relâchée, reflètant le regroupement d'élément épars ; cf. perist. 11, 139-140. La civilisation romaine est aussi décrite par ses éléments constitutifs en perist. 10, 166-167 sacrorum et principum | morumque ; c. Symm. 1, 303-304 sacris, ornatu, legibus, armis.

      422 : mores : unifier les mores est une mission de Rome ; Symmaque y faillit, déclarant : suus est mos cuique genti, | per quod iter properans eat ad tam grande profundum (c. Symm. 2, 89-90). obseruantiam : l'observation de coutumes ou le respect de lois (Val. Max. 2, 6, 7 ; Dig. 1, 2, 2) ; cf. Rvfin. hist. 1, 4, 5 religionis cultus et obseruantia ; Ambr. epist. 57, 6.

      423 : linguasque : liée à l'ingenium, la langue qualifie une civilisation : l'Égypte païenne est aussi barbara linguis (apoth. 194). L'unité linguistique (v. 427 idem loquuntur dissoni) est celle de la partie occidentale de l'Empire, où le latin aide à la diffusion de l'Évangile (perist. 13, 4. 102-104). ingenia et sacra : cf. c. Symm. 1, 574-575 uix pauca inuenies gentilibus obsita nugis | ingenia obtritos ægre retinentia cultus. Sacra désigne le culte païen (v. 475 ; perist. 3, 73 ; 5, 106 ; 10, 155. 166. 200. 579. 1059), parfois aussi le culte chrétien (vv. 71. 436 ; perist. 10, 176 ; 12, 63).

      424 : unis... legibus : à cet universalisme s'oppose le particularisme de Symmaque (cf. v. 422 ; c. Symm. 2, 69-71 nil dulcius esse | affirmat solitis, populosque hominesque teneri | lege sua). domares : la domination (-> v. 12) de Rome correspond sur le plan religieux à l'évan-gélisation (perist. 4, 47 ; c. Symm. 1 præf. 2) ; de même avec mansuescere -> v. 439-440. legibus : l'importance des leges, même profanes, est citée dans la diatribe contre l'or (v. 200). La loi, que Prudence fit appliquer (præf. 16-17), est le signe et le moyen de la domination romaine sur les peuples conquis (c. Symm. 1, 455. 462) ; cf. perist. 10, 419-420.

      
425-428 " En omne sub regnum Remi
mortale concessit genus,
idem loquuntur dissoni
ritus, id ipsum sentiunt.
" Voici que tout le genre des mortels s'est rangé sous la royauté de Rémus : les usages discordants parlent le même langage, ils ont la même sensibilité.

      425-426 : cf. vv. 419-420 mundum Quirinali togæ | seruire et armis cedere ; c. Symm. 1, 35-36 contigit ecce hominum generi gentique togatæ | dux sapiens ; Rvt. Nam. 1, 66 Vrbem fecisti quod prius orbis erat.

      425 : en : -> v. 293. regnum Remi : allitérant (cf. Catvll. 58, 5 Remi nepotes ; Prop. 4, 6, 80 ; Mart. 10, 76, 4) ; cf. c. Symm. 1, 946 Remi populo. Le patronage de Rémus, mort lors de la fondation de la ville (Liv. 1, 7, 1-3), peut suggérer le caractère transitoire de l'Empire païen, avant une conversion qui rend Rome éternelle (c. Symm. 1, 587-590). Sur Romulus, -> v. 443.

      426 : mortale... genus : cf. c. Symm. 2, 883 ; apoth. 993 ; -> v. 204. concessit : seul ex. chez Prudence de l'acception 'se ranger à' ; cum- peut exprimer l'idée de mouvement collectif.

      427-428 : la mission providentielle de Rome tend à réparer le fléau infligé à l'humanité suite à l'érection de la tour de Babel (V.T. gen. 11, 6-9). idem... id ipsum : même sens donné à idem et à ipse ; fréquente chez les auteurs chrétiens, cette confusion pourrait provenir de l'influence du grec autoV, ambivalent (cf. Lavarenne §§ 474. 476) ; cf. perist. 5, 481 ; cath. 9, 11. Is ipse prend le sens classique de 'lui-même' aux vv. 117. 395. loquuntur... sentiunt : l'ordre des termes suggère que le langage forge les mentalités (-> v. 423). Sentire indique une conviction relevant presque de l'évidence (v. 513 ; perist. 1, 15 ; 3, 99 ; 5, 85. 102. 567 ; 13, 14). dissoni ritus : ritus est soit un acc. de relation (dépendant de dissoni substantivé), soit un nomin. (dis-soni épithète ; dans ce cas, métonymie). Ritus évoque les usages religieux (-> v. 4), mais peut avoir le sens général de mores (ham. 455-456 natali... ritu, | moribus et patriis ; c. Symm. 1, 457).

      
429-432 " Hoc destinatum, quo magis
ius Christiani nominis,
quodcumque terrarum iacet,
uno illigaret uinculo.
" Cela fut résolu pour que la juridiction du nom chrétien assemblât mieux, d'un lien unique, toute l'étendue de la terre.

      429-432 : l'unification civile de l'Empire (c. Symm. 2, 608-609 ius fecit commune pares, et nomine eodem | nexuit, et domitos fraterna in uincla redegit) prépare l'unité religieuse (c. Symm. 2, 623-625).

      429 : destinatum : tour impersonnel (l'agent implicite est le Christ) avec est sous-entendu. quo magis : quo final (-> v. 127) ; le complément uno... uinculo s'accorde mal avec magis (artius ou melius, p.ex., iraient mieux), dont la valeur faible est analogue à celle de minus dans quominus.

      430 : ius : ici, une organisation et une juridiction sacrées. Christiani nominis : de même, perist. 5, 377 ; 10, 443 ; cf. c. Symm. 2, 551 Romanum nomen ; Tert. test. anim. 6. Le pouvoir unificateur du christianisme provient du nomen unicum (-> v. 413). Sur Christianus, -> v. 59.

      431 : quodcumque terrarum : même tour au v. 513 quidquid Quiritum (->). On a aussi le plur. de terra dans le sens de 'terre', 'monde' en perist. 1, 3. 11. 19 ; 10, 253 ; 13, 15. 100.

      432 : uinculo : avec un sens positif, ce nom désigne le lien du uinculum caritatis (cf. N.T. Col. 3, 14 caritatem, quod est uinculum perfectionis) qui trouve sa source au sein de la Trinité (cf. ham. 348-349 quippe unum natura facit, quæ constat utrique | una uoluntatis, iuris, uirtutis, amoris).

      433-456 : ayant évoqué le plan providentiel qui règle l'histoire de Rome et de l'humanité, le martyr formule sa prière, dont l'objet (la conversion des Romains) parachève ce plan.

      
433-436 " Da, Christe, Romanis tuis,
sit Christiana ut ciuitas,
per quam dedisti, ut ceteris
mens una sacrorum foret !
" Donne, ô Christ, à tes chers Romains, que soit chrétienne leur cité, par l'entremise de laquelle tu as donné à toutes les autres qu'il y ait une conception unique des choses sacrées !

      433-436 : parallélisme entre 2 formes de dare ut. La demande du martyr constitue le noyau de sa prière, qui sera pleinement exaucée du temps de Prudence avec la conversion de l'aristocratie sénatoriale (cf. c. Symm. 2, 441-444. 655-665. 1114-1132) et commence à l'être au moment même de la mort du martyr (cf. vv. 489-496. 513-528), dont le rôle est décisif.

      433 : Christe : -> v. 413. Romanis tuis : le possessif montre un rapport d'affection et presque de familiarité ; les Romains (seule ex. dans le recueil de l'adj. substantivé Romanus, repris par Quirites, v. 563) ont la même faveur auprès du martyr (v. 570 tuosque alumnos urbicos).

      434 : Christiana : reprise de Christe (v. préc.) par l'adj. dérivé ; on avait déjà ius Christiani nominis au v. 430 (-> v. 59). ciuitas : les citoyens d'une ville (cf. perist. 4, 198).

      435 : per quam : Rome est instrument de la Providence ; cf. de même v. 579 per patronas martyras. ceteris : à la ciuitas de Rome sont opposées toutes les autres, qu'elle avait unies.

      436 : mens... sacrorum : la mentalité ou le sentiment religieux ; sacrorum est très général (-> v. 423) et per quam (v. préc.) peut désigner aussi bien une médiation qu'une action directe ; ici, il s'agit plutôt de la contribution indirecte de Rome à la christianisation qu'une unification religieuse préalable dans un monothéisme vague (apoth. 186-216) voire dans le culte impérial. mens una : de même, Verg. Æn. 10, 182 ; Ov. epist. 19, 126 ; Lact. mort. pers. 8, 1 ; Ambr. hex. 5, 21, 68. 71. Cf. c. Symm. 2, 591-592 nec enim fit copula Christo | digna, nisi implicitas societ mens unica gentes ; il n'y a pas lieu de voir ici une allusion à la doctrine stoïcienne de l'âme du monde (l'idée d'unification marque l'ensemble des vv. 421-444).

      
437-440 " Confoederantur omnia
hinc inde membra in symbolum,
mansuescit orbis subditus :
mansuescat et summum caput !
" Toutes les parties [de l'univers], de ci, de là, se fédèrent en un symbole de la foi, le monde assujetti s'adoucit : que sa haute capitale, elle aussi, s'adoucisse !

      437 : le christianisme apporte l'unité parmi les hommes (-> 11, 199-202), voire avec les anges (-> 5, 373-374). confoederantur : cf. Leo M. serm. 82, 2 ut multa regna uno confoederentur imperio (confoederare n'est attesté que chez les auteurs chrétiens) ; cf. v. 442 coire in unam gratiam.

      437-438 : omnia... membra : reprise des vv. 425-426 omne... mortale... genus. L'union des membra (-> v. 209) en un corps, image paulinienne : cf. N.T. Rom. 12, 4-5 ; I Cor. 12, 12-27.

      438 : hinc inde : -> 11, 163 ; même début de vers, v. 358 et perist. 5, 374. symbolum : désignation courante du Symbole des Apôtres (objet p.ex. de l'Explanatio Symboli de s. Ambroise et des sermons 212-214 de s. Augustin), qui tend à être supplanté par celui de Nicée-Constantinople, arrêté en 381. Jeu étymologique (sumbolon, 'signe de reconnaissance', c'est-à-dire objet brisé dont on rapproche les moitiés), avec confoederantur omnia | hinc inde membra.

      439-440 : mansuescit... mansuescat : anaphore et polyptote. Cf. Verg. Æn. 1, 291 aspera tum positis mitescent sæcula bellis. Prudence fait une analogie entre romanisation du monde et christianisation des païens : à la barbarie païenne (c. Symm. 1 præf. 4-5) fait place la douceur chrétienne (apoth. 426-432) ; probable reprise de c. Symm. 1, 455-457 te, quæ domitis leges (cf. v. 424 unis domares legibus) ac iura dedisti | gentibus, instituens magnus qua tenditur orbis | armorum morumque feros mansuescere ritus (cf. v. 428 ritus). Il y a un renversement dialectique : civilisatrice du monde, Rome se fait dépasser par l'orbis et doit le rejoindre ; anti-Babel (vv. 423. 427-428), Rome devient une sorte de Jérusalem - Prudence transpose l'idée de la conversion finale des Juifs, parachèvement de la Nouvelle Alliance (N.T. Rom. 11, 25-26 quia cæcitas ex parte contigit in Israhel, donec plenitudo gentium intraret, et sic omnis Israhel saluus fieret ; cf. apoth. 421-488).

      439 : Rome apporte la civilisation aux peuples : cf. Hor. carm. 1, 12, 53-57 ; Verg. Æn. 1, 263-264 bellum ingens geret Italia populosque feroces | contundet moresque uiris et moenia ponet ; Prop. 4, 4, 11 ; Ov. met. 15, 833. 877. mansuescit : de même, perist. 5, 435. orbis subditus : Rome s'est soumis le monde (vv. 419-420. 425-426) et se soumettra à Dieu (c. Symm. 2, 441-442 subdita Christo | seruit Roma Deo cultus exosa priores). La vraie domination sur le monde est p.ex. celle de ste Agnès (perist. 14, 94 miratur orbem sub pedibus situm). Sur orbis, -> v. 106.

      440 : summum caput : cf. perist. 10, 167 Roma sæculi summum caput. Le titre caput orbis (c. Symm. 1, 496 ; 2, 662 ; cf. Liv. 1, 16, 7 ; Ov. am. 1, 15, 26) est partagé avec Bethléem (ditt. 101).

      
441-444 " Aduertat abiunctas plagas
coire in unam gratiam,
fiat fidelis Romulus
et ipse iam credat Numa.
" Qu'elle remarque que les contrées éloignées se rencontrent dans une même et unique grâce, que Romulus devienne fidèle et que Numa lui-même croie désormais !

      441-444 : la conversion des derniers païens permettra l'unité spirituelle de l'Empire - idée reprise à propos du Sénat, en c. Symm. 1, 591-607. S. Augustin l'espère encore après 410 (ciu. 2, 29), Orose la croit acquise en 417 (5, 1, 14-16 ubique patria, ubique lex et religio mea ; 5, 2, 1-3).

      441 : plagas : cf. c. Symm. 2, 613-614 distantes regione plagæ diuisaque ponto | litora conueniunt.

      442 : unam gratiam : encore plus que le Symbole (v. 438), la grâce unit par la parti-cipation à l'amour divin (-> v. 432). Cf. vv. 424 unis... legibus ; 432 uno... uinculo ; 436 mens una.

      443 : fidèle à sa parole jusqu'à tuer son frère, Romulus (cf. perist. 10, 413. 611) n'est pas fidus (cf. v. 457-458 obsides | fidissimos, à propos des Apôtres) ni fidelis (adj. se rapportant souvent aux chrétiens, -> 5, 334). Cf. aussi les adj. Romulus (vv. 310. 412) et Quirinalis (v. 419 ; ->).

      443-444 : Romulus... Numa : les 2 premiers rois de Rome désignent par métonymie le peuple romain, avec peut-être les plans militaire (Romulus) et religieux (Numa) ; la distinction faite par Lavarenne entre Romulus (= Rome) et Numa (= les Romains) est erronée.

      444 : cf. c. Symm. 2, 3 nostro Romam iam credere Christo. Ici, ipse et iam soulignent l'ironie et le paradoxe voulant que le roi qui fonda la religion romaine (Liv. 1, 18-21) se mette enfin à croire. iam : 1er d'une série de iam ponctuant la prière, dont l'efficacité sera immédiate (vv. 457. 459. 468), cet adv. marque le point de départ d'un mouvement de conversion (cf. v. 497-498 refrixit ex illo die | cultus deorum turpium). credat : intransitif, au sens d''avoir la vraie Foi' ; cf. perist. 10, 470 spondet salutem perpetem credentibus ; 13, 27 implet amore sui, dat credere. Numa : nom presque synonyme de 'païen' (apoth. 215 ; c. Symm. 2, 47) et de 'romain' (c. Symm. 1, 103 ; 2, 543) ; ce roi (mentionné aussi au v. 514) ayant été divinisé (cf. c. Symm. 1, 193), l'expression, ironique et imagée, n'est pas forcément une pure antonomase.

      445-452 : les paroles du martyr trouvent tout leur sens du temps de Prudence (-> v. 65-72), où un paganisme réactionnaire (cf. l'archaïsme des ex. cités) perdure dans le milieu sénatorial.

      
445-448 " Confundit error Troicus
adhuc Catonum curiam,
ueneratus occultis focis
Phrygum penates exsules.
" L'erreur troyenne trouble encore aujour-d'hui la curie des Catons, avec sa vénération, par des feux cachés, des Pénates exilés des Phrygiens.

      445 : confundit : la confusio, absence d'ordre et d'unité, est caractéristique du siècle (cath. 2, 2) et du paganisme (ici ; psych. 760-763 ; c. Symm. 2, 889-891) ou de l'hérésie (ham. 57). error Troicus : jeu de mots sur les errances (-> 5, 80) d'Énée et l'erreur du paganisme (cf. perist. 1, 95 ; 10, 271. 373. 461 ; c. Symm., passim) amené de Troie à Rome ; -> v. 456. Une polémique implicite contre Constantinople est également possible (cf. Introd. § 138 et n. 78).

      446 : adhuc : cet adv., opposé à iam (-> v. 444), souligne l'archaïsme et la caducité du paganisme. Catonum curiam : les sénateurs (c. Symm. 1, 545 conciliumque senum ... Catonum ; 550 [ruit] ad apostolicos Euandria curia fontes). Par antonomase de Voss, 'Caton' désigne tout homme intègre (Cic. fam. 15, 6, 1 ; Mart. 11, 39, 15) ; allusion discrète à l'affaire de l'autel de la Victoire (cf. Contre Symmaque) et contraste avec la curie éternelle (v. 555).

      447 : ueneratus : part. passé avec le sens du prés. (cf. Lavarenne § 699) ; verbe utilisé à propos du culte païen (ici) et de celui rendu à Dieu (p.ex. c. Symm. 2, 841) ou aux martyrs (-> 5, 562). occultis focis : le feu perpétuel de Vesta sera abandonné (v. 511-512). Occultis, dépréciatif comme exsules (v. suiv.), répond év. à l'accusation de cacher de l'or (cf. v. 81-82).

      448 : Phrygum : les Troyens (c. Symm. 2, 497). penates exsules : quasi oxymore, l'exil équivalant à l'éloignement des pénates (c. Symm. 2, 735 senex laris exsul auiti). Cf. Verg. Æn. 1, 68 Ilium in Italiam portans uictosque Penates (scholié par Avg. serm. 81, 9 id est, deos uictos portans secum in Italiam. iam quando dii in Italiam uicti portabantur, numen erat, an omen ?). Les Pénates du peuple romain sont les pignera imperii (-> v. 511-512), avec le palladium, apporté par Énée (ramené à Constantinople : Procop. hist. bell. 5, 15, 9-14) et le feu de Vesta (c. Symm. 2, 972).

      
449-452 " Ianum bifrontem et Sterculum
colit senatus ; horreo
tot monstra patrum dicere
et festa Saturni senis.
" C'est Janus aux deux fronts, et Ster-culus que le Sénat honore d'un culte ; je frémis à l'idée de nommer tant de monstres des Pères et les fêtes du vieux Saturne.

      449-452 : le paganisme archaïque est monstrueux (Ianum bifrontem ; monstra), grotesque (Sterculum) ou immoral (festa Saturni senis ; cf. v. 465-466 adulter Iuppiter, | stupro sororis oblite). Cf. l'explication evhémériste de c. Symm. 1, 232-234 : adsistunt etiam priscorum insignia regum : | Tros, Italus, Ianusque bifrons, genitorque Sabinus, | Saturnusque senex, maculoso et corpore Picus.

      449 Ianum bifrontem : de même, Verg. Æn. 7, 180 ; 12, 198. Comme les Saturnales (v. 452), les fêtes de Janus sont critiquées (c. Symm. 1, 237-240). Sterculum : Sterculus (Tert. apol. 25 ; ad nat. 2, 9, 20) ou Stercutus (Plin. nat. 17, 50 ; Macrob. sat. 1, 7, 25), ici un dieu, ailleurs, surnom de Saturne (v. 452), inventeur de la fumure des terres (cf. stercus, 'fumier').

      450 : colit : verbe utilisé aussi bien dans des contextes aussi bien païens que chrétiens (-> 11, 231), comme uenerari (v. 447). senatus : les sénateurs, mentionnés aussi aux vv. 446 Catonum curiam ; 451 patrum ; 490 quidam patres ; 517 ipsa et senatus lumina ; 524 clarissimorum.

      450-451 : horreo... dicere : cf. Verg. Æn. 2, 204 horresco referens ; situation inverse de celle du poète (v. 33-36 qua uoce, quantis laudibus | celebrabo mortis ordinem, | quo passionem carmine | digne retexens concinam ?). La répulsion du martyr est instinctive, comme celle des païens pour l'odeur du bûcher (v. 390-391 adficit | horrore nares uindice). Dicere signifie 'nommer' (perist. 11, 86), ce qui est dangereux face à un démon - sauf pour le chasser, par un autre nom (cf. v. 465-472).

      451 : tot : les dieux païens sont innombrables, cf. perist. 10, 177-178 : ut... adorem feminas mille atque mares, | deas deosque ; apoth. 453 ter centum milia diuum. monstra : cf. v. 7 monstruosis idolis ; perist. 1, 69 ; 10, 241. Virgile appelle ainsi les seuls dieux égyptiens (Æn. 8, 699 omni-genumque deum monstra), distinction que refuse Prudence (-> v. 382). patrum : ambivalent, les Romains du passé (c. Symm. 1, 197-198 patrum | uana superstitio) ou les sénateurs (patres conscripti ; -> v. préc.), champions de ce passé. Rome et Bethléem se partagent le titre caput orbis (-> v. 440), et patres désigne des 'pères' romains (ici) ou bibliques (p.ex. perist. 3, 51).

      452 : périphrase (cf. v. 450-451 horreo... dicere !) évitant la reproduction du cri io Saturnalia (cf. Mart. 5, 84, 11 ; Petron. 58, 2) des Saturnales (cf. c. Symm. 2, 859). Festa désigne des fêtes païennes (ici ; c. Symm. 1, 215. 240. 499) ou celles des martyrs (-> 12, 58). Saturni senis : de même, c. Symm. 1, 234. 627 ; senex (ici epitheton ornans) évoque la caducité du paganisme.

      
453-456 " Absterge, Christe, hoc dedecus,
emitte Gabriel tuum,
agnoscat ut uerum Deum
errans Iuli cæcitas !
" Efface, ô Christ, cette ignominie, envoie ton ange Gabriel, afin que reconnaisse le vrai Dieu l'errance aveugle de Iule !

      453-454 : absterge... emitte : impératifs en asyndète (-> v. 353-354).

      453 : Christe : -> v. 413. dedecus : caractère honteux du paganisme, -> v. 449-452.

      454 : emitte : cf. apoth. 585 ; ham. 731 (anges). L'archange n'est pas envoyé pour se battre (même si emittere a une connotation guerrière : cf. Cæs. Gall. 5, 51, 5), mais pour porter un message (office habituel de Gabriel ; Michel est l'archange guerrier). Gabriel tuum : Gabriel se tient, disponible (cf. tuum), auprès du trône divin (cf. apoth. 585 ; ditt. 97-98).

      455 : cf. V.T. Iudith 9, 19 ut omnes gentes agnoscant quia tu es Deus. agnoscat : un des enjeux de la passion est la reconnaissance par Rome du vrai Dieu (cf. Introd. § 121) ; cf. perist. 10, 341 ; c. Symm. 1 præf. 6 Deo... agnito ; 1, 464 agnoscas, regina, libens mea signa necesse est. Il y a év. ici une allusion aux paroles du préfet (v. 95-96) en Cæsar agnoscit suum | nomisma nummis inditum ; à cette attitude orgueilleuse s'oppose celle du poète (v. 577) indignus, agnosco et scio. uerum Deum : cf. perist. 5, 39 qui solus ac uerus Deus (->). Alors que le vrai Dieu est invisible, les païens, obnubilés par les sens (v. 377-392) se lient à des dieux visibles et illusoires ; -> v. 510.

      456 : errans... cæcitas : même motif, vv. 231-232. 445 (->) ; perist. 11, 111 ; cath. 2, 93-96 ; psych. 482-485. 569-570. Sur cæcitas, -> v. 377 impiorum cæcitas ; le jeu sur les 2 sens d'errare est le même qu'avec error, v. 445 (->). Iuli : après Remus (v. 425), Romulus (v. 443) et Numa (v. 444), autre métonymie désignant le peuple romain. Iule (ou Ascagne) est le fils d'Enée, ancêtre éponyme de la gens Iulia qui fut celle de César et d'Octave-Auguste (cf. c. Symm. 2, 533).

      457-472 : le martyr chasse Jupiter par la vertu du nom de sts Pierre et Paul, garants de l'ordre providentiel qu'il a évoqué (cf. Shanzer 1986). Ils sont aussi invoqués par s. Hippolyte comme garants de l'unité contre les schismes (perist. 11, 32) ; cf. Introd. § 145 et n. 94.

      457-464 : comme dans sa prière au Christ, le martyr énonce d'abord des faits à l'appui de sa demande. Les noms des Apôtres ne sont pas encore cités, par jeu poétique (explicitation pro-gressive) et par référence à l'exorcisme (utilisation du nom au moment solennel, v. 469-470).

      
457-460 " Et iam tenemus obsides
fidissimos huius spei,
hic nempe iam regnant duo
apostolorum principes ;
" Et déjà, nous possédons des garants très fidèles de cette espérance, car ici désormais règnent les deux Princes des Apôtres ; ...

      457-460 : parallèle implicite entre les fondateurs de la Rome chrétienne, frères selon l'esprit, et Romulus et Rémus (nommés, vv. 443 et 425), dont l'un tue l'autre lors de la fondation de Rome ; cf. c. Symm. præf. 1 ; Leo M. serm. 82, 1 (cf. Buchheit 1971, p. 477-478).

      457 : et iam : et prend une valeur adversative, le martyr semblant revenir sur sa demande d'envoi de l'archange Gabriel : Rome bénéficie déjà (iam, ici et v. 459 ; -> v. 444) du patronage de deux illustres martyrs. tenemus : le martyr s'exprime au nom des Romains. Tenere a aussi un sens funéraire (il est question de reliques ; cf. perist. 1, 5 ; 11, 152 ; 12, 31). Symétriquement, le martyr 'tient' sa cité en son pouvoir (perist. 4, 175) ; c'est aussi le Christ qui 'tient' les saints (v. 124 pretiosa quæ Christus tenet) en même temps qu'ils 'tiennent' le Royaume des cieux (perist. 13, 99). obsides : terme proche de sponsor (v. 139-140), évoquant la fonction des pignera imperii (-> v. 511-512). Les Apôtres, n'étant pas natifs de Rome (même si s. Paul en avait le droit de cité), se trouvent dans la situation d'ambassadeurs ou d'otages (thème évoqué chez Damas. carm. 20) ; de même, à propos des restes de s. Pierre, c. Symm. 1, 583-584 Vaticano tumulum sub monte frequentat, | quo cinis ille latet genitoris amabilis obses.

      458 : fidissimos : épithète répondant à l'adj. fidelis au v. 443 fiat fidelis Romulus (->). huius spei : c'est-à-dire la conversion de Rome (demande répétée, cf. vv. 434. 443-444. 455-456).

      459 : regnant : c'est par délégation que les Apôtres ont une royauté à Rome. Il n'est plus question du pouvoir civil exercé par le préfet (v. 261 qui Romam regis), vaincu dans son dernier défi (v. 401-408) ; la lutte du martyr prend une tout autre dimension, il va exorciser Rome.

      459-460 : duo... principes : le partage de l'autorité entre 2 personnes, traditionnel (p.ex. consulat), prend du temps de Prudence la forme de la division de l'Empire entre Honorius et Arcadius. Cette dualité dans l'union et la concorde, qui structure perist. 12, contraste avec celle de Romulus et de Rémus.

      460 : apostolorum : ce nom seul désigne sts Pierre et Paul dans le titre de perist. 12 et en præf. 42, ainsi que probablement aux vv. 519-520 apostolorum... limina. Sans faire partie des Douze, s. Paul porte ce titre d'Apôtre ('envoyé', 'missionnaire'), qu'il se donne en tête de toutes ses Épîtres, sauf Philip. ; I et II Thess. ; Philem. principes : désignation des empereurs (vv. 311. 473 ; -> 13, 35) appliquée aux membres les plus éminents du collège apostolique ; sens encore plus général au v. 233 quemuis tuorum principum.

      
461-464 " alter uocator gentium ;
alter cathedram possidens
primam, recludit creditas
æternitatis ianuas.
" ... l'un est celui qui appelle les gentils ; l'autre, qui occupe la première chaire, ouvre les portes de l'éternité qui lui ont été confiées.

      461 : uocator gentium : cf. perist. 12, 24 gentium magistrum (->) ; N.T. II Tim. 1, 11 positus sum ego prædicator et apostolus et magister gentium ; même sens de uocator chez Ambr. in Luc. 3, 33.

      462-463 : cathedram... primam : la primauté du siège romain continue celle de son 1er détenteur, chef des Douze (cf. c. Symm. 2 præf. 2 summus discipulus Dei) et reflète celle de Rome, tête de l'Empire. La cathedra Petri (cf. perist, 11, 32 ; -> 13, 33-34) est l'objet d'une fête liturgique (cf. Pietri 1976, p. 381-389).

      462 : possidens : même forme à la fin du v. 119 Augustus arcem possidens.

      463 : primam : leçon des mss ACDTVNMO, relative à la primauté du siège épiscopal romain (cathedram), préférable à celle de PESU (primus ; référence historique au fait que Pierre a été le 1er détenteur de ce siège ; cf. Avson. rhop. 32 dans claues superas cathedrali inchoatori).

      463-464 : recludit creditas æternitatis ianuas : s. Pierre est celui qui ouvre les portes du Ciel (N.T. Matth. 16, 18-19), pouvoir des clefs qui lui est délégué par le Christ (-> 14, 81-82) et dont celui de l'archidiacre Laurent, qui ouvre l'église (cf. v. 175 patentes ; ici recludit), est comme l'image (v. 42-43 cælestis arcanum domus | fidis gubernans clauibus). On peut aussi voir une analogie avec le rite païen de l'ouverture des portes du temple de Janus (cf. v. 449) au début d'une guerre ; la lutte de s. Laurent aboutira à la fermeture des portes de l'Enfer, celles de tous les temples païens (cf. v. 477-480), dans un exorcisme.

      463 : creditas : même participe à la fin du v. 561, à propos du pouvoir confié à s. Laurent en gloire ; c'est en lien avec ce mandat que s. Pierre est dit fidissimus (v. 458).

      465-472 : la décision de mettre fin à l'emprise de Jupiter à Rome est attribuée au Sénat en c. Symm. 1, 608-610. Laurent agit en diacre exorciste et en nouvel Auguste, consul perpétuel (v. 560) et princeps d'un Sénat dont des membres lui rendront les honneurs funèbres (v. 489-496).

      
465-468 " Discede, adulter Iuppiter,
stupro sororis oblite,
relinque Romam liberam,
plebemque iam Christi fuge !
" Écarte-toi, Jupiter adultère, sali du stupre avec ta soeur, abandonne une Rome libérée, fuis loin du peuple qui désormais appartient au Christ !

      465-468 : discede... relinque... fuge : triple ordre, matière de l'exorcisme ; quatrain ouvert et clos sur un impératif, tout comme dans l'exorcisme d'apoth. 406-411 : fuge, callide serpens... Christus iubet, exi !

      465 : discede : même impér. dans l'adjuration au démon de cath. 6, 141-148. adulter : référence non aux infidélités de Jupiter (perist. 10, 201-205 ; c. Symm. 1, 59-78), mais à ses rapports conjugaux incestueux (sens d'adulter p.ex. chez Cic. Sest. 39), Junon étant comme lui fille de Saturne. Iuppiter : le 1er des dieux est le démon infestant la 1ère des cités (-> 13, 93).

      466 : l'insulte et l'invective font partie de l'exorcisme ; cf. apoth. 406 callide serpens ; 408 fur corruptissime ; 411 uentose liquor. stupro... oblite : la souillure caractérise les dieux païens (perist. 10, 180 tot stuprorum sordidam prosapiam ; 221 stuprator [Jupiter]) ; leurs sectateurs sont à leur image, cf. v. 248 dum spurca mendicat stupra. Oblitus montre que l'empreinte de ce péché est durable (cf. v. 378).

      467 : hysteron-proteron, l'objet de relinque exprime le résultat de l'action (cf. liberam). relinque : cf. perist. 1, 108 prædo uexatus relictis se medullis exuit (un exorcisé). Romam liberam : même idée, négativement, aux vv. 475-476 (cf. aussi v. 9-12). Cf. les 2 prosopoppées de Roma opposées du Contre Symmaque : dans celle de Symmaque, la liberté de Rome est pure indétermination (c. Symm. 2, 83 libera sum, liceat proprio mihi uiuere more) ; dans celle que Prudence adresse à Honorius, la liberté est le fruit d'une lutte (c. Symm. 2, 729-730 inmunis tanti belli, ac te stante sub armis | libera ; ici, cf. v. 491 mira libertas uiri) ; même doctrine dans une comparaison entre chevaux domestiques et sauvages (-> 11, 94). Romam est à la même place du v. 476.

      468 : plebemque : plebs désigne souvent la communauté chrétienne (perist. 5, 84 plebem piorum ; 7, 22 sanctæ plebis ; 9, 30 ; 10, 43-44 ecclesiasten... plebem ; 98 fideli plebe ; 11, 27. 35), tout comme populus (-> 11, 5). iam : -> v. 444. Christi : gén. à valeur attributive ; la mention du Christ est plus insistante dans l'exorcisme d'apoth. 408-410. fuge : l'ordre qui conclut ce quatrain introduit un exorcisme en apoth. 406. Fugere désigne aussi la réaction du démon vaincu ou de ses instruments en perist. 1, 109 ; 3, 175 ; 5, 419 ; cath. 6, 134. Après sa fuite, Jupiter sera encore terrassé et écrasé par s. Laurent (cf. v. 505-508).

      
469-472 " Te Paulus hinc exterminat,
te sanguis exturbat Petri,
tibi id, quod ipse armaueras,
factum Neronis officit.
" Paul te bannit d'ici, le sang de Pierre t'en expulse : ce qui te fait obstacle, c'est le crime de Néron, que toi-même avais armé.

      469-470 : te... te : anaphore (prolongée avec tibi) soulignant le parallélisme (construction semblable en perist. 11, 32) ; comme dans les Psaumes, le second v., elliptique (hinc sous-entendu) comprend une uariatio et une précision (cf. sanguis), qui introduit ici les vv. 471-472.

      469 : Paulus : déjà cité avant Pierre au v. 461. hinc : Rome (v. 459 hic) et ses habitants (v. 468). exterminat : cf. N.T. Iac. 4, 15 quæ enim uita uestra ? uapor est ad modicum apparens ; deinceps exterminabitur ; or, Vulcain est assimilé au uapor du gril de s. Laurent (-> v. 356). Exterminare est repris au v. suivant par exturbat, dont le sens est plus fort. Cf. Shanzer 1986.

      470 : sanguis... Petri : le sang des martyrs, encore évoqué aux vv. 546-547, a une vertu toute particulière (-> v. 16) ; cf. perist. 12, 4 [dies] Pauli atque Petri nobilis cruore (-> 12, 8).

      471-472 : cf. v. 503-504 hostile sed ferrum retro | torquens in auctorem tulit. L'arme de la Foi est le martyre (v. 17-18 armata pugnauit Fides | proprii cruoris prodiga), conféré par les persécuteurs.

      471 : Jupiter lui-même (ipse) est à l'origine de la persécution de Néron (cf. c. Symm. 2, 666-672), comme de tous les crimes de Rome (c. Symm. 2, 679-683). Sur armare, -> 5, 262.

      472 : factum Neronis : les Apôtres sont morts lors de la 1ère persécution ordonnée par les Romains, celle de Néron (-> 12, 11) ; Lavarenne voit ici à tort une mention générale des persécutions. Factum équivaut ici et au v. 576 à facinus. officit : non pas une condamnation morale (Lavarenne), mais un obstacle quasi physique. Par sa vertu, le sang des martyrs chasse les démons : cf. perist. 4, 65-68 sacer immolatus | sanguis [martyrum] exclusit genus inuidorum | dæmonum et nigras pepulit tenebras | urbe piata.

      473-484 : Prudence espère et évoque ces mesures anti-païennes modérées en c. Symm. 1, 499-510 (en part. 501-502 marmora tabenti respergine tincta lauate, | o proceres ! liceat statuas consistere puras). Ici, leur prédiction (-> v. 21) rappelle celles que Virgile plaçait dans son Énéide en faveur du principat augustéen ; ces mesures furent prises le 29 janvier 399 par Honorius (empereur régnant, que Prudence évite de nommer ; cf. perist. 12, 47) : Cod. Theod. 16, 10, 15 sicut sacrificia prohibemus, ita uolumus publicorum operum ornamenta seruari (mesures complétant celles de Gratien, qui interdit de démolir les monuments anciens : Cod. Theod. 15, 1, 19). Contrairement à ce qu'avance Kah (1990, p. 221), Prudence ne rend pas ici hommage à Théodose (comme en c. Symm. 1, 9-21), même si son fils Honorius a confirmé ses mesures (fermeture des temples en 391 ; interdiction des cérémonies païennes en 392 : cf. Cod. Theod. 16, 10, 10 et 12).

      
473-476 " Video futurum principem
quandoque, qui seruus Dei
tætris sacrorum sordibus
seruire Romam non sinat,
" Je vois qu'un jour il y aura un prince qui, serviteur de Dieu, ne permettra pas que Rome soit l'esclave des abominables ordures des sacrifices, ...

      473 : uideo : le regard du martyr porte sur les réalités invisibles (-> v. 173) ; Prudence, qui voit Honorius de ses yeux, entrevoit le martyr glorieux (v. 557 uideor uidere). Alors que le pécheur est aveuglé (v. 232 cæca fraus nihil uidet ; cath. 6, 49-56), le martyr est un prophète (-> v. 21). futurum principem : objet direct de uideo (futurum épithète de principem) ou pro-position infinitive avec esse sous-entendu. principem : un empereur (cf. v. 311 ; -> 13, 35).

      474 : quandoque : la vision du martyr est vague quant à la date, mais précise quant aux faits ; d'autres prédictions indiquent le moment de leur réalisation (v. 28 post hoc... triduum ; perist. 12, 25 cito). seruus Dei : expression biblique (Dan. 6, 20 ; act. 16, 17), fréquente chez les auteurs chrétiens (Tert. pænit. 6, 15 ; Avg. in euang. Ioh. 10, 7) ; chez Prudence, seruus a toujours un sens religieux, chrétien (perist. 5, 59 ; 10, 840) ou païen (perist. 10, 101).

      475: tætris... sordibus : cf. perist. 14, 110-111 quod malorum tætrius omnium est, | gentilitatis sordida nubila. Sur sordes ou sordere, -> v. 263 ; cf. aussi v. 285 peccante nil est tætrius.

      475-476 : cf. v. 11 feritate capta gentium ; au contraire, vv. 7-8 monstruosis idolis | imponis imperii iugum ; 467 Romam liberam. sacrorum sordibus seruire : allitération en s- ; sur sacra, -> v. 423.

      476: seruire : cf. perist. 5, 23-24 [princeps] seruire sanxit omnia | priscus deorum cultibus. non sinat : cf. c. Symm. 1, 7-8 ne [Deus] sinat antiquo Romam squalere ueterno | neue togas procerum fumoque et sanguine tingui ; 2, 897-898 [dæmon] qui non sinat ire salutis | ad Dominum.

      
477-480 " qui templa claudat uectibus,
ualuas eburnas obstruat,
nefasta damnet limina
obdens aënos pessulos.
" ... qui fermera les temples en les ver-rouillant, murera leurs portes d'ivoire, condamnera leurs seuils néfastes, mettant devant des verrous d'airain.

      477 : templa : des temples païens (cf. v. 510), non des églises (vv. 164. 300). claudat uectibus : cf. perist. 5, 349-352 obseratis uectibus... specum... clausum ; Verg. Æn. 7, 609 centum ærei claudunt uectes. Ouvrir ou fermer une porte est un acte d'autorité attribué à l'archidiacre Laurent (v. 39-44), à s. Pierre (v. 462-464) et ici à Honorius fermant définitivement tous les temples païens (-> v. 473-484) - alors qu'Auguste le pacificateur n'avait rituellement fermé que le temple de Janus.

      478 : ualuas... obstruat : cf. Nep. Paus. 5, 2 ; comme damnet (v. suiv.), obstruere évoque une fermeture définitive (Cæs. ciu. 1, 27, 3). ualuas eburnas : l'ivoire, matériau précieux (epil. 19) dont est fait l'aigle des triomphateurs (perist. 10, 148), évoque le luxe des temples (perist. 5, 73-74). Ici, ce motif est surtout symbolique : chez Homère (Od. 19, 562-567), la porte des songes véridiques est de corne, celle des songes mensongers est d'ivoire, idée reprise par Horace (carm. 3, 27, 40-42) et par Virgile, avec en part. la mention d'une porta eburna (Æn. 6, 898) à la fin de la descente d'Énée aux enfers : Æn. 6, 895-896 altera candenti perfecta nitens elephanto, | sed falsa ad cælum mittunt insomnia Manes. Pour Prudence, le paganisme est un ensemble de songes trompeurs : perist. 10, 250 ; cath. 6, 137-138 ; c. Symm. 2, 45-47.

      479 : damnet limina : si limina est pris au sens concret de 'seuil' (les païens [cf. perist. 10, 201] comme les chrétiens [cf. v. 520] vénéraient, semble-t-il, le seuil de leurs sanctuaires) ou désigne la porte par synecdoque (Cic. nat. 2, 67 ; Hor. epist. 1, 18, 73), damnare signifie concrètement 'interdire l'accès' (apoth. 753 ; Fvlg. æt. mund. p. 176, 16 Iani belligeri limina perenni securus clausura damnauit). Limina peut aussi désigner l'ensemble d'un bâtiment (Liv. 34, 1 ; Verg. Æn. 7, 759), avec dans ce cas un jeu de mots sur damnare, qui indiquerait à la fois l'obstruction matérielle du temple et la condamnation légale de ce qui s'y déroulait (même double sens de damnare en apoth. 438).

      480 : obdens... pessulos : de même, Ter. Eun. 603 ; Haut. 278 ; il ne s'agit pas de la fermeture normale d'une porte mais de son obstruction permanente ; obdere reprend 3 autres verbes désignant cette action : claudat, obstruat et damnet. aënos pessulos : aënus évoque la solidité de l'airain (psych. 463), contrastant avec la fragilité de l'ivoire (v. 478). Comme uectis (v. 477), pessulus désigne un verrou, une barre, non une serrure (Lavarenne, à tort).

      
481-484 " Tunc pura ab omni sanguine
tandem nitebunt marmora,
stabunt et æra innoxia,
quæ nunc habentur idola. "
" Alors, purs de tout sang, brilleront enfin les marbres, se dresseront aussi les bronzes inoffensifs, qui maintenant sont traités comme des idoles. "

      481 : le sang des sacrifices païens est une souillure ; celui des martyrs, tribut aux démons (de la part des persécuteurs) est une offrande au Christ (de la part des martyrs) pura : cf. c. Symm. 5, 502 liceat statuas consistere puras. ab omni sanguine : il n'y a plus la moindre goutte de sang sur ces marbres ; omnis renforce une expression de sens négatif (pura ab ; -> 5, 121).

      482 : tandem : mêmes soulagement et impatience à propos de la gloire céleste des mendiants (v. 270-271 carne corruptissima | tandem soluti ac liberi), dont l'éclat futur (v. 272 lucebunt) est analogue à celui des marbres (nitebunt) - les deux se tiennent (vv. 179 stabant ; 483 stabunt) devant un templum (vv. 164. 477), reçoivent l'épithète innoxius (vv. 227. 483) et seront purifiés de la chair corrompue. nitebunt marmora : cf. c. Symm. 1, 501 marmora tabenti respergine tincta lauate ; cath. 2, 63-65 (à propos du baptême) quales remotis sordibus | nitere pridem iusseras | Iordane tinctos flumine. Le motif de l'éclat des marbres se retrouve à propos de sanctuaires païens (perist. 5, 73-74) et chrétiens (perist. 3, 191-192 ; 11, 185-186).

      483 : stabunt... innoxia : chassés par le sang des martyrs (-> v. 470), les démons ne peuvent plus être attirés par celui des sacrifices (sur cette antinomie, cf. perist. 10, 1006-1095) et n'habitent plus les idoles (-> 5, 71-72). Celles-ci, moyen d'une propagande trompeuse (cf. perist. 10, 267-305), étaient condamnables, malgré leur valeur esthétique (perist. 10, 266 ; c. Symm. 2, 64) - ce, avant la victoire du christianisme : Prudence n'est pas iconoclaste comme un Firmicus Maternus (err. rel. prof. 28, 6 ; -> 5, 67-76). stabunt æra : l'urgence n'existant plus, on peut laisser au temps faire son oeuvre : cf. c. Symm. 2, 751-753 membra statuis effingere uile est |... uile, quod ætas | eripit : æra cadunt.

      484 : le martyr tait la forme (mensongère) des idoles, ne citant que leur matière (vv. 482 marmora ; 483 æra) ; cf. perist. 10, 148-150 (l'aigle d'ivoire du triomphateur, morceau d'os taillé). Ce v. correspond au v. 7 (nunc... idolis ; ->). nunc : proche de adhuc (v. 446), cet adv. s'oppose à iam (-> v. 444) en évoquant le présent non comme point de départ, mais comme aboutissement de ce qui perdure. idola : les idoles sont caractérisées par la noirceur (perist. 10, 431 ; c. Symm. 1, 424 ; au contraire, cf. v. 481-482) ; elles sont la pierre d'achoppement entre les martyrs (perist. 13, 94 hostis idolorum) et les persécuteurs (perist. 5, 13 satelles idoli) ; cf. v. 7-8 et perist. 1, 42 ; 3, 74 ; 14, 13. Cf. aussi præf. 41 labem, Roma, tuis inferat idolis.

      
485-488 Hic finis orandi fuit
et finis idem uinculi
carnalis : erupit uolens
uocem secutus spiritus.
Telle fut la fin de sa prière et la fin aussi de son lien charnel : en volant s'échappa, suivant la voix, son esprit.

      485-488 : la conclusion du dernier discours du martyr est en même temps le moment de sa mort ; on trouve d'autres mentions de la séparation de l'âme et du corps en perist. 10, 1110 ; 11, 110 ; 12, 20 ; 13, 86 ; on a de brefs récits en perist. 3, 161-180 ; 5, 365-376 ; 6, 118-129 ; 7, 86-90 ; 9, 85-92 ; 14, 91-123.

      485-486 : hic finis... et finis idem : cf. perist. 10, 1096-1097 iam silebo, finis instat debitus, | finis malorum, passionis gloria (glissement sémantique) ; ici, finis est répété à la même place du v., avec des compléments au gén. (vv. 485 orandi ; 486-487 uinculi carnalis) ; autres jeux sur finis : perist. 5, 527 ; 10, 825. La vie et la prière du martyr prennent fin simultanément (cf. perist. 7, 86-87).

      485 : cf. Verg. Æn. 10, 116 hic finis fandi. orandi : jeu sur orare (-> 11, 178 ; de même, orator en perist. 5, 548), le discours étant adressé à Dieu, mais ne se limitant pas une demande.

      486-487 : uinculi carnalis : mêmes motifs platoniciens en perist. 5, 358 corporali ergastulo (->) ; 6, 72 ; 10, 1110 anima absoluta uinculis cælum petit ; 13, 63-64 eripe corporeo de carcere uinculisque mundi | hanc animam ; cath. 10, 21-22. Ces uincula correspondent à une réalité physique (cf. perist. 9, 86-88 ; 10, 888). Le corps n'est pas mauvais en soi, puisqu'il peut coopérer au salut (et qu'il ressuscitera : perist. 5, 569-576). Cette description de la mort est comme reflétée dans la prière des vv. 583-584 : seruientem corpori | absolue uinclis sæculi (->).

      487 : carnalis : cf. vv. 223-224. 269-270. erupit : de même, perist. 3, 161 emicat... repens ; 169-170 plaudit ouans | ... petit uolucer ; 14, 91-92 exutus... emicat | ... exsilit. uolens : le martyr semble avoir une emprise sur la mort (cf. v. 19 morte mortem diruit) et, au contraire de l'idée du préfet (cf. v. 333-335), agit jusque dans son agonie, la mort étant le terme du témoignage.

      488 : emploi imagé de sequi (avec léger zeugma sémantique) faisant se suivre dans le temps et dans l'espace les derniers mots du martyr et son âme ; cf. præf. 43-45 (cf. Gnilka 1987, p. 248-249). secutus : la liberté de l'âme consiste à suivre la voie choisie et désirée : en apparence les astres (perist. 3, 163 uisa... astra sequi), en réalité le Christ (perist. 10, 474 Christum secuta Patris intrat gloriam ; -> 14, 83). spiritus : siège des sentiments et de la volonté (v. 167 iudex auaro spiritu ; perist. 3, 32 ; 5, 240. 430 ; 9, 34) ou souffle vital (ici ; perist. 1, 96 ; 3, 164 ; 5, 368. 571 ; 7, 88 ; 10, 533. 729. 1081 ; 12, 20 ; 14, 91) ; de même, mens et animus.

      
489-492 Vexere corpus subditis
ceruicibus quidam patres,
quos mira libertas uiri
ambire Christum suaserat.
Son corps fut emporté sur la nuque de certains sénateurs, que l'admirable liberté de l'homme avait convaincus de briguer l'entourage du Christ.

      489-490 : les funérailles, début du culte au martyr (perist. 5, 390-392), ne sont mentionnées que lorsqu'elles ont un caractère exceptionnel (perist. 6, 130-141 ; 11, 135-152 ; 13, 96-98), avec parfois l'intervention des éléments naturels (perist. 3, 178-180 ; 5, 505-512).

      489 : uexere corpus : l'aristocrate est porté par un char luxueux (v. 238), le martyr l'est par des aristocrates : son triomphe, paradoxal, transcende ceux du monde.

      489-490 : l'Esprit agit sur la moelle des sénateurs (v. 493-494), mettant fin à leur orgueil (au contraire, perist. 11, 85 supinata... ceruice ; V.T. exod. 33, 3 populus duræ ceruicis), prêts à porter le joug du Christ (N.T. Matth. 11, 30) - image que suggère leur posture (perist. 11, 90 subdere colla iugo ; Prop. 2, 14, 11 ; Stat. Theb. 1, 175). Avec subditis en fin de v., correspondance avec mansuescit orbis subditus, v. 439 : le Sénat se soumet au Christ, comme le monde à Rome.

      490 : quidam patres : ces sénateurs étaient dans l'escorte décriée par le martyr (vv. 229-260. 277-288) ; rejetant ce qui leur était reproché (v. 496), ils seront suivis par la plèbe (v. 499).

      491 : mira libertas : cf. N.T. act. 4, 13 uidentes... Petri constantiam et Iohannis... admirabantur et cognoscebant eos quoniam cum Iesu fuerant. L'étonnement des sénateurs les amène à se convertir, celui du préfet l'avait endurci (v. 314-315) ; la liberté du martyr (N.T. Gal. 2, 4 libertatem nostram, quam habemus in Christo) rejoint des valeurs romaines (franchise de l'orateur : Cic. Brut. 173 ; Qvint. inst. 8, 6, 30) et stoïciennes (liberté intérieure du sage face à la douleur et à la mort). Osant honorer le martyr, les sénateurs jouissent de la libertas de la Rome exorcisée (v. 467). uiri : le martyr (vv. 37 [->]. 558), héros (heros, utilisé en perist. 10, 52) en qui se retrouvent les qualités du guerrier et du sage (cf. Svlp. Sev. Mart. 1, 3-5).

      492 : ambire : contrairement à l'ambition mondaine (v. 249), celle-ci prend un sens religieux (perist. 11, 200 ; c. Symm. 1, 556-557). Emploi analogue chez Tert. apol. 39, 2 et déjà chez Hor. carm. 1, 35, 5 ; il se peut qu'ambire prenne ici en outre un sens concret, les sénateurs entourant le martyr, figure christique. suaserat : cf. v. 86 suadendo... præstrigiis.

      
493-496 Repens medullas indoles
adflarat et coegerat
amore sublimis Dei
odisse nugas pristinas.
Le souffle d'un inclination soudaine avait pénétré dans leurs moelles et les avait forcés, par amour du Dieu sublime, à haïr leurs antiques niaiseries.

      493 : repens : -> 5, 348 ; valeur adverbiale (cf. perist. 3, 161). medullas : l'intimité de la personne (Hier. tract. in psalm. I p. 231, 21 ; Avg. in psalm. 65, 20), lieu des influences décisives, -> 13, 14.

      493-494 : medullas... adflarat : tour poétique avec l'acc. (cf. Lavarenne § 231-232) ; cf. v. 346 qui fusus adflatu leui (le souffle de Vulcain, extérieur, inopérant) : le souffle de l'Esprit (-> 13, 9) pénètre jusqu'à la moelle, agissant vigoureusement (v. 494 coegerat).

      494 : coegerat : la contrainte de l'Esprit, suscitant l'amour, unit (v. 144 cogens in unum et congregans) : ces 2 sens de cogere coexistent en perist. 4, 47-48 gentes domitas coegit | ad iuga Christi.

      495-496 : cf. c. Symm. 1, 513-514 erubuit, pudet exacti iam temporis, odit | præteritos foedis sub religionibus annos ; 523 inque fidem Christi pleno transfertur amore. L'amour divin rejaillit sur le prochain et devient haine de l'erreur. Cet amour a Dieu pour objet (gén. objectif sublimis Dei) et n'est pas médiat comme en perist. 3, 40 ; 6, 71 ; 10, 71. 388 ; 11, 192 ; 13, 75.

      496 : nugas pristinas : cf. c. Symm. 1, 10 pristinus error ; 433 ueteres nugas ; 574 gentilibus... nugis ; cath. 7, 98 ueteresque nugas. L'épithète pristinas (dépréciative, cf. cath. 5, 57 ; -> v. 1) porte moins sur le passé récent des sénateurs qu'elle n'indique l'antiquité du paganisme ; cf. c. Symm. 2, 274-276 (Symmaque) potior mihi pristinus est mos, | quam uia iustitiæ, pietas quam prodita cælo, | quamque fides ueri, rectæ quam regula sectæ.

      497-536 : délaissant les temples (v. 499), les Romains gagnent l'atrium (v. 515-516) et les limina (v. 519-520) de l'église puis, baptisés (v. 521-526), peuvent entrer dans l'ædes (v. 527-528) et y vénérer la tombe du martyr (v. 531-536) ; cette progression reflète les étapes de l'initiation chrétienne (-> 12, 31-44). Au centre du tableau sont évoquées dans un ordre progressif les hiérarchies sociale (vv. 513 Quiritum ; 517 senatus lumina ; 521-522 illustres domos | ... nobiles ; 523 clarissimorum) et sacerdotale païenne (vv. 518 luperci aut flamines ; 525 pontifex) ; cf. c. Symm. 1, 544-577 (cf. Evenpoel 1990) ; l'ensemble reçoit un double cadre : 1° abandon général des temples par la foule (v. 499-500) allant sur la tombe du martyr (v. 529-536 ; sur la suite, -> v. 529-584) ; 2° cas de Vesta abandonnée par ses prêtresses (vv. 511-512. 527-528).

      
497-500 Refrixit ex illo die
cultus deorum turpium :
plebs in sacellis rarior,
Christi ad tribunal curritur.
À partir de ce jour-là, le culte des dieux infâmes perdit de sa ferveur : le peuple se fait plus rare dans les sanctuaires, on accourt à la tribune du Christ.

      497 : refrixit : accomplissement ce que figurait le bûcher, dont les charbons, assimilés à Vulcain, tiédissaient (v. 345-346). ex illo die : le jour providentiel (-> v. 31) du martyre, début (-> v. 444) du mouvement de conversion qui parachève l'unification de l'humanité.

      498 : cf. perist. 5, 24 priscis deorum cultibus ; cf. v. 4. deorum turpium : le scandale et le ridicule des dieux (vv. 449-452. 465-466) rejaillit sur leur culte (perist. 10, 161 turpis pompa) et sur leurs sectateurs (perist. 10, 1034). Cf. c. Symm. 1, 567-568 ad Christi signacula uersas, | turpis ab idolii uasto emersisse profundo.

      499 : la persécution produit l'effet inverse de ce que décrit Plin. epist. 10, 97, 10 certe satis constat prope iam desolata templa coepisse celebrari et sacra sollemnia diu intermissa repeti, passimque uenire uictimarum carnem. plebs : cf. v. 468 plebemque iam Christi. sacellis : sacellum (péjoratif, cf. cath. 4, 21) désigne un sanctuaire païen (apoth. 500 ; c. Symm. 2, 41) de petites dimensions, ce qui rend rarior plus suggestif. rarior : cf. c. Symm. 1, 591-592 non moueor quod pars hominum rarissima clausos | non aperit sub luce oculos (les païens du temps de Prudence).

      500 : -> 11, 215 ; cf. v. 515 Christi frequentans atria. Christi ad tribunal : la cathedra épiscopale occupe dans les basiliques chrétiennes la place dévolue au juge (-> 11, 77) dans les basiliques civiles (-> 11, 225-226). S. Laurent quittait le Pape pour affronter le tribunal du préfet, les catéchumènes font le mouvement inverse. curritur : cette course enthousiaste (perist. 6, 18 ; 12, 2 ; 13, 83) évoque celle du martyr rassemblant les mendiants devant l'église (v. 141 cursitat).

      501-508 : s. Laurent victorieux du démon est comparable à l'archange Michel (N.T. apoc. 12, 7-9) ; cf. Introd. § 102 et n. 5. Même dimension apocalyptique en perist. 5, 544 ; 14, 112-118.

      
501-504 Sic dimicans Laurentius
non ense præcinxit latus,
hostile sed ferrum retro
torquens in auctorem tulit.
En menant un tel combat, Laurent ne ceignit pas son flanc d'une épée, mais, renvoyant le fer hostile, il le jeta contre son propriétaire.

      501 sic : introduit une explication métaphysique du lien entre la passion du martyr et la conversion des Romains. Laurentius : il n'y a pas ici une parenthèse purement allégorique (cf. vv. 17-20) : ce martyr lutte à la fois contre le préfet et contre Satan (cf. v. 505-508).

      502 : le martyr n'est pas muni des armes qu'avait le juge (cf. v. 13 non turbulentis uiribus). ense præcinxit : de même, Ov. trist. 2, 271. Præcingere désigne l'équipement nécessaire à l'action (cf. perist. 5, 14 ; V.T. psalm. 17, 33 Deus, qui præcinxit me uirtute) ; l'épée est souvent l'instrument des persécuteurs (-> 13, 47). latus : le flanc (ou plutôt le dos : cf. v. 398) du martyr a subi la brûlure du feu, mais a prouvé sa résistance à 'Vulcain' (cf. v. 401-404).

      503-504 : cf. apoth. 566 ausus in auctorem generis qui stringere ferrum, inspiré d'Avson. 283, 1-2.

      503 hostile... ferrum : cf. perist. 1, 27 hostico... ferro ; adj. au lieu du gén. de hostis (cf. c. Symm. 1, 653 ; -> v. 342) ; l'ennemi est moins le juge (armé de fer : -> 14, 36) que le démon.

      503-504 : ferrum... torquens : même expression chez Sen. epist. 82, 24.

      504 : auctorem : même emploi chez Ov. met. 12, 419 ; Stat. Theb. 9, 752 ; -> v. 416.

      
505-508 Dum dæmon inuictum Dei
testem lacessit proelio,
perfossus ipse concidit
et stratus æternum iacet.
En attaquant au combat le témoin invaincu de Dieu, le démon lui-même, transpercé, s'effondra et gît, terrassé, pour l'éternité.

      505 : dæmon : dernière syllabe abrégée (par rapport au grec daimwn), cf. perist. 10, 1058 ; c. Symm. 2, 889. Les dieux sont identifiés aux démons (-> 5, 78-92), implicitement au moins, au v. 263 dum dæmonum sordes colis. Sur le martyre, lutte contre le diable, cf. Dölger 1932.

      505-506: inuictum... testem lacessit : cf. perist. 5, 169-170 hunc, hunc lacesse, hunc discute | inuictum, inexsuperabilem (le martyr parlant de son âme). testem : équivalent non technique de martyr (cf. perist. 1, 21-22 ; 5, 11. 59 ; 8, 9 ; 10, 133) ; on a aussi Christi confessor en perist. 9, 55.

      506 : lacessit proelio : de même, Cæs. Gall. 4, 11, 6 ; Cic. orat. 1, 17, reprenant l'idée de provocation au combat, d'attaque exprimée par auctorem (v. 504). Cf. ham. 513 oppugnat sensus liquidos belloue lacessit. Proelium n'apparaît ailleurs dans le recueil qu'au v. 16 non incruento proelio.

      507 : perfossus : évoque un coup d'épée profond (cf. psych. 154. 597). ipse : le pronom souligne un fait surprenant (-> v. 444). concidit : cf. ham. præf. 18-19 sacro | cruore Christi, quo peremptor concidit. Il semble que concidit soit ici un parfait (temps utilisé avant et après ce passage à propos du martyre), non un prés. (employé pour la conversion des Romains).

      508 : stratus... iacet : de même, Qvint. inst. 6, 1, 34. Il y avait une ironie tragique dans l'ordre prunas tepentes sternite (v. 341 : étaler 'Vulcain' et donc en quelque sorte de le terrasser). æternum : neutre adverbial ; cf. Verg. Æn. 6, 617 ; 11, 97-98 ; cf. ham. 706 ; psych. 915. iacet : la fin du paganisme est irréversible, et la défaite du démon définitive : iacet résume les termes stratus et æternum (cf. perist. 11, 11 [->] ; 14, 59 ; ditt. 170 mors illi [= Christo] deuicta iacet).

      
509-512 Mors illa sancti martyris
mors uera templorum fuit,
tunc Vesta Palladios lares
impune sensit deseri.
Cette mort d'un saint martyr fut en réalité la mort des temples ; alors, Vesta remarqua que l'on désertait impunément les Lares de Pallas.

      509-510 : du fait de l'anaphore de mors, parallélisme assez strict entre le sujet (v. 509) et l'attribut (v. 510) ; on a un autre jeu sur le nom mors au v. 19 : morte mortem diruit (->).

      509 : sancti martyris : de même, perist. 10, 661 et titre de perist. 1 et 4.

      510 : uera : la métaphore de la mort des temples semble paradoxalement plus vraie que la mort (au sens propre) du martyr, constatable mais sans consistance (cf. v. 19). De même, le Dieu véritable est invisible, contrairement aux vaines idoles (v. 455) - et le feu divin est plus à craindre que celui que le préfet appelle Vulcain (-> v. 394). templorum : métonymie, le paganisme (cf. v. 499 sacellis ; -> v. 477).

      511-512 : l'abandon sinon du feu de Vesta, du moins, de la subvention officielle de ce culte, n'a pas entraîné la ruine de l'Empire dont il était censé garantir la pérennité, avec les autres pignera imperii, comme le palladium (Cic. Scaur. 47 ; Verg. Æn. 5, 744 ; -> v. 448), prototype de l'idole païenne (cf. Firm. Matern. err. 15, 1-5). Cf. c. Symm. 1, 195 sic Vesta est, sic Palladium, sic umbra penatum ; 2, 911-913. 966-967. 970-972.

      511 : tunc : le moment de la mort du martyr. Vesta Palladios : termes également as-sociés en c. Symm. 1, 95 ; 2, 966. Palladios lares : cf. c. Symm. 2, 911 Palladiis... focis ; 966-967 quam Palladium, quam Vesta penates | sub lare Pergameo seruarent igne reposto ; cf. v. 447-448. Lares est pour Prudence un nom commun, au point qu'il se moque en perist. 10, 261 de la divinisation d'objets communs, comme les lares (= le foyer).

      512 : impune : -> v. 317. sensit : les démons ont une capacité de perception ; sentire dénote une impression forte et diffuse (-> v. 427-428 ; 5, 85). deseri : la désertion des vestales (v. 527-528 ; cf. c. Symm. 2, 1083 desertisque focis quibus est famulata iuuentus), celle des païens (vv. 499-500. 513-516).

      513-528 : reflétant l'actualité de son temps (-> v. 65-72), Prudence évoque surtout la conversion de l'aristocratie (cf. déjà v. 489-496). Dans le Contre Symmaque, il l'appelle encore de ses voeux (c. Symm. 2, 441-444. 655-665. 1114-1132) et y voit l'effet d'un discours de Théodose (c. Symm. 1, 415-505). Ici, la prière du martyr apparaît comme l'agent principal.

      
513-516 Quidquid Quiritum sueuerat
orare simpuuium Numæ,
Christi frequentans atria
hymnis resultat martyrem.
Des Quirites, tous ceux qui avaient coutume d'adresser des prières à la coupelle de Numa, visitant en nombre les demeures du Christ, célèbrent le martyr par des hymnes.

      513: quidquid Quiritum : cf. v. 413 ; cath. 12, 201 gaudete, quidquid gentium est. Quiritum désigne les habitants de Rome ; ce gén. plur. (cf. v. 563 ; c. Symm. 2, 947) est moins commun que Quiritium (perist. 14, 4). sueuerat : une conversion implique le rejet ou la modification d'habitudes (cf. perist. 1, 33 ; c. Symm. 2, 1007 antiquus... sueuerat error).

      514 : orare : employé pour la prière païenne (ici ; perist. 10, 423) ou chrétienne (v. 485 ; -> 11, 178). simpuuium Numæ : reprise ironique de Ivv. 6, 342-345 quis tunc hominum contemptor numinis ? aut quis | simpuuium ridere Numæ... | ausus erat ? Par sarcasme ou par ignorance, Prudence dit que le simpuuium (coupe utilisée dans les sacrifices ; rare, cf. Cic. rep. 6, 11 ; Varro Men. 115 ; Arnob. nat. 7, 29) est l'objet de prières. Sur Numa, -> v. 444.

      515-516 : les églises sont au Christ (v. 500), mais peuvent être mises sous l'invocation d'un saint (vv. 519-520. 527) ; cf. Damas. carm. 55 hæc Damasus tibi, Christe Deus, noua tecta dicaui | Laurentii sæptus martyris auxilio ; Avg. serm. 273, 7 non eis [= sanctis] templa, non eis altaria, non sacrificia exhibemus. Cf. perist. 11, 170 ara dicata Deo (autel abritant les restes d'un martyr).

      515 : Christi... atria : cf. v. 500 ; référence au péristyle (-> vv. 173. 175) précédant les grandes basiliques (où se tenaient les mendiants montrés au préfet) ; cf. le jeu de progression spatiale (-> v. 497-536). frequentans : cf. c. Symm. 1, 583. 585 aut Vaticano tumulum sub monte frequentat... coetibus aut magnis Laterani adcurrit ad ædes. Au contraire, v. 499 plebs in sacellis rarior.

      516 : cf. perist. 6, 151 laudans Augurium [= martyrem] resultet hymnus. Sts Ambroise (off. 1, 45, 221) et Augustin (in psalm. 72, 1) précisent qu'hymnus est réservé aux chants louant Dieu (cf. Introd. § 168 n. 121) ; les poèmes du Cathemerinon sont intitulés ainsi, tout comme les poèmes récents du Peristephanon, chants (carmen : -> v. 35) célébrant des martyrs. resultat : transitif, cf. apoth. 388 ; Apvl. met. 5, 7 ; Ambr. in psalm. 1, 9 ; de même, persultare, perist. 11, 77. martyrem : probablement s. Laurent (1ère mention de son culte).

      
517-520 Ipsa et senatus lumina,
quondam luperci aut flamines,
apostolorum et martyrum
exosculantur limina.
Même les ténors du Sénat, autrefois luperques ou flamines, déposent leurs baisers sur les seuils des apôtres et des martyrs.

      517 : senatus lumina : de même, Paneg. 2, 48, 2 ; Lact. mort. pers. 8, 4 ; cf. c. Symm. 1, 544-545 exsultare patres uideas, pulcherrima mundi | lumina, conciliumque senum gestire Catonum ; 548-550 iamque ruit, paucis Tarpeia in rupe relictis, | ad sincera uirum penetralia Nazareorum | atque ad apostolicos Euandria curia fontes. On a une gradation par rapport au v. 490 quidam patres et év. une correspondance avec Ianum bifrontem et Sterculum | colit senatus (v. 449-450).

      518 : quondam : comme olim au v. 525, adv. évoquant moins un passé lointain (-> 5, 475) que son caractère révolu. luperci : les Lupercalia, au cours desquelles les luperques, nus, frappaient les femmes avec une lanière en peau de bouc, sont évoquées en perist. 10, 161-165 ; c. Symm. 2, 862-863. flamines : à Rome, chaque flamine était principalement responsable du culte d'une divinité (p.ex. le flamen Dialis, pour Jupiter) ou d'un empereur (c. Symm. 1, 245-247). Le chef de la religion romaine était le pontifex, mentionné au v. 525 (->). En perist. 10, 1042, flamines est pris au sens général de 'prêtres païens'.

      519 : les saints vénérés étaient rangés dans les catégories des apôtres et des martyrs (distinction subsistant dans l'Ordo Missæ actuel) ; cf. præf. 42 carmen martyribus deuoueat, laudet apostolos. Prudence élargit à l'ensemble des saints la perspective ouverte au v. 516 hymnis resultat martyrem. apostolorum : à Rome, sts Pierre et Paul, apostolorum principes (-> v. 460), honorés d'abord dans les basiliques du Vatican et de la voie Ostienne. martyrum : parmi les nombreux (cf. v. 541-544) martyrs romains, sts Laurent et Agnès ont chacun une basilique.

      520 : exosculantur : cf. perist. 5, 556 exosculamur lectulum (-> ; vénération du gril du martyr ?) ; -> 11, 193. limina : comme la porte (v. 178), le seuil, limite entre le monde profane et le sanctuaire, est vénérable (perist. 10, 105. 351-352) ; même idée chez les païens (perist. 10, 201), ce qui montre la portée de la mesure évoquée au v. 479 nefasta damnet limina.

      
521-524 Videmus illustres domos,
sexu ex utroque nobiles,
offerre uotis pignera
clarissimorum liberum.
Nous voyons d'illustres maisons où les deux époux sont nobles faire l'offrande votive de leurs gages d'amour : leurs très-illustres enfants.

      521 : uidemus : faits vérifiables par tous (-> v. 173). illustres domos : iunctura rare (Tac. ann. 3, 24, 1 ; Avson. 319, 50) ; comme pour Claudien en perist. 14 (cf. Introd. § 105), reprise dans un contexte religieux du poème où Ausone évoque des honneurs mondains (cf. Charlet 1980b, p. 64-65).

      522 : sexu ex utroque : même expression (ici, cacophonique) en perist. 6, 148 ; elle peut désigner soit des nobiles des 2 sexes, soit des nobles de père et de mère. nobiles : de même, illustres (v. préc.) ; clarissimorum (v. 524). Ailleurs, cette noblesse est relativisée (perist. 3, 1-2) voire dénigrée (perist. 10, 123-140) par rapport aux mérites de saints qui ont versé le sang ou ont gardé la chasteté (-> v. 297).

      523-524 : vv. encadrés par offerre et par liberum (cf. vv. 75 offerre fundis uenditis [->] et 84 nudare dulces liberos) ; les chrétiens ne dépouillent pas leurs enfants, mais s'en défont pour l'Église.

      523 : référence au baptême des enfants ou à une pratique votive les mettant sous la protection d'un martyr (mais non, comme le laisse entendre Lavarenne, à une entrée de mineurs dans la vie religieuse, pratique païenne critiquée en c. Symm. 2, 1066-1074). offerre uotis : de même, cath. 12, 63, où uotum désigne l'offrande ; uotum désigne l'Eucharistie en perist. 12, 64 (->), ailleurs la prière, publique (-> 11, 198) ou privée (-> v. 536). pignera : jeu sur le sens du terme ('objet chéri', -> 11, 209-210 ou 'gage', -> 5, 491) ; le rite manifeste autant l'amour des parents pour leurs enfants que pour Dieu. On a peut-être aussi ici une allusion a contrario aux pignera imperii évoqués aux vv. 447-448 ; 511-512.

      524 : clarissimorum liberum, gén. explicatif de pignera (cf. Lavarenne § 261), désignant des descendants de familles de rang sénatorial. liberum : dans cette acception de 'fils et filles', liberi n'apparaît chez Prudence qu'ici et au v. 84 (passages qui se répondent : -> v. 523-524). On a d'autres gén. plur. en -um de la 2e décl. en perist. 4, 46. 85 ; 10, 270 ; Prudence utilise aussi bien deum (perist. 10, 241 ; 10 ex.) que deorum (v. 498 ; 20 ex.), diuum (8 ex.) que diuorum (1 ex.), uirum (-> 13, 49 ; 6 ex.) que uirorum (14 ex.) ; cf. aussi duum en perist. 12, 29.

      
525-528 Vittatus olim pontifex
adscitur in signum crucis,
ædemque, Laurenti, tuam
Vestalis intrat Claudia.
Le pontife autrefois orné de bandelettes se laisse admettre au signe de la croix, et dans ton sanctuaire, Laurent, pénètre la vestale Claudia.

      525-526 : cf. c. Symm. 1, 545-547 conciliumque senum gestire Catonum | candidiore toga niueum pietatis amictum | sumere, et exuuias deponere pontificales.

      525 : uittatus : prêtre et victime sont ornés de uittæ, bandelettes sacrées (perist. 10, 1013-1014. 1043-1045 ; apoth. 461-465) ; de même, une vestale au spectacle (c. Symm. 2, 1094-1095) et l'allégorie du paganisme (psych. 30). pontifex : à la différence de sacerdos et d'antistes (-> v. 68), pontifex n'est jamais utilisé par Prudence dans un contexte chrétien. Le terme, dans son sens précis (cf. perist. 10, 223), désigne des prêtres païens de haut rang en perist. 5, 36.

      526 : l'initiation chrétienne aboutit à l'incorporation (cf. adscitur) du converti sous la bannière du Christ (cf. perist. 1, 34 ; c. Symm. 1, 566-567 sescentas numerare domos de sanguine prisco | nobilium licet, ad Christi signacula uersas). signum crucis : le baptisé reçoit le sacrement de confirmation par une onction (sur son front) en forme de signe de croix ; cf. psych. 360-361 post inscripta oleo frontis signacula, per quæ | unguentum regale datum est et chrisma perenne ; c. Symm. 1, 585-586 Laterani adcurrit ad ædes, | unde sacratum referat regali chrismate signum. Le signe de croix et ses effets (exorcisme) sont décrits en cath. 6, 131-136 (cf. apoth. 492-494. 498).

      527 : Prudence ne semble pas encore connaître Rome, ni la pluralité des sanctuaires consacrés à s. Laurent. Laurenti : s'étant adressé à Rome aux vv. 1-8, le narrateur conclut le poème en interpellant le martyr (cf. v. 549 sancte Laurenti ; ->).

      528 : Vestalis : probablement adj. substantivé plutôt qu'épithète (c. Symm. 2, 913. 970. 1001. 1064) de Claudia. intrat : interdite aux païens (perist. 10, 101-102), l'entrée dans le sanctuaire marque l'étape ultime du chemin terrestre vers le Christ, avant l'entrée dans la gloire divine (perist. 10, 474). Claudia : inconnue, membre d'une des gentes romaines les plus illustres ; Prudence se plaît à relever de telles conversions (c. Symm. 1, 566-567), citant des noms en c. Symm. 1, 551 Amniadum ; 554 Olibriaci ; 556 Bruti ; 558 Paulinorum... Bassorum ; 561 Gracchos. Cf. Cic. Cæl. 34 non uirgo illa Vestalis Claudia ; si l'indication de Prudence n'est pas purement proverbiale et correspond à un fait précis, il se pourrait que le nom gratté sur un piédestal de statue, dans la Maison des vestales, sur le Forum romain, soit celui de cette Claudia (cf. CIL vi 3299, 32422 ; inscription datée de 364).

      529-584 : on peut prier le martyr partout, mais de manière privilégiée sur sa tombe (-> v. 533-536) - thème introduit par un macarisme (v. 529-536) qui conclut aussi l'évocation de la conversion des Romains (-> v. 497-536). À ce motif correspond une consolatio pour ceux qui sont loin de Rome (v. 537-560) ; dans un autre diptyque, le poète évoque l'exaucement des prières des Romains (v. 561-572) avant de demander celui des siennes propres (v. 573-584). Le ton est toujours plus personnel (vv. 537-556 'nous' ; 557-584 'je'), avec même la citation du nom de Prudence au v. 582.

      
529-532 O ter quaterque et septies
beatus Vrbis incola
qui te ac tuorum comminus
sedem celebrat ossuum,
Ô trois, quatre et sept fois bienheureux, l'habitant de la Ville, qui, de tout près, te fréquente ainsi que l'emplacement de tes ossements, ...

      529-530 : macarisme topique de l'habitant de Rome (Ov. trist. 3, 12, 25-26 o quater, o quotiens non est numerare, beatum, | non interdicta cui licet Vrbe frui ; Rvt. Nam. 1, 5-6), solennel - à l'habituel ter quaterque (Prop. 3, 12, 15 ; Verg. Æn. 1, 94 ; Ov. Pont. 4, 9, 34 ; Sen. Phædr. 694 ; Avson. 332, 51) est ajoutée leur addition symbolique, septies. Sur o, admiratif, -> 13, 11.

      530: beatus : cf. cath. 9, 19-20 o beatus ortus ille, uirgo cum puerpera | edidit nostram salutem (Nativité du Christ). Vrbis incola : désignation des Romains, plus explicite que Quirites (vv. 513. 563), reprise au v. 570 par alumnos urbicos. Sur Vrbs, -> v. 141.

      531-532 : la personne du martyr (te) et son tombeau (tuorum... sedem... ossuum) sont mis sur le même plan, et quasi identifiés, même si, de fait, il y a bilocation du martyr (cf. v. 551-552 est aula nam duplex tibi, | hic corporis, mentis polo). En perist. 5, 521-522, la personne du martyr est identifiée à son âme : sic corpus, ast ipsum Dei | sedes receptum continet.

      531 : qui : la relative introduite par ce pronom est la plus développée des cinq qui indiquent les motifs de la béatitude des Romains (avec cui au v. 533 et la triple anaphore de qui, v. 534-536). comminus : idée de contact avec les reliques, développée aux vv. 533-535.

      532 : sedem : terme repris plus loin par locum (v. 534) et aula (v. 551) ; de même, à propos de l'âme, perist. 5, 522. celebrat : synonyme de frequentare (-> v. 515), 'fréquenter (en nombre)' ; -> 11, 198. ossuum : les reliques, -> 5, 516 ; gén. plur. archaïque (cf. perist. 5, 111 ; cf. Lavarenne § 96).

      
533-536 cui propter aduolui licet,
qui fletibus spargit locum,
qui pectus in terram premit,
qui uota fundit murmure !
à qui il est permis de se prosterner à proximité, qui verse ses pleurs sur ce lieu, qui presse sa poitrine contre ce sol, qui répand ses voeux dans un murmure !

      533-536 : tableau semblable de la vénération des corps saints en perist. 4, 193-198 ; 5, 563-564 ; 9, 5-6. 99-100 ; 11, 177-178. 193-194. Cf. Damas. carm. 21, 12 ; 31, 4 ; 42, 1 ; 46, 11.

      533 : cui... aduolui licet : cf. perist. 10, 101-102. propter : cf. perist. 11, 170 propter ubi apposita est ara dicata Deo. aduolui : cf. perist. 9, 5 stratus humi tumulo aduoluebar (-> 5, 564).

      534 : le martyr, qui n'avait pas émis de plaintes sous la torture, priait en gémissant (v. 411-412 ; cf. cath. 1, 81-83 ; 2, 50-52) ; même motif des larmes d'émotion sur la tombe du martyr en perist. 4, 193-194 ; 9, 99 ; 11, 194. Exaucé, le fidèle sèche ses larmes (perist. 1, 14 lætus hinc tersis reuertit supplicator fletibus), qui sont comme une offrande sur la tombe (cath. 10, 171-172).

      535 : pectus : le siège des sentiments et de la volonté (-> 5, 562 ; 13, 26) ; cf. perist. 14, 6 puro ac fideli pectore supplices. in terram : le sol abritant les martyrs est diues (v. 543) et permet un contact avec leurs sanguinis uestigia (v. 546) : cf. perist. 1, 3. 7-9 ; 4, 90-92 ; 8, 13.

      536 : uota fundit : transposition du motif du v. 534 fletibus spargit ; de même, c. Symm. 1, 209-210 (contexte païen ; cf. Lvcan. 9, 989) ; même emploi de fundere en perist. 1, 17 ; 14, 57-58. Vota désigne soit une prière votive (cf. v. 44 uotasque... opes), soit les souhaits d'une prière de demande (perist. 9, 95 ; 10, 344 ; 11, 198). murmure : la prière privée est comme chuchotée aux reliques ; cf. perist. 1, 17 non sinunt ut ullus uoce murmur fuderit ; 9, 102.

      537-556 : priés localement surtout, les martyrs n'en ont pas moins une puissance universelle ; cf. perist. 1, 12 hic patronos esse mundi ; 6, 83-84. Prudence n'a pas encore visité cette tombe.

      
537-540 Nos Vasco Hiberus diuidit
binis remotos Alpibus
trans Cottianorum iuga
trans et Pyrenas ninguidos.
Nous, l'Èbre basque nous en sépare, écartés par de doubles Alpes, au-delà des crêtes Cottiennes et au-delà des Pyrénées neigeuses.

      537 : Prudence est à Calagurris (appelée nostra, perist. 4, 31) au bord de l'Èbre (perist. 1, 117), chez les Vascones (perist. 1, 94) (Saragosse commande un pont sur l'Èbre et se situe chez les Editani : Plin. nat. 3, 3, 24). diuidit : cf. perist. 12, 29 diuidit ossa duum Tybris sacer ex utraque ripa.

      538 : le point de vue du poète est celui de Rome (cf. aussi v. 552 hic) : c'est lui qui est remotus, non la ville. Alpes est utilisé à la fois au sens propre et métaphoriquement (cf. Sil. 2, 333 geminæ Alpes). binis : équivalent de duo ; cf. perist. 12, 8 ; ham. 8 ; Verg. Æn. 1, 313.

      539-540 : l'anaphore de trans souligne l'existence de 2 obstacles. L'expression en partie métaphorique binis Alpibus (v. 538) est explicitée par une synecdoque (Cottianorum iuga : Tac. hist. 1, 61, 1 ; Amm. 15, 10, 2 - la région des sources du Pô) et par le terme propre Pyrenas.

      540 : Pyrenas ninguidos : cf. Avson. 269, 4-5 confinia propter | ninguida Pyrenes ; 417, 69 bimaris iuga ninguida Pyrenæi ; Pavl. Nol. carm. 10, 203-204 Vasconiæ saltus et ninguida Pyrenæi | ... hospitia. L'adj. ninguidus (cf. cath. 5, 97 ; apoth. 661) n'est pas attesté antérieurement ; Prudence s'inspire ici du 1er ex. cité, avec la forme grecque Pyrene (masc. ; fém. chez Lvcan. 1, 689) ; ailleurs, niueus (perist. 4, 75 ; 6, 139 ; 11, 137 ; 13, 78) et niualis (perist. 12, 38).

      
541-544 Vix fama nota est, abditis
quam plena sanctis Roma sit,
quam diues urbanum solum
sacris sepulcris floreat.
C'est à peine si la renommée en est connue : combien Rome est remplie de saints cachés, combien, riche, elle voit fleurir de sépultures sacrées le sol de la ville !

      541 : fama : la renommée traverse l'espace (ici ; perist. 1, 11-12) et le temps (-> 13, 76). abditis : aussi en fin de v. à propos des trésors de l'Église convoités par le juge (-> v. 81-82).

      542-543 : anaphore de quam et uariatio entre les 2 propositions, où l'on passe des entités 'personnelles' (sanctis et Roma) à des objets matériels (sepulcris et urbanum solum).

      542 : plena sanctis : cf. perist. 4, 5 plena magnorum domus angelorum (Saragosse, comparée à Rome : cf. perist. 4, 53-64). Sanctis désigne ici les saints (-> v. 519 ; cf. perist. 4, 53. 167. 173 ; 5, 374 ; 10, 839 ; 11, 1), non les chrétiens en général (-> v. 80).

      543: diues : cf. perist. 4, 29-30. 145-146 ; ultime réponse aux dires du préfet sur les richesses de l'Église. urbanum : comme urbicus (v. 570), suffit à désigner Rome (-> v. 141).

      544: sacris sepulcris : cf. perist. 4, 197-198 sanctis | ... tumulis ; 12, 30 sacrata... sepulcra. La sainteté des reliques se communique par contact (-> 12, 29). floreat : le motif de la floraison du sol se retrouve à propos d'un miracle en perist. 5, 277-280. 321-322, ou d'un pavement en mosaïques en perist. 3, 198-200. On a év. ici une allusion au célèbre semen est sanguis Christianorum de Tertullien (apol. 50, 13).

      
545-548 Sed qui caremus his bonis
nec sanguinis uestigia
uidere coram possumus,
cælum intuemur eminus.
Mais nous qui sommes privés de ces biens et ne pouvons voir devant nous les traces du sang, de loin, nous regardons vers le ciel.

      545 : his bonis : les tombeaux des saints et le contact avec les reliques (-> v. 533-536).

      546 : sanguinis uestigia : la terre de Rome est imprégnée du sang des martyrs (-> v. 16 ; cf. v. 535), qui chasse les démons (cf. v. 470) et protège les fidèles (-> 5, 341-344).

      547 : uidere coram : une perception directe, non la fama (v. 541) ; en Hispanie, Prudence peut voir des reliques (perist. 4, 137-138 : uidimus partem iecoris reuulsam | ungulis longe iacuisse pressis), et en Italie, ce désir sera comme comblé par des représentations picturales (cf. perist. 9 et 11). Ici, on aura une sorte de vision mystique (v. 557-558 uideor uidere illustribus | gemmis coruscantem uirum).

      548 : faute de mieux, Prudence lève les yeux au ciel, suivant l'attitude même du martyr avant sa mort (v. 410 cælum deinde suscipit), celle des suppliants et des contemplatifs (perist. 9, 9 ; cath. 12, 1-2 ; apoth. 501-502). cælum intuemur : attitude analogue à celle de s. Étienne (v. 372) : cælos apertos intuens (au contraire, les païens, perist. 10, 375 subiecta semper intuens, numquam supra). Sur cælum, -> v. 372. eminus : adv. opposé à comminus (v. 531, à propos des Romains) ; il est aussi employé au v. 373, à propos de la contemplation par les baptisés du visage rayonnant du martyr - Prudence semble bénéficier du même miracle (cf. v. 557-558).

      549-560 : Prudence est certain de la gloire céleste du martyr, moins du fait de sa vision (v. 557-560) que du témoignage de ceux qu'exauce s. Laurent (v. 563 probant Quiritum gaudia) ; de même, à propos du geôlier de s. Vincent, qui se convertit non à la vue de miracles, mais à celle de la dévotion des chrétiens, cf. perist. 5, 333-352. Cf. Cameron 1968 (-> v. 560).

      
549-552 Sic, sancte Laurenti, tuam
nos passionem quærimus,
est aula nam duplex tibi,
hic corporis, mentis polo.
C'est ainsi, saint Laurent, que nous cherchons (le souvenir de) ta passion : tu possèdes en effet un double palais, celui-ci pour ton corps, le firmament pour ton âme.

      549 : sancte Laurenti : expression de forme récente (-> 13, 53). Laurenti, tuam : même fin de v. à propos de l'aula corporis du martyr (v. 527 ædemque, Laurenti, tuam) ; ici c'est son aula mentis (cf. v. 551-552)

      550 : passionem : cette forme se trouve à la même place du v. 35 (->) - symétriquement, on est ici 35 vv. avant la fin. Le terme désigne ici l'équivalent céleste de la sépulture du martyr (cf. v. suiv. aula), voire sa personne même (tuam... passionem équivalant à te passum ; même emploi de passio en perist. 11, 196), ce que laissent entendre les objets de uidere aux vv. 546 sanguinis uestigia ; 558 gemmis coruscantem uirum. quærimus : dénuée d'évidence, la présence céleste du martyr doit être l'objet d'une quête.

      551 : même idée de bilocation (liée à la dualité corps-âme) en perist. 1, 1-3 ; 13, 99-100 ; 14, 1. 125 ; elle est simultanée et permanente, non alternative (cf. perist. 5, 565 paulisper huc inlabere). aula : terme employé aussi bien à propos d'un sanctuaire (cf. Pavl. Nol. carm. 18, 352 ; 23, 112) ou de son atrium (-> v. 515) que pour le Paradis, cælestis aula (-> 14, 62). nam : postposé, anaphore est aula ; cf. perist. 5, 517 subiecta nam sacrario. tibi : par une sorte de polyptote, tibi reprend tuam (v. 549), aussi en fin de v. ; cf. perist. 5, 2-3 (->).

      552 : les noms désignant les 2 modes d'existence du martyr (corporis et mentis : même association p.ex. en perist. 10, 582 ; 13, 86) sont accolés, formant le lien entre hic et polo (aux extrêmités du v.). hic : même si le point de vue de Prudence est 'romain' (-> v. 538), hic désigne, plutôt que Rome, la terre par opposition au ciel (cf. perist. 13, 106 instruit hic homines, illinc pia dona dat patronus). polo : le ciel (poétique).

      553-560 : artisan de paix et d'unité (v. 410-440), le martyr est revêtu d'un consulat perpétuel (v. 560) et reçoit, outre la couronne civique (v. 556 ; Auguste s'en glorifiait, cf. R. Gest. diu. Aug. 34, 2), les ornements promis aux mendiants (-> v. 275-276). C'est dans cette Rome céleste, seule véritable Roma æterna, que s'accomplit radicalement la promesse de Verg. Æn. 1, 278-279 : his ego nec metas rerum nec tempore pono : | imperium sine fine dedi.

      
553-556 Illic, inenarrabili
adlectus Vrbi municeps,
æternæ in arce curiæ
gestas coronam ciuicam.
Admis là-haut, comme libre citoyen de la Ville ineffable, dans la citadelle de la curie éternelle, tu portes la couronne civique.

      553 : illic : reprise de polo (v. préc.), par opposition à hic, 'ici-bas' (v. préc.). Cet adv. dépend de gestas (v. 556), non d'allectus (v. suiv.), qui eût demandé illuc.

      553-554 : inenarrabili... urbis : la Roma cælestis (v. 559) ; Prudence n'en donne pas de description, mais suggère sa splendeur, avec le vêtement qu'y porte le martyr (v. 557-558).

      553 : adlectus : verbe évoquant la procédure de l'adlectio, qui permettait à l'empereur de faire passer quelqu'un à un ordre supérieur ; pour désigner une apothéose, Sénèque dit aussi (Ag. 813) cælo adlegi. municeps : citoyen d'une ville autre que la capitale de l'Empire ; de fait, la tête du Royaume des cieux n'est pas la Roma cælestis, mais Dieu même. Il se peut que municeps prenne ici un sens étymologique (munus capere) : les citoyens du ciel, avec leurs ornements de magistrats, ont aussi un munus (v. 562 muneris quantum datum) ; consul au ciel, Laurent est aussi saint patron des Romains - ici-bas, il était déjà archidiacre et en même temps père nourricier (vv. 44. 157-160).

      555 : æternæ... curiæ : cf. Pavl. Nol. epist. 13, 15 prophetæ, apostoli, martyres, id est cæli senatus ; le martyr sera le princeps de ce sénat de la Roma cælestis (v. 559) qui n'est autre que l'ensemble des élus de cette ville (c. Symm. 2, 442 Romam dico uiros ; Avg. urb. exc. 6, 6). La curie d'ici-bas est mentionnée au v. 446 Catonum curiam. in arce curiæ : la curie céleste semble occuper toute l'arx, désignation du Royaume des cieux (-> 14, 125 ; cf. v. 272 in arce lucebunt Patris). Cette citadelle céleste s'oppose à celle de la terre, cf. v. 119 Augustus arcem possidens.

      556 : cf. Svet. Iul. 45, 2 ius laureæ coronæ perpetuo gestandæ. coronam ciuicam : seule mention chez Prudence de la couronne civique, ornement décerné à celui qui a sauvé un citoyen au combat. S'étant battu pour Rome (cf. vv. 1-16. 501-508), s. Laurent l'a exorcisée, et est à l'origine de la conversion de plusieurs sénateurs (v. 489-496) : la couronne de son martyre (-> 5, 4) mérite donc en même temps d'être appelée couronne civique, selon le langage métaphorique de la militia Christi.

      
557-560 Videor uidere illustribus
gemmis coruscantem uirum,
quem Roma cælestis sibi
legit perennem consulem.
Il me semble voir cet homme étincelant de joyaux brillants, lui que la Rome céleste se choisit comme consul perpétuel.

      557 : uideor uidere : polyptote, avec uariatio sur le sens. Cette vision, assez peu importante pour le poète (-> v. 549-560) et introduite prudemment, semble être une pure fiction poétique.

      558 : gemmis coruscantem : motif appliqué aux vierges (v. 299 gemmas corusci luminis) et aux martyrs eux-mêmes (perist. 4, 21-28) ; cf. c. Symm. 1, 465 ; psych. 334. 851-852. La toga picta des magistrats portait, brodées, des pierres précieuses (-> 14, 105). coruscantem uirum : durant sa passion déjà, le martyr avait cet éclat glorieux (cf. v. 361-376), anticipation et participation de la gloire divine (sur coruscans appliqué à Dieu, -> 14, 48) que les élus (cath. 11, 102 ; c. Symm. 2, 210) ont en commun avec les anges (-> 5, 288) et communiquent à leur cité (cf. perist. 6, 1-3).

      559 : Roma cælestis : cette Rome céleste, inenarrabilis urbs, est la seule Roma æterna (-> v. 553-560). La tête de l'Empire semble prendre la place de la Jérusalem céleste de l'Apocalypse. On a aussi arx cælestis (perist. 14, 125 ; cf. v. 555) et cælestis aula (perist. 14, 62 ; cf. v. 551).

      560 : l'élection des martyrs est évoquée avec les termes propres à celle des consuls chez Tert. ad mart. 1, qui parle de martyres designati à propos de confesseurs. legit : transposition à ce verbe de la construction du verbe legare (Cic. Att. 15, 11, 4 me sibi legauit). perennem consulem : faussement banale (perennis, 'qui dure toute l'année'), cette expression est paradoxale, puisqu'elle évoque un consulat perpétuel (sens de perennis, ici). Édile (v. 41-44) et censeur (v. 161-164) pour l'Église de Rome, s. Laurent est son avocat devant l'autorité civile (-> 5, 547-548), sa carrière atteignant son point culminant. Cette idée du perpetuus consulatus sera reprise dans la lettre Humanæ referunt, traité pélagien anonyme (cf. Cameron 1968).

      
561-564 Quæ sit potestas credita
et muneris quantum datum,
probant Quiritum gaudia,
quibus rogatus adnuis.
Quelle puissance t'a été confiée et quelles hautes fonctions t'ont été accordées, la reconnaissance joyeuse des Quirites en apporte la preuve, eux que tu exauces quand ils te prient.

      561-562 : vers synonymiques, avec une uariatio ; cf. v. 33 qua uoce, quantis laudibus.

      561 : cf. c. Symm. 1, 150-151 cæli imperium retinere potestas | credita. potestas : propre à certaines magistratures plébéiennes (non au consulat, v. préc.), la potestas introduit la suite, où il est question de l'intercession du martyr pour le peuple de Rome (v. 565-572).

      562 : muneris : comme en perist. 5, 209 (->), Prudence joue sur le double sens du terme : 'charge officielle', 'tâche' (-> v. 128), et 'faveur', 'don divin' (cf. cath. 3, 34 munera data).

      563 : probant : Prudence souligne le caractère démontrable, objectif, de ce qu'il allègue (cf. v. 235 ; perist. 7, 81-82 ; 10, 820. 960 ; cath. 9, 7) - caractère que n'ont pas ses impressions (v. 557). Quiritum gaudia : ceux qui fêtent le martyr (cf. perist. 12, 1) ou qu'il exauce (perist. 1, 14-15) ressentent une joie légitime, qui est aussi un témoignage. Sur Quirites, -> v. 513.

      564: quibus... adnuis : cf. perist. 11, 181-182. Au début du poème, l'assentiment du martyr était fictif (v. 111-112 ut paratus obsequi | obtemperanter adnuit), bien qu'explicite, et la joie du préfet vaine (v. 133 lætus tumescit gaudio ; cf. v. préc. gaudia). rogatus : au lieu d'orare (prière à Dieu), Prudence utilise rogare, qui peut désigner la prière adressée aux martyrs (ici ; perist. 1, 13), à Dieu (cath. 2, 51 ; 4, 53) ou par les martyrs à Dieu (perist. 6, 84). Il peut aussi être employé dans un contexte profane (v. 181, à propos des mendiants ; cf. la continuité de la mission secourable du martyr, sur terre et dans les cieux).

      
565-568 Quod quisque supplex postulat,
fert impetratum prospere ;
poscunt, iocantur, indicant,
et tristis haud ullus redit,
Ce que chaque suppliant te demande, il en emporte l'heureux accomplissement ; ils réclament, ils badinent, ils précisent, et pas un n'en revient affligé, ...

      565-568 : retractatio doctrinale de ces vv. en perist. 9, 95. 98 ; 1, 13-15 (cf. Introd. § 140).

      565 : même structure que cath. 2, 14 quod quique fuscum cogitat ; cf. perist. 11, 182. supplex : cf. v. 580-581 audi benignus supplicem | Christi reum Prudentium ; perist. 5, 546 ; 14, 6 (aux martyrs) ; 14, 86 (au Christ). postulat : verbe employé par le préfet (v. 98).

      566 : impetratum : cf. perist. 1, 15 omne, quod iustum poposcit, impetratum sentiens. prospere : cf. perist. 5, 1-2 beate martyr prospera, | diem triumphalem tuum (->) ; 9, 97 martyr prosperrimus.

      567 : ce texte, édité par Bergman et Cunningham, est celui des mss (sauf DEO : lætantur, qui n'entre pas dans le vers, au lieu de iocantur). Gênés par iocantur, Arevalo puis Dressel le corrigent en litantur (sans parallèles), et Alfonsi (1951) en precantur (cf. perist. 5, 546 uoces precantum supplices ; cath. 8, 77 supplex precor : souci de symétrie entre les 2 moitiés du quatrain, precantur permettant de reprendre supplex, v. 565). Lavarenne (1949, p. 282) propose de lire poscunt, rogant et uindicant, avec une correction légère, mais remplaçant de façon malheureuse indicant (admissible) par uindicant (sans parallèles) qui sied mal à une humble supplication. Même s'ils ne sont employés qu'ici chez Prudence, indicant et même iocantur peuvent être maintenus. La mention d'un badinage sur la tombe d'un martyr est unique chez Prudence (qui parle plutôt de larmes : -> v. 534), tout comme l'exaucement inconditionnel (cf. Introd. § 140). Cf. Avg. serm. 302, 1 quis ibi orauit et non impetrauit ? ... quædam enim... parua et ludicra concedit pater paruulis filiis... ludentibus et de quibusdam ludicris se oblectantibus cedit paterna pietas, ne deficiat ætatis infirmitas. poscunt : verbe utilisé par le préfet (v. 89) et à propos des mendiants (v. 143 omnesque, qui poscunt stipem) - le martyr les exauce ici-bas et du haut du ciel. Cf. aussi perist. 1, 15. indicant : cf. perist. 9, 101-102 tunc arcana mei percenseo cuncta laboris, | tunc, quod petebam, quod timebam murmuro ; cf. aussi v. 575-576.

      568 : cf. perist. 1, 14 lætus hinc tersis reuertit supplicator fletibus ; 11, 179. haud ullus : -> v. 99.

      
569-572 ceu præsto semper adsies,
tuosque alumnos urbicos
lactante complexus sinu
paterno amore nutrias.
comme si tu étais toujours là, à disposition, et qu'embrassant dans ton sein nourricier tes enfants, ceux de la Ville, tu les alimentais avec un amour de père.

      569 : cf. perist. 10, 727 fons ille uiuus præsto, qui semper fluit (le Christ) ; 14, 34 (->). Comme le montre semper, l'action du martyr perdure - il reste proche des Romains, cf. v. 531 comminus. præsto... adsies : même expression chez Ter. Andr. 415. La forme adsies (assies ou asies dans les mss), archaïque, est attestée chez Plavt. Amph. 976.

      570 : tel une mère (v. 571) et un père (v. 572) pour ses enfants, le martyr poursuit sa mission terrestre (v. 158-160 adsuetos ali | Ecclesiæ matris penu, | quos ipse promus nouerat) ; cf. perist. 11, 229-230 (une église) maternum pandens gremium, quo condat alumnos | ac foueat, fetos accumulata sinus. tuosque alumnos : cf. v. 205 alumni luminis (mendiants). Il y a peut-être une pointe d'envie dans l'emploi de tuus par celui qui est exclu de ce lien. urbicos : peu fréquent (cf. Avg. epist. 36, 2, 3) ; comme urbanus (v. 543), cet adj. se rapporte à Rome, s'opposant à rusticum (v. 574) ; cf. Gell. 15, 1, 3 res rusticas et urbicas.

      571 : lactante... sinu : image audacieuse par son réalisme, corrigée au v. suiv. par paterno amore. Cf. cath. 8, 18-19 doctor indulgens... nos amico | lactat hortatu. complexus sinu : le sein nourricier est aussi le giron protecteur (perist. 10, 827 natum gerebat mater amplexu et sinu). Cf. perist. 11, 136-138 implebantque sinus uisceribus laceris. | ille caput niueum complectitur ac reuerendam | canitiem molli confouet in gremio ; l'affection des fidèles et celle du martyr sont réciproques (cf. perist. 9, 99-100 complector tumulum... | altar tepescit ore, saxum pectore).

      572 : paterno amore : nourricier, le martyr est aussi un pater pour les Romains en tant que sénateur au ciel (v. 555) ; ailleurs, il reste fils de sa patria : perist. 4, 94-96 paterno | seruet amplectens tumulo beati | martyris ossa ; 7, 4-5 concessum sibi martyrem | complexu patrio fouent ; 13, 3 est proprius patriæ martyr. nutrias : cf. v. 158-160 adsuetos ali | Ecclesiæ matris penu, | quos ipse promus nouerat.

      573-584 : de tels fervorini se retrouvent p.ex. en perist. 3, 208-210 ; 4, 31-32. 193-198 ; 6, 160-162 ; 10, 1136-1140 ; 14, 130-133 et, surtout dans les 'poèmes du voyage' (perist. 9, 3-9. 99-106 ; 11, 179-182. 243-244), poèmes personnels. Absents p.ex. de l'Énéide et aussi des hymnes ambrosiennes, vu leur destination liturgique, on a de tels élements chez Damas. carm. 37, 9-10 o ueneranda mihi sanctum decus alma pudoris, | ut Damasi precibus faueas precor, inclyta martyr ; 46, 11 ; 48, 5.

      
573-576 Hos inter, o Christi decus,
audi poetam rusticum,
cordis fatentem crimina
et facta prodentem sua ;
Parmi ceux-ci, ô toi qui es l'honneur du Christ, écoute un poète provincial, qui avoue les fautes de son coeur et reconnaît ses forfaits ; ...

      573 : hos inter : cf. perist. 5, 233 hæc inter ; le pronom hos reprend le v. 570. o Christi decus : sens dérivé de decus (-> 13, 73) ; le martyr n'est pas invoqué par son nom (vv. 527. 549), mais par une périphrase qui s'oppose à l'expression Christi reus (v. 582) qui désignera le poète. Cf. perist. 3, 7 hoc decus egregium ; 4, 63 te, decus nostrum ; 13, 2 decus orbis (->).

      574 : audi : impératif repris au v. 581 ; ce que le martyr doit entendre n'est pas une hymne, mais la confession des péchés du poète (cf. v. 575-576) ; audire peut signifier 'entendre' (perist. 1, 18) ou 'exaucer' (-> 11, 240). poetam rusticum : expression s'opposant à alumnos urbicos (même place dans le quatrain préc.), groupe dans lequel le poète veut être intégré (v. préc. hos inter), même s'il habite une lointaine province (v. 537-544). C'est à tort que l'on voit souvent ici la manifestation d'une modestie de poète (rusticus n'a jamais chez Prudence de connotation éthique ou esthétique) : incongru dans cette confession (cf. v. 577 indignus, agnosco et scio), cet élément apparaît sous forme de question aux vv. 33-36. De même, perist. 10 commence avec un prélude poétique (perist. 10, 1-25) et s'achève plus gravement sur un voeu où le poète se présente comme un pécheur secouru par le martyr (perist. 10, 1136-1140).

      575 : cordis : -> v. 256. fatentem : confession du poète semblable en ham. 937-939 ; même sens d''avouer' en perist. 5, 89 (avec un jeu sémantique) ; 10, 398. crimina : -> v. 287.

      576 : facta... sua : reprise de cordis... crimina (v. préc.) ; même terme au v. 472 factum Neronis officit (->). prodentem : verbe employé au v. 121, à propos des richesses de l'Église que le martyr n'hésite pas à produire. Prudence, Christi reus (v. 582), ne peut mettre au jour que sa misère intérieure, résolument (v. 577) mais discrètement (-> 9, 101-102 ; cf. v. 253-254).

      
577-580 indignus, agnosco et scio,
quem Christus ipse exaudiat,
sed per patronos martyras
potest medelam consequi.
il est indigne, je le reconnais et le sais, d'être exaucé par le Christ en personne, mais par l'intercession des martyrs protecteurs, il peut obtenir un remède.

      577 : indignus : même aveu de Prudence en ham. 934-936 (adressé cependant au Christ) ; apoth. 747. Conscient de son état de pécheur (cf. perist. 10, 1135 ; præf. 35-36 ; epil. 9), il reprend et transpose sur un plan supérieur l'idée des vv. 35-36 quo passionem carmine | digne retexens concinam ? agnosco et scio : incise reprenant fatentem (v. 575) et prodentem (v. 576) ; sur l'emploi d'agnoscere dans le recueil, -> 5, 273. Ailleurs dans cette prière, le poète parle de lui à la 3e pers., allant jusqu'à se nommer (v. 582).

      578 : Christus ipse : de même, perist. 4, 142 ; psych. præf. 59. exaudiat : reprise d'audi (v. 574 ; -> 11, 240), avec le sens fort d''exaucer'.

      579 : patronos : tel le bienfaiteur et avocat patricien de sa clientèle plébéienne, le martyr devient patronus (-> 13, 106) de ceux qui l'invoquent (-> 11, 189) ; pour Prudence, ce lien semble même plus fort que la filiation (cf. perist. 10, 835), et pourrait sauver in extremis un damné (cf. perist. 10, 1136-1140). Cf. DECA, s.v. patron, p. 1935-1936 (Saxer). martyras : seule occurence chez Prudence de l'acc. plur. grec de martyr (cf. Lavarenne § 84). Comme au v. 519, Prudence parle des martyrs en général.

      580 : medelam : cf. perist. 1, 20 ; 6, 160. Prudence recourt souvent à ce type d'images (-> 11, 177) et utilise medela pour tout réconfort (perist. 9, 64 ; cath. 4, 85) ; cf. aussi Gell. 20, 1, 22. Les mss ABTVEF ont la graphie medellam (reprise par les éditeurs).

      
581-584 Audi benignus supplicem
Christi reum Prudentium,
et seruientem corpori
absolue uinclis sæculi !
Entends avec bienveillance les sup-plications de Prudence, l'inculpé du Christ, et lui qui est asservi à son corps, détache-le des chaînes du siècle !

      581 : audi benignus : cf. v. 574 audi (->) ; epil. 12 benigne audit. Benignus (idée de secours charitable : perist. 5, 330 ; cath. 7, 213 ; 10, 63) a une fonction adverbiale (perist. 3, 124).

      581-582 : supplicem... reum : cf. cath. 7, 173-175 clementia | haud difficulter supplicem mortalium | soluit reatum. On trouve aussi supplex au v. 565, à propos des fidèles romains. Prudence réaffirme sa culpabilité (cf. v. 575-577) ; reus est à prendre au sens fort de pécheur (perist. 13, 60 reus aut nocens), virtuellement damné (perist. 10, 1136-1140 ; c. Symm. 2, 473-476).

      582 : Prudence s'adresse au martyr, Christi decus (v. 573) en tant que Christi reus. Prudentium : seule mention explicite du nom du poète dans ses oeuvres (cf. Introd. § 1 n. 1), ce qui semble conférer une place particulière au poème, le premier des sept Passiones (cf. Introd. § 160). Prudence use du motif de la sfragiV (signature du poète à la fin de son oeuvre) mais, à la différence p.ex. d'Ovide (fast. 5, 377-378 floreat ut toto carmen Nasonis in æuo, | sparge, precor, donis pectora nostra tuis), son salut personnel est son premier souci.

      583-584 : prière proche de præf. 44-45 uinclis o utinam corporis emicem | liber ; cf. perist. 4, 195-196 spes ut absoluam retinaculorum | uincla meorum ; 13, 63-64 eripe corporeo de carcere uinculisque mundi | hanc animam. Prudence demande au martyr, remarquable par sa libertas (-> v. 491), de lui apporter la libération qu'il avait obtenue pour Rome (v. 467). Par un autre jeu d'analogies, il demande à ste Agnès, qui a pu garder sa virginité, de lui apporter une purification (perist. 14, 124-133).

      583 : seruientem corpori : lié à sæculum (v. suiv.), corpus (-> v. 59) désigne ici la 'chair' au sens paulinien ; cf. cath. 1, 32 ne mens sopori seruiat ; psych. præf. 53-55 omnemque nostri portionem corporis | quæ capta foedæ seruiat libidini, | domi coactis liberandam uiribus (sur seruire, -> v. 420).

      584 : absolue uinclis : cf. perist. 4, 195-196 ; 7, 79-80 absoluas, precor, optime, | huius nunc animæ moras ; 10, 1110 anima absoluta uinculis cælum petit. uinclis sæculi : cf. v. 486-487 (mort du martyr) finis idem uinculi | carnalis (->). À ces liens du 'siècle' (-> v. 279) s'oppose le uinculum caritatis chrétien, évoqué à propos de la mission providentielle de Rome (v. 429-432) : quo magis | ius christiani nominis | quodcumque terrarum iacet | uno illigaret uinculo.


Peristephanon 5
Septième Passion : Passion de saint Vincent martyr (Passio sancti Vincenti martyris)

      La dernière des sept Passions s'achève sur un vers évoquant les doxologies finales : cunctis in æuum sæculis (sans parallèle dans le recueil ; cf. Introd. § 159-160). Célébrant le diacre et martyr hispanique Vincent, perist. 5 est le pendant de perist. 2, poème initial consacré à saint Laurent (cf. § 111-112) 649  ; perist. 5 suit perist. 14 (cf. § 110) 650 . Les multiples épreuves (fer, feu, bêtes, noyade) endurées par saint Vincent épuisent et résument pour ainsi dire tous les types de supplices possibles, à l'exception de ceux de saints Pierre et Paul (cf. perist. 12) 651 . À la différence de perist. 2, Dieu se manifeste ici moins comme Providence gouvernant l'histoire que comme l'auteur de miracles ponctuels 652  dans l'attente d'un dénouement eschatologique (cf. perist. 5, 186-200. 569-576) - et toujours, dans une relation personnelle avec le martyr. Le poème s'achève sur l'instauration de la Paix de l'Église, avec le culte des martyrs.


Le martyr 653 

      

      Vincent, diacre de l'évêque Valère (cf. perist. 4, 79-80), à Saragosse, martyrisé à Valence le 22 janvier 304 durant la persécution de Dioclétien, fut enterré à Sagonte.

      Tradition hagiographique et liturgique

      

      Une fameuse Passion en prose 654  (dans un état moins évolué que l'actuel) est la source du récit romanesque de perist. 5 ; certains épisodes deviendront typiques, de même que le nom du persécuteur (Datianus), repris dans d'autres récits. Prudence complètera ce qu'il dit de saint Vincent en perist. 4, 77-107 (mention de la ville natale ; de même, chez Eugène de Tolède). Paulin de Nole mentionne aussi ce martyr (carm. 19, 164), auquel Pierre Damien (xie s.) et Hildebert de Lavardin (xie s. - xiie s.) consacrent chacun un poème, et Adam de Saint-Victor (xiie s.), une séquence 655 .

      Perist. 5 est utilisé dans la liturgie mozarabe (22.1), qui en donne à vêpres une adaptation en 18 quatrains 656  (reprise à complies) et en reprend la moitié (72 quatrains suivis d'une doxologie) à laudes 657 . On trouve des allusions ou emprunts à perist. 5 p.ex. chez Walafrid Strabon (ixe s.), Dungal (ixe s.) et Rupert de Deutz (xie - xiie s.) 658 .

      Témoignages archéologiques et artistiques du culte

      Le culte de saint Vincent, nommé au canon de la messe, est universel 659  ; le martyr est une sorte de saint national hispanique, mais son culte s'est très tôt implanté p.ex. en Gaule 660 . L'iconographie joint aux attributs liés à la passion (gril, pierre de meule, corbeau) ceux qui découlent de sa fonction, dès le Moyen-Âge, de saint patron des vignerons (raisin, serpette) ; le 'roman de saint Vincent', très riche en épisodes, est souvent représenté sur des vitraux, des fresques et des tapisseries (p.ex. à Berne, dont la collégiale était consacrée à s. Vincent avant la Réforme protestante) 661 .

      Saint Vincent figure sur des verres dorés cimétériaux, associé avec d'autres martyrs. On en a une représentation peinte du viie s. au cimetière de Pontien, à Rome.

      Bibliographie : cf. Castillo Maldonado 1996, Saxer 1989, Simonetti 1956, de Gaiffier 1949 et 1954b, de Waal 1907. Cf. DECA 2553-2554 (Saxer) ; BSS 12, 1149-1155 (Moral) ; AA. SS. 3 (janv. t. 3), 6-27 ; BHL 1247-1250. 8627-8637 et suppl. 865-866 ; Fros p. 378 ; BHG 2, 312 ; MHier 55 ; MRom 30-31.


Le poème

      Résumé

      Après une brève introduction (v. 1-16), Prudence évoque le refus du martyr de sacrifier (v. 17-92), sa résistance à la torture des ungulæ (v. 93-172) puis la mise en oeuvre de celle du feu (v. 201-236), après son refus de livrer les Écritures (v. 173-200). Le juge jette le martyr dans un cachot obscur jonché de tessons (v. 237-266), que des anges viennent rendre lumineux et paradisiaque (v. 267-304). Témoin de cela, le geôlier en fait rapport au juge (v. 305-324), qui veut reprendre le supplice et laisse d'abord les fidèles réconforter le martyr - en fait, le vénérer (v. 325-352). Le martyr meurt et son âme monte au Ciel (v. 353-376) ; le juge ordonne encore d'exposer son corps aux bêtes (v. 377-392), en vain, grâce à la protection d'un corbeau (v. 393-420), puis le fait jeter à la mer (v. 421-464), en vain aussi, puisque le corps échoue miraculeusement sur un rivage (v. 465-504). Là, le corps trouve enfin son repos (v. 505-524). Prudence compare saint Vincent aux autres martyrs (v. 525-545) avant de lui adresser une prière (v. 546-576).

      Dynamique et thématique du récit

      On a une succession de tableaux répétant en crescendo un schéma identique (sans les retournements dramatiques de perist. 2) ; le parti-pris est romanesque, celui d'une narration presque 'populaire' qui se rattache directement au genre des passions en prose. Il s'en dégage l'impression d'une accumulation, comme soulignée par l'usage récurrent et intensif, ici plus qu'ailleurs, de l'énumération asyndétique de trois termes (-> 5, 61).

      Prudence traite deux thèmes classiques de la littérature du martyre : nature de la mort acceptée par le martyr, nature des idoles qu'il rejette. L'un et l'autre, ambigus, sont à la croisée des domaines humain, angélique ou démoniaque, et divin. La mort est à la fois le châtiment suprême du persécuteur et un soulagement pour le supplicié - mais le juge continue d'outrager un corps qui y 'réagit', avant un repos qui sera attente de la résurrection 662 . Pour le martyr, les idoles ne sont que des objets matériels sans vie (cf. vv. 33-36. 67-72), mais habités par des démons - et de ce fait redoutables (cf. v. 77-84), mais d'ores et déjà vaincus par le Christ et donc 'morts' (cf. v. 85-92). Il s'instaurera une symétrie entre le martyr et les idoles qu'il combat : le juge affronte un être qu'il veut réduire à l'impuissance, mais qui montre paradoxalement une force considérable.

      Bibliographie : cf. les études de Verdière 1971 et d'Alfonsi 1951.

      Mots rares (seules occurrences chez Prudence) : indomabilis (v. 11), captator (v. 19), tribu (v. 30), altrinsecus (v. 53), condigna (v. 67), splendido (v. 73), prætorium (v. 101), conuiciator (v. 102), obteras (v. 107), diuulsa (v. 112), membratim (v. 112), respiret (v. 140), præsicca (v. 141 ; ->), refrigerati (v. 143), resulcans (v. 144), Leuites (v. 145), dilancinata (v. 156), inexsuperabilem (v. 170), callum (v. 177), exsibilat (v. 176), obstinatio (v. 178), detege (v. 182), pernix (v. 211), serrata (v. 217), infrequenti (v. 218), scintillat et excussus (v. 226), nigrior (v. 242), diuaricatis (v. 252), impolitis (v. 258), acuminata (v. 259), uafra (v. 265), Belzebulis (v. 267), obsessor (v. 310), conclaue (v. 316), introspicit (v. 317), admota (v. 318), iuncturas (v. 320), exemptus (v. 329), præfultum (v. 335), plerique (v. 341), tutamen (v. 343), manceps (v. 345), ianitor (v. 346), uero (v. 353), tædio (v. 355), eiusmodi (v. 357), elutam (v. 362), euasit (v. 383), gregalis (v. 391), carices (v. 396), circumuolarat (v. 402), portitor (v. 406), irremotus (v. 408), immanitas (v. 434), uoraces (v. 436), strenue (v. 449), remo (v. 451), palustri (v. 453), lembulo (v. 455), sparteus (v. 457), culleus (v. 458), conexus (v. 459), emensus (v. 471), fiscella (v. 492), præuolant (v. 499), adornat (v. 510), serram (v. 531), brauii (v. 538), augmentum (v. 550), testeum (v. 553).


Commentaire

      Passio sancti Vincenti martyris : titre avec l'épithète sanctus, inhabituelle (cf. Introd. § 169, n. 126), peut-être pour éviter l'expression beat(issim)us martyr (v. 1) ; cf. Introd., App. C, p. 135.

      1-8 : insistance sur le jour du martyre (cf. perist. 11, 231-238 ; 12, 1-6 ; cf. le début des hymnes 8 et 12 de s. Ambroise) ; ailleurs, le lieu importe davantage (perist. 1, 1-24 ; 2, 1-16 ; 3, 1-10 ; 4 passim ; 6, 1-6 ; 7, 1-10 ; 9, 1-4 ; 13, 1-6 ; 14, 1-6). Mêmes thèmes (couronnement, montée aux cieux) en perist. 8, 9 coronati scandebant ardua testes atria ; 14, 91-93. 119-120.

      
1-4 Beate martyr, prospera
diem triumphalem tuum,
quo sanguinis merces tibi
corona, Vincenti, datur !
Bienheureux martyr, fais prospérer le jour de ton triomphe, jour par lequel t'est donnée, pour prix de ton sang, Vincent, la couronne !

      1 : beate martyr : de même, perist. 4, 95-96 et les titres de perist. 2 ; 3 ; 7 ; 11 (avec beatissimus). L'adj. beatus qualifie aussi Abel (v. 372) et les ossements du martyr (v. 516 ; ->) ; cf. perist. 10, 834 cum beatus regna Christi intraueris ; substantivé en perist. 6, 27. Sur martyr, -> 2, 169. prospera : prière propitiatoire reprise aux vv. 545-546 adesto nunc et percipe | uoces precantum supplices ; cf. v. 558-559 placatus ut Christus suis | inclinet aurem prosperam (-> v. 559).

      2 : diem triumphalem : de même, Ps.-Avg. serm. 223, 1 ; cf. perist. 12, 3 dies triumphi (-> 14, 52). Ce triomphe est remporté sur le démon (cf. v. 542-544 ; -> v. 399). Ici, dies désigne à la fois le moment historique (-> 2, 31) et le temps liturgique (-> v. 561 solemnem diem). triumphalem tuum : cf. Hor. epod. 8, 12 triumphales tuum (fin de dimètre iambique).

      2-3 : tuum... tibi : quasi polyptote, cf. perist. 2, 549. 551 ; 11, 237-242 ; 13, 67-69.

      3 : quo : abl. de moyen (cf. v. 5-7 hic te... euexit ad cælum dies). sanguinis merces : cf. perist. 14, 122 ; ditt. 177 init Stephanus mercedem sanguinis. Sceau du martyre (-> 2, 16), le sang est matière d'un baptême (-> v. 361) et relique précieuse (-> v. 341-344).

      4 : corona... datur : cf. v. 297. 300 Christus Deus... larga coronat dextera ; cette couronne est double (cf. vv. 525-526. 537-540 ; -> 14, 7). Emblème du martyre (comme la palme, -> v. 539), elle récompense les élus : martyrs, pauvres vertueux (cf. perist. 2, 276) ou vierges (cf. perist. 14, 119-123) ; cf. N.T. Iac. 1, 12 beatus uir, qui suffert temptationem, quia cum probatus fuerit accipiet coronam uitæ quæ repromisit Deus diligentibus se ; I Petr. 5, 4 ; apoc. 2, 10 dabo tibi coronam uitæ. Prix de la poena ou du sang (cf. v. 526), elle représente aussi bien le martyre (perist. 6, 25) que le salut (v. 223), désignant parfois le martyr (perist. 4, 20 ; ditt. 180). L'image est empruntée aux concours gymniques (cf. N.T. II Tim. 2, 5 qui certat in agone, non coronatur nisi legitime certauerit ; 4, 7-8 bonum certamen certaui, cursum consummaui, fidem seruaui, in reliquo reposita est mihi iustitiæ corona ; Cypr. epist. 85, 8-9 agon sublimis et magnus et coronæ cælestis præmio gloriosus). En perist. 2, Prudence l'assimile dans un cas particulier à la corona ciuica (-> 2, 556). Le nom du Protomartyr Étienne (StefanoV) signifie 'couronne' ; cf. Introd. § 21. Vincenti : le martyr est nommé ici (-> 14, 1), ainsi qu'aux vv. 29. 273 ; même vocatif en perist. 4, 77. 89. Il y a ici une ambiguïté qui sera mise à profit par les liturgistes (cf. Introd. § 255 n. 119) : tibi... uincenti peut signifier 'à toi qui vaincs'. Nonobstant plusieurs emplois de uincere (-> v. 327), Prudence n'opère qu'ici ce rapprochement, récurrent chez Avg. serm. 274-276 (-> v. 367).

      
5-8 Hic te ex tenebris sæculi
tortore uicto et iudice
euexit ad cælum dies
Christoque ouantem reddidit.
Ce jour t'a fait sortir des ténèbres du siècle, après la défaite du bourreau et du juge, il t'a mené jusqu'au ciel, et t'a rendu, exultant dans ta victoire, au Christ.

      5-8 : le quatrain comprend 2 fortes hyperbates : hic... dies (vv. 5. 7) et te... ouantem (vv. 5. 8).

      5 : tenebris sæculi : termes proches, péjoratifs (sæculum, -> 2, 279 ; tenebræ, -> 14, 80).

      6 : cf. perist. 3, 171-175 ; après les bourreaux, le martyr vainc le juge, puis le démon (v. 543-544). tortore : sing. collectif (cf. v. 132 tortore tortus acrior ; les bourreaux sont deux, -> v. 138). Outre tortor, on trouve carnifex (-> 14, 17) et lictor (v. 98). uicto : -> v. 327. iudice : -> 2, 167.

      7 : euexit ad cælum : cf. vv. 304 liber in cælum ueni ! ; 368 cælum capessit spiritus (->) ; Verg. Æn. 6, 130 quos... euexit ad æthera uirtus. Euehere évoque la sortie du corps et du monde (cf. perist. 8, 18 ; -> 14, 91-93), mais peut aussi désigner, au figuré, l'élévation à une dignité (cf. Tac. dial. 13, 1). dies : sujet d'euexit, quasi personnifié (cf. l'ambiguïté de quo au v. 3).

      8 : Christoque... reddidit : le martyr est 'rendu' au Christ comme à son Créateur (cf. v. 359-360 mentem resoluit liberam | et reddit auctori Deo), et comme un soldat à son chef (-> v. 287-288). ouantem : cf. v. 2 diem triumphalem ; l'ouatio, distincte du triomphe (cf. Serv. Æn. 4, 543 ouatio est minor triumphus ; Cic. Phil. 14, 12 ouantem ac prope triumphantem), comportait aussi une montée solennelle au Capitole (cf. Cic. de orat. 2, 195). Ouare est utilisé de même en perist. 3, 169-170 (montée de l'âme de la martyre) ; cf. aussi perist. 12, 2.

      9-16 : ces quatrains se correspondent et s'opposent : vv. 9 angelorum particeps et 13 satelles idoli ; 10 collucis insigni stola et 14 præcinctus atris legibus ; 12 riuis cruoris et 16 ferro et catenis. De même, au début de perist. 2, un portrait du martyr précède celui du persécuteur (perist. 2, 37-44 ; 45-52).

      
9-12 Nunc angelorum particeps
collucis insigni stola,
quam testis indomabilis
riuis cruoris laueras,
Maintenant, compagnon des anges, tu brilles dans la robe éclatante que, témoin indomptable, tu avais lavée dans les ruisseaux de sang,...

      9 : angelorum particeps : cf. v. 573 laborum particeps. Le martyr est assisté des anges (cf. perist. 3, 48 ; 14, 92) avant d'aller partager leur vie (-> v. 288), ayant remporté l'épreuve (v. 11-16). Les martyrs semblent appelés magni angeli en perist. 4, 5. Cf. Introd. § 94 et n. 245.

      10 : cf. N.T. apoc. 3, 5 qui uicerit uestietur uestimentis albis ; 6, 11 datæ sunt illis singulæ stolæ albæ ; 7, 14 (-> v. 12) ; cf. perist. 1, 67 Christus illic candidatis præsidet cohortibus ; 4, 145 ter senis sacra candidatis. La référence scripturaire empêche de voir ici un ex. de 'romanisation' des attentes eschatologiques (-> 2, 275), comme le fait Kah (1990, p. 230) sur la base d'une ressemblance avec Verg. Æn. 10, 539 totus collucens ueste atque insignibus albis. collucis : forme de la 3e conjugaison (au lieu de la 2e), donnée par les bons mss, retenue par les éditeurs (cf. Lavarenne § 137). insigni : allusion au caractère distinctif de l''uniforme' du martyr (-> 2, 10) et à son éclat, attirant le regard (-> 12, 53) ; cf. à propos de la Croix, perist. 1, 36 præferunt insigne lignum, quod draconem subdidit. stola : cf. perist. 2, 275 purpurantibus stolis (->).

      11 : cf. perist. 1, 22 testibus, quod nec catenæ dura nec mors terruit ; 2, 505-506 inuictum Dei | testem ; 10, 9. testis : cf. v. 59 serui huius [= Dei] et testes sumus ; le nom testis, qui désigne le martyr par sa fonction (-> 2, 505-506), traduit martuV. indomabilis : adj. rare, appliqué à des hommes ici et chez Porph. Hor. Carm. 4, 1, 6 ; Consvlt. Zacch. 2, 4 p. 53, 17.

      12 : cf. N.T. apoc. 7, 14 lauerunt stolas suas et dealbauerunt eas in sanguine Agni (-> v. 339-340). riuis cruoris : l'image suggétant l'abondance du sang versé ; cf. v. 152 riuosque feruentes ; cath. 9, 42. laueras : cf. perist. 3, 144-145 membraque picta cruore nouo | fonte cutem recalente lauant.

      
13-16 cum te satelles idoli
præcinctus atris legibus
litare diuis gentium
ferro et catenis cogeret.
quand l'auxiliaire des idoles, accoutré de sombres lois, cherchait à te forcer à sacrifier aux divinités des gentils, recourant au fer et aux chaînes.

      13 : satelles : les persécuteurs sont suppôts de Satan ou de l'empereur (cf. p.ex. perist. 1, 75 blasphemus... satelles ; 3, 171) ; cf. cath. 1, 44 ; ham. 407. idoli : terme désignant l'idolâtrie (p.ex. perist. 11, 52), signifiant 'temple païen' en apoth. 186 (cf. Tert. cor. mil. 10). Même gén. contracté idoli en c. Symm. 1 præf. 72 ; on a idolii en perist. 11, 52 ; c. Symm. 1, 568.

      14: præcinctus : -> 2, 502 ; cf. perist. 1, 43 liberam succincta ferro pestis urgebat fidem (cf. v. 16 ferro). atris : adj. qualifiant aussi le cachot (-> v. 310). legibus : les édits de persécution ; cf. perist. 1, 41-42 ; 3, 26-30 ; 6, 41-42 ; 10, 34-35 ; 12, 11 legibus Neronis ; 13, 35-37. 81-82. Dioclétien confisque les objets du culte (v. 181-184) et impose un sacrifice général (v. 21-28).

      15: litare : cf. perist. 1, 42 idolis litare nigris (-> 13, 81). diuis : les dieux païens (cf. gentium : -> 2, 11) ; cf. v. 92 diuique et idem dæmones (cf. perist. 1, 69 ; 10, 84. 405. 412).

      16 : ferro et catenis : résumé symbolique de la passion du martyr, qui subit la torture (ferro ; -> 14, 36) par les ungulæ et, sur le gril acéré (v. 217-218), par les lamina brûlantes (vv. 207. 229-232), puis est emprisonné (cf. catenis ; -> 13, 53-54). Cf. Verg. Æn. 6, 558 stridor ferri tractæque catenæ. cogeret : cf. perist. 10, 911-912 præfectus ergo ratus elinguem uirum | cogi ad sacrandum posse. L'imparfait marque l'effort accompli.

      17-40 : les discours du juge (v. 17-28) et du martyr (v. 29-40) ont une certaine symétrie :

  • introduction (v. 17-20) ; autorité de l'empereur (v. 21-24) ; sacrifice aux idoles (v. 25-28),
  • introduction (v. 29-32) ; sacrifice aux idoles (v. 33-36) ; autorité du Père et du Fils (v. 37-40).

      
17-20 Ac uerba primum mollia
suadendo blande effuderat,
captator ut uitulum lupus
rapturus adludit prius.
Or, il avait d'abord répandu de douces paroles, pour le convaincre de manière caressante, comme le loup, prédateur, joue d'abord avec le veau qu'il va prendre.

      17-20 : propos captieux du juge (cf. v. 177-184 ; perist. 2, 57-108 ; 3, 101-125 ; 14, 15-17 [->]). Contrairement à ce que laisse entendre Lavarenne ('... il t'avait prodigué...'), ce passage ne fait plus partie de l'adresse au martyr, mais marque le début du récit à la 3e pers.

      17 : uerba... mollia : de même, Hor. epod. 5, 83. Le martyr répondra par des uerbis asperis (v. 44) ; une autre tentative du juge mettra en oeuvre des anguina uerba (v. 176).

      18 : suadendo : gérondif à valeur circonstantielle ; de même, perist. 6, 20 ; 9, 72 (cf. Lavarenne § 711). Suadendo occupe la même place dans le v. en perist. 2, 86 (->). blande : même emploi de cet adv. en perist. 2, 63 ; cf. perist. 14, 16 (->).

      19 : le loup, adversaire dangereux par excellence (cf. V.T. Ezech. 22, 27 ; N.T. Matth. 7, 15 adtendite a falsis prophetis qui ueniunt ad uos in uestimentis ouium, intrinsecus autem sunt lupi rapaces ; act. 20, 29 intrabunt post discessionem meam lupi graues in uos non parcentes gregi) ; cf. perist. 1, 98 ; 11, 241. captator : adj. à valeur conative proche de celle de rapturus (v. suiv.) ; vu sa place, il peut se rapporter aussi bien au juge ('séducteur', au figuré) qu'au loup ('qui capture' ou 'veut capturer'). ut : la comparaison, d'inspiration biblique, relève du genre épique homérique et annonce l'épisode des vv. 397-420 (cf. v. 412 : lupus en fin de v.). uitulum : au lieu de l'agneau, victime type du loup, Prudence évoque le veau, plus adapté à un miles inuictissimus (v. 293) ; les deux sont des animaux sacrificiels, dans les contextes biblique (V.T. num. 29, 2 offeretis holocaustum... uitulum... agnos) et païen (c. Symm. 1, 247 Augustum coluit, uitulo placauit et agno).

      20 : rapturus : cf. v. 414 rapacem beluam (à propos du loup). Rapere est aussi employé à propos des persécuteurs (-> 11, 25). adludit : ce n'est pas le martyr qui se joue du juge (-> 2, 315), mais le juge qui fait mine de le convaincre d'apostasier, alors qu'il veut sa mort. prius : reprise de primum (v. 17) ; la comparaison décompose l'action en 2 phases (rapturus ; adludit). Cf. perist. 14, 15 temptata multis nam prius artibus.

      
21-24 " Rex, inquit, orbis maximus,
qui sceptra gestat Romula,
seruire sanxit omnia
priscis deorum cultibus.
" Le roi ", dit-il, " le plus grand de la terre, qui tient les sceptres romuléens, a décrété que tout soit dévoué aux antiques cultes rendus aux dieux.

      21 : rex... orbis maximus : désignation emphatique (-> 14, 66) de l'empereur ; cf. perist. 1, 41 ductor aulæ mundialis ; c. Symm. 1, 9 inclytus... parens patriæ moderator et orbis.

      22 : qui sceptra : même début de v. en perist. 2, 417. sceptra gestat : de même, Verg. Æn. 12, 206. 211 ; Sen. Troad. 771. 781. Romula : adj. se référant généralement à Rome (-> 2, 310) ; ici, probable allusion à Romulus (cf. v. préc. rex). À Romula (Cunningham, la plupart des mss), Bergman et Lavarenne préfèrent publica (mss AP, Cmg.).

      23-24 : Prudence reflète la différence entre la persécution générale de Dioclétien (ici) et celle de Valérien, où s. Laurent mourut avec le reste du clergé (mais non les autres fidèles).

      23 : opposé à l'absolutisme pro-païen, Prudence célèbre dans des termes proches le caractère providentiel de l'impérialisme romain (cf. perist. 2, 418-420 : [Christus] sanciens | mundum Quirinali togæ | seruire et armis cedere). seruire : cf. perist. 2, 475-476 tætris sacrorum sordibus | seruire. sanxit : -> 2, 418. omnia : pour suggérer le caractère aliénant du paganisme, les personnes sont réifiées (neutre) et l'objet du culte, personnifié (v. 27-28 hæc saxa... | placate).

      24 : priscis... cultibus : cf. perist. 10, 401 ; c. Symm. 2, 336 ; 441-442 subdita Christo | seruit Roma Deo cultus exosa priores. Prudence relève l'ancienneté et la caducité du paganisme (-> 2, 1). deorum : cf. vv. 36 et 43 (même place du v.). Deorum reprend diuis gentium (v. 15).

      
25-28 " Vos, Nazareni, adsistite
rudemque ritum spernite !
Hæc saxa quæ princeps colit,
placate fumo et uictima ! "
" Vous, Nazaréens, comparaissez et mé-prisez un culte grossier ! Ces pierres, que le prince honore, rendez-les bienveillantes par la fumée et par une victime ! "

      25 : Nazareni : désignation peut-être insultante des chrétiens (cf. le Galilæi de Julien l'Apostat), sans connotation particulière en perist. 10, 45 disciplinam Nazarenam ; cath. 7, 1.

      26 : rudemque ritum : le christianisme est 'nouveau' par rapport aux priscis deorum cultibus (v. 24). Rudis peut signifier 'grossier' (cf. perist. 4, 168), ce qui ici serait ironique (cf. v. 27-28) ; ce reproche est fait aux païens (perist. 2, 4 ritum... barbarum [->] ; c. Symm. 1 præf. 3-4 Christum per populos ritibus asperis | immanes placido dogmate seminans ; 1, 499-500 ritus | ridiculos). spernite : cf. c. Symm. 1 præf. 5-6 immansueta suas ut cerimonias | gens pagana Deo sperneret agnito.

      27-28 : cf. perist. 6, 41-42 iussum est Cæsaris ore Gallieni | quod princeps colit, ut colamus omnes. Le juge invoque la religion d'État (cf. vv. 43. 45. 105-108), l'insoumission religieuse étant aussi politique et autorisant le recours à la force pour obtenir une allégeance formelle. En retour, ste Eulalie refuse d'obéir à un prince dont elle abhorre la religion (cf. perist. 3, 76-80).

      27 : cf. Pavl. Nol. carm. 19, 168 saxicolis cultoribus. saxa : soulignant la grossièreté du paganisme, Prudence parle de la matière des idoles ; cf. v. 34 tu saxa, tu lignum colas (->). princeps : -> 13, 35 ; Maximien. colit : repris dans la réponse au juge (vv. 34. 68 ; -> 2, 450).

      28 : ordonnant ici un sacrifice sanglant (uictima), le juge rabattra ses prétentions, n'évoquant qu'une offrande végétale (v. 50-51 ara ture et cæspite | precanda) puis un geste d'adoration (v. 179-180 puluinar ut nostrum manu | abomineris tangere). placate : souvent employé dans un contexte païen (p.ex. perist. 10, 261. 417. 1062), parfois à propos du Christ (-> v. 558). fumo et uictima : l'expression peut désigner des offrandes (végétales ou animales : p.ex. perist. 10, 916-918) ou, par hendiadyn, la fumée des animaux sacrifiés ; même ambiguïté en perist. 10, 186-187 quas ad aras præcipis | ueruece cæso fumet ut cæspes meus ? fumo : la fumée, opaque et sale, caractérise le paganisme : cf. perist. 10, 261 fuligunosi ture placantur lares ; cath. 12, 197 fumosa auorum numina. Fumo peut désigner des offrandes d'encens (-> v. 50). uictima : terme proche d'hostia (-> 14, 84), ici dans un contexte païen (de même, p.ex. apoth. 484).

      
29-32 Exclamat hic Vincentius,
Leuita de tribu sacra,
minister altaris Dei
septem ex columnis lacteis :
Là s'exclame Vincent, lévite issu de cette tribu sacrée, ministre de l'autel de Dieu, l'une des sept colonnes blanches comme le lait : ...

      29 : exclamat : cri comparable à celui des Vertus, psych. 53. 694 ; ce discours s'achève sur his intonantem (v. 93). hic Vincentius : même fin au v. 273 ; sur Vincentius, -> v. 4. hic : même adv. (temporel et circonstanciel ; cf. vv. 41. 273) en perist. 2, 485 hic finis orandi fuit.

      30-32 : périphrase indiquant que le martyr est l'un des 7 diacres de son diocèse (Saragosse) ; cf. perist. 2, 37-38 hic primus e septem uiris | qui stant ad aram proximi ; cf. Introd. § 159.

      30 : jeu étiologique et étymologique filant la métaphore appelant les diacres 'lévites' (-> 2, 39 ; cf. v. 145 Leuites). La tribu sacerdotale de Lévi est séparée des autres (cf. V.T. deut. 10, 8).

      31 : minister : cf. perist. 6, 23 Dei ministros ; ce nom qui traduit diakonoV désigne le diacre chez Cypr. epist. 65 ; Lact. mort. pers. 15, 2. altaris Dei : altar (-> v. 515) et ara (-> v. 518) désigne l'autel chrétien (ailleurs, païen : ara, p.ex. v. 50 ; altar, p.ex. c. Symm. 1, 158).

      32 : septem : à Jérusalem, les premiers diacres furent sept (N.T. act. 6, 1-6), usage repris dans d'autres diocèses, dont Rome (-> 2, 37). septem... columnis : cf. V.T. prou. 9, 1 Sapientia ædificauit sibi domum, excidit columnas septem (repris en psych. 868 domus interior septem subnixa columnis). L'attribution de cette image au martyr semble découler d'une exégèse de N.T. I Tim. 3, 15 (columna et firmamentum ueritatis) faisant de columna une désignation de Timothée ; cf. aussi N.T. apoc. 3, 11-12 qui uicerit faciam illum columnam in templo Dei mei. lacteis : comme candidus (-> v. 373-374), cet adj. peut avoir un sens esthétique (blancheur de l'aube diaconale) ou éthique (pureté, attribut des diacres : N.T. I Tim. 3, 8-13). Lacteus a les mêmes connotations en cath. 2, 70 ; ham. 804 ; cf. aussi lacteolus (-> 11, 245).

      
33-36 " Tibi ista præsint numina,
tu saxa, tu lignum colas,
tu mortuorum mortuus
fias deorum pontifex !
" Que de telles divinités te gouvernent ! Toi, honore des pierres, honore du bois ! Toi, deviens le pontife mort de dieux morts !

      33-36 : triple anaphore de tu, annoncée par tibi, à laquelle répond nos au v. 37 (il faut séparer les quatrains par une ponctuation forte, non comme chez Bergman). Après le subj. præsint, même mode à la 2e pers. du sing. (colas ; fias ; cf. cath. 4, 67 ; apoth. 834 ; Lavarenne § 745).

      33 : tibi... præsint : aliéné par le paganisme, le juge n'a pas d'autorité. ista... numina : ista renforce tibi, avec une nuance péjorative. Numina (-> 2, 122) se retrouve à la fin du v. 68.

      34 : cf. V.T. Hier. 2, 27 dicentes ligno : 'Pater meus es tu' et lapidi : 'Tu me genuisti' ; Hab. 2, 19 uæ qui dicit ligno : 'Expergiscere', 'Surge' lapidi tacenti. Cf. cath. 11, 35 uel æra uel saxa algida | uel ligna credebat deum ; 12, 197-198 fumosa auorum numina, | saxum, metallem, stipitem. saxa : reprise des paroles du juge (v. 27 ; cf. v. 68). Les idoles sont aussi appelées ainsi p.ex. en perist. 10, 382. Sur saxum, -> v. 243-244. lignum : comme stipes (perist. 10, 302. 381), lignum désigne la matière de certaines idoles. colas : verbe repris du v. 27 ; -> 2, 450.

      35-36 : s. Vincent invite le juge à dépasser les limites de sa fonction, en devenant prêtre des dieux au nom desquels il est persécuteur, et, aux vv. 146-152, en devenant bourreau.

      35 : mortuorum mortuus : polyptote ; cf. perist. 10, 436-440 pupilla carnis crassa crassum perspicit |... | liquidis uidendis aptus est animæ liquor, | natura feruens sola feruentissimæ | diuinitatis uim... capit. Parfois, cette figure s'assortit d'un jeu sur le sens des termes (-> 14, 28). Ici, cette manière de lier le juge au monde des morts annonce peut-être son acharnement - unique dans le recueil - sur le cadavre (v. 386 inferre poenam mortuo). Symmaque est appelé pereuntum | adsertor diuum en c. Symm. 1, 624-625. mortuorum : ces dieux sont 'morts', inanimés (cf. v. 34) et liés au monde des ténèbres (-> v. 78-92) ; au contraire, v. 86 pollere Christum et uiuere.

      36 : deorum : -> v. 24. pontifex : utilisé à propos de prêtres païens (-> 2, 525).

      
37-40 " Nos lucis auctorem Patrem
eiusque Christum Filium,
qui solus ac uerus Deus,
Datiane, confitebimur. "
" Nous, c'est le Père, auteur de la lumière, et son Fils le Christ, qui sont le seul et vrai Dieu, Datien, que nous confesserons. "

      37 : nos : forte hyperbate avec confitebimur (v. 40) ; nos répond à la triple anaphore de tu (v. 34-35) ; opposition analogue dans le second discours du martyr (vv. 57 uox nostra ; 65 uestra inanis uanitas), et dans celui de s. Laurent (cf. perist. 2, 225 nostri ; 229 uestros). lucis : la lumière, opposée aux ténèbres du paganisme et de la mort (cf. Kah 1990, p. 226 n. 573), peut être ici aussi bien la première créature de Dieu (cf. V.T. gen. 1, 3) que le Christ (-> 2, 204 : cf. perist. 10, 318). On a ici une prophétie indirecte, puisque Dieu illuminera le cachot du martyr (emploi de lux aux vv. 270. 308. 351). auctorem : nom repris au v. 360 auctori Deo (-> 2, 416).

      37-38 : Patrem... Christum Filium : cette confession de foi correspond aux invocations des prières de perist. 13, 55-56 ; 14, 52-53. Le Père et le Fils sont aussi associés dans les discours de perist. 6, 44-46 ; 10, 176. 321. 354. 569. 600. 669. 952 ; cf. aussi perist. 4, 174.

      39 : ellipse de est. solus ac uerus : mêmes termes dans la profession de foi d'un enfant martyr (perist. 10, 672-675). L'unicité de Dieu (solus, -> v. 172) s'oppose au polythéisme païen (-> 2, 451) et fonde la monolâtrie du martyr (cf. v. 172 solique subiectum Deo). Dieu est le dieu véritable (l'épithète uerus est fréquente, cf. p.ex. perist. 2, 394. 455). Deus : le sing. s'oppose au plur. deorum des vv. 24. 36 (cf. aussi vv. 15 diuis gentium ; 33 numina).

      40 : Datiane : Datien est un des rares juges persécuteurs nommés dans le recueil (cf. aussi vv. 129. 421), avec Æmilianus (perist. 6, 34) et Asclepiades (perist. 10, 42, etc.) ; on a parfois le nom d'auxiliaires du juge (v. 466 Eumorphio ; perist. 10, 896 Aristo). La renommée de la passion de s. Vincent rendra proverbial le nom de Datien, introduit dans plusieurs récits : cf. de Gaiffier 1954. confitebimur : cf. perist. 4, 185 ambo confessi Dominum ; 9, 55 ; 10, 133.

      41-48 : comme en perist. 2, 317-328, le juge pose d'abord des questions rhétoriques (vv. 42 audesne ; 48 permouet) ; ces quatrains se correspondent, cf. vv. 42 et 48 ; 43 et 45(-46) ; 44 et 47.

      
41-44 Hic ille iam commotior :
" Audesne, non felix, ait,
ius hoc deorum et principum
uiolare uerbis asperis,
Alors, celui-là, maintenant davantage troublé : " Oses-tu, malheureux ", dit-il, " outrager ce droit des dieux et des princes avec des paroles déplaisantes, ...

      41 : 1er degré dans la rage : cf. ensuite vv. 95 conclamat ; 130 furens ; 202-204 pallet, rubescit, æstuat, | insana torquens lumina, | spumasque frendens egerit ; 327-328 uoluit gemens | iram, dolorem, dedecus ; 378-380 hostem coquebant inrita | fellis uenena et liuidum | cor efferata exusserant ; 423-424 quantis gementem spiculis | figebat occultus dolor. hic : -> v. 29.

      42 : non felix : imitation probable d'Hor. epod. 12, 25 o ego non felix (cf. Opelt 1970, p. 209) ; cf. perist. 3, 104 respice, gaudia quanta metas ; le martyr est felix et beatus (-> 14, 124).

      43 : motif repris au v. 45 ius et sacratum et publicum ; cf. v. 101-102 iam faxo ius prætorium | conuiciator ut sentiat. Malgré sa formation (cf. præf. 8-18), Prudence recourt peu au registre juridique (cf. perist. 9, 66). Ailleurs, ius ne désigne pas l'ordre juridique romain, mais le ius Christiani nominis (perist. 2, 430), respecté avant la loi temporelle (cf. perist. 6, 56 numquam conuiolabo ius dicatum). deorum et principum : expression soulignant le lien entre paganisme et État (-> v. 27-28 , cf. l'existence du culte impérial). L'utilisation symétrique du plur. principum peut s'expliquer par référence à la tétrarchie ou à la jurisprudence.

      44 : allitération et homéotéleutes. uiolare : même forme au début du v. 158 (invulnérabilité de l'âme du martyr : cf. v. 169-172) ; ici, l'ordre légal est outragé par les seules paroles du martyr (uerbis). uerbis asperis : le discours des vv. 33-40, contrastant avec les uerba mollia du juge (-> v. 17). Le seul visage rayonnant du martyr suffira à irriter le juge (v. 125-132).

      
45-48 " ius et sacratum et publicum,
cui cedit humanum genus,
nec te iuuentæ feruidæ
instans periclum permouet ?
" ... le droit, qu'il soit sacré ou public, auquel se soumet le genre humain, et le danger qui menace ta jeunesse fiévreuse ne t'émeuvent-il pas ?

      45-46 : l'empereur incarne l'État (v. 22 sceptra... Romula [ou publica] ; cf. ius... publicum) qui équivaut au monde (v. 21 orbis ; cf. humanum genus) ; par son autorité universelle (v. 23 seruire sanxit omnia ; cf. v. 46), il édicte une loi religieuse (v. 24 deorum cultibus ; cf. ius... sacratum).

      45 : reprise du v. 43 ius hoc deorum et principum (->) ; la répétition de et souligne l'unité des ordres religieux et politique (-> v. 27-28). sacratum : le martyr ne commet aucun sacrilège (au contraire, perist. 3, 128-130), mais viole l'édit 'sacré' par son origine et son objet.

      46 : légitimation du paganisme par la légalité et, de facto, par son extension dans l'espace et dans le temps (cf. v. 24) ; cela n'ébranle pas la certitude d'ordre métaphysique du martyr (cf. v. 39 solus ac uerus Deus). cedit : cf. perist. 2, 419-420 mundum Quirinali togæ | seruire et armis cedere. Ce verbe à connotation militaire désigne souvent la défaite des persécuteurs (-> v. 122) ; de même, avec le dat., perist. 10, 725. 960. humanum genus : cf. perist. 2, 204 (->). L'universa-lité de l'Empire, providentielle (cf. perist. 2, 417-432), rend absolu son pouvoir, pour le juge.

      47 : motif topique de la fougue juvénile (c. Symm. 2, 320 sanguine præcalido feruet neruosa iuuenta ; -> 13, 21). iuuentæ : outre iuuenta (8 ex.), on a iuuentus (4 ex., dont perist. 14, 29) et iuuentas (c. Symm. 2, 1083). feruidæ : cf. perist. 12, 23 euomit in iugulum Pauli Nero feruidum furorem.

      48 : instans periclum : cf. perist. 3, 122-125, en part. 125 poena grauis procul afuerit. Pour les martyrs, la mort n'est pas un periculum, mais la fin de l'épreuve : cf. perist. 6, 117 [ut] finem daret anxiis periclis. periclum permouet : l'emploi de permouet (et non p.ex. commouet, cf. v. 41 commotior) permet un effet d'homéoarques.

      
49-52 " Hoc namque decretum cape :
aut ara ture et cæspite
precanda iam nunc est tibi,
aut mors luenda est sanguine. "
" Et de fait, saisis bien ce décret : il te faut soit prier dès lors et maintenant l'autel avec l'encens et le gazon, soit payer le prix de la mort avec le sang. "

      49 : cape : même double sens qu'en français ('comprends', 'reçois') ; cf. perist. 2, 407.

      50-52 : aut... aut : le dilemme est souligné par l'anaphore (cf. v. 45 et... et) ; alternative semblable imposée à d'autres martyrs (cf. perist. 3, 121-125 ; 6, 40-43 ; 13, 81-82 ; 14, 25-30).

      50 : le juge demande une offrande végétale, diminuant ses exigences (-> v. 28) tandis que croît sa colère (-> v. 41). ara : terme pouvant désigner un autel païen (ici ; perist. 14, 26) ou chrétien (-> v. 518). ture et cæspite : cf. apoth. 187 ridiculosque deos uenerans sale, cæspite, ture. ture : il est aussi question d'offrandes d'encens en perist. 3, 122-123 ; 10, 261. 916-917 ; c. Symm. 1, 353. cæspite : seul Prudence parle d'offrandes de gazon, peut-être du fait d'une confusion avec l'autel fait de mottes de gazon (perist. 10, 187 fumet ut cæspes meus, ambivalent) due à une mélecture d'Hor. carm. 1, 19, 13-14 hic uiuum mihi cæspitem, hic | uerbenas, pueri, ponite turaque ; 3, 8, 2-4 quid uelint flores et acerra turis | plena miraris positusque carbo in | cæspite uiuo.

      51 : precanda : de même, dans un contexte païen, perist. 10, 256 ; c. Symm. 1, 207 (cf. Lvcil. 206 diuos ture precemur). iam nunc : cf. v. 389 iam nunc et ossa extinxero ; nunc renforce la valeur impérative de precanda (-> v. 165). tibi : emploi apo koinou pour precanda... est (ici) et luenda est (v. suiv.) ; cf. v. 54-55 quidquid uirium, | quidquid potestatis tibi est.

      52 : expression ambivalente (sens obvie : 'tu seras puni par une mort sanglante' - luere, 'punir'), pouvant signifier 'la mort sera expiée par ton sang' (luere, 'expier' : cath. 3, 135 impia crimina morte luit). Par le sang versé (qui lave le péché), la mort est vaincue : cf. v. 3 sanguinis merces ; perist. 2, 18-19 proprii cruoris prodiga ; | nam morte mortem diruit (->). On a ici un ex. d'ironie tragique dans les décrets du juge, comme p.ex. en perist. 2, 330. mors : selon le sens donné à luenda, mors peut désigner la condamnation à mort (pour le païen, sens obvie) ou la perdition et la condition mortelle (pour le chrétien, sens caché). sanguine : -> v. 3.

      
53-56 Respondit ille altrinsecus :
" Age ergo, quidquid uirium,
quidquid potestatis tibi est,
palam reluctor, exsere !
Celui-là, de l'autre côté, répond : " Allons donc, tout ce que tu as de forces, tout ce que tu as de pouvoir, mets-le en oeuvre, je résiste ouvertement !

      53 : respondit ille : même début de v. en perist. 10, 681. altrinsecus : adv. rare, cf. Plavt. Mil. 446 ; Apvl. met. 1, 16, 10.

      54 : age ergo : même double exclamation, ironique, en perist. 3, 91 ergo age, tortor, adure, seca ; cf. c. Symm. 2, 490. Age est employé dans le même contexte au v. 148. ergo : -> 2, 293.

      54-55 : quidquid uirium, quidquid potestatis : cf. vv. 34 tu saxa, tu lignum colas ; 71 quæ uoce, quæ gressu carent. Le martyr ne reconnait au juge qu'une potestas fondée sur la violence (cf. aussi v. 162), non sur le droit (vv. 43 ; 45 ius et sacratum et publicum ; 49).

      56 : palam reluctor : refus franc et solennel, tandis que le juge avance comme un serpent (-> v. 176). exsere : cf. perist. 14, 65-66 exsere | præcepta summi regia principis !

      
57-60 " Vox nostra quæ sit, accipe :
est Christus et Pater Deus,
serui huius et testes sumus.
Extorque, si potes, fidem !
" Reçois ce qui est notre devise : le Christ et le Père, voilà Dieu, nous sommes ses serviteurs et témoins. Arrache notre foi, si tu le peux !

      57-60 : le témoignage (v. 58-59) est encadré par uox et par fidem, qui le désignent, et par accipe et extorque ; la ponctuation (ici différente de celle des éditeurs) reflète cette structure.

      57 : uox nostra : anastrophe ; à uox nostra s'oppose uestra inanis uanitas (v. 65) ; opposition semblable aux vv. 33-40. La foi du martyr est un impératif que contredit vainement le scitum Cæsaris (cf. v. 66). accipe : réponse au v. 49 hoc... decretum cape (le juge).

      58-59 : cette formule est un 'kérygme', proclamation première de la foi (comme antérieure à une proposition théologique, à un énoncé dogmatique) ; son énonciation équivaut à son contenu (c'est en disant " Est Christus et Pater Deus " que le martyr est seruus et testis Dei). Ces deux vv. où il est question de Dieu (v. 58) et du rapport de l'homme à Dieu (v. 59) sont symétriques (cf. est... sumus et le groupe Christus et Pater comme reflété dans serui... et testes).

      58 : est (au lieu de sunt) et l'attribut Deus sont employés apo koinou, pour souligner l'unité de Dieu et le fait que la plénitude de la divinité réside dans le Père et dans le Fils. L'anastrophe de est semble conférer au verbe être la valeur forte, métaphysique d'esse (V.T. exod. 3, 14 ego sum qui sum, repris en N.T. Ioh. 8, 58 antequam Abraham fieret, ego sum). Ce v. résume les vv. 37-40 nos lucis auctorem Patrem | eiusque Christum Filium, | qui solus ac uerus Deus | ... confitebimur.

      59 : le martyr évoque sa relation à Dieu (-> 2, 505-506), avec sa double qualité de diacre (seruus équivaut au grec diaconus) et de martyr (testis traduit le grec martyr) ; le service de Dieu et du prochain et la prédication forment l'office propre au diacre. serui : sur seruus Dei, -> 2, 474 ; cf. v. 31 minister altaris Dei. Par fidélité à ce service, s. Vincent ne peut se plier à l'ordre impérial (v. 23-24 seruire...| priscis deorum cultibus). testes : cf. v. 11 testis indomabilis (->).

      60 : extorque : terminaison brève (cf. ham. 264 percense : rare, cf. Lavarenne § 164). Extorque annonce l'idée de torture (v. 61-62). L'emploi d'un composé en ex- s'explique dans la suite, où le martyr oppose à son corps vulnérable son intériorité (vv. 157 intrinsecus ; 167 qui perstat intus). si potes : le martyr lance un défi (cf. quatrain suiv.). Après sa 1ère victoire, il dira (v. 157-158) : est alter, est intrinsecus, | uiolare quem nullus potest. fidem : aussi bien l'objet de la foi (cf. v. 58) que la fidélité du croyant (cf. v. 59) ; cf. perist. 13, 75 fidem tueri ; 14, 14.

      
61-64 " Tormenta, carcer, ungulæ
stridensque flammis lamina
atque ipsa poenarum ultima,
mors, Christianis ludus est.
" Tortures, prison, ongles de fer, lamelles sifflant sous la flamme, et même le dernier des supplices, la mort, pour les chrétiens, c'est une joute.

      61-64 : le martyr prophétise indirectement ce qui l'attend (cf. perist. 2, 217-220) : prison, torture par le fer puis par le feu, mort. Les vv. 61-62 sont composés de 3 termes, avec répartition syllabique semblable ; cf. vv. 549. 551-553 per te, per illum carcerem... per uincla, flammas, ungulas, | per carceralem stipitem, | per fragmen illud testeum. Cf. Damas. carm. 33, 1-2 uerbera, carnifices, flammas, tormenta, catenas | uincere Laurenti sola fides potuit ; -> v. 249-264.

      61 : cf. perist. 11, 105 uerbera, uincla, feras. On a aussi 3 noms en asyndète aux vv. 108. 328. 551 ; de même, des adj. (vv. 72. 80. 159. 467) ou des verbes (vv. 131. 202). tormenta carcer : ces types de peines (cf. perist. 1, 80-81 iugibus longum catenis an capillum pauerint, | quo uiros dolore tortor quaue pompa ornauerit) constituent souvent une alternative : certains martyrs (cf. perist. 6, 16-31 ; 13, 51-54) ne restent en prison que peu avant l'interrogatoire, suivi de l'exécution ; un juge cruel peut affaiblir par la prison ceux qu'il va torturer (cf. perist. 11, 53-54) ou, comme ici, alterner ces peines pour prolonger le supplice (cf. vv. 141-144. 329-332).

      61-62 : ungulæ... flammis : cf. perist. 1, 56 uerberum post uim crepantum, post catastas igneas ; 10, 481 ignis et fidiculæ ; de même, les châtiments divins dont le martyr menace le juge sont le glaive (fer, v. 189) et la foudre (feu, v. 192). Sur le supplice des ungulæ, -> v. 120.

      62 : le v. préc., elliptique, est complété par un détail expressif (-> 11, 55-56). stridensque : cf. vv. 173-174 stridentibus | laniatur uncis denuo ; 227-228 punctisque feruens stridulis | sparsim per artus figitur. flammis : moyen de torture (cf. vv. 207. 551), le feu sert ici à chauffer les lamina. lamina : nom aussi orthographié lammina. Cf. Ps.- Cypr. laud. mart. 15 equuleo corpus extensum candentes stridet ad laminas. Alors que le bûcher (ou le gril) est un moyen d'exécution, le supplice inquisitoire par le feu recourt aux laminæ (cf. perist. 10, 486. 760) ou aux faces (cf. Plavt. Asin. 548 ; Lvcr. 3, 1017 ; Cic. Verr. iv 4, 163) ; ensuite sera mentionnée une variante (le métal n'est pas appliqué sur le corps, mais sert à y répandre de la graisse brûlante : v. 229-232).

      63 : ipsa : le point culminant de l'énumération (ultima), est aussi un dépassement radical de toute la série ; de même, p.ex. perist. 2, 261. poenarum : -> v. 153-154.

      64 : cf. perist. 2, 330 uotiua mors est martyri. mors : cf. v. 52. Christianis : -> 2, 59. ludus est : le martyr défie le juge et s'en moque (v. 117 ridebat hæc miles Dei ; cf. v. 104 dis destruendis luserit) ; traduire ludus est par 'n'est qu'un jeu' (Lavarenne) est réducteur, à moins de donner à mors le sens de 'peine de mort'. La mort semble indifférente au martyr (-> v. 161-164), mais ce moment crucial de la passion (cf. vv. 291-292. 361-364) est l'objet de ses voeux (v. 356 mortis incensus siti). Ludus correspond au grec agwn (-> v. 135 agone), 'concours' - ici, l'enjeu est la vie éternelle : cf. N.T. I Cor. 9, 24-25 omnes quidem currunt, sed unus accipit brauium (cf. v. 538-539 brauii... palmam) ... omnis autem qui in agone contendit, ab omnibus se abstinet, et illi quidem ut corruptibilem coronam accipiant, nos autem incorruptam ; II Tim. 2, 5 qui certat in agone, non coronatur nisi legitime certauerit ; 4, 7-8 bonum certamen certaui, cursum consummaui (cf. v. 289-290 decursa iam satis tibi | ... munia), fidem seruaui, in reliquo reposita mihi est iustitiæ corona. Cette métaphore est appliquée à s. Vincent en perist. 4, 101-104 ; cf. Cypr. epist. 58, 8.

      
65-68 " O uestra inanis uanitas
scitumque brutum Cæsaris !
Condigna uestris sensibus
coli iubetis numina :
" Ô creuse vanité que la vôtre, et que l'arrêté de César est stupide ! Elles sont bien dignes de votre entendement, les divinités aux-quelles vous ordonnez de rendre un culte : ...

      65 : o : regret ou désapprobation, cf. perist. 1, 73 ; 10, 371-373. 801. uestra : corres-pondance avec le v. 57 uox nostra. inanis uanitas : pléonasme, jeu de sonorités ; cf. cath. 11, 33-36 cæca uis mortalium, | uenerans inanes nenias, | uel æra uel saxa algida | uel ligna credebat deum.

      66 : scitumque : ordre de l'empereur (cf. vv. 21-24. 27-28) ; cf. v. 49 decretum. brutum : à brutum est associée l'idée d'animalité, liée aux païens (cf. perist. 1, 94 bruta quondam Vasconum gentilitas) et opposée celle de sagesse (cf. psych. 518). Cæsaris : -> 2, 95.

      67-76 : avant la perversité du paganisme (v. 78-92), le martyr évoque sa sottise et son matérialisme grossier. Les idoles ne sont rien, tout en étant dangereuses (N.T. I Cor. 8, 4 nihil est idolum in mundo et... nullus Deus nisi unus ; 10, 19-20 quid ergo dico... quod idolum sit aliquid, sed quæ immolant gentes, dæmoniis immolant et non Deo ; nolo autem uos socios fieri dæmoniorum). Les martyrs refusent donc de toucher le coussin des idoles (v. 179-180) ou leurs offrandes (perist. 3, 122-124). Cf. V.T. Is. 44, 9-10 plastæ idoli omnes nihil sunt, et amantissima eorum non proderunt eis, ipsi sunt testes eorum quia non uident neque intellegunt ut confundantur, quis formauit deum et sculptile conflauit ad nihil utile ; Hab. 2, 18-19 quid prodest sculptile, quia sculpsit illud fictor suus conflatile et imaginem falsam, quia sperauit in figmento fictor eius, ut faceret simulacra muta. uæ qui dicit ligno : 'Expergiscere !', 'Surge !' lapidi tacenti. numquid ipse docere poterit ? ecce iste coopertus est auro et argento et omnis spiritus non est in uisceribus eius. Cf. apoth. 455-459 (Julien l'Apostat) caput ante pedes curuare Mineruæ, | fictilis et soleas Iunonis lambere, plantis | Herculis aduolui, genua incerare Dianæ, | quin et Apollineo frontem submittere gypso | aut Pollucis equum suffire ardentibus extis.

      67 : sensibus : ambivalent, 'intelligence' ou 'sens' (-> 2, 212) ; imitations grossières de dieux imaginaires, les idoles ne peuvent parler à l'intelligence (cf. v. 71-72).

      68 : coli... numina : mêmes termes aux vv. 27 et 33-34.

      
69-72 " excisa fabrili manu
cauis recocta et follibus,
quæ uoce, quæ gressu carent,
immota, cæca, elinguia.
" ... taillées de la main d'un forgeron, recuites à l'aide de soufflets creux ; elles sont privées de la parole, de la faculté de marcher, immobiles, aveugles, muettes.

      69-70 : comme s. Laurent (contre l'or : perist. 2, 192 poenalis excudit labor ; 196 flammis... decoqui), le martyr évoque la grossièreté puis la perversité (perist. 2, 197-202 ; ici v. 78-92) de l'idolâtrie.

      69 : cf. perist. 3, 76-80 Isis, Apollo, Venus nihil est, | Maximianus et ipse nihil, | illa nihil, quia facta manu, | hic, manuum, quia facta colit ; | friuula utraque et utraque nihil. fabrili manu : équivalent de fabri manu ; cf. Verg. Æn. 8, 415. En perist. 10, 267-300, le martyr critique les idoles et leurs auteurs, fabri deorum uel parentes numinum (10, 293). manu : la main représente l'agent, qu'il s'agisse du bourreau (cf. vv. 118. 151 ; -> 14, 88) ou du martyr, censé adorer les idoles (cf. v. 179), priant Dieu (-> v. 235-236) ou enchaîné (-> 13, 54). Prudence parle de la main de plusieurs acteurs : donateur (perist. 11, 185), avare (perist. 2, 242), fidèles recueillant des reliques (perist. 10, 842), sténographe (perist. 9, 70. 80), peintre (perist. 11, 129), médecin (perist. 10, 497), soldat (perist. 1, 39), dresseur de chevaux (perist. 11, 91).

      70 : la chaleur et les soufflets évoquent le uapor (-> 2, 356), séjour des démons. Singeant l'acte créateur (V.T. gen. 2, 7 formauit... hominem de limo terræ, et inspirauit in faciem eius spiraculum uitæ), l'artisan 'insuffle' le démon à l'idole qu'il fabrique. cauis... follibus : le soufflet de forge (fabrilis follis : cf. Liv. 38, 7, 12) évoque la même idée de creux et de vide qu'inanis uanitas (v. 65) et excisa (v. préc.). recocta : év. cuisson de l'argile, plus probablement du métal, après récupération (cf. perist. 10, 298-300 ; Verg. Æn. 7, 636) ou raffinage (cf. perist. 2, 195-196).

      71-72 : 2 relatives dépendant d'un même verbe (-> v. 54-55) puis 3 adj. (-> v. 61) ; les dieux sans vie (cf. v. 35-36) ne peuvent ni percevoir (cæca), ni s'exprimer (quæ uoce... carent | ... elinguia), ni se mouvoir (quæ gressus carent, | immota) ; le juge tentera de réduire le martyr à cet état, mais les anges le feront voir, se mouvoir (v. 269-272), et chanter (v. 313-316).

      72 : cf. v. 80 uagi, impotentes, sordidi. cæca : l'aveuglement, liée à l'erreur, caractérise le paganisme (-> 2, 456). elinguia : la main symbolise le pouvoir d'agir (-> v. 69), la langue, celui de parler (-> 13, 4) ; cf. c. Symm. 1, 300-301 hominumque uocabula mutis | scripserunt statuis.

      
73-76 " His sumptuosa splendido
delubra crescunt marmore,
his colla mugientium
percussa taurorum cadunt.
" C'est pour elles que s'élèvent les temples somptueux aux marbres éclatants, pour elles que tombent les taureaux mugissant dont on frappe le cou.

      73 : sumptuosa splendido : redondance ; le luxe est lié à la vanité (cf. perist. 14, 104-105 splendore multo structa habitacula, | illusa pictæ uestis inania), cf. inanis uanitas (quatrain préc.).

      73-74 : splendido... marmore : les sacrifices païens souillent (cf. c. Symm. 1, 501 ; 2, 834-836) le marbre (-> 2, 482) - ici encore splendidus, les temples étant en construction (crescunt).

      74 : delubra : comme fanum (perist. 2, 1), ne désigne chez Prudence que des temples païens (p.ex. perist. 10, 418). crescunt : les bâtisseurs élèvent des temples, les prêtres font tomber les taureaux (v. 76 cadunt). Cf. Prop. 4, 1, 5 fictilibus creuere deis hæc aurea templa.

      75-76 : colla mugientium... taurorum : évocation d'un ensemble par des détails suggestifs (cf. Introd. § 33) ; celui du cou, lié au joug, exprime peut-être l'idée de soumission (-> 11, 90). Il est encore question d'un taureau au v. 415 (->). colla... percussa : cf. ham. præf. 16 germana curuo colla frangit sarculo (Caïn ; cf. perist. 10, 836-837 dum ferit ceruiculam | percussor ense).

      75 : mugientium : sur ce gén. plur. -ium, cf. Lavarenne § 94. Cf. c. Symm. 1, 218-220 ac Sacram resonare uiam mugitibus ante | delubrum Romæ (colitur nam sanguine et ipsa | more deæ...).

      76 : percussa... cadunt : cf. perist. 6, 65-66 uilis gladiator ense duro | percussus cadit (même emploi de cadere en perist. 10, 1052). taurorum : l'animal sacrificiel le plus grand et le plus coûteux. Cf. perist. 10, 1007-1050 (taurobole) ; c. Symm. 2, 1124 ; apoth. 462.

      
77-80 - " At sunt et illic spiritus. "
- " Sunt, sed magistri criminum
uestræ et salutis aucupes,
uagi, impotentes, sordidi,
- " Mais en elles il y a aussi des esprits. "
- "
Oui, mais ils sont des maîtres pour le crime et les oiseleurs de votre salut, ils sont vagabonds, effrénés, ignobles, ...

      77 : selon Hermès Trismégiste, les dieux inférieurs (daimoneV) se laissent enchaîner aux statues par des hommes, fabricants de dieux (cf. Avg. ciu. 8, 24, 1, citant l'Asclépius en traduction : homo diuinam potuit inuenire naturam eamque efficere). illic : les idoles, pur réceptacle (pronom personnnel évité). spiritus : attribuer un souffle de vie (-> 2, 488) aux idoles revient à dire qu'elles ne sont pas 'mortes' (cf. v. 35-36). Spiritus peut désigner les démons (cath. 5, 125 ; cf. Min. Fel. 26, 8), mais Prudence préfère utiliser p.ex. uapor (-> 2, 356).

      78-92 : les dieux sont identifiés aux démons (cf. perist. 2, 263 ; 3, 73 ; 6, 36 ; 10, 101 ; apoth. 412-413), doctrine biblique (cf. psalm. 95, 5 [LXX] omnes dii gentium dæmonia ; I Cor. 10, 19-20 [-> v. 67-76]) reprise p.ex. chez Avg. ciu. 2, 10 maligni spiritus, quos isti deos putant, etiam flagitia, quæ non admiserunt, de se dici uolunt, dum tamen humanæ mentes his opinionibus uelut retibus induant et ad prædestinatum supplicium secum trahant ; 4, 1 docendum deos falsos... esse immundissimos spiritus et malignissimos ac fallacissimos dæmones. Dans le platonisme, identifier les dei aux dæmones (qui auraient l'immortalité divine mais les passions humaines) revient à ravaler les dieux à une classe inférieure (cf. Avg. ciu. 8, 14 ; Plato Epinomis 984d - 985b).

      78 : magistri criminum : morts (v. 35-36) et muets (v. 71-72), les dieux restent redoutables, menaçant le salut de leurs adorateurs (cf. c. Symm. 1, 5-6 renouata luis turbare salutem | temptat Romulidum) ; Prudence ne se contredit pas (opinion de Kah 1990, p. 227 n. 577), mais expose une ambiguïté (-> v. 80 impotentes) déjà relevée par s. Paul (-> v. 67-76) : vaincus par le Christ (cf. v. 85-92), les démons n'ont que l'ombre d'une puissance, qui prend corps quand l'homme se laisse prendre (cf. vv. 79 aucipes ; 81 latenter). Cf. Qvint. decl. 255, p. 45, 17 uelut auctores scelerum, uelut magistros turpitudinis. criminum : cf. v. 82 nefas ; -> 2, 287.

      79 : uestræ : les païens risquent un préjudice plus grand que ceux qu'ils persécutent (v. 83-84). salutis aucupes : même image en ham. 802-823 (cf. 806-807 laqueos ubi callidus auceps | prætendit), appliquée au sort éternel de l'homme. Un des châtiments infernaux évoqué par le martyr rappelle les méthodes des oiseleurs (v. 199-200) : bitumen et mixtum pice | imo implicabunt tartaro. aucupes : les éditeurs et certains bons mss (p.ex. ATF) ont la graphie aucipes ; il y avait hésitation sur la prononciation de ce mot (cf. Vel. gramm. vii 75, 12-14).

      80 : 3 adj. en asyndète (-> v. 61) correspondent aux épreuves du corps du martyr : cachot (sordidi), exposition aux bêtes (impotentes), abandon dans la mer (uagi), avec une coloration infernale (enfers, v. 247-248 ; loup, v. 412 ; souffles errants, v. 443). uagi : l'errance est typique des démons (cf. cath. 1, 37 uagantes dæmonas ; Min. Fel. 26, 8 spiritus uagi : -> 2, 445). impotentes : face au Christ omnipotens (cath. 10, 64) ou cunctipotens (perist. 7, 51), auxquels ils se savent inférieurs (v. 85-92), les démons sont impuissants et déchaînés (double sens d'impotens, qui qualifie le juge, v. 430). sordidi : comme spurcus (-> 2, 12), sordidus est souvent utilisé à propos du culte (-> 2, 263) et des dieux (cf. c. Symm. 1, 636 sordida monstra) païens.

      
81-84 " qui uos latenter incitos
in omne compellunt nefas :
uastare iustos cædibus,
plebem piorum carpere.
" ... eux qui, après vous y avoir incités en cachette, vous poussent à tous les sacrilèges : semer la désolation chez les justes par des massacres, faucher le peuple des hommes pieux.

      81 : uos... incitos : cf. perist. 14, 63-64 iram nam furor incitat | hostis cruenti. latenter : cf. v. 79 aucupes. incitos : emploi d'incitus au sens d'incitatus (phénomène inverse en perist. 12, 59).

      82 : in omne... nefas : cf. perist. 10, 515 omne per nefas ; 14, 103 per uarium nefas. nefas : repris à la même place du v. 394 (décision d'exposer le cadavre du martyr).

      83-84 : insistance sur la cruauté (uastare... cædibus ; carpere) à l'égard d'innocents (iustos ; plebem piorum) ; cf. perist. 1, 43-51 ; 2, 57-62 (propos du juge) ; 3, 85-90 ; 9, 29-30 ; 11, 39-76.

      83 : uastare : seul emploi avec c. Symm. 2, 702 (sur Alaric) ; cf. perist. 1, 47 barbaras forum per omne tortor exercet manus ; 2, 4. iustos : les chrétiens (cf. v. 514 ; -> 2, 396) ; de même, sanctus (-> 2, 80) et pius (v. suiv.). cædibus : cf. perist. 11, 44 ; le sang (au sing., p.ex. perist. 1, 7 ; 10, 826) ou plutôt les massacres (cf. perist. 10, 93).

      84 : plebem : plebs (-> 2, 468) (ou populus, -> 11, 5) désigne souvent les chrétiens ; le juge parle de plebs gregalis (v. 391). carpere : cf. v. 388 canibusue carpendum dare. Ce verbe, désignant les tortures infligées aux martyrs (perist. 4, 121 ; 10, 504. 517. 695), prend ici le sens plus radical de 'faire disparaître' ; uastare (v. préc.) peut aussi suggérer le sens militaire de 'tourmenter par des attaques répétées' (cf. Cæs. ciu. 1, 78, 5 ; Liv. 6, 32, 11).

      
85-88 " Norunt et ipsi ac sentiunt
pollere Christum et uiuere
eiusque iam iamque adfore
regnum tremendum perfidis.
" Eux-mêmes le savent et s'en rendent compte : le Christ a la puissance, il est vivant et incessamment adviendra son règne qui doit faire trembler les infidèles.

      85 : norunt... ac sentiunt : pour les démons, la suprématie du Christ est un fait d'expérience (sentiunt) dont ils ont aussi une notion théorique (norunt) ; cf. apoth. 417-420 cognoscimus, Iesu, | ... | quid sis, quid uenias ; qua nos uirtute repellas, | nouimus ; N.T. Matth. 8, 29 quid nobis et tibi, Fili Dei, uenisti huc ante tempus torquere nos ? (-> v. 89-92). sentiunt : l'exorcisme ajoute à la connaissance des démons une impression forte et diffuse (-> 2, 512), de l'ordre de la souffrance (cf. Fontaine 1964a, p. 198 n. 1) : cf. perist. 1, 111 confitens ardere sese ; apoth. 402-404 torquetur Apollo | nomine percussus Christi, nec fulmina uerbi | ferre potest ; 412-413.

      86 : pollere : -> 13, 4 ; au contraire, v. 80 impotentes. uiuere : au contraire, v. 35-36 mortuorum... deorum. Vivere est pris au sens fort, cf. N.T. Ioh. 14, 19 quia ego uiuo et uos uiuetis.

      87-88 : eiusque... adfore regnum : cf. N.T. Matth. 10, 7 euntes autem prædicate dicentes quia adpropinquauit regnum cælorum ; cf. aussi p.ex. perist. 10, 38 ; cath. 12, 94.

      87 : iam iamque adfore : de même, cath. 1, 20 ; apoth. 627 (événements inexorables). Cf. Tac. ann. 14, 7, 2 iam iamque adfore obtestans uindictæ properam (cf. Verdière 1971).

      88 : regnum : le Royaume de Dieu (cf. perist. 8, 7 ; 10, 535. 834 ; 13, 99). tremendum : tremblement à distinguer de la crainte religieuse (v. 555-556 quem trementes posteri | exosculamur lectulum), une menace pèse sur les infidèles, en part. sur le juge (cf. v. 186-200). perfidis : opposé à fidelis (-> v. 334), adj. désignant aussi les mécréants au v. 413 ; il qualifie le paganisme (c. Symm. 2, 501 ; apoth. 454) et le démon (cath. 3, 111).

      
89-92 " Clamant fatentes denique
pulsi ex latebris uiscerum
uirtute Christi et nomine
diuique et idem dæmones. "
" Ils le crient, l'avouant enfin, quand la vertu du Christ et son Nom les chassent de leurs retraites dans les entrailles, eux, les dieux qui sont en même temps les démons. "

      89-92 : cf. l'exorcisme du possédé gérasénien (N.T. Matth. 8, 29 ; Marc. 5, 6 ; Luc. 8, 28), où les démons confessent la venue du règne du Christ ; passage évoqué en perist. 10, 37-40 ; cath. 9, 52-57 ; apoth. 414-420 ; ditt. 141-144 (cf. Fontanier 1984, p. 41-42) ; Prudence semble avoir été lui-même témoin d'exorcismes (cf. perist. 1, 97-111 ; apoth. 397-413).

      89 : clamant fatentes : cf. perist. 1, 111 confitens ardere sese ; 10, 38-39 clamat : " Qui ante tempus aduentu cito | mea regna soluis ? " ; apoth. 413-417 ; Ambr. epist. 26, 16 audistis clamantes dæmones et confitentes martyribus quod poenas ferre non possint et dicentes : " Quid uenistis ut nos tam grauiter torqueatis ? " fatentes : cet aveu est aussi une proclamation forcée de Dieu (-> 2, 575).

      90 : pulsi : cf. cath. 9, 55 pulsa pestis...dæmonum ; apoth. 411 pulsus abi, uentose liquor, Christus iubet, exi ! Pellere désigne aussi l'éradication de la persécution (perist. 4, 70) ou de la maladie (apoth. 965). ex latebris uiscerum : le corps des possédés (apoth. 401 capta inter uis-cera dæmon ; cf. perist. 1, 108). Cf. cath. 7, 123 per latebras uiscerum ; par synecdoque, latebræ ('ca-chette') désigne les entrailles (perist. 9, 88 ; 10, 982), uiscera, le corps (-> 2, 207 ; ici, v. 507).

      91 : uirtute... et nomine : hendiadyn ('par la vertu du nom du Christ') et/ou zeugma sémantique ('par la vertu du Christ' et 'au nom du Christ'). Cf. perist. 2, 413-414 o Christe, nomen unicum, | o splendor, o uirtus Patris ; 7, 71-72 hæc miracula sunt tuæ | uirtutis, Domine ; 76-78 iam plenus titulus tui est | et uis prodita nominis, | quam gentilis hebet stupor. uirtute : il est encore question de la uirtus divine aux vv. 473-474 (->), et de celle du martyr (mort), qui vainc le juge, aux vv. 425-426. nomine : le nom (-> 13, 54) est efficace dans l'exorcisme : pour être chassé, le démon doit être nommé (perist. 2, 465 discede, adulter Iuppiter) ou avouer son nom (N.T. Marc. 5, 9 ; Luc. 8, 30) ; c'est le nom du Christ (prononcé 4 fois dans l'exorcisme d'apoth. 406-411) ou celui des martyrs qui agit (perist. 2, 469-470).

      92 : l'identification des dieux et des démons (-> v. 78-92) est affirmée lapidairement en conclusion du discours. diuique : cf. v. 15 diuis gentium (->). dæmones : -> 2, 263.

      
93-96 His intonantem martyrem
iudex profanus non tulit,
conclamat : " Os obtrudite,
ne plura iactet improbus !
Le martyr tonnait de la sorte ; le juge impie ne l'a pas supporté, il ordonne à grands cris : " Fermez-lui la bouche, que cet impudent ne pérore pas davantage !

      93 : his : neutre plur., à l'abl. de manière ; équivalent de sic. intonantem : cf. apoth. 406 intonat antistes Domini : 'Fuge, callide serpens...' ; cf. v. 29 exclamat.

      94 : iudex : -> 2, 167. profanus : même qualificatif du juge au v. 394 ; cf. perist. 6, 34-35 iudex... | atrox, turbidus, insolens, profanus ; 10, 48. 595.

      95 : conclamat : -> v. 41 ; cf. perist. 9, 37 " Ducite ", conclamat, " captiuum ducite ". os obtrudite : expression allitérante et métaphorique, reprise au v. 97 par uocem loquentis claudite (synonymie analogue p.ex. aux vv. 43. 45) ; sur os, -> v. 175.

      96 : le martyr poursuivra l'affrontement verbal (discours sur l'âme [v. 146-172] ; menaces contre le juge [v. 186-200]). improbus : de même, perist. 10, 91.

      

      
97-100 " Vocem loquentis claudite
raptimque lictores date,
illos reorum Plutones
pastos resectis carnibus !
" Étouffez la voix de tels discours, donnez-moi bien vite des licteurs, ces Plutons des accusés, repus de chairs coupées !

      

      97 : uocem loquentis : redondance (cf. perist. 10, 549 os loquentis ; 555 loquentis uerba). Contrairement aux idoles (v. 71 uoce... carent), le martyr est puissant par sa parole.

      98 : raptimque : s. Laurent obtient 3 jours de délai, puis meurt à petit feu (cf. perist. 2, 336 perire raptim non dabo) ; ici, le juge veut frapper vite et fort, n'admettant de répits que pour accroître la souffrance (cf. vv. 141-144 ; 329-332). lictores : groupés en corporations (cf. CIL vi 1878, 32294), les licteurs représentent l'imperium du magistrat qu'ils escortent (c. Symm. 1, 564), mais leurs emblèmes (verges et hache) sont parfois utilisés pour exercer ce pouvoir ; servant de bourreaux (perist. 3, 98. 175 ; 10, 72. 144. 556. 1109), ils infligent la bastonnade (Liv. 2, 5, 8 ; Cic. Verr. ii 4, 54) ou la mort (Liv. 26, 15, 9 ; Cic. Verr. ii 2, 67). Ici, ils sont deux (-> v. 138), selon la pratique habituelle. date : complément mihi sous-entendu ; cf. perist. 10, 889 date hunc, reuulsis qui medetur ossibus. Le juge siège flanqué de ses licteurs (cf. perist. 3, 64-65 tribunal adit, | fascibus instat et in mediis) ; l'ordre claudite (v. préc.) n'est pas suivi d'une convocation, date ayant une simple valeur exclamative ('allons !' : cf. perist. 4, 193).

      99-100 : au lieu de ce texte, donné par de bons mss (ACP ; cf. Bergman et Lavarenne), la majorité de ceux-ci a illos reorum carnibus | pastos manuque exercitos (Cunningham), lectio facilior.

      99 : reorum : cf. perist. 6, 28 ; 10, 89. 120 ; 11, 68. Parlant de lui comme magistrat, Prudence dit (præf. 18) : ius ciuile bonis reddidimus, terruimus reos. Plutones : parallèle (forcé, malgré l'allusion possible aux réprouvés de la mythologie) avec le Vulcanus de perist. 2, 356 (->). 404, ce qui explique certaines particularités (seul emploi du plur. de Pluto dans la latinité ; abrègement de -to-, long en c. Symm. 1, 367. 398) ; Meyer (1932) souligne ces problèmes, dont l'absence de légende d'un Pluton dévoreur de chair humaine (parallèle avec perist. 2, 406-408). En fait, une telle image (v. 100) peut aussi s'appliquer ici à lictores (v. 98), Plutones évoquant d'abord l'idée de mort ou de terreur (perist. 3, 64-65 ; præf. 18) ; Prudence montre en c. Symm. 1, 396-399 Pluton comme un dieu pour lequel le sang est versé en abondance.

      100 : pastos... carnibus : cf. perist. 3, 87 ; 6, 17 pastus sanguine carnifex ; parlant des jeux du cirque, Prudence dit (c. Symm. 1, 383) : quid mortes iuuenum ? quid sanguine pasta uoluptas ? Le martyr dira au juge (v. 151-152) : manus et ipse intersere | riuosque feruentes bibe ; cf. aussi, à propos du corps du martyr, vv. 331-332 recreetur ut pastum nouum | poenis refectus præbeat ; 387-388 feris cadauer tradere | canibusue carpendum dare ; 444 squamosa pascens agmina. Ce cannibalisme est d'autant plus monstrueux pour Prudence qu'il affirme observer un régime végétarien (cath. 58-62) et abhorre autant les jeux du cirque, les sacrifices d'animaux ; il déprécie même les carnassiers 'nobles' (l'aigle, le lion : cf. cath. 3, 167 ; ham. 219-225). resectis carnibus : cf. perist. 10, 518 resecto debilis carnis situ. Resectus évoque la torture par écorchement (cf. vv. 113-116. 119-122. 141-144) ou par mutilation (cf. perist. 4, 121-124. 136-137).

      
101-104 " Iam faxo ius prætorium
conuiciator sentiat,
impune ne nostris sibi
dis destruendis luserit.
" Maintenant, je vais faire en sorte que cet insulteur se rende compte de ce qu'est le droit prétorien, pour éviter que le jeu auquel il s'est livré, de détruire nos dieux, ne reste impuni.

      101-102 : faxo... sentiat : construction sans subordonnant, fréquente avec faxo ; cf. psych. 249 ; Plavt. Amph. 864 ; Verg. Æn. 9, 153). Outre cette forme de facere, on trouve le subj. faxit en perist. 10, 107. Sur la prosodie , -> 2, 297.

      101 : ius prætorium : la potestas du préteur lui permet de dire le droit (cf. præf. 16-18). Ius prætorium désigne une solution distincte du ius ciuile (mentionné en præf. 18) par sa durée d'application (1 an, reconduisible indéfiniment) ; ici, il s'agit d'une condamnation individuelle, équivalant à un décret d'application de l'édit de persécution (cité aux vv. 21-24).

      102 : conuiciator : rare, attesté chez Cic. Mur. 13 ; Avg. c. Faust. 22, 66. sentiat : le juge reprend le verbe utilisé par le martyr, à propos des dieux-démons (v. 85 ; -> 2, 427-428).

      103 : impune : cf. perist. 2, 317-320 impune, tantas,... strophas... te nexuisse existimas...? (->).

      103-104 : nostris... dis destruendis : ironie involontaire, puisque le juge reconnaît que les dieux peuvent être détruits par la seule parole, prédisant indirectement la victoire du martyr sur le démon, cf. v. 543-544 uictor triumpho proteris | solo latronem corpore. sibi... luserit : reprenant les mots du martyr (v. 64 mors Christianis ludus est), le juge se trompe l'accusant de vanité personnelle (dat. d'intérêt sibi), alors qu'il est altruiste (cf. v. 79).

      104 : dis : -> 11, 82. destruendis : seul autre emploi chez Prudence, vv. 267-268 Belzebulis callida | commenta Christus destruit. luserit : cf. perist. 2, 315 per tot figuras ludimur ; 322 tractare nosmet ludicris. Cf. aussi v. 442-443 incerta per ludibria | uagis feretur flatibus.

      
105-108 " Tibi ergo soli, contumax,
Tarpeia calcentur sacra,
tu porro solus obteras
Romam, senatum, Cæsarem ?
" Tu serais donc le seul, rebelle, à fouler aux pieds les cultes tarpéiens, tu serais le seul, même, à piétiner Rome, le sénat, César ?

      105-108 : suite de questions rhétoriques (cf. perist. 2, 325-328 adeone nulla austeritas, | censura nulla est fascibus, | adeon securem publicam | mollis retudit lenitas ? ). Le juge unit paganisme (v. 105-106) et État (v. 107-108), cf. le double polyptote tibi... soli et tu... solus (-> v. 27-28).

      105 : tibi... soli : dat. complément d'agent (poétique et tardif ; -> 2, 129). ergo : -> 2, 293. soli : repris au v. 107 et aux vv. 537-539 tu solus, o bis inclyte, | solus brauii duplicis | palmam tulisti. Héros dont la passion correspond à l'aristie épique, le martyr fait face aux adversaires de l'Église : cf. perist. 2, 351 hic solus exemplum dabit ; 10, 66-68 præceps iubetur inde Romanus rapi, | solusque, ut incitator et fax omnium, | pro contumaci plebe causam dicere ; 98 ut pro fideli plebe solus immoler. contumax : de même, perist. 2, 343 (->) ; cf. v. 384 rebellis (-> v. 131).

      106 : Tarpeia... sacra : métonymie évoquant les cultes païens, avec idée d'effroi (roche Tarpéienne) ; sur sacra, -> 2, 423. calcentur : cf. v. 167-168 qui tuam | calcat, tyranne, insaniam.

      107 : porro : gradation ; le crime contre l'État semble plus grave que le sacrilège. obteras : cf. v. préc. calcentur ; vv. 543-544 uictor triumpho proteris | solo latronem corpore.

      108 : 3 noms en asyndète (-> v. 61), avec des groupes toujours plus restreints, jusqu'à l'empereur, coeur de l'État, instigateur de la persécution (v. 21-24). Senatus PopulusQue Romanus appartient au passé : au v. 21, l'empereur est appelé rex. Romam : seule mention de Rome dans ce poème. senatum : assurant en théorie les interrègnes, le Sénat (foyer de résistance païenne, cf. perist. 2, 450) symbolise la continuité de l'État. Cæsarem : -> 2, 95.

      109-116 : description, avec des détails propres à suggérer l'horreur du supplice (cf. perist. 2, 341-348 ; 11, 55-58) ; malgré sa répulsion pour le sang (-> v. 100), Prudence lui reconnaît ici une valeur sacrée, s'il est versé pour le Christ (-> 2, 16), et célèbre donc son effusion.

      
109-112 " Vinctum retortis brachiis
sursum ac deorsum extendite,
compago donec ossuum
diuulsa membratim crepet.
" Après avoir attaché ses bras ramenés vers l'arrière, étirez-le par en haut et par en bas, jusqu'à ce que la jointure des os, mise en pièces, craque dans chaque membre.

      109-112 : le supplice du chevalet (equuleus) consiste à étirer (v. 110 extendite) le patient allongé sur une table, à l'aide de cordes et de poulies (les membres se déboîtent, les vertèbres se brisent : perist. 10, 109-110 ; 491-493 quod retortis pendeo | extentus ulnis, quod reuelluntur pedes, | compago neruis quod sonat crepantibus). L'emploi de sursum ac deorsum évoque aussi l'estrapade (on fait tomber le patient, suspendu à une corde, dans l'eau ou un peu au-dessus du sol).

      109-110 : uinctum... extendite : cf. perist. 2, 360 uincire membra et tendere.

      109 : uinctum : lier le martyr le réduit à l'impuissance (-> 9, 43) et le fait souffrir ; vv. 236 uincla palmas presserant ; 251-252 lignoque plantas inserit | diuaricatis cruribus ; 323 ; 346 ; 551 per uincla, flammas, ungulas ; perist. 11, 67. retortis brachiis : Lavarenne traduit à tort '(liez-lui) les bras derrière le dos' (id. perist. 10, 491-492 retortis... ulnis ; on a par contre ce sens en perist. 10, 851 ; cf. perist. 6, 103-104 ; 9, 43) : dans le supplice du chevalet, les bras sont tendus au-dessus de la tête (et ici, 'tordus' : poignets attachés avec les mains dos contre dos).

      110 : extendite : cf. perist. 10, 492 ; Cypr. laps. 13 equuleus extenderet ; Pass. Saturn. Dat. 5 (éd. Migne) in equuleum suspensum extendit ; 11 statim in equuleo iubetur extendi extensumque uexari.

      111 : compago... ossuum : cf. Sen. Herc. O. 1232-1233 nec ossa durant ipsa, sed compagibus | discussa ruptis mole collapsa fluunt. Prudence utilise le nomin. compago (cf. perist. 10, 493 ; Ov. met. 1, 711 ; Sen. epist. 91, 12) au lieu de l'usuel compages. La syllabe -go est abrégée ; cf. perist. 10, 493 (-> 2, 74). ossuum : forme rare du gén. plur. (-> 2, 532). Cf. v. 516 (->).

      112 : crepet : note réaliste particulièrement horrible, comme palpitet (fin du quatrain suiv.) ; même son au v. 225 et en perist. 1, 56 ; 3, 156 ; 9, 49 ; cf. aussi perist. 10, 493 (chevalet).

      
113-116 " Posthinc hiulcis ictibus
nudate costarum abdita,
ut per lacunas uulnerum
iecur retectum palpitet. "
" Ensuite de quoi, par des coups propres à ouvrir [les chairs], mettez à nu les profon-deurs cachées des côtes, afin que par l'ouver-ture de ces blessures palpite le foie découvert. "

      113 : posthinc : rare, tardif ; cf. v. 229 ; perist. 4, 161 ; Clavd. Mam. anim. 1, 16. 27. hiulcis : ici et en perist. 10, 452, sens actif ('qui ouvre [les chairs]') ; cf. Stat. Theb. 1, 26.

      114 : nudate : de même perist. 10, 761-763 comam cutemque uerticis reuulserat | a fronte tortor, nuda testa ut tegmine | ceruicem adusque deshonestaret caput. Ne se contentant pas de mettre à nu le martyr (-> 2, 359-360), le juge demande qu'il soit écorché. costarum : cf. perist. 10, 72-73 sponte nudas offerens | costas bisulcis exsecandas ungulis ; 11, 57-58 ungula fixa cauis costarum cratibus altos | pandere secessus et lacerare iecur. S'attaquer aux costarum abdita met la vie en péril, puisque les organes internes (cf. v. 16 iecur) sont touchés. abdita : -> 2, 344.

      115 : lacunas : leçon de la majorité des mss (Cunningham) ; seul A donne latebras (Bergman et Lavarenne), qui reprendrait abdita (c. Symm. 1, 16 latebram... uulneris). C'est plutôt par l'ouverture de ces blessures (lacuna ; apoth. 221) que l'on verrait le 'foie' (iecur).

      116 : iecur : comme le coeur, le 'foie' symbolise l'intériorité (-> 14, 131) ; ici, iecur désigne peut-être le coeur, situé sous les côtes (v. 114 ; cf. aussi palpitet). Le 'foie' est aussi l'objet du supplice des ungulæ en perist. 4, 137 (il semble s'agir du sein) ; 11, 58 ; iecur peut aussi désigner le siège des sentiments (-> 14, 131). retectum : cf. v. 113 hiulcis ; perist. 10, 455 retectis pectus albet ossibus. palpitet : -> 14, 49 ; conclusion sur une note horrible (de même, v. 112 crepet).

      
117-120 Ridebat hæc miles Dei,
manus cruentas increpans,
quod fixa non profundius
intraret artus ungula.
Le soldat de Dieu riait de cela, reprochant aux mains ensanglantées que l'ongle de fer qu'elles enfonçaient [dans son corps] n'[y] entrât pas plus profondément.

      117 : ridebat : cf. perist. 2, 313. 409 ; 10, 793. hæc : la sentence (v. 95-116) et sa mise en oeuvre (ambivalence accélérant le récit). miles Dei : le combat du martyr, analogue aux aristies épiques, n'est pourtant pas un duel, car il est assisté du Christ (v. 268) ou des anges (-> v. 287-288) et se bat pour l'Église, contre les agents de l'empereur (-> 2, 47) et des dieux-démons (-> v. 78-92). Comme dans toute épopée, un arrière-plan symbolique lie les protagonistes à des valeurs - mais on ne peut réduire les martyrs à des marionnettes de l'histoire du salut, comme Herzog (1966, p. 34) et Kah (1990, p. 209). L'autonomie de leur personne est affirmée, dans la passion (perist. 2, 491) comme dans la gloire (perist. 2, 561). Prudence transpose des éléments romains (cf. Hor. carm. 3, 2, 13 dulce et decorum est pro patria mori) aux réalités éternelles (-> v. 291), mais dans un cadre authentiquement chrétien : la métaphore militaire se trouve p.ex. chez s. Cyprien (Fort. 12 ; epist. 28, 2), suivant le modèle paulinien (II Cor. 2, 3-4 ; Eph. 6, 10-17 ; I Thess. 5, 8 ; II Tim. 2, 3 ; 4, 7). Ce motif est développé à propos des soldats martyrs de perist. 1, qui passent de la militia Cæsaris à la militia Christi (cf. perist. 1, 52-54. 61-63), thème fréquent chez s. Ambroise (epist. 18, 7 ; 22, 10 ; hymn. 14, 6-7 belli triumphales duces, | cælestis aulæ milites), cf. Hoppenbrouwers 1961, pp. 71-73. 149-161. 175-176. De tels motifs se retrouvent aussi à propos de vierges martyres (cf. perist. 3, 33-35) et de s. Laurent (cf. perist. 2, 13-16). miles : cf. v. 293 o miles inuictissime.

      118-120 : victime des ungulæ, s. Romain lance une invective analogue (cf. perist. 10, 796-800) : fragilité du corps (perist. 10, 803-804, cf. ici v. 161-164), faiblesse plus grande encore des muscles des bourreaux (perist. 10, 801. 805, cf. v. 121. 124), comparés à des chiens (perist. 10, 806. 809-810, cf. v. 146-147) ; comparaison avec la torture de l'exposition aux chiens (perist. 10, 806, cf. v. 388) ou aux fauves (perist. 10, 807-810, cf. v. 387).

      118 : manus cruentas : de même, Cic. Mil. 20 ; métonymie, les mains (-> v. 69) désignant la personne. Le martyr invitera le juge (appelé cruente, v. 153) à plonger ses propres mains dans ses blessures (v. 151) et même à boire son sang (v. 152).

      119-120 : fixa... ungula : cf. perist. 11, 57 ungula fixa cauis costarum cratibus.

      119 : fixa... profundius : cf. perist. 9, 59-60 ; 10, 29 hastile fixum sed manet profundius. Les verbes pulsare, pellere et charaxare (resp. perist. 3, 133 ; 4, 138 ; 10, 557) ont un sens proche.

      120 : intraret artus : cf. perist. 2, 344 [ne] cordis intret abdita ; 9, 56 pars uiscus intrat molle, pars scindit cutem. artus : synecdoque pour le corps (-> v. 367), ici le torse (cf. quatrain préc.). ungula : sing. collectif (cf. perist. 3, 133 ; 11, 57) ; ailleurs, on a le plur., p.ex. aux vv. 61. 337. Les ungulæ sont un instrument à deux pointes acérées : v. 337-338 ungularum duplices | sulcos pererrat osculis (->) ; terme technique (Cod. Iust. 9, 18, 7) bien connu des auteurs chrétiens (Tert. apol. 30 ; Lact. mort. pers. 16 ; Avg. conf. 1, 9, 15) ; uncus (-> v. 174) est plus rare.

      
121-124 Ac iam omne robur fortium
euiscerando cesserat
nisusque anhelus soluerat
fessos lacertorum toros ;
Et déjà, toute la vigueur de ces hommes robustes s'était épuisée à le déchirer, et leurs efforts haletants avaient brisé leurs muscles saillants, fatigués ; ...

      121 : iam : rapide, le récit passe de l'ordre du juge (v. 109-116) à son échec, suggéré par le martyr (v. 117-120), confirmé ici. omne : souligne une expression de sens négatif ou privatif (ici cesserat) ; cf. v. 126 omni uacantem nubilo ; perist. 2, 481 ; 10, 519 ; 14, 8. robur fortium : redondance, soulignant le paradoxe de l'épuisement des bourreaux ; cf. perist. 10, 801 o non uirile robur. Les bourreaux (fortes, substantivé : cf. perist. 10, 531) sont des brutes (cf. vv. 99-100. 137-138. 147), mais le martyr a plus de force qu'eux : cf. vv. 132 ; 294 fortissimorum fortior.

      122 : euiscerando : cf. v. 116 iecur retectum palpitet. cesserat : cf. vv. 46 (->) et 416 ; au contraire des martyrs (-> 13, 74), les bourreaux reculent devant leurs adversaires.

      123 : cf. perist. 10, 456-457 nitendo anhelant, diffluunt sudoribus, | cum sit quietus heros, in quem sæuiunt. nisusque anhelus : de même, Sil. 1, 531 ; cf. v. 140 respiret ut lassus uigor. Sur nisus (rare chez Prudence), -> v. 503.

      124 : la fatigue des bourreaux (cf. v. 140 ; perist. 9, 68 ; 11, 59) suggère l'intensité et la durée du supplice, et la résistance du martyr (cf. perist. 10, 805 uincens lacertos dexterarum inertium ; -> v. 118-120). fessos... toros : avec fessos, hysteron-proteron relativement à soluerat (v. préc.). lacertorum toros : traduire lacerti par 'bras', comme Lavarenne est possible (cf. v. 139 cohibete paulum dexteras), mais il faut préférer le pléonasme (les 2 termes désignent les muscles), qui fait écho à robur fortium (v. 121) ; lacerti pouvant aussi désigner la force, on est proche de l'oxymore avec fessus. Il est probable que Prudence s'inspire de la traduction cicéronienne des Trachiniennes de Sophocle (citée en Tusc. 2, 21-22), puisque cette expression y apparaît 4 vers après euisceratum corpus (cf. v. 122 euiscerando) ; là, elle signifie 'muscles saillants'.

      
125-128 ast ille tanto lætior
omni uacantem nubilo
frontem serenam luminat
te, Christe, præsentem uidens.
par contre, lui, d'autant plus joyeux, laisse voir de la lumière sur un front libre de tout nuage, serein, car il voyait, ô Christ, ta présence.

      125 : lætior : second terme de la comparaison omis ; cette joie (provocatrice, cf. v. 131) est-elle proportionnelle à la défaite du juge (cf. vv. 117. 121-124) ? Le v. 128 montre qu'elle est due à la vision du Christ (cf. v. 118-120). Cf. perist. 13, 88 lætior ; 14, 68 lætior... ait (->).

      126 : omni : -> v. 121. uacantem : équivalent de sine. nubilo : cf. Qvint. inst. 11, 3, 27 oculi tristitia quoddam nubilum ducunt ; Mart. 2, 11, 1 fronte... nubila. La métaphore est filée au v. suiv., avec serenam (cf. Plin. nat. 2, 13 humani nubila animi serenat) et avec luminat. Symbolisant parfois le paganisme (-> 14, 111), les nuages désignent ici les passions, en part. la souffrance. Comme s. Laurent (cf. perist. 2, 109-110. 409), le martyr présente les signes de l'ataraxie et montre l'inanité des mesures du juge (ici, l'illumination du visage n'est pas un miracle, mais une métaphore). Vacantem nubilo annonce la vision évoquée au v. 128 : comme les nouveaux baptisés (-> 2, 376), le martyr est purifié par son épreuve, qui ôte certaines ténèbres de l'âme (cf. ham. 89 sunt animis etiam sua nubila, crassus et aër) et anticipe la vision béatifique.

      127 : frontem serenam : iunctura fréquente en poésie (cf. Verg. Æn. 4, 477 ; Stat. Theb. 5, 424 ; Sil. 3, 298 ; Avson. Mos. 384) ; cf. perist. 10, 712 soli sereno frons renidet gaudio ; cath. 3, 8. Par synecdoque, le front désigne l'ensemble du visage, l'expression (cf. v. 129 uultus). serenam luminat : l'image de la lumière du temps calme se retrouve p.ex. en cath. 2, 65-68 quodcumque nox mundi dehinc | infecit atris nubibus, | tu, rex Eoi sideris, | uultu sereno illumina ; 10, 79-80 lumina nescia solis | Deus illita felle serenat (jeu de mots : lumina, 'yeux'). luminat : emploi du verbe simple pour illuminare (perist. 2, 373) ; cf. perist. 3, 192 ; c. Symm. 2, 831.

      128 : comme s. Étienne durant son procès (cf. N.T. act. 7, 55 ; -> 2, 371-372), le martyr 'voit le Christ' - ici, vision miraculeuse ou métaphore (les blessures assimilent le martyr au Crucifié [perist. 3, 136-140] ; l'inanité du supplice est un prodige [perist. 7, 70-71. 76-78]). te, Christe : seule adresse du poète au Christ dans l'ensemble du Peristephanon : ailleurs, il recourt à l'intercession des martyrs, confessant son indignité devant Dieu et le besoin d'un médiateur (cf. perist. 2, 577-580). Outre les invocations au martyr qui encadrent le poème (vv. 1-16. 537-576), on a aussi une adresse au juge (v. 429-432), avec sa réponse (v. 433-448) ! uidens : avant-goût de la vision béatifique ; uidere dénote une perception, une conscience claire, par opposition à sentire (cf. v. 102) ; il est aussi employé au v. 193, où le juge est invité à voir le châtiment qui le menace. Sur son emploi avec le participe præsentem, -> 2, 23.

      
129-132 " Quis uultus iste ? Pro pudor ! "
Datianus aiebat furens.
" Gaudet, renidet, prouocat
tortore tortus acrior !
" Quel est ce visage ? Honte de moi ! ", disait Datien, furieux. " Il est joyeux, rayonnant, provocant : le torturé est plus énergique que les tortionnaires !

      129 : quis uultus : quis adj. (au sens de qualis), cf. v. 421 ; forme moins fréquente que qui, mais attestée à l'époque classique. pro pudor : cf. psych. 353 ; Sen. quæst. nat. 4b, 13, 8 ; Lvcan. 8, 597. L'appel au pudor (-> 14, 23) évoque un scandale (cf. c. Symm. 2, 57 desine, si pudor est, gentilis ineptia). Cf. perist. 10, 396 pro Iuppiter ! ; ham. 304 pro dolor ! ; 628 pro cæca libido !

      130 : Datianus : -> v. 40. furens : cf. perist. 2, 313-314 " Ridemur ", exclamat furens | præfectus (->) ; -> v. 41.

      131 : 3 verbes en asyndète (-> v. 61 ; cf. v. 202 pallet, rubescit, æstuat) expriment un aspect du phénomène, avec un ordre logique : l'éclat provient de la joie et la provocation, de l'éclat. gaudet : cf. vv. 125. 211 (-> 14, 68) ; cf. gaudet au début du v. 340 (dévotion des fidèles au martyr mourant). renidet : cf. perist. 10, 712 soli sereno frons (cf. v. 127 frontem serenam) renidet gaudio. prouocat : cf. vv. 96 improbus ; 102 conuiciator ; 105 contumax. La joie des martyrs est provocatrice, puisqu'elle nie l'efficacité des tortures (cf. perist. 2, 406-409 ; 3, 142).

      132 : tortore tortus : proche du polyptote (-> v. 35), la figure étymologique se retrouve en perist. 6, 6 trino... Trinitas ; 10, 438 liquidis uidendis aptus est animæ liquor ; c. Symm. 2, 111 diuina Deus ; 436 tot... totiens. Sur tortor, -> v. 6. acrior : le juge pense ici à la hardiesse et à l'acharnement ; ironiquement, acer peut aussi dénoter l'intelligence pénétrante (-> 13, 71) - par là, le juge, maior carnifex (v. 148), confesse son aveuglement.

      
133-136 " Nil illa uis exercita
tot noxiorum mortibus
agone in isto proficit,
ars et dolorum uincitur.
" Cette force qu'a exercé la mort de tant de coupables n'a servi à rien dans ce concours-là, leur art des tourments est vaincu.

      133 : nil : emploi adverbial de l'acc. illa : emphatique ; référence au passé dans son ensemble, par opposition au cas particulier (v. 135 agone in isto). uis exercita : à cet ensemble de force et d'expérience s'oppose l'ars... dolorum (v. 136) du juge, plus théorique. Il y a peut-être un jeu sur exercitus, qui peut signifier 'entraîné', mais aussi 'épuisé' (Cic. Planc. 78).

      134 : noxiorum : les martyrs sont innocents (c. Symm. 2, 677 sub iure fori non noxia colla secare ; cf. perist. 3, 87 ; 10, 1093), au contraire des damnés (perist. 2, 396). mortibus : 'mises à mort' ; le plur. de mors se trouve à propos des jeux du cirque (c. Symm. 1, 383 ; 2, 1093. 1125) ou des persécutions (c. Symm. 2, 676).

      135 : agone : cf. perist. 4, 184 ; Plin. epist. 4, 22, 1 ; Svet. Ner. 21 ; agon est repris des versions latines des Épîtres pauliniennes (-> v. 64) p.ex. chez Tert. spect. 29 ; Cypr. epist. 10, 4 in agonis certamine coronatus est. proficit : cf. cath. 12, 133-136 quo proficit tantum nefas, | quod crimen Herodem iuuat ? | unus tot (cf. tot, v. 134) inter funera | impune Christus tollitur.

      136 : ars... dolorum : cf. Sen. Tro. 583 doloris artes ; ordonnateur des supplices, le juge est maître de leur technique (cf. vv. 254 crucis peritus artifex ; 265-266 hæc ille uersutus uafra | meditatus arte struxerat), grâce au démon, qui sera vaincu (v. 267-268). Il arrive que l'ars soit attribué au bourreau (cf. perist. 10, 72 lictoris artem) ou partagé entre juge et bourreau (cf. perist. 14, 15-17). dolorum : voulant infliger des douleurs (cf. v. 262), le juge en concevra lui-même (-> v. 328), tandis que le martyr proclame (cf. v. 160) et démontre (cf. v. 234) que les douleurs ne peuvent atteindre son être. Dolor est utilisé par métonymie (l'effet pour la cause).

      
137-140 " Sed uos, alumni carceris,
par semper inuictum mihi,
cohibete paulum dexteras,
respiret ut lassus uigor.
" Mais vous, nourissons de la prison, paire qui pour moi a toujours été invaincue, arrêtez un peu vos mains, afin que votre vigueur fourbue retrouve son souffle.

      137 : alumni carceris : expression analogue à un hébraïsme biblique (-> 2, 205 alumni luminis). Même si alumnus peut désigner le serviteur qui remplit une fonction (cf. ThlL i 1796, 45-51), le complément carceris donne aux bourreaux un caractère monstrueux (-> v. 121), comme si leur mère nourricière était ce lieu infernal (-> v. 247-248) ; -> v. 312 feralem domum.

      138 : par : les bourreaux sont deux (cf. perist. 2, 358 ; 3, 31 carnifices gemini), car le patient doit pouvoir être maintenu immobile - peut-être aussi en lien avec le nombre pair des licteurs (-> v. 98). Au v. 216 cependant, pour suggérer un combat singulier, Prudence ne parle que d'un carnifex face au martyr. semper : cf. v. 133-134 illa uis exercita | tot noxiorum mortibus. inuictum : les bourreaux étant cette fois vaincus (cf. v. 136), c'est le martyr qui méritera d'être appelé miles inuictissime (v. 293 ; cf. v. 170 inuictum, inexsuperabilem). mihi : dat. d'intérêt à connotation ici affectueuse (cf. le ton de l'expression alumni carceris).

      139 : pour donner l'impression qu'il maîtrise la situation (et par raffinement de cruauté, cf. v. 141-144), le juge ordonne aux bourreaux de faire une pause, à laquelle l'épuisement les a déjà contraints. paulum : cf. v. 330-332 paulum benignis fotibus | recreetur, ut pastum nouum | poenis refectus præbeat. dexteras : cf. perist. 10, 805 lacertos dexterarum inertium. L'adj. substantivé dext(e)ra désigne la main droite (cf. v. 300 ; perist. 1, 37 ; 2, 155 ; 7, 64 ; 9, 74 ; 10, 1064.

      140 : respiret... uigor : cf. v. 123 nisusque anhelus. lassus uigor : expression synthétisant les vv. 121-124 (en part. 124 fessos lacertorum toros), reprise au v. 147 languere uirtutem. L'adj. lassus n'est employé qu'ici chez Prudence, qui utilise en perist. 11, 59 le participe lassatus.

      
141-144 " Præsicca rursus ulcera,
dum se cicatrix colligit
refrigerati sanguinis,
manus resulcans diruet. "
" Derechef, ses blessures une fois bien séchées, quand la plaie au sang refroidi se sera refermée, qu'une main les ravage, renouvelant son labour. "

      141-142 : cicatrix et ulcera sont également employés en psych. 166-167, à propos de Job.

      141 : cf. v. 336 siccare cruda uulnera. præsicca : seule attestation du terme dans la latinité (præ- : sens superlatif). rursus : cf. perist. 10, 873-874 plaga... | rursus coibit ac reglutinabitur. Le juge ordonne de rouvrir les plaies ; il voudra utiliser cette tactique une seconde fois (v. 330-332).

      142 : cicatrix : à moins d'un hysteron-proteron, non une cicatrice, mais une plaie (-> 2, 287).

      143 : refrigerati : la coagulation du sang, chaud (-> 2, 70 ; ici v. 152 riuosque feruentes), est vue comme son refroidissement, pour un métal auparavant en fusion. sanguinis : -> v. 3.

      144 : manus : il est déjà question des mains des bourreaux aux vv. 118. 139 (-> v. 69) ; le martyr invitera le juge à plonger ses propres mains dans ses blessures (v. 151) : manus et ipse intersere. resulcans : rare et tardif, cf. Ven. Fort. Mart. 3, 162 (au sens propre). L'image du labour est fréquente à propos des ungulæ : cf. v. 337-338 ungularum duplices | sulcos ; -> 9, 77.

      
145-148 His contra Leuites refert :
" Si iam tuorum perspicis
languere uirtutem canum,
age, ipse maior carnifex,
À cela, le lévite rétorque : " Si tu t'aperçois que déjà la vigueur de tes chiens s'épuise, allons, toi-même, qui es un bourreau plus grand, ...

      145 : his contra : la réplique est ferme : avec referre, au lieu de contra, on a normalement ad (-> 2, 110). Cf. perist. 2, 185 : contra ille : " Quid frendens ", ait... ; 10, 96 his ille contra reddit ore libero : ... Leuites : le diacre (-> 2, 39) ; seul ex. chez Prudence (souvent, dans les mss, avec le -u- redoublé), cf. Sidon. epist. 9, 2, 1 (Leuites) ; ailleurs (p.ex. v. 30), on a Leuita.

      146 : tuorum : ironie sur la sollicitude du juge pour ses bourreaux (-> v. 138). perspicis : cf. v. 101-102 iam faxo ius prætorium | conuiciator sentiat ; la perspective du juge est renversée.

      147 : languere uirtutem : reprise de lassus uigor (v. 140). canum : après l'échec final des bourreaux, le juge voudra livrer le cadavre du martyr à de vrais chiens (v. 388 canibusue carpendum dare). L'insulte est suggérée par la description des bourreaux (v. 100 pastos resectis carnibus) ; le chien étant un animal infâme, canis est insultant : cf. apoth. 195-196 quæue superstitio tam sordida, quæ caniformem | latrantemque throno cæli præponat Anubem ? ; 216 semifer et Scottus... cane milite peior ; 979 obmutesce, furor, linguam, canis improbe, morde.

      148 : le martyr ramène le juge à un carnifex, au pouvoir cruel, voire diabolique, mais limité (la chair, non l'âme : cf. vv. 157. 165-172). age : -> v. 54. ipse : repris aux vv. 151. 188 ; vu l'échec des bourreaux, le martyr invite le juge à intervenir ; cf. perist. 2, 401-408. carnifex : les connotations du terme sont développées au quatrain suiv. ; cf. v. 216 hinc martyr, illinc carnifex.

      
149-152 " ostende, quo pacto queant
imos recessus scindere,
manus et ipse intersere
riuosque feruentes bibe !
" ... montre-leur de quelle façon ils pourraient déchirer les replis les plus profonds [de mon corps], introduis-y toi-même tes mains, et bois les ruisseaux brûlants [de mon sang] !

      149 : quo pacto : cf. perist. 10, 478 ; apoth. 266. Prudence n'utilise pas quomodo (-> v. 164).

      150 : imos recessus : quand le juge ordonnait d'écorcher le martyr (v. 113-116), il se plaignait du fait que les bourreaux ne le blessaient pas assez profondément (v. 118-120). D'autres martyrs montrent leur désir d'être blessés profondément : cf. perist. 9, 59-66 ; 10, 897-899 ; 14, 74-80). recessus : cf. perist. 11, 57-58 ungula fixa cauis costarum cratibus altos | pandere secessus et lacerare iecur. Suivant l'analogie entre microcosme et macroscosme, les termes géographiques et anatomiques sont souvent interchangeables ; recessus désigne des gouffres marins (v. 447), les recoins d'un souterrain ou les bas-côtés d'une basilique (perist. 11, 163. 221). scindere : -> 2, 59-60. De même, vv. 156 (dilancinata) et 166 (secare).

      151 : manus : au juge qui vient de parler des mains (-> v. 69) des bourreaux (cf. v. 144), le martyr parle des siennes propres. ipse : -> v. 148. intersere : cf. v. 120 intrare.

      152 : ce sarcasme reflète voire complète perist. 2, 406-408 coctum est, deuora | et experimentum cape, | sit crudum an assum suauius, ainsi que le v. 100 pastos resectis carnibus ; cf. perist. 6, 17 pastus sanguine carnifex. Alors que le martyr n'avale pas son propre sang (perist. 10, 905), le païen est invité ici à adopter l'attitude du taurobolié (perist. 10, 1039-1040 nec iam palato parcit et linguam rigat, | donec cruorem totus atrum combibat). Plus tard, un dévot lèchera les plaies du martyr (v. 339-340), pour ne pas laisser perdre ce sang précieux (perist. 11, 141). riuosque feruentes : cf. v. 12 riuis cruoris (->) ; sur la chaleur du sang, cf. perist. 10, 1028-1029 undam sanguinis | feruentis (-> 2, 70). bibe : image appliquée à Néron en c. Symm. 2, 669-670 primus Nero, matre perempta, | sanguinem apostolicum bibit ; cf. c. Symm. 1, 400 (autels de Vulcain, 'buvant' le sang humain). L'image, proche de celle de la soif (-> 2, 189), suggère la force du désir ; emplois très libres, p.ex. perist. 3, 159-160 : uirgo citum cupiens obitum | adpetit et bibit ore rogum.

      153-164 : la torture n'est pas un châtiment (v. 153-156), l'âme est invulnérable (v. 157-160), le corps est de toutes façons mortel (v. 161-164) - ces 3 arguments du martyr se retrouvent dans les autres 'passions dramatiques' : perist. 2, 205-228. 265-276 ; 10, 471-530.

      
153-156 " Erras, cruente, si meam
te rere poenam sumere,
cum membra morti obnoxia
dilancinata interficis.
" Tu te trompes, être sanguinaire, si tu crois t'attribuer ma punition, tandis que tu détruis, en les déchiquetant, des membres destinés à la mort.

      153 : erras : l'error caractérise le paganisme (-> 2, 456). cruente : cf. vv. 168 tyranne ; 186 maligne ; 197 serpens. Cruentus qualifie aussi les mains des bourreaux (v. 118) et les oiseaux charognards auxquels le martyr est exposé (v. 536) ; cf. perist. 2, 60 ; 10, 1095 ; 14, 64.

      153-154 : meam... poenam : meam remplace le tour avec ex ou de. Poena est fréquent (-> 14, 22), surtout en perist. 5 (vv. 63. 212. 253. 290. 332. 386. 526) et 10 (7 ex.) ; 1 seul ex. en perist. 2.

      154 : te... sumere : proposition infinitive dépendant de rere. rere : cf. Verg. Æn. 3, 381. À l'indicatif prés., Prudence n'emploie ailleurs que les formes en -ris (cf. Lavarenne § 125).

      155 : membra morti obnoxia : cf. v. 163-164 uas est solutum ac fictile, | quocumque frangendum modo ; cath. 9, 16 corporis formam caduci, membra morti obnoxia (incarnation du Verbe). Le caractère mortel de la nature humaine relativise les menaces du juge, ce que souligne le martyr (cf. v. 63-64 ipsa poenarum ultima, | mors Christianis ludus est). Plutôt qu'une poena, la mort est un ludus dont la récompense sera ici la vie éternelle. membra : le corps (synecdoque ; de même, vv. 232. 428 ; -> 14, 37) ; de même, artus, v. 367 (-> 13, 13).

      156 : dilancinata : verbe rare, attesté chez Amm. 14, 7, 18.

      
157-160 " Est alter, est intrinsecus,
uiolare quem nullus potest,
liber, quietus, integer,
exsors dolorum tristium.
" Il en est un autre, un être intérieur, que nul ne peut profaner, libre, paisible, intact, à l'abri des funestes tourments.

      157 : l'anaphore de est solennise le propos, qui oppose les hommes extérieur (v. 161-164) et intérieur (N.T. II Cor. 4, 16 licet is qui foris est noster homo corrumpitur, tamen is qui intus est renouatur de die in diem). alter : employé absolument, alter évoque une nouveauté ou une rénovation radicale (cf. perist. 13, 59 fio Cyprianus alter). intrinsecus : adv. utilisé comme attribut, en parallèle avec alter. Intrinsecus et qui perstat intus (v. 167) sont métaphoriques (le martyr se moque d'une conception localisant l'âme dans le corps : v. 150-151).

      158 : soumise à Dieu (v. 172), l'âme est inviolable (v. 171 nullis procellis subditum) ; de même, pour le corps d'une vierge consacrée (-> 14, 31-35), et, après l'épreuve, pour celui de s. Vincent. uiolare : -> v. 44 (correspondance entre les 2 passages). nullus potest : cf. v. 432-433 nullusne te franget modus ? | " Nullus, nec unquam desinam... " (le juge).

      159 : 3 adj. en asyndète (-> v. 61) ; à ces qualificatifs positifs, s'ajoutent ceux, négatifs, du v. 170 inuictum, inexsuperabilem. Même répartition syllabique au v. suiv. liber : à cette liberté s'oppose la prison du corps (cf. v. 358 corporali ergastulo ; perist. 6, 72) ; par sa destruction, le juge hâte la libération de l'âme (cf. perist. 10, 519 dolor ab omni mens supersit libera), avec la mort (v. 359 mentem resoluit liberam). Par le cachot, il tentera de priver le martyr de sa libertas (vv. 239-240 ne liber usus luminis | animaret altum spiritum ; 304 [l'ange au martyr] liber in cælum ueni !). quietus : le repos donné à la mort (cf. perist. 13, 45 nil graue, quod peragi finis facit et quiete donat ; ->) commence au coeur de l'épreuve (cf. perist. 10, 456-457 diffluunt sudoribus | cum sit quietus heros, in quem sæuiunt). Finalement vient aussi le repos du corps : cf. vv. 353-354 postquam lectuli | martyr quietem contigit ; 486-487 ; 502 humus quieta suscipit ; 515-516 altar quietem debitam | præstat beatis ossibus. integer : cf. perist. 2, 226-228 intus decoris integri | sensum uenusti innoxium | laboris expertes gerunt. L'integritas s'oppose à l'idée de uiolare (-> v. préc. ; cf. perist. 2, 198 uiolatur auro integritas) ; dans l'attente de la résurrection, le corps du martyr conserve aussi son integritas (cf. perist. 6, 140-141 ; 11, 148 corporis integri qui fuerat numerus).

      160 : exsors dolorum : cf. perist. 2, 228 laboris expertes ; 3, 93-94 non penetrabitur interior | exagitante dolor animus. L'âme du martyr est libérée de la douleur déjà avant la mort (cf. perist. 10, 519 dolore ab omni mens supersit libera), car le baptême de sang l'a purifiée : cf. apoth. 898-899 exsortem dic esse animam crucis atque doloris, | si culpæ immunem uacuamque a crimine nosti. Quant au corps, il souffre réellement (cf. vv. 233-234 hæc inter immotus manet | tamquam dolorum nescius ; 262 ; cependant, -> 14, 90) et de manière méritoire (-> 13, 43). dolorum tristium : tristium est un epitheton ornans ; il qualifie aussi uulnus (perist. 10, 198). Cf. perist. 3, 143 dirus... dolor.

      
161-164 " Hoc, quod laboras perdere
tantis furoris uiribus,
uas est solutum ac fictile,
quocumque frangendum modo.
" Ce que tu peines à détruire, avec les forces considérables de ta fureur, c'est un vase caduc en argile, qui doit de toutes façons être brisé.

      161-164 : cf. perist. 10, 802-805 unam labantis dissipare tam diu | uos non potesse fabricam corpusculi ! | uix iam cohæret nec tamen penitus cadit, | uincens lacertos dexterarum inertium.

      161 : hoc : démonstratif utilisé à propos du corps (uas) ; pour l'âme (v. 157 alter), le martyr utilisera le masc. (vv. 166-167. 169). laboras perdere : l'infinitif après laborare est poétique et postclassique (cf. ThlL vii 2, 805, 49-60) ; cf. apoth. 37 ; c. Symm. 1, 324. perdere : cf. perist. 10, 821-822 quid differo... utrosque perdere, | ... complices sectæ impiæ ? Le juge ne fait que hâter le sort commun (perist. 10, 522 hoc perdo solum, quod peribit omnibus), la vraie perdition étant la damnation, qu'encourent païens (cf. perist. 10, 462) et apostats (cf. perist. 3, 67).

      162 : tantis : même adj. au début des vv. 177. 191. 275. 491 (cf. l'importance du combat). furoris : -> 14, 63 ; l'homme qui jette le corps du martyr à la mer est aussi furore feruens (v. 468). uiribus : possible moquerie, cf. v. 54-56 quidquid uirium, | quidquid potestatis tibi est, | ... exsere.

      163 : cf. N.T. II Cor. 4, 7 habemus autem thesaurum istum in uasis fictilibus, ut sublimitas sit uirtutis Dei, et non ex uobis ; I Thess. 4, 4. uas : image paulinienne, fréquente chez Prudence (cf. Lact. inst. 2, 12, 104 ; Avg. serm. 69, 1) concordant avec le récit biblique de la création de l'homme à partir du limon (-> v. 301-302 ; cf. fictile, ici et en apoth. 764) ; elle existe aussi chez les auteurs profanes : Lvcr. 3, 440. 555. 794 ; Cic. Tusc. 1, 52 ; Sen. dial. 6, 11, 3 (cf. Kah 1990, p. 254 n. 4). solutum : cf. v. 303 [uasculum] quod dissipatum soluitur ; perist. 3, 92-93 (cité ci-après) ; cath. 8, 61-62 ne limum fragilem solutæ | deserant uires. L'expression anticipe les événements : le corps mortel est solubile et non encore solutum. Soluere désigne l'épuisement des bourreaux au v. 123. fictile : l'argile est un matériau vil (cf. apoth. 456 ; epil. 17. 29).

      164 : cf. perist. 3, 92-93 diuide membra coacta luto ! | soluere rem fragilem facile est ; 10, 478-480 membra... | casura certe lege naturæ suæ ; | instat ruina ; quod resoluendum est, ruat. quocumque... modo : cf. apoth. 892 quocumque modo sit factus. Prudence n'utilise jamais quomodo, lui préférant quo pacto (-> v. 149). frangendum : l'emploi de l'adj. verbal peut suggérer que la caducité du corps est plus qu'un fait, un bien.

      
165-168 " Quin immo nunc enitere
illum secare ac plectere,
qui perstat intus, qui tuam
calcat, tyranne, insaniam !
" Bien au contraire, maintenant, ef-force-toi de trancher et de battre celui qui demeure à l'intérieur, qui foule aux pieds, tyran, ta folie !

      165 : quin : -> 2, 385. nunc : comme quin immo, nunc renforce l'impératif enitere ; cf. vv. 51 precanda iam nunc est tibi (ordre du juge) ; 545-546 adesto nunc et percipe | uoces precantum supplices (prière). enitere : attesté avec l'infinif chez Sall. Iug. 14, 1 ; Hor. carm. 3, 27, 47 ; tour analogue au v. 161 laboras perdere.

      166 : illum : emphatique, désignant l'âme (au masc. ; cf. v. suiv. qui ; repris par le triple hunc du v. 169), qui correspond à l'homme intérieur (cf. v. 157-160). Pour parler du corps, le martyr utilisait le neutre hoc (v. 161). secare : cf. v. 524 ; perist. 3, 91. 134 ; 9, 55 ; 10 [10 ex.] (récits de torture). Cf. v. 529 sector. plectere : cf. perist. 1, 48 ; 9, 81 ; 10, 118. 210.

      167 : qui... qui : anaphore. qui perstat intus : cf. v. 157 est intrinsecus. L'idée de permanence ou de persistance exprimée par perstare s'accorde avec celles d'inviolabilité (v. 158) et d'impassibilité (v. 159 quietus, integer) mises en relation avec l'âme. intus : adv. reprenant intrinsecus (v. 157), utilisé dans le même contexte en perist. 2, 220 pulcher intus uiuere ; 226 intus decoris integri ; cf. aussi perist. 9, 96 si quid intus æstuas.

      167-168 : tuam... insaniam : cf. perist. 2, 47 minister insani ducis ; 11, 39 insano rectori. Le martyr parlait auparavant de stupidité (v. 65-66 o uestra inanis uanitas | scitumque brutum Cæsaris), non de folie ; peu à peu, le juge semble perdre la raison (cf. v. 202-204).

      168 : calcat : geste de domination et d'outrage (-> 14, 112-113). Après ce triomphe de l'âme du martyr sur les bourreaux viendra celui de son corps sur l'esprit du mal (v. 543-544 proteris | solo latronem corpore). tyranne : invective contre le juge (-> v. 153) ; cf. v. 429 tyranne pertinax. Tyrannus est une désignation topique du persécuteur (-> 14, 21), reprise au v. 255.

      
169-172 " Hunc, hunc lacesse, hunc discute,
inuictum, inexsuperabilem,
nullis procellis subditum
solique subiectum Deo ! "
" Oui, frappe-le, lui, fracasse-le, lui qui est invaincu, insurpassable, qui n'est soumis à aucun orage et n'est le sujet que de Dieu seul ! "

      169 : hunc, hunc, ... hunc : anaphore et redoublement du démonstratif (de même avec hic, perist. 10, 736 ; 14, 74) ; hunc reprend illum (v. 166), qui désigne l'âme (cf. v. 157-160). lacesse... discute : ces 2 impératifs correspondent grosso modo aux infinitifs secare ac plectere du v. 166. Lacessere peut avoir les sens abstrait d''attaquer' ou celui, concret, de 'frapper'. Discutere unit les idées de 'fracasser' et de 'fendre' (cf. v. 150 scindere).

      170 : le martyr définit l'âme négativement (au v. 159 : positivement). inexsuperabilem : adj. dérivé à triple préfixe, attesté avec le sens figuré d''invincible' chez Liv. 8, 7, 8 ; Val. Max. 3, 2, 23 inexsuperabilem spiritum. Il renchérit sur le participe inuictum (-> v. 138).

      171 : procellis : l'image de la tempête désigne aussi la persécution en perist. 4, 81-82. Le corps du martyr, jeté dans une mer tempêtueuse (v. 472), en réchappera miraculeusement (cf. v. 481-504). On a ici une illustration de la quies du martyr (-> v. 159) ; le motif de l'ataraxie tel que l'illustre Lucrèce par son suaue mari magno (2, 1-4) est ici repris dans une perspective nouvelle, avec le salut promis au corps comme à l'âme.

      171-172 : subditum... subiectum : l'emploi de ces paronymes souligne le fait que le martyr choisit de ne pas se soumettre (subdere : -> 14, 95) aux tempêtes, c'est-à-dire en quelque sorte aux démons, mais à Dieu seul - ce qui le libère de toutes les aliénations.

      172 : solique... Deo : cf. v. 39 solus ac uerus Deus ; cath. 2, 48 te, Christe, solum nouimus ; apoth. 188 esse Deum summum et super omnia solum. subiectum Deo : tout comme l'âme du martyr est soumise à Dieu, le corps du martyr, après avoir réchappé de toutes les épreuves, sera mis sous l'autel eucharistique (v. 517-518 subiecta... sacrario, | imamque ad aram condita), où le Corps du Christ devient réellement présent.

      
173-176 Hæc fatur et stridentibus
laniatur uncis denuo ;
cui prætor ore subdolo
anguina uerba exsibilitat :
Tels sont ses propos ; il est à nouveau lacéré par des crochets grinçants. Alors, le préteur, d'une bouche cauteleuse, fait siffler vers lui ces mots vipérins : ...

      173 : hæc fatur : conclusion ; en perist. 10, 561, fatur introduit un discours du martyr.

      173-174 : stridentibus... uncis : détails sonores, réalistes (ici même excessifs) évoqués pour susciter l'horreur (-> v. 62) ; ce son correspond à celui des paroles du juge (v. 176 exsibilat).

      174 : laniatur : verbe suggérant la sauvagerie des bourreaux (-> v. 121), utilisé à propos des repas de fauves (perist. 3, 117 ; ham. 219-221). uncis : synonyme d'ungula (-> v. 120), comme le montre l'usage de denuo (cf. v. 141 rursus). L'uncus est un grappin (bâton terminé par un croc), utilisé pour traîner aux gémonies (cf. Cic. Phil. 1, 5 ; Ivv. 10, 66) ; cf. perist. 10, 110 ; 11, 63. denuo : cf. perist. 10, 796-797 illum recentes per cicatricum uias | denuo exarabant.

      175 : cui : relatif de liaison, se rapportant au sujet de laniatur (v. préc.). prætor : cf. v. 326 (on a iudex aux vv. 6. 94) ; cf. v. 101 ius prætorium (->) ; c'est un prætor qui juge ste Eulalie (cf. perist. 3, 97), mais, pour sts Laurent et Romain, un præfectus. ore subdolo : os désigne moins le visage (v. 222) que la bouche, et donc les paroles (vv. 95. 562) ; au v. 283, le terme reste ambigu (->). Subdolus (cf. perist. 10, 392 ; cath. 2, 99) annonce le caractère diabolique du juge (cf. v. suiv.). Les édits de persécution comprenaient à la fois l'ordre de livrer les Écritures saintes et celui de sacrifier ; le juge laissera entendre qu'il est prêt à réduire ses prétentions.

      176 : à partir d'ici, le juge est comparé à un serpent (vv. 191 ueneni ; 197 serpens ; 203 torquens lumina [->] ; 381-382 sæuire inermem crederes | fractis draconem dentibus) : suppôt du démon (cf. v. 191 interpretem), il en est possédé (cf. les symptômes des vv. 202-204), voire même s'identifie à lui (cf. v. 265-268) ; cf. v. 186 maligne (->). anguina uerba : après ses uerba... mollia (v. 17), le juge commence à montrer sa vraie nature, diabolique : anguis désigne le diable p.ex. en cath. 3, 153. 181 ; cf. perist. 10, 23-29, où le démon est comparé à un serpent. Prudence utilise aussi les termes draco (p.ex. perist. 1, 36), serpens (v. 197 ; perist. 10, 36) et coluber (p.ex. perist. 6, 23). Cet emploi figuré d'anguinus est sans parallèle dans la littérature latine.

      
177-180 " Si tanta callum pectoris
prædurat obstinatio,
puluinar ut nostrum manu
abomineris tangere,
" Si l'obstination qui endurcit la callosité de ton coeur prend de telles dimensions, au point que tu aies horreur de toucher de la main notre coussin sacré, ...

      177 : tanta : -> v. 162. callum : métaphorique ; cf. Cic. Tusc. 2, 36 obducere callum dolori ; 3, 53 ; Sen. dial. 1, 2, 6. pectoris : le martyr se refusait à nommer l'âme (ou homme intérieur), transcendante (cf. v. 169) ; le juge, lui, utilise un terme réducteur, presque sentimental.

      178 : prædurat : cf. psych. 446 ; le préverbe præ-, intensif, exprime aussi l'idée d'en-durcissement face aux obstacles extérieurs. obstinatio : cf. perist. 10, 64 ; 581-582 quis hunc rigorem pectori iniecit stupor ? | mens obstinata est, corpus omne obcalluit (cf. v. préc. callum). L'ob-stination des chrétiens frappa et indisposa Pline le Jeune lors de ses interrogatoires (epist. 10, 96, 3 pertinaciam... et inflexibilem obstinationem debere puniri ; cf. Tert. apol 2, 6, etc.).

      179 : puluinar... nostrum : cf. v. 103-104 nostris... | dis ; le juge accepte le rôle d'ambassadeur du paganisme que lui prête ironiquement le martyr (v. 35-36). puluinar : le coussin de lit sur lequel on plaçait la statue d'une divinité lors du festin votif appelé lectisternium. Le geste évoqué est celui d'un suppliant (cf. Cic. Cat. 3, 23 ad omnia puluinaria supplicatio decreta est ; Liv. 22, 1, 15). Le puluinar symbolise aussi le paganisme en apoth. 487 ; c. Symm. 1, 248 (culte impérial) ; 609-610 infame Iouis puluinar et omne | idolium.

      179-180 : manu... tangere : feignant de diminer ses exigences (-> v. 28), le juge évoque un geste bénin (cf. perist. 3, 122-125 si modicum salis eminulis | turis et exiguum digitis | tangere, uirgo, benigna uelis, | poena grauis procul afuerit), symbolique, refusé à ce titre, puisqu'un tel contact volontaire de la main (-> v. 69) lie le sujet avec le démon (v. 400 foedare tactu squalido), -> v. 67-76 ; ailleurs, il est question de purification par contact (cf. perist. 14, 132-133).

      180 : abomineris tangere : construction avec l'inf. attestée chez Sen. benef. 7, 8, 2. Le juge donne à abominari le sens atténué d''avoir horreur' ; pour le martyr, il s'agit véritablement d''écarter un péril religieux', puisque ces dieux sont des démons.

      
181-184 " saltem latentes paginas
librosque opertos detege,
quo secta prauum seminans
iustis cremetur ignibus. "
" ... du moins, mets à découvert vos feuillets cachés et les livres dissimulés, pour que cette doctrine qui sème le mal soit incendiée dans de justes flammes. "

      181 : saltem : plutôt que cette forme courante (éditée par Cunningham), des mss ont saltim (Bergman et Lavarenne), plus rare (cf. Lavarenne § 67) ; même hésitation en præf. 36 ; ham. 61. 963 ; comme dans ces 2 derniers cas on a saltem dans les mss A et B (ou B'), il semble préférable de retenir ici ce texte. paginas : par synecdoque, un ouvrage entier (cf. Cic. Att. 6, 2, 3 ; Mart. 1, 5, 8) ou tout texte écrit.

      182-183 : latentes paginas librosque opertos : expressions synonymiques, reprises par mysticis... litteris (v. 186-187) et cælestium... uoluminum (v. 189-190). Le Livre de Vie est aussi appelé pagina et liber (perist. 10, 1119. 1131) ; ces noms se retrouvent dans diuini pagina libri (apoth. 107). Latens et opertus (-> 2, 50) sont aussi utilisés en perist. 2, 49-51 qua ui latentes eruat | nummos, operta existimans | talenta sub sacrariis. Les 2 passages semblent se correspondre.

      182 : librosque : comme uolumen (v. 190), liber peut prendre un sens abstrait ('ouvrage') ou, comme ici et en perist. 13, 7, concret ('livre') ; cf. c. Symm. 1, 648-649.

      183 : quo : équivalent de ut final (sans comparatif dans la subordonnée ; cf. perist. 10, 65 ; 12, 16 ; 13, 24). secta : 'écrits doctrinaux' (métonymie : l'abstrait pour le support concret) ; ce terme n'a en soi rien de péjoratif (-> 11, 28) ; il désigne un parti ou une école de pensée. prauum : adj. substantivé, attesté chez Qvint. inst. 1, 3, 12. seminans : image biblique du semeur (-> 14, 121-123), désignant la propagation d'une doctrine ; cf. perist. 10, 271 ars seminandi efficax erroribus (le paganisme) ; c. Symm. 1 præf. 3-4 Christum per populos ritibus asperis | immanes placido dogmate seminans ; Lact. inst. 4, 10, 3.

      184 : cf. Introd. § 74. iustis : au lieu de l'adv. iuste, emploi de iustus épithète d'ignibus (cf. perist. 10, 824 flamma uindex). Le martyr répondra en invoquant une justice supérieure (v. 188 flagrabis ipse hoc iustius). cremetur : repris au v. 188 par flagrare ; cremare est aussi employé à propos des laminæ (perist. 10, 760), du gril (perist. 2, 402) et du bûcher (perist. 1, 51 ; 6, 50). ignibus : repris aux vv. 187 minitaris ignem litteris ; 207.

      
185-188 His martyr auditis ait :
" Quem tu, maligne, mysticis
minitaris ignem litteris,
flagrabis ipse hoc iustius.
Ayant entendu cela, le martyr dit : " La flamme dont toi, perfide, tu menaces les écrits mystiques, tu en brûleras toi-même bien plus justement.

      186-187 : quem... ignem : l'antécédent ignem est placé dans la relative ; même tour, classique, en cath. 6, 105 ; 10, 41. maligne, mysticis minitaris : triple allitération en m-.

      186 : maligne : cette insulte (-> v. 153), comme d'autres attributs du juge (-> v. 176), a une connotation diabolique (cf. ham. 553-554 hominumque maligni | hostis) ; adj. employé à propos du loup menaçant le cadavre exposé du martyr, chassé par le corbeau (v. 417).

      186-187 : mysticis... litteris : l'Écriture sainte (-> v. 182-183) ; exégète et docteur, s. Cyprien permet de connaître les mystica uel profunda Christi (perist. 13, 20 ; ->) et dit : trado salutiferi mysteria consecrata Christi (perist. 13, 91 ; ->). Parlant de livres bibliques, Prudence utilise aussi fideli... uolumine (cath. 7, 82), prophetarum fideles paginæ (cath. 9, 26), diuini pagina libri (apoth. 107), sacro... libro ou sanctum... uolumen (ham. 181. 624).

      187 : minitaris : fréquentatif peu justifié, la menace (-> 14, 17) étant récente et nouvelle.

      188 : flagrabis : reprend cremetur (v. 184) ; cf. ham. 729, à propos du châtiment de Sodome et Gomorrhe (ici, v. 193-196). ipse : nouvelle attaque personnelle, cf. vv. 148 (->) et 151. hoc iustius : comparatif (reprenant iustis... ignibus, v. 184) construit avec l'abl. hoc (reprenant ce qui vient d'être dit, v. 183-184) - au sens strict, il faudrait his (cf. v. 186-187 mysticis... litteris).

      
189-192 " Rhomphæa nam cælestium
uindex erit uoluminum,
tanti ueneni interpretem
linguam perurens fulmine.
" En effet, le glaive sera le vengeur des rouleaux célestes, en consumant par la foudre ta langue, truchement d'un si puissant venin.

      189 : rhomphæa : nom d'origine grecque romfaia : large sabre thrace à deux tranchants) dont le doublet archaïque est rumpia (Ennius cité par Gell. 10, 25, 2) ; à l'époque tardive, terme générique (Tert. test. anim. 55 ; Avg. epist. 149, 12), désignant souvent le glaive divin (N.T. apoc. 2, 12 qui habet rhomphæam utraque parte acutam ; cf. cath. 7, 93 dextram perarmat rhompheali incendio), à 2 tranchants (N.T. apoc. 1, 16 ; 19, 15 ; cf. cath. 6, 85-88). Cette arme unissant les effets du fer et du feu venge les supplices infligés au martyr (-> v. 61-62).

      189-190 : cælestium... uoluminum : cf. v. 186-187 mysticis... litteris (->). Ces uolumina (-> 13, 18) inspirés sont dits 'célestes' (-> 14, 62) ; de même, v. 519 cælestis... muneris (l'Eucharistie).

      190 : uindex : cf. perist. 11, 173 ad æterni spem uindicis (->). erit : le futur, temps de la prophétie, est utilisé aux vv. 188 flagrabis ; 200 implicabunt. Ce moment est proche (v. 198 mox).

      191 : la langue du juge, instrument du démon (-> v. 176) ; cf. perist. 10, 36 hæc ille serpens ore dictat regio. Lavarenne, se basant sur perist. 10, 771 (où la langue est dite interpres animi, enuntiatrix sensuum) traduit, peut-être à tort, 'interprète de pensées si venimeuses'. tanti : -> v. 162. ueneni : -> 2, 201 ; cf. ditt. 2 anguinum... uenenum ; cath. 9, 88-90 [cité ci-après]).

      192 : le feu divin brûle l'organe du péché (-> 14, 48-49). linguam : le juge voulait aussi punir le martyr pour ses blasphèmes contre les dieux-démons (v. 95-97 os obtrudite, | ne plura iactet improbus ! | uocem loquentis claudite) ; en perist. 10, le juge fait trancher, en vain, la langue du martyr (cf. perist. 10, 891-910). perurens : cf. ham. 758-759 (châtiment de Sodome : cf. ici v. 193-196) Loth ingressus iter, nec moenia respicit alto | in cinerem (v. 195 cinis) collapsa rogo, populumque perustum ; cath. 9, 88-90 uidit anguis (v. 176 anguina uerba) immolatam corporis sacri hostiam ; | uidit, et fellis perusti mox (v. 198 mox) uenenum (v. 191 ueneni) perdidit, | saucius (v. 201 saucius) dolore multo, colla fractus sibila (v. 176 exsibilat). fulmine : la foudre, attribut de Jupiter (cf. perist. 10, 277 ; 13, 93) et instrument du châtiment de Dieu (ici ; perist. 14, 46) ; comme celle du glaive (v. 189), image biblique (p.ex. Iob 36, 29-30 ; Hab. 3, 11 in splendore fulgurantis hastæ tuæ).

      
193-196 " Vides fauillas indices
Gomorrhæorum criminum,
Sodomita nec latet cinis
testis perennis funeris.
" Tu vois les cendres qui dénoncent les crimes de Gomorrhe, et la poussière de Sodome n'est pas cachée, témoignant d'une ruine perpétuelle.

      193 : uides : comme le martyr (avant-goût de la vision béatifique, -> v. 128), le juge 'voit' ce qui l'attend. Le martyr veut faire constater (uidere) qu'il a raison, le juge veut faire ressentir (sentire : cf. v. 102) son pouvoir. fauillas indices : cf. v. 195 nec latet cinis (v. 195). Les cendres symbolisent la ruine : cf. perist. 2, 295-296 quos nec fauillis obruat | ruina. L'exemple de Sodome et de Gomorrhe (V.T. gen. 15-29, en part. 24-25 ; cf. ham. 768) est un châtiment divin qui a déjà eu lieu (cf. v. 186-192), manifestant que le contenu de l'Écriture n'est ni caché (ici uides ; v. 195 nec latet ; cf. v. 182), ni sujet à disparaître (v. 196 testis perennis).

      194 : Gomorrhæorum : syllabe -rhæ- abrégée par position (longue en ham. 842) ; sur la graphie (omission de l'h dans des mss), cf. Charlet 1983, p. 10 n. 31. criminum : crimen équivaut à peccatum (-> 2, 287). Les moeurs des habitants de ces cités (V.T. gen. 18, 20 ; 19, 5) et leur accueil des anges divins (analogie avec s. Vincent, -> v. 9) parachèvent leur péché.

      195 : nec latet : cf. v. 193 uides... indices. cinis : cf. ham. 759 (à propos de Sodome).

      196 : testis perennis : même si le juge faisait disparaître le martyr (testis indomabilis : -> v. 11) et les Écritures (v. 183-184), la ruine des cités pécheresses, visible et rapportée par l'Écriture, constituerait un témoignage ineffaçable de la puissance de Dieu. Prudence qualifie aussi le Tibre de testis, relativement à la passion des deux Apôtres (cf. perist. 12, 9). perennis : par sa forme et sa position, cet adj. peut qualifier aussi bien testis (cf. ci-dessus) que funeris (la ruine de Sodome). funeris : cf. psych. 536 uiderat et Iericho, propria inter funera ; Cic. prou. 45.

      
197-200 " Exemplar hoc, serpens, tuum est,
fuligo quem mox sulfuris,
bitumen et mixtum pice
imo implicabunt tartaro. "
" Cela, serpent, est une préfiguration pour toi, que bientôt une épaisse fumée de soufre, et du bitume mêlé de poix envelopperont au fin fond du Tartare."

      197 : exemplar : le châtiment de Sodome est comme le modèle (-> 11, 123) de celui du juge (en perist. 2, 351, même sens d'exemplum). serpens : des mss ont la leçon semper, convenant bien pour le sens (l'ex. de Sodome est censé être sous les yeux du juge : vv. 193 uides ; 196 testis perennis), mais banalisante par rapport à serpens, qui s'accorde avec le ton du discours (insultes, invectives : -> v. 153) et avec un thème récurrent (-> v. 176). tuum est : ambivalent - si tuum est attribut (et hoc adj.), 'tu as à ta disposition (cet exemple)' ; si tuum est épithète d'exemplar (et hoc pronom), '(ceci) est (l'exemple) de ce qui t'attend'.

      198 : mox : alors que la prédiction de s. Laurent concernait un avenir indéterminé (perist. 2, 474 quandoque), celle-ci doit se réaliser bientôt (trait typique du genre apocalyptique). sulfuris : orthographe variant selon les mss, Bergman et Cunningham retenant l'archaïque sulpuris, qui n'est attesté que pour des passages parallèles (cath. 5, 136 ; apoth. 137) ; chez Prudence, un certain flou semble régner : on a sappirus (pour saphirus) en psych. 855, mais palfebra (pour palpebra) en perist. 2, 284 (->). Le soufre est caractéristique du châtiment de Sodome (V.T. gen. 19, 24 Dominus pluit super Sodomam et Gormorrham sulfur et ignem a Domino de cælo) et aussi de l'Enfer (cath. 5, 136 ; psych. 95).

      199 : cf. Ampel. 8, 1 inde pix exit et bitumen. On a le même mélange - non mentionné dans le récit biblique - à propos de l'Enfer, en ham. 825-826 piceasque bitumine fossas | infernalis aquæ furuo subfodit Auerno. Ces matières repoussantes, se liquéfiant sous l'effet de la chaleur, sont en outre collantes (cf. v. suiv. implicabunt). pice : la poix est associée au soufre en psych. 43, au bitume en ham. 825. Cf. aussi perist. 10, 849 spargens liquato rore feruentis picis (torture).

      200 : imo... tartaro : terminologie païenne (-> 2, 288), désignant, aux antipodes du Ciel, le lieu des pires châtiments infernaux (cf. cath. 6, 111 imam petit gehennam). Le juge jettera le martyr dans un lieu comparable (vv. 241-242 est intus imo ergastulo | locus tenebris nigrior ; 247-248 hic carcer horrendus suos | habere fertur inferos), où il sera non englué, mais entravé (v. 251-252). implicabunt : verbe connoté négativement, avec l'idée de piège : cf. ham. 811 molle uel implicitas gluten circumligat alas (ici, cf. v. 79 salutis aucipes). Cf. aussi perist. 2, 194 ; 10, 203 ; 11, 78 ; 13, 85 præcipitemque globum fundo tenus implicauit imo ; 14, 97. Le juge tentera d'infliger un tel traitement au cadavre (v. 457-458 complicatus sparteus | claudat cadauer culleus).

      
201-204 His persecutor saucius
pallet, rubescit, æstuat,
insana torquens lumina,
spumasque frendens egerit.
Blessé par ces paroles, le persécuteur pâlit, rougit, bouillonne ; faisant rouler des yeux de fou, il épanche de l'écume en grinçant des dents.

      201 : his... saucius : cf. cath. 9, 90 saucius dolore multo (le démon vaincu ; -> v. 192). Le fait que les paroles du martyr (v. 186-200, repris par his) blessent le juge témoigne de leur efficacité rhétorique et de leur vérité : le châtiment annoncé a commencé. persecutor : dans le recueil, ce terme technique (cf. N.T. I Tim. 1, 13 ; Tert. apol. 31 ; Ambr. off. 2, 141) n'apparaît qu'ici et en perist. 1, 28 ; 4, 134 ; 10, 961.

      202-204 : -> v. 41 ; cf. perist. 1, 101 spumeas efflans saliuas, cruda torquens lumina (possession ; -> 5, 430) ; psych. 114-115 spumanti feruida rictu, | sanguinea intorquens suffuso lumina felle.

      202 : comme au v. 131, 3 verbes en asyndète (-> v. 61) ; 2 verbes contradictoires (pallet, rubescit : peur et colère ? -> 9, 26) montrent l'agitation (-> v. 41) du juge, ce que confirme le 3e (æstuat). pallet : signe de maladie (perist. 1, 112-114) ou de détresse (c. Symm. 2, 916) voire de mort (cf. perist. 4, 139 mors... pallens), la pâleur peut aussi dénoter l'orgueil ou la jalousie (perist. 2, 257-260) ; ici, il s'agit d'une marque de stupéfaction et de peur (cf. apoth. 469-470). æstuat : verbe indiquant la présence de passions violentes, bonnes ou mauvaises ; cf. perist. 2, 250 sitimque honoris æstuans ; 9, 96 ; 10, 732 animo ac medullis solus ardor æstuet ; 13, 24.

      203 : insana : comme le démon qui le possède (cf. cath. 4, 80 insanos acuens furore dentes), le juge semble avoir perdu la raison (cf. perist. 2, 47 ; 11, 39) ; cf. v. 167-168 tuam | calcat, tyranne, insaniam (->) ; c. Symm. 2, 672-673 Decius iugulis bacchatus apertis | insanam pauit rabiem. torquens lumina : cf. Verg. georg. 3, 433 flammantia lumina torquens (un serpent) ; Æn. 7, 448-449 flammea torquens | lumina (l'Érinye) ; Val. Fl. 2, 184 ; Clavd. 3, 261. La comparaison implicite avec un serpent reprend la métaphore des vv. préc. (-> v. 176), avec une connotation diabolique amenée par le symptôme de possession (-> v. 202-204).

      204 : spumasque... egerit : cf. Verg. georg. 3, 203 spumasque aget ore cruentas. Cette colère extrême est un indice de possession (cf. perist. 1, 101 spumeas efflans saliuas ; apoth. 439-440 non spumat anhelus | fata Sibyllinis fanaticus edita libris). La mer, alliée supposée du juge, a les mêmes caractères : colère (v. 438 insana : cf. v. préc.) et écume (vv. 439-440 spumeum... profundum ; 490 spuma candens). frendens : cf. v. 393 sic frendit (-> 2, 185).

      
205-208 Tum deinde cunctatus diu
decernit : " Extrema omnium
igni, grabato et laminis
exerceatur quæstio. "
Puis enfin, ayant longtemps tergiversé, il décide : " Que soient mises en oeuvre les ul-times formes de la question, par le feu, le gril et les cautères. "

      205 : tum deinde : même début de v. au v. 542, où il y a aussi synizèse des deux 1ères syllabes de deinde (même prosodie chez Verg. Æn. 5, 303) ; ailleurs (vv. 277. 317), deinde est traité comme un mot de 3 syllabes. cunctatus diu : le juge hésite, non par pitié, mais en raison de sentiments contradictoires (cf. v. 202), dont la stupeur ; cf. perist. 1, 92.

      206 : decernit : le juge rend une sentence qui a force de loi (cf. c. Symm. 1, 609) ; cf. v. 49 hoc... decretum cape. extrema omnium : renforcement du superlatif par le gén. partitif omnium (cf. perist. 14, 110 quod malorum tætrius omnium est). Vu son intensité et son caractère souvent létal, la torture du feu est le dernier recours du bourreau (cf. perist. 3, 146-150 ultima carnificina dehinc : | non laceratio uulnifica | ... | flamma sed undique lampadibus | in latera stomachumque furit). En fait, le martyr semblera l'ignorer (v. 233-234 ; cf. même v. 237 sublatus inde fortior) et le juge continuera de s'acharner sur le martyr, même mort.

      207 : cf. v. 61-62 tormenta, carcer, ungulæ | stridensque flammis lamina (->) ; ici, l'expression s'apparente à l'hendiadyn, le feu étant la cause première des autres supplices. igni : Prudence hésite entre l'abl. igni (p.ex. perist. 6, 159) et igne (p.ex. perist. 2, 252 ; 4, 28). grabato : seul cas attesté où ce terme ('lit de camp' ; cf. apoth. 967) désigne le lit de fer utilisé pour la torture du gril ; on a aussi catasta (-> 2, 399). laminis : -> v. 62.

      208 : exerceatur : cf. perist. 1, 47 barbaras per omne forum tortor exercet manus ; cf. v. 133 uis exercita ; perist. 6, 29 exercent... lauacrum ; 9, 81 exerce imperium. quæstio : la séance de torture destinée à obtenir un aveu (ici, celui du lieu où se trouvent les Écritures) ou une repentance (ici, le geste sacrificiel), par opposition au supplice punitif proprement dit ; cf. perist. 11, 63-64 iam, tortor, ab unco | desine, si uana est quæstio, morte agito.

      
209-212 Hæc ille sese ad munera
gradu citato proripit
ipsosque pernix gaudio
poenæ ministros præuenit.
Vers de telles charges, le martyr s'élance d'un pas rapide et devance même, tant la joie le rend agile, les agents du supplice.

      209 : hæc ille : de même, début des vv. 265. 305 (-> 13, 92). munera : le martyre est une tâche (cf. v. 407 hoc munus implet sedule ; -> 2, 128) et une grâce (-> 14, 35) ; cf. perist. 2, 562 ; 11, 24 munere ditatum catholicæ fidei. Au v. 290, on a munia.

      209-210 : sese... proripit : de même, dans la comparaison entre Loth et son épouse fuyant Sodome, ham. 773-774 alter se proripit, altera mussat, | ille gradum celerat (cf. v. 210 gradu citato) fugiens, contra illa renutat. On retrouve sese en perist. 1, 111 ; 10, 716. 1001.

      210 : gradu citato : expression à connotation militaire (Liv. 8, 6, 2 cum... se... citato gradu proriperet ; 28, 14, 17), qui s'accorde avec la qualité de miles Dei (-> v. 117) ; même motif en perist. 3, 61-62 illa gradu cita peruigili | milia multa... peragit (ste Eulalie allant au tribunal).

      211 : pernix : adj. construit avec l'abl. de cause gaudio (cf. Liv. 28, 20, 3) ; il renforce l'idée de gradu citato. gaudio : la joie du martyr (cf. v. 131 ; -> 14, 68) est communicative, même au moment de sa mort (cf. v. 340) ; gaudium désigne l'ensemble de son martyre au v. 563.

      212 : poenæ ministros : cf. Manil. 5, 413 tortor poenæque minister ; Ambr. hex. 6, 4, 24 minister cædis. Les bourreaux, ne semblent pas servir César ou la loi, mais la souffrance qu'ils doivent infliger (vv. 99 reorum Plutones ; 137 alumni carceris). Minister, proche de satelles (-> v. 13), peut aussi être employé dans un sens positif (-> v. 31). Cf. v. 290 poenæ minacis munia (sur poena, -> 14, 22). præuenit : cf. perist. 10, 71-72 amor coronæ pæne præuenit trucem | lictoris artem.

      
213-216 Ventum ad palestram gloriæ,
spes certat et crudelitas,
luctamen anceps conserunt
hinc martyr, illinc carnifex.
On parvint au lieu d'exercice de la gloire, l'espérance rivalise avec la cruauté, une lutte incertaine s'engage entre le martyr, d'un côté, et le bourreau, de l'autre.

      213 : uentum : passif impersonnel avec est sous-entendu (cf. perist. 2, 178). palestram gloriæ : à la traduction de Lavarenne ('lieu du combat'), il faut préférer 'lieu d'exercice où s'acquiert la gloire'. palestram : image du concours gymnique (cf. Tert. mart. 3, 5) reprise à propos de s. Vincent en perist. 4, 101-104 nostra puer in palæstra | arte uirtutis fideique oliuo | unctus horrendum didicit domare | uiribus hostem. Cf. DECA, s.v. athleta Christi, p. 295 (Saxer).

      214 : les qualités qu'incarnent les protagonistes (cf. v. 216) ont un sens moral et spirituel (spes, vertu théologale ; crudelitas, attitude démoniaque, avec l'idée de verser le sang). On a ici un duel comme ceux de la Psychomachie, où se côtoyent éléments abstraits et concrets (cf. perist. 1, 43-51 ; 3, 89-90). spes : le martyr incarne l'espérance (ailleurs, la fides [perist. 1, 43 ; 2, 17 ; 3, 90], ou uirtus [-> v. 426]). certat : comme palestra (v. préc.) et luctamen (v. suiv.), ce verbe suggère l'idée de joute ; il est repris au v. 497, à propos de la poursuite du cadavre par ceux qui l'avaient jeté à l'eau. crudelitas : emploi dans le même contexte en perist. 10, 100.

      215 : luctamen anceps : cf. perist. 10, 754 in ancipiti exitu ; psych. 176-177 nulla anceps luctamen init uirtute sine ista | uirtus ; Verg. Æn. 10, 359 anceps pugna ; Liv. 4, 19, 5 anceps certamen. Cette évocation d'une issue incertaine rappelle que le combat et l'enjeu sont réels, soulignant une symétrie entre les protagonistes. luctamen : 'lutte' (-> 9, 85) ; même sens en Hist. Avg. Sept. Sev. 30, 4 (chez Verg. Æn. 8, 89 : 'effort') et p.ex. en c. Symm. 2, 145. Prudence crée ou utilise souvent des noms en -men : tutamen (v. 343), fragmen (v. 553), leuamen (v. 568) ; acumen (p.ex. perist. 9, 8. 51) ; cantamen (perist. 13, 23) ; libramen (perist. 10, 1134) ; ligamen (perist. 9, 86) ; oblectamen (perist. 2, 392) ; peccamen (perist. 10, 517) ; purgamen (perist. 6, 30) ; sinuamen (perist. 7, 34) ; spiramen (perist. 10, 985). conserunt : cf. ditt. 75-76 mox horrida bella | conserit ; Verg. Æn. 2, 398 proelia... conserimus ; Liv. 35, 4, 2 conserere certamen.

      216 : hinc... illinc : cf. v. 374 hinc inde sanctorum chori (->). martyr... carnifex : cf. v. 148 ; les 2 bourreaux (-> v. 138) se réduisent à une seule personne (carnifex au sing.), ce qui suggère un duel et permet un parallèle avec l'opposition entre spes et crudelitas (v. 213).

      
217-220 Serrata lectum regula
dente infrequenti exasperat,
cui multa carbonum strues
uiuum uaporat halitum.
Des barres en forme de scie rendent douloureux, avec leurs dents espacées, un lit vers lequel un grand amas de charbons exhale le souffle d'une vive chaleur.

      217 : serrata : dérivé de serra, 'scie' (cf. v. 531) ; cf. Plin. nat. 11, 160 (cf. Lavarenne § 1200). lectum : terme reprenant grabato (v. 207) ; cf. perist. 2, 354 incumbe digno lectulo. Après ce lit, il y en aura un autre (v. 261-262 totum cubile spiculis | armant dolores anxii), puis le repos sur un vrai lit (-> v. 353). regula : les barres de fer formant l'armature du gril (sing. poétique).

      218 : dente : les pointes insérées sur le gril (catachrèse ; sing. poétique) ; cf. v. 271, morsure (morsus) des entraves. infrequenti : plutôt qu'in frequenti (in instrumental), lire infrequenti (in préfixe à sens négatif) ; la rareté des pointes accroît la cruauté du supplice, avec la pression exercée par le corps. exasperat : sens à la fois concret ('rendre rude, inégal') et abstrait ('rendre pénible'). Cf. Sen. contr. 11, 3, 3 moles... frequentibus exasperata saxis.

      219-220 : en perist. 2, le supplice du gril est présenté comme une exécution lente ; ici au contraire, tortures violentes : comparer perist. 2, 341 (prunas tepentes sternite) et le v. 219 (multa carbonum strues), perist. 2, 345 (uapor senescens langueat) et le v. 220 (uiuum uaporat halitum).

      219 : cui : dat. d'intérêt indiquant aussi le lieu de l'action ; cf. vv. 257. 260 fragmenta testarum iubet... tergo iacentis sternerent ; perist. 3, 68-69. strues : cf. perist. 10, 848. carbonum : cf. perist. 10, 917 tus et ignem uiuidum in carbonibus (cf. v. 220 uiuum).

      220 : uiuum... halitum : pour désigner la force du souffle chaud, Prudence parle de 'vie', comme en perist. 10, 917 (cité ci-dessus) ; cf. perist. 2, 345 uapor senescens langueat (->). Cette idée de vie est renforcée par l'emploi de halitus (le souffle vital : -> 14, 59). uaporat : uapor désigne la chaleur du feu, mais a des connotations démoniaques (-> 2, 356).

      
221-224 Hunc sponte conscendit rogum
uir sanctus ore interrito,
ceu iam coronæ conscius
celsum tribunal scanderet.
Ce bûcher, l'homme saint y monte de lui-même, le visage impavide, comme si, déjà assuré de sa couronne, il gravissait l'estrade élevée [du ciel].

      221 : sponte : les martyrs acceptent le supplice (perist. 10, 72 ; 13, 82 mediæ sponte irruerent in ima fossæ), montrant une libertas (-> 2, 491) et une obéissance qui irritent le juge (cf. perist. 2, 64 ; 11, 82) ; -> 11, 67. conscendit rogum : cf. perist. 2, 353 conscende constratum rogum.

      222 : uir : -> 2, 37. sanctus : sanctus, qui s'applique surtout à martyr, se trouve dans le titre (passio sancti Vincenti martyris) et qualifie le corps du martyr au v. 486 ; substantivé, il désigne les élus (v. 374) ou les fidèles (v. 509). interrito : impavidité provocatrice (cf. v. 129-132).

      223-224 : triple, voire quadruple (avec ceu) allitération en c-.

      223 : iam : iam dénote le caractère définitif du salut ; cf. v. 289-290 decursa iam satis tibi | poenæ minacis munia. coronæ conscius : l'approche de la mort renforce la certitude du salut (corona : -> v. 4) ; son retard, même miraculeux (perist. 6, 115-120 ; 7, 51-90), crée l'inquiétude.

      224 : celsum tribunal : même iunctura en perist. 11, 77 ; tribunal suggère une inversion des rôles entre le juge et le martyr, qui l'a du reste déjà menacé des châtiments éternels (cf. v. 186-200). Le bûcher ressemble à une estrade (cf. catasta en perist. 2, 399 ; ->), mais celsum a plutôt un sens symbolique, évoquant le Ciel (cf. cath. 9, 104 arduum tribunal alti uictor ascendit Patris [Ascension du Christ] ; celsa substantivé désigne le Ciel en perist. 6, 98 ; 8, 10), but du martyr, cui recta celso tramite | reseratur ad Patrem uia | quam... | Abel beatus scanderat (v. 369-372 ; ->). scanderet : reprise de conscendit (v. 221). Scandere décrit la montée de l'âme au Ciel au v. 372 et en perist. 6, 97-98 felices animæ, quibus... | celsa scandere contigit Tonantis ; 7, 88 ; 8, 9.

      
225-228 Subter crepante aspergine
scintillat excussus salis
punctisque feruens stridulis
sparsim per artus figitur.
Crépitant au-dessous [du martyr] tandis qu'on l'asperge, le sel que l'on jette [sur le feu] fait des étincelles et, brûlant, en points sifflants, se fiche çà et là sur l'étendue des membres.

      225 : subter : cf. vv. 263. 520 ; perist. 12, 17. crepante : -> v. 112. aspergine : comme excussus (v. suiv.), désignation abstraite d'une action prise pour son objet (concret) ; -> 11, 143.

      226 : excussus : les grains de sel, objets de l'action de 'secouer' ; rare, cf. Cæl. Avr. tard. 5, 4, 71 ; Clavd. Don. Æn. 9, 695 p. 276, 8. salis : ailleurs, offrande aux idoles (-> 13, 81).

      227 : punctisque : à la fois les points lumineux des grains de sel (sortes d'étincelles), et ceux que forme sur la peau la brûlure qui en résulte. En perist. 9, il est question à plusieurs reprises des puncti formés par les stylets, instruments du supplice (-> 9, 12). feruens : souvent employé au figuré (v. 468 ; -> 2, 249), feruens est pris ici au sens matériel de 'brûlant' (cf. perist. 10, 849 spargens liquato rore feruentis picis ; 1079-1080 quacumque partem corporis feruens nota | stigmarit). stridulis : cf. perist. 10, 490 credas cremari stridulis cauteribus ; 758 (-> v. 62).

      228 : sparsim : cf. cath. 1, 40, sparsim n'est pas attesté avant Gell. 11, 2, 5 ; Apvl. met. 10, 10, 34. artus : le corps (synecodque ; -> v. 367). figitur : ce verbe est employé au figuré (à propos du juge) aux vv. 423-424 quantis gementem spiculis | figebat occultus dolor ; cf. perist. 9, 14. 57 ; 12, 17 (supplices). Le quatrain suiv. s'achève semblablement par liquitur.

      
229-232 Aruina posthinc igneum
impressa cauterem lauit,
uis unde roris fumidi
in membra sensim liquitur.
Ensuite de quoi, du saindoux appliqué sur le cautère en feu glisse dessus, et de là, cette vive rosée, en fumant, fond peu à peu sur le corps [du martyr].

      229 : posthinc : -> v. 113. igneum : cf. perist. 1, 56 post catastas igneas ; 2, 342 ; 3, 167.

      230 : impressa... lauit : la graisse, d'abord présentée comme un corps solide (impressa), puis comme un liquide (lauit). cauterem : nom d'origine grecque (Tert. pall. 5 ; Pallad. 1, 41, 2 ; Veg. mulom. 2, 6, 11) désignant le fer chaud servant à brûler (perist. 10, 490). lauit : forme du parfait de lauare (cf. perist. 3, 190 ; Verg. georg. 3, 221 ; Hor. carm. 2, 3, 18).

      231 : uis... roris fumidi : équivalent de ros fumidus ; cf. perist. 14, 78 uim gladii traham (->). unde : à partir du fer chaud sur lequel la graisse a été appliquée. roris fumidi : la graisse (aruina, v. 229) en fusion ; quasi adynaton, union de l'état liquide (roris, -> 11, 142) et de l'émission de fumée (fumidi ; cf. perist. 10, 847).

      232 : in membra : comme artus (v. 228), membra désigne le corps par synecdoque (-> v. 155). L'emploi de l'acc. avec in laisse entendre que la liquéfaction (liquitur) ne se produit pas sur le corps, mais dans sa direction. sensim : -> 2, 347. liquitur : même forme du verbe déponent et défectif liquor (attesté chez Verg. Æn. 9, 813) p.ex. en perist. 10, 508.

      
233-236 Hæc inter immotus manet,
tamquam dolorum nescius,
tenditque in altum lumina,
nam uincla palmas presserant.
Au milieu de ces tortures, il reste immobile, comme s'il ignorait les tourments, et il tend vers les hauteurs [du ciel] ses regards, car ses paumes étaient serrées dans des liens.

      233-234 : on trouve le thème de l'impassibilité sous la torture chez des auteurs profanes (Cic. Cluent. 63 ; Tac. ann. 4, 45, 4-5 ; Vlp. dig. 68, 18, 1, 23), juifs (Flav. Ios. ant. Iud. 19, 1, 5) et chrétiens (Tert. ad mart. 2 nil crus sentit in neruo cum anima in cælo est ; Avg. tract. 27 in Ioh. 12 in illa longa morte, in illis tormentis... tormenta non sensit ; Pass. Perpet. 20). Les juges païens l'attribuaient à la magie ou à des drogues - telles le vin aromatisé de myrrhe proposé au Christ (N.T. Marc. 15, 23 ; Tert. ieiun. 12 postremo ipso tribunalis die luce summa, condito mero tamquam antidoto præmedicatum ita eneruastis). Prudence précise tamquam... nescius : la passion est réelle (et méritoire) et manifeste la force de la foi et l'invulnérabilité de l'âme (cf. v. 157-160).

      233 : hæc inter : cf. perist. 2, 573 hos inter. immotus manet : cf. Verg. georg. 2, 294 conuellunt, immota manet ; Stat. Theb. 1, 227. immotus : cf. perist. 10, 906 immotus et patente rictu constitit ; psych. 109-110 stabat Patientia... | per medias immota acies uariosque tumultus.

      234 : dolorum nescius : cf. perist. 2, 304 ignis secundi nescias (-> 13, 5). Sur dolor, -> v. 136.

      235 : cf. Verg. Æn. 2, 405-406 ad cælum tendens ardentia lumina frustra, | lumina, cum teneras arcebant uincula palmas ; Lact. inst. 2, 18, 1 ; Clavd. 20, 515 ; Ps.-Pavl. Nol. poem. ult. 186 quæ super excedit, quæ passim tendit in altum. tenditque in altum : cette attitude de prière (-> 2, 410) préfigure au moyen du regard le mouvement de l'âme lors de la mort (v. 368 cælum capessit spiritum ; -> 2, 548) ; cf. perist. 3, 17 tendere se Patris ad solium ; 4, 74-76 chorus unde surgens | tendit in cælum niueus togatæ | nobilitatis ; 6, 9 Christi lucidus ad sedile tendit. lumina : -> v. 239.

      236 : les mains (-> v. 69) entravées du martyr l'empêchent de prier dans la posture de l'orant, bras écartés et paumes (palmas) ouvertes ; le regard vers le ciel est une attitude de substitution (que le juge voudra empêcher, en jetant le martyr au cachot). Cf. perist. 6, 103-108 : les liens des martyrs (sur le bûcher) tombent miraculeusement afin de leur permettre de prier. uincla : -> v. 109. palmas : cf. perist. 6, 106-107 non ausa est cohibere poena palmas | in morem crucis ad Patrem leuandas ; cath. 4, 52-53 cum tenderet ad superna (cf. v. préc. tendit in altum) palmas | expertumque sibi Deum rogaret. Suggérant l'attitude de l'orant, le poète use d'une synecdoque, palmas désignant les poignets ou les bras attachés. presserant : verbe évoquant en général la persécution (cf. perist. 9, 29-30), suggérant la douleur provoquée par les liens (-> 13, 53-54).

      
237-240 Sublatus inde fortior
lugubre in antrum truditur,
ne liber usus luminis
animaret altum spiritum.
Retiré de là plus vaillant encore, on le jette dans une caverne sinistre, de peur qu'en pouvant avec ses yeux user librement de la lumière, il n'anime encore son esprit altier.

      237 : le martyr était monté de son plein gré sur le bûcher (cf. vv. 209-212. 221-224) ; il faut l'en retirer, cf. le passif sublatus. fortior : la comparaison ne porte pas sur les bourreaux (v. 132 tortore tortus acrior), mais sur l'état antérieur du martyr ; dans son cachot, il sera appelé par les anges (v. 293-294) o miles inuictissime, | fortissimorum fortior. Vertu cardinale, la force morale caractérise les martyrs (cf. fortis en perist. 10, 713. 741 ; 13, 42 ; 14, 2).

      238 : lugubre : évocation de l'obscurité et du monde des morts (cath. 9, 79-80) ; double motif développé aux vv. 241-248. antrum : cf. perist. 13, 51-52 antra latent... abditis reposta | conscia tartareæ caliginis, abdicata soli (-> 13, 51). Le cachot est appelé densæ specum caliginis au v. 350. Vu les références platoniciennes dans ce poème (opposition entre âme et corps), on a certainement une allusion au mythe de la caverne (Plato, resp. 7, 514a1 - 516a4). truditur : cf. perist. 10, 1107 trudi in tenebras noxialis carceri ; 14, 25 in lupanar trudere publicum (->).

      239 : davantage que dans le mythe de la caverne (cf. Plato, resp. 7, 514a3-b6), le martyr est privé de la lumière. L'usus luminis représente la liberté la plus fondamentale (N.T. Matth. 5, 45 [Pater] qui in cælis est, qui solem suum oriri facit super bonos et malos). Dieu illuminera le cachot et offrira au martyr la liberté ultime (cf. v. 304 liber in cælum ueni). usus luminis : cf. cath. 11, 111-112 his lucis usum perpetis, | illis gehennam et tartarum. Il est difficile de déterminer si lumen désigne le regard (v. 235 tenditque in altum lumina) ou la lumière (vv. 242 locus tenebris nigrior ; 246 ; 276 Christum datorem luminis) ; jeu de correspondances à ce sujet en perist. 14, 45. 48.

      240 : animaret... spiritum : sorte de quasi pléonasme. En rendant le martyr aveugle, le juge l'assimile aux idoles, qui pour s. Vincent sont des dieux morts, malgré l'esprit qui les habite (-> v. 71-72). altum spiritum : l'esprit du martyr, jusqu'ici présenté comme une réalité intime (cf. vv. 157 est intrinsecus ; 167 qui perstat intus), est prêt à une extase qui le portera jusqu'au Ciel (cf. vv. 304. 359) - altum, ambivalent ('profond' ou 'élevé') facilite la transition.

      
241-244 Est intus imo ergastulo
locus tenebris nigrior,
quem saxa mersi fornicis
angusta clausum strangulant.
Il existe à l'intérieur de l'ergastule, tout au fond, un lieu plus sombre que les ténèbres, où les pierres resserrées d'une voûte souterraine forment un cachot étranglé.

      241 : intus : adv. renforçant l'abl. de lieu imo ergastulo (cf. Verg. Æn. 7, 192 tali intus templo). imo ergastulo : cf. v. 200 imo... tartaro ; correspondance avec les vv. 358-359 quæ corporali ergastulo | mentem resoluit liberam, où ergastulo est à la même place du v. (-> ; sur le corps-prison, -> v. 357-360). Ergastulum est utilisé dans le même contexte en perist. 13, 62.

      242 : tenebris nigrior : cf. perist. 4, 67 nigras... tenebras ; l'expression prend une valeur superlative paradoxale. Sur les tenebræ de la prison, cf. perist. 6, 30 ; 10, 1107 ; 13, 51-52. 62.

      243-244 : saxa... angusta : évocation de l'étroitesse de souterrains construits en pierre ou taillés dans la roche (cf. perist. 11, 213). Pour le juge, matérialiste grossier (-> v. 27), la puissance réside dans les saxa (idoles, vv. 27. 34 ; meule destinée à noyer le martyr, v. 489).

      243 : mersi fornicis : cf. perist. 11, 154 mersa... crypta. Fornix désigne des lieux mal famés (-> 14, 129), sales (c. Symm. 2, 836) ou obscurs (ici ; perist. 11, 166). Mergere est repris au v. 437 mergam cadauer fluctibus ; correspondance entre la passion ante mortem (attaques contre le corps ; enfouissement dans un cachot) et post mortem (exposition aux fauves ; immersion).

      244 : angusta... strangulant : motifs et sonorités proches. clausum : attribut de l'objet quem indiquant le résultat de strangulant. Cf. perist. 13, 53-54 clausus in his specubus... et catena | nexus ; ici, le confinement, rappelé par clausum à la même position du v. 352, sera imparfait (v. 305-306 clausas fores | interna rumpunt lumina).

      
245-248 Æterna nox illic latet
expers diurni sideris ;
hic carcer horrendus suos
habere fertur inferos.
Là est tapie une nuit éternelle, qui ignore l'astre du jour ; là, l'effroyable prison pos-sède, dit-on, ses propres enfers.

      245 : æterna nox : cf. Verg. Æn. 10, 746 in æternam clauduntur lumina noctem ; cette obscurité perpétuelle (-> 11, 159-160) évoque la mort et l'Enfer (ham. 176 uelut æterna latitans sub nocte). illic : une fois ce lieu défini, on aura hic (v. 247) et l'adj. hoc (v. 249). latet : cf. perist. 6, 31 ; 13, 51 antra latent Tyriæ Carthaginis abditis reposta. La situation sera bouleversée, cf. v. 307-308 tenuisque per rimas nitor | lucis latentis proditur.

      246 : expers : cf. perist. 2, 228 ; cath. 4, 8 expers principii carensque fine. diurni sideris : périphrase désignant le soleil (ham. 76 rota sideris ; c. Symm. 1, 320 flammas immensi sideris), symbole de Dieu (cath. 12, 17-20 ; ham. 57-94), dont la puissance s'exerce partout.

      247 : hic : adv. de lieu (comme illic, v. 245) ou peut-être adj. démonstratif accordé avec carcer (comme dans in hoc barathrum, v. 249). carcer : -> v. 61. horrendus : adj. verbal qualifiant ailleurs les persécuteurs (perist. 4, 103) et leurs méthodes (perist. 11, 54).

      247-248 : suos habere... inferos : la prison est comme un monde en soi, où semblent avoir grandi les bourreaux (v. 137 alumni carceris), avec ses propres enfers ; l'irruption de la lumière et des anges créera un cataclysme : un geôlier se convertira (v. 345-348), le juge sera bouleversé (v. 377-382), le démon sera terrassé (v. 541-544). fertur : forme suggérant un fait extraordinaire et aussi invérifiable, vu l'inaccessibilité du lieu. L'expression sunt qui... rettulerint introduit la mention d'un miracle (accompli par la martyre) en perist. 14, 57.

      249-264 : la description du supplice - prétendu inouï (cf. v. 253-256) - fait des emprunts à une épigramme damasienne au martyr Eutychius, ce qui laisse entendre que le poème a été écrit après le voyage de Rome (cf. Introd. § 139 n. 81) ; Damas. carm. 33 est imité aux vv. 61-62.

      
Damas. carm. 21 Prvd. perist. 5
1 iussa tyranni 255 tyranno ; 257 iubet
4 carceris 247 carcer
4 noua poena 253 poenam nouam
5 testarum fragmenta 257 fragmenta testarum (-> ;)
5 ne somnus adiret ; 9 insomnia 263 insomne
7 in barathrum 249 in barathrum

      On a une manipulation analogue dans le poème sur ste Eulalie (perist. 3), avec des éléments tirés de Damas. carm. 37 (sur ste Agnès) que Prudence n'a pas utilisé en perist. 14.

      
249-252 In hoc barathrum conicit
truculentus hostis martyrem,
lignoque plantas inserit
diuaricatis cruribus.
Le farouche ennemi pousse le martyr dans cet abysse et fait introduire ses pieds dans une pièce de bois [maintenant] ses jambes écartées.

      249 : cf. Damas. carm. 21, 7 mittitur in barathrum. barathrum : terme désignant l'Enfer (p.ex. en cath. 11, 40) ou toute sorte de gouffre (cf. Verg. Æn. 3, 421), p.ex. le monde infernal (Plavt. Rud. 570 ; Stat. Theb. 1, 85) - sens repris par les chrétiens : cf. Damas. (cité ci-dessus) ; Ivvenc. 4, 67. Prudence utilise le terme dans un contexte proche de son sens originel : le baraqron était à Athènes le gouffre où l'on précipitait les condamnés. conicit : cf. perist. 11, 67 hos rape præcipites et uinctos conice in ignem (->) ; ditt. 51-52 gurgitem in istum | conicite.

      250 : truculentus hostis : cf. perist. 6, 32 trucis... hostis. Truculentus qualifie un démon en ham. 946 ; hostis désigne souvent le persécuteur (vv. 378. 513 ; perist. 6, 32 ; 11, 25 ; 14, 64) et peut aussi s'appliquer au démon (perist. 1, 100 ; 10, 777) ou être ambigu (perist. 1, 27 ; 4, 104), comme carnifex (-> 14, 17) ou latro (-> v. 544). Le martyr est hostis idolorum (-> 13, 94).

      251-252 : sur l'immobilisation forcée, -> v. 109 ; cf. Plato, resp. 7, 514a5-6 (mythe de la caverne). On retrouve, associés, crus et plantæ en perist. 11, 103-104 et 2, 149. 151 (->).

      251 : lignoque : désignation de l'objet par la matière (les entraves ; souvent, la croix : -> 12, 12) ; cf. v. 271 duplexque morsus stipitis. plantas : synecdoque (-> 2, 151) ; cf. v. 236 palmas.

      252 : diuaricatis : diuaricare, 'écarter', en part. en parlant des jambes ; cf. Amm. 22, 11, 8 diuaricatis pedibus. cruribus : -> 2, 149-151.

      
253-256 Quin addit et poenam nouam
crucis peritus artifex,
nulli tyranno cognitam
nec fando compertam retro.
Bien plus, l'habile expert en cruci-fiements ajoute encore un supplice nouveau, su d'aucun tyran et inconnu des récits du passé.

      253-256 : Prudence insiste sur la (prétendue : -> v. 249-264) nouveauté du supplice (cf. perist. 11, 83-84 insolitum leti poscunt genus et noua poenæ | inuenta) ; il dit aussi que s. Vincent fut le seul à avoir été privé de sépulture (v. 537-540) - ce qui n'est pas unique, cf. perist. 7.

      253 : quin : -> 2, 385. addit : le propre de ce juge est d'accumuler les tortures. poenam nouam : comme s. Vincent, ste Agnès remporte un double triomphe (-> 14, 7) et affronte une épreuve inouïe : cf. perist. 14, 124 o uirgo felix, o noua gloria. L'idée exprimée par nouam est reprise par l'expression du v. 256. Sur poena, -> 14, 22.

      254 : crucis artifex : cf. perist. 9, 33 poenarum artifici. La croix (-> 2, 22) est comme le type de tout supplice (cruciatus ; cf. perist. 13, 41) ; les souffrances du martyr seront assimilées à la Passion du Christ, cf. v. 299 propriæque collegam crucis. peritus artifex : cf. perist. 10, 886 doctus... artifex (chirurgien). Le juge est un maître dans l'ars dolorum (-> v. 136 ; diabolique, cf. v. 267), ce que reconnaît avec ironie le martyr (v. 148 age, ipse maior carnifex).

      255 : tyranno : désignation topique du persécuteur (-> 14, 21) ; dat. d'agent (poétique).

      256 : nec fando compertam : périphrase pour 'inouïe'. Prudence suggère qu'il est le premier à raconter un fait aussi extraordinaire. Sur comperire, cf. perist. 11, 15 ; c. Symm. 2, 314. retro : 'en remontant dans le passé', c'est-à-dire 'jusque là'.

      
257-260 Fragmenta testarum iubet
hirta impolitis angulis,
acuminata, informia,
tergo iacentis sternerent.
Il ordonne de répandre sous le dos du [martyr] gisant [à terre] des tessons de poterie que leurs angles vifs hérissent d'aspérités, pointus, bruts.

      257 : fragmenta testarum : cf. Damas. carm. 21, 5 testarum fragmenta ; Pavl. Nol. epist. 18, 7 acuto testarum fragmine. Cette expression sera variée aux vv. 277-278 fragmina | ... testularum ; 322 stramenta testarum ; 553 fragmen testeum. Chez Prudence, fragmentum (3 ex.) est moins fréquent que le nom poétique fragmen (9 ex.).

      258-259 : ces deux vv. décrivent les fragmenta testarum (v. 257), avec chaque fois un qualificatif positif (hirta [-> 11, 120] ; acuminata) et un qualificatif négatif (impolitis angulis ; informia).

      259 : acuminata : 'pointu' ou 'muni de pointes' ; acuminare (Lact. opif. 7, 7 ; Avson. 419, 17) semble avoir été formé sur ce pseudo-participe, attesté antérieurement (Plin. nat. 11, 3) avec le sens d''en pointe'. informia : cf. v. préc. impolitis angulis ; ce qui relève du persécuteur est grossier, matériel, sans forme (-> v. 27).

      260 : tergo : le dat. d'intérêt indique le lieu de l'action (-> v. 219). Cf. perist. 10, 116 tundatur... terga crebris ictibus ; 699 tenerumque duris ictibus tergum secent. iacentis : cf. v. 454 corpus, quod intactum iacet. sternerent : l'emploi du subj. seul après iubet est attesté en poésie (cf. Ter. Eun. 690-691 iube mi denuo | respondeat ; Verg. Æn. 10, 53 iubeto Carthago premat Ausoniam) ; sternerent est à l'imparfait, iubet étant considéré comme un prés. historique. L'idée exprimée par ce verbe est reprise par stramenta testarum (v. 322). De même (à propos du gril de s. Laurent), perist. 2, 341 sternite ; 353 constratum.

      
261-264 Totum cubile spiculis
armant dolores anxii,
insomne qui subter latus
mucrone pulsent obuio.
Des tourments sans répit arment la couche toute entière de piquants, afin que par dessous, ils heurtent le flanc privé de sommeil, avec des pointes dirigées vers lui.

      261 : totum : le martyr souffre, quelle que soit sa position. spiculis : de même, la douleur intérieure du juge, v. 423-424 quantis gementem spiculis | figebat occultus dolor (->).

      262 : armant : cf. perist. 2, 471-472 quod ipse armaueras, | factum Neronis ; 9, 70 ; 10, 483 cum sæpe morbos maior armet sæuitas. dolores anxii : cf. perist. 6, 117 [ut] finem daret anxiis periclis ; il ne peut s'agir ici d'une angoisse : anxius signifie 'sans repos' (v. suiv. insomne) ou 'pénible' ; vu les références à l'étroitesse du lieu (v. 244) et aux entraves (v. 251-252), possible référence étymologique (angere, 'étrangler'). Dolores (-> v. 160), sujet de la principale et de la relative.

      263 : insomne... latus : le martyr (et non ses flancs : synecdoque) est privé de sommeil ; les tessons ne touchent pas que les flancs, mais surtout le dos (cf. v. 260 ; -> 2, 398). Le motif de la torture qui prive de sommeil évoque la figure de Régulus, 'martyr' de l'État romain, célèbre (exemplum fréquent, y c. chez les chrétiens : cf. Tert. apol. 50, 6 ; Avg. ciu. 1, 15 inclusum quippe angusto ligno, ubi stare cogeretur, clauisque acutissimis undique confixo, ut se in nullam eius partem sine poenis atrocissimis inclinaret, etiam uigilando premerunt ; Oros. 4, 10, 1). insomne : le juge, qui avait octroyé du repos aux bourreaux (v. 139-140), n'accorde au martyr ni lumière (v. 239-240), ni sommeil - ce qui le disposera en fait à voir la lumière angélique (-> v. 285-287) ; cf. p.ex. N.T. Luc. 21, 36 uigilate itaque omni tempore orantes. subter : -> v. 225.

      264 : mucrone... obuio : mucro ne signifie pas 'épée' (cf. perist. 14, 68), mais reprend spiculis (v. 261 ; cf. v. 258-259). Obuius suggère que ce système de torture est actif (de même, pulsent), par opposition au martyr, qui gît inanimé (v. 260 iacentis). mucrone pulsent : cf. perist. 10, 485 mucrone quanto dira pulsat pleurisis. On a pulsare en perist. 3, 134 ; 9, 63 ; 10, 121.

      
265-268 Hæc ille uersutus uafra
meditatus arte struxerat ;
sed Belzebulis callida
commenta Christus destruit.
Voilà ce qu'avait disposé cet expert madré, après avoir médité les ruses de son art ; mais ces astucieuses inventions de Belzébuth, le Christ les ruine.

      265 : hæc ille : -> v. 209. uersutus : péjoratif, cf. cath. 2, 21 uersuta fraus et callida (cf. v. 267 callida) ; c. Symm. 1, 74. uafra : sens proche de celui de uersutus. Vafra qualifie arte (v. suiv. ; cf. Mart. 6, 64, 26) ou est substantivé au neutre plur. et accordé avec hæc.

      266 : arte : l'ars... dolorum (-> v. 136). struxerat : cf. perist. 11, 105-106 composito satis instruxere paratu | martyris ad poenam uerbera, uincla, feras. Ici, struere peut désigner aussi bien (abstraitement) la construction mentale du juge que (concrètement) le dispositif mis en place.

      267-324 : le récit sera ponctué de miracles, qui ne visent ni à sauver la vie du martyr, ni même à le réconforter, mais marquent sa passion d'un sceau divin ; les témoins s'endurciront, aveuglés (vv. 321-332. 377-504) ou reconnaîtront le miracle (vv. 333-342. 505-576).

      267 : Belzebulis : cette forme (nomin. Belzebul) correspond à celles de la Vetus Latina et du grec Beelzeboul) ; la Vulgate écrit plutôt Beelzebub, qui correspond à l'hébreu. Ici, dans Bel-zebulis, le simple -e- peut être une contraction (cf. perist. 2, 9 derat). Prudence donne rarement un nom propre au démon, désigné par dæmon, par des images (draco, serpens) ou des termes comme carnifex, hostis, latro. Il y a implicitement mais clairement une identification entre Datien et Belzébuth (obéissance aveugle, possession ou simple métaphore).

      267-268 : callida commenta Christus : triple allitération en c-. callida commenta : le concept du supplice défini par le démon (même s'il est aussi le fruit de la réflexion du juge : cf. v. 265-266). Callidus, attesté avec ars (cath. 7, 193) ou fraus (p.ex. cath. 2, 21), qualifie le démon en apoth. 406 fuge, callide serpens ; ham. 711 callidus anguis ; cf. aussi ham. 806 callidus auceps (-> v. 79) ; Pass. Saturnin. 2 dæmonum... commenta.

      268 : miles Dei (-> v. 117), le martyr combat pour le Christ, bénéficiant de son secours et de celui de ses anges ; Dieu permet la persécution, mais fait découler un plus grand bien du mal infligé aux martyrs, et impose une limite à l'action des persécuteurs (cf. perist. 14, 31-37). Christus : le Christ commande les cohortes angéliques et les envoie auprès du martyr, qui reconnaîtra dans le miracle Christum datorem luminis (v. 276). destruit : -> v. 104.

      
269-272 Nam carceralis cæcitas
splendore lucis fulgurat
duplexque morsus stipitis
ruptis cauernis dissilit.
En effet, la prison aveugle resplendit d'une lumière fulgurante et la double morsure de l'entrave saute de part et d'autre, avec la rupture de ses ouvertures.

      269-272 : dans une retractatio du mythe de la caverne, ce n'est pas ici le prisonnier qui, forcé de se tourner vers la lumière (cf. Plato resp. 7, 515c6-8), fait comme à regret l'ascension vers le monde incorporel (resp. 7, 515e6 - 516a3), mais Dieu qui fait descendre sa lumière réconfortante (et non douloureuse, comme chez Platon). Ces vv. ont pour modèle le récit de la délivrance miraculeuse de s. Pierre : N.T. act. 12, 6-7 in ipsa nocte erat Petrus dormiens inter duos milites, uinctus catenis duabus, et custodes ante ostium custodiebant carcerem. et ecce angelus Domini adstitit, et lumen refulsit in habitaculo, percussoque latere Petri, suscitauit eum dicens : 'Surge uelociter !', et ceciderunt catenæ de manibus eius. Cf. V.T. Is. 58, 9-11 tunc inuocabis et Dominus exaudiet, clamabis et dicet 'Ecce adsum' (cf. v. 274 adesse) ... orietur in tenebris lux tua et tenebræ tuæ erunt sicut meridies, et requiem tibi dabit Dominus semper, et implebit splendoribus (cf. v. 270) animam tuam et ossa tua liberabit (cf. v. 304 liber). Le surgissement de la lumière dans les ténèbres est aussi vécu dans la liturgie du Samedi Saint, avant la célébration du baptême ; ici, le martyr baptisé dans le sang vit une initiation analogue, prélude à une vie nouvelle. Une telle scène tend à devenir un élément topique des passions littéraires, cf. Delehaye 1966, p. 297 n. 1. En outre, -> v. 71-72.

      269 : carceralis cæcitas : allitérations, cf. Verg. Æn. 6, 734 carcere cæco. L'adj. carceralis, rare (avec le v. 552, seul ex. chez Prudence ; cf. carcereus, -> 11, 53), est attesté dans l'expression carcerales tenebræ chez Isid. ort. et obit. 122 ; Greg. Tvr. Franc. 7, 15. cæcitas : métaphore (l'obscurité ; cf. Ps.-Qvint. decl. 6, 4).

      270 : splendore lucis : cf. perist. 10, 320 ex luce fulgor natus hic est Filius ; 322-323 unusque ab uno lumine splendor satus | pleno refulsit (ici fulgurat) claritatis numine. Cette lumière est comme une épiphanie du Christ (vv. 273-274. 276 agnoscit hic... adesse... Christum datorem luminis) ; même iunctura au début du v. 351, à propos de ce que voit le geôlier (de même, floribus, en fin des vv. 279. 321) : l'identité des termes souligne la réalité du miracle, qui n'est pas une vision. L'expérience mystique fait voir son salut au martyr ; cf. les sorts possibles pour l'âme, en perist. 10, 473 aut luce fulget aut tenebris mergitur. fulgurat : -> 11, 184.

      271-272 : le motif des liens qui se défont, élément du mythe de la caverne (cf. Plato, resp. 7, 515c6), se retrouve dans le récit de N.T. Ac 12, 7 (cf. ci-dessus), repris en perist. 6, 103-108.

      271 : les jambes, écartées, étaient entravées (v. 251-252). duplexque morsus : cf. v. 337-338 ungularum duplices | sulcos. morsus stipitis : les liens, en part. les entraves fixes, sont à eux seuls une torture (-> v. 61) ; cf. perist. 1, 71-72.

      272 : ruptis cauernis : cauerna désigne la double ouverture pratiquée dans le bois de l'entrave pour y insérer les chevilles du martyr (cf. Tert. nat. 1, 7). Ruptis cauernis suggère une correspondance avec la porte du cachot (v. 305-306 clausas fores | interna rumpunt lumina), voire avec le corps du martyr (v. 301-303 caducum uasculum | compage textum terrea | quod dissipatum soluitur), dont la mort libère l'âme (-> v. 304).

      
273-276 Agnoscit hic Vincentius
adesse, quod sperauerat,
tanti laboris præmium :
Christum datorem luminis.
Vincent reconnaît alors qu'était là ce qu'il avait espéré, la récompense d'une si grande souffrance : le Christ, dispensateur de la lumière.

      273 : agnoscit : on a ici une anagnwrisiV (reconnaissance) et une péripétie (cf. Introd. § 121, nn. 41. 43) ; dans le mythe de la caverne, la perception de la lumière correspond à une prise de conscience. hic : sens temporel si hic dépend d'agnoscit, ou év. sens local, s'il dépend d'adesse (v. suiv.). Au v. 29 (exclamat hic Vincentius), comparable, hic est temporel.

      274 : adesse : cf. cath. 1, 29-31 uox... | Christi docentis præmonet | adesse iam lucem prope ; 9, 54 prosilit ruitque supplex, Chritum adesse ut senserat. Ce verbe traduit l'idée de parousia : on a une épiphanie du Christ, reflet de sa descente aux enfers, annonce de son avènement. Adesse a les mêmes sens ('être présent' et d''assister') au v. 545 adesto nunc (prière). quod sperauerat : anticipation de la vision béatifique (cf. perist. 10, 432 cernant ut illud lumen æternæ spei ; -> 13, 43) qui s'appuie sur la Révélation : cf. V.T. psalm. 17, 29 Deus meus illuminas tenebras meas ; Is. 58, 10 orietur in tenebris lux tua et tenebræ tuæ erunt sicut meridies ; N.T. I Petr. 2, 9.

      275 : tanti : -> v. 162. laboris præmium : cf. perist. 13, 43 merce doloris emi spem luminis et diem perennem. La souffrance du martyr est méritoire pour son âme (vv. 301-304. 367-368) et pour son corps (v. 571-574 carnem...| uirtute perfunctam pari, | ... quæ laborum particeps | com-mune discrimen tulit) ; la récompense, gracieuse (v. suiv. datorem), est surabondante (cf. v. 298).

      276 : Christum : le Christ (v. 267-268), présent par ses anges (v. 297). datorem luminis : cf. cath. 3, 1 lucisator ; Lact. inst. 6, 2, 5 auctori et datori luminis. En communiquant la lumière, le Christ se donne lui-même (N.T. Ioh. 1, 9 erat lux uera quæ illuminat omnem hominem uenientem in mundum). Il agit ainsi depuis le début de la passion (cf. v. 127 frontem serenam luminat) et fait plus que contrecarrer l'action du juge voulant priver s. Vincent du liber usus luminis (v. 239), brisant les obstacles matériels (v. 305-306). datorem : cf. Verg. Æn. 1, 734 lætitiæ... dator ; de même, à propos du Christ, ham. 931 animæ dator ; psych. 624 uitæ dator et dator escæ est.

      
277-280 Cernit deinde fragmina
iam testularum mollibus
uestire semet floribus,
redolente nectar carcere.
Il voit ensuite les éclats de poterie se revêtir dès lors de douces fleurs, tandis qu'un nectar embaumait le cachot.

      277-280 : vue et odorat sont aussi mentionnés à propos de l'illumination du visage de s. Laurent (perist. 2, 361-392). S'y ajoute ici l'ouïe : paroles (v. 281-304) et chant (v. 313-316).

      277 : cernit : la vision du martyr sera partagée par le geôlier (v. 322 uidet ; cf. aussi v. 313 audit). deinde : une nouvelle phase de l'action (cf. vv. 317. 542), après celle que désigne hic au v. 273. Chez Platon aussi, après l'éblouissement initial, la vue s'affine progressivement.

      277-278 : fragmina... testularum : cf. v. 257 fragmenta testarum (->).

      278 : iam : reprise de deinde. testularum : cf. Colvm. 11, 3, 3. Cf. cath. 5, 17 caua testula (lampe à huile). mollibus : contraire de la dureté tranchante des tessons (vv. 258-259 hirta impolitis angulis, | acuminata, informia ; 264 mucrone... obuio). Mollis (-> v. 365), qui peut qualifier une odeur suave (Plin. nat. 12, 19, 43), annonce redolente nectar (v. 280).

      279 : uestire semet : cf. c. Symm. 2, 936 ; psych. 39 floribus ardentique iubet uestirier ostro. semet : cf. v. 363 (-> 2, 20). floribus : de même, fin du v. 321 (correspondance soulignant l'identité entre ce que perçoivent le martyr et le geôlier : -> v. 270). Aux ténèbres s'opposent les couleurs des fleurs et la clarté de la lumière - cf. perist. 12, 54 sic prata uernis floribus renident.

      280 : redolente nectar : cf. cath. 3, 24 nectareamque fidem redolet. nectar : métaphorique (cf. perist. 2, 388 ; ->). carcere : même forme en fin du v. 375 (->).

      
281-284 Quin et frequentes angeli
stant ac loquuntur comminus,
quorum unus ore augustior
compellat his dictis uirum :
Bien plus, des anges en nombre se tiennent debout et parlent, tout près de lui ; l'un d'eux, au visage plus majestueux, interpelle l'homme en ces termes : ...

      281 : quin et : -> 2, 385. frequentes angeli : les anges remplissent le lieu étroit (v. 243-244). Quand le martyr sera parvenu au Ciel, les élus l'entoureront (v. 373-374). La présence des anges anticipe la gloire céleste du martyr (v. 9 angelorum particeps) qui, par son combat, faisait déjà partie des cohortes angéliques (perist. 1, 65-66 aureos auferte torques... | clara nos hinc angelorum iam uocant stipendia) ; cf. perist. 3, 48 angelico comitata choro (Eulalie allant au martyre).

      282 : stant : la position des anges s'oppose à celle du martyr, couché ; ils l'inviteront à se lever (v. 285-287, triple anaphore d'exsurge) et à rejoindre leurs rangs (v. 287-288) ; le geôlier le verra en train de marcher (v. 324 obambulantem). loquuntur : les anges ne s'adressent pas forcément au martyr - ce sera le cas ensuite, cf. v. 284 compellat -, mais semblent converser entre eux. comminus : cet adv. s'applique aussi bien à loquuntur qu'à stant.

      283 : unus : équivalent d'aliquis (-> 14, 43). ore augustior : ambivalent, os se référe soit à la beauté, soit à l'éloquence (-> v. 175) ; cf. perist. 2, 234 qui... ore prænitent.

      284 : compellat : cf. ditt. 30 (Moïse devant le buisson ardent). Il s'agit, en même temps qu'un appel, d'une convocation analogue à un 'ordre de marche' (cf. vv. 287-288. 293. 304 ; cf. aussi perist. 1, 66 clara nos hinc angelorum iam uocant stipendia). his dictis : cf. vv. 285-304. uirum : -> 2, 491 ; terme à connotation militaire (cf. v. 293 miles inuictissime).

      
285-288 " Exsurge, martyr inclyte, exsurge securus tui, exsurge et almis coetibus noster sodalis addere ! " Lève-toi, illustre martyr, lève-toi sans in-quiétude pour toi, lève-toi et joins-toi, comme notre camarade, aux troupes bienfaisantes !

      285-287 : le triple appel solennel évoque le rite païen de la conclamatio du nom du mort ; ici, celui qui est appelé se lèvera. Cette ultime mention de la similitude entre le cachot et un tombeau (-> v. 247-248) marque une opposition radicale : le lieu de mort devient celui d'une naissance (cf. apoth. 1084 exsurgens... Christus), cf. v. 569-576. Empêché de dormir par la douleur (cf. v. 263 insomne), le martyr sera prompt à répondre à l'appel des anges, au contraire de s. Pierre, réveillé lors de sa délivrance (N.T. act. 12, 7 percussoque latere Petri suscitauit eum).

      285 : martyr inclyte : cf. perist. 14, 2 martyris inclytæ (->) ; cf. v. 537 o bis inclyte.

      286 : securus tui : expression apposée au sujet, à fonction attributive proche de celle d'un adv. (ce n'est pas un vocatif). securus : cf. v. 484 secura plebs iter terit (l'Exode).

      287-288 : cf. v. 9 angelorum particeps ; perist. 1, 66 clara nos hinc angelorum iam uocant stipendia ; 10, 539-540 Deus... et iusti simul | cum sempiternis permanebunt angelis. Sur la militia Christi, -> v. 117.

      287 : almis : outre l'idée de douceur charitable, cet adj. peut désigner toute sorte d'excellence, avec les idées de lumière et de pureté : cf. perist. 3, 192 atria luminat alma nitor ; 14, 133 dignaris almo uel pede tangere (->) ; apoth. 372-373 numinis almum | lumen et aduentum Domini. Cf. Avson. 317, 8 alma... animarum turba piarum ; Pavl. Nol. carm. 21, 543. 564. coetibus : cf. apoth. 532-533 uidisti angelicis comitatum coetibus alte | ire meum.

      288 : noster sodalis : le martyr est compagnon (sodalis : -> 14, 50) des anges (-> v. 9) ; on trouve sodalitas en perist. 1, 53, à propos d'une fraternité d'armes entre soldats. Du point de vue des anges, pour que le martyr puisse être leur sodalis, il importe qu'il quitte son enveloppe charnelle (cf. v. 301-304), partageant alors mieux leur condition d'êtres spirituels ; quand le poète, dans sa prière, appellera le martyr glorifié (v. 545 adesto nunc), il souhaitera sa résurrection corporelle (v. 569-576). addere : impératif passif.

      
289-292 " Decursa iam satis tibi
poenæ minacis munia
pulchroque mortis exitu
omnis peracta est passio.
" Maintenant, tu as suffisamment parcouru la carrière du supplice menaçant, et avec la belle issue de ta mort, toute ta passion a été accomplie.

      289-290 : decursa... munia : cf. Verg. georg. 2, 39 ades inceptumque una decurre laborem. Decurrere évoque l'écoulement du temps (-> 11, 195) - ici, la durée d'un mandat (munia) ; év. allusion à l'image de la course (N.T. I Cor. 9, 24-25 ; -> v. 64). tibi : dat. d'agent.

      289 : iam satis : l'idée de point de non-retour (satis) désormais atteint (iam) est reprise au v. 292. Satis, lié à l'idée de mérite (vv. 275 tanti laboris præmium ; 298 compensat), est aussi employé lors de changements cruciaux : perist. 1, 61 ; 10, 767-768 mater aiebat : " Satis | iam parta nobis gloria est... " ; 11, 105 ; 13, 92.

      290 : poenæ... munia : cf. psych. 820-822 hactenus alternis sudatum est comminus armis ; | munia nunc agitet tacitæ toga candida pacis, | atque sacris sedem properet discincta iuuentus ! ; cf. v. 571-572 carnem... | uirtute perfunctam pari. Croyant accomplir sa tâche de magistrat (sens classique de munia : -> v. 209), le juge permet au martyr d'exercer les siennes, au service du Christ. poenæ minacis : cf. perist. 6, 116-117 orant ut celer ignis aduolaret | et finem daret anxiis periclis ; 10, 754 hortante eadem matre in ancipiti exitu. Le martyre est une épreuve, dont la victoire est incertaine - le martyr est menacé moins par les persécuteurs (-> 14, 17) que par le danger que représente la perte de l'espérance, voire l'apostasie. Sur poena, -> v. 153-154 ; 14, 22.

      291 : la spiritualité de la militia Christi (-> v. 117) transpose aux réalités éternelles l'idée exprimée par l'adage horatien dulce et decorum est pro patria mori (Hor. carm. 3, 2, 13), souvent repris : perist. 1, 25 hoc genus mortis decorum, hoc probis dignum uiris ; 28 pulchra res ictum sub ense persecutoris pati ; 51 dulce tunc iustis cremari, dulce ferrum perpeti ; 3, 15 ; 7, 84-85 quo nil est pretiosius : | pro te, Christus, emori ; 8, 4 martyrium pulchra morte tulere uiri ; 12, 6 ; 13, 46 se fore principium pulchræ necis. pulchroque... exitu : employé avec exitus, l'adj. pulcher évoque la beauté morale ou spirituelle de celui qui affronte la mort, et la beauté de l'état glorieux auquel il accède : cf. perist. 2, 271 pulcherrimo uitæ statu (->). mortis exitu : expression pléonastique (mortis, gén. exégétique) ; cf. v. 528 mortis supremus exitus ; tour fréquent, cf. v. 538-539 brauii... palmam ; perist. 4, 195 retinaculorum uincla ; 9, 10 fucis colorum ; 10, 867 iram fellis ; 11, 47 litoris oram.

      292 : annonce de la fin de la passion, car la palme du martyre est déjà remportée ; cependant, le juge continuera de s'acharner sur le cadavre, au point que s. Vincent pourra remporter une seconde victoire (cf. v. 536-544). Ce motif conclusif qui arrive trop tôt souligne l'excès et le caractère inopiné de ce qui suit, et correspond en outre au point de vue angélique (seule l'âme importe : -> v. 288). omnis : adj. employé avec le sens de totus ; cf. perist. 14, 77. peracta est passio : même fin de v. en perist. 10, 1109 sic peracta est passio (cf. perist. 10, 854 finis malorum, passionis gloria ; 13, 45 ; 14, 88). Passio rappelle le titre et le genre littéraire du poème ; cf. Introd. § 168 et n. 122. peracta : cf. perist. 4, 125 iam minus mortis pretium peractæ est.

      
293-296 " O miles inuictissime,
fortissimorum fortior,
iam te ipsa sæua et aspera
tormenta uictorem tremunt.
" Ô soldat absolument invaincu, plus brave que les plus braves, maintenant, les tortures elles-mêmes, cruelles et dures, tremblent devant toi, vainqueur.

      293 : o renforce le vocatif ; cf. v. 537 (-> 2, 413-416). miles : cf. v. 117 miles Dei (->). inuictissime : rare, cf. Plavt. Mil. 57 ; Cic. rep. 6, 9 ; Arnob. nat. 2, 38 inuictissimos milites (cf. Lavarenne § 110). Contrairement aux bourreaux (v. 138 par semper inuictum mihi), le martyr restera invaincu, comme il l'avait proclamé (v. 170 inuictum, inexsuperabilem) ; cf. perist. 2, 505-506 inuictum Dei | testem. Cette résistance constitue la victoire du martyr, v. 296 uictorem.

      294 : alliance du comparatif de fortis (-> 14, 2) et de son superlatif (gén. partitif) ; cf. cath. 12, 77-78 o sola magnarum urbium | maior Bethlem ; Enn. scæn. 56 mater optumarum multo mulier melior mulierum ; Plavt. Capt. 825 regum rex regatior. Gradation par rapport à fortior, v. 237.

      295 : iam : reprise de iam, v. 289 (->).

      295-296 : cf. Verg. Æn. 8, 296 te Stygii tremuere lacus. Le motif du tremblement des instruments de torture devant le martyr (au lieu de l'inverse ; paradoxe souligné par ipsa) se retrouve en perist. 6, 33 fratres tergemios tremunt catastæ ; 101-102 minantur ipsis | flammarum trepidantibus caminis. sæua et aspera tormenta : sæuus qualifie le feu d'un bûcher en perist. 6, 50 (sæuis... ignibus) ; asper, la mort du martyr au v. 541 in morte uictor aspera (cf. v. 296 uictorem).

      296 : uictorem : uictor (-> v. 367) reprend l'idée exprimée au v. 293 par inuictissime. tremunt : comme pour l'idée de crainte (-> 14, 106), il faut distinguer le tremblement qui résulte de la peur (ici ; v. 88 regnum tremendum perfidis) de celui qui accompagne l'émotion (v. 555-556 quem trementes posteri | exosculamur lectulum) ; -> 11, 84.

      
297-300 " Spectator hæc Christus Deus
compensat æuo intermino
propriæque collegam crucis
larga coronat dextera.
" Le Christ Dieu, qui a assisté à ce spectacle, te récompense d'une existence sans fin et couronne de sa main généreuse celui qui s'est associé à sa propre croix.

      297 : spectator... Christus : le Christ contemple la passion (cath. 2, 105 speculator adstat semper) ; en perist. 10, 1121-1130, c'est un ange, pour en faire rapport. Christus Deus : cf. perist. 7, 85 ; 10, 1. 468. 642-643. 674 ; 11, 181. Prudence prend le contre-pied de l'arianisme : cf. apoth. 313-315 non in Patre solo | uim maiestatis positam, sed cum Patre Christum | esse Deum.

      298 : compensat : sur l'idée de récompense, -> v. 275. æuo intermino : cf. perist. 1, 23-24 unicum Deum fateri sanguinis dispendio, | sanguinis, sed tale damnum lux rependit longior ; 13, 42-43 quæ Deus ipse uiris intermina fortibus spopondit | merce doloris emi spem luminis et diem perennem (->). Æuum est repris au dernier v. : sit et coheres gloriæ | cunctis in æuum sæculis.

      299 : par ses souffrances, le martyr s'associe à la Croix du Christ et par son baptême sanglant, il revêt le Christ. Cf. N.T. Phil. 3, 10 ad agnoscendum... societatem passionum illius, configuratus morti eius. propriæque... crucis : emploi de proprius à la place du possessif (connotation proche de celle d'ipse soulignant un paradoxe ; -> 2, 18). La Croix du Christ est à la fois l'instrument du supplice et celui du salut (-> 2, 526) ; le lien avec le supplice du martyr est d'autant plus évident que crux peut désigner toute torture (cf. v. 254 crucis peritus artifex). collegam : image audacieuse, mettant le martyr sur le même plan que le Christ, à la façon du collègue d'un magistrat, égal en dignité ; image analogue en psych. 201 (Spes et Humilitas).

      300 : larga... dextera : cf. Verg. Æn. 10, 619 larga... manu. L'épithète larga souligne la surabondance de la grâce, qui dépasse même les mérites du martyr ; cf. perist. 1, 19 larga fonte ab ipso dona terris influunt ; perist. 10, 730 æternitatem largiens potantibus ; cath. 4, 74 largitor Deus omnium bonorum. Sur dextera, -> v. 139. coronat : la couronne symbolise la récompense du martyre (-> v. 4) ; cf. perist. 8, 9 coronati... testes ; 14, 119-120 cingit coronis interea Deus | frontem duabus martyris innubæ ; psych. 38 nunc fortes socios parta pro laude coronat.

      
301-304 " Pone hoc caducum uasculum
compage textum terrea,
quod dissipatum soluitur,
et liber in cælum ueni ! "
" Laisse là ce pauvre vase périssable, constitué d'un agglomérat de terre qui, une fois désagrégé, s'anéantit ; et, libre, viens jusqu'au ciel ! "

      301-304 : l'ange ne dit rien de la résurrection (évoquée aux vv. 569-576) et tait les futures épreuves méritoires (-> v. 572) du cadavre. Ses paroles, platonisantes (-> v. 357-360), scellent l'analogie avec la caverne platonicienne (-> v. 269-272), avec une ascension extérieure et une métamorphose intérieure. Le martyr laisse à terre les tessons, caducum uasculum, compage textum terrea et se lève ; pour parvenir au Ciel, il devra se recoucher (pone) et mourir (v. 353-368).

      301 : cf. cath. 10, 21-24 ut, dum generosa caducis | ceu carcere clausa ligantur, | pars illa potentior exstet, | quæ germen ab æthere traxit. caducum uasculum : cf. v. 163 uas est solutum ac fictile (->) ; perist. 6, 70 ; 119-120 caducis... corporibus ; 10, 479. 602-603 ; apoth. 919-920 ; epil. 26-27 ut obsoletum uasculum caducis | Christus aptat usibus. L'âme, elle, est perpes substantia (perist. 10, 477).

      301-302 uasculum compage textum terrea : l'image paulinienne du corps comme un vase (-> v. 163) s'enrichit d'une référence à la création de l'homme à partir de la glaise (V.T. gen. 2, 6-7 ; nombreuses références à ce récit, explicites [apoth. 1029-1030 ; ham. 190-194] ou non [ici ; perist. 3, 92 ; cath. 3, 191 ; 8, 59]) ; cf. aussi le rapprochement étymologique entre homo et humus (Qvint. inst. 1, 6, 34 ; Lact. inst. 2, 10, 3 ; Zeno 2, 4, 4). Cf. Torro 1976, p. 20-21. L'ange invite à la fois s. Vincent à se lever de son lit jonché de tessons et à quitter son corps.

      302 : compage textum : termes redondants (inversément, v. suiv. dissipatum soluitur), cf. psych. 768 spiritus unimodis texit compagibus unus. compage : -> v. 111. textum : cf. perist. 1, 26 membra morbis exedenda texta uenis languidis. terrea : cf. v. préc. caducum uasculum (->) ; cath. 7, 194 membris... terreis ; avec le même sens, on a aussi terrestris (cath. 12, 8 cum carne terrestri).

      303 : cf. la définition du corps, v. 163-164 uas est solutum et fictile | quocumque frangendum modo (->). dissipatum : cf. perist. 10, 802-803 unam labantis dissipare tam diu | uos non potesse fabricam corpusculi. soluitur : -> v. 163.

      304 : liber : même idée (-> v. 159), platonisante, aux vv. 357-360 mors... | quæ corporali ergastulo | mentem resoluit liberam | et reddit auctori Deo ; cf. perist. 2, 269-270 carne corruptissima | tandem soluti ac liberi. in cælum : l'invitation des anges s'accomplira, cf. v. 367-368 uictor relictis artubus | cælum capessit spiritus (->) ; cf. v. 7 euexit ad cælum dies. ueni : cet impératif conclut le discours de l'ange (uenire et non ire : le séjour ordinaire des anges est le Ciel), qui avait commencé par exsurge (v. 285) ; le martyr commence par se lever et finira par s'élever au Ciel.

      
305-308 Hæc ille ; sed clausas fores
interna rumpunt lumina
tenuisque per rimas nitor
lucis latentis proditur.
Ainsi dit-il ; cependant, les lueurs de l'in-térieur franchissent la porte fermée et, à travers les légères fissures, l'éclat d'une lumière cachée se révèle.

      305-308 : cf. perist. 11, 157-158 ; c. Symm. 2, 834-836 (le soleil) intrat | carceris et rimas (v. 307 per rimas), et tætra foramina clausi | stercoris, et spurcam redolenti in fornice cellam.

      305 : hæc ille : -> v. 209. clausas : -> v. 244. fores : ce nom désigne ailleurs l'entrée de catacombes (perist. 11, 157) ou d'une basilique (perist. 11, 228).

      306 : interna... lumina : le plur. évoque peut-être la pluralité des anges ou celle des rais de lumière. rumpunt : le miracle est tout de douceur, mais non sans force contre les instruments matériels du pouvoir : cf. v. 269-272, en part. 272 ruptis cauernis dissilit. Cf. cath. 1, 98 rumpe noctis uincula ; apoth. 637-638 abdita rumpit | tartara.

      307 : tenuisque... nitor : le geôlier ne perçoit qu'une mince lueur d'une lumière éclatante (v. 270 splendore lucis fulgurat). per rimas : cf. c. Symm. 2, 835 ; cf. aussi perist. 10, 566.

      308 : lucis latentis : cf. perist. 11, 156 ire per anfractus luce latente docet. proditur : de même, à propos de la manifestation d'un miracle, perist. 7, 77 uis prodita nominis.

      
309-312 Hoc cum stuperet territus
obsessor atri liminis,
quem cura pernox manserat
seruare feralem domum,
Comme ce fait provoquait l'étonnement, mêlé de terreur, de l'occupant du sombre seuil, auquel était dévolu le soin de garder durant toute la nuit la lugubre demeure, ...

      309 : stuperet : emploi transitif (poétique) ; cf. c. Symm. 1, 216 ludos stupuit (cf. Verg. Æn. 2, 31 ; Mart. 12, 15, 4). Le stupor est le premier sentiment que suscite un miracle : cf. perist. 1, 92 stupore obpalluit ; 7, 78 quem gentilis hebet stupor ; cath. 9, 85. De même, v. 493 cernunt stupentes nauitæ (noyade du cadavre). territus : à la stupéfaction se mêle l'effroi ; territus se trouve aussi en fin de v. en perist. 10, 915 (le juge) ; cf. aussi perist. 3, 14 terruit aspera carnifices.

      310 : périphrase d'allure inquiétante (cf. vv. 345 manceps carceris ; 346 uinculorum ianitor), suggérant un curieux parallèle avec un topos de la militia amoris : l'amant veillant sur le seuil de sa bien-aimée. obsessor : celui qui occupe un espace, souvent, l'assiégeant, ici, le gardien (cf. Plavt. Pseud. 807 ; Ov. fast. 2, 259). atri liminis : l'extérieur (limen) du cachot est obscur, plus encore par le contraste avec l'intérieur, lumineux ; ater a aussi un sens figuré, symbolique (cf. v. 14 ; -> 14, 98). Cf. cath. 9, 75-77 limen atrum iam recalcandum patet. | sed Deus dum luce fulua mortis antra illuminat | dum stupentibus (cf. v. 309 stuperet) tenebris candidum præstat diem.

      311 : cura pernox : cf. Avson. 362, 39-40 pernox est cura disertis | sed rudis ornatu uitæ caret (contexte différent). pernox : avec le même sens, cf. perist. 12, 63 peruigil. L'obscurité de la nuit, moment du miracle, s'ajoute pour ainsi dire à celle de la prison. manserat : même emploi transitif p.ex. chez Verg. Æn. 3, 505 maneat nostros ea cura nepotes.

      312 : seruare : le geôlier surveille les prisonniers et protège aussi la prison. feralem domum : expression alliant familiarité (domum) et effroi (feralem) ; cf. v. 137 alumni carceris. Feralis évoque les dieux mânes, donc le monde infernal, dont le geôlier est comme le gardien.

      
313-316 psallentis audit insuper
prædulce carmen martyris,
cui uocis instar æmulæ
conclaue reddit concauum.
il entend de surcroît le chant très suave du martyr psalmodiant, auquel la concavité de la pièce fermée restituait l'équivalent d'une voix en écho.

      313 : psallentis : sens général (perist. 6, 150 ; cath. 9, 22. 23), proche d'hymnire (perist. 1, 118 ; de même, psalmus synonyme d'hymnus en perist. 4, 148) ; à l'origine, le chant accompagné de la cithare (Sall. Catil. 25, 2 ; Hor. carm. 4, 13, 7) - référence possible aux Psaumes (cf. perist. 10, 837). audit : outre la vue (vv. 305-312. 321-324), ici l'ouïe (-> v. 277-280).

      314 : prædulce carmen : cf. cath. 9, 1-2 choræis ut canam fidelibus | dulce carmen et melodum ; psych. 663-664 resultant | mystica dulcimodis uirtutum carmina psalmis. L'adj. prædulcis (cf. Verg. Æn. 11, 155) se retrouve en apoth. 393-395 o nomen prædulce mihi, lux et decus et spes | præsidiumque meum, requies o certa laborum, | blandus in ore sapor, flagrans odor, irriguus fons. La scène du cachot, y c. le chant du martyr, constitue une épiphanie du Christ (cf. vv. 274. 276 adesse... Christum). carmen martyris : le chant de louange (carmen, -> 2, 35) fait partie du témoignage des martyrs : cf. perist. 14, 52-53 Deum Patrem | Christumque sacro carmine concinens (->).

      315 : cui : carmen ou martyris (v. préc.). uocis instar æmulæ : expression ambivalente (écho ou 2e voix), évoquant des chants alternés (cf. Plin. epist. 10, 96 [97] carmenque Christo quasi deo dicere secum inuicem), avec un échange commun aux liturgies terrestre et céleste : V.T. Is. 6, 3 (anges) clamabant ad alterum et dicebant : 'Sanctus, sanctus, sanctus Dominus exercituum...' Lors de la Nativité, la louange des bergers (N.T. Luc. 2, 20) comporte aussi un effet d'écho (apoth. 390 æmula pastorum quod reddunt uocibus antra), bien qu'elle réponde à celle des anges (N.T. Luc. 2, 13-14 cum angelo multitudo militiæ cælestis laudantium Deum et dicentium : 'Gloria in altissimis Deo...'). Le geôlier ne bénéficie pas d'un avant-goût de la vision béatifique et ne peut voir les anges incorporels ; la voix du martyr lui semble donc être première, celle des anges, seconde. L'économie du récit voulant que le geôlier fasse rapport au juge et soit cru (cf. v. 325-326), sa conversion interviendra plus tard (-> v. 345-348).

      316 : ce v. résume et illustre (y c. par ses sonorités) l'ensemble du quatrain ; il y a un effet de paronomase entre conclaue et concauum, termes séparés par reddit. conclaue... concauum : le cachot du martyr a l'aspect d'une grotte : lieu clos et concave (conclaue), creux et rond (concauum). Par son expression, Prudence suggère le raisonnement du geôlier, qui, excluant l'intrusion d'un tiers (cf. conclaue), penserait à un écho (cf. concauum). reddit : cf. v. 359-360 mentem resoluit liberam | et reddit auctori Deo ; de même, à propos d'un son, perist. 10, 567.

      
317-320 Pauens deinde introspicit,
admota quantum postibus
acies per artas cardinum
intrare iuncturas potest :
Épouvanté, il regarde ensuite à l'intérieur, autant que son regard, approché des montants de la porte, peut pénétrer par les étroites jointures des gonds : ...

      317 : pauens : cf. v. 309 territus ; le participe prés. marque la permanence de l'état de crainte. deinde : comme pour le martyr (v. 277 deinde), le miracle est perçu en 2 temps.

      318 : quantum : corrélatif tantum sous-entendu. postibus : dat. dépendant d'admota ; postis désigne la porte (synecdoque) ou ses jambages (cf. v. 319-320 cardinum... iuncturas).

      319 : acies : mouvement vif ou audacieux des yeux ; cf. apoth. 11-12 Pater, quem nulla acies uiolenta tuendo | eminus ardentis penetrauit acumine uisus ; c. Symm. 2, 99.

      319-320 : per artas... iuncturas : rappel du caractère inaccessible du cachot (cf. v. 243-244 quem saxa mersi fornicis | angusta clausum strangulant), complémentaire de tenuisque per rimas (v. 307). cardinum... iuncturas : description technique d'huisserie ; cf. cath. 9, 71-72 fracta cedit ianua, | uectibus cadit reuulsis cardo dissolubilis ; psych. 665-666 ad fauces portæ castrensis, ubi artum | liminis introitum bifori dant cardine claustra ; de même, à propos de serrurerie, perist. 2, 477-480.

      320 : intrare : reprise d'introspicit (v. 317) ; cf. apoth. 26-27 mera maiestas est infinita, nec intrat | obtutus. Cf. aussi, à propos des tortures du martyr, v. 120 [quod] intraret artus ungula.

      
321-324 uernare multis floribus
stramenta testarum uidet,
ipsumque uulsis nexibus
obambulantem pangere.
il voit pousser des fleurs, nombreuses, sur le lit jonché de tessons, et voit [le martyr] lui-même, ses liens arrachés, improviser un cantique en se promenant.

      321-324 : la vision du geôlier s'apparente au passade de l'Hamartigénie où l'âme délivrée (ham. 851 carcereos exosa situs quibus hæserat exsul) est reçue au Paradis (ham. 856-858 illic, purpureo latus exporrecta cubili, | floribus æternis spirantes libat odores, | ambrosiumque bibit roseo de stramine rorem).

      321 : uernare... floribus : cf. perist. 12, 54 prata uernis floribus renident (->) ; psych. 355 ferrugineo uernantes flore coronas ; c. Symm. 2, 7 uernantes flore iuuentæ ; -> v. 279 uestire semet floribus.

      322 : stramenta testarum : cf. vv. 257. 260 fragmenta testarum iubet... sternerent (-> v. 257) ; uidet : alerté par des rais de lumière (v. 305-312) et des voix (v. 313-316), le geôlier voit et entend (v. 324 pangere) le martyr.

      323 : uulsis nexibus : cf. v. 271-272 duplexque morsus stipitis | ruptis cauernis dissilit ; sur les liens du martyr (-> v. 109), cf. perist. 1, 71 nexibus manus utrasque flexus inuoluit rigor ; 6, 103-104 nexus... qui manus retrorsus | in tergum reuocauerant reuinctas ; 11, 78 nexibus implicitus.

      324 : obambulantem : la 'promenade' du martyr dans un séjour de délices anticipe sa résurrection (cf. v. 569-576). pangere : ici intransitif (cf. Cic. Att. 2, 14, 2), ce verbe signifiant 'composer' prend le sens d''improviser un cantique' ; transitif en perist. 4, 147-148. 153.

      
325-328 Implentur aures turbidi
prætoris hoc miraculo,
flet uictus et uoluit gemens
iram, dolorem, dedecus.
Les oreilles du préteur, tout troublé, sont rebattues de ce miracle ; il pleure d'être vaincu, et rumine en gémissant sa colère, sa douleur, son déshonneur.

      325 : implentur aures : expression pouvant désigner la satisfaction de l'auditeur, 'rassasié' de paroles (cf. Cic. orat. 104. 221 ; Tac. hist. 1, 90, 2) ; ici, ce motif serait ironique. Cf. perist. 1, 78 [ne] dulcibus linguis per aures posterorum spargerent ; apoth. 399 nuntia lætitiæ stolidas intrare per aures. turbidi : épithète de prætoris (v. suiv. ; enjambement métrique) ; turbidus qualifie ailleurs aussi le juge (perist. 6, 35) ou le bourreau (-> 14, 70).

      326 : prætoris : même désignation du juge au v. 175 (->).

      327 : pleurs et gémissements encadrent le v. ; cf. perist. 3, 141 sine fletibus et gemitu ; ham. 838 æternos gemitus et flentes. flet : seul passage chez Prudence où l'on voit pleurer le juge (de rage et de dépit). uictus : le martyr, uictor (-> v. 367), triomphe du juge après avoir vaincu les bourreaux (v. 136 ars et dolorum uincitur) ; cf. v. 6 tortore uicto et iudice. Sa défaite sera encore plus manifeste après ses tentatives de faire disparaître le cadavre (cf. v. 425-426 perempti corporis | uirtute uictum). uoluit : ce verbe a pour objets les 3 noms du v. suiv. (cf. Catvll. 64, 250 multiplices animo uoluebat saucia curas ; Sall. Catil. 32, 1). À l'idée de vanité associée à uoluere (-> 14, 97) s'ajoute celle de trouble, annoncée par turbidus (v. 325 ; perist. 2, 193-194 torrens uel amnis turbidis | uoluens harenis implicat). gemens : cf. v. 423-424 quantis gementem spiculis | figebat occultus dolor ; perist. 14, 63-64 iram nam furor incitat | hostis cruenti : " Vincor ", ait gemens.

      328 : 3 noms en asyndète (-> v. 61). iram : la colère est une passion typique des persécuteurs (-> 14, 63) ; cf. perist. 10, 811 exarsit istis turbida ira iudicis (cf. v. 325-326 turbidi | prætoris). Ici, elle augmente (-> v. 41) à l'annonce du miracle qui sanctionne l'inefficacité du supplice ; cf. Orig. c. Cels. 8 ; Lact. inst. 5, 11, 7-17. dolorem : alors que les tortures (cf. v. 262 armant dolores anxii) ne semblent pas atteindre le martyr (-> v. 160), les souffrances intérieures du juge (cf. v. 424 figebat occultus dolor) sont visibles, du fait de son absence de maîtrise de soi. dedecus : le déshonneur est lié au paganisme, appelé dedecus en perist. 2, 453.

      
329-332 " Exemptus ", inquit, " carceri
paulum benignis fotibus
recreetur, ut pastum nouum
poenis refectus præbeat. "
" Qu'on le sorte de la prison ", dit-il, " afin qu'il soit quelque temps réconforté par des soins bienveillants, pour fournir, une fois remis, une nouvelle pâture aux supplices. "

      329 : exemptus : avec dat. (cf. Liv. 33, 23, 2 ; Tac. ann. 14, 48, 3) au lieu de ex ou de.

      330-332 : pour épuiser les possibilités, le juge utilise à nouveau la tactique évoquée aux vv. 141-144 præsicca rursus ulcera, | dum se cicatrix colligit | refrigerati sanguinis, | manus resulcans diruet.

      330 : paulum : le juge avait déjà dit aux bourreaux : cohibete paulum dexteras (v. 139). benignis fotibus : cf. psych. 580-581 inopum, quos larga benigne | fouerat. Fotus ('bons soins' ou, peut-être 'fomentation'), rare, cf. ham. 303 ; c. Symm. 2, 584. Sur benignus, -> 2, 581.

      331 : recreetur : emploi au sens fort, renforcé par nouum et repris au v. suiv. par refectus ; on 'fait revivre' et 'répare' le martyr, tiré de son 'enfer' (cf. v. 245-248) et blessé par ses tortures. pastum nouum : cf. v. 100 (les bourreaux) pastos resectis carnibus (->).

      332 : poenis : -> 14, 22. refectus : cf. perist. 10, 739-740 dulcibus | refecta poclis mella sumpsit sanguinis. En autorisant les fidèles à soigner le martyr, le juge laisse agir le secours divin, comme avec les anges dans le cachot. præbeat : le martyr est pour le juge matière à supplices (cf. perist. 9, 41-42) ; sa passivité est le moyen d'un sacrifice (cf. v. 363-364 qui semet ac uitam suam | Christo immolandam præbuit - præbere en fin de v. également).

      333-344 : plus qu'un réconfort, les fidèles apportent aux martyr mourant des témoignages de vénération (-> 11, 27), provoquant la conversion du geôlier (v. 345-348) ; voyant cela, le juge cherchera à faire disparaître le cadavre. Attitude semblable des fidèles en perist. 11, 135-144, en part. 137-138 ille caput niueum complectitur ac reuerendam | canitiem molli confouet in gremio.

      
333-336 Coire toto ex oppido
turbam fidelem cerneres,
mollire præfultum torum,
siccare cruda uulnera.
De tout le bourg, l'on pouvait voir se rassembler la foule des fidèles, qui rendaient sa couche moelleuse après l'avoir étayée, et séchaient ses plaies sanglantes.

      333 : coire : le culte des martyrs unit les habitants d'une cité : cf. perist. 4, 197-198 sterne te totam generosa sanctis | ciuitas mecum ; 6, 148-149 chorus ex utroque sexu : | heros, uirgo, puer, senex, anulla ; 11, 199-202 Vrbs augusta suos uomit effunditque Quirites | una et patricios ambitione pari. | confundit plebeia phalanx umbonibus æquis | discrimen procerum ; 12, 1. Les pèlerinages augmentent cet effet (-> 11, 199-212). oppido : Valence, lieu du martyre (nommé ni ici, ni en perist. 4, où il est question de Saragosse, ville natale, et de la sépulture, Sagonte). Opposé à urbs (perist. 4, 37-38), oppidum désigne des villes même petites, comme Calahorra (perist. 1, 116).

      334 : turbam fidelem : les chrétiens ; cf. perist. 10, 98 pro fideli plebe ; de Trin. 10-11 fideles | in populos. L'adj. fidelis, qui peut désigner les chrétiens (p.ex. cath. 5, 4), garde peut-être ici un sens moral. Turba évoque le désordre de cette foule qui accourt ; cf. perist. 10, 521. cerneres : imparfait du subj. exprimant le potentiel dans le passé ; cf. v. 426 uirtute uictum cerneres.

      335 : avant de vénérer le martyr, les fidèles cherchent à lui porter assistance. mollire : l'action des fidèles prolonge le miracle qui avait couvert les tessons de fleurs (cf. v. 277-279 fragmina | iam testularum mollibus | uestire semet floribus) ; cf. plus loin mollibus... aulæis (v. 365-366). præfultum torum : præfulcire est ici employé au sens premier d''étayer', pour désigner l'installation du lit (torus ; v. 353 lectulus).

      336 : cf. Avson. 325, 21 uulnera siccat adhuc. Cette action n'est pas que curative : les fidèles vénèrent le sang du martyr (v. 337-340) et en récupèrent des reliques (v. 341-344 ; cf. perist. 11, 141 palliolis etiam bibulæ siccantur harenæ). cruda uulnera : de même, apoth. 220 ; Ov. Pont. 1, 2, 16 ; cf. aussi cruda cicatrix en perist. 2, 287 (->).

      
337-340 Ille ungularum duplices
sulcos pererrat osculis,
hic purpurantem corporis
gaudet cruorem lambere.
Celui-là parcourt de ses baisers les doubles sillons laissés par les ongles de fer, celui-ci prend plaisir à lécher le sang empourpré laissé sur son corps.

      337-340 : ex. introduits par ille (v. 337), hic (v. 339) puis, au quatrain suiv., par plerique (v. 341). Le sang est effleuré des lèvres (v. 338 osculis), léché (v. 340 lambere), et conservé (v. 341-344).

      337-338 : ungularum duplices sulcos : les ungulæ (v. 120) laissent un double sillon (-> 9, 77), vu leur forme (cf. perist. 1, 44 bisulcas ungulas ; 10, 73 costas bisulcis exsecandas ungulis). Ces blessures marquent la chair du nom du Christ, 'signature' du martyre : cf. perist. 3, 136-140, en part. 136 scriberis ecce mihi, Domine ; 139-140 nomen et ipsa sacrum loquitur | purpura sanguinis eliciti. Cf. aussi perist. 11, 57 ungula fixa cauis costarum cratibus (->).

      338 : pererrat : le grand nombre de sillons empêche de les suivre sans erreur ; emploi analogue de pererrare en perist. 10, 899-900 digito exitum | uocis pererrans uulneri explorat locum. osculis : le baiser, geste de vénération (cf. perist. 11, 193 oscula perspicuo figunt impressa metallo [tombe du martyr] ; apoth. 599 dum lacrimans ueneror dumque oscula dulcia figo [l'Écriture ; cf. apoth. 596 percensere libet calamique reuoluere sulcos]) et d'affection (cf. perist. 10, 832-833).

      339-340 : détail dénotant une dévotion extrême pour le sang du martyr, avec une allusion eucharistique ; cf. perist. 11, 135-146 (soin mis à recueillir le corps puis le sang du martyr).

      339 : purpurantem : la couleur du sang rappelle celle de la pourpre, avec sa symbolique liée à l'immortalité et à la gloire (-> 2, 275) ; cf. perist. 3, 140 purpura sanguinis eliciti.

      339-340 : corporis... cruorem : le corps du martyr est vénéré comme tel (d'où le culte des reliques) ; Prudence appuie une telle conception, en affirmant p.ex. que le seul corps a pu vaincre le démon (v. 543-544) ; cf. corpus sacrum (v. 393 ; ->). Avec cruorem, on a un rappel étymologique de cruda (v. 336). Sur corpus en fin de v., -> 2, 59.

      340 : gaudet : les fidèles ne sont pas en deuil (-> 13, 96 ; attitude critiquée, cf. perist. 13, 99). De même que la libertas de s. Laurent avait rejailli sur les sénateurs qui osèrent lever son corps (perist. 2, 489-492), la joie paradoxale de s. Vincent (vv. 131 gaudet [même place dans le v.] ; 211 gaudio) rejaillit sur ceux qui l'honorent. cruorem lambere : le fait de lécher est un signe de vénération (attribué à Julien l'Apostat en apoth. 456 soleas Iunonis lambere, et aux adorateurs des empereurs en perist. 10, 385 urnas reorum morticinas lambere) et aussi un geste plein de douceur (cf. cath. 4, 47 lambunt indomiti uirum leones - élément absent du récit de V.T. Dan. 14, 31-42, selon Vvlg. et LXX). Ici, l'allusion eucharistique évite le scandale de la consommation de chair humaine (attribuée aux bourreaux, v. 100 pastos resectis carnibus).

      
341-344 Plerique uestem linteam
stillante tingunt sanguine,
tutamen ut sacrum suis
domi reseruent posteris.
Pour la plupart, ils imprègnent des tissus de lin du sang qui perlait, afin de conserver chez eux une sainte protection pour leur descendance.

      341-344 : les brandea, pièces de tissu mises en contact avec les os ou la tombe, ici même imprégnées de sang (cf. perist. 11, 141-144), permettent de posséder des reliques. Lors du martyre de s. Cyprien, des fidèles jettent des linges sur le lieu du supplice, pour recueillir de son sang (Acta proconsularia 5, 6) et un gardien veut conserver l'un de ses vêtements, ut proficiscentis ad Deum martyris sudores iam sanguineos possideret (Pont. vita Cypr. 16). La vénération des reliques, attestée très tôt (cf. Evs. Cæs. hist. eccl. 4, 15, 40 = Martyrium Polycarpi 17, 1), risquait d'entraîner la dispersion du corps du martyr (fait courant en Orient, condamné en Occident ; cf. perist. 6, 130-141). Une parcelle a la même vertu que tout le corps saint (cf. Greg. Naz. c. Iul. 1, 69 ; Pavl. Nol. carm. 27, 447 magna et in exiguo sanctorum puluere uirtus).

      341 : uestem linteam : de même, Cic. Verr. II 4, 146. À côté de linteus, on a aussi lineus (ham. 328). Le lin a souvent un usage funéraire (cf. perist. 3, 180 pallioli uice linteoli ; cath. 10, 50) ; sa finesse contraste avec le sac dans lequel le cadavre sera jeté à l'eau (v. 457-458).

      341-342 : uestem... tingunt sanguine : cf. N.T. apoc. 7, 14 lauerunt stolas suas et dealbauerunt eas in sanguine Agni. Ce sang est implicitement assimilé à celui du Christ (-> v. 339-340) ; ces vv. sont suivis d'une allusion à l'aspersion protectrice du sang de l'agneau pascal (v. 343-344).

      342 : stillante... sanguine : cf. perist. 9, 58 totidem guttæ uulnerum stillant simul (->). tingunt : de même, au sens propre, v. 479-480 plantas nec undis tingueret | uasti uiator gurgitis (->) ; ce verbe désigne, au figuré, tout contact avec un liquide : perist. 1, 7 ; 4, 157-158 quantus... tua bella sanguis | tinxerit ; 7, 16-18 nil refert, uitreo æquore | an de flumine sanguinis | tinguat passio martyrem ; 9, 39-40 manusque | tinguant magistri feriatas sanguine (->) ; 10, 501 ; 11, 43-44 humum... | tinguere iustorum cædibus assiduis ; 14, 72. Emplois métaphoriques, -> 12, 39.

      343-344 : cf. l'aspersion du sang de l'agneau pascal sur les linteaux des portes (cf. domi), durant la nuit marquant le début de l'Exode et de la 10e plaie d'Égypte, visant les premiers-nés (cf. posteris) : V.T. exod. 12, 13 erit autem sanguis uobis in signum in ædibus in quibus eritis, et uidebo sanguinem ac transibo uos nec erit in nobis plaga disperdens quando percurro terram Ægypti.

      343 : tutamen : sur les noms en -men, -> v. 215. Les brandea, devenus une sorte de talisman, permettent de conserver le sang (au contraire des gestes ephémères du quatrain préc.). Prudence sera plus réservé par la suite à ce sujet : cf. perist. 4, 65-68 et surtout 6, 130-141 (défense faite par les martyrs de s'approprier leurs reliques à titre privé).

      343-344 : suis... posteris : évocation de la 10e plaie d'Égypte (cf. ci-dessus), suggérant aussi la pérennité de ces reliques. Cf. v. 555-556 quem trementes posteri | exosculamur lectulum.

      344 : domi reseruent : ces reliques deviennent un patrimoine privé ; de même, à propos du juge de s. Laurent, qui brûle de s'approprier les trésors de l'Église, perist. 2, 135-136 aurum, uelut iam conditum | domi maneret, gestiens. reseruent posteris : cf. v. 511-512 tumuloque corpus creditum | uitæ reseruat posteræ. Le culte des reliques ne se borne pas à une vénération du corps qui a jadis souffert pour le Christ, mais est portée vers l'avenir (et l'éternité) par la permanence de l'action du martyr au Ciel et par l'espérance de la résurrection (cf. v. 569-572).

      
345-348 Tunc ipse manceps carceris
et uinculorum ianitor,
ut fert uetustas conscia,
repente Christum credidit.
Alors, le fonctionnaire de la prison et cerbère des chaînes, à ce que rapportent les té-moignages du passé, crut lui-même, tout à coup, au Christ.

      345-348 : le geôlier ne se convertit pas à la vue du miracle, mais en voyant les fidèles vénérant le martyr, de façon humaine, 'matérielle'. De même, le poème se conclut, après la mention de la vénération des reliques (v. 553-564), sur l'espérance de la résurrection (v. 569-576).

      345 : tunc : la conversion intervient seulement à ce moment, de manière subite (v. 348 repente). manceps carceris : comme uinculorum ianitor (v. suiv.), cette périphrase désigne le geôlier, appelé aussi obsessor atri liminis (v. 310 ; ->). L'emploi de manceps, qui désigne l'adjudicataire voire le propriétaire, est curieuse.

      346 : uinculorum ianitor : expression elliptique ; le geôlier, chargé de veiller sur les liens (-> v. 109) et sur la porte (cf. v. 310) qui retenaient le martyr prisonnier, a constaté que les entraves avaient sauté (v. 271-272) et que la porte n'arrivait pas à faire barrage à la lumière (v. 305-308). Ianitor peut suggérer un rapprochement avec Cerbère (cf. Verg. Æn. 6, 400 ; 8, 296 ianitor Orci ; Hor. carm. 3, 11, 16) ; cf. Cic. Verr. ii 4, 118 ianitor carceris.

      347 : Prudence n'est pas un témoin direct, mais se réfère à la tradition pour ce détail du récit (cf. perist. 14, 57 sunt qui... rettulerint). uetustas conscia : cf. Verg. Æn. 10, 679 conscia fama. La tradition, solide (cf. perist. 4, 163-164 quos Saturninos memorat uocatos | prisca uetustas), est l'alliée de Prudence, qui déplore son altération en perist. 1, 73 o uetustatis silentis obsoleta obliuio.

      348 : repente : subite et inopinée, cette conversion est une grâce et non un processus naturel, qui eût commencé avec le miracle du cachot. Cf. perist. 2, 493-496 ; 13, 25 luxuriæ rabiem cohibet repente Christus (cf. perist. 13, 27 dat credere). Christum credidit : acc. au lieu du dat. (cf. c. Symm. 2, 3 nostro Romam iam credere Christo) ; de même, credere est au passif en apoth. 74-75 lucis genitor, Verbi sator, auctor et ignis | creditur oculis. Le poète tend à éviter de faire de Dieu l'objet de credere, p.ex. en utilisant ce verbe intransitivement (-> 2, 444).

      
349-352 Hic obseratis uectibus
densæ specum caliginis
splendore lucis aduenæ
micuisse clausum uiderat.
C'était lui qui, alors que les verrous étaient poussés, avait vu que l'antre aux ténèbres épaisses, fermé, scintillait de l'éclat d'une lumière venue d'ailleurs.

      349 : obseratis uectibus : valeur concessive ; paradoxe déjà souligné aux vv. 305-306 clausa fores | interna rumpunt lumina. Obserare ne se trouve chez Prudence qu'ici et en perist. 14, 81-82 diuide ianuas | cali obseratas terrigenis prius ; sur uectis, -> 2, 477. Cf. Heges. 5, 44, 1.

      350 : densæ... caliginis : de même, Verg. Æn. 12, 466 ; Liv. 33, 7, 2. Caligo est employé dans le même contexte en perist. 13, 52 (->). Densus rappelle l'obscurité du lieu (v. 242 locus tenebris nigrior) et son caractère étouffant (cf. v. 243-244). specum : le cachot est comme une caverne (v. 238 lugubre in antrum truditur ; ->). Sur le genre de specus (ici, masc.), -> 11, 160.

      351 : splendore lucis : même iunctura au v. 270 (->). aduenæ : adj. employé avec le sens du participe adueniens ou aduentans (aduentare est utilisé à propos d'anges en ditt. 97).

      352 : micuisse : cf. cath. 7, 79 micet metalli siue lux argentei ; apoth. 175-176 (opinion hérétique sur Satan) e tenebris subitum micuisse tyrannum | ... uelut æterna latitans sub nocte. clausum : reprise de l'idée d'obseratis uectibus (v. 349). On a clausum à la même place du v. 244 angusta clausum strangulant ; cf. v. 305 clausas fores. uiderat : rappel du v. 322 uidet.

      
353-356 At uero postquam lectuli
martyr quietem contigit,
æger morarum tædio
et mortis incensus siti,
Mais une fois que le martyr eut trouvé le repos dans cette couchette, malade de cette attente qui l'écoeurait et brûlant de la soif de mourir, ...

      353-356 : subordonnée séparée de la principale (v. 367-368 uictor relictis artubus | cælum capessit spiritus) par une parenthèse occupant les 2 quatrains suiv., et reprise par les vv. 365-366 ergo ut recline mollibus | reiecit aulæis caput. Grâce aux anges, le martyr a retrouvé la faculté d'agir (v. 323-324) ; grâce aux fidèles, il peut se reposer (au contraire, v. 263 insomne... latus), avant de trouver le vrai sommeil dans la mort et dans la sépulture voulue par les fidèles (v. 515-516).

      353 : at uero : pléonastique ; cf. perist. 10, 1001 at contra ; 11, 165 at tamen. La conjonction uero (seul ex. chez Prudence !) a la syllabe finale abrégée. lectuli : cf. perist. 2, 354 (ironique, à propos du gril) ; lit mentionné au v. 335 mollire præfultum torum ; celui que vénéreront les fidèles (v. 555-556 quem...| exosculamur lectulum) est soit ce lit de mort, soit le gril (-> v. 217).

      354 : quietem : -> v. 159. contigit : cf. v. 525-526 simplex sed illis contigit | corona poenarum (en fin de v. également) - ici, emploi personnel, avec martyr pour sujet.

      355 : réconforté, le martyr semble cesser de souffrir ; plus que le corps, c'est l'âme qui lui importe (elle aspire au Ciel, donc à la mort). æger : au figuré ; -> 11, 177. morarum : à l'impatience qu'a le martyr de quitter son corps répondra celle des fidèles, tendus vers la résurrection (v. 569 sic nulla iam restet mora). Il n'est pas question ici de la durée des souffrances (perist. 2, 338 poenis morarum iugibus ; ->), mais de retard de son salut (cf. perist. 7, 79-80).

      356 : mortis... siti : la mort accomplit la passion (v. 291-292) ; cf. N.T. Ioh. 19, 28 sciens Iesus quia iam omnia consummata sunt, ut consummaretur Scriptura, dicit : 'Sitio.' L'idée du désir (bon ou mauvais ; -> 14, 102) est souvent exprimée par cette image, en part. dans un contexte baptismal (perist. 8, 8 ; 12, 43-44 pastor oues alit ipse illic gelidi rigore fontis, | uidit sitire quas fluenta Christi) ; ce thème biblique est présent p.ex. dans les écrits relatifs au baptême et aux fins dernières : N.T. Ioh. 4, 13-14 omnis qui bibit ex aqua hac sitiet iterum, qui autem biberit ex aqua quam ego dabo ei, non sitiet in æternum, sed aqua quam dabo ei fiet in eo fons aquæ salientis in uitam æternam ; 7, 37 ; apoc. 21, 6 ego sum A et W, initium et finis, ego sitienti dabo de fonte aquæ uiuæ gratis. Prudence le reprend de manière parfois paradoxale : perist. 3, 159-160 uirgo citum cupiens obitum | adpetit et bibit ore rogum. incensus siti : cf. perist. 1, 109. 111 faucibus siccis fugit... confitens ardere sese ; 2, 189 aurum, quod ardenter sitis (->) ; c. Symm. 2, 1027-1028 suco mox deficiente sub æstu | sideris igniferi sitiens torretur et aret. Sur incendere, -> 11, 113.

      357-364 : diptyque, dont le 1er volet est philosophique (platonisant), et le second proprement chrétien ; même dualité dans la différence entre l'appel des anges au martyr (libération de l'âme, qui va au Ciel : v. 301-304) et celui des fidèles (résurrection du corps : v. 569-576). Prudence joue aussi sur les niveaux de sens et de compréhension d'un même événement, en perist. 8, avec ses 3 parties : historique et descriptive ; théologique ; allégorique et mystique.

      
357-360 - si mors habenda eiusmodi est,
quæ corporali ergastulo
mentem resoluit liberam
et reddit auctori Deo,
- s'il faut considérer comme une mort celle qui consiste à détacher une âme, libre de sa prison corporelle et à la rendre à Dieu, son auteur, ...

      357-360 : le motif platonicien de la libération du corps-prison est déjà mis dans la bouche des anges (vv. 301. 304 pone hoc caducum uasculum... et liber in cælum ueni !) ; cf. perist. 6, 70-72 qui, dum corpora concremanda soluit, | feruentes animas amore lucis | fracto carceris expediret antro ; 13, 63-64 eripe corporeo de carcere uinculisque mundi | hanc animam ; cath. 8, 59-60 ; 10, 21-22 dum generosa caducis | ceu carcere clausa ligantur ; apoth. 889-891 ; ham. 845-855 (cf. Torro 1976, p. 88-89). Cf. Ambr. in Luc. 2, 59 ; Pavl. Nol. carm. 11, 57-60 cum solutus corporali carcere | terraque prouolauero, | quo me locarit axe communis Pater | illic quoque animo te geram (cf. Courcelle 1965). Cf. l'exégèse origénienne de V.T. psalm. 141, 8, que s. Jérôme admit (tract. de psalm. 141, 8, 5 'educ de custodia animam meam ad confitendum nomini tuo', id est de corpore), avant de la condamner (epist. 51, 4 ; cf. Avg. enarr. in psalm. 141, 17, 13), vu ses liens possibles avec l'idée de pré-existence des âmes ; l'image du corps-prison perdurera dans un contexte ascétique et moral.

      357 : mors habenda : mors est sujet d'habenda, et lui sert aussi d'attribut (sous-entendu, dont dépend eiusmodi). Le passif de habere prend le même sens en perist. 2, 484 (->) p.ex.

      358 : cf. Ambr. exc. Sat. 2, 20 anima nostra corporeum istud euadere gestit ergastulum ; Heges. 5, 53, 1 quid est... uita, nisi carcer animæ quæ intra hoc ergastulum clauditur et carnali adhæret consortio ? ; Avg. ciu. 11, 23 [Origenes censuit] mundum ideo factum, ut animæ pro merito peccatorum suorum tam-quam ergastula, quibus includerentur, corpora acciperent ; Macrob. somn. 1, 14, 4 custodia corporali ; -> 2, 486-487. ergastulo : cf. v. 241 (la prison du martyr ; même place dans le v.).

      359 : mentem : repris par l'anaphore du v. 361 (mentem), utilisé surtout dans les poèmes anciens (perist. 10 et Passiones : 17 ex. au sens propre d''âme' ; ailleurs, cf. perist. 1, 30. 99). resoluit : verbe signifiant parfois 'dissoudre' (v. 163 uas est solutum ac fictile ; perist. 3, 120 in cineres resoluta flues) ou, comme ici (cf. aussi perist. 6, 79 ipse pedes meos resoluam), 'détacher' ; les 2 sens coexistent en perist. 9, 85-86 Christus | iubet resolui pectoris ligamina ; 12, 26 iam resoluor. liberam : si cet adj. évoque la liberté intérieure (-> v. 159), il est épithète de mentem ; il est plutôt attribut, indiquant la véritable libération de l'âme (cf. v. 304 liber in cælum ueni).

      360 : reddit : ce verbe pourrait laisser entendre que l'âme préexistait à son corps, thèse hérétique (cf. ci-dessus) ; la métaphore du mouvement de l'âme est moins spatiale que relationelle : l'âme retourne non à un état antérieur, mais à Dieu, qui l'a créée. Cf. v. 7-8 euexit ad cælum dies | Christoque ouantem reddidit. auctori Deo : comme Créateur, Dieu est également appelé auctor au v. 37 lucis auctorem Patrem (-> 2, 416) ; ici, il n'est pas question de la création du monde, mais de celle de l'âme humaine, lors de la conception.

      
361-364 mentem piatam sanguine,
mortis lauacris elutam,
quæ semet ac uitam suam
Christo immolandam præbuit, -
une âme purifiée par le sang, lavée par le baptême de la mort, qui s'est offerte, elle et sa vie, pour être immolée au Christ, - ...

      361-364 : l'âme est libérée du péché, grâce au baptême de sang (le martyre), le sang versé étant comme la matière du sacrement (v. 361) et la mort, son mode efficace (v. 362 ; cf. v. 291-292 pulchroque mortis exitu | omnis peracta est passio). Le martyre est aussi un sacrifice (v. 363-364).

      361 : mentem : reprise de mentem, v. 359 ; anaphore comparable, entre 2 strophes, avec testibus (doublée de celle de sanguinis), en perist. 1, 21-24 nil suis bonus negauit Christus unquam testibus, || testibus, quos nec catenæ dura nec mors terruit | unicum Deum fateri sanguinis dispendio, | sanguinis, sed tale damnum lux rependit longior. piatam sanguine : piatam a une connotation baptismale (-> 2, 374), renforcée par lauacris, v. suiv. Cf. perist. 1, 30 lota mens in fonte rubro sede cordis exsilit. Cf. N.T. apoc. 7, 14 lauerunt stolas suas in sanguine Agni.

      362 : mortis lauacris : la mort accomplit les baptêmes d'eau (lauacrum, cf. perist. 6, 29) et de sang : cf. N.T. Rom. 6, 3-4 quicumque baptizati sumus in Christo Iesu, in morte ipsius baptizati sumus. elutam : prosodie irrégulière (cf. Ps.-Pavl. Nol. carm. 33, 45), par analogie avec l'indicatif prés. d'eluere (cf. Lavarenne § 183). Certains mss ont erutam ('sauvé', au lieu de 'lavé'). Pour Cunningham (1971, p. 68), qui édite erutam, elutam pourrait être une glose ; on peut soutenir l'inverse (elutam file l'image suggérée par lauacris, et erutam en donne le sens).

      363 : hendiadyn, voire léger zeugma sémantique ; donnant sa vie, le martyr offre sa personne. Au v. suiv., immolandam est accordé avec le terme le plus proche (uitam suam), mais semet lui est associé. semet : -> 2, 20. uitam suam : cette fin de v. s'oppose à mortis qui ouvrait le v. préc. La vie véritable n'est pas celle de l'âme seule - la mort corporelle ne serait alors pas un sacrifice - mais la résurrection (v. 511-512 tumuloque corpus creditum | uitæ reseruat posteræ).

      364 : immolandam præbuit : cf. Ov. epist. 13, 31 nec mihi pectendos cura est præbere capillos. Le martyr offre son corps mais ne s'en débarasse pas - au contraire, v. 331-332 ut pastum nouum | poenis refectus præbeat (le juge ; præbere aussi en fin de v. ; ->). En réponse, le Christ ordonnera aux éléments de se mettre au service du corps du martyr (cf. v. 485-486) et de lui fournir (præbere) une sépulture : cf. v. 507-508 fouens harenis uiscera | uicem sepulcri præbuit. immolandam : cf. perist. 4, 65-66 omnibus portis sacer immolatus | sanguis ; 10, 98-99 ut pro fideli plebe solus immoler | dignus subire cuncta ; 769 ; 12, 27 ; 13, 64 liceat fuso tibi sanguine immolari.

      
365-368 ergo ut recline mollibus
reiecit aulæis caput,
uictor relictis artubus
cælum capessit spiritus.
donc, quand il eut laissé retomber sa tête vers l'arrière, appuyée sur de moelleuses tentures, son esprit victorieux, abandonnant ses membres, cherche à gagner le ciel.

      365-366 : recline... reiecit... caput : recline exprime la même idée que reiecit ; cf. cath. 6, 149-150 corpus licet fatiscens | iaceat recline paulum. Le martyr quitte la vie au moment où il laisse sa tête se pencher ; de même, ste Agnès lors de sa décapitation (perist. 14, 85 uertice cernuo).

      365 : mollibus : rappel de mollire utilisé au v. 335 à propos de l'installation de ce lit. Mollibus se trouve aussi en fin du v. 278 (fleurs sur le lit de tessons) ; cf. aussi v. 500.

      366 : aulæis : ici, au sens propre, les tapis ou tentures dont on recouvre les lits (cf. Verg. Æn. 1, 697-698 aulæis iam se regina superbis | aurea composuit sponda mediamque locauit). Le sens premier d'aulæum est celui de 'rideau de scène' - évocation de la fin de la tragédie, quand le rideau voile à nouveau la scène ? De fait, ce 'rideau' est comme le linceul du martyr, et sa passion est une 'représentation' de celle du Christ (cf. v. 64 mors Christianis ludus est).

      367-368 : cf. perist. 10, 1110 anima absoluta uinculis cælum petit ; 11, 110 hi rapiant artus ; tu rape, Christe, animam ! (->). Cf. v. 359-360 mentem resoluit liberam | et reddit auctori Deo. Le martyr exécute l'ordre des anges (vv. 301. 304 pone hoc caducum uasculum... et liber in cælum ueni !).

      367 : uictor : le martyr est qualifié de uictor (ici ; vv. 296. 541. 543) et ses adversaires sont uicti (vv. 6. 327. 426). Il est possible qu'il y ait un jeu sur l'étymologie de Vincentius ; cf. Avg. serm. 274 Vincentium ubique uincentem. uicit in uerbis, uicit in poenis ; uicit in confessione, uicit in tribulatione ; uicit exustus ignibus, uicit submersus fluctibus ; postremo uicit tortus, uicit mortuus. artubus : le corps, synecdoque (cf. vv. 120. 228. 499 ; perist. 3, 168 pax datur artubus exanimis ; -> 13, 13).

      368 : le salut est souvent représenté comme la montée de l'âme au Ciel : vv. 7 euexit ad cælum dies ; 304 liber in cælum veni ! (-> 12, 19) ; -> 2, 485-488. cælum capessit : cf. perist. 6, 7 ardens Augurius capessit ætram ; Cic. Tusc. 1, 42 is animus superiora capessat necesse est. spiritus : cf. v. 570-571 quin excitatam nobilis | carnem resumat spiritus. Les vv. 368. 571 ont une structure parallèle : cælum correspond à carnem ; capessit, à resumat ; spiritus est en fin de v.

      
369-372 Cui recta celso tramite
reseratur ad Patrem uia,
quam fratre cæsus impio
Abel beatus scanderat.
Pour lui s'ouvre la voie droite qui mène, par un chemin élevé, jusqu'au Père, voie qu'avait gravie le bienheureux Abel, tué par un frère impie.

      369-370 : cf. perist. 1, 84 uiam patere cæli ; 2, 372 ; 6, 122 ; 8, 7 parata uia est ; 14, 81-82 æterne rector, diuide ianuas | cæli obseratas (v. 370 reseratur) terrigenis prius ; cath. 10, 161-162 patet ecce fidelibus ampli | uia lucida Paradisi.

      369 : cui : relatif de liaison au dat. d'intérêt, reprenant spiritus (v. préc.).

      369-370 : recta... uia : cf. V.T. I reg. 12, 23 docebo uos uiam bonam et rectam ; prou. 29, 27 ; N.T. II Petr. 2, 15 derelinquentes rectam uiam. La route du martyr est droite comme sa vie terrestre (cf. ham. 696 meliore uiam petat indole rectam ; même image, filée, en apoth. præf. ; cf. perist. 11, 35-37), et directe, son salut étant immédiat (cf. v. 5-8). De même, le corps, jeté à l'eau, ira droit vers un rivage accueillant, poussé par les éléments (vv. 485-488. 495-496. 499-500).

      369 : celso tramite : la voie menant au salut est ardue, escarpée, et élevée : perist. 3, 170 templaque celsa petit uolucer ; 6, 97-98 felices animæ, quibus... | celsa scandere (cf. v. 372 scanderat) contigit Tonantis ; 8, 7-10 qui cupit æternum conscendere regnum, | huc ueniat sitiens, ecce parata uia est. | ante coronati scandebant (cf. v. 372 scanderat) ardua testes | atria ; 14, 79-80 sic nupta Christo transiliam poli | omnes tenebras celsior ; 93 tramite candido. En allant au supplice, le martyr marchait déjà sur ce chemin (v. 223-224) : ceu iam coronæ conscius | celsum tribunal scanderet (->).

      370 : ad Patrem : le terme ultime du parcours dont le Christ se présente comme le chemin (N.T. Ioh. 14, 6) et la porte (N.T. Ioh. 10, 9) est le Père. Avant même de confesser le Christ, le martyr avait proclamé sa foi dans le Père (v. 37-40 nos lucis auctorem Patrem | eiusque Christus Filium | ... confitebimur). uia : -> 11, 36.

      371 : fratre... impio : complément d'agent de cæsus (abl. seul, poétique et tardif ; cf. perist. 8, 1). Impius qualifie aussi païens et persécuteurs (cf. perist. 2, 377), dont Caïn est comme le type : il tua par jalousie Abel qui avait offert un sacrifice agréé par Dieu (V.T. gen. 4, 2-8 ; cf. perist. 10, 828-830 ; ham. præf. 1-9. 11-13 ; ditt. 5-7). cæsus : cf. perist. 1, 49 ense cæsa uirtus triste percussit solum ; 4, 118 ; 8, 3 Domini pro nomine cæsi.

      372 : Abel beatus : cf. v. 1 beate martyr ; Abel est un saint, cf. perist. 10, 829 Deo offerendum sancti Abelis ferculo ; N.T. Matth. 23, 35 sanguine Abel iusti. scanderat : cf. perist. 6, 97-98 et 8, 7-10 (cités ci-dessus, -> v. 369) ; 7, 88 scandit spiritus ardua. On a aussi scanderet à la fin du v. 224.

      
373-376 Stipant euntem candidi
hinc inde sanctorum chori,
parique missum carcere
Baptista Iohannes uocat.
Tandis qu'il va, l'escortent de part et d'autre les choeurs des saints, éclatants de blancheur, et Jean-Baptiste appelle celui qui est pareillement envoyé d'une prison.

      373-376 : entouré d'anges au fond du cachot (v. 281-282), le martyr est accueilli au Ciel par des hommes - en part., Jean-Baptiste, qui a aussi connu la prison avant d'être exécuté). Cf. perist. 14, 92-93 angeli | sæpsere euntem (v. 373 euntem) tramite (v. 369 celso tramite) candido (v. 373 candidi). Le motif des retrouvailles au Ciel apparaît, sous forme de voeu, en perist. 11, 246.

      373 : stipant : indication du grand nombre de ceux qui entourent de près quelqu'un ; cf. Cic. Att. 1, 18, 1 stipatus gregibus amicorum ; Verg. Æn. 4, 136 magna stipante caterua. Cf. aussi perist. 7, 35 (groupe compatissant) ; 11, 79 (groupe hostile), à propos de témoins de martyres.

      373-374 : candidi... chori : des hommes et peut-être des anges (cf. v. 287-288 exsurge et almis coetibus | noster sodalis addere ; perist. 1, 66-67 clara nos hinc angelorum iam uocant stipendia. | Christus illic candidatis præsidet cohortibus). Par son chant et ce qui semble être une danse (vv. 313-316. 323-324), le martyr participait déjà à ces chori dans son cachot. Chorus est utilisé à propos d'anges (perist. 3, 48 angelico comitata choro) et des fidèles (perist. 3, 208 ; 4, 153 ; 6, 148). Dans la liturgie, les nouveaux baptisés sont revêtus de l'aube ; de même, les martyrs glorieux (cf. perist. 3, 162 niue candidior ; 4, 145 ter senis sacra candidatis ; 13, 86-87) ; cf. perist. 14, 92-93.

      374 : hinc inde : -> 11, 163. sanctorum : -> 2, 542 ; cf. v. 509-510 dum cura sanctorum pia | deflens adornat aggerem (sanctorum se retrouve à la même position du v.).

      375 : cf. N.T. Matth. 14, 3 Herodes enim tenuit Ioannem, et alligauit eum, et posuit in carcerem ; 11 misitque et decollauit Ioannem in carcere ; Marc. 6, 17 ipse enim Herodes misit ac tenuit Iohannem et uinxit eum in carcere ; 27 misso speculatore præcepit adferri caput eius in disco et decollauit eum in carcere. pari... carcere : même forme à la fin du v. 280 (cachot du martyr). missum : l'abl. pari carcere montre que missum ne se rapporte pas à l'incarcération, mais à un 'envoi' prononcé en prison : Jean-Baptiste y fut exécuté, s. Vincent y connut une expérience mystique liée à la mort. Missum évoque le départ pour le ciel (cf. perist. 1, 83) et évoque l'étymologie d'angelus ('messager').

      376 : Baptista Iohannes : le Baptiste est nommé Iohannis en cath. 7, 46, Iohannes en cath. 7, 46 ; ditt. 134 ; Baptista en ditt. 117. La forme Iohannes (des mss ont Iohannis ; -> v. 397) se retrouve à propos de s. Jean l'Évangéliste p.ex. en cath. 6, 108. uocat : après l'ange (v. 301-304), c'est s. Jean-Baptiste qui appelle le martyr, continuant sa fonction de Précurseur et de prophète (N.T. Matth. 3, 3 uox clamantis). Cf. perist. 1, 32 milites, quos ad perenne cingulum Christus uocat ; 6, 22-23 mecum state, uiri, uocat cruentus | ad poenam coluber Dei ministros.

      
377-380 At Christiani nominis
hostem coquebant irrita
fellis uenena et liuidum
cor efferata exusserant.
Quant à l'ennemi du nom chrétien, les poisons de son fiel, stériles, le faisaient cuire, et, devenus féroces, avaient complètement brûlé son coeur noir.

      377 : at : passage à un autre point de vue ; cf. v. 353. Christiani nominis : -> 2, 59. 430.

      378 : hostem : le juge et indirectement le démon, qui l'inspire (cf. v. 381-384) ; -> v. 250.

      378-379 : coquebant irrita fellis uenena : la colère croissante (-> v. 141) est décrite selon la théorie médicale des humeurs (cf. fellis) et de l'opposition entre chaud et froid (cf. coquebant) ; cf. perist. 2, 209-216 (la chaleur du sang affaiblit l'esprit et pousse au mal) ; 10, 391-392 dudum coquebat disserente martyre | Asclepiades intus iram subdolam ; Verg. Æn. 7, 345. L'adversaire demeure le démon et non la chair et l'explication physiologique est relativisée en ham. 509-511 errat... qui luctamen cum sanguine nobis | et carne et uenis feruentibus et uitioso | felle putat, calidisque animam peccare medullis. De fait, fellis uenena est ambivalent. Cf. Avson. 349, 4 liuida (v. 379 liuidum) mens hominum concretum felle coquat pus ; Damas. carm. 46, 7 fellis uomuit concepta uenena. irrita... uenena : l'image du poison (-> 2, 201) est appliquée aux passions mauvaises (vaines, comme les idoles : -> v. 67-76) et au démon qui les provoque (cf. perist. 2, 240).

      379 : fellis : la bile, humeur qui produit la colère ; par métonymie, fel désigne la colère (Verg. Æn. 8, 220 furiis exarserat atro felle dolor) ; cf. perist. 9, 45-46 quantum quisque odii tacita conceperat ira, | effundit ardens felle tandem libero ; 10, 393-394 stomachatus alto felle, dum longe silet | bilemque tectis concipit præcordiis ; 10, 509-510 inflatur ira, soluitur libidine, | plerumque felle tincta liuores (cf. ici liuidum) trahit ; 867 commouit iram fellis implacabilis. Fel peut désigner le venin de la vipère (cf. Ov. Pont. 1, 2, 18) ; ici, allusion probable (cf. vv. préc. uenena ; 381-382) ; le juge est comparé à un serpent (-> v. 176). Cf. Verg. Æn. 12, 857 [sagittam] armatam sæui... felle ueneni.

      379-380 : liuidum cor : le venin qui bouillonne dans le coeur produit les mêmes effets qu'une morsure de serpent (c. Symm. 1 præf. 31-32 quod cute liuida | uirus mortiferum serpere crederent) ; un teint livide est en outre l'effet de l'action de la bile (fel, cf. v. 379) ; cf. perist. 10, 510 (cité ci-dessus). Liuidus prend ici un sens éthique (cf. perist. 2, 259 ; -> 14, 108), évoquant la jalousie haineuse, à laquelle fel, lié surtout à la colère, peut aussi se rapporter : cf. cath. 5, 46 inuido feruens felle ; Ov. met. 2, 777 pectora [Inuidiæ] felle uirent, lingua est suffusa ueneno ; Avson. 191, 31 nullo felle tibi mens liuida ; Sedvl. op. pasch. 3, 16 chelydros... liuido ueneno fellis uberrimus.

      380 : efferata : cf. perist. 4, 110-111 efferati | spiritus mundi ; 10, 679 furor... efferatus ; cath. 9, 53. exusserant : le juge souffre une 'passion' intérieure (même emploi figuré d'exurere, Sen. Ag. 132), qui s'oppose à celle du martyr, extrinsèque. Cette image reprend coquebat (v. 378) ; la prophétie du martyr commence à se réaliser (v. 188 flagrabis ipse hoc iustius).

      383-464 : l'échec du persécuteur après une 1ère tentative l'entraîne dans une sorte de fuite en avant, avec encore 2 essais. Le parallèle avec le récit de l'exposition de ste Agnès est net :

      
renoncement devant une 1ère défaite perist. 5, 383-384 perist. 14, 21-23a
décision d'une peine nouvelle perist. 5, 385-386 perist. 14, 25
menace du châtiment par des tiers perist. 5, 387-388 perist. 14, 29-30
justification de la mesure perist. 5, 389-392 perist. 14, 23b-24
ordre impie d'exposer le martyr nu perist. 5, 393-396 perist. 14, 38-39
effroi respectueux des tiers perist. 5, 397-400 perist. 14, 40-42
assaut d'un sacrilège, frappé aux yeux par un 'volatile' perist. 5, 401-412 perist. 14, 43-47
(intervention du narrateur) perist. 5, 413-416 perist. 14, 57-63a
défaite du sacrilège perist. 5, 417-420 perist. 14, 48-56
fureur du juge et nouvelle décision perist. 5, 421-464 perist. 14, 63b-66
381-384 Sæuire inermem crederes
fractis draconem dentibus :
" Euasit exsultans ", ait,
" rebellis et palmam tulit.
On croirait que se déchaînait un serpent désarmé, aux dents brisées : " Il m'a échap-pé en jubilant ", dit-il, " et le rebelle a rem-porté la palme.

      381 : sæuire... crederes : comparaison 'homérique', analogie sans lien direct, mais qui a ici une valeur symbolique ; cf. crederes en perist. 10, 827-830. Sur sæuire, -> 2, 58.

      381-382 : inermem... draconem : le dragon, animal emblématique du démon (-> v. 176) que vaincra le martyr (cf. v. 542-544). Le motif biblique du serpent terrassé est évoqué dans des termes proches en cath. 3, 153-154 tractibus anguis inexplicitis | uirus inerme piger reuomit ; cf. le triomphe de la martyre en perist. 14, 112-113 pede proterit | stans et draconis calce premens caput.

      382 : fractis... dentibus : cf. V.T. psalm. 3, 8 dentes peccatorum contriuisti ; 57, 7 Deus conteret dentes eorum in ore ipsorum, molas leonum confringet Dominus ; sap. 16, 10 filios autem tuos nec draconum (ici draconem) uenenatorum (v. 379 uenena) uicerunt dentes. Ces 'dents' du juge voulant mordre le martyr étaient, outre ses paroles (v. 176 anguina uerba exsibilat), celles des instruments de torture (vv. 217-218 serrata lectum regula | dente infrequenti exasperat ; 271). Sur frangere, -> v. 432.

      383 : euasit : sur la prison, -> v. 357-360. exsultans : -> 11, 26 ; jeu sur l'étymologie (saltare ex), cf. l'emploi d'un autre verbe en ex- (euasit). Sur la joie du martyr, cf. v. 129-132.

      384 : rebellis : adj. substantivé (épithète p.ex. en perist. 9, 34 uir... alto tam rebellis spiritu). Le martyr se rebelle contre l'ordre civil païen pour ne pas être Patri rebellis (perist. 10, 130). De même, contumax au v. 105. palmam tulit : image reprise au v. 539 palmam tulisti (->) ; la forme tulit se retrouve à la fin du v. 574 commune discrimen tulit. Le triomphe du martyr est reconnu par le persécuteur lui-même ; cf. v. 136 ars et dolorum uincitur ; perist. 14, 64 uincor.

      
385-388 " Sed restat illud ultimum :
inferre poenam mortuo,
feris cadauer tradere
canibusue carpendum dare.
" Mais il me reste cette dernière ressource : infliger un supplice au mort, livrer son cadavre aux bêtes sauvages ou le donner aux chiens pour qu'ils le déchirent.

      385 : illud ultimum : la mort était vue par le martyr comme poenarum ultima (v. 63 ; cf. perist. 1, 54). Même si la torture par le feu était l'extrema... quæstio (v. 206-208 ; cf. perist. 3, 146), le juge veut aller plus loin encore.

      386-388 : trois infinitifs sont apposés au pronom illud ; tour analogue en perist. 10, 59-60 fixa et statuta est omnibus sententia | fidem tueri uel libenter emori ; 951-955 ; apoth. 238-242.

      386 : inferre poenam : cf. perist. 10, 678 inferre leges. Le juge ignore l'avertissement du martyr (v. 153-156 erras, cruente si meam | te rere poenam sumere, | cum membra morti obnoxia | dilancinata interficis ; sur poena, -> 14, 22) et continue de s'acharner sur son corps. mortuo : lié au monde de la mort (cf. v. 35-36 tu mortuorum mortuus | fias deorum pontifex), le persécuteur outrepasse monstrueusement ses pouvoirs - seul Dieu est iudex mortuorum (cath. 9, 106).

      387-388 : cf. perist. 10, 806 cadauer dentibus carpunt canes (-> v. 118-120). L'échec de ces mesures (cf. v. 397-400) est illustré par le récit du corbeau chassant le loup (v. 401-420).

      387 : feris... tradere : de même, Ov. met. 1, 249. La condamnation aux bêtes (cf. v. 531-532 feris | obiecit) est infligée au cadavre ; cf. perist. 1, 57 siue pardis offerendum pectus aut leonibus ; 3, 117 laniabere membra feris ; 6, 62-63 madens ferarum | multo sanguine quem furor frequentat ; 7, 12-13 non feræ | crudeli interitu necant ; 11, 106. cadauer : cf. vv. 437 mergam cadauer fluctibus ; 458 claudat cadauer culleus (même place du v.). Cf. aussi perist. 10, 806 ; 11, 75-76 squamea cænoso præstabit uentre sepulcrum | belua consumptis cruda cadaueribus ; désignations du cadavre, -> v. 425.

      388 : canibus... dare : cf. psych. 721-722 quod canibus donet, coruis quod edacibus ultro | offerat ; ici, le corbeau sera paradoxalement le protecteur du cadavre (v. 402-420). Exposer un cadavre aux bêtes est aussi un châtiment terrible en V.T. III reg. 14, 11 qui mortui fuerint de Hieroboam in ciuitate comedent eos canes, qui autem mortui fuerint in agro uorabunt eos aues cæli. Le chien, vil et détestable (-> v. 147), figure avec le serpent (-> v. 176), le loup (-> v. 19 ; cf. aussi v. 412) et le taureau (v. 415) parmi les animaux liés au monde démoniaque que cite Hier. epist. 108, 13 cernebat dæmones uariis rugire cruciatibus et ante sepulcra sanctorum ululare homines luporum uocibus, latrare canum, fremere leonum, sibilare serpentum, mugire taurorum. carpendum dare : même tour (dare avec adj. verbal) en perist. 2, 280 ; 4, 141-142 ; 12, 56. Dare est aussi utilisé à propos d'un supplice en perist. 3, 118 facibus data fumicificis ; 7, 23 in præceps fluuio datur ; 10, 120 gradu reorum forma tormentis datur ; 12, 27 poenæ datur. Cf. aussi v. 532 undis dedit. carpendum : cf. perist. 4, 121 barbarus tortor latus omne carpsit ; 10, 504 ; 695 si cruentæ membra carpant ungulæ ; 11, 120 carpit spinigeris stirpibus hirtus ager ; Sen. Thy. 1060 ; Lvcan. 6, 551.

      
389-392 " Iam nunc et ossa exstinxero,
ne sit sepulcrum funeris
quod plebs gregalis excolat
titulumque figat martyris. "
" Dès lors et maintenant, j'anéantirai même ses ossements, pour que sa dépouille ne reçoive pas de tombeau que le troupeau populaire honorerait et sur lequel il apposerait le titre de martyr. "

      389-392 : seul passage du recueil, avec perist. 1, 74-78, où il soit question du souci du juge d'éviter la perpétuation du culte du martyr (cf. l'attitude de la foule : v. 333-344).

      389 : iam nunc : -> v. 51. ossa : le juge s'acharnera sur les ossements (cf. v. 427), plus résistants que la chair blessée, et plus durables en tant que reliques (-> v. 516). exstinxero : fut. antérieur au lieu du fut. simple ; ce tour (cf. Cic. resp. 1, 20) exprime l'état escompté et visé. Les 2 temps alternent sans différence de sens en perist. 10, 139-140 ; 14, 77-78 (->). Au passif, exstinguere signifie 'mourir' (perist. 11, 81) ou 'disparaître' (perist. 1, 74).

      390 : cf. perist. 10, 543 corpus, rem sepulcri et funeris ; 1082 ad sepulcrum pompa fertur funeris. sepulcrum : -> 2, 544. funeris : métonymie désignant le cadavre (cf. Verg. Æn. 9, 490). Cf. v. 195-196 Sodomita nec latet cinis | testis perennis funeris (funeris est à la même position dans le v.).

      391 : plebs gregalis : désignation péjorative du peuple chrétien (vv. 84 plebem piorum ; 334 turbam fidelem) ; cf. perist. 10, 68 pro contumaci plebe (opposé à pro fideli plebe, utilisé par le martyr en perist. 10, 98). La communauté chrétienne (ou le peuple hébreu, v. 484) peut être désignée par plebs (ou par grex : -> 13, 67) sans idée péjorative (-> 2, 468). Gregalis suggère le grand nombre ('qui va en troupe' : cf. Varro rust. 2, 7, 6) et aussi la grossièreté ('vulgaire' : cf. Liv. 7, 34, 15 ; Tac. ann. 1, 69, 4) ; ici, il signifie 'du même troupeau' (cf. ThlL vi2 2316, 17-31). excolat : attesté dans le sens de 'vénérer' chez Ov. Pont. 1, 7, 59 ; Pavl. Nol. carm. 19, 24. La vénération du martyr (v. 336-344) se poursuivra (vv. 509-520. 549-556. 561-564).

      392 : cf. perist. 11, 7-8 plurima litterulis signata sepulcra loquuntur | martyris. Il y a ici zeugma syntaxique, par l'ellipse du relatif cui au début du v. (titulumque) ; même tour, avec des termes coordonnés par -que en début de v., chez Verg. georg 3, 283 ; Æn. 3, 382. titulumque figat : utilisé à propos de douleurs et de tortures aux vv. 228 (->). 424, figere désigne l'action de graver (cf. perist. 6, 90 [prius] quam uestigia pura figerentur) ou plutôt de fixer une plaque portant un texte (titulus au sens matériel ; cf. V.T. gen. 28, 18 ; Avg. ciu. 16, 38 ; -> 11, 3). martyris : ce n'est qu'ici et en perist. 2, 330 (uotiua mors est martyri) que martyr est mis dans la bouche du juge. Martyr ne désigne pas s. Vincent (titulum martyris, 'l'inscription funéraire du martyr'), mais la qualité qui lui sera reconnue ('une inscription funéraire de martyr').

      393-428 : le motif de la protection du cadavre, exposé, par un oiseau de proie se trouve dans plusieurs passions (cf. AA. SS., janvier t. 2, p. 1025-1026 ; mai t. 1, p. 468 ; t. 2, p. 229 ; octobre t. 3, p. 838). Le sort de s. Vincent est l'inverse de celui de l'Hérésie vaincue (psych. 719-725), dont le cadavre est livré aux chiens, aux corbeaux et aux monstres marins (dans les 2 cas, animaux des milieux terrestre, aérien et aquatique) ; cf. aussi ste Agnès (-> v. 381-464).

      
393-396 Sic frendit et corpus sacrum
profanus - a dirum nefas ! -
nudum negato tegmine
exponit inter carices.
Après de tels grincements de dents, le sacrilège fait exposer parmi les roseaux - ô terrible abomination ! - le corps saint, nu, refusant de le recouvrir.

      393 : sic frendit : même symptôme de possession au v. 204 (-> 2, 185). corpus sacrum : le corps du martyr, objet de vénération après sa passion (cf. v. 337-344) ; cf. vv. 486 sancto corpori ; 506-507 sacra... uiscera ; 516 beatis ossibus (v. 516) ; sur sacer, -> 14, 14. S. Vincent (vv. 155. 161-164) et les anges (v. 301-304) semblaient mépriser ce corps, qui n'est pourtant plus une prison (cf. v. 358), mais un sanctuaire (N.T. I Cor. 6, 19 membra uestra templum est Spiritus Sancti qui in uobis est, quem habetis a Deo). Des miracles protègeront de tout outrage ce corps désormais saint, qui remportera ainsi des 'victoires' : cf. vv. 425-426 cum te perempti corporis | uirtute uictum cerneres (->) ; 543-544 uictor triumpho proteris | solo latronem corpore.

      393-394 : sacrum profanus : succession antithétique (rejet de profanus, mis en hyperbate).

      394 : profanus : cf. v. 94 iudex profanus (->) ; adverbial (ham. præf. 44 summam profanus diuidit substantiam ; cf. perist. 10, 48-49). a : cf. cath. 3, 183 ; ham. 567. Cette interjection réveille l'attention et correspond à la digression des vv. 357-364 (qui dédramatisait la mort) ; ce passage souligne la gravité du crime. dirum nefas : cf. Verg. Æn. 4, 563 dirumque nefas in pectore uersat ; Val. Fl. 2, 567 ; Sil. 8, 177. On ne peut déterminer si ce groupe est au nomin., au vocatif ou à l'acc. ; si cette dernière possibilité est attestée (cf. Cic. rep. 1, 59), l'une des deux premières semble plus probable, vu le parallèle de ham. 567 a pietas. dirum : au v. 397, épithète des bêtes censées s'attaquer au cadavre. nefas : ce nom (cf. v. 82) se trouve aussi dans une parenthèse, en cath. 3, 116-117 corpora mutua - nosse nefas - | post epulas inoperta uident. Cf. aussi perist. 10, 386 ; 11, 123-124 in quo | multicolor fucus digerit omne nefas.

      395 : cf. Bell. Afr. 72, 4 quæ pars corporis eius sine tegmine nuda relinqueretur ; nudus et tegmen sont aussi associés en perist. 10, 762 ; ditt. 4. nudum : la nudité, outrage qui manifeste la vulnérabilité du martyr (-> 2, 359-360) ; pour ste Eulalie, laissée morte sur le lieu de son supplice, il est réparé par un linceul de neige (perist. 3, 176-180), qui supplée à l'hommage normal aux morts (cf. cath. 10, 49-50) ; les honneurs funèbres ne seront rendus qu'à la fin des épreuves (cf. v. 509-512). Une image analogue (nudité, exposition aux oiseaux) se trouve en c. Symm. 2, 1033-1034 hæc auibus quia nuda patent, passimque uorantur, | ... iacent ad ludibria coruis (parabole du Semeur). negato tegmine : cf. cath. 10, 133-136 tu depositum tege corpus ; | non immemor ille requiret | sua munera fictor et auctor, | propriique enigmata uultus.

      396 : cf. V.T. exod. 2, 3 exposuit eum in carecto ripæ fluminis (Moïse nouveau-né ; -> v. 492). exponit : de même, ste Agnès (-> v. 381-464, tableau) est exposée (vivante, dans un lupanar), et en ressort indemne, grâce à la protection d'un oiseau (-> 14, 46). carices : la laîche, plante qui croît en touffes (grandes herbes à feuilles coupantes), souvent au bord d'eaux calmes. Fautive du point de vue de la botanique, la traduction de Lavarenne ('parmi les roseaux') exprime bien l'idée de 'plantes des marais' ; cf. aussi v. 453 palustri e cæspite.

      
397-400 Sed nulla dirarum famis
aut bestiarum aut alitum
audet tropæum gloriæ
foedare tactu squalido.
Mais la faim d'aucune des terribles bêtes, fauve ou rapace, n'ose souiller le glorieux trophée par un contact malpropre.

      397 : dirarum : cf. v. 394 a dirum nefas ; adj. épithète des 2 noms du v. suiv., ou bien substantivé (cf. les Furies, Diræ, chez Verg. Æn. 12, 845). famis : substitution de au nomin. -es. Les mss ont les 2 formes ici et en cath. 3, 58 ; c. Symm. 2, 918 ; en ham. 257, tous ont fames ; en psych. 479, le mètre impose famis (cf. v. 376 Iohannis ; perist. 3, 26 luis ; 10, 701 cautis ; 742. 840 prolis ; 11, 190 pubis ; cf. Lavarenne § 74).

      398 : l'alternative (aut... aut) oppose la terre (cf. bestiarum) au ciel (cf. alitum) ; le monde marin sera concerné par la seconde tentative contre le cadavre (cf. v. 444 squamosa pascens agmina). Ce qui est dit ici sera illustré aux vv. 401-404 (oiseaux) et 409-420 (loup). bestiarum : nom repris au v. 414 par rapacem beluam ; semblablement, l'Hérésie, dernier ennemi vaincu par la Foi, est appelée feralis bestia en psych. 719. alitum : -> 14, 46.

      399 : audet : par métaphore, l'audace est attribuée non à des animaux, mais à leur faim (famis). Un homme de main, audax (v. 467), osera faire ce que la nature refuse. En perist. 7, 50, l'eau n'ose (audet) pas s'entr'ouvrir pour engloutir le martyr ; cf. perist. 14, 118 (le démon) nec uictus audet tollere uerticem. Audere dépeint aussi l'audace du martyr, qui insulte les dieux (vv. 42. 44) et celle des persécuteurs, qui vont au-delà de ce qui avait été infligé à Isaïe (v. 529), ainsi que la stupeur consécutive au miracle (v. 414-415) : quis perfidorum credere | ausit. tropæum gloriæ : le corps du martyr (cf. Ambr. epist. 22, 12) qui, outre sa valeur de gage (pignus, -> v. 491) sacré (v. 393 corpus sacrum), a celle d'un monumentum, que le juge veut détruire (v. 389-392). Cf. perist. 4, 153-154 chorus, et reuoluat | quale Frontonis fuerit tropæum ; 12, 8 binis dicatum cæspitem tropæis (->). Le martyr est associé à la Croix du Christ (cf. v. 299), elle-même tropæum : cf. cath. 9, 83 dic tropæum passionis, dic triumphalem crucem. Sur gloria, -> 14, 9.

      400 : à l'opposé des valeurs du mythe antigonéen, la souillure ne provient pas du cadavre (ditt. 11-12 coruus enim ingluuie per foeda cadauera captus | hæserat), mais risque d'affecter le cadavre, sacré (Verg. Æn. 3, 227-228 contactuque omnia foedant | immundo ; -> v. 402) ; ailleurs, les bêtes se jettent sur un cadavre immonde (psych. 724-725 discissum foedis animalibus omne cadauer | diuiditur, ruptis Heresis perit horrida membris). Le martyr refusait de se souiller en touchant le coussin des divinités (v. 179-180 puluinar ut nostrum manu | abomineris tangere ; ->). foedare : pour les païens, la parole du martyr souille leurs dieux (perist. 10, 400 quidquid sacrorum est ore foedans impio) ; pour Prudence, la souillure provient du péché et revêt souvent un caractère concret, matériel, cf. c. Symm. 2, 683 miserum foedauit sanguine sæclum. tactu squalido : le corps du martyr admet le contact des fidèles (v. 336-340), mais non celui des charognards. Prudence présente le christianisme comme une religion de laquelle l'horror est absent (perist. 4, 69) et qui allie familiarité avec les martyrs et respect strict de la transcendance de Dieu (perist. 2, 565-584). Les animaux en question ne sont pas impurs en soi (N.T. act. 10, 12-16), mais symboliquement, par leur lien avec le monde démoniaque ; leur attirance pour les cadavres (cf. ditt. 11 per foeda cadauera) est analogue à celle des païens (perist. 10, 374-375 terris amicum, deditum cadaueri, | subiecta semper intuens, numquam supra).

      
401-404 Quin, si qua clangens improbe
circumuolarat eminus,
trucis uolucris impetu
depulsa uertebat fugam.
Bien plus, s'il s'en trouvait un pour le survoler de haut, en tournoyant, avec des cris impudents, il s'en retournait en fuyant, repoussé par l'assaut d'un oiseau farouche.

      401 : quin : -> 2, 385. qua : cf. dirarum... alitum (v. 397-398). clangens : cf. apoth. 298 nec sago clangore loquax et stridula cornix. improbe : les cris du charognard violent le silence du deuil (cath. 10, 113-114 quid turba superstes inepta | clangens ululamina miscet ?). Le corbeau qui protège le martyr chasse donc les intrus par le seul mouvement de ses ailes, sans autre bruit (v. 410 infestus alarum sono). Cf. aussi v. 96 ne plura iactet improbus (le juge, exaspéré par le martyr).

      402 : circumuolarat : cf. Verg. Æn. 3, 233 (à propos des Harpyes) ; 226-227 magnis quatiunt clangoribus (cf. v. 401 clangens) alas | contactuque omnia foedant (cf. v. 400 foedare tactu squalido). eminus : adv. suggérant ici la grandeur du champ d'action du corbeau.

      403 : trucis uolucris : désignation vague du corbeau, farouche face à des oiseaux impudents ; trux qualifie surtout les persécuteurs (-> 14, 21 ; cf. v. 250 truculentus hostis).

      404 : cf. psych. 631-632 depulsæ uertere solum. Pax inde fugatis | hostibus alma abigit bellum. uertebat fugam : même expression (ici absolument) en cath. 7, 105 tectam latenter uertit in Tharsos fugam (cf. Liv. 5, 51, 10) ; elle semble découler d'hostem in fugam uertere (Liv. 30, 33, 16).

      
405-408 Nam coruus, Eliæ datus
olim ciborum portitor,
hoc munus implet sedule
et irremotus excubat.
En effet, le corbeau, oiseau jadis donné à Élie pour lui porter sa nourriture, remplit diligemment cette fonction et fait sentinelle, immobile.

      405-408 : cf. V.T. III reg. 17, 6 corui quoque deferebant panem et carnes mane, similiter panem et carnes uesperi) ; ce corbeau semble être l'un de ceux d'Élie, vu l'absence de termes de comparaison !

      405 : coruus : le fait qu'un corbeau protège un cadavre est paradoxal, cet oiseau (l'opposé de la blanche colombe : ditt. 9-12. 192) faisant partie des charognards évoqués au v. 398 (cf. psych. 721 coruis... edacibus ; ditt. 11-12 coruus enim ingluuie per foeda cadauera captus | hæserat). Le juge fera allusion à ce miracle (v. 435-436 clementia | coruos uoraces mitigat). Eliæ : les Pères latins et la Vetus Latina donnent à ce nom un h- initial, comme la plupart des mss de Prudence (l'hébreu a un aleph initial ; la LXX note les mots hébraïques sans esprit ni accent). En cath. 7, 26, on a le nomin. Elia (et non Elias, plus commun). datus : cf. vv. 4 corona... datur ; 276.

      406 : olim : les temps bibliques antérieurs au Christ ; de même, perist. 6, 110 ; cath. 4, 37 ; 5, 105. portitor : le sens 'porteur' est attesté chez Stat. Theb. 1, 693 ; Sen. benef. 6, 18, 1.

      407 : munus implet : cf. perist. 2, 105 implete dictorum fidem ; 10, 556 implet iubentis dicta ; Tac. ann. 3, 53, 3 sua munia implere. On trouve aussi munus au v. 209 (->), et munia au v. 290. sedule : forme moins fréquente que sedulo de l'adv. dérivé de sedulus (cf. Colvm. 9, 9).

      408 : irremotus : ce participe passé n'est attesté dans la littérature latine qu'ici et chez Pavl. Nol. carm. app. 1, 2. excubat : sens militaire, 'faire sentinelle' (Cæs. Gall. 7, 24, 5).

      
409-412 Hic ex frutectis proximis
infestus alarum sono
oculosque pinnis uerberans
exegit immanem lupum.
Des fourrés tout proches, ce dernier, marquant son hostilité par le bruit de ses ailes et en frappant aux yeux avec ses plumes, chassa de là un énorme loup.

      409 : hic : coruus (v. 405). fructectis : cf. perist. 10, 334 ; Colvm. 3, 11, 3 ; Plin. nat. 25, 17. La scène se déroule dans un décor végétal sauvage, touffu (cf. v. 396 carices). proximis : contrairement aux oiseaux (cf. v. 402 eminus), le loup menace le cadavre de près.

      410 : alarum sono : cf. perist. 11, 111-112 feruntur | qua sonus atque tremor, qua furor exagitant. Le corbeau n'émet qu'un bruit léger, par respect (-> v. 401).

      411 : le corbeau, qui ne donne pas de coups de bec, contient ses élans de rapace (cf. v. 420 custodis imbellis), mais vise les yeux : cf. perist. 11, 66 uiuentesque oculos offerat alitibus ; 14, 46-47 en ales... | uibratur ardens atque oculos ferit. pinnis : pinna peut désigner l'aile (cf. v. préc. alarum) ou la plume (cf. v. 416 plumis ; sens premier, le plus probable ici) ; son emploi avec uerberans évoque en outre le sens poétique dérivé de pinna, 'flèche' (cf. Ov. fast. 1, 448).

      412 : immanem lupum : immanis est ici un epitheton ornans ; cf. psych. 795 immanes feritate lupi ; cf. aussi v. 434 ferina immanitas. Le loup est lié au monde démoniaque (-> v. 19).

      
413-416 Quis perfidorum credere
ausit rapacem beluam,
tauris paratam congredi,
cessisse plumis mollibus ?
Qui d'entre les infidèles oserait croire qu'un fauve vorace, prêt à affronter des taureaux, avait cédé devant de tendres plumes ?

      413-416 : intervention du narrateur, par une question (suivie par 2 autres questions, sur les sentiments du juge, v. 421, et son opiniâtreté, v. 429) ; cf. perist. 1, 94-99 (force des martyrs contre les démons, comparés à des loups ; cf. perist. 1, 98 lupino... ritu).

      413 : perfidorum : -> v. 88. credere : les païens, incroyants et incrédules (Cypr. laps. 1 increduli et perfidi), nient l'évidence ; certains se convertissent, tels le geôlier (v. 345-348).

      414 : ausit : subjonctif optatif d'audere (-> v. 399), cf. ham. 47 ; Ov. met. 6, 466 ; on a aussi ausim (ham. 80 ; c. Symm. 1, 646) (cf. Lavarenne § 127). rapacem beluam : le loup (v. 411 immanem lupum ; cf. v. 397-398 dirarum... bestiarum), qualifié de rapax en ditt. 189 (cf. Hor. epod. 16, 20). Belua désigne le monstre marin dévorant les martyrs, en perist. 11, 76 ; ailleurs, des bêtes féroces (aigle : perist. 10, 149) ou énormes (taureau : perist. 10, 1026).

      415 : tauris... congredi : emploi poétique du dat. ; cf. perist. 10, 606 congressa mors est membra gestanti Deo. Le taureau est le type de l'animal sacrificiel (v. 75-76 his colla mugientium | percussa taurorum cadunt ; ->) énorme (perist. 10, 1021 taurus ingens). Le loup qui s'attaque aux taureaux est comparable au païen qui les sacrifie (cf. v. 75-76). paratam : cf. perist. 1, 54 stant parati ferre quidquid sors tulisset ultima ; 10, 55 stent ut parati neue cedant (cf. v. 416 cessisse) turbini.

      416 : cessisse : le recul du loup s'oppose à son habitude (congredi) et à la fermeté du corbeau (v. 408 irremotus excubat) ; sur cedere, -> v. 122. mollibus : même forme à la fin des vv. 278 et 365 (-> ; les fleurs puis les tapis qui rendent plus douce la couche du martyr).

      
417-420 Ibat malignum murmurans,
leui uolatu exterritus,
prædamque uisam fugerat
custodis imbellis minis.
Il s'en allait avec des grognements mauvais, épouvanté par un léger volètement, et avait fui la proie qu'il avait vue, suite aux menaces d'un garde inapte au combat.

      417 : ibat... murmurans : comme à la fin d'une fable, le vaincu s'en va en grommelant. Le fait que le loup ne fasse pas d'autre bruit montre sa soumission au corbeau, qui fait respecter le silence (-> v. 401). Murmurare désigne d'autres sons ténus en perist. 9, 102 ; 12, 32. malignum murmurans : allitérant. malignum : neutre de l'adj., sens adverbial. Au v. 186, maligne (connotation diabolique) est utilisé dans une adresse du martyr au juge (->).

      418 : leui uolatu : les battements d'ailes (vv. 410-411 infestus alarum sono | oculosque pinnis uerberans ; 416). Leuis est un epitheton ornans (perist. 2, 346 ; psych. 135 cum uentosa leui cecidissent tela uolatu). exterritus : cf. cath. 1, 39-40 (démons) gallo canente exterritos | sparsim timere et cedere.

      419 : prædamque : ce nom est utilisé en c. Symm. 2, 1050 dans une métaphore relative au salut (proiecta fides hosti sit præda uolucri), analogue à celles des vv. 19 captator ut uitulum lupus ; 79 uestræ et salutis aucipes. uisam : le loup a dû se contenter de voir le martyr, sans y toucher (alors que les fidèles ont même léché ses plaies, cf. v. 337-340). Ailleurs, les persécuteurs voient (perist. 3, 163 uisa ; 171 uidit) une colombe s'échapper de la bouche de la martyre lors de sa mort et s'enfuient (perist. 3, 174-175 fugit | ... fugit ; cf. ici fugerat). fugerat : après sa fuite (-> 2, 468), le démon sera écrasé, terrassé (cf. v. 543-544).

      420 : custodis : repris à propos du sac dans lequel le cadavre sera jeté (v. 491-492 tantique custos pigneris | fiscella). Custos, désignant surtout le protecteur, n'était pas utilisé à propos du geôlier (-> v. 310). imbellis : cf. Stat. Theb. 12, 18 Idaliæ uolucres... imbellis... citant ad proelia pinnas. Le corbeau n'attaque qu'avec ses plumes (-> v. 411), miracle (cf. v. 413-416) qui correspond à l'idée de douceur liée au christianisme (cf. N.T. Matth. 5, 4 beati mites). Ainsi, le triomphe de s. Laurent n'est pas remporté turbulentis uiribus (perist. 2, 13) et le martyr, dont la seule force est la foi (perist. 2, 17 armata pugnauit fides) ne s'est pas muni d'une arme matérielle (perist. 2, 502-504 non ense præcinxit latus, | hostile sed ferrum retro | torquens in auctorem tulit). minis : l'attitude du corbeau, plus que les coups (cf. v. 410-411), a chassé le loup, alors que ni les menaces (v. 290 poenæ minacis munia), ni la torture n'ont fait reculer le martyr.

      421-432 : le narrateur s'adresse directement à un personnage du poème, fait unique chez Prudence ; le poète le fait, hors récit, dans des prières au martyr (ici, vv. 1-16. 537-576)

      
421-424 Quis audienti talia,
Datiane, tunc sensus tibi,
quantis gementem spiculis
figebat occultus dolor,
Quels furent alors tes sentiments, Datien, quand tu entendis de tels faits ? Quels aiguillons puissants ta douleur cachée ne fichait-elle pas en toi, qui gémissais, ...

      421 : cf. Verg. Æn. 4, 408 quis tibi tunc Dido cernenti talia sensus... ? quis : interrogatif adj. (quis pour qui : -> v. 129) accordé avec sensus (v. suiv.) ; cf. vv. 429. 431 quis... exitus (-> v. 413-416). audienti : la fin de la passion se déroule en l'absence du juge, qui réagit à des rapports oraux (v. 325-326 implentur aures turbidi | prætoris hoc miraculo). talia : les épisodes miraculeux.

      422 : Datiane : même vocatif en début du v. 40 (->). tunc : la question du narrateur est rétrospective, mais la réponse, au futur, sera insérée dans le déroulement du récit (vv. 433 nec unquam desinam ; 437 mergam ; 443 feretur ; 448 rumpent). sensus : plutôt le sentiment (cf. v. 423-424 ; cf. v. 567) que l'avis, la décision.

      423-424 : cf. perist. 9, 8 dolorum acumina ; 62 sæuire solis... dolorum spiculis ; 10, 579-580 nec dolorum spiculis | uictum fatiscit ; -> v. 41.

      423 : quantis... spiculis : selon Bergman (éd., p. 555), quantus remplace ici quot ; avérée en perist. 11, 11 (->), cette confusion est peu probable ici, le sens classique d'intensité convenant mieux au contexte. La forme spiculis occupe aussi la fin du v. 261 (tessons qui jonchent la couche) ; les passages se répondent, le juge étant puni selon une talio analogica (-> 14, 48-49) qui, faute de le punir par là où il a péché, lui inflige un châtiment analogue à celui qu'il avait décrété. gementem : de même, à propos du juge, v. 327 (->).

      424 : figebat : -> v. 228. occultus... dolor : la passion du martyr est extrinsèque (-> v. 160), la douleur du juge est morale : v. 327-328 flet uictus et uoluit gemens | iram, dolorem, dedecus.

      
425-428 cum te perempti corporis
uirtute uictum cerneres,
ipsis et impar ossibus,
uacuisque iam membris minor ?
lorsque tu voyais que par la vertu d'un corps défunt, tu étais vaincu, ne pouvant faire face même à ses ossements, plus faible que des membres maintenant sans vie ?

      425 : perempti corporis : le cadavre du martyr est désigné ailleurs par cadauer (vv. 387. 437. 458), uacua membra (v. 428), corpus (vv. 454. 470. 511. 521), ossa (vv. 389. 427), uiscera (v. 448), artus (v. 499), et aussi par corpus sacrum (v. 393), sanctum corpus (v. 486), sacra uiscera (v. 506-507), beata ossa (v. 516). Peremptus prend le même sens de 'mort' p.ex. en perist. 4, 135 ; 10, 605. 642. Sur les formes de corpus en fin de v., -> 2, 59.

      426 : uirtute : la uirtus du martyr, surhumaine, participe de la uirtus divine (cf. v. 473-476 ; -> v. 91) et parvient à vaincre persécuteurs et démon (v. 543-544) - cf., dans les exorcismes, perist. 1, 106 ; 4, 110. uictum : -> v. 367. cerneres : cf. v. 334 turbam fidelem cerneres (->).

      427 : ipsis... ossibus : la victoire d'ossements inanimés, paradoxale (cf. ipsis), dépasse même l'affirmation du martyr que le juge parviendrait à détruire sinon son âme, du moins son corps (v. 161-164). Les reliques ont une vertu propre (cf. v. 425-426), fait reconnu par les fidèles (cf. v. 341-344), qui justifie une expression comme beatis ossibus (v. 516). impar ossibus : cf. Hor. carm. 4, 6, 5 tibi miles impar.

      428 : uacuis... membris : le cadavre (-> v. 425) ; même synecdoque p.ex. au v. 155 (->). Vacuus est métaphorique et elliptique ; le motif du corps, pur contenant pour l'âme, se retrouve au v. 301 caducum uasculum ; cf. cath. 10, 33-34 quod requiescere corpus | uacuum sine mente uidemus. minor : reprise de l'idée exprimée par uictum (v. 426) ; cf. v. 132 tortore tortus acrior.

      
429-432 Sed quis, tyranne pertinax,
hunc impotentem spiritum
determinabit exitus ?
Nullusne te franget modus ?
Mais quelle issue, tyran opiniâtre, imposera une limite à l'esprit effréné qui est le tien ? Aucune modération ne te fera-t-elle fléchir ?

      429 : quis : adj. interrogatif (quis pour qui : -> v. 129), accordé avec exitus (v. 431 ; hyperbate) ; cf. v. 421-422 quis... sensus (-> v. 413-416). tyranne : le martyr interpelle ainsi son juge (-> v. 168 ; même place dans le v.). pertinax : péjoratif ; cf. præf. 14.

      430 : hunc laisse un doute : le juge est-il inspiré ou possédé (-> v. 202-204) par le démon ? Le juge est semblable aux idoles, habitées d'un esprit (v. 77 sunt et illic spiritus), mais impuissantes (vv. 71-72. 80). Au contraire, l'esprit du martyr, soumis à Dieu (v. 172), est impassible, inviolable (vv. 157-160. 169-171) et vainqueur (v. 167-168). impotentem : comme les démons (-> v. 80), le juge est impuissant et déchaîné (double sens d'impotens). spiritum : nom désignant le siège des sentiments ou des décisions (ici et v. 240) ou l'âme (-> 2, 488). Plutôt que de traduire 'orgueil' (Lavarenne), il faut lui garder un sens métaphysique très général.

      431 : exitus : le narrateur laissant l'espoir d'une issue, il n'y a pas lieu de traduite exitus par 'échec' (comme Lavarenne). Ce nom est utilisé à propos de la mort du martyr (vv. 291-292 pulchroque mortis exitu | omnis peracta est passio ; 528 mortis supremus exitus), qui aurait dû marquer la fin du supplice - le narrateur s'émeut de cette péripétie monstrueuse.

      432 : question plus orientée (nullusne au lieu de quis) que la précédente, et aussi plus personnelle, l'aspect envisagé étant non une limite extérieure, objective (determinabit exitus, v. 431) mais une disposition intérieure, subjective. franget : il semble que l'impotens spiritus (v. 430) du juge soit plus difficile à briser que le corps du martyr (v. 164 quocumque frangendum modo) ; cependant, cf. v. 381-382 sæuire inermem (cf. v. 430 impotentem) crederes | fractis draconem dentibus. modus : 'mesure', plutôt que 'limite', comme traduit Lavarenne.

      
433-436 " Nullus, nec umquam desinam ;
nam si ferina immanitas
mansuescit, et clementia
coruos uoraces mitigat,
" Aucune, et je ne cesserai jamais ; car si la férocité des bêtes s'adoucit, et que la clémence pacifie les corbeaux voraces, ...

      433 : nullus : réponse négative à la question nullusne... modus ? (v. préc.). nec umquam desinam : cf. c. Symm. 2, 114-115 numquam | desinere idque homini dare, quod non desinat umquam (Dieu rétribuant les justes). Pour un homme, prétendre à une action sans fin relève de l'hybris ; manque de retenue semblable chez le juge en perist. 11, 43. Cette idée est reprise au v. 438 par numquam (action de la mer) ; en fait, la tentative suivante sera la dernière. desinam : cf. perist. 10, 1100 (le martyr au juge) cedas necesse est uictus et iam desinas ; 11, 63-64 (le juge au bourreau) iam, tortor, ab unco | desine, si uana est quæstio, morte agito.

      434 : ferina immanitas : allusion à immanem lupum (v. 412) ; cf. psych. 795 immanes feritate lupi ; c. Symm. 1, 459 immanes populi de more ferino ; 2, 291-293 immanes quondam populi feritate subacta | ... iterum ferinos | in mores redeant. Cf. aussi Sen. Med. 407 ferarum immanitas.

      435 : mansuescit : même début de v. en perist. 2, 439. clementia : nom abstrait, sujet de mitigat ; en perist. 2, 17, la vertu de fides est personnifiée - toute la Psychomachie est basée sur l'allégorie morale. La clementia (cf. perist. 13, 65) est l'opposé de l'acharnement du juge.

      436 : coruos uoraces : cf. cath. 6, 63-64 alterum rapaces | fixum uorant uolucres. La voracité est typique du corbeau (-> v. 405). mitigat : reprise de l'idée de manscuescit (v. préc.) ; cf. de même perist. 10, 1067 ; 13, 12.

      
437-440 " mergam cadauer fluctibus :
insana numquam naufragis
ignoscit unda et spumeum
nescit profundum parcere.
" ... j'engloutirai le cadavre dans les flots : jamais l'onde déchaînée ne pardonne aux naufragés, et les profondeurs écumeuses ne connaissent pas la merci.

      437 : le juge veut noyer le cadavre, comme dans le supplice de s. Quirin (perist. 7 ; cf. aussi perist. 11, 69-76) ; ce moyen de soustraire le corps du martyr au culte des fidèles est utilisé p.ex. contre les palatins de Nicomédie (cf. Evs. Cæs. hist. eccl. 8, 6, 7). mergam... fluctibus : fluctibus est soit un dat. de direction, soit un abl. de lieu (cf. perist. 14, 115 mergit... inferis) ; -> 13, 84. cadauer : -> v. 425 ; même forme aux vv. 387 (->) et 458 ; ici et au vv. 458 (claudat cadauer culleus), cette position semble refléter l'action envisagée. fluctibus : cf. Lvcan. 8, 709 (cadavre de Pompée) hausto per uulnera fluctu ludibrium (cf. v. 442 ludibria) pelagi. La forme fluctibus se retrouve à la fin du v. 492 fiscella fertur fluctibus.

      438-440 : insana... unda et spumeum... profundum : expressions parallèles (sens, structure), également par les verbes dont elles sont sujet (numquam... ignoscit et nescit... parcere).

      438 : insana : cet adj. qualifie aussi le juge (-> v. 203). Le Christ soumet les éléments déchaînés (apoth. 650 insanos uideo subito mitescere uentos). numquam naufragis : termes s'appliquant aussi bien à ignoscit (v. suiv.) qu'à parcere (v. 440). Sur numquam, -> v. 433.

      439 : ignoscit : sujet de ce verbe et de nescit (v. 440), la mer est personnifiée. Le juge pense trouver un allié dans cet élément sauvage (v. 438 insana), incontrôlé (v. 440 nescit) ; en fait, la mer obéira à Dieu (v. 485-488) comme déjà aux temps bibliques (v. 473-484). Ignoscere n'est employé chez Prudence qu'ici et en perist. 10, 301. unda : même désignation de la mer (au plur.) aux vv. 461. 479. 532. spumeum : cf. vv. 204 spumasque frendens egerit (le juge) ; 490 spuma candens (la mer) ; cf. perist. 1, 101 spumeas efflans saliuas (un possédé).

      440 : nescit : -> 13, 5. profundum : adj. substantivé, désignant les profondeurs de la mer (cf. vv. 445-448 ; 460 in altum), év. la mer en général (cf. ici unda ; cf. Verg. Æn. 12, 263).

      
441-444 " Aut semper illic mobilis
incerta per ludibria
uagis feretur flatibus,
squamosa pascens agmina,
" Soit il se laissera porter, toujours en mouvement, là-bas, au gré fantaisiste du hasard, par des souffles vagabonds, servant de pâture aux bandes couvertes d'écailles, ...

      441-444 : la mer, lieu mouvant (comme le monde : perist. 14, 97-99) ; cf. Lvcan. 8, 708-710 (cadavre de Pompée) pulsatur arenis, | carpitur in scopulis hausto per uulnera fluctu | ludibrium pelagi.

      441 : semper : la protection du corbeau était permanente (v. 408 irremotus excubat) ; cherchant un châtiment sans fin, le juge utilise aussi un tel moyen. illic : en haute mer (cf. v. 463-464). mobilis : cf. perist. 14, 99 uana sæcli mobilitas. Il y a ici une ironie tragique, tout comme avec ludibria (v. suiv. ; ->) et feretur (-> v. 443) : voulant d'abord que le cadavre soit ballotté par les flots, le juge se ravisera, préférant qu'il soit coulé (v. 459-460 quem... lapis | præceps in altum deprimat) ; ce sera son premier souhait qui, indirectement, sera réalisé.

      442-443 : au lieu de ballotter le corps au hasard, la mer se mettra à son service (v. 486) et le portera avec douceur (vv. 487. 495), vite (v. 497-500), jusqu'à un rivage accueillant (v. 502).

      442 : incerta : aucun expédient ne semble pouvoir contrecarrer les changements de la mer, imprévisibles - mais elle est soumise à Dieu (cf. v. 473-484). ludibria : cf. Verg. Æn. 6, 75 rapidis ludibria uentis ; Hor. carm. 1, 14, 15 tu, nisi uentis | debes ludibrium, caue ; Lvcan. 8, 709. Ce sont des ludibria qui menacent ste Agnès, quand le juge l'expose au lupanar (perist. 14, 30). Ici, la mer se jouera des rameurs, incapables de rattraper le cadavre sur l'eau (v. 497-500).

      443 : uagis... flatibus : l'errance hasardeuse est propre aux démons (-> v. 80), que le juge pense retrouver dans l'élément marin animé par les vents (v. préc. incerta) ; de même, il est dit de Symmaque, comme possédé (c. Symm. 1 præf. 86) : spirat sacrilegis flatibus inscius. En fait, les vents pousseront le corps dans une direction déterminée (v. 496 æstu secundo et flamine). feretur : ironie tragique (-> v. 441) : la prédiction sera réalisée miraculeusement, en dépit de l'ordre de noyer le cadavre : le corps lesté flottera sur l'eau (vv. 490 innatat ; 501 relatos).

      444 : cf. perist. 11, 75-76 squamea cænoso præstabit uentre sepulcrum | belua consumptis cruda cadaueribus. squamosa... agmina : périphrase désignant les bancs de poissons. Agmen peut désigner tout groupe, généralement en mouvement (-> 2, 142). Cf. Plavt. Rud. 942 squamoso pecu ; Colvm. 8, 17, 2 squamosi greges. pascens : verbe utilisé aussi à propos des bourreaux (v. 100 pastos resectis carnibus ; ->), dont les poissons sont censés prendre la place.

      
445-448 " aut sub fragosis rupibus
scabri petrarum murices
inter recessus scrupeos
discissa rumpent uiscera.
" ... soit, au pied de falaises mugissantes, les âpres pointes des récifs rompront ses viscères après les avoir déchirées dans des criques rocailleuses.

      445-448 : déchiqueté par les récifs, le corps de s. Vincent connaîtrait, dans l'eau, le même sort que celui de s. Hippolyte sur un rivage boisé et rocailleux (cf. perist. 11, 119-122).

      445 : fragosis rupibus : emprunt à Avson. 325, 69-70 (suicide) illa cauos amnes rupemque fragosam | insanique metum pelagi, et sine fluctibus æquor ; dans les 2 cas, récifs battus par les flots. Fragosus peut signifier 'escarpé' ou 'rugueux' (perist. 11, 118 ; cf. Ov. met. 4, 778), voire 'grondant', 'mugissant' (cath. 7, 94 ; cf. Verg. Æn. 7, 556) - même incertitude pour apoth. 208 (au figuré). Ici, la 1ère possibilité, plus banale, s'insére néanmoins bien dans un ensemble descriptif plastique (cf. vv. 446 scabri ; 447 scrupeos), et est reflétée au v. suiv.

      446 : scabri : cf. Verg. georg. 1, 495. petrarum : nom d'origine grecque, cf. cath. 5, 11 ; 12, 179 ; Plavt. Bacch. 11 ; Sen. Ag. 468. murices : cf. Verg. Æn. 5, 205 acuto in murice.

      447 : recessus : creux, replis (-> v. 150). scrupeos : 'rocailleux' (Verg. Æn. 6, 238 ; Avson. 398, 3) ou 'semé d'écueils' (Sen. Ag. 556 ; Avson. 338, 3-4) ; 2 sens possibles, selon la signification donnée à recessus : crique semée d'écueils (par opposition à amoeni litoris | secessus, v. 505-506) ou év. creux rocailleux dans les récifs (cf. v. 445 sub fragosis rupibus).

      448 : discissa : cf. perist. 11, 119 scissa minutatim labefacto corpore frusta ; psych. 724-725 discissum foedis animalibus omne cadauer | diuiditur. rumpent uiscera : cf. perist. 10, 448 non rupta sulcis dissecatis uiscera ; 11, 131 rumptis compagibus ; 136 uisceribus laceris. Viscera désigne le cadavre (-> v. 425) - moins par une synecdoque (cf. v. 507) qu'en référence au corps réellement mis en pièces (cf. perist. 11, 136).

      
449-452 "Ecquis uirorum strenue
cymbam peritus pellere
remo, rudente et carbaso,
secare qui pontum queas,
" Y a-t-il, parmi mes hommes, quelqu'un, toi ou toi, qui puisse avec hardiesse propulser habilement une barque à l'aide de la rame, du cordage et de la voile, et fendre les flots ?...

      449-452 : après une réponse au narrateur et une réflexion personnelle, le juge s'adresse à la cantonnade, faisant d'ecquis (v. 449) le sujet non d'un verbe à la 3e pers., mais des formes queas (v. 452), rapias (v. 453) et auferas (v. 456) ; plutôt que de voir ici (comme Lavarenne § 197) un triple potentiel indéfini, on a la manifestation du trouble du juge, et aussi un moyen de changer d'interlocuteur sans ambiguïté, ecquis marquant une rupture.

      449 : ecquis uirorum : ici avec le gén. partitif, ecquis se retrouve en c. Symm. 2, 14. 84.

      450 : cymbam pellere : cf. perist. 11, 69-70 en tibi quos properes rimosæ imponere cymbæ, | pellere et in medii stagna profunda freti. Pellere est repris aux vv. 503-504 pulsa summis nisibus | carina. Cymba désigne une barque, une chaloupe ; cf. vv. 455 leuique... lembulo ; 498 phaselo ; 504 carina. Cf. c. Symm. 2, 530 tenues cymbæ fragilesque phaseli. À côté de cymbam, les mss ont les graphies cimbam et surtout cumbam (retenue par les éditeurs) ; hésitations analogues avec Assur (ham. 449) et Sagyntus (perist. 4, 100). peritus : même tour avec l'infinitif en perist. 9, 23 ; 10, 870.

      451 : le juge détaille le gréement de la barque, avant de préciser le matériel nécessaire à préparer le cadavre pour la noyade (v. 457-460) et le parcours (v. 461-464). La uirtus du martyr conférée par le Christ parviendra à vaincre ces techniques (celles du juge, peritus artifex [v. 254] et du pilote, cf. rudente et carbaso) et la force physique (celles des rameurs, remo, et des éléments déchaînés). remo : la rame, cf. v. 462 palmula. rudente et carbaso : quasi hen-diadyn, les cordages (rudente) n'étant pas à eux seuls un moyen de propulsion (cf. v. préc. pellere) ; l'expression désigne les voiles (carbaso) manoeuvrées par des cordages. Rudens se retrouve dans un contexte nautique en c. Symm. 2 præf. 13 ; cf. aussi perist. 11, 104.

      452 : secare... pontum : cf. v. 498 pontum phaselo scindere.

      
453-456 " rapias palustri e cæspite
corpus, quod intactum iacet,
leuique uectum lembulo
amplum per æquor auferas ?
" ... Arracherais-tu le corps aux herbes maré-cageuses, où il gît intact, et l'emporterais-tu à travers la vaste étendue de la mer en le transportant sur un canot léger ?

      453 : rapias : le loup (rapacem beluam, v. 414) avait fui devant le corps du martyr ; le juge, comparé à un loup aux vv. 19-20 (captator ut uitulum lupus | rapturus), cherche un homme pire que le fauve. palustri e cæspite : rappel du paysage où le corps avait été exposé (v. 396 inter carices ; ->). cæspite : possible allusion au sens funéraire de cæspes (-> 12, 8).

      454 : corpus : -> v. 425. intactum : devenu sacré par les atteintes mêmes de la passion, le corps des martyrs est souvent protégé ou préservé (cf. perist. 6, 105 intacta cute decidunt adusti ; 14, 8), à l'image de l'âme (v. 159 liber, quietus, integer). iacet : -> 11, 11 ; cf. v. 260 iacentis.

      455 : leui... lembulo : expression redondante, lembulus étant un diminutif (attesté pour la 1ère fois ici et chez Pavl. Nol. epist. 49, 1. 8, pp. 391, 6 ; 397, 15) de lembus, qui désigne une embarcation légère (-> v. 450). Cette légèreté souligne l'audace de l'homme de main, qui va en mer dans la tempête (cf. v. 472), et explique la rapidité du bateau (v. 497-498 concito... phaselo). uectum : participe utilisé au v. 494 à propos de la pierre destinée à couler le cadavre, qui flotte jusqu'au rivage. L'emploi de uehere dans un contexte nautique est bien attesté (Cic. Tusc. 1, 73) ; cf. perist. 7, 46-47 dicentem fluitantibus | amnis terga uehunt uadis ; 11, 72.

      456 : amplum per æquor : amplum n'est pas qu'un epitheton ornans : le juge précise (v. 463-464) que son intention est de jeter le cadavre au large. Per æquor se retrouve en perist. 11, 71; cf. v. 477 ; cath. 3, 46 per æquora. auferas : reprise de l'idée exprimée par rapias, v. 453.

      
457-460 " Sed complicatum sparteus
claudat cadauer culleus,
quem fune conexus lapis
præceps in altum deprimat.
" Mais que le cadavre, enroulé dans un sac de sparterie, y soit enfermé, et qu'une pierre, attachée au sac par un câble, le précipite tout droit au fond de la mer.

      457-460 : comme dans le cachot, le martyr est enfermé dans les profondeurs, soustrait à la vue. L'exposition correspondait à la remise aux bourreaux, pastos resectis carnibus (v. 100).

      457-458 : ce sac, mentionné aux vv. 469-470 funale textum conserit, | suto quod implet corpore, est comme un autre des uincula (-> v. 109). Cf. le châtiment du culleus, infligé aux parricides (vivants), cousus dans un sac de cuir (parfois avec qu'un chien et une vipère vivants) pour être noyés - supplice réintroduit par Constantin en 318 (cf. Cod. Theod. 9, 15, 1).

      457 : sed : rupture de ton (du mode interrogatif à l'impératif). Ces ordres ne sont pas donnés à la 2e pers. du plur., puis (après at tu, v. 461) à la 2 e pers. du sing. (Lavarenne) ; on aura 2 formes impersonnelles au subj. (vv. 458 claudat ; 460 deprimat : ordres sous forme de souhait) n'exprimant plus l'idée délibérative de queas, rapias et auferas (vv. 452. 453. 456) - nouvelle gradation au quatrain suiv. complicatum : même idée de piège qu'avec implicare (menace adressée au juge : v. 199-200 bitumen et mixtum pice | imo implicabunt tartaro) : cette tentative semble vouée à l'échec, vu le miracle qui avait fait sauter ses entraves dans le cachot (vv. 271-272. 323). Cf. ham. 199 complicat ecce nouos sinuoso pectore nexus (démon). sparteus : cf. Cato agr. 3 ; Colvm. 12, 52, 8. La sparterie, sorte de jute grossier, contraste avec la mollesse du lit de mort (vv. 335. 365-366) et avec le lin destiné à éponger son sang (v. 341) ; le mort reçoit une sorte de linceul, dont il était privé durant l'exposition (v. 395 nudum negato tegmine).

      458 : triple allitération en c- ; inclusion mimétique de cadauer entre claudat et culleus. cadauer : à la même position dans les vv. 387 (->) et 437 (avec peut-être aussi un mimétisme : mergam cadauer fluctibus). culleus : terme technique désignant le sac où l'on cousait les parricides (cf. ci-dessus). Ce sac (-> v. 469) deviendra tantique custos pigneris (v. 491), comme le fut le corbeau.

      459 : quem : culleus et non cadauer (v. préc.) ; de même, au v. 495, uectam s'accordera avec fiscella (v. 494), non avec pigneris (v. 493) qui désigne le cadavre. fune : câble, corde (amarres, en cath. 7, 107) ; sens proche de rudens (v. 451). conexus : même thématique des liens (-> v. 109) qu'avec complicatum (v. 457). lapis : ce lest destiné à couler le martyr (cf. v. suiv. et v. 489 saxum molaris ponderis) sera comme une bouée (v. 489-490). La pierre attachée à s. Quirin est désignée de même : perist. 7, 24-25 suspensum laqueo... | ingentis lapidem molæ (cf. v. 489 molaris) ; 30 saxi pondera ; 49 saxoque ; 75 scopulum ; 82 silicem ; 89 pondus... saxeum.

      460 : præceps : cf. perist. 7, 23 in præceps fluuio datur ; 13, 85 præcipitemque globum fundo tenus implicauit imo (Massa Candida) ; cath. 7, 113 præceps rotatur et profundo immergitur (Jonas). in altum : cette expression prend le sens opposé au v. 235 tenditque in altum lumina. Il y a là un trait emblématique, récurrent : le païen regarde vers le bas (matière ; affaires du 'siècle' ; Enfer), le chrétien, vers le haut (réalités spirituelles et éternelles ; Ciel) ; cf. perist. 10, 371-375, en part. 375 subiecta semper intuens, numquam supra. deprimat : sens proche de mergere (cf. v. 437 mergam) ; les deux verbes se retrouvent en perist. 14, 117 et 115.

      
461-464 " At tu per undas emices
rorante præpes palmula,
donec relictum longior
abscondat aspectus solum. "
" Et toi, élance-toi à travers les ondes, d'un vol rapide, avec ta rame ruisselante, jusqu'à ce que ton regard trop lointain ne voie plus la terre ferme, cachée, que tu avais quittée." 

      461 : at : comme sed au quatrain préc. (-> v. 457), at ne marque pas d'opposition, mais un changement de ton ; le juge passe du souhait à un ordre adressé à un interlocuteur (tu), identifié au quatrain suiv. per undas : sur unda, -> v. 439. L'homme de main acceptera même de partir inter procellas (v. 472). emices : mouvement rapide, léger et vigoureux, comme celui de l'âme allant au Ciel (-> 14, 91) ; désignant ici celui du bateau léger (v. 455 leui... lembulo) et rapide (v. 497 concito), ce verbe suggère l'impatience du juge, partagée par l'homme de main.

      462 : rorante : l'image de la rosée est fréquente, pour des liquides divers (-> 11, 142) ; ici, rorans est un epitheton ornans appliqué à palmula, suggérant peut-être la rapidité du mouvement. præpes : cet adj. apposé correspond, pour l'homme de main (horizontalement), à præceps (v. 460) pour le martyr (verticalement). Il évoque la rapidité du vol (cf. cath. 7, 32 currusque raptus euolauit præpete) et s'accorde bien avec emices (v. préc.). palmula : la pale de l'aviron (cf. Serv. Æn. 5, 163 ; Isid. orig. 19, 2, 7), détail désignant la rame (cf. v. 451), qui, avec la voile, propulse ce bateau ; cf. Catvll. 4, 4 siue palmulis opus foret uolare, siue linteo.

      463-464 : l'image de la terre ferme qui s'amenuise jusqu'à disparaître, pour désigner le mouvement du bateau (imperceptible sinon par ce point de repère) s'inspire d'un passage célèbre de Virgile (Æn. 3, 290-293, en part. 291 protinus... abscondimus arces - cf. ici abscondat).

      464 : abscondat : au-delà de l'expression poétique de l'idée de haute mer, la mention d'une dissimulation traduit, sinon la honte du juge, du moins la crainte diffuse d'un autre miracle. solum : cf. perist. 7, 31 eminus e solo ; 10, 326 cælum solumque, uim marini gurgitis.

      
465-468 Hæc iussa quidam militum
- Eumorphio nomen fuit -
uiolentus, audax, barbarus,
furore feruens adripit.
Ces ordres, un des soldats - Eumorphion était son nom -, emporté, téméraire, barbare, tout brûlant de folie furieuse, s'en empare.

      465 : hæc iussa : les préparatifs (v. 449-460) et les ordres du juge (quatrain préc.). De tels ordres sont souvent désignés par iubere (-> 13, 37), en l'espèce le participe iussum (perist. 10, 998 ; 14, 13) ; ils sont contrecarrés par ceux, tout-puissants, de Dieu (vv. 481 iusserat ; 485 nunc iubet). quidam militum : pronom indéfini avec gén. partitif (cf. v. 449 ecquis uirorum). Quidam est aussi utilisé à propos de personnages secondaires en perist. 2, 490 quidam patres ; 9, 69 ; 10, 896 Aristo quidam medicus accitus uenit. Même si, du temps de Prudence, miles peut désigner tout fonctionnaire, il s'agit probablement d'un soldat ; ses qualificatifs (v. 467-468) répondent au stéréotype du reître sanguinaire (cf. perist. 1, 31-32 nec rudem crudi laboris ante uitam duxerant - à propos de soldats martyrs). Les assistants du juge sont aussi désignés ainsi en perist. 10, 42 Asclepiades ire mandat milites ; 451 milites teterrimi ; 14, 65 i, stringe ferrum, miles.

      466 : Eumorphio : Prudence rapporte ici le nom de l'homme de main, après avoir donné celui du juge, Datianus (-> v. 40). Au-delà de l'anecdote, cette précision peut vouloir renforcer le crédit du récit sur le plan historique. Eumorphio peut aussi bien être un nomin. qu'un datif, selon la déclinaison ; ici, les 2 tours sont possibles : cf. Cic. Brut. 225 ei saltationi Titius nomen est (nomin.) ; Plavt. Rud. 5 nomen Arcturo est mihi (dat.).

      467 : 3 adj. en asyndète (-> v. 61). uiolentus, audax : ici péjoratifs, ces adj. qualifient des martyrs en perist. 4, 111 uiolenta uirgo ; 10, 895 (dans la bouche du juge). audax : contrairement aux animaux (cf. audere au v. 399 ; ->), le soldat ose toucher le cadavre du martyr pour le profaner. barbarus : les païens sont barbares (cf. perist. 2, 4) sur le plan religieux - et, ici, moral ; cf. perist. 1, 47 barbaras... tortor exercet manus ; 4, 121 barbarus tortor.

      468 : furore feruens : cf. perist. 2, 166-167 furebat feruidus | iudex auaro spiritu ; 12, 23 feruidum furorem. Sur feruens, -> v. 227. Le furor (-> 14, 63) caractérise aussi le juge (cf. v. 162). adripit : expression imagée (objet : hæc iussa, v. 465) ; adripit fait écho à rapias (v. 453). Cette précipitation est à la fois une fuite en avant et la marque d'une volonté d'en finir (cf. perist. 11, 69 ; ->) : l'embarcation est rapide (cf. vv. 455. 497-498), le départ a lieu malgré la tempête (v. 472), le cadavre ne sera pas seulement jeté à l'eau, mais noyé (v. 460 præceps in altum deprimat).

      
469-472 Funale textum conserit,
suto quod implet corpore,
emensus et multum freti
inter procellas excutit.
Il attache ensemble du tissu de corde, le remplit du corps qu'il y coud ; ayant parcouru un long chemin sur les flots, il jette par-dessus bord [le sac] au milieu des tempêtes.

      469 : funale textum : le sac confectionné par le soldat ne correspond pas exactement au culleus de sparterie demandé par le juge (v. 457-458), mais s'apparente à un filet (cf. v. 459 fiscella) fait de cordes (funale ; on a funus au v. 459). conserit : cf. v. 457 complicatum.

      470 : suto : même participe dans un contexte voisin, mais appliqué à un objet distinct, en perist. 11, 71-72 quos ubi susceptos rabidum male suta [cymba] per æquor | uexerit. implet : verbe pris au sens propre de 'remplir' (il l'est au figuré au v. 407). corpore : -> v. 454 ; 2, 59.

      471 : emensus : même sens classique en Liv. 27, 43, 1 ; Verg. Æn. 11, 244. multum freti : seul emploi chez Prudence de multum suivi du génitif. Fretum, poétique, se trouve dans le passage parallèle perist. 11, 70 pellere et in medii stagna profunda freti ; cf. psych. 660-661 inter freta... | ... subsistente procella ; c. Symm. 1 præf. 45 post hiemem uimque trucis freti ; 2 præf. 43 tergum per tumidum freti ; 50 uoluat per freta naufragum.

      472 : inter procellas : élément dramatique suggestif, qui met sous un jour nouveau l'impatience et l'audace du soldat (v. 467-468) et la violence des flots dont parlait le juge (v. 441-448), et ménage un contraste avec la manière, douce et paisible, dont la mer et les vents conduiront le corps au rivage (vv. 487 quietis lapsibus ; 495-496 labi... leniter | æstu secundo et flamine). excutit : conclusion du 1er des 2 volets du récit (ordres du juge et accomplissement).

      473-480 : cri d'admiration (introduit par o ; -> 13, 11) pour la uirtus divine, qui a créé l'ordre naturel (v. 474) et l'a dépassé dans le miracle du Christ marchant sur les eaux (-> v. 475-480).

      
473-476 O præpotens uirtus Dei,
uirtus creatrix omnium,
quæ turgidum quondam mare
gradiente Christo strauerat,
Ô toute-puissante vertu de Dieu, vertu créatrice de toutes choses, qui avais terrassé jadis la mer houleuse, pendant que s'avançait le Christ, ...

      473 : præpotens : adj. exprimant ici moins l'idée absolue de toute-puissance que celle de prééminence relativement au pouvoir du juge. uirtus Dei : cf. perist. 7, 71-72 hæc miracula sunt tuæ | uirtutis, Domine. Le Christ est lui-même uirtus Patris (perist. 2, 414 ; sur uirtus, -> v. 91).

      474 : par la reprise de uirtus, ce v. introduit la série des analogies, dont le terme commun est l'action de la puissance divine, uirtus créatrice (ici ; perist. 10, 325 quidquid usquam est, una uirtus condidit), libératrice (v. 481) et salvatrice (perist. 7, 71-75), qui exorcise les démons (v. 89-92). creatrix omnium : cf. perist. 10, 310 quæ creauit omnia ; 469 rerum creator ; 13, 55 omnipotens genitor Christi Deus et creator orbis. Cf. aussi v. 23-24 seruire sanxit omnia | priscis deorum cultibus.

      475-480 : évocation du miracle du Christ marchant sur les eaux (N.T. Matth. 14, 23-34 ; Marc. 6, 47-53 ; Ioh. 6, 18-21) ; cf. perist. 7, 59 (imitation de perist. 5 : cf. Introd. § 184) ; 10, 947-950 ; cath. 9, 49-51 ; apoth. 653-656. Prudence s'appuie sur la version matthéenne (où à la marche du Christ sur les eaux est associée celle de Pierre) en perist. 7, 61-65 ; c. Symm. 2 præf. 1-43 ; ditt. 137-140. On retrouve les motifs du frêle esquif (-> v. 455 ; cf. N.T. Matth. 14, 24 ; Ioh. 6, 22 nauicula), de l'éloignement des terres et des efforts des rameurs (vv. 461-464. 497-498 ; N.T. Matth. 14, 24 et Marc. 6, 47 in medio mari ; Marc. 6, 48 laborantes in remigando ; Ioh. 6, 19) et de la stupeur des matelots (v. 493 cernunt stupentes nauitæ ; N.T. Matth. 14, 26 ; Marc. 6, 50 uiderunt et conturbati sunt ; 51 plus magis intra se stupebant ; Ioh. 6, 19 timuerunt). Cf. N.T. Ioh. 6, 21 uoluerunt ergo accipere eum in naui et statim fuit nauis ad terram quam ibant : l'équipage fait le contraire des Apôtres qui, accueillant le Christ, arrivent à bon port.

      475 : turgidum... mare : de même, Hor. carm. 1, 3, 19 ; cf. N.T. Ioh. 6, 18 mare autem uento magno flante exsurgebat. On a souvent turgidus dans un sens moral (-> 2, 208). quondam : les temps évangéliques ; ailleurs, un passé plus récent (perist. 1, 94 ; 2, 518 ; 11, 19).

      476 : gradiente : cf. c. Symm. 2 præf. 65-66 sensim gradiens uadis | insistam fluctibus (image qui suit le récit de la tempête apaisée). strauerat : sternere peut prendre des sens presque opposés : ici, 'écraser' (cf. cath. 9, 39 mitis unda sternitur), souvent, 'joncher' (-> v. 260), au passif 'se prosterner' (-> v. 564).

      
477-480 ut terga calcans æquoris
siccis mearet passibus,
plantas nec undis tingueret
uasti uiator gurgitis !
pour qu'en foulant le dos des vagues, il passât sans mouiller ses pas et ne trempât pas la plante de ses pieds dans les ondes, lui qui faisait route sur le gouffre immense !

      477 : calcans terga : cf. apoth. 653-654 uideo calcatus eundem | cum patitur gurges, tergum solidante liquore ; c. Symm. 2 præf. 18 (cité ci-après) ; 42-43 docet ingredi | tergum per tumidum freti. Par métaphore, tergum désigne le dos, c'est-à-dire la surface de la terre (Verg. georg. 1, 97), d'un fleuve (Ov. ars 2, 655), ici de la mer (psych. 651, cité ci-après). Cf. Sen. Herc. f. 539 calcauitque freti terga rigentia. Calcare désigne au v. 168 la domination de l'âme du martyr sur la fureur du juge ; ici, son corps dominera la mer. æquoris : cf. v. 456.

      478 : siccis... passibus : cf. apoth. 666 non submersus iter sola pendulus et pede sicco ; c. Symm. 2 præf. 18-20 calcantem pedibus mare | ac si per solidam uiam | siccum litus obambulet ; psych. 651-653 Israhel... ponti post terga minacis, | cum iam progrediens calcaret litora sicco | ulteriora pede (Exode, cf. quatrain suiv.). Cf. Ov. met. 10, 654 posse putes illos sicco freta radere passu. Passus désigne métaphoriquement la plante des pieds (cf. v. suiv. plantas).

      479 : plantas : cf. apoth. 655-656 ipse super fluidas plantis nitentibus undas | ambulat ; ditt. 139-140 mortalis trepidatio plantas | mergit (cf. perist. 7, 65 subiecisse salum solo). Ici au sens propre ('plante des pieds'), planta désigne l'ensemble du pied au v. 251 (->). undis : -> v. 439. tingueret : -> v. 342 ; à propos de s. Pierre sur les eaux, cf. perist. 7, 62-63 cum uestigia tingueret | uasti uiator gurgitis ; c. Symm. 2 præf. 33-34 uestigia fluctibus | summis tinguere.

      480 : uasti... gurgitis : expression hyperbolique, s'agissant du lac de Tibériade, qui rappelle indirectement que la scène relative à s. Vincent se déroule au large (uasti ; cf. v. 461-464) et en eaux profondes (gurgitis ; cf. v. 460 in altum). uiator : cf. c. Symm. 2, 790-791 gurgitis æstiui sic pura fluenta uiator, | ut latro, fessus adit.

      
481-484 Hæc ipsa uirtus iusserat
Rubrum salum dehiscere,
patente dum fundo aridum
secura plebs iter terit.
Cette vertu elle-même avait ordonné que la mer Rouge se fendît, pendant que, le fond étant à découvert, le peuple foulait tranquillement un chemin sec.

      481-484 : cf. V.T. exod. 14, 21-22 cumque extendisset Moses manum super mare, abstulit illud Dominus flante uento uehementi et urente tota nocte, et uertit in siccum diuisaque est aqua. et ingressi sunt filii Israhel per medium maris sicci. erat enim aqua quasi murus a dextra eorum et læua (évoqué aussi en ham. 471-476 ; ditt. 33-36). En outre, -> 13, 83-85.

      481 : hæc ipsa uirtus : reprise de uirtus (vv. 473. 474) : identité de l'auteur de la création (v. 473), de la marche sur les eaux (v. 475-480) et ici du miracle de la mer Rouge (confusion d'ipse avec idem : -> 2, 427-428 ; de même, v. 485 nec non et ipsa [uirtus]). iusserat : antériorité par rapport aux vv. 475-480 ; cf. iubet à la même place du quatrain suiv.

      482 : Rubrum salum : au lieu de Rubrum mare ; on en aussi une uariatio poétique chez Prop. 1, 14, 12 Rubra æquora. Cf. cath. 5, 59-60 purpurei gurgitis (cf. v. 480 gurgitis) hospita, | rubris litoribus fessa resederat ; ditt. 34 scissim freta rubra dehiscunt (cf. ici dehiscere). Le nom salum désigne en part. la haute mer (Cic. Cæcin. 88), ou la mer agitée (Cæs. ciu. 3, 28, 4). dehiscere : de même (miracles aquatiques), perist. 7, 50 ; ditt. 34.

      483 : patente... fundo : à propos du même miracle, cath. 5, 86-87 ut refluo in solo | securus (cf. v. suiv. secura plebs) pateat te duce transitus. aridum : reprise de l'idée exprimée par siccis (v. 478) à propos du Christ marchant sur les eaux (correspondance symbolique).

      484 : secura plebs : le peuple hébreu (sur plebs, -> v. 391), dont la marche à travers la mer Rouge est (objectivement) sans danger et (subjectivement) confiante, secura ayant ces 2 connotations. iter terit : jeu de sonorités, sorte de palindrome syllabique ; même expression chez Verg. georg. 1, 380 ; Ov. ars 1, 52 ; remed. am. 601. Terere désigne le fait de fouler souvent un lieu de ses pieds (cf. perist. 11, 102 ; c. Symm. 2, 880 hisque uiis, quas uos teritis).

      
485-488 Nec non et ipsa nunc iubet
seruire sancto corpori
pontum quietis lapsibus
ad curua pronum litora.
Elle-même ne fait pas faute, maintenant, d'ordonner à la mer de se mettre au service du corps saint, en le faisant paisiblement glisser sur sa pente, vers la courbure d'un rivage.

      485 : nec non et : même début de v. (cf. p.ex. Verg. Æn. 1, 107 ; georg. 2, 53) en perist. 14, 6 ; cath. 4, 5 ; ham. 222 ; psych. 559. ipsa : comme au v. 481 (->), probable confusion avec idem (-> 2, 427-428). nunc iubet : cf. v. 481 iusserat ; l'ordre de Dieu fait suite à ceux du juge (v. 465 iussa), qu'il annule en pratique ; même emploi de iubet en perist. 9, 86.

      486 : seruire... corpori : la mer, soumise par le Christ, sert le martyr ; de même, après avoir été asservie aux idoles, persécutrice (-> 2, 476), Rome sert Dieu (cf. c. Symm. 2, 442). sancto corpori : cf. v. 393 corpus sacrum (->). Sanctus est déjà utilisé à propos du martyr au v. 222 (->). Sur corpus, -> v. 425 ; 2, 59.

      487 : quietis lapsibus : idée reprise par labi... leniter (v. 495). Cette douceur (v. 495-496 ; sur quietus, -> v. 159) contraste avec la tempête qui sévit (v. 472 inter procellas ; ->). Comme si elle s'inclinait (v. suiv. pronum), la mer fait glisser sur sa surface le sac rempli du corps. Lapsus est utilisé en perist. 12, 37 à propos de l'écoulement bruyant de l'eau dans un baptistère.

      488 : ad curua... litora : le corps va échouer dans la baie de Sagonte (cf. perist. 4, 99-100 prope litus altæ | forte Sagynti), lieu accueillant (v. 500 telluris ad mollem sinum ; 502 humus quieta), contrairement à l'idée que s'en fait le juge (-> v. 447). Litus (ici plur. poétique) est repris aux vv. 505-506 felix amoeni litoris | secessus ille. pronum : telle un fleuve (cf. perist. 7, 60 prona... flumina), la mer s'écoule dans un sens unique ; elle ne s'ouvre pas pour engloutir le cadavre.

      
489-492 Saxum molaris ponderis
ut spuma candens innatat
tantique custos pigneris
fiscella fertur fluctibus.
La pierre, qui avait le poids d'une meule, flotte comme la claire écume, et la corbeille qui garde un si précieux otage est portée par les flots.

      489 : saxum : -> v. 459 ; s. Quirin est attaché vivant à une lourde pierre (perist. 7, 30 saxi pondera ; 89 pondus saxeum) pour être noyé. Ici, saxum permet un rapprochement avec les vv. 243-244 quem saxa mersi fornicis | angusta clausum strangulant (cachot ; ->) ; l'idée d'étranglement et d'immersion, appliquée au lieu où est jeté le martyr, peut se rapporter au cadavre enserré dans une sorte de filet (v. 469 funale textum) pour être coulé. molaris ponderis : cf. perist. 7, 24-25 suspensum laqueo... | ingentis lapidem molæ (cf. ici v. 459 fune conexus lapis). La comparaison avec une meule (percée en son milieu, ce qui permet de l'attacher) est naturelle.

      490 : spuma candens : l'écume blanchit la mer du fait de la tempête (cf. v. 472) ; cf. v. 439 spumeum (->). Appliqué à spuma, l'adj. candens est un epitheton ornans ; cf. cath. 7, 129 salsosque candens spuma tundit pumices. Cf. Catvll. 64, 13 spumis incanuit unda. innatat : le cadavre surnage (sur son mouvement, -> v. 492).

      491 : tantique : -> v. 162. custos : au v. 420, ce nom désigne le corbeau protégeant le cadavre (->). pigneris : cf. vv. 393 corpus sacrum ; 399 tropæum gloriæ. Les reliques sont un gage : cf. perist. 6, 135 fidele pignus ; c. Symm. 1, 584 cinis ille... genitoris amabilis obses ; cf. aussi v. 341-344 plerique uestem linteam | stillante tingunt sanguine | tutamen ut sacrum suis | domi reseruent posteris.

      492 : fiscella : équivalent de funale textum (-> v. 469). Ce diminutif de fiscus désigne usuel-lement un petit panier (cf. Verg. ecl. 10, 71). On a peut-être un rapprochement avec Moïse abandonné sur les eaux du Nil : cf. V.T. exod. 2, 3 sumpsit fiscellam scirpeam et liniuit eam bitumine ac pice, posuitque intus infantulum et exposuit eum in carecto ripæ fluminis (de même, pour s. Vincent : -> v. 396) ; 5 descendebat filia Pharaon... et puellæ eius... quæ cum uidissent fiscellam in papyrione, misit unam e famulis suis. Les outrages successifs du cadavre sont comme préfigurés dans l'épisode relatif à Moïse, évoqué avec la mention du passage de la mer Rouge (v. 481-484) ; s. Laurent est lui aussi comparé à Moïse en perist. 2, 361-368. fertur : idée reprise par uectam (v. 494) et par relatos (v. 501). fluctibus : même forme à la fin du v. 437 mergam cadauer fluctibus.

      
493-496 Cernunt stupentes nauitæ
uectam remenso marmore
labi retrorsum leniter
æstu secundo et flamine.
Les matelots stupéfaits la voient, transportée par le marbre de la mer qui la ramène, glisser doucement vers l'arrière, avec l'aide de la houle et aussi du vent.

      493 : cernunt : -> v. 277. stupentes : cf. v. 309 hoc cum stuperet territus (le geôlier ; ->). nauitæ : archaïque et poétique cf. cath. 2, 39 ; Lvcr. 5, 223 ; Verg. georg. 1, 137.

      494 : uectam : participe accordé avec fiscella (v. 492), non avec pigneris (v. 491) ; de même, au v. 459, quem reprend culleus, non cadauer (v. 458). Vehere (cf. aussi v. 455) se retrouve en perist. 2, 489, à propos de la levée du corps de s. Laurent par des sénateurs convertis. Ici, la mer, soumise au Christ, porte le corps du martyr (cf. v. 492 fertur) jusqu'à son lieu de sépulture ; cf. perist. 7, 46-47 fluitantibus | amnis terga uehunt uadis.

      494-495 : remenso... retrorsum : cf. c. Symm. 1, 333 conuersus iter reuocare retrorsum ; Lvcr. 2, 516 iter retro remensum est. Le corps regagne non son point de départ, mais la terre ferme.

      494 : remenso marmore : cf. Verg. Æn. 2, 181-182 pelagoque remenso | improuisi aderunt ; 7, 28 in lento luctantur marmore tonsæ ; cf. Æn. 3, 143 remenso hortatur pater ire mari ; Val. Fl. 2, 501 ; Clavd. 28, 203. Marmor désigne métaphoriquement la mer (Lvcr. 2, 767 ; Catvll. 63, 88 ; Verg. Æn. 7, 28) ; de même, apoth. 652 tranquillo marmore (le Christ sur les eaux).

      495-496 : cf. v. 487 quietis lapsibus ; cette douceur correspond à celle de la terre d'accueil (cf. vv. 500 telluris ad mollem sinum ; 502 humus quieta ; 505-506 amoeni litoris | secessus) et aux derniers soins apportés au mourant (cf. vv. 335 mollire præfultum torum ; 365-366 mollibus... aulæis).

      495 : labi ... leniter : non la mer (v. 487 quietis lapsibus), mais le cadavre glissant au-dessus.

      496 : le cadavre glisse sans toucher l'eau, poussé par les flots et par les vents. À propos du Christ (et, le cas échéant, de s. Pierre) marchant sur les eaux, Prudence parle plutôt de solidification des eaux (cf. perist. 10, 947-948 fluctus liquentis æquoris pressit pede, | natura fluxa ac tenuis in solidum coit), ce qui serait problématique avec un corps inanimé. Cf. Cæs. Gall. 4, 23, 6 uentum et æstum nactum secundum (la marée). æstu : plutôt que la marée (sens retenu par Lavarenne), ce nom désigne le bouillonnement de l'eau dû à la tempête (cf. Catvll. 64, 127 ; Verg. Æn. 3, 557), mentionné du reste au v. 490 spuma candens. L'effet de la marée, très limité en Méditerranée, est imperceptible au coeur d'une tempête (cf. v. 472). secundo : accordé avec æstu, cet adj. qualifie pour le sens les noms qui l'entourent, æstu et flamine. flamine : nom attesté chez Verg. Æn. 5, 832.

      
497-500 Certant et ipsi concito
pontum phaselo scindere,
longe sed artus præuolant
telluris ad mollem sinum.
Ils s'efforcent, eux-mêmes aussi, de fendre la mer sur leur esquif très rapide, mais le corps, loin devant, vole à toute allure jusqu'à un golfe amène, en terre ferme.

      497-498 : certant... scindere : certare avec l'infinitif ; cf. Verg. Æn. 2, 64 ; certare relève de la thématique du duel ou de la joute (-> v. 216) ; cf. v. 214 spes certat et crudelitas.

      497 : concito : le bateau est rapide du fait des efforts des rameurs (cf. vv. 451 remo ; 462 palmula), du pilote qui manoeuvre les voiles (cf. v. 451 rudente et carbaso) dans le vent (cf. vv. 472 inter procellas ; 496 æstu secundo et flamine), et grâce à sa légèreté (cf. v. 455 leuique... lembulo). Tous ces éléments ne suffiront cependant pas à rattraper le cadavre.

      498 : pontum... scindere : cf. v. 452 secare... pontum ; Verg. georg. 1, 50 ignotum ferro... scindimus æquor ; Ov. met. 11, 463 ictu scindunt freta ; Clavd. 21, 134. phaselo : cf. Cic. Att. 14, 16, 1 ; Verg. georg. 4, 289 ; Hor. carm. 3, 2, 29. Cf. vv. 450 cymbam ; 504 carina (synonymes).

      499 : longe... præuolant : longe renforce l'idée exprimée par præ-. Præuolare dénote la vitesse et la nature du mouvement du cadavre, qui effleure l'eau. artus : -> vv. 367. 425.

      500 : telluris... sinum : de même, Sen. Herc. O. 267 ; Lvcan. 3, 460 ; cf. v. 488 ad curua... litora (->). mollem sinum : -> v. 365 ; la douceur du séjour où échoue le corps fait suite à la douceur de la mer qui, au milieu de la tempête, l'y fait glisser (-> v. 495-496). Cette expression évoque le giron accueillant l'être aimé ; cf. perist. 11, 138 (->). On retrouve aux vv. 505-508 cette connotation affective, qui tend à personnifier le lieu. Cf. aussi cath. 10, 125-126 (contexte funéraire) nunc suscipe, terra, fouendum | gremioque hunc concipe molli !

      
501-504 Prius relatos denique
humus quieta suscipit,
quam pulsa summis nisibus
carina portum tangeret.
Une fois qu'il y est enfin ramené, un sol tranquille l'accueille avant que le navire, manoeuvré à grand ahan, n'atteigne le port.

      501 : relatos : cf. perist. 1, 96 in Deum relatos hostiarum spiritus.

      502 : humus : même si humus désigne la terre ferme (comme tellus, v. 500), ce nom évoque une sépulture par inhumation (cath. 10, 12 humus excipit arida corpus). Cf. perist. 3, 194-195 reliquias cineresque sacros | seruat humus ueneranda sinu (v. 500 sinum). quieta : -> v. 159 ; la tranquillité du sol accueillant (-> v. 500) s'oppose à l'agitation de la mer ; elle apporte le repos définitif au martyr (v. 515 quietem debitam). suscipit : même sens funéraire en cath. 10, 125-126 nunc suscipe, terra, fouendum (v. 507 fouens), | gremioque hunc concipe molli (v. 500 mollem sinum) ! Cf. perist. 7, 26-27 deiectum placidissimo | amnis uertice suscipit (le corps flotte par miracle) ; 90 corpus suscipiunt aquæ (à la prière du martyr, le corps s'enfonce dans l'eau) ; 11, 71.

      503 : pulsa : cf. v. 450-451 cumbam... pellere | remo (->). nisibus : précisément, l'action de s'appuyer sur la rame ; plus généralement, 'effort'. Ce nom n'est employé chez Prudence qu'ici et au v. 123, où il désigne également les vains efforts ce ceux qui persécutent le martyr.

      504 : cf. Prop. 3, 24, 15 ; Verg. georg. 1, 303 cum iam portum tetigere carinæ ; Ov. ars 2, 9, 32. carina : -> 11, 73 ; cf. 498 phaselo (-> v. 450). tangeret : le bateau a peut-être poursuivi le cadavre jusqu'au rivage (portum peut s'appliquer à un port naturel, cf. c. Symm. 1, præf. 12. 62) ou (plutôt) est rentré au port.

      505-512 : macarisme pour le sol qui a accueilli le martyr (de même, perist. 2, 529-536). Le respect dû au corps du martyr est évoqué, avec sa raison ultime (v. 512 uitæ reseruat posteræ) ; il n'est qu''endormi' (cf. perist. 10, 636-640 hinc nos et ipsum non perire credimus | corpus, sepulcro quod uorandum traditur, | quia Christus in se mortuum corpus cruci | secum excitatum uexit ad solium Patris | uiamque cunctis ad resurgendum dedit ; cath. 10, 33-36 quod requiescere corpus | uacuum sine mente uidemus | spatium breue restat ut alti | repetat collegia sensus). En apoth. 1062-1068. 1080-1084, Prudence affirme l'identité substantielle entre corps défunts et ressuscités.

      
505-508 Felix amoeni litoris
secessus ille, qui sacra
fouens arenis uiscera
uicem sepulcri præbuit,
Heureux ce recoin d'un rivage agréable, qui, en tenant des chairs sacrées blotties dans ses sables, a fourni l'équivalent d'un tombeau, ...

      505 : dans ce poème où aucun lieu n'est nommé (-> v. 33), celui de la sépulture (Sagonte ; -> v. 488) ne l'est pas non plus, peut-être pour lui garder un aspect secret. felix : cf. perist. 1, 4 pollet hoc felix per orbem terra Hibera stemmate ; 6, 1 felix Tarraco ; proche de beatus (cf. perist. 2, 530), cet adj. peut aussi s'appliquer à un martyr (-> 14, 124). amoeni litoris : -> v. 488 ; cf. perist. 6, 155 blandum litoris extet inde murmur.

      506 : secessus : un lieu isolé ; nom analogue à recessus (v. 447 ; -> v. 150).

      506-507 : sacra... uiscera : les restes mortels du martyr (synecdoque ; -> 2, 207), -> v. 425 ; cf. aussi vv. 393 corpus sacrum (->) ; 448 discissa... uiscera.

      507-508 : cf. l'Énéide, avec les funérailles de Misène, nécessaires pour qu'Énée puisse des-cendre aux enfers (Verg. Æn. 6, 150 totamque incestat funere classem ; -> v. 400). Ici, l'absence de sépulture n'empêche pas la béatitude de l'âme et la nature supplée aux soins des hommes ; le martyr repose sur le sable comme dans une tombe (v. 508 uicem sepulcri), avant que les fidèles ne lui apportent une vraie sépulture (v. 509-512), puis un lieu de culte (v. 515-520).

      507 : fouens : -> 13, 13 ; cf. perist. 7, 3-5 urbis moenia Sisciæ | concessum sibi martyrem | complexu patrio fouent ; cath. 10, 125 nunc suscipe, terra, fouendum. arenis : le rivage, accueillant, n'est pas formé de récifs (-> v. 506). Cf. perist. 1, 8-9 illitas cruore sancto nunc arenas incolæ | confrequentant ; 11, 141 palliolis etiam bibulæ siccantur arenæ. Seul le second ex. concerne un lieu côtier ; dans ces 2 cas, le sable imbibé de sang peut évoquer les champs de bataille et l'arène du cirque. Ici, il s'agit surtout d'un détail réaliste, avec une uariatio après l'emploi de tellus (v. 500) et d'humus (v. 502). La majorité des mss a l'orthographe harenis.

      508 : uicem sepulcri : cf. perist. 3, 176-180 ecce niuem glacialis hiems | ingerit et tegit omne forum | membra tegit simul Eulaliæ | axe iacentia sub gelido | pallioli uice linteoli. Cette suppléance contrevient aux désirs du juge (cf. v. 390 ne sit sepulcrum funeris). præbuit : la nature fournit le dernier élément du service commandé par le Christ (v. 485-486 ; sur præbere, -> v. 364).

      
509-512 dum cura sanctorum pia
deflens adornat aggerem
tumuloque corpus creditum
uitæ reseruat posteræ !
jusqu'à ce que le pieux souci des fidèles arrange en pleurant un tertre et conserve pour la vie future le corps confié à ce tombeau !

      509 : dum : avec l'indicatif (cath. 10, 149 ; Verg. ecl. 9, 23) au lieu du subjonctif, plus fréquent (cath. 2, 75). cura... pia : de même, perist. 3, 36 ; cf. Avson. 164, 1 ; 178, 13 ; 212, 22 ; 213, 16. sanctorum : même forme à la même position du v. 374 (->) où elle désigne, non pas l'Église militante (ici), mais l'Église triomphante (-> 2, 80).

      510 : deflens : cf. perist. 14, 51 (début de funérailles). Sur les pleurs funéraires des fidèles, -> 13, 96. aggerem : un amoncellement assez grossier, non une tombe monumentale, tant que durent les persécutions (cf. quatrain suiv. : la Paix de l'Église permet un culte public).

      510-511 : aggerem tumuloque : cf. Verg. Æn. 7, 6 aggere composito tumuli. Ces termes désignent 2 états successifs ; d'abord, de la terre recouvrant le cadavre (aggerem ; cf. cath. 10, 61-62 qui iacta cadauera passim | miserans tegit aggere terræ), puis un véritable tombeau (tumuloque), avec des rites, un signe distinctif. Cf. perist. 13, 98 tumulum lacrimans struxit cineresque consecrauit.

      511 : tumuloque : -> 13, 98. corpus : -> v. 425.

      512 : uitæ... posteræ : la vie éternelle des ressuscités (cf. perist. 2, 271 pulcherrimo uitæ statu) ; le martyr sacrifie sa vie présente (v. 363-364 qui semet ac uitam suam | Christo immolandam præbuit) dans l'espérance de cette vie plénière : cf. perist. 6, 96 nec uitam rapit illa [poena], sed reformat. Cette espérance, celle du poète (v. 569-576), diffère de celle qu'expriment les anges dans le cachot (uniquement libération de l'âme de ses entraves périssables : v. 301-304). reseruat posteræ : fin de v. proche dans un passage correspondant, relatif à la conservation des reliques (v. 344 ; ->) : reseruent posteris. Cf. Hil. in Matth. 4, 10 æternitati corpora reseruantes.

      
513-516 Sed mox subactis hostibus,
iam pace iustis reddita,
altar quietem debitam
præstat beatis ossibus ;
Mais bientôt, avec la défaite des ennemis, la paix étant désormais rendue aux justes, un maître-autel confère aux ossements bien-heureux le repos qui leur est dû ; ...

      513 : subactis hostibus : la victoire de l'Église sur les païens persécuteurs (-> v. 250) ; un autre abl. absolu, au v. suiv., évoque la Paix de l'Église. Cf. aussi, à propos de triomphes guerriers, c. Symm. 347-348 uirtute subactis | urbibus et claris peperit sibi Roma triumphis.

      514 : iam : la victoire est définitive, la réaction de Julien l'Apostat n'étant qu'éphémère. pace... reddita : expression marquant moins le retour à une situation antérieure (sans persécutions) que l'obtention de ce qui appartient de droit à l'Église, sa liberté (cf. perist. 1, 43 liberam... fidem). La paix est l'un des aboutissements de la Psychomachie : cf. psych. 769-772 pax plenus uirtutis opus, pax summa laborum, | pax exacti pretium est pretiumque pericli ; | sidera pace uigent, consistunt terra pace. | nil placitum sine pace Deo. iustis : -> 2, 396.

      515 : altar : souvent au plur. (classique), altar est surtout utilisé au sing. chez les chrétiens ; cf. v. 31 ; perist. 3, 211-212 sic uenerarier ossa libet | ossibus altar et impositum ; 4, 189 hæc [turba martyrum] sub altari sita sempiterno ; 9, 100 ; 10, 49 ; Tert. orat. 11. Lavarenne traduit à tort par 'une église' ; le terme, proche d'ara (cf. v. 518 ; -> v. 31), désigne soit l'autel, soit le lieu où il s'élève (cf. Greg. Tvr. hist. 2, 14) : si altaris ara (perist. 10, 49 ; cath. 7, 203) n'est pas une pure redondance, l'ara constitue une partie de l'altar (autel par rapport au ciborium ou au choeur ; ou table sacrifielle par rapport à l'autel). quietem debitam : le juge avait accordé le repos (quies, -> v. 159) à ses bourreaux (v. 137-140), mais le refusait au martyr mis au cachot (v. 261-264), puis défunt. Debitus comprend les idées de mérite et de destin ; perist. 4, 73-74 martyrum credas patriam coronis | debitam sacris ; 10, 1096 iam silebo, finis instat debitus (-> 11, 149).

      516 : præstat : verbe proche de præbere (v. 508) ; cf. v. 527 finem malorum præstitit. beatis ossibus : cf. v. 393 corpus sacrum (->). Les reliques finissent par n'être plus que des ossa ; le cadavre est déjà appelé ainsi aux vv. 389 ossa exstinxero ; 427-428 ipsis et impar ossibus | uacuisque iam membris minor (-> v. 425). Il est question des ossa des martyrs en perist. 1, 5 ; 2, 532 ; 3, 211-212 ; 4, 17. 96. 110 (au figuré) ; 6, 131 ; 11, 173 ; 12, 29. Les ossa reçoivent un qualificatif (le 1er mot du poème : beate martyr) et deviennent un sujet quasi animé (ils ont vaincu le démon, v. 543-544, et attendent la résurrection), alors qu'au v. 521, la personne du martyr (ipsum) est distinguée de ses restes mortels (corpus) ; cf. perist. 4, 95-96 beati | martyris ossa.

      
517-520 subiecta nam sacrario imamque ad aram condita cælestis auram muneris perfusa subter hauriunt. en effet, enterrés dans le sanctuaire et cachés tout en bas de l'autel, ils absorbent par dessous la brise de l'offrande céleste qui les baigne.

      517 : subiecta... sacrario : le corps du martyr, sous l'autel eucharistique, est dans une posture analogue à celle de son âme, solique subiectum Deo (-> v. 172). Sacrarium a un sens proche de celui d'altar, l'autel (cath. 5, 140 exstructoque agimus liba sacrario ; psych. 843-844 aram | cordis adit castisque colit sacraria uotis) ou le choeur de l'église (perist. 2, 51 sub sacrariis ; ->). S'il a le 1er de ces sens, le v. suiv. est une uariatio de celui-ci. Ailleurs, sacrarium désigne le diakonikon, où les diacres gardent les objets du culte (cf. Ambr. off. 1, 44, 215) ou un édifice sacré (Ambr. myst. 2, 5 : baptistère ; Avg. c. Faust. 12, 44 : le Temple). nam : -> 2, 551.

      518 : cf. v. 515-516 altar quietem debitam | præstat beatis ossibus. imamque ad aram : exposé nu (v. 395-396), puis rejeté sur la plage, dans un filet (v. 507-508), le corps est enterré (v. 510-511) et, ici, mis sous un autel. aram : nom désignant l'autel chrétien (ici ; perist. 2, 38 ; 4, 39 ; 10, 49 ; 11, 170. 175 ; rare, cf. Tert. orat. 19 ; Ambr. de uirg. 1, 11, 65 ; Avg. serm. 318, 1) ou païen (perist. 1, 41 ; 6, 36 ; 9, 32 ; 10, passim ; 13, 80 ; 14, 26). condita : sens funéraire, -> 14, 3.

      519-520 : avant la Paix de l'Église déjà, pour manifester la communion avec le martyr, on célébre l'Eucharistie sur son tombeau (cf. Tert. coron. 3, 3 ; Cypr. epist. 39, 3).

      519 : cælestis... muneris : probablement l'Eucharistie (-> 11, 171-174). Cælestis (-> 14, 62) est utilisé au v. 189 à propos des Livres saints. auram : le don céleste perçu ou reçu par le martyr a le caractère subtil d'une aura ; on peut rapprocher cette image avec le récit de V.T. III reg. 19, 12 (Élie voit se succéder des phénomènes cosmiques effrayants avant que Dieu, qui n'y résidait pas, se manifeste dans le sibilus auræ tenuis).

      520 : perfusa : allusion possible à des pratiques superstitieuses honorant les ossements des morts par l'introduction d'aliments ou d'huile parfumée dans la tombe ; cf. perist. 6, 131-132 perfusa mero... ossa. Du temps de Prudence, l'Église interdit en part. les banquets funéraires (refrigerium). En mentionnant une perrfusio spirituelle, Prudence suggère que le seul sacrifice agréable pour le martyr est l'Eucharistie. subter : adv. (-> v. 225) reprenant l'idée de subiecta (v. 517). hauriunt : ici, sens spirituel ; dans un sens concret, cf. perist. 1, 7 hic calentes hausit undas cæde tinctus duplici ; 8, 13 haurit terra sacros aut fonte aut sanguine rores.

      
521-524 Sic corpus, ast ipsum Dei
sedes receptum continet
cum Machabæis fratribus
sectoque Isaiæ proximum.
Ainsi en est-il du corps, mais [le saint] lui-même, c'est le séjour de Dieu, où il a été reçu, qui le contient, avec les frères Maccabées, tout près d'Isaïe tranché.

      521 : sic corpus : proposition nominale concluant le développement relatif aux péripéties du cadavre (corpus ; -> v. 425). ipsum : la personne même du martyr (ici identifiée à son âme), par opposition à son corps, enveloppe caduque (vv. 157-172. 301-304). La personne subsiste dans l'âme, élevée au ciel - mais le corps, vu sa valeur (v. 541-544), reçoit un culte.

      521-522 : Dei sedes : ayant quitté le corps (cf. perist. 1, 30 lota mens in fonte rubro sede cordis exsilit) et gagné le Ciel (v. 367-368 relictis artubus | cælum capessit spiritus), l'âme, avec les anges (v. 287-288) et les élus (v. 373-376), est auprès du Père (cf. v. 370 reseratur ad Patrem uia).

      522 : receptum : verbe utilisé en perist. 12, 31 dextra Petrum regio tectis tenet aureis receptum (lieu de sépulture). Receptum reçoit peut-être en outre ici la connotation de 'rescapé' (cf. perist. 1, 118 hymnite, matres, pro receptis paruulis). continet : même métaphore au v. 368 cælum capessit spiritus. Comme receptum, le verbe continere peut s'appliquer au lieu où est gardé le corps du martyr (perist. 11, 183 illas animæ exuuias quæ [ædicula] continet intus).

      523 : la passion des sept frères Maccabées, torturés et tués l'un après l'autre (suivis de leur mère) en 167 av. J.-C., pour avoir refusé de violer la Loi de Moïse, est rapportée en V.T. II Macc. 7, qui est un des archétypes des passions de martyrs ; ce texte est célèbre à la fin du ive s., où l'on s'intéresse aussi à une version plus développée, le IVe Livre des Maccabées, utilisé par des Pères grecs (Greg. Naz. orat. 15 ; Ioh. Chrys. paneg. Macc. 1-2) et par s. Ambroise (Iacob 2, 9, 42 - 12, 58 ; off. 1, 41, 202-203), et traduit à cette même époque (= Pass. Macc. [BHL n° 5111]) ; l'Église prend alors possession de la synagogue d'Antioche où reposaient leur corps. Cf. vv. 533-536 ; perist. 10, 751-778. Machabæis : nom repris au v. 533 et en perist. 10, 776. La 2e syllabe de ce nom est brève (elle est longue chez Avit. 6, 105).

      524 : la tradition du martyre d'Isaïe découpé à la scie (connue d'Origène et de s. Jérôme) se trouve dans l'Ascension d'Isaïe, avec év. une allusion en N.T. Hebr. 11, 37 secti sunt (cf. ici sectoque). sectoque : évocation elliptique du supplice de la scie ; cf. v. 530-531 truncata... corporis | segmenta post serram. Le bourreau d'Isaïe est appelé sector au v. 529. Isaiæ : les mss donnent plusieurs formes (1ère syllabe en i- ou en e- ; syllabe médiane -sai- ou -sei-) ; Isaias correspond à l'hébreu et au grec (prononciation tardive). Ici et en apoth. 595 (cf. Pavl. Nol. carm. 26, 195), 1ère syllabe brève (longue en grec et chez Ivvenc. 1, 313). proximum : reçu au Ciel par Jean-Baptiste (v. 375-376), s. Vincent est proche des martyrs de l'ancienne Alliance ; il est plus élevé qu'eux en dignité, vu la nature des épreuves subies (cf. v. 525-540).

      525-544 : le thème de la double couronne (par opposition à une simplex... corona [v. 525-526]) se retrouve en perist. 14, où la victoire supplémentaire est celle de la préservation miraculeuse de la virginité (-> 14, 7) ; ici, il s'agit de la protection miraculeuse du cadavre, soumis à des épreuves supplémentaires après la mort.

      
525-528 Simplex sed illis contigit
corona poenarum, quibus
finem malorum præstitit
mortis supremus exitus.
Mais la couronne qui leur échut pour leurs tourments est simple, eux pour qui l'issue suprême de la mort a donné une fin à leurs malheurs.

      525-526 : simplex... corona poenarum : expression opposée à celle des vv. 537-538 brauii duplicis | palmam ; cf. perist. 14, 7 duplex corona. Sur corona, -> v. 4 ; cf. perist. 4, 135-136 plena te, martyr... | poena coronat. Ces poenæ (-> 14, 22) sont précisées dans les 2 quatrains suiv.

      525 : contigit : même forme en fin du v. 354 (réconfort apporté avant la mort) ; cf. aussi perist. 6, 98 celsa scandere contigit Tonantis (comme ici, récompense des martyrs).

      527 : finem malorum : cf. perist. 6, 117 [orant ut] finem daret anxiis periclis ; 10, 1096-1097 finis instat debitus, | finis malorum, passionis gloria ; 13, 44-45 omne malum uolucri cum tempore transuolare cursim ; | nil graue, quod peragi finis facit et quiete donat. Même désirées en tant que moyen, les tortures sont un mal, qui sera compensé (cf. perist. 10, 1134-1135 libramine æquo qui malorum pondera | et præmiorum comparabit copias), de manière surabondante (cf. perist. 1, 24 tale damnum lux rependit longior ; 13, 41-45 [->]). præstitit : -> v. 516.

      528 : mortis... exitus : de même, p.ex. v. 291 (->). supremus : la mort est appelée obitus supremus en perist. 4, 133 ; cath. 10, 14, et les funérailles sont désignées par suprema en perist. 3, 182. Avec s. Vincent, le juge va au-delà de cette limite : cf. v. 385-386 restat illud ultimum : | inferre poenam mortuo. exitus : cf. perist. 10, 825 sub uno fine dispar exitus.

      
529-532 Quid tale sector ausus est ?
Truncata numquid corporis
segmenta post serram feris
obiecit aut undis dedit ?
Quelle action analogue celui qui trancha osa-t-il commettre ? Est-ce qu'après avoir manié la scie, il a jeté aux bêtes ou confié aux flots les morceaux tranchés d'un corps mutilé ?

      529 : quid tale : même début de v. en c. Symm. 2, 738. sector : le bourreau d'Isaïe lui a infligé le supplice de la scie (v. 531 serram ; cf. v. 524 sectoque Isaiæ) ; sector, attesté chez Cic. Rosc. 80, est utilisé de façon plus générale en perist. 10, 1101 cessabit equidem tortor et sector dehinc. ausus est : -> v. 399.

      530 : truncata : même emploi en c. Symm. 2, 51 ; truncare reprend sectoque (v. 524) et est précisé par segmenta (v. suiv.). numquid : équivalent classique de num, fréquent à l'époque tardive (cf. Lavarenne § 361) ; de même, p.ex. perist. 10, 922. corporis : -> 2, 59.

      531 : segmenta : nom dérivé du même verbe que sector (-> v. 529), désignant ici l'objet coupé ; en perist. 10, 1129, l'action de couper. post serram : expression elliptique : 'après (le supplice de) la scie'. Cf. v. 217-218 serrata lectum regula | dente infrequenti exasperat.

      531-532 : feris obiecit aut undis dedit : résumé lapidaire, symétrique, des tentatives d'élimination du cadavre : exposition aux charognards (v. 385-420), immersion en mer (v. 437-504). feris obiecit : cf. vv. 387-388 feris... tradere | canibusue carpendum dare ; 396 exponit. Sans la protection d'un corbeau, le cadavre laissé sans sépulture eût été attaqué par des oiseaux (v. 401-402) et par un loup (v. 409-420) ; sur feris, -> v. 387.

      532 : undis dedit : cf. vv. 437 mergam... fluctibus ; 460 in altum deprimat ; 472 excutit. Dare (-> v. 388), assez vague (proche d'obiecit), correspond à la réalité des faits : le cadavre, lesté, a été livré aux flots (undis : -> v. 439), mais n'a miraculeusement pas été coulé.

      
533-536 Num Machabæi martyris
linguam tyrannus erutam
raptamue pellem uerticis
auibus cruentis obtulit ?
Est-ce que le tyran a offert aux oiseaux sanguinaires la langue qu'il avait arrachée ou la peau qu'il avait détachée du crâne d'un martyr Maccabée ?

      533-536 : les mêmes supplices des Maccabées (-> v. 523) sont évoqués en perist. 10, 766-775.

      533 : num : reprise de numquid (v. 530). Machabæi : sur ce nom, apposé à martyris, -> v. 523. martyris : martyr (-> 2, 169) semble désigner l'aîné des Maccabées, qui a subi les 2 supplices en question (V.T. II Macc. 7, 4 iussit ei qui prior fuerat locutus amputari linguam [cf. v. 534] et cute capitis abstacta [cf. v. 535] summas quoque manus ei et pedes præcidi) - le -ue du v. 535 n'implique pas qu'il s'agisse de tortures infligées à des personnes différentes. Le sing. martyris peut aussi avoir une valeur distributive, ce qui correspondrait à la version d'Ambr. off. 1, 41, 202 alius corium capitis exutus speciem mutauerat, uirtutem auxerat ; alius linguam iussus amputandam promere respondit : " Non solum Dominus audit loquentes qui audiebat Moysen tacentem... ". Il est probable que Prudence s'en inspire : là aussi, ce sont les seuls ex. de tortures cités.

      534 : l'ablation de la langue concerne, selon l'Écriture, l'aîné (V.T. II Macc. 7, 4) et aussi, implicitement, le 3e frère (V.T. II Macc. 7, 10-11 ; Ambr. Iacob 2, 11, 48) ; en IV Macc. 10, 17, il s'agit du 4e frère. linguam... erutam : même expression en perist. 10, 992 ; cf. v. suiv. raptamue pellem. tyrannus : Antiochus IV Épiphane ; désignation topique (-> 14, 21).

      535 : le supplice du scalp (cf. perist. 10, 761-762 comam cutemque uerticis reuulserat | a fronte tortor) concerne l'aîné (V.T. II Macc. 7, 4) ou le 2e frère (V.T. II Macc. 7, 7 cute capitis eius cum capillis detracta ; IV Macc. 9, 28 ; Ambr. Iacob 2, 11, 47). raptamue pellem : l'écorchement est aussi mentionné à propos de s. Vincent (-> v. 114), mais concerne le thorax. uerticis : -> 2, 308.

      536 : auibus cruentis : terme reprenant feris (v. 531) ; le juge avait évoqué des charognards (v. 387-388), puis la ferina immanitas (v. 434) et les coruos uoraces (v. 436), sans mentionner le loup ; sur cruentus, -> v. 153. obtulit : reprise de obiecit (v. 532) ; cf. perist. 11, 66 uiuentesque oculos offerat alitibus.

      537-576 : adresse du narrateur au héros et prière du poète au martyr ; même ton aux vv. 1-16.

      
537-540 Tu solus, o bis inclyte,
solus brauii duplicis
palmam tulisti, tu duas
simul parasti laureas.
Toi seul, ô deux fois illustre, seul, tu as remporté la palme d'une double victoire, toi, tu t'es préparé deux lauriers à la fois.

      537 : tu : adresse au martyr ; tu est répété au v. 539 ; on a une triple anaphore de tu aux vv. 34-35. L'usage insistant de la 2e pers. est caractéristique des prières hymniques, l'ex. le plus célèbre étant le Te Deum.

      537-538 : solus... solus : insistance sur le caractère unique de ce martyre (-> v. 105 ; cf. vv. 133-136. 253-256), que reconnaissait le juge lui-même : v. 105-108 tibi ergo soli... | ... calcentur sacra, | tu porro solus obteras | Romam, senatum, Cæsarem ! Dans les 2 cas, solus est répété (de même que le pronom de la 2e pers.) : les 2 passages se correspondent.

      537 : o : cri admiratif (-> 13, 11), o soulignant le vocatif (-> 2, 413-416). bis : la double victoire, fait annoncé au v. 525 (cf. simplex sed) et souligné par duplicis (v. suiv.) et duas (v. 539). À ce motif est associée l'idée d'une égale dignité de l'âme et du corps (cf. v. 571-572 carnem resumat spiritus | uirtute perfunctam pari). inclyte : même vocatif à la fin du v. 285 (-> 14, 2).

      538 : brauii : nom désignant le prix de la victoire dans les jeux publics (redondant avec palmam, v. suiv.). La transposition du grec brabeion pose des problèmes de graphie (cf. Prob. app. gramm. IV 197 : brabium préféré à brabeum), compliqués par le passage du -b- au -u- (cf. l'évolution du grec et du latin), chez Prudence et aussi dans la Vulgate : cf. I Cor. 9, 24 qui in stadio currunt, omnes quidem currunt, sed unus accipit brauium. Ce thème (-> v. 64) est repris chez Iren. 3, 18, 2 obtinere brauium uictoriæ ; Avg. serm. 216, 6 ut... brauii cælestis et incorruptæ coronæ participes triumphetis. duplicis : -> 14, 7.

      539-544 : passage progressif de l'image agonistique (v. 538 brauii) à la métaphore guerrière. Comme celle du Christ, la mort du martyr est un triomphe : cf. Ambr. in Luc. 10, 107 ut prius crucis suæ tropæum ipse erigeret, deinde martyribus traderet erigendum ; hymn. 12, 6 cruor triumphalis necis.

      539 : palmam tulisti : cf. v. 384 (le juge, lors de la mort du martyr) palmam tulit ; cf. perist. 8, 4 martyrium pulchra morte tulere uiri ; 11, 21-22 usque ad martyrii prouectum insigne, tulisse | lucida sanguinei præmia martyrii. Comme la couronne (cf. v. 526 ; -> v. 4), la palme symbolise la récompense du martyre ; les deux sont associées dans les vv. célèbres de cath. 12, 129-132 : uos prima Christi uictima, | grex immolatorum tener, | aram sub ipsam simplices | palma et coronis luditis. Cf. perist. 2, 31-32 dies | prædicta palmam prætulit ; 4, 77 inde, Vincenti, tua palma nata est ; 105-106 nouerat templo celebres in isto | octies partas deciesque palmas (cf. Introd. § 20 n. 53). Insigne triomphal guerrier (cf. c. Symm. 2, 555), la palme symbolise aussi l'immortalité, en tant que feuillage persistant (de même, le laurier ; cf. v. suiv. laureas) - l'équivalent grec foinix a les mêmes connotations : il peut signifier 'pourpre' (cf. gloire) et 'phénix' (cf. immortalité).

      539-540 : duas simul : simul ne porte pas sur parasti (les 2 couronnes n'ont pas été acquises en même temps), mais sur duas : le martyr, à lui seul, a remporté une double victoire.

      540 : parasti : cf. perist. 3, 60 [cum] super astra pararet iter ; 6, 24 est parata palma. laureas : le triomphe comprend une couronne de laurier (cf. c. Symm. 1, 524 laurea uictoris ; 2, 725 lauro præcingere turres) ; l'ouatio (-> v. 8), une couronne de myrte. L'image est reprise en perist. 4, 106-107 laureis doctus patriis eadem | laude cucurrit ; 12, 6 uidit superba morte laureatum. Le nom laurea (au sens propre, le laurier) est synonyme dès l'époque classique de 'gloire civique' et surtout de 'gloire militaire'. Prudence romanise l'image de la palme (cf. v. 539), de même qu'en perist. 2, 556, il romanisait en quelque sorte celle de la couronne du martyre (coronam ciuicam).

      
541-544 In morte uictor aspera,
tum deinde post mortem pari
uictor triumpho proteris
solo latronem corpore.
Victorieux dans les peines de la mort, puis ensuite, après la mort, victorieux dans un triomphe pareil, tu écrases le larron par ton corps, à lui seul.

      541-544 : insistance sur la double victoire, par répétition de uictor (-> v. 367) aux vv. 541. 543.

      541 : in morte : opposé à post mortem (v. suiv.) ; mors désigne les tortures menant à la mort (cf. perist. 2, 334 mortis citæ ; 339 mors inextricabilis) et l'instant de la mort. morte... aspera : la mort est 'pénible' non en soi (aspera serait un epitheton ornans), mais par référence aux tortures qui la précèdent (v. 295-296 sæua et aspera | tormenta ; perist. 10, 173 tormenta leti... asperi).

      542 : tum deinde : même expression au début du v. 205 (synizèse des deux 1ères syllabes de deinde ; ->) ; sur deinde, -> v. 277. post mortem : allusion aux tentatives de détruire le cadavre (cf. v. 386 inferre poenam mortuo) et aux miracles qui les ont rendues vaines.

      542-543 : pari... triumpho : l'égalité des triomphes remportés par l'âme et par le corps (vv. 572 uirtute perfunctam pari ; 574 commune discrimen tulit) justifie en quelque sorte l'espérance de la résurrection (vv. 571 carnem resumat spiritus ; 575 sit et coheres gloriæ) ; sur le motif du triomphe (-> 14, 52), annoncé par laureas (v. 540), -> v. 2 diem triumphalem tuum.

      543-544 : de même, v. 167-168 qui tuam | calcat, tyranne, insaniam (l'âme ; -> v. 168).

      543 : proteris : cf. perist 14, 112 hæc calcat Agnes ac pede proterit ; cf. aussi v. 107.

      544 : solo : ce terme semble totalement équivoque ; si le sens de 'plante des pieds' (abl. de moyen du nom solum) que suggérait proterit est exclu par la suite de la phrase, il reste possible de voir dans solo soit un abl. de lieu du nom solum ('à terre', 'sur le sol' : cf. perist. 2, 508), soit un adjectif accordé avec corpore ('par le seul corps'). Ce second sens paraît le plus satisfaisant, un des enjeux de la fin du poème étant de montrer la dignité du corps du martyr. Il paraît gênant d'avoir dans la même proposition 3 abl. distincts (vv. 542-543 pari triumpho, circonstance ; 544 solo, lieu ? ; corpore, moyen). L'amphibologie pourrait être délibérée. latronem : désignant ici le démon (perist. 1, 106 ; ham. 508. 946), ce nom peut aussi être utilisé à propos du persécuteur (perist. 4, 186 ; 10, 1002), de même que carnifex (-> 14, 17) ou hostis (-> v. 250). corpore : malgré sa dignité (cf. v. 542-543 pari... triumpho), le corps reste un moyen et non un sujet ; corpus désigne souvent ici le cadavre du martyr (-> v. 425 ; 2, 59).

      
545-548 Adesto nunc et percipe
uoces precantum supplices,
nostri reatus efficax
orator ad thronum Patris !
Maintenant, assiste-nous et entends les voix suppliantes de ceux qui te prient, plaideur puissant, pour notre culpabilité, devant le trône du Père !

      545-548 : la familiarité de Prudence avec un compatriote contraste avec sa déférence pour s. Laurent (perist. 2, 573-574). La demande d'intercession est la même (v. 546 supplices et perist. 2, 581 supplicem ; v. 547 reatus et perist. 2, 582 reum) et adesse (v. 545 adesto) se retrouve en perist. 2, 569 ceu præsto semper adsies. Là, il est question d'extase, de visions (perist. 2, 553-560) ; ici, de présence (v. 565-568), de résurrection (v. 569-576) du martyr. Là, le poète est loin des reliques (perist. 2, 529-548), ici, il les prend à témoin (v. 553-560), les vénère (v. 561-564).

      545 : adesto... percipe : juxtaposition des impératifs fut. et prés., sans changement de sens. adesto : dernière syllabe brève, comme ailleurs chez Prudence, pour les formes esto, prohibeto, tollito. Le poète demande au martyr assistance et présence (cf. v. 565 paulisper huc inlabere) ; en cath. 7, 3-4 (adesto castis, Christe, parsimoniis | ... aspice), adesto ne veut demander qu'une attention bienveillante. nunc : demande pressante (-> v. 165) atténuée au v. 565, avec paulisper ; l'espérance est surtout celle de la fin des temps (cf. v. 569 sic nulla iam restet mora).

      546 : uoces... supplices : cf. perist. 1, 9 obsecrantes uoce, uotis, munere ; 17 non sinunt inane ut ullus uoce murmur fuderit. Idée reprise par ueneramur ore (v. 562). Sur supplex, -> 2, 565. uoces precantum : cf. cath. 1, 82 Iesum ciamus uocibus | flentes, precantes, sobrii. precantum : gén. plur. en -um, courant, en poésie, pour les participes prés. ; cf. cath. 8, 52 uota precantum.

      547-548 : le martyr poursuit devant Dieu, pour les pénitents, ce qu'il faisait sur terre pour Dieu (cf. perist. 10, 1 adsertor Dei) et l'Église. Pour s. Laurent, cette carrière d''avocat' le conduira à de hautes charges dans la Rome céleste (cf. perist. 2, 553-560). Prudence, avocat de formation, parle au nom du groupe dont il se fait le coryphée (cf. l'usage du plur. : v. préc. precantum ; v. 547 nostri), jouant auprès du martyr le rôle que ce dernier joue auprès de Dieu - par ses carmina, il prend part au processus de l'intercession : cf. perist. 3, 213-215 illa [martyr] Dei sita sub pedibus | prospicit hæc populosque suos | carmine propitiata fouet.

      547 : nostri reatus : gén. objectif ; cf. perist. 10, 788 factor tui ; cath. 4, 11-12 infusor fidei, sator pudoris,| mortis perdomitor, salutis auctor. Reatus désigne l'état de péché, ici et en cath. 7, 174-175 [clementia Dei] haud difficulter supplicem (cf. v. préc. supplices) mortalium | soluit reatum. efficax : -> 2, 127 ; la prière adressée au martyr est suivie d'effets (cf. perist. 2, 565-568), en raison du lien privilégié qu'il a avec le Christ (cf. perist. 1, 21 nil suis bonus negauit Christus umquam testibus).

      548 : orator : le martyr, présenté avant tout comme miles Dei (-> v. 117), use aussi de son éloquence ; c'est par la parole qu'il avait commencé d'agir (cf. v. 44 uerbis asperis), et qu'il continue son action. Comme pour orare (-> 11, 178), il y a un jeu de mots sur orator : le martyr est un avocat, un orateur (de même, à propos de Symmaque, c. Symm. 2, 10. 370), et l'est par sa prière (orator : 'qui prie', cf. Tert. adu. Marc. 4, 36 p. 544, 4) ; cf. Ennod. carm. 1, 12, 14 [Cyprianus] nunc munus implet pristinum : orator orat, obtinet..., facit beatos ex reis. thronum Patris : cf. apoth. 102 ; cf. cath. 7, 37 tremendi... throni. Prudence parle du trône du Christ en perist. 1, 67-68 Christus illic candidatis præsidet cohortibus, | et throno regnans ab alto damnat infames deos.

      549-556 : quintuple anaphore de per, avec une variation dans la fréquence (2 fois au v. 549, et en tête des vv. 551. 552. 553) ; Prudence invoque et prend à témoin, outre le martyr (v. 549 per te), les supplices qu'il a subis (v. 549-552), dont il reste des reliques (v. 553-556).

      
549-552 Per te, per illum carcerem,
honoris augmentum tui,
per uincla, flammas, ungulas,
per carceralem stipitem,
Par toi, par cette fameuse prison, qui accrut ton honneur, par les liens, les flammes, les ongles de fer, par l'entrave de ta prison, ...

      549 : per te : curieusement, Prudence prend à témoin celui auquel il adresse sa prière (v. 557 miserere) ; ce faisant, il introduit brièvement et généralement la série des expressions en per.

      549-550 : per illum carcerem, honoris augmentum tui : cf. v. 552 per carceralem stipitem. La prison, pénible (cf. v. 237-264 ; perist. 1, 46), fait partie de la passion et est méritoire (cf. perist. 6, 25-27 carcer Christicolis gradus coronæ est, | carcer prouehit ad superna cæli, | carcer conciliat Deum beatis ; cf. aussi v. 61 tormenta, carcer, ungulæ), comme toute souffrance (cf. perist. 10, 1121-1130). Elle est aussi une figure de la condition humaine et des ténèbres du monde, avec durant cette passion un bouleversement, puisqu'elle est devenue paradisiaque (premier des miracles de cette passion : cf. vv. 269-272. 277-280) ; c'est à ce moment que le martyr a été jugé digne de la société des anges (v. 287-288) et de la couronne du martyre (v. 299-300).

      550 : honoris... tui : -> 13, 39. augmentum : terme technique (cf. Sen. suas. 1, 4 ; Dig. 2, 13, 8) ; cf. Apvl. Plato 1, 9 ; Cypr. epist. 69, 16 ; Vvlg. prou. 4, 9 ; Col. 2, 19.

      551 : avec 3 mots en asyndète (-> v. 61), récapitulation lapidaire du supplice, par la mention (dans l'ordre inverse) de ses 3 phases : fer, feu, prison ; les uincla (-> v. 109) sont infligés au martyr déjà avant son incarcération, dont il est fait mention aux vv. préc. et suiv. flammas : sur cette torture (ici, le gril, v. 205-236), -> v. 62. ungulas : cf. v. 61 ; -> v. 120.

      552 : carceralem stipitem : reprise du v. 549 per illum carcerem ; même iunctura chez Greg. Tvr. Franc. 7, 15 ; sur carceralis, -> v. 269. Ces entraves de bois (v. 251-252 lignoque plantas inserit | diuaricatis cruribus) ont sauté miraculeusement (v. 271-272 duplexque morsus stipitis | ruptis cauernis dissilit ; ->), ce dont le geôlier fut témoin a posteriori (v. 323).

      
553-556 per fragmen illud testeum,
quo parta creuit gloria,
et quem trementes posteri
exosculamur lectulum,
par ce tesson de poterie, grâce auquel grandit la gloire que tu t'es ménagée, et cette couchette que tremblants, nous qui venons après, nous couvrons de baisers, ...

      553 : fragmen... testeum : uariatio de fragmenta testarum (-> v. 257) et de fragmina... testularum (v. 277-278). À propos de reliques, un fragment peut représenter le tout, avec les mêmes vertus. Fragmen se retrouve en cath. 9, 60 ; psych. 145 (cf. Lvcr. 1, 284 ; Verg. Æn. 9, 569) ; sur les noms en -men, -> v. 215. Testeus est rare ; cf. Vvlg. Ier. 19, 1 ; Hier. in Ier. 4, 19, 10 ; Macr. Sat. 7, 15. illud : cf. v. 549 per te, per illum carcerem (quatrains symétriques).

      554 : cf. v. 550 honoris augmentum tui. quo : abl. de moyen ; les instruments du supplice sont aussi ceux du salut des martyrs. parta... gloria : de même, c. Symm. 1, 543 ; cf. perist. 7, 52-53 iam partam... | palmam mortis ; 10, 767-768 satis | iam parta nobis gloria est. Même image chez Cæs. Gall. 6, 40, 7 ante partam laudem amittere ; Cic. Mur. 22 hæc [uirtus] huic urbi æternam gloriam peperit. Sur la gloria des martyrs (cf. v. 550 honoris), -> 14, 9. creuit : cf. v. 550 augmentum.

      555 : trementes : les supplices tremblaient devant le martyr (v. 296) ; ici, le tesson provoque un tremblement, qui est moins un effroi (cf. v. 88 regnum tremendum perfidis) qu'une crainte religieuse (cf. v. 279 uestire semet floribus, miracle). posteri : -> v. 343-344.

      556 : exosculamur : attitude de vénération (-> 11, 193) ; cf. v. 337 sulcos pererrat osculis. lectulum : probablement le lit de mort du martyr (vv. 335 torum ; 353 lectuli), év. le gril (v. 207 grabato). La correspondance avec lectuli (même place du v. 353) fait préférer la 1ère hypothèse.

      
557-560 miserere nostrarum precum,
placatus ut Christus suis
inclinet aurem prosperam
noxas nec omnes imputet !
prends pitié de nos prières, afin que le Christ, apaisé, incline vers les siens une oreille favorable et ne nous impute pas toutes nos fautes !

      557 : miserere : sur la miséricorde du martyr, cf. perist. 2, 412 miseratus urbem Romulam ; 10, 166 miseret tuorum me sacrorum et principum. nostrarum precum : reprise de uoces precantum supplices (v. 546) ; le contenu de cette prière est défini au v. 560 noxas nec omnes imputet.

      558 : placatus... Christus : la distance est telle entre le pécheur et le Christ que Prudence recourt à un intercesseur ; cf. perist. 2, 577-580 indignus, agnosco et scio, | quem Christus ipse exaudiat, | sed per patronas martyras | potest medelam consequi. Même expression en cath. 7, 146-147, à propos des Ninivites : placet frementem publicis ieiuniis | placare Christum. C'est le Christ juge qu'il convient d'apaiser (cf. perist. 10, 1136-1140), non les dieux païens (cf. v. 28 placate fumo et uictima) ; les prières des martyrs peuvent y parvenir (cf. perist. 1, 21). suis : dat. d'intérêt. (Le texte tuis donné par Lavarenne est le fait d'une erreur d'impression.)

      559 : inclinet aurem : cf. V.T. psalm. 16, 16 inclina aurem mihi ; 48, 5 ; cf. Avg. epist. ad cath. 7, 15 inclinemus aurem uerbo Dei. aurem : cf. perist. 1, 18 audiunt, statimque ad aurem Regis æterni ferunt. prosperam : cet adj. qualifie aussi le Christ en perist. 9, 4 (spes est oborta Christum prosperum fore), Dieu en cath. 7, 172-175 (iram refrenat, temperans oraculum | prosper sinistrum ; prona [cf. inclinet] ... clementia | haud difficulter supplicem [cf. v. 546 supplices] mortalium | soluit reatum [cf. v. 547 reatus], fitque fautrix flentium). Cf. aussi v. 1-2 prospera | diem triumphalem tuum (->).

      560 : cf. Cassian. conl. 8, 22 illis debuit ad noxam imputari. Le pardon des péchés (perist. 2, 575-576 ; 10, 1136-1140 ; 14, 124-133) forme, avec la libération des entraves du siècle (perist. 2, 581-584) et la guérison d'autres maux (perist. 2, 580 ; 6, 161-162), l'essentiel des prières de Prudence. Elles semblent liées, et les deux 1ères au moins visent la béatitude éternelle. noxas : le péché (cf. v. 547). nec : employée à la place de neu, cette conjonction porte en part. sur omnes ; Prudence demande qu'une partie de ses péchés lui soit remise - motif comparable à la fin de perist. 2. 10. 14. imputet : cf. cath 7, 133 pudenda censor imputans opprobria.

      
561-564 Si rite sollemnem diem
ueneramur ore et pectore,
si sub tuorum gaudio
uestigiorum sternimur,
Si conformément au rite nous vénérons ce jour solennel de la voix et du coeur, si nous nous prosternons près de tes reliques qui font notre joie, ...

      561-564 : les 2 propositions conditionnelles introduites par si (vv. 561. 563) introduisent la demande présentée au quatrain suiv. La prière de Prudence s'apparente à un voeu.

      561 : rite : cf. perist. 6, 150 uestrum psallite rite Fructuosum ; cath. 3, 172 rite precantibus ; c. Symm. 2, 594 rite colit... Patrem ; 818 qui rite Dei præcepta sequuntur. Le poète aide à prier comme il convient et, dans les poèmes tardifs, se présente comme le coryphée des fidèles vénérant le martyr : cf. perist. 1, 118-120 ; 3, 201-215 ; 4, 193-200 ; 6, 145-156. Il parle aussi au nom de ses compatriotes dans les poèmes anciens (p.ex. perist. 2, 537-548). sollemnem diem : le 22 janvier, jour de la fête du martyr (cf. v. 2 diem triumphalem) ; cf. perist. 11, 237-238 inter sollemnes Cypriani uel Chelidoni | Eulaliæque dies currat et iste tibi. Cette terminologie n'est pas spécifiquement chrétienne (cf. Svet. Aug. 75 festos et sollemnes dies).

      562 : ueneramur : cf. perist. 11, 235-236 crede, salutigeros feret hic uenerantibus ortus, | lucis honoratæ præmia restituens. ore et pectore : cf. perist. 3, 75 pectore et ore ; la différence de quantité ( ; re) et d'accentuation (o est accentué dans ore, non dans pectore) rend l'homéotéleute moins sensible qu'en apparence. Cf. perist. 13, 3 amore et ore noster ; avec une autre acception d'os, perist. 9, 100 altar tepescit ore, saxum pectore. Prudence lie le langage à la foi, la voix à l'âme : cf. perist. 10, 770 digna est fidelis lingua, quæ sit hostia ; 771-772 interpres animi, enuntiatrix sensuum, | cordis ministra, præco opertis pectoris. On a un parallèle analogue (entre mens et lingua) chez Pavl. Nol. epist. 16, 9 ingenii autem tui facultates et omnes mentis ac linguæ opes Deo dedica, immolans ei, sicut scriptum est, sacrificium laudis ore facundo et corde deuoto. ore : repris du v. 546 uoces precantum supplices ; sur os, -> v. 175. pectore : ambivalent, entre les sens concret de 'poitrine' (cf. v. 563-564 ; perist. 2, 535 qui pectus in terram premit) et figuré de 'coeur' (sincérité de celui qui prie).

      563-564 : vénération des corps saints, -> 2, 533-536. sub tuorum gaudio uestigiorum : métonymie (l'effet pour la cause ; gaudio, 'source de joie'). Cf. cath. 11, 57 o quanta rerum gaudia (rerum, gén. subjectif) ; ici, uestigiorum est un gén. objectif (exégétique, développant gaudio).

      564 : uestigiorum : ce nom désigne aussi des reliques en perist. 2, 546 sanguinis uestigia. sternimur : le passif équivaut au réfléchi (cf. perist. 9, 5 tumulo aduoluebar) ; cf. perist. 4, 197-198 sterne te totam, generosa sanctis | ciuitas mecum ; 9, 5 stratus humi ; 11, 178 oraui quotiens stratus.

      
565-568 paulisper huc illabere,
Christi fauorem deferens,
sensus grauati ut sentiant
leuamen indulgentiæ.
descends un moment par ici, apportant d'en haut la bienveillance du Christ, afin que nos âmes appesanties sentent le soulagement qu'apporte l'indulgence.

      565 : paulisper : la demande n'est pas d'entrevoir l'éternité (perist. 2, 557-560) ou la fin des temps (ham. 912), mais de ramener dans le temps et dans le monde l'âme du martyr. huc : près de la tombe (cf. v. 563-564). illabere : verbe employé aussi à propos de l'Incarnation du Christ (apoth. 58. 103 ; cath. 7, 55) et de l'inhabitation du Christ dans l'âme humaine (psych. 818 ; cf. Avg. in euang. Ioh. 19, 10). Cf. Verg. Æn. 3, 89 animis illabere nostris.

      566 : Christi fauorem : cf. cath. 3, 13-14 pocula ni prius atque cibos | Christe, tuus fauor inbuerit ; 8, 17 tantus æterni fauor est Magistri. Le Christ est un Juge, qu'il s'agit d'apaiser (v. 558 placatus... Christus), mais aussi la source de toute grâce (ici ; v. 559 inclinet aurem prosperam). deferens : ce participe précise huc illabere (v. préc.), en décrivant ce mouvement comme dirigé de haut en bas. Cf. Sen. benef. 4, 9, 1 benenficia... in nos Deus defert sine spe recipiendi.

      567 : sensus grauati : cf. cath. 1, 86-88 sensum profunda obliuio | pressit, grauauit, obruit | uanis uagantem somniis (le sommeil, figure du péché). Sensus désigne l'âme apesantie par la 'chair' et le péché (cf. perist. 2, 583-584 seruientem corpori | absolue uinclis sæculi). Comme par réciprocité, l'âme revenant au monde matériel lui apporte sa légèreté. sentiant : comme au v. 102, impression forte et diffuse (-> 2, 427-428) ; figura etymologica avec le sujet sensus.

      568 : leuamen : cf. epil. 10 ; au contraire, v. préc. grauati. Sur les noms en -men, -> v. 215. indulgentiæ : la miséricorde du Christ comble les prières des pénitents (v. 560 noxas nec omnes imputet) ; l'indulgentia caractérise la justice divine, qui accorde un délai au repentir (cath. 7, 91-92 offensa tandem iugis indulgentiæ | censura iustis excitatur motibus). Cf. aussi, à propos de la grâce baptismale, perist. 8, 5-6 hic etiam liquido fluit indulgentia fonte | ac ueteres maculas diluit amne nouo.

      569-576 : après une prière instante (cf. vv. 545 nunc ; 565 huc) pour une communion ephémère (v. 565 paulisper), le poète se réfère aux fins dernières, en gardant une certaine impatience (cf. v. 569). À la différence de passages à couleur platonicienne (-> v. 301-304), affirmation de l'espérance de la résurrection de la chair (souci du sort du corps déjà auparavant ; -> v. 516).

      
569-572 Sic nulla iam restet mora,
quin excitatam nobilis
carnem resumat spiritus
uirtute perfunctam pari,
Qu'ainsi, il ne demeure désormais aucun retard avant que ton noble esprit ne reprenne possession de ta chair éveillée, elle qui s'est acquittée d'une bravoure égale, ...

      569 : sic... restet : subj. de souhait après sic, -> 11, 239-246. Cf. cath. 10, 35-36 spatium breue restat, ut [corpus] alti | repetat collegia sensus. nulla mora : le martyr était impatient de mourir pour être libéré des entraves charnelles et revenir à Dieu (v. 355-356 æger morarum tædio | et mortis incensus siti). Ici, un second délai sépare le présent du moment de la résurrection.

      570 : quin : ici, exceptionnellement (-> 2, 385), quin n'est pas adv., mais conjonction (cf. præf. 38 ; ham. 127). excitatam : 'éveillée' ou 'relevée', c'est-à-dire 'ressuscitée' ; cf. ham. 659-661 uetiti quod amore peremptos | excitat e tumulis homines regnique per æuum (v. 576 in æuum) | participes iubet esse sui. De même, perist. 10, 638-640 quia Christus in se mortuum corpus cruci | secum excitatum uexit ad solium Patris, | uiamque cunctis ad resurgendum dedit (résurrection du Christ).

      570-571 : nobilis... spiritus : en dépit d'une certaine égalité (cf. v. 572), l'âme a plus de noblesse que le corps (cf. v. 157-164) ; elle joue un rôle actif dans la résurrection (resumat).

      571 : carnem resumat : la résurrection est le retour de l'âme dans le corps glorifié, exprimé par l'idée de 'reprise de la chair'. Prudence oppose nobilis... spiritus à carnem, désignation souvent péjorative du corps périssable (-> 2, 269). Carnem est qualifié par excitatam (v. préc. ; résurrection) et par uirtute perfunctam pari (v. suiv. ; passion).

      572 : uirtute... pari : cf. v. 542-543 pari | uictor triumpho (->). La uirtus paradoxale du cadavre est celle du Christ (cf. v. 473), agissant en faveur de celui qui l'a si parfaitement imité qu'il en découle une sorte d'identité mutuelle (-> v. 339-340). Le triomphe du corps sur le démon (cf. v. 543-544) appartient cependant au martyr, qui, par sa passion, l'a comme mérité. perfunctam : cf. c. Symm. 2, 1082 nubit anus ueterana sacro perfuncta labore (cf. v. suiv. laborum).

      
573-576 ut, quæ laborum particeps
commune discrimen tulit,
sit et coheres gloriæ
cunctis in æuum sæculis.
afin que celle qui, prenant part aux souffrances, a affronté un péril commun, soit également cohéritière de la gloire, dans la durée de tous les siècles.

      573 : laborum particeps : apposition au sujet implicite carnis, repris par quæ. Au v. 9, le martyr est dit angelorum particeps. Sur labor, désignant ici la souffrance méritoire, -> v. 275.

      574 : commune : cet adj. va au-delà de ce qu'exprime particeps au v. préc. (idée d'égalité), et annonce le terme-clef, coheres (v. suiv.). discrimen : -> 13, 73 ; reprise de laborum (v. préc.), avec un autre point de vue : le martyr n'a pas seulement à affronter les souffrances, mais aussi les tentations (cf. p.ex. v. 175-184). Outre ce risque pour son salut, il y a la perte presque certaine de sa vie. tulit : même forme à la fin du v. 384 rebellis et palmam tulit (-> v. 539).

      575 : et : au sens d'etiam. coheres gloriæ : cf. N.T. Rom. 8, 17 si autem filii, et heredes, heredes quidem Dei, coheredes autem Christi, si tamen conpatimur ut et conglorificemur ; cf. Tert. res. 7 caro consors et coheres [animæ] ; Leo M. serm. 29, 3 qui sunt futuri gloriæ coheredes. Sur gloria, -> 14, 9.

      576 : cette doxologie finale est la seule du recueil, ce qui laisse supposer que perist. 5 occupait la place finale dans le groupe des sept passiones. Cf. aussi cath. 5, 163-164 regnum continuat triplici, | texens perpetuis sæcula sæculis ; 9, 114 omnibus te concelebrent sæculorum sæculis ; ditt. 123 in sæclum sæcli. cunctis... sæculis : datif doublé par l'expression in æuum. Cf. perist. 13, 87 per omne sæclum. in æuum : cf. v. 297-298 spectator hæc Christus compensat æuo intermino (-> v. 298) ; il s'agissait là de l'âme du martyr, qui seule intéressait les anges tenant ces propos ; Prudence appelle ici de ses prières la venue du moment où corps et âme entreront dans la vie éternelle.


Peristephanon 9
Troisième Passion : Passion de Cassien d'Imola (Passio Cassiani Forocorneliensis)

      Le poème consacré au martyr Cassien d'Imola ouvre le triptyque du voyage, coeur des sept Passions (cf. Introd. § 131-133) : en route pour Rome, Prudence rencontre comme son reflet, un homme de plume et d'autorité, sorte de anti-héros qui atteint le salut en gémissant, après avoir supplié ses faibles bourreaux. Poème relativement 'ancien' (cf. § 142), perist. 9 a pour pendant symétrique perist. 11 (cf. § 134-137). Un ton personnel, ému et chaleureux, distingue ce poème : Prudence intègre dans son 'canon' une figure qui lui est proche, et qui est délibérément présentée comme médiocre, ce qui introduit une tension avec les autres héros de ses poèmes. Avec ce modèle où chacun peut se reconnaître, Prudence renforce la valeur parénétique de son recueil et évite le risque d'une lecture 'mythique' des récits de martyre.

      Le martyr 663 

      

      Cassien, martyrisé à Forum Cornelii un 13 août, peut-être en 303, sous Dioclétien (cf. Bless-Grabher 1978, p. 63-64), fut enterré hors-les-murs jusqu'en 1187 au lieu-dit Castrum sancti Cassiani 664  et repose depuis dans la basilique-cathédrale d'Imola.

      Tradition hagiographique et réception de perist. 9

      Prudence est le plus ancien témoin de la passion de saint Cassien ; perist. 9 évoque des sources écrites (v. 19-20 historiam pictura refert, quæ tradita libris | ueram uetusti temporis monstrat fidem) qui, si elles ont existé, sont perdues. La tradition postérieure découle de perist. 9 : outre les calendriers et martyrologes, les plus anciens docu-ments sont une notice de saint Grégoire de Tours (glor. mart. 43) 665  et une mise en prose de perist. 9 (BHL 1626 ; CPL 2060) 666 , antérieure au viiie s. ; Hucbald de Saint-Amand (ixe - xe s.) sera l'auteur d'une autre Passion, inspirée de perist. 9 667  elle aussi ; les martyrologes historiques d'Adon, de Bède, de Raban Maur et de Notker mentionnent tous perist. 9 668 . On a des allusions ou des emprunts à perist. 9 chez Symphosius déjà (fin ive - début ve s.), puis notamment chez Dungal (ixe s.), Flodoard de Reims (xe s.), Guillaume de Malmesbury (xie s.) et dans le sermon que Pierre Damien (xie s.) consacre à saint Cassien 669 .

      Témoignages archéologiques et artistiques du culte

      Il reste peu de traces anciennes du culte de saint Cassien dans la ville de son martyre, hormis des vestiges archéologiques ; dans la basilique d'Imola, on a placé - sur le modèle de ce qu'évoque perist. 9 - un portrait du martyr supplicié (oeuvre de Pietro Tedeschi) au-dessus de sa tombe.

      Saint Cassien fut vénéré surtout au nord de l'Italie (cf. Introd. § 256-258 : chapelle votive, à Milan, construite au milieu du ve s.), mais aussi à Rome (autel érigé par le pape Symmaque [498-514] dans la rotonde Saint-André flanquant la basilique vaticane) et, plus tard, aux Grisons et dans le Tyrol : au xiie s., les Vita et gesta Cassiani, Ingenuini et Albuini episcoporum fixent la légende faisant de Cassien le premier évêque du diocèse de Säben-Brixen, déporté à Imola pour y être exécuté (cf. Introd. § 256). Prudence ne sera pas parvenu à implanter durablement le culte de saint Cassien en Hispanie, puisque, comme saint Quirin (perist. 7), il n'apparaît pas dans le sanctoral de la liturgie mozarabe.

      Dans les manuscrits de Prudence où la Psychomachie reçoit une riche illustration (faite selon des modèles semble-t-il antiques, voire définie par l'auteur même, cf. Introd. § 210), le seul poème du Peristephanon à présenter une illustration analogue est perist. 9 (avec perist. 10, dont les figures sont cependant clairement médiévales) 670 .

      Bibliographie : cf. Bless-Grabher 1978 (ouvrage de base) ainsi que Montroni & Mancini 1983, et Dolbeau 1977, Bieler 1962, Lanzoni 1925, Delehaye 21966, p. 288-291 ; cf. Stettiner 1895, pl. 158-160 (iconographie dans les mss). Cf. DECA 430-431 (Saxer) ; BSS 3, 909-912 (Gordini ; Raggi) ; AA. SS. 37 (août t. 3), 16-23 ; BHL 246-247 et suppl. 189-190 ; MHier 439-441 ; MRom 335-336.


Le poème

      Résumé

      Lors d'une étape de son voyage à Rome, Prudence prie sur la tombe d'un martyr (v. 1-8), dont il voit une peinture représentant le supplice (v. 9-16). Le sacristain l'explique en lui narrant la passion (v. 17-92). Exaucé, de retour chez lui, Prudence célèbre saint Cassien (v. 99-104). Le martyr, maître de sténographie (v. 21-28), fut condamné à être exécuté par ses élèves, qui s'en vengent (v. 29-42) en le suppliciant avec leurs instruments à écrire (v. 43-64) ; ils se moquent de ses plaintes (v. 65-82) et c'est le Christ qui mettra fin à son agonie (v. 83-92). Après ce récit, le sacristain invite Prudence à prier (v. 93-98).

      Dynamique et thématique du récit

      Le narrateur principal est un cicérone qui répond à l'étonnement du poète (de même, davantage encore, en perist. 12), et l'essentiel du récit est donné par l'ecphrasis d'une fresque (de même, dans une moindre mesure, perist. 11 ; cf. Introd. § 31). Comme en perist. 11, le martyr subit une peine fantaisiste, liée à une tradition littéraire profane (ici, le supplice du maître d'école de Faléries, cf. Liv. 5, 27), qui correspond en quelque sorte à l'expiation d'une faute (la sévérité du maître 671 ) par une peine analogue (autre ex. : -> 14, 48-49). Ce poème a aussi en commun avec les 'poèmes du voyage' un caractère personnel (d'où l'usage du distique), qui débouche sur la propagande du culte d'un martyr.

      À l'inversion du rapport maître / élèves s'ajoute le paradoxe de la lenteur extrême d'un supplice qui a pour instruments ceux de l'écriture rapide, objet de l'enseignement du martyr. La nature du supplice amène le recours au lexique propre à l'écriture (lui même emprunté à l'agriculture : sulcare) pour évoquer les blessures (notæ) infligées au martyr. La parole et l'écriture sont la source du martyre, ici (enseignement du maître) tout comme en perist. 13 (écrits, prédication, prière) - elles en sont aussi le prolongement, avec les poèmes de Prudence. Perist. 9 esquisse une réflexion sur le rôle de l'artiste qui représente la souffrance du martyr, moyen d'une catharsis des souffrances du lecteur 672  ; il est le seul à montrer un martyr non pas glorieux, mais souffrant - ce qui crée un lien étroit entre le simple fidèle (notamment Prudence) et le martyr. La raison du voyage de Prudence à Rome, présentée comme grave, est exprimée dans des termes sibyllins. 673 

      Bibliographie : outre l'ouvrage de Bless-Grabherr 1978 (p. 9-73), cf. les études de Ross 1990, Sabattini 1972, Argenio 1970, Bieler 1962, Weyman 1923. Sur les métaphores recourant au lexique propre à l'écriture, cf. Thraede 1965, p. 79-140.

      Mots rares en perist. 9 (seules occurrences chez Prudence) : confossa (v. 5), pugillares (v. 15), ædituus (v. 17), nonnumquam (v. 25), uerberator (v. 38 ; ->), uolupe (v. 41), buxa (v. 49), confessor (v. 55), pupugerat (v. 59), irasci (v. 73), uirgulas (v. 78), emendes (v. 79), probabiles (v. 98).

      Mètre : 53 distiques composés d'un hexamètre dactylique et d'un trimètre iambique 674 .


Commentaire

      Passio Cassiani Forocorneliensis : fait unique dans les sept Passiones, ce titre comprend la mention de la cité du martyr, Forum Cornelii (cf. v. 1-2)°; cf. Introd., App. C, p. 136-137.

      
1-2 Sylla Forum statuit Cornelius ; hoc Itali urbem
uocant ab ipso conditoris nomine.
Cornélius Sylla a établi ce Forum ; les gens d'Italie appellent ainsi la ville du nom même de son fondateur.

      1 : Sylla... Cornelius : L. Cornelius Sylla (183-78 av. J.-C.), dictateur entre 82 et 79, qui fit octroyer le droit de cité aux alliés de Gaule Cispadane en 89. Le fondateur d'Imola dut être en réalité P. Cornelius Cethegus (consul en 181). Forum... Cornelius : allusion à Forum Cornelii, auj. Imola ; cette cité, comme nombre de celles qui portent le nom de Forum (ici, nom commun) était une statio sur une voie romaine, ici l'Æmilia (tracée en 187 av. J.-C.) entre Rimini et Plaisance. Forum statuit : cf. Verg. Æn. 1, 573 urbem quam statuo uestra est. hoc... urbem : hoc (acc. sing.) reprend Forum et est attribut de l'objet direct urbem (dépendant de uocant) ; cf. perist. 4, 3 Cæsaraugustam uocitamus urbem. Itali : cf. Cic. har. resp. 9 ; Verg. Æn. 1, 109. Forum Cornelii, ville de Gaule Cispadane, fut liée à l''Italie' par les Cornelii susmentionnés.

      2 : uocant : leçon de la plupart des mss (cf. Bergman et Lavarenne) ; se basant sur le seul ms. B, Cunningham préfère uocitant. ab ipso conditoris nomine : étymologie, cf. v. préc. (cf. Cæs. ciu. 3, 112, 1 Pharus est in insula turris... quæ nomen ab insula cepit).

      
3-4 Hic mihi, cum peterem te, rerum maxima Roma,
spes est oborta prosperum Christum fore.
Là, alors que je faisais route vers toi, Rome, toi ce qu'il y a de plus grand, est née l'espérance que le Christ me serait favorable.

      3 : Prudence évoque son voyage vers Rome (cf. v. 103-105), mentionnée ici et au v. 105 (urbem adeo), liant perist. 9 aux autres 'poèmes du voyage'. te : Prudence s'adresse à Rome (-> 2, 2) ; ailleurs, à Tarragone (perist. 4, 21-24 ; 6, 157-159) et à Saragosse (perist. 4, 53-64. 197-200). rerum maxima Roma : cf. Verg. Æn. 7, 602-603 maxima rerum | Roma ; Prop. 4, 1 maxima Roma ; Hor. carm. sæc. 11-12 possis nihil urbe Roma | uisere maius ; Clavd. carm. min. 30, 18 o maxima rerum. Même emphase en perist. 10, 167 Roma, sæculi summum caput ; 11, 199 urbs augusta ; 231 pulcherrima Roma ; c. Symm. 1, 408-409 regia summi | imperii ; 496.

      4 : spes : cette espérance (prosperum Christum fore ; cf. v. 104 spem futuri forte nutantem boni) concerne une demande spécifique (cf. perist. 11, 176 [ara martyris] spes hominum placida prosperitate iuuat ; ->), non précisée, confiée au martyr, à l'invitation du sacristain (cf. v. 96 spes si qua tibi est). prosperum : adj. qualifiant Dieu (-> 5, 559) et le martyr (v. 97 audit... preces martyr prosperrimus), qui exaucent les prières. Christum : plus nuancé que le sacristain (cf. v. 95-98), Prudence voit dans le martyr un intercesseur, efficace par faveur du Christ (cf. perist. 11, 181-182 Hippolyto scio me debere, Deus cui Christus | posse dedit, quod quis postulet, adnuere).

      
5-6 Stratus humi tumulo aduoluebar, quem sacer ornat
martyr dicato Cassianus corpore.
Étendu sur le sol, je me prosternais devant le tombeau dont l'ornement saint est le martyr Cassien, avec son corps sacré.

      5 : stratus humi : de même, Liv. 25, 37, 2 ; Ov. met. 2, 477 ; Ivv. 8, 78 ; cf. perist. 11, 178 oraui quotiens stratus. Sur sternere, -> 5, 564. tumulo aduoluebar : cf. ditt. 142 pedibusque aduoluebar Iesu. Tumulus (-> 13, 98) se retrouve au v. 99 complector tumulum.

      5-6 : sacer... martyr... Cassianus : cf. perist. 11, 246 sacro... Hippolyto (->). Chez Prudence, sacer (ou sanctus, beatissimus) qualifie généralement martyr, et non un nom propre.

      5 : ornat : de même, perist. 3, 5 [Emeritam uirgo] ossibus ornat ; cf. aussi perist. 2, 300.

      6 : dicato : ce participe fait écho à sacer (v. préc.) et souligne le lien entre la sainteté du martyr et celle de ses reliques, et donc la logique d'une prosternation sur la tombe. Par sa passion, le martyr a consacré (dicare) son corps souffrant (cf. perist. 6, 134 ; 10, 775 ; 13, 47).

      
7-12 Dum lacrimans mecum reputo mea uulnera et omnes
uitæ labores ac dolorum acumina,
erexi ad cælum faciem, stetit obuia contra
fucis colorum picta imago martyris
plagas mille gerens, totos lacerata per artus,
ruptam minutis præferens punctis cutem.
Tandis qu'en larmes je repensais en moi à mes blessures, à toutes les peines de ma vie et à leurs dards douloureux, je levai mon visage vers le Ciel ; en face de moi, devant [mes yeux], se dressait l'image d'un martyr, peinte de fards colorés, portant mille plaies, lacérée à travers tous ses membres, présentant une peau déchirée de points minuscules.

      7-8 : Prudence examine sa conscience (cf. perist. 2, 575-576 cordis fatentem crimina | et facta prodentem sua) et confesse sa douleur (cf. perist. 11, 177-178 hic corruptelis animique et corporis æger | oraui), dans des termes repris à propos de la passion du martyr, signe d'une 'solidarité' ; la vue de l'image du martyr souffrant relativise et purifie (catharsis) ses propres souffrances. Le sacristain encouragera cette attitude (v. 95-96) ; cf. v. 101 arcana mei percenseo cuncta laboris.

      7 : lacrimans : ces pleurs de détresse deviendront larmes d'émotion (v. 99 lacrimas... fundo) ; sur lacrimare, -> 13, 98. mea uulnera : le martyr est aussi affecté de uulnera en nombre (cf. v. 58). En perist. 11, 177. 244, Prudence se dit 'malade' (æger ; ægrotam... ouem).

      7-8 : omnes uitæ labores : cf. v. 101 arcana mei... cuncta laboris ; la multiplicité implicite des peines de Prudence renforce l'analogie avec le martyr, criblé de blessures.

      8 : dolorum acumina : de même, Arnob. nat. 3, 24 ; l'image des pointes (cf. perist. 5, 423-424 quantis gementem spiculis | figebat occultus dolor) est reprise à propos des souffrances du martyr (vv. 51 acumina ferrea uibrant ; 62 sæuire solis scit dolorum spiculis). Noms en -men, -> 5, 215.

      9-12 : le poète regarde vers le ciel (vers Dieu) et voit la représentation d'un martyr souffrant ; en perist. 2, 549-560, loin de la tombe du martyr, le poète fait de même et croit le voir en gloire. Le récit de la passion est introduit (ici) et conclu (v. 93-94 hæc sunt quæ... | miraris) par la mention d'une fresque ; en perist. 11, cette mention n'intervient qu'au milieu de l'ecphrasis (-> 11, 123-134) ; cf. perist. 11, 125 picta super tumulum species.

      9 : erexi ad cælum faciem : -> 2, 548 ; cf. apoth. 501-502 supinas | erigit ad cælum facies atque inuocat Iesum. stetit... contra : de même, p.ex. perist. 11, 53 ; cf. Verg. Æn. 5, 414. 477.

      10 : fucis colorum : expression pléonastique, avec gén. explicatif (-> 5, 291) ; on la retrouve chez Rvric. epist. 2, 15 ; Boeth. arithm. 1 præf. p. 4, 8 ; Greg. Tvr. Franc. 2, 17. Cette couleur est probablement le rouge du sang (-> v. 40) ; fucus peut désigner le fard (ham. 274 ; cf. ham. 276 falso... colore) et au figuré le mensonge (perist. 10, 655) ; ici, il sera précisé que la peinture ne constitue pas un artifice, mais représente une historia véridique (cf. v. 17-20) ; cf. perist. 11, 124 multicolor fucus (->). picta imago martyris : cf. perist. 11, 125 picta... species. Il est question ici d'un portrait (en perist. 11, plusieurs scènes ; -> 11, 123-134).

      11-12 : dans cette fresque, ce qui frappe le poète est avant tout le grand nombre des plaies du martyr, représentées minutieusement. (Sur ce type de représentations, -> 11, 123-134).

      11 : plagas mille gerens : ce motif conclut l'explication de la fresque (v. 89-92) ; mille est un nombre conventionnel (-> 13, 37) ; il sera question de 200 enfants infligeant autant de blessures (v. 57-58) ; elles ne sont ici curieusement pas attribuées au martyr, mais à son portrait (accord avec picta imago de gerens, lacerata et præferens, ce qui est audacieux dans le cas de lacerata) - jeu analogue en perist. 11, 127-128 rorantes saxorum apices uidi... | purpureasque notas uepribus impositas, où les notæ peuvent être des traces de sang ou de peinture (-> 11, 128). totos... per artus : artus désigne les membres ou, plutôt, par synecdoque, le corps (cf. perist. 5, 228 sparsim per artus figitur ; -> 5, 367). Totus peut avoir son sens propre (cf. la gravité ou l'extension des blessures), mais a plutôt la valeur d'omnis (cf. perist. 4, 71), cf. v. 57 omnia membra. lacerata per artus : cf. perist. 4, 122 lacerata membra ; Clavd. 3, 431 laceros iuuat ire per artus. Le verbe lacerare (repris au v. 39) appartient au lexique de la torture (-> 11, 58).

      12 : ruptam... cutem : de même, Cels. 5, 18, 7 ; Sen. dial. 11, 3, 1 ; cf. v. 56 pars scindit cutem. Prudence mentionne souvent les blessures infligées sur la peau (-> 2, 386) ; emploi analogue de rumpere en perist. 5, 448 (->). minutis... punctis : même expression (à propos de rhétorique) chez Cic. parad. 2. L'emploi de punctus (et de pungere au v. 59) est lié à un jeu sur l'analogie entre l'écriture (cf. v. 24 raptimque punctis dicta præpetibus sequi) et le supplice infligé par des élèves avec leurs styles à écrire (v. 51-56 ; cf. aussi v. 77 pangere puncta libet). Minutus évoque la répétition de blessures légères (cf. v. 61-62) ; cf. perist. 11, 119 scissa minutatim labefacto corpore frusta. præferens : cf. perist. 2, 146 orbes cauatos præferens.

      
13-16 Innumeri circum pueri - miserabile uisu -
confossa paruis membra figebant stilis,
unde pugillares soliti percurrere ceras
scholare murmur adnotantes scripserant.

Innombrables autour de lui, des enfants - spectacle pitoyable - plantaient, dans les membres qui en étaient transpercés, les petits styles avec lesquels, habitués à parcourir la cire de leurs tablettes, ils avaient écrit sous la dictée les paroles du maître.

      13 : innumeri : frappé par le nombre des blessures (v. 11 plagas mille), Prudence l'est aussi par celui des enfants (v. 57 manus... ducentæ). innumeri circum : cf. Verg. Æn. 4, 706 hunc circum innumeræ gentes ; déjà comme professeur, le martyr était grege multo | sæptus (v. 21-22). pueri : de même, vv. 21 studiis puerilibus ; 26 impube uulgus ; 27 discenti... ephebo ; 28 infantiæ ; 31-32 alumni | gregis ; 35 agmen tenerum ac puerile ; 38 paruulis ; 41 discipulis ; 59 infans ; 83 pueri. miserabile uisu : même incise chez Verg. Æn. 1, 111 ; cf. Ov. met. 13, 422 (sur uisu, -> 2, 180). Comme le Christ (cf. v. 85 miseratus ab æthere Christus), Prudence est pris de pitié.

      14 : confossa... membra : cf. v. 11-12 ; comme artus (v. 11), membra désigne les membres ou le corps (cf. vv. 57 ; 83 talia ludebant pueri [cf. v. 13 pueri] per membra magistri). confossa : cf. Sall. Catil. 60, 7 ; Liv. 24, 7, 5 ; cf. v. 55 hinc foditur Christi confessor et inde secatur (cf. vv. 60 profunda perforarat uiscera ; 91 foraminibus). paruis... stilis : les styles, comme les blessures qu'ils infligent, sont minuscules (cf. v. 12 minutis... punctis). Instrument de l'écrivain (cf. perist. 10, 627 ; apoth. 379) ou du secrétaire (cf. perist. 10, 1124), ce poinçon permet d'écrire sur la cire (cf. v. 51-54) ; stilus est repris à la fin des vv. 44. 74. membra figebant : cf. v. 57 omnia membra manus... fixere. Sur figere, -> 5, 228.

      15-16 : cf. v. 23-24 uerba notis breuibus comprendere cuncta...| raptimque punctis dicta præpetibus sequi.

      15 : unde : à la place d'ubi ; même sens instrumental au v. 55 hinc... inde. pugillares... ceras : pugillares (Sen. epist. 15, 6 ; Plin. epist. 1, 6, 1) ou pugillaria (Catvll. 42, 4 ; Gell. 17, 9, 17 pugillaria noua, nondum etiam cera illita) substantivé désigne la tablette à écrire, de même que cera seul (Cic. Verr. i 92 ; Prop. 3, 23, 8 uulgari buxo sordida cera fuit) ; cf. vv. 47 tabellas ; 49 buxa... cerata ; 52 qua parte aratis cera sulcis scribitur ; c. Symm. 2, 50 ex tabulis cerisque. soliti : l'usage du style est évoqué par le narrateur (v. 51-54) et par les élèves (vv. 69-74. 77-80. 82).

      16 : scholare : attesté tardivement (cf. Hier. epist. 36, 14 ; Mart. Cap. 3, 226) ; cf. v. 76 scholarum ferias. adnotantes : cf. perist. 1, 2 ; 4, 169 ; sur nota et de ses dérivés, -> v. 23.

      
17-20 Ædituus consultus ait : 'Quod prospicis, hospes,
non est inanis aut anilis fabula ;
historiam pictura refert, quæ tradita libris
ueram uetusti temporis monstrat fidem.

Le sacristain que j'avais interrogé dit : 'Ce que tu contemples, visiteur, n'est pas une fable vaine ou un conte de vieille femme ; la peinture retrace l'histoire qui, transmise par des livres, montre la vérité authentique de l'ancien temps.

      17 : ædituus : le gardien d'un temple (autre forme : æditumus) ou, ici, le sacristain (de même, Evgipp. Seu. 10, 1), év. revêtu du plus bas des ordres mineurs ('portier', cf. p.ex. Hier. in Tit. 2, 15). consultus : une question marque le point de départ du récit (cf. perist. 11, 3 quæris ; 12, 1 dic, amice, quid sit). hospes : vocatif repris à la fin du discours (fin du v. 93).

      18 : inanis aut anilis : avec un probable jeu sur les sonorités, ces adj. insistent sur le caractère péjoratif de fabula. inanis : -> 5, 65. anilis fabula : cf. Hor. sat. 2, 6, 77 aniles... fabellas ; Qvint. inst. 1, 8, 19 anilibus... fabulis ; Avg. util. cred., proem. spernentem quasi aniles fabulas. Cf. perist. 6, 40 damnes, si sapias, anile dogma (reproche du persécuteur) ; 10, 249-250.

      18-19 : fabula ; historiam : juxtaposition de termes opposés ; fabula évoque des 'sornettes' (-> 2, 320) peut-être en référence à la mythologie (cf. c. Symm. 1, 191) ; l'historia est un témoignage (tradita libris) véridique (cf. v. 20) - comme le sont les récits bibliques (cf. ham. 724). Quintilien (inst. 2, 4, 2) distingue trois espèces de narrationes : fabula, argumentum, historia. Cicéron (de orat. 2, 3, 6) vante l'historia comme testis temporum, lux ueritatis, ... magistra uitæ, nuntia uetustatis ; cf. Isid. orig. 1, 44, 5 historiæ sunt res ueræ quæ factæ sunt.

      19 : historiam pictura refert : possible retractatio de l'adage horatien ut pictura poesis, la pictura (et donc ici la poesis) devenant reflet fidèle de la vérité ; refert laisse entendre que la peinture a valeur de témoin (cf. perist. 10, 1114 omne crimen in fasces refert ; 13, 76 ; 14, 57). Pictura (cf. perist. 12, 39) reprend imago picta (v. 10). Cf. Greg. Nyss., hom. s. Theod. (PG 46, 737d-740a) 'le dessin (grafh), silencieux, parle sur un mur et est de très grande utilité ; et celui qui arrange des tesselles a donné la dignité de l'histoire (istoriaV axion) au pavement que l'on foule'. tradita libris : la mise par écrit d'une tradition garantit sa pérennité (cf. perist. 13, 7-8 dum liber ullus erit, dum scrinia sacra litterarum, | te leget omnis amans Christum, tua, Cypriane, discet ; -> 5, 182). Prudence déplore la perte (cf. perist. 1, 73-81) ou l'absence (cf. perist. 11, 9-10) de documents écrits ; il compose ses poèmes aussi dans cette optique (cf. perist. 11, 180), sans ignorer la fragilité des livres (cf. perist. 10, 1117-1118).

      20 : ueram... fidem : cf. Prop. 4, 1, 98. Ici, fides désigne la sincérité du contenu d'un document (cf. perist. 2, 105 ; Cic. Arch. 9). Prudence critique l'art s'il est mensonger (c. Symm. 2, 39-50), l'apprécie comme ornement (perist. 2, 481-484), le célèbre s'il représente la vérité (ici ; perist. 11, 129 docta manus ; cf. Fontanier 1986, p. 128-129. 131) : la fresque se base sur un récit écrit et en inspire un autre. uetusti temporis : l'époque en question est inconnue - même si Julien l'Apostat s'en est pris aux professeurs chrétiens, il est peu probable que l'épisode soit si récent. monstrat : l'image signale la réalité historique, en part. les blessures du martyr (v. 12 ruptam minutis præferens punctis cutem), à l'attention du public.

      
21-24 Præfuerat studiis puerilibus et grege multo
sæptus magister litterarum sederat,
uerba notis breuibus comprendere cuncta peritus
raptimque punctis dicta præpetibus sequi.
Il avait présidé aux études des enfants et, entouré d'une troupe nombreuse, il avait siégé en tant que maître d'écriture, habile à saisir tous les mots dans de brèves notes et à prendre sans retard la suite des paroles avec des points au vol ailé.

      21 : præfuerat : le motif de l'autorité du maître est repris par des termes à connotation quasi politique aux vv. 22 magister... sederat ; 31-32 moderator alumni | gregis ; 35 agmen tenerum ac puerile gubernat ; 73 ipse iubebas ; 81 exerce imperium. Puerilis est repris au v. 35 (-> v. 13).

      21-22 : grege multo sæptus : s. Cassien est entouré d'enfants (vv. 13 innumeri circum pueri ; 57). Grex (-> 13, 67) est repris par agmen (vv. 35. 44). Sur le sing. multus, -> 14, 104.

      22 : magister litterarum : probablement le maître d'école primaire (cf. Firm. math. 3, 9, 10 ; Avg. nat. et grat. 42, 28 ; cf. Marrou 1948, t. 2 p. 64 ; Bless-Grabher 1978, p. 36-45), vu le jeune âge des élèves (-> v. 13) ; il semble apprendre moins à écrire qu'à sténographier ; la vulgarisation de cette technique peut expliquer son enseignement à un niveau élémentaire - à en croire Suétone (Tit. 3, 3), Titus la maîtrisait, rivalisant de vitesse avec ses secrétaires. magister : cf. vv. 40. 69. 83 ; on a aussi doctor (vv. 27. 42. 76), præceptor (v. 75) et, ironiquement, uerberator (v. 38). sederat : -> 11, 49-50 ; cf. Avg. de serm. dom. 1 sedens autem docet, quod pertinet ad dignitatem magistri ; les élèves restent debout (cf. v. 72).

      23-24 : cf. v. 36 fictis notare uerba signis imbuens. La sténographie (ou notes tironiennes) sert aussi bien dans l'administration que pour un usage privé (cf. Avson. Ephem. 7) ; ce sont des sténographes qui ont transcrit les sermons prononcés par s. Augustin (cf. Marrou 1948, t. 2, p. 124-126). Cf. RE 11, 2 'Kurzschrift' [Weinberger, 1922] en part. 2222, 42 - 2226, 30.

      23 : notis breuibus : les notes tironiennes, ensemble de points et de traits ligaturés (v. 77-78 pangere puncta libet, sulcisque intexere sulcos, | flexas catenis impedire uirgulas) ; cf. vv. 16 adnotantes ; 36 notare, termes techniques courants, comme notarius, 'secrétaire'. Les enfants joueront sur leur sens (v. 71 reddimus ecce tibi tam milia multa notarum ; 82 si quis tuorum te notauit segnius), les blessures et les taches de sang pouvant aussi être appelées notæ (cf. perist. 11, 128 ; de même, notare en perist. 4, 89). À l'idée d'abréviation (breuibus ; comprendere) est associée celle de rapidité (cf. v. suiv. raptim ; præpetibus) ; lors du supplice, les plaies seront minuscules (cf. v. 12), mais les souffrances se prolongeront (v. 84 longa... poena). peritus : de cet adj. dépendent les infinitifs comprendere (ici) et sequi (v. suiv.) ; sur ce tour, -> 5, 450.

      24 : punctis... præpetibus : ces puncti seront reproduits dans la chair du martyr (-> v. 12). Præpes évoque le vol de l'oiseau et exprime la même idée de rapidité que raptimque. dicta sequi : sequi est aussi utilisé à propos de la lecture (perist. 11, 18).

      
25-28 Aspera nonnumquam præcepta et tristia uisa
impube uulgus mouerant ira et metu ;
doctor amarus enim discenti semper ephebo
nec dulcis ulli disciplina infantiæ est.

L'enseignement, qui semble parfois dur et sévère, avait soulevé dans ce peuple juvénile la colère et la crainte ; le professeur est en effet toujours pénible au jeune étudiant et la discipline n'est en aucun cas douce à l'âge des enfants.

      25 : la dureté du maître est relativisée (cf. nonnumquam... uisa), mais les paroles des enfants (v. 69-82) ou des accusateurs (cf. v. 38 uerberator) ne sont pas niées. Rejoignant un motif topique (cf. Marrou 1948, t. 2 p. 71-72) ou s'inspirant de modèles (Avg. conf. 1, 9, 14-15 ou Hor. epist. 2, 1, 70-71 ; cf. aussi Mart. 10, 62, 10 ferulæque tristes, sceptra pædagogum ; Avson. 7, 24-32), Prudence affirme avoir eu de tels maîtres (præf. 7-8 ætas prima crepantibus | fleuis sub ferulis). Sans demander pardon, le martyr semblera expier cette sévérité dans un supplice cruel et dérisoire (cf. vv. 69-74. 79-82 ; de même, perist. 11, 85-88). aspera... et tristia uisa : les 2 adj. (ou seul tristia, si aspera est épithète) sont attributs de præcepta (même emploi de uisus en perist. 1, 5 ; 2, 321). præcepta : l'enseignement (perist. 2, 103) ou les ordres (perist. 14, 66).

      26 : impube uulgus : il n'y aura pas de débat religieux ou moral avec les enfants (-> v. 13), immatures et incapables de porter un jugement (v. préc. uisa). ira et metu : -> 14, 106 iram, timorem ; le ressentiment (cf. v. 45 ; -> 14, 63) éclatera lorsque la crainte aura disparu.

      27 : doctor : -> v. 22 magister. amarus : cf. perist. 4, 119-120 ; Val. Max. 7, 6. discenti... ephebo : Bergman retient la graphie fantaisiste efybo (-> 14, 72) ; discens qui lui est accordé peut, substantivé, signifier à lui seul 'élève' (Liv. 6, 25, 9 ; Sen. clem. 1, 16, 2). Ce complément au dat. reprend l'idée de jugement subjectif exprimée par uisa (v. 25). Ephebus (au sens propre, homme âgé de 17 ans ; -> 14, 72) a un sens général, qui s'accorde assez mal avec infantiæ (-> v. suiv.) - même ambiguïté sur le degré de l'enseignement (-> v. 22).

      28 : dulcis : contraste avec amarus (v. préc.) ; une telle sensibilité, partagée ensuite par le martyr, est absente des autres passions : cf. perist. 1, 51 dulce ferrum perpeti ; 3, 15 supplicium sibi dulce rata. disciplina : les punitions (cf. vv. 38 uerberator ; 42 doctor seuerus, quos nimis coercuit ; 81 ius est tibi plectere culpam) ou l'enseignement (cf. vv. 72 stando, flendo ; 75-76 totiens... negatas | ... scholarum ferias), tous deux pénibles (double sens analogue pour præcepta, v. 25). infantiæ : par métonymie, ce nom abstrait désigne les enfants (-> v. 13 ; cf. Qvint. inst. 1, 1, 26). De même qu'ephebus tendait à vieillir ces élèves, infantia exagère leur jeunesse (cf. aussi v. 38 paruulis) ; ce nom (p.ex. perist. 10, 659), ainsi qu'infans (v. 59), désigne souvent, malgré l'étymologie, des enfants doués de parole (même de 16 ou 17 ans : cf. CIL vi 6814 ; x 2426. 4802).

      
29-30 Ecce fidem quatiens tempestas sæua premebat
plebem dicatam Christianæ gloriæ.

Voici que la tempête cruelle, sévissant contre la foi, accablait le peuple consacré à la gloire chrétienne.

      29 : fidem quatiens : cf. perist. 1, 43 liberam succincta ferro pestis urgebat fidem ; 11, 42 peste suburbanos ut quateret populos. tempestas sæua : au figuré, tempestas désigne tout malheur ou calamité (p.ex. Cic. Planc. 11), ici la persécution (-> 11, 42) ; cf. perist. 4, 81-82 sæuus antiquis quotiens procellis | turbo uexatum tremefecit orbem ; Cypr. laps. 1. premebat : -> 14, 113.

      30 : plebem : les chrétiens (-> 2, 468). dicatam : -> 14, 24 ; cf. v. 6 dicato... corpore (->). Christianæ gloriæ : la gloire chrétienne est le salut, que procure le martyre ; gloria (-> 14, 90) est repris au v. 94 ista est Cassiani gloria (blessures du martyr). Sur Christianus, -> 2, 59.

      
31-32 Extrahitur coetu e medio moderator alumni
gregis, quod aris supplicare spreuerat.

On tire du milieu du rassemblement celui qui régissait la troupe écolière, parce qu'il avait refusé avec mépris d'adresser une prière devant les autels.

      31 : extrahitur : ceux qui arrêtent le martyr et répondent lors de l'interrogatoire (v. 35) ne sont pas identifiés ; cf. perist. 11, 79-86. coetu e medio : la classe (grex alumnus ; cf. v. 21-22 grege multo | sæptus) qui sera chargée d'exécuter le condamné ; coetus ne reprend pas plebem dicatam Christianæ gloriæ (v. préc.) - ce qu'il advint des fidèles eût été mentionné (cf. perist. 2, 349-352 ; 10, 65-67 ; 11, 25-40. 80-82). moderator : désignation du maître (-> v. 21), en contraste avec uerberator (v. 38). moderator alumni : cf. Stat. silu. 5, 3, 192 (même fin de v.).

      31-32 : alumni gregis : alumnus adj. (cf. c. Symm. 2, 257. 503. 972), épithète de grex (-> v. 21-22), équivaut au gén. plur. alumnorum ; sur les désigations des enfants, -> v. 13.

      32 : aris supplicare : sur ara, -> 5, 518. Ici et en perist. 6, 36 (aras dæmonicas coli iubebat), il y a peut-être une ironie : la religion grossière des païens les fait adorer les instruments même du culte (cf. perist. 2, 514 orare simpuuium Numæ ; 10, 381 deasceato supplicare stipiti) ; en principe, supplicare a pour complément p.ex. diis (Sall. Iug. 63, 1). spreuerat : cf. c. Symm. 2, 685 postquam templorum spreuimus aras ; Hor. carm. 1, 1, 20 ; Ov. met. 9, 117.

      
33-36 Poenarum artifici quærenti, quod genus artis
uir nosset alto tam rebellis spiritu,
respondent : " Agmen tenerum ac puerile gubernat,
fictis notare uerba signis imbuens. "

À l'artisan des supplices qui demandait quel genre d'art connaissait cet homme si rebelle, avec son esprit hautain, on répond : " Il gouverne la troupe délicate et enfantine, lui enseignant à noter les mots avec des signes conventionnels. "

      33 : poenarum artifici : cf. perist. 5, 254 crucis peritus artifex. Sur poena (repris au v. 84), -> 14, 22. quærenti : cf. v. 17. artis : cf. ici artifici ; l'ars du sténographe deviendra ars poenarum.

      34 : uir : désignation des martyrs, soldats du Christ (-> 2, 37), reprise au v. 84. S. Cassien est plutôt un anti-héros. alto tam rebellis spiritu : cf. perist. 5, 240 altum spiritum ; le martyr n'est pas que la victime d'une vengeance, mais un réel opposant (cf. v. 32 quod aris supplicare spreuerat). rebellis : cf. perist. 10 plebis rebellis... ducem ; 11, 51-52 detestandique rebelles | idolii.

      35-36 : profession et objet de l'enseignement du martyr ont déja été indiqués aux vv. 21-24.

      35 : agmen tenerum ac puerile gubernat : cf. v. 21 præfuerat studiis puerilibus ; Verg. Æn. 5, 548 puerile paratum agmen habet (Ascagne). Agmen est repris au v. 44 (acutis agmen armatum stilis) avec une connotation militaire plus affirmée. tenerum ac puerile : -> v. 13 ; ces adj., utilisés aussi à propos des saints Innocents (cath. 12, 130. 148), suggèrent une certaine tendresse des accusateurs pour les enfants (v. 38 paruulis) ; leur faiblesse contribuera à rendre plus cruel le supplice (cf. v. 67-68 male conatus tener infirmusque laborat ; | tormenta crescunt, dum fatiscit carnifex). Tener indique le jeune âge en perist. 3, 24. 109 (cf. Cic. fam. 1, 6, 2). gubernat : l'autorité du maître (-> v. 21), pouvoir quasi politique sur les élèves (v. 31 moderator).

      36 : cf. v. 23 uerba notis breuibus comprendere cuncta peritus. fictis... signis : les notes tironiennes sont un artifice sténographique ; signum correspond à nota (-> v. 23 ; cf. Cic. Læl. 62 signa et notæ). notare : cf. Qvint. inst. 1 præf. 7 ; 4, 5, 22 ; verbe repris au v. 82 si quis tuorum te notauit segnius (jeu de mots : notare est utilisé à propos de toute marque). imbuens : cf. perist. 13, 12 ; même tour chez Tac. hist. 5, 5, 5 nec [Iudæi] quicquam prius imbuuntur quam contemnere deos ; Min. Fel. 6, 1. S. Cassien fait répéter sans relâche les exercices à ses élèves (cf. v. 71-76).

      37-42 : décrétée en fonction de l'identité du martyr (profession ; en perist. 11, nom), la peine est exécutée par des irresponsables (enfants ; en perist. 11, chevaux sauvages), qui tuent par de multiples blessures - avec un motif littéraire (ici, Liv. 5, 27 : maître d'école de Faléries).

      
37-38 " Ducite ", conclamat, " captiuum ducite, et ultro
donetur ipsis uerberator paruulis.

" Emmenez-le ", dit-il à grands cris, " emmenez-le captif, et que par un retour des choses ce père fouttard soit livré aux tout petits eux-mêmes.

      37 : ducite... captiuum ducite : répétition expressive. Captiuum est attribut d'eum [= martyrem] sous-entendu ; on liera les mains du martyr (v. 43) ; cf. perist. 13, 50 ducitur... uinctus. conclamat : cf. perist. 5, 95. ultro : le martyr est peut-être ramené dans l'école où il avait été arrêté (v. 31 extrahitur coetu e medio) ; ultro prend néanmoins plutôt un sens logique (réciprocité).

      38 : donetur : le martyr est livré à la discrétion des enfants (vv. 39 ut libet, illudant ; 41). ipsis : démontratif soulignant un paradoxe (renversement des rôles, substitution des enfants au bourreau) ; de même, v. 41. uerberator : -> v. 28 ; seule occurrence de ce terme dans la littérature latine. paruulis : -> v. 13 ; même terme en perist. 1, 118 ; 10, 58. 737.

      
39-42 " Vt libet, illudant, lacerent impune manusque
tinguant magistri feriatas sanguine ;
ludum discipulis uolupe est ut præbeat ipse
doctor seuerus, quos nimis coercuit. "

" Comme il leur plaira, qu'ils s'en amusent, qu'ils le déchirent impunément et teignent du sang de leur maître leurs mains mises en congé ; cela fait plaisir, de faire jouer le jeu de l'enseignement, pour ses élèves, à l'austère professeur en personne, lui qui ne les avait que trop réprimés. "

      39 : libet : cf. v. 77 pangere puncta libet (cf. v. 45-64). illudant : cf. vv. 41 ludum ; 83 talia ludebant pueri per membra magistri. lacerent : cf. v. 11 ; -> 11, 58. impune : l'absence de punition déchaînera les enfants (-> v. 28), jusqu'à l'ironie (v. 81 ius est tibi plectere culpam). manusque : mis en évidence par sa position, manusque lie les vv. du distique ; manus symbolise l'action (-> 5, 69), ici celle des bourreaux (-> 14, 88) ; de même, vv. 57. 70. 80.

      39-40 : manusque tinguant... sanguine : cf. perist. 1, 39 impias manus cruentis inquinare stragibus ; 5, 151-152. 342 (->) ; tinguere avec sanguine se retrouve p.ex. chez Lvcr. 6, 173 ; Verg. georg. 3, 492 ; Lvcan. 7, 473 ; Stat. Theb. 6, 758.

      40 : magistri : -> v. 22 ; ce gén. complète sanguine plutôt que manusque (auquel cas feriatas évoquerait les mains entravées du martyr). feriatas : cf. Ennod. opusc. 1, 85 p. 284, 19. Sans maître, les enfants (et leurs mains) ont les vacances (cf. cath. 7, 27) auparavant refusées (v. 75-76 negatas | ... scholarum ferias). sanguine : cf. vv. 49-50 buxa... genis impacta cruentis | rubetque ab ictu curta et humens pagina ; 58 totidemque guttæ uulnerum stillant simul ; 89-90 sanguis ab interno uenarum fonte patentes | uias secutus deserit præcordia ; cf. aussi v. 10 fucis colorum (couleur du sang).

      41 : ludum : cf. v. 39 illudant (jeu de mots, ludus pouvant désigner le jeu, la moquerie, ou l'école) ; ambivalence aussi en perist. 5, 64 mors Christianis ludus est (->). discipulis : -> v. 13. uolupe : terme archaïque (neutre adverbial d'un adj. *uolupis), fréquent chez Plaute (forme uolup), repris chez Avg. epist. 3, 5 ; Sidon. epist. 2, 2, 1. præbeat : cf. perist. 5, 331-332 ut pastum nouum | poenis refectus præbeat (-> 5, 332). ipse : souligne un paradoxe (-> v. 38).

      42 : sur la dureté du maître, -> v. 28. doctor : -> v. 22 magister. seuerus : ailleurs, qualité des martyrs (force morale, -> 13, 29) ; ici, celui qui était dur sera pitoyable. quos nimis coercuit : la condamnation fantaisiste est l'occasion de venger la dureté excessive (nimis) de l'enseignant.

      
43-44 Vincitur post terga manus spoliatus amictu ;
adest acutis agmen armatum stilis.

Il est lié, les mains derrière le dos, dépouillé de son vêtement ; une troupe armée de styles pointus est présente.

      43 : de même, à propos du maître d'école de Faléries, cf. Liv. 5, 27, 9 denudatum deinde eum manibus post tergum illigatis reducendum Falerios pueris tradidit ; Plvt. Camill. 9-11 ; cf. aussi Vell. 2, 1, 5 ut... nudus ac post tergum religatis manibus dederetur hostibus. Cf. perist. 2, 359-360 nudare amictu martyrem, | uincire membra. uincitur post terga manus : cf. perist. 6, 103-104 manus... | in tergum... reuinctas ; 10, 70 ; Verg. Æn. 2, 57 manus post terga reuinctum ; 11, 81 iunxerat et post terga manus. L'expression post terga se retrouve au v. 103 post terga domum... relictam. Sur uincitur, -> 2, 360. manus : acc. de relation ; cf. perist. 13, 53-54 catena | nexus utramque manum. Au contraire des mains du martyr, celles des enfants ont toute licence pour agir (vv. 39-40 manusque | ... feriatas ; 74 ; -> 5, 69). spoliatus amictu : -> 2, 359-360.

      44 : mise à mort semblable chez Sen. clem. 3, 13, 1 ; Svet. Cal. 28 et dans des récits de martyres, orientaux surtout (cf. Bless-Grabher 1978, p. 48-52). Ce v. est marqué d'une quadruple allitération en a- ; son rythme iambique rapide contraste avec le v. préc., reflétant l'asymétrie des protagonistes (au contraire, p.ex. perist. 5, 214-216). adest : les élèves sont encore ou à nouveau rassemblés, peut-être dans l'école où le martyr a été arrêté (cf. v. 31) puis ramené (cf. v. 37-38). acutis... stilis : cf. v. 51 stimulos et acumina ferrea uibrant ; perist. 10, 797-798 acutum... ferrum. Sur stilus, -> v. 14. agmen armatum : cf. v. 35 agmen tenerum ac puerile (->) ; de même, v. 69-70 tute ipse, magister | istud dedisti ferrum et armasti manus.

      
45-46 Quantum quisque odii tacita conceperat ira,
effundit ardens felle tandem libero.

Toute la haine que chacun avait nourrie dans une sourde colère, il la déverse, brûlant d'un fiel enfin libéré.

      45-46 : les passions reçoivent l'explication de la médecine antique (-> 5, 378-379, en part. 5, 379) ; cf. Cvrt. 7, 1, 25 quicquid irarum in tabernaculo conceptum est, in hostium effunditur capita.

      45 : quisque : chaque enfant agit selon sa fantaisie (cf. v. 47-58) et sa force (cf. v. 59-68). odii : la force donnée par la haine s'essoufflera, et le martyr dira (v. 66) : quod defit æuo, suppleat crudelitas. tacita... ira : la colère (ira, -> v. 26) était contenue et réprimée, du fait de la sévérité du maître ; cf. c. Symm. 1 præf. 36 sub tacito pectore murmurans. conceperat : cf. cath. 2, 111.

      46 : effundit ardens : cf. Val. Fl. 1, 701 sæuit... nec [uidet] qua se ardens effundere possit. Chaleur et brûlure sont liées à la violence des passions (-> 11, 52 ; ardere est aussi associé avec fel en ham. 611 sic felle libidinis ardens. effudit : l'objet de ce verbe est abstrait (v. préc. quantum... odii), bien que la suite suggère que cet épanchement s'accompagne de celui de la bile, felle... libero ; cf. Cic. fam. 12, 25, 4 ; Liv. 39, 34, 1. felle... libero : au-delà de l'explication médicale, la bile (fel, -> 5, 379) symbolise le sentiment des enfants (sécrétion intérieure, lente et cachée, de l'amertume du fiel) ; libero souligne l'idée d'effudit. tandem : cf. v. 85-86 tandem luctantis miseratus ab æthere Christus | iubet resolui pectoris ligamina ; perist. 10, 395.

      
47-50 Coniciunt alii fragiles inque ora tabellas
frangunt ; relisa fronte lignum dissilit ;
buxa crepant cerata genis impacta cruentis
rubetque ab ictu curta et humens pagina.

Les uns jettent ensemble les tablettes fragiles et sur son visage, ils les fracassent ; frappant le front, le bois se brise en morceaux ; le buis couvert de cire craque sur les joues ensanglantées qu'il heurte et la page rougit, tronquée sous le choc et mouillée.

      47 : alii : emploi d'alius au lieu d'alter (-> 12, 45) ; les enfants torturent leur maître avec leur matériel, tablettes (v. 47-50) ou styles (v. 51-56), visant le visage (inque ora ; vv. 48 fronte ; 49 genis) ou l'ensemble des membra (cf. v. 57) - ordre a capite ad calcem plusieurs fois respecté par Prudence (-> 11, 137-140). fragiles... tabellas : les tablettes à écrire (cf. Qvint. inst. 1, 1, 27 litteras tabellæ insculpere ; -> v. 15) se briseront sous l'effet du choc (vv. 48 frangunt ; 49 crepant ; 50 ab ictu curta... pagina), indice de la force de la colère. inque ora : ce complément ne dépend pas de coniciunt (cf. -que), mais de frangunt (v. suiv.) ; les 2 vv. du distique sont unis.

      48 : frangunt : cf. v. préc. fragilis ; l'instrument du supplice est brisé sur la victime (cf. ham. 441-442 miserorum in corpora fasces | frangere). Frangere est repris par dissilit (visuel) et par crepant (sonore), plus expressifs. relisa : même sens rare de 'frapper' en apoth. 95 alapis... uexat palma relisis. lignum : les tablettes sont en bois (du buis : v. suiv. buxa) enduit de cire.

      49-50 : le sang (-> v. 40) tache le visage du martyr (v. 49 genis... cruentis) et les tablettes (v. 50).

      49 : buxa... cerata : expression reprenant tabellas (v. 47 ; cf. Cic. Cæcil. 24 cerata tabella) ; cf. v. 15 pugillares... ceras. Le buis a les avantages de la solidité et de sa couleur claire (cf. Prop. 3, 28, 3 ; Schol. Hor. serm. 1, 6, 74 ; Ambr. hex. 3, 13, 53 buxus quoque elementorum apicibus utilis exprimendis leui materia usum manus puerilis informat, unde ait Scriptura : 'Scribe in buxo.'). Même décl. et genre buxum chez Verg. Æn. 7, 382 ; georg. 2, 448 (ailleurs fém., de la 1ère ou de la 4e décl.). crepant : -> 5, 112. genis impacta cruentis : cf. perist. 10, 557-558 charaxat ambas ungulis scribentibus | genas, cruentis et secat faciem notis ; 703-704 impacta quotiens corpus attigerat salix, | tenui rubebant (cf. v. suiv. rubetque) sanguine uda uimina. Le nom genæ désignant la partie du visage située sous les yeux, le motif suggéré par genis... cruentis est celui de larmes de sang (cf. d'autres emplois de genæ : pleurs, cf. perist. 6, 82 ; 10, 706). cruentis : adj. décrivant le résultat de l'action ; de même que frangunt (v. préc.), il est repris (au v. suiv.) par 2 termes plus expressifs suggérant la matérialité du sang (-> v. 40) : rubetque (visuel) et humens (tactile).

      50 : on a peut-être avec cette pagina rougie de sang une mise en abyme dans un tableau lui-même sanglant (vv. 10 fucis colorum picta imago ; 93). rubetque : -> 11, 122. ab ictu : complément circonstanciel de cause ; reprise étymologique de coniciunt (v. 47). curta... pagina : au v. 48, dissilit peut laisser entendre que les tablettes étaient disloquées en menus morceaux ; ici, curta ('tronqué' ; cf. apoth. 1075 ; ham. 685) permet encore de parler de pagina (un feuillet ; abstraitement, toute sorte d'écrit : -> 5, 181). La pagina qu'utiliseront ensuite les enfants sera le corps du martyr ; cf. perist. 1, 3 sanguinis notis eadem scripta terris tradidit ; 3, 139-140 (le nom du Christ, inscrit sur le corps) nomen et ipsa sacrum loquitur | purpura sanguinis eliciti. curta et humens : nombreuses variantes (moins bonnes) dans les mss.

      
51-54 Inde alii stimulos et acumina ferrea uibrant,
qua parte aratis cera sulcis scribitur,
et qua secti apices abolentur et æquoris hirti
rursus nitescens innouatur area.

Puis d'autres brandissent leurs aiguillons et les pointes de fer, avec le côté par lequel on inscrit des sillons labourés sur la cire et le côté par lequel les signes gravés sont effacés et la surface, dont l'étendue se hérisse d'aspérités, est renouvelée, à nouveau brillante.

      51 : alii : -> 12, 45. stimulos : des aiguillons (cf. perist. 11, 108 iliaque infestis perfodiunt stimulis) ou abstraitement (-> 13, 72), par hendiadyn, la piqûre infligée par les acumina ferrea. acumina ferrea : cf. Enn. ann. 363 ferri stridit acumen. Acumen (-> v. 8) a ici le sens concret de 'pointe' (cf. perist. 10, 1019 ; Cic. de orat. 1, 151 sub acumen stili). La mention ferrea marque une gradation avec lignum (v. 48 : les tablettes) ; cf. v. 70 istud dedisti ferrum et armasti manus (-> 14, 36). uibrant : cf. psych. 696 ferrum... uibrat ; Verg. Æn. 11, 605 spicula uibrant. Les styles ne sont pas lancés (-> 14, 47), mais brandis avant d'être appliqués sur la peau (cf. v. 55-56).

      52 : qua parte : une extrémité du style (l'autre est évoquée au v. 53 par qua). aratis... sulcis : l'image du sillon labouré, appliqué à l'écriture, est fréquente, p.ex. comme explication de l'étymologie de uersus (-> v. 79) chez Isid. orig. 6, 14, 7 uersus autem uulgo uocati quia sic scribebant antiqui sicut aratur terra ; a sinistra enim ad dexteram primum deducebant stilum, deinde conuertebantur ab inferiore et rursus ad dexteram uersus ; quos et hodieque rustici uersus uocant ; cf. aussi Hier. epist. 107, 4 cum uero coeperit trementi manu stilum in cera ducere, uel alterius superposita manu teneri regantur articuli, uel in tabella sculptantur elementa, ut per eosdem sulcos inclusa marginibus trahantur uestigia, et foras non queant euagari (texte inspiré de Qvint. inst. 1, 1 : cf. Thraede 1973, p. 79-113, en part. 103). Sulcus, repris au v. 77 (->), est aussi utilisé à propos de la torture des ungulæ, de même qu'arare (cf. perist. 3, 148 crate tenus nec arata cutis ; cf. Introd. § 142). cera... scribitur : cf. vv. 15 pugillares... ceras (->) ; 49 buxa... cerata.

      53 : secti apices : les signes imprimés dans la cire (cf. v. 79 insectos... uersus : lignes d'écriture). Apex (rare : -> 11, 18) désigne la forme des notes tironiennes ; cf. perist. 3, 137 quam iuuat hos apices legere ; 11, 127. æquoris hirti : oxymore, æquor évoquant une surface plane, hirtus, un lieu hérissé de pointes (ici au sens propre [aspérités sur la cire] et au figuré ; -> 11, 120). Prudence distingue le plat (æquor) du lisse (leuis ; v. 54 nitescens area), -> 11, 85.

      54 : nitescens... area : cf. perist. 10, 1018 scindunt (v. 56 scindit) subinde uel terebrant aream | crebroque lignum perforant (v. 60 perforarat) acumine (v. 51 acumina) ; 11, 185-186 tabulas... æquore leui | candentes, recauum quale nitet speculum. innouatur : désignation du retour (ici progressif : cf. nitescere) à une situation antérieure (ici, surface vierge de la tablette) ; cf. perist. 12, 5 ; 14, 60.

      
55-56 Hinc foditur Christi confessor et inde secatur,
pars uiscus intrat molle, pars scindit cutem.

De l'un, on transperce le confesseur du Christ, de l'autre, on le coupe ; un côté pénètre dans la chair tendre, l'autre côté tranche la peau.

      55 : hinc... et inde : cf. perist. 11, 55 inde catenarum tractus, hinc lorea flagra (-> 11, 163) ; adv. de lieu avec un sens instrumental (de même, v. 15 unde). foditur : cf. vv. 14 confossa... membra (->) ; 60 perforarat uiscera. confessor : cf. perist. 5, 39-40 qui solus ac uerus Deus | ... confitebimur. Est 'confesseur' le chrétien persécuté pour sa foi, sans y laisser sa vie (cf. perist. 4, 185-188) ; cf. Cypr. epist. 55, 5 tunc adhuc confessore, nunc iam martyre ; Hier. epist. 3, 2 confessores et uoluntate iam martyres. secatur : cf. v. 53 secti apices ; -> 5, 166.

      56 : pars... pars : anaphore ; cf. perist. 11, 121-122 pars summis pendet scopulis, pars sentibus hæret, | parte rubent frondes, parte madescit humus. uiscus : le sing. de uiscera (v. 60) est rare ; cf. perist. 10, 499 uiuum secatur uiscus. intrat : -> 2, 344. scindit cutem : même iunctura chez Cels. 6, 18, 7 ; cf. v. 12 ruptam... cutem. Prudence évoque souvent les blessures infligées sur la peau (-> 2, 386). Sur scindere, -> 2, 59-60. Cf. Introd. § 142 (reprise de ce passage en perist. 3).

      
57-58 Omnia membra manus pariter fixere ducentæ
totidemque guttæ uulnerum stillant simul.

Deux cents mains percent semblablement tous les membres, et autant de gouttes, sortant des blessures, perlent en même temps.

      57-58 : cf. v. 11 plagas mille gerens ; perist. 3, 135 Eulalia numerante notas.

      57 : omnia membra... fixere : cf. vv. 11 totos lacerata per artus ; 14 confossa paruis membra figebant stilis. Sur figere, -> 5, 228. manus... ducentæ : jusqu'ici, nombre non précisé (cf. v. 13 innumeri... pueri) ; manus (-> v. 39-40) désigne la main droite, cf. v. 74.

      58 : totidemque guttæ : chaque goutte de sang (-> v. 40) est précieuse (perist. 10, 1130 guttam cruoris ille nullam perdidit). Totidem se réfère aux 200 du v. préc. La mention des guttæ rappelle la peinture vue par Prudence (v. 12 ruptam minutis præferens punctis cutem) ; le grand nombre des blessures, évoqué par le nombre mille (v. 11), est rappelé aux vv. 91-92 totque foraminibus penetrati corporis exit | ... anhelans ille uitalis calor. guttæ stillant : cf. Lvcr. 4, 1060 stillauit gutta ; le motif du sang tombant en gouttes (guttæ) se retrouve en perist. 5, 342 stillante tingunt sanguine ; psych. 700. uulnerum : cf. aussi v. 7, au figuré, les uulnera de Prudence.

      59-66 : le martyr dit vouloir des blessures profondes (-> 5, 150), ici pour accélérer la mort.

      
59-64 Maior tortor erat, qui summa pupugerat infans,
quam qui profunda perforarat uiscera,

Celui qui, faible enfant, avait piqué en surface, était un plus grand tortionnaire que celui qui avait perforé profondément les entrailles ; ...

      59 : maior tortor erat : cf. perist. 5, 148 ipse maior carnifex ; sur tortor, -> 5, 6. summa : accord avec uiscera (v. suiv.) ; cf. perist. 10, 488 summa pellis ignis obductus coquit. pupugerat : allongement (pupgerat) d'une syllabe accentuée (cf. Lavarenne § 150). De pungere (cf. Cic. Mil. 65 uulnus acu punctum) dérive le nom punctum (-> v. 12). infans : cf. v. 28 infantia ; -> v. 13.

      60 : profunda... uiscera : cf. perist. 5, 119-120 quod fixa non profundius | intraret artus ungula. Le nom uiscera signifie ici 'chair' et reprend uiscus (v. 56). perforarat : -> v. 14.

      
61-64 ille, leuis quoniam percussor, morte negata,
sæuire solis scit dolorum spiculis,
hic, quanto interius uitalia condita pulsat,
plus dat medelæ, dum necem prope applicat.

... celui-là, puisqu'il ne frappe que légèrement, en refusant la mort, sait faire rage par les seuls aiguillons des souffrances - celui-ci, dans la mesure où il heurte des parties vitales cachées plus au fond, donne davantage de soulagement, tandis qu'il vise de près le trépas.

      61 : à la différence de la ponctuation des éditeurs, il convient de séparer ille de leuis... percussor (apposé à ce pronom) ; à ille correspond hic (v. 63). leuis... percussor : celui dont les coups n'atteignent pas les profondeurs de la chair ; percussor désigne en perist. 10, 837 le bourreau chargé de la décapitation (cf. Plin. nat. 8, 51). morte negata : cf. perist. 2, 339 mors inextricabilis ; une intervention du Christ mettra fin au supplice (cf. v. 85-88). Cf. perist. 4, 133-134 inuidus quamuis obitum supremum | persecutoris gladius negarit ; 7, 54.

      62 : triple voire quadruple allitération en s-. sæuire : verbe (-> 2, 58) rappelant le v. 29 fidem quatiens tempestas sæua. solis... dolorum spiculis : le gén. dolorum indique que spiculis est au figuré (cf. perist. 5, 423-424 quantis... spiculis | figebat occultus dolor ; 10, 579 dolorum spiculis). scit : le fait de pouvoir est indiqué par le verbe 'savoir' ; de même, avec nescire et nescius, -> 13, 5.

      63-64 : quanto... plus : on passe d'une comparaison (v. 59-60) à une idée de proportion, reprise aux vv. 66 quod defit æuo, suppleat crudelitas et 68 (il n'est plus question de 2 groupes).

      63 : interius uitalia condita : les organes internes (v. 60 profunda... uiscera ; -> 5, 150), dont la lésion peut être létale. Ailleurs, ce qui est qualifié d''intérieur' est l'âme (cf. perist. 5, 157 ; 13, 14) ; pour la délier du corps, il faut détruire la structure interne de celui-ci (cf. v. 86-92). Cf. psych. 691-693 non uitalia rumpere sacri | corporis est licitum, summo tenus extima tactu | læsa cutis tenuis signauit sanguine riuum ; c. Symm. 2, 379 ; 1098-1100 pectusque iacentis | ... iubet... rumpi, | ne lateat pars ulla animæ uitalibus imis. pulsat : -> 5, 264.

      64 : plus dat medelæ : cf. perist. 6, 160-161 fors dignabitur et meis medelam | tormentis dare ; 10, 505 dant medelam rebus intus uiuidis. Sur medela au figuré, -> 2, 580. necem... applicat : expression opposée à morte negata (v. 61) ; sur nex, -> 13, 46. Applicare, figuré, suggère l'image concrète du style enfoncé dans la chair, qui y introduit la mort en blessant les uitalia (v. préc.).

      
65-66 " Este, precor, fortes et uincite uiribus annos ;
quod defit æuo, suppleat crudelitas ! "

" Soyez vaillants, je vous en supplie, et vainquez vos années par votre violence ; ce qui manque à votre âge, que la cruauté y supplée ! "

      65-66 : le caractère littéraire voire pédant des propos du professeur pourrait être parodique. Aucune autre parole n'est rapportée (de même, en perist. 11 et 12).

      65 : este... fortes : encouragement désabusé (cf. v. suiv.) ; en perist. 5, 118-120. 146-152 au contraire, de tels propos sont ironiques, manifestant un détachement face aux douleurs. precor : incise dans des prières (p.ex. perist. 7, 79 ; cath. 3, 6) ou de simples demandes (ici ; c. Symm. 2, 1115 ; psych. 381). uincite uiribus annos : expression imagée, allitérante, annonçant la sentence du v. suiv. (où annos est repris par æuo, et uiribus par crudelitas). Les uires du persécuteur sont inefficaces ; cf. perist. 5, 161-162 hoc, quod laboras (cf. v. 67 laborat) perdere | tantis furoris uiribus. annos : double métonymie, les 'années' désignant le (jeune) âge des enfants (même emploi en c. Symm. 2, 661) et la faiblesse qui lui est inhérente (cf. v. 67).

      66 : paraphrase de l'adage juridique malitia supplet ætatem (cf. Cod. Iust. 2, 42[43], 3 pr.), connu du poète par sa formation (-> 5, 43). L'incompréhension est réciproque (cf. v. 69-82) : les élèves sont déjà animés d'une cruauté dépassant l'ordinaire (cf. v. 45-46) et la demande du martyr est vouée à l'échec. Le fait que, dans sa détresse, le martyr ne s'adresse pas à Dieu (qui exauce les prières : cf. ici v. 85-88) mais à ses bourreaux est unique dans le Peristephanon. quod defit æuo : cf. cath. 4, 85 nec defit tamen anxiis medela. crudelitas : en perist. 5, 214, crudelitas symbolise le camp des bourreaux face à celui du martyr : spes certat et crudelitas.

      
67-68 Sed male conatus tener infirmusque laborat ;
tormenta crescunt, dum fatiscit carnifex.

Mais ces tentatives frêles et faibles sont fâcheusement à la peine ; les tourments s'ac-croissent tandis que le bourreau s'épuise.

      67 : male... laborat : cf. v. suiv. fatiscit ; perist. 5, 161-162 hoc, quod laboras perdere | tantis furoris uiribus. tener infirmusque : épithètes de conatus, convenant aussi voire mieux (cf. tener) aux enfants ; cf. v. 35 agmen tenerum ac puerile (->) ; infirmus s'oppose à fortis (cf. v. 65).

      68 : cf. v. 63-64 hic, quanto uitalia condita pulsat, | plus dat medellæ, dum necem prope applicat (ici, phénomène inverse). dum fatiscit carnifex : sur la fatigue des bourreaux, -> 5, 124. Ailleurs, ce motif magnifie la force de résistance du martyr ; cet élément réaliste - les bourreaux sont des enfants, non des brutes invincibles - est ici pathétique. Sur carnifex, -> 14, 17.

      
69-70 " Quid gemis ? ", exclamat quidam, " tute ipse magister
istud dedisti ferrum et armasti manus.

" Que gémis-tu ? ", s'exclame un des enfants, " c'est toi-même, maître, qui nous as donné ce fer et qui as armé nos mains.

      69 : quid gemis ? : question rhétorique moqueuse. exclamat : incise, cf. perist. 2, 313 ; 10, 686. tute ipse : de même, perist. 2, 261 (->). magister : -> v. 22 ; apposé au sujet tute.

      70 : cf. perist. 2, 471-472 tibi id, quos ipse armaueras, | factum Neronis officit ; 503-504 hostile sed ferrum retro | torquens in auctorem tulit. istud... ferrum : iste souligne peut-être le fait que l'objet (tenu par le sujet : apparente confusion des démonstratifs, -> v. 94) provient de l'inter-locuteur (cf. v. préc. tute ipse). Ferrum désigne souvent l'épée (-> 14, 36 ; cf. ici armasti) ; il se réfère ici aux acumina ferrea (cf. v. 51). dedisti : emploi forcé de ce verbe, le maître n'ayant pas fait don de leurs styles à ses élèves. armasti : armare (cf. v. 44 acutis agmen armatum stilis), au figuré (-> 5, 262), souligne l'ironie des propos de l'enfant. manus : -> v. 39-40.

      
71-74 " Reddimus ecce tibi tam milia multa notarum,
quam stando, flendo te docente excepimus.
Non potes irasci, quod scribimus ; ipse iubebas,
numquam quietum dextera ut ferret stilum.

" Voici que nous te restituons bien des milliers de notes, autant que nous en avons pu en prendre, debout, pleurant, quand tu enseignais. Tu ne peux te fâcher que nous écrivions ; c'est toi-même qui ordonnais que jamais notre main droite ne tienne un style inactif.

      71 : reddimus ecce tibi : les enfants ont soif de vengeance ; durant le supplice, il n'est jamais fait mention de la foi du martyr, comme s'il ne faisait que subir le châtiment de sa dureté (loi du talion, -> 14, 48-49) ; reddere est repris au v. 98, à propos de la miséricorde du martyr (->). tam milia multa notarum : explication au v. 11 plagas mille gerens ; l'enfant joue sur le double sens de notæ (signes sténographiques et blessures, -> v. 23). Milia multa (de même, p.ex. perist. 3, 62 ; ham. 95-96) comporte une emphase, soulignée par tam ; l'enfant qui reproche au martyr de se plaindre (v. 69 quid gemis ?) le fait à son tour lui-même.

      72 : stando, flendo : gérondifs à valeur circonstancielle (-> 5, 18) ; l'asyndète et le crescendo sémantique soulignent la véhémence des paroles. stando : terminaison abrégée (-> 2, 86) ; les élèves étaient debout et le maître siégeait (v. 22 magister litterarum sedebat). flendo : les durs châtiment faisaient pleurer les élèves (-> v. 28) ; de même, præf. 7-8 ætas prima crepantibus | fleuit sub ferulis. te docente : abl. absolu évoquant le temps où le martyr enseignait, repris au v. 75 par te præceptore. excepimus : jeu sur les sens concret (recevoir des coups, des notæ) et figuré (prendre des notes : p.ex. Svet. Tit. 3, 2 ; cf. v. 23 uerba notis breuibus comprendere).

      73 : irasci quod : emploi de quod après un verbe de sentiment (-> 14, 69). Après la peine (v. 69 quid gemis ?), l'interlocuteur du martyr lui attribue la colère (irasci) ; ces sentiments étaient ceux des élèves (cf. vv. 25-28. 45-46, en part. ira, vv. 27. 45). scribimus : méta-phorique ; cf. perist. 3, 136 scriberis ecce mihi, Domine ; 10, 557-558 charaxat ambas ungulis scribentibus | genas cruentis et secat faciem notis. iubebas : sur l'autorité du maître, -> v. 21.

      73-74 : iubebas numquam... ut ferret : tour poétique et postclassique (cf. Lavarenne § 783) ; cf. perist. 6, 42-43 iussum est Cæsaris ore Gallieni, | quod princeps colit, ut colamus omnes. Malgré l'anastrophe de numquam, on attendrait ne... umquam ; ce tour qui renforce la négation (cf. Cic. de orat. 1, 204 quibus id persuasum esset, ut nihil mallent esse se quam bonos uiros) tend à se banaliser par la suite (cf. Lavarenne § 792).

      74 : quietum... stilum : cf. v. 39-40 manusque... feriatas. Quietum est attribut de stilum (-> v. 14). dextera ferret : sur dextera, -> 5, 139 ; cf. perist. 1, 37 expeditis ferre dextris spicula.

      
75-76 " Non petimus totiens te præceptore negatas,
auare doctor, iam scholarum ferias.

" Nous ne te demandons pas les vacances scolaires qui nous ont si souvent été refusées, maître avare, sous ton professorat.

      75 : non petimus : en cessant de demander (non... iam), l'enfant exprime regret et amertume. te præceptore : expression reprenant te docente (v. 72 ; ->).

      76 : auare doctor : la cupidité du professeur refusant d'accorder des vacances pour ne pas perdre son salaire est évoquée chez Hor. sat. 1, 6, 75 ; cf. Mart. 10, 62. Sur la précarité financière des maîtres, mal payés, cf. Bless-Grabher 1978, p. 42-44. Sur la critique de l'auaritia, cf. perist. 2, 167. doctor : -> v. 22. iam : adv. en hyperbate avec non (v. préc. : 'ne ... plus'). scholarum ferias : cf. vv. 16 scholare murmur ; 39-40 manusque | ... feriatas.

      
77-78 " Pangere puncta libet sulcisque intexere sulcos,
flexas catenis impedire uirgulas.

" Il nous plaît d'enfoncer des points et d'entrelacer sillon sur sillon, d'arrêter les traits courbes dans des ligatures.

      77 : l'élève dit avoir du plaisir à tracer les notes tironiennes (-> v. 23) ; points (puncta) et traits (sulci) sont déjà évoqués aux vv. 55-56. pangere : verbe utilisé dans son sens premier (piqûres infligées au martyr), avec une référence à l'écriture (apoth. 379-380 Hebræus pangit stilus, Attica copia pangit, | pangit et Ausoniæ facundia tertia linguæ). puncta : -> v. 12. libet : le juge a invité les enfants à agir à leur guise (v. 39 ut libet). sulcisque intexere sulcos : expression mimétique ; l'entrelac désigné par intexere (cf. perist. 4, 23) suggère le grand nombre des blessures, qui se chevauchent - torture supplémentaire, cf. perist. 5, 141-144 præsicca rursus ulcera, | dum se cicatrix colligit | refrigerati sanguinis, | manus resulcans diruet. sulcos : au sens propre, le sillon du labour ; jeu sur 2 sens figurés se référant à l'écriture (-> v. 52) et à la torture des ungulæ : cf. perist. 4, 119 ; 5, 337-338 ungularum duplices | sulcos ; 10, 448. 550. 1127.

      78 : flexas... uirgulas : uirgula désignant un trait droit (cf. Qvint. inst. 1, 4, 3 ; Mart. Cap. 3, 273), il n'y a pas redondance. catenis impedire : évocation imagée des ligatures, avec peut-être une allusion moqueuse au fait que le martyr est ligoté (v. 43).

      
79-82 " Emendes licet insectos longo ordine uersus,
mendosa forte si quid errauit manus ;
exerce imperium, ius est tibi plectere culpam,
si quis tuorum te notauit segnius. "

" Il t'est loisible de corriger les lignes gravées en longues séries, si d'aventure notre main fautive avait commis quelque erreur ; exerce ton pouvoir, tu as le droit de réprimer la faute, si l'un de tes élèves a été trop faible en inscrivant ses notes sur toi. "

      79 : emendes licet : ut sous-entendu (cf. perist. 10, 814. 958). Emendare (écho au début du v. suiv. avec mendosa) évoque la correction d'une faute dans un texte (Cic. Att. 2, 16, 4), ici par métaphore (cf. insectos... uersus). Son sens de 'châtier' (Lact. mort. pers. 22), sous-jacent, annonce le thème du distique suiv. insectos... uersus : cf. v. 53 secti apices (->) ; uersus (ligne d'écriture : cf. Cic. Att. 2, 16, 4 ; Hor. sat. 2, 5, 54) est, comme sulcus (sillon, v. 77 ; cf. Plin. nat. 18, 177), une image agricole (-> v. 52). longo ordine : de même, perist. 2, 163.

      80 : mendosa : cf. Cic. Verr. II 1, 188. forte si quid errauit : forte souligne l'ironie de l'expression ; pour corriger le tracé des blessures, le martyr devrait s'en infliger de nouvelles. Errare désigne l'erreur abstraite ou l'écart par rapport au tracé normal. manus : -> v. 39-40.

      81 : exerce imperium : l'autorité du maître est désignée par des expressions à connotation politique (-> v. 21) ; sur exercere, -> 5, 208 ; sur imperium, -> 11, 92. ius est tibi plectere : au lieu du gérondif plectendi, infinitif, faisant de ius est l'équivalent de licet (cf. v. 79) ; cf. Verg. Æn. 12, 315. plectere culpam : cf. Cic. Cluent. 5 [ut] culpa plectatur ; sur plectere, -> 5, 166. La faute (culpa) que l'enfant envisage de reconnaître est la faiblesse dans les coups portés (v. suiv.) - c'est le seul reproche du martyr (v. 65-66) : l'ironie tombe donc à plat.

      82 : quis tuorum : même expression en perist. 13, 68 (ouailles de l'évêque) ; les enfants restent comme les élèves du martyr. tuorum te : quasi polyptote. te notauit : le martyr sert de support à l'écriture que constituent les blessures (sur notare, -> v. 36) ; allusion à la marque d'infamie (nota) inscrite par le censeur dans l'album des citoyens. segnius : s. Cassien enseignait à écrire vite (cf. v. 24 raptimque punctis dicta præpetibus sequi) ; ici, il demande que les coups infligés soient plus vigoureux (cf. v. 65-66), pour accélérer le supplice.

      
83-84 Talia ludebant pueri per membra magistri,
nec longa fessum poena soluebat uirum.

C'est à de tels jeux que se livraient les enfants sur les membres de leur maître, et le long supplice ne parvenait à anéantir l'homme épuisé.

      83 : ludebant : cf. vv. 39 ut libet, illudant ; 41 ludum discipulis... ut præbeat ipse ; même emploi transitif en psych. 435. 525. 713 ; Verg. Æn. 7, 442. Le plur. suggère que le discours fut prononcé au nom du groupe. pueri : -> v. 13. per membra : -> v. 14. magistri : -> v. 22.

      84 : longa... poena : cf. perist. 2, 339-340 mors inextricabilis | longos dolores protrahet ; sur poena, -> 14, 22. fessum... uirum : uir désigne souvent les martyrs, soldats du Christ et héros de la foi (-> 2, 37) ; ici, bien qu'opposé au paganisme (cf. v. 34 uir... alto tam rebellis spiritu ; ->), le martyr apparaît comme un anti-héros. Il est épuisé, tout comme ses bourreaux (cf. v. 67-68) : le Christ mettra un terme à cette situation inextricable. soluebat : la mort est attendue comme une délivrance (cf. vv. 86 resolui ; 88 relaxat... expedit).

      85-92 : évocation de la fin du martyr (-> 2, 485-488) inspirée de la mort de Didon chez Verg. Æn. 4, 693-695 tum Iuno omnipotens longum (v. 84 longa) miserata (v. 85 miseratus) dolorem | difficilisque (v. 87 difficilesque, même place dans le vers) obitus Irim demisit Olympo, | quæ luctantem (v. 85 luctantis) animam (v. 87 animæ) nexosque resolueret (v. 86 resolui) artus ; 702-703 (paroles d'Iris) hunc ego Diti | sacrum iussa (v. 86 iubet) fero, teque ipso corpore (v. 91 corporis) soluo (v. 84 soluebat) ; omnis et una | dilapsus calor (v. 92 calor), atque in uentos uita (v. 87 uitæ) recessit.

      
85-88 Tandem luctantis miseratus ab æthere Christus
iubet resolui pectoris ligamina
difficilesque moras animæ ac retinacula uitæ
relaxat, artas et latebras expedit.

Enfin, pris de pitié du haut de l'éther pour celui qui luttait, le Christ ordonne que les liens de son coeur soient défaits, détache ce qui retardait péniblement son âme et ce qui retenait sa vie, et dégage ses étroites retraites.

      85 : luctantis miseratus : emploi du gén., postclassique (Stat. Theb. 8, 23 ; Min. Fel. 28, 3 ; cf. psych. 580), au lieu de l'acc. (perist. 2, 412 ; psych. 1). Le pèlerin devant la fresque (cf. v. 13 miserabile uisu) est dans une situation analogue à celle du Christ, qui contemple la passion ; cf. perist. 5, 297 spectator hæc Christus Deus ; 13, 58 crimimibus uariis tinctum miseratus abluisti. luctantis : cf. perist. 5, 215-216 luctamen anceps conserunt | hinc martyr, illinc carnifex ; 10, 651. ab æthere : cf. cath. 5, 100 sidereo Christus ab æthere. L'éther est le séjour divin (psych. 643 ; ditt. 119), que gagne l'âme après la mort (perist. 3, 169 ; 6, 7). Prudence dit parfois que Dieu ou l'âme du martyr sont 'au-dessus de l'éther' (-> 14, 80). Christus : cf. perist. 11, 110.

      86-88 : évocation de l'idée platonicienne du corps prison de l'âme (-> 2, 486-487).

      86 : iubet : le Christ donne un ordre (cf. perist. 5, 485), qui sera réalisé, à la différence de ceux du martyr aux élèves (v. 73) ; au v. 88, il est le sujet de relaxat et d'expedit. resolui : reprise de soluebat (v. 84) ; -> 5, 359. pectoris ligamina : ligamen (rare, cf. ham. 137 ; Prop. 2, 22, 15 ; Colvm. 11, 2, 92 ; sur les noms en -men, -> 5, 215) désigne ici les retinacula uitæ (cf. v. suiv.). Pectoris peut désigner les organes vitaux (en part. le coeur, cf. v. 89 ab interno uenarum fonte) ou l'âme, identifiée avec le coeur (cf. perist. 13, 26).

      87 : les 2 expressions parallèles dépendant de relaxat (rejeté au v. suiv.) associent l'âme à la vie. Cf. perist. 2, 337-338 uitam tenebo et differam | poenis morarum iugibus ; le Christ intervient, car les coups des enfants n'atteignent pas les uitalia condita (cf. v. 63). difficilesque moras : moræ (-> 2, 338) évoque la longue durée du supplice (v. 84 longa... poena) et l'impatience du martyr (cf. v. 65-66), difficilis soulignant l'un et l'autre aspect, selon qu'il est au sens objectif ou subjectif (cf. psych. 35 difficilemque obitum suspiria longa fatigant). moras animæ : cf. perist. 7, 79-80 absoluas, precor, optime, | huius nunc animæ moras. retinacula : reprenant ligamina (v. préc.), retinacula peut se référer à des liens concrets (cf. p.ex. ham. 140. 810) ou à l'âme (c. Symm. 2, 147) ; cf. perist. 4, 195-196 spes ut absoluam retinaculorum | uincla meorum. Le Christ libère l'âme pour qu'elle le rejoigne (-> 13, 48), voeu souvent émis par Prudence (p.ex. perist. 2, 581-584).

      88 : le rejet de relaxat après ses compléments et la postposition de et donnent au v. une symétrie formelle. relaxat : par son sens, ce verbe contraste avec artas (juxtaposé, mais sans dépendance grammaticale). artas... latebras : cf. perist. 5, 90 ex latebris uiscerum (->) ; cf. Verg. Æn. 10, 601 tum latebras animæ pectus mucrone recludit ; Cypr. domin. orat. 5. Artas souligne la difficulté (cf. v. préc. difficilesque) qu'a la vie pour quitter le corps. expedit : cf. perist. 6, 71-72 [qui] feruentes animas... | fracto carceris expediret antro.

      
89-92 Sanguis ab interno uenarum fonte patentes
uias secutus deserit præcordia
totque foraminibus penetrati corporis exit
fibrarum anhelans ille uitalis calor.

Le sang, issu de la source intérieure des veines, quitte ses entrailles après avoir suivi les voies qui avaient été ouvertes, et par autant de trous, dont son corps avait été transpercé, sort en haletant la chaleur vitale de ses chairs.

      89-92 : le second distique, clos sur uitalis calor, reprend les éléments du 1er, qui s'ouvre sur sanguis. Au v. 87, parallèle anima et uita ; sang et âme sont liés dans l'anthropologie biblique (cf. p.ex. apoth. 467 postremosque animæ pulsus in corde tepenti) et aussi chez Verg. Æn. 2, 532 uitam cum sanguine fudit ; Ov. epist. 14, 37 sanguis abit mentemque calor corpusque relinquit.

      89 : sanguis : -> v. 40. ab interno uenarum fonte : périphrase désignant le coeur (cf. v. suiv. præcordia), évoqué par pectoris (v. 86). Cf. perist. 10, 843 uenarum... undam profluam manantium ; c. Symm. 2, 379-381 contra animas hominum uenis uitalibus intus | sic interfusas intellego, sanguis ut ex his | accipiat motumque leuem tenerumque uaporem ; Hier. epist. 60, 13 cum uenarum fontes hauriret calor ; Vvlg. leu. 20, 18 aperuit fontem sanguinis sui. fonte : cf. perist. 1, 30 ; 3, 145.

      89-90 : patentes uias : uiæ (cf. perist. 10, 1128) ouvertes par les coups de style (vv. 12. 55).

      90 : deserit : cf. perist. 7, 86-87 orantem simul halitus | et uox deserit et calor ; repris au v. suiv. par exit. præcordia les entrailles, peut-être spécialement la région du coeur (cf. v. préc.).

      91 : cf. v. 57-58 omnia membra manus pariter fixere ducentæ, | totidemque guttæ uulnerum stillant simul. Miraculeusement, le sang ne coule plus goutte à goutte, mais s'épanche, par les mêmes ouvertures. totque : terme soulignant le lien entre sanguis (v. 89) et uitalis calor (v. suiv.) ; -que lie les 2 distiques. foraminibus : -> 11, 161 ; autres termes de cette famille, -> v. 14. penetrati : cf. v. 56 pars uiscus intrat molle. exit : idée de sortie s'opposant à celle que suggère penetrati. Cf. perist. 5, 527-528 finem malorum præstitit | mortis supremus exitus.

      92 : cf. c. Symm. 2, 382-383 [sanguis] pererratis uegetet præcordia membris, | frigida succendat ; apoth. 465-468 manibusque cruentis | tractabat trepidas letali frigore fibras | postremosque animæ pulsus in corde tepenti | ... notabat ; -> 2, 70. fibrarum : au sens propre, fibres végétales ou lobes du foie ; le sens d''entrailles' est attesté dès Ov. fast. 4, 935 ; met. 13, 637. anhelans... calor : l'emploi d'anhelans à propos d'un liquide s'explique par référence à la chaleur du sang et aux liens étroits entre sang, âme et souffle vital ; cf. aussi perist. 7, 86-87. ille uitalis calor : ille indique que c'est sanguis (v. 89) qui est repris par l'expression uitalis calor.

      
93-94 Hæc sunt, quæ liquidis expressa coloribus, hospes,
miraris, ista est
Cassiani gloria.

Tels sont les faits représentés par de vives couleurs, visiteur, dont tu t'étonnes, telle est la gloire de Cassien.

      93-94 : hæc sunt, quæ... miraris : fin du récit destiné à répondre à l'étonnement, cf. v. 13 mirabile uisu (mirari : non admiration de la peinture, mais émotion face au sujet figuré).

      93 : liquidis... coloribus : de même, perist. 11, 124-125 multicolor fucus (cf. v. 10 fucis colorum) digerit omne nefas, | picta super tumulum species liquidis uiget umbris. Prudence joue sur le sens de liquidus (-> 11, 125) : son sens premier ('fluide', 'coulant') suggère quasiment une identité matérielle entre la peinture rouge et le sang du martyr, comme en perist. 11, 127-128 rorantes saxorum apices uidi... | purpureasque notas uepribus impositas (-> 11, 128). expressa : l'idée de représentation plastique (cf. perist 10, 287. 1124 ; Hor. ars 33 ; Plin. nat. 34, 140) s'accompagne peut-être de celle de mise en relief et de netteté. Le sens concret du verbe ('faire sortir en pressant' : cf. Lvcr. 5, 487 expressus de corpore sudor), évoque indirectement la mort du martyr par hémorragie accélérée. hospes : -> v. 17.

      94 : ista : ce démonstratif, qui reprend hæc (v. préc.), dénote la proximité : 'celle que tu vois'. Cf. perist. 10, 1007 meus iste sanguis uerus est ; cath. 10, 131 (cf. Lavarenne § 472). Cassiani : donné en fin du récit du sacristain, ce nom conclut le poème (v. 106). gloria : la gloire du martyr (gloria ; -> 14, 9 ; cf. v. 30), mise en relation avec l'effusion de sang et la mort.

      
95-98 Suggere, si quod habes iustum uel amabile uotum,
spes si qua tibi est, si quid intus æstuas !
Audit, crede, preces martyr prosperrimus omnes
ratasque reddit, quas uidet probabiles.'

Si tu as quelque voeu juste ou digne d'être aimé, si tu as quelque espérance, si tu bouillonnes intérieurement, fais-le connaître ! Le martyr écoute, crois-moi, toutes les prières avec la plus grande bienveillance et exauce en retour celles qu'il voit digne d'être approuvées.'

      95-98 : Prudence appliquera les conseils du sacristain (cf. v. 99-104), qui expose en détail l'attitude de l'intercesseur devant les demandes des fidèles ; -> v. 95 iustum uel amabile.

      95 : suggere : outre le sens 'faire connaître', ce verbe peut avoir (ici sous-jacents) ceux de : 'fournir' (donner de quoi exercer sa bienfaisance, v. 97-98) ; 'entasser' (accumuler les prières, v. 101-102) ; 'mettre sous' (prier sous le portrait, cf. v. 9-10) ; 'suggérer' (confesser sa situation, v. 101-104). si quod habes... uotum : expression reprise au v. suiv. par spes si qua tibi est, et, moins directement, par si quid intus æstuas. Votum (-> 2, 536) désigne un souhait ou un voeu - perist. 9 semble être une offrande votive. iustum uel amabile : l'exaucement est conditionnel (cf. Introd. § 140 : passage plus précis et strict que d'autres, antérieurs) ; la justice est un critère (perist. 1, 15 omne, quod iustum poposcit, impetratum sentiens), tempéré par uel amabile ; ici aussi (-> 11, 178), Prudence associe mérite et grâce.

      96 : spes : l'espérance, thème clef du récit (-> v. 3-4) ; cf. v. 104 spem futuri forte nutantem boni. tibi est : hiatus. æstuas : -> 5, 202. intus : -> 5, 167.

      97 : audit : ambivalent ; le martyr 'écoute' toutes les prières (preces... omnes) et en 'exauce' (-> 11, 240 ; cf. v. 105 audior, aussi en début d'hexamètre) certaines, qui sont probabiles. crede : cf. perist. 11, 235 crede, salutigeros feret hic uenerantibus ortus (->). preces... omnes : preces reprend uotum ; cf. perist. 1, 13 nemo puras hic rogando frustra congessit (cf. v. 95 suggere) preces ; 5, 557. martyr : cf. v. 5-6 sacer... | martyr... Cassianus ; 10 picta imago martyris. prosperrimus : superlatif rare, attesté chez Vell. 122, 2. On a souvent proper ou prosperare à propos de prières (-> 5, 1) ; cf. v. 4 spes est oborta, Christum prosperum fore.

      98 : le martyr discerne ce qui objectivement (cf. uidet) peut être approuvé (probabiles) et donc exaucé (ratas). ratasque reddit : ratus désigne ce qui a été calculé ou ratifié (et, ici, exaucé) ; cf. Ov. fast. 1, 696 efficere ratas preces. Reddere évoque aussi l'idée de calcul ; cf. les paroles de l'enfant (v. 71 reddimus ecce tibi tam milia multa notarum) - à cette logique, le martyr en gloire substitue la miséricorde. probabiles : critères de l'approbation, cf. v. 95 iustum uel amabile.

      99-104 : cf. vv. 5 tumulo aduoluebar (v. 99 complector tumulum) ; 7-8 dum lacrimans (v. 99 lacrimas... fundo) mecum reputo mea uulnera et omnes | uitæ labores ac dolorum acumina (cf. v. 101-104).

      
99-100 Pareo : complector tumulum, lacrimas quoque fundo,
altar tepescit ore, saxum pectore.

J'obéis : j'embrasse la tombe, je verse également des larmes, l'autel tiédit sous mes lèvres, le sol de pierre sous ma poitrine.

      99-100 : vénérant le tombeau et l'autel (-> 11, 171-174), Prudence se prosterne et pleure ; cf. perist. 2, 533-536 qui propter aduolui licet, | qui fletibus spargit locum, | qui pectus in terram premit, | qui uota fundit murmure (->). Le style de ce distique annonce celui des vv. 105-106 (succession presque asyndétique de propositions).

      99 : pareo : conforté dans son attitude et donc rempli d'espérance, Prudence obéit à l'invitation du sacristain (v. 95-98). complector : -> 11, 137. tumulum : cf. v. 5 stratus humi tumulo aduoluebar (-> 13, 98). lacrimas quoque fundo : cf. perist. 2, 26 fletum dolenter fundere. Ces pleurs renouvelés (cf. v. 7) ne semblent pas suscités par l'image, mais par l'émotion née du contact avec le martyr (dans la prière et par la prostration) ; sur fundere -> 2, 536.

      100 : description à la fois imagée, avec un réalisme tactile, et hyperbolique ; tepescere se rapporte aux 2 groupes symétriques altar... ore et saxum pectore (où il est sous-entendu). altar tepescit ore : Prudence embrasse l'autel qui abrite ou recouvre les reliques (altar, -> 5, 515), cf. perist. 11, 193 oscula perspicuo figunt impressa metallo (->) ; cf. aussi l'image des larmes baignant le marbre de la tombe (perist. 2, 534 ; 4, 193-194 nos pio fletu, date, perluamus | marmorum sulcos). ore... pectore : de même, perist. 5, 562 ueneramur ore et pectore (où ore ne désigne pas les lèvres, mais la parole). saxum pectore : cf. perist. 2, 535. Saxum désigne le pavement devant la tombe ; cf. perist. 11, 187 Pariis... aditus obducere saxis.

      
101-104 Tunc arcana mei percenseo cuncta laboris,
tunc, quod petebam, quod timebam, murmuro :
et post terga domum dubia sub sorte relictam,
et spem futuri forte nutantem boni.

Alors, je passe en revue tous les secrets de ma peine, alors, je murmure mes aspirations, mes craintes du moment : aussi bien mon foyer laissé derrière moi, jouet d'un sort incertain, que l'espoir chancelant d'un bonheur qui viendra peut-être.

      101-104 : anaphores de tunc puis de et, unissant les membres de distiques dans lesquels l'hexamètre se réfère aux soucis actuels, le trimètre aux espoirs et inquiétudes relatifs à l'avenir.

      101 : de même, v. 7-8 lacrimans mecum reputo mea uulnera et omnes | uitæ labores (->). arcana : adj. substantivé désignant des secrets (cf. cath. 6, 74 ; Verg. Æn. 7, 123 ; Lvcan. 6, 514), ici ceux de la conscience (cf. Ambr. uirg. 1, 1) ; cf. v. 96 si quid intus æstuas ; ailleurs, sing. arcanum (-> 2, 42). percenseo : verbe exprimant l'idée de dénombrement exhaustif, renforcée par cuncta, sous-entendue dans l'ordre suggere (v. 95).

      102 : quod petebam, quod timebam : désir et crainte, passions englobant les pré-occupations de Prudence ; cette juxtaposition suggère son incertitude (cf. v. suiv. dubia sub sorte ; v. 104 forte et nutantem). murmuro : la prière privée est murmurée (-> 2, 536).

      103 : post terga... relictam : cf. Clavd. 3, 245 mundum post terga relinquam. On a aussi post terga (plur. poétique) au sens propre, au v. 43 (->). domum : sens difficile à préciser - famille de Prudence ou groupe plus vaste (-> 14, 1), p.ex. sa patrie locale (Calagurris, cf. v. 106 domum reuertor). dubia sub sorte : de même, psych. 21 ; référence au sort du seul Prudence ou aux intérêts de sa domus ; même incertitude à propos du v. suiv. futuri... boni.

      104 : cf. Verg. Æn. 8, 580 spes incerta futuri. spem futuri... boni : sur spem, -> v. 3-4 ; cf. psych. 232-233 quæ miseros optare iubet quandoque futuri | spem fortasse (ici forte) boni ; c. Symm. 2, 907 spem sequimur, gradimurque fide, fruimurque futuris. Ce bien, non précisé, est acquis durant le séjour romain (cf. v. suiv. Vrbem adeo, dextris successibus utor) ; Prudence adresse à s. Hippolyte des prières qui seront exaucées (perist. 11, 177-178). forte : cet adv. reprend dubia sub sorte (v. préc.) et, tout comme nutantem, nuance futuri.

      
105-106 Audior, Vrbem adeo, dextris successibus utor,
domum reuertor, Cassianum prædico.

Je suis entendu, je gagne la Ville, mes entreprises sont couronnées de succès, je regagne mon foyer, je prêche Cassien.

      105-106 : conclusion laconique (cf. cath. 4, 82) évoquant, comme perist. 12, 65-66, le profit retiré du séjour romain et la diffusion d'un culte ; cf. perist. 11, 179-180. Cf. Introd. § 131.

      105 : audior : -> 11, 240 ; reprise du v. 97 audit. Vrbem : Rome, -> 2, 141. dextris successibus utor : cf. c. Symm. 2, 564-565 his tamen auspicibus successus dextra dederunt | omina lætificos ; Ov. met. 12, 355 utentem pugnæ successibus. L'idée exprimée par dextris est proche de celle de prosperrimus (cf. v. 97) ; cf. Verg. Æn. 8, 302 dexter adi. Le séjour à Rome fut fructueux ; Prudence le dit aussi en perist. 11, 178 opem merui.

      106 : domum reuertor : cf. perist. 12, 65 tu domum reuersus ; le retour est la conséquence, voire était l'objet des prières ; de même, cf. perist. 11, 179 quod lætor reditu. Domus est repris du v. 103 (->). Cassianum prædico : action de grâce résultant peut-être d'un voeu (perist. 9 pourrait être un poème votif ; de même, perist. 11, 180 scribo quod hæc ; ->), ce qui expliquerait sa place dans un ensemble de Passiones consacrées à des martyrs illustres. Prædicare est aussi utilisé à propos de la prédication d'un prêtre (perist. 11, 225-226 sublime tribunal | ... antistes prædicat unde Deum) et de celle d'un martyr supplicié (perist. 10, 466 audite cuncti, clamo longe ac prædico ; 930 cum prædicatur ipse uerborum dator), où elle a pour objet Dieu ou le Christ ; Prudence, simple fidèle, 'prêche' le martyr. Outre ce sens chrétien, prædicare garde ici les significations qu'il a déjà à l'époque classique : 'proclamer' (cf. Cic. Catil. 1, 23) et 'vanter'(cf. Cic. Arch. 20). Le nom du martyr est également cité au début du poème (v. 6 martyr... Cassianus) et à la fin du récit du sacristain (v. 94 ista est Cassiani gloria).


Peristephanon 11
Cinquième Passion

À Valérien, évêque. Passion du bienheureux martyr Hippolyte
(Ad Valerianum episcopum de passione Hippolyti beatissimi martyris)

      Ce poème relativement ancien (cf. § 143), qui a pour pendant perist. 9 (cf. § 134-137), ferme le triptyque du voyage, coeur des sept Passions (cf. Introd. § 131-133) : songeant à son retour, Prudence écrit à son évêque pour qu'il introduise le culte de saint Hippolyte dans son diocèse (en union avec l'Église romaine) - la mention d'un tel dédicataire est unique chez Prudence. La présence d'un ancien hérésiarque au sein d'un 'canon' de martyrs prend alors une valeur particulière : l'Église est en butte à des schismes (en part. l'anti-pape Ursin, opposé à Damase) et des hérésies (en part. l'arianisme, qui séduisait la famille impériale). Le martyre d'Hippolyte, déchiqueté, hors du chemin normal, est comme l'image de la faute qu'il semble expier. Ailleurs, Prudence présente une vision idéale de l'Église des temps héroïques, sans mentionner les lapsi ; cette passion apporte une nuance et rappelle des principes canoniques à valeur protreptique : la conversion reste possible jusqu'au dernier moment 675  ; il n'est de martyre (ni de salut) hors de l'unique Église des Apôtres.

      Le martyr 676 

      Hippolyte fut enterré dans une crypte de la voie Tiburtine, un 13 août, après sa mort lors d'un exil en Sardaigne partagé, dès 235 (persécution de Maximien), avec le pape Pontien (réconcilié, après avoir été un anti-pape opposé à Calixte Ier). Près de l'embouchure du Tibre, à Porto, se trouvait la basilique sépulcrale d'un autre Hippolyte, ce qui a pu influer sur Prudence ou sa source.

      Tradition hagiographique

      La tradition relative à saint Hippolyte est assez confuse : probablement en rapport avec la proximité de leurs fêtes et de leurs sépultures, il fut intégré comme un Hippolyte soldat dans une légende relative au martyre de saint Laurent 677  ; inversément, on a pu assimiler à l'Hippolyte romain celui qui fut vénéré à Porto. Prudence s'inspire de Damas. carm. 35 et célèbre donc l'ancien schismatique ; saint Jérôme atteste qu'il fut martyr (in Matth., prol.) ; ses ouvrages en grec 678  étaient connus de saint Ambroise (epist. 84, 7 ; ni Damase ni Prudence ne s'y réfèrent 679 ). Prêtre à Rome, Hippolyte fut le disciple de saint Irénée, dont il s'inspire dans son kata paswn airesewn elegcoV.

      Prudence se fait hagiographe (citant documents, traditions et monuments) et promeut le culte de saint Hippolyte, avec une certaine efficacité dans l'Italie du Nord durant les ve et vie s. (cf. Introd. § 257-258). Par la suite, le culte de saint Hippolyte de Rome ne suscite pas de tradition littéraire notable, hormis une hymne d'Eugène de Tolède (viie s.) 680  et deviendra assez marginal. On trouve des allusions ou des emprunts à perist. 11 chez Dungal (ixe s.) et chez Abbon (xe s.) 681 , mais, ne serait-ce que du fait de son mètre, perist. 11 ne sera pas repris, chanté, dans la liturgie.

      Témoignages archéologiques et artistiques du culte

      La crypte où se trouve la tombe du martyr a été retrouvée (mais rien ne reste de la fresque évoquée en perist. 11). C'est là qu'avait eu lieu la réconciliation solennelle du clergé qui s'était rallié à l'anti-pape Ursin (-> v. 28-30) avec le pape Damase, qui finança la décoration luxueuse de sa crypte. La basilique proche, mentionnée par Prudence, pourrait avoir été celle de Saint-Laurent ; toutefois, avec les itinéraires médiévaux, de Rossi affirme l'existence d'une basilique Saint-Hippolyte, dont les restes sont détruits 682 .

      Une statue de marbre représente saint Hippolyte assis (grandeur nature ; placée à l'entrée de la Bibliothèque Vaticane) ; en partie reconstitué, ce monument est l'une des plus anciennes sculptures monumentales chrétiennes. Il est représenté, avec d'autres martyrs, sur des verres dorés du ive s. 683 . La passion d'Hippolyte figurera sur l'un des tableaux du martyrologe peint de Saint-Étienne-le-Rond, à Rome (par Pomarancio et Tempesta, au début du xviie s.), en arrière-fond de l'épisode du gril de saint Laurent.

      Bibliographie : cf. Bertonière 1985 (bibliographie archéologique, p. 207-212), Amore 1954, Bovini 1943, Delehaye 1927 (p. 14) et 1930 (p. 8), de Rossi 1881 et 1882, ainsi que AA. VV. 1977. Cf. DECA 1160-1166 (Nautin [oeuvres] ; Prinzivalli [statue]) ; BSS 7, 868-879 (Amore ; Celetti) ; AA. SS. 37 (août t. 3), 4-15 ; BHL 590-591 et suppl. 430-431 ; BHG 3, 32 ; MHier 439-440 ; MRom 335-336.

      Le poème

      Résumé

      Prudence s'adresse à l'évêque Valérien (-> v. 2). Parmi les innombrables tombes de martyrs romains (v. 1-16), il évoque celle d'Hippolyte, martyr revenu du schisme (v. 17-24) : lors de son arrestation, il a appelé ses fidèles à rejoindre l'Église (v. 25-38). Prudence évoque ensuite la figure du persécuteur cruel, qui ne parvient à faire fléchir les chrétiens (v. 39-76) ; il condamne Hippolyte à subir le supplice de son homonyme de la fable (v. 77-88), qui est préparé (v. 89-104) et mis en oeuvre (v. 105-110). Les chevaux mènent une course éperdue (v. 111-118) qui déchiquète le martyr (v. 119-122). Cet épisode figure sur une fresque (v. 123-132), où est aussi représentée la quête des restes du martyr (v. 133-150), ensuite enseveli près de Rome (v. 151-152), dans une crypte dont sont décrits l'accès (v. 153-168) et l'ornementation (v. 169-194). Les dévots y sont nombreux - Prudence en fit partie (v. 177-182) - surtout le jour de la fête du martyr, où ils accourent de partout (v. 195-214), si bien que même la basilique voisine peine à les contenir (v. 215-230). Prudence invite son destinataire à inscrire cette fête à son calendrier (v. 231-238), et lui adresse des voeux (v. 239-246).

      Dynamique et thématique du récit

      Le poème est comme une lettre au dédicataire : contrairement à perist. 9 et 12 où il reçoit des informations d'autrui, Prudence se met ici dans la position du cicérone. Une partie du récit est donnée, d'abord imperceptiblement, par l'ecphrasis d'une fresque (cf. Introd. § 31). Comme en perist. 9, le martyr subit une peine fantaisiste, liée à une tradition profane (supplice d'Hippolyte, cf. Evr. Hippol. 1185-1248 ; Sen. Phædr. 1050-1114a), qui correspond en quelque sorte à l'expiation d'une faute (le schisme et l'hérésie) par une peine analogue (autre ex. : -> 14, 48-49). Ce poème a aussi en commun avec les 'poèmes du voyage' un caractère personnel (usage du distique) et la propagande du culte d'un martyr.

      Perist. 11 est le plus 'alexandrin' des poèmes de Prudence ; on y trouve l'étiologie d'un culte - liée à un 'mythe' - et sa description. Les références littéraires sont multiples : Prudence évoque et pastiche l'inscription damasienne dont il s'inspire ; il corrige la version de Sénèque du mythe d'Hippolyte, récit imaginaire auquel le juge confère une réalité, devenue perceptible par une représentation plastique ; par la re-prise d'un 'catalogue de pèlerins', il rend hommage à Paulin de Nole. Le jeu littéraire va jusqu'à une réflexion sur le style (cf. Introd. § 34). Le poème prend une allure initiatique, le poète et ceux qui le suivent imitant le parcours du martyr. Cette affinité, ici progressive et consciente, est simplement esquissée, a posteriori, en perist. 9.

      Bibliographie : cf. les études de Viscardi 1997, Gómez Pallarès 1996, Segal 1984, Costanza 1977, Schumacher 1960, Alamo 1939, Weyman 1923 ; cf. aussi Malamud 1989, p. 79-113.

      Mots rares (seules occurrences chez Prudence) : litterulis (v. 7), epigramma (v. 8), tumbas (v. 9), utpote qui (v. 16), schisma (v. 19), presbyter (v. 20), suburbanos (v. 41), adsiduus (v. 44), eluuie et adfluere (v. 46), Tyrrheni (v. 47), constipata (v. 49), lorea (v. 55), concrepitare (v. 56), cognitione (v. 60), tabulata (v. 73), naufragium (v. 74), adfirmant (v. 88), campestre (v. 93), prorumpunt (v. 111), tremor (v. 112), minutatim (v. 119), spinigeris (v. 120 ; ->), papa (v. 127), dumos (v. 129), russeolam (v. 130 ; ->), spongia (v. 144), extersis (v. 150), crypta (v. 154), progressu (v. 159), subterranea (v. 167), donatrix adj. (v. 171), Tibricolas (v. 174 ; ->), ædicula (v. 184), permixtim (v. 192), una adv. (v. 200), patricios subst. (v. 200), Picens (v. 206), Campanus, Capuæ et Nolanus (v. 208), regifico (v. 216), opulens (v. 218), exsinuent (v. 222), commemini (v. 231), annua (v. 234), salutigeros (v. 235), honoratæ (v. 236), ægrotam (v. 244). Enfin, le nom Valeriane du dédicataire, v. 2.

      Mètre : 123 distiques élégiaques 684 .


Commentaire

      Ad Valerianum episcopum, de passione Hippolyti beatissimi martyris : cf. Introd., App. C, p. 137 ; dans les oeuvres de Prudence, ce poème est le seul à avoir une dédicace ; le reste du titre s'apparente à celui de perist. 2.

      1-19 : cf. Damas. carm. 16, 1-3 hic congesta iacet (ici v. 11 iaceant), quæris (id. v. 3) si turba piorum | corpora sanctorum (v. 1 cineres sanctorum) retinent ueneranda sepulcra | sublimes animas rapuit sibi regia cæli.

      
1-2 Innumeros cineres sanctorum Romula in Vrbe
uidimus, o Christi Valeriane sacer.

Innombrables sont les cendres des saints que nous avons vues dans la Ville romuléenne, ô Valérien, consacré au Christ.

      1 : cf. perist. 2, 541-544 uix fama nota est, abditis | quam plena sanctis Roma sit, | quam diues urbanum solum | sacris sepulcris floreat. innumeros : cf. perist. 9, 13 innumeri circum pueri ; dans les deux cas, l'étonnement fera place à une précision quant au nombre (cf. v. 11-14 ; perist. 9, 57 manus... ducentæ). Épithète de cineres, cet adj. se rapporte à sanctorum. cineres sanctorum : cf. perist. 3, 194 reliquias cineresque sacros ; 6, 134 sanctorum cinerum (sur cinis, -> 13, 98) ; ensuite, on a corpora (v. 11) et reliquias... hominum (v. 14). Sancti désigne non les chrétiens en général, mais les confesseurs de la foi (cf. vv. 5. 8 ; -> 2, 542). Romula in Vrbe : de même, perist. 2, 310. 412 ; cf. Troia Roma (v. 6), Vrbs augusta (v. 199), pulcherrima Roma (v. 231) ; -> 9, 3.

      2 : uidimus : référence non à des ostensions de reliques (cf. perist. 4, 138), mais à des épitaphes (de même, vv. 17. 19 hæc dum lustro oculis... inuenio Hippolytum) ; cf. aussi v. 127-128 (vision d'une fresque) rorantes saxorum apices uidi, optime papa, | purpureasque notas. o : -> 2, 413-415. Christi... sacer : l'évêque dédicataire est nommé aux vv. 127 optime papa ; 179 uenerande sacerdos ; 233 sancte magister. Valeriane : seule mention du personnage (prosodie, -> 13, 35), distinct des Valerii de Saragosse (cf. perist. 4, 79-80), probable premier évêque de Calagurris : il en établit le calendrier (-> v. 231-238) et y édifie un baptistère (cf. perist. 8 ; cf. Cunningham 1963, p. 40-43) ; on lui doit le texte d'une profession de foi (PL Suppl. 1, 1045 ; cf. CPL 558a) ; cf. DECA, s.n. Valérien de Calahorra, p. 2514 (Díaz y Díaz).

      
3-6 Incisos tumulis titulos et singula quæris
nomina : difficile est, ut replicare queam.
Tantos iustorum populos furor impius hausit,
cum coleret patrios Troia Roma deos.

Tu me demandes des inscriptions gravées sur les tombes et pour chacune, un nom ; il m'est difficile de pouvoir en parcourir la liste. Elles étaient si grandes, les foules de justes que la fureur impie a englouties, à l'époque où la Rome troyenne rendait un culte aux dieux de ses pères !

      3 : incisos tumulis titulos : titulus désigne un tombeau (cf. Ivv. 8, 69 aliquid da, quod possim titulis incidere præter honores) ou, ici, une épitaphe (cf. Avson. 237, 3 p. 79 nec satis est titulum saxo incidisse sepulcri). Sur tumulus, -> 13, 98. singula : il y a les barrières du temps (v. 9-16) et du nombre (v. 7-8) ; au contraire, perist. 2, 161-162 recenset... singulos | scribens uiritim nomina. quæris : on a aussi une question initiale (mais du poète) en perist. 9, 17 ; 12, 1.

      4 : nomina : les noms des martyrs (-> 2, 162) sont conservés par les épitaphes (cf. v. 7-8) et les martyrologes ; on peut ainsi les invoquer, y c. dans les exorcismes (cf. perist. 2, 469-470). difficile est, ut : cf. perist. 10, 91 ; Ivst. 1, 9, 6 ; Prudence peine à répondre, vu le nombre des martyrs (v. 1) et les lacunes des inscriptions (v. 9-10 ; en perist. 4, par contre, sont énumérés tous les martyrs de Saragosse) ; protestations de modestie analogues en perist. 2, 33-36 ; 10, 1-5. 11-15. 21-25. replicare : idée de parcourir une liste (cf. Cic. Sull. 27), de déployer ce qui est caché (cf. Cic. diu. 1, 127) et de refléter une image (cf. Sen. nat. 1, 3, 7).

      5 : tantos... populos : tantus au lieu de tot (de même, perist. 2, 317) ; cf. vv. 11 (quantus pour quot) et 61. La multitude des martyrs, soulignée par hausit, domine le début du poème : vv. 1 innumeros cineres sanctorum ; 9-14 (tombes collectives) ; 41-46 (flots de sang) ; 53 agmina ; 68 multos... reos ; 74 bibant undique naufragium. Le nom populus désigne les chrétiens du temps des persécutions (ici ; vv. 30. 42. 80) ou de Prudence (vv. 192. 211. 239). iustorum : les chrétiens (de même, v. 44) ; de même, sancti (-> 2, 396). furor impius : même iunctura chez Verg. Æn. 1, 294. Furor (-> 14, 63 ; cf. v. 63), est repris au v. 112 à propos des chevaux traînant le corps de s. Hippolyte ; de même, on a aussi rabies (cf. v. 47). Sur impius, -> 14, 12.

      6 : cum coleret... Roma : cf. v. 231 colit hunc [= Hippolytum] pulcherrima Roma. On passe du temps du culte païen à celui de la Rome chrétienne, qui honore les martyrs. patrios... deos : expression fréquente chez Virgile (p.ex. Æn. 2, 702 ; 7, 229), mise dans la bouche du juge en perist. 3, 99. Cf. v. 82 Romanis... deis. Troia : épithète épique (-> v. 1) évoquant l'error Troicus (-> 2, 445) et une époque révolue (-> 2, 1), peu glorieuse car entachée de paganisme.

      
7-10 Plurima litterulis signata sepulcra loquuntur
martyris aut nomen aut epigramma aliquod ;
sunt et muta tamen tacitas claudentia tumbas
marmora, quæ solum significant numerum.

Les tombes les plus nombreuses, marquées de petites lettres, disent le nom d'un martyr ou quelque épigramme ; il y a également, pourtant, des marbres silencieux fermant des sépulcres muets, qui signalent seulement un nombre.

      7 : plurima... sepulcra : cf. v. 1 innumeros cineres ; Prudence limite son sujet (cf. apoth. 1 plurima sunt, sed pauca loquar). litterulis signata : cf. Ov. met. 8, 540 signata... saxo nomina. Les inscriptions sur les tombes permettent de les différencier ; signare a les deux nuances de 'graver' et de 'marquer d'un signe distinctif'. Litterulis suggère le grand nombre des noms, inscrits en petits caractères. loquuntur : l'idée d'une épitaphe 'parlante' (par opposition aux tombes 'muettes', v. 9) est d'autant plus naturelle que la lecture se fait à haute voix, et que certaines sont rédigées à la 1ère ou à la 2e pers. Cf. perist. 3, 139-140 nomen et ipsa sacrum loquitur | purpura sanguinis eliciti (blessures inscrivant le nom du Christ sur la chair d'une martyre).

      8 : reprise des vv. 3-4 titulos et... nomina. martyris : déjà pour Prudence, les chrétiens dont les tombes datent du temps des persécutions étaient réputés martyrs. Martyr (-> 2, 169) désigne s. Hippolyte aux vv. 33. 106. 172. epigramma : au sens premier, 'inscription' (Cic. Verr. II 4, 127), en part. 'épitaphe' (Petron. 115, 20 ; Gell. 1, 24, 1).

      9-10 : les chiffres inscrits sur les tombes, pris pour le nombre des martyrs qui y reposent, sont plutôt des repères de concessions funéraires (cf. p.ex. le cas d'un loculus renfermant un seul corps d'enfant avec le chiffre LIX ; cf. Delehaye 1927, p. 143). Muta... marmora inclut mimétiquement tacitas... tumbas ; ces expressions filent la métaphore des tombes 'parlantes' (v. 7).

      9 : tamen tacitas : groupe allitérant, renforcé par muta. Tamen traduit une restriction et un regret, tempéré aux vv. 15-16. tumbas : cf. Hier. in Ezech. 11, 39, 1 in tumba sepulturæ illius. Ce nom calqué sur le grec tumba n'est pas attesté avant le temps de Prudence. claudentia : cf. perist. 6, 140-141 cauoque claudi | ... marmore puluerem.

      10 : marmora : outre les tombes fermées par une plaque de terre cuite, les plus importantes, dont celles des martyrs (cf. perist. 4, 194 ; 6, 141) utilisent le marbre, sur lequel sont gravées les épitaphes. significant : reprise de signata (v. 7) ; quand il n'y a qu'un chiffre, on n'a pas loquuntur (v. 7), ces tombes restant muettes. numerum : à défaut de noms (-> v. 4), un nombre permet un recensement minimal (cf. perist. 2, 129-132) ; en perist. 4, on a une comparaison des cités avec leurs martyrs et le nombre de ceux-ci. Cf. v. 147-148 cumque recensitis constaret partibus ille | corporis integri qui fuerat numerus (corps déchiqueté du martyr).

      
11-12 Quanta uirum iaceant congestis corpora aceruis,
nosse licet, quorum nomina nulla legas.

En quelle quantité gisent les corps des héros, entassés par monceaux, il est permis de le savoir, pour ceux dont on ne peut lire aucun nom.

      11 : cf. Damas. carm. 16, 1-2 hic congesta iacet, quæris si turba piorum | corpora sanctorum retinent ueneranda sepulcra. Cf. c. Symm. 2, 717-178 corpora... congesta iacent. quanta : avec le sens de quot (-> v. 5) ; de même, ham. 406 et peut-être perist. 5, 423. uirum : gén. plur. archaïque (-> 13, 49) ; uir équivaut à homo (cf. v. 14), avec une valeur éthique ('héros', -> 2, 37) ; cf. vv. 40. 103. 126. iaceant : cf. v. 132 membra per incerto sparsa iacere situs ; perist. 3, 179 ; 5, 454 corpus, quod intactum iacet. congestis... aceruis : cf. c. Symm. 2, 570 congesta cadauera ; 1053 congestum... aceruum (céréales). Cf. Cic. Catil. 4, 11 ; Liv. 27, 2, 9 (congestus, à propos de cadavres).

      12 : nosse licet : cf. perist. 10, 958 uera cognoscas licet ; cath. 12, 157-158 licetne... noscere. Cf. perist. 1, 73-84 : Prudence déplore l'oubli, la destruction et se réjouit de ce qui est conservé. nomina : -> v. 4. legas : ici au sens de 'lire' (cf. perist. 3, 137 ; 13, 8), legere désigne au v. 140 l'action de ramasser les restes du martyr ; les passages se correspondent (récurrences lexicales, jeux de mots : -> v. 17). La 2e pers. s'explique comme un potentiel indéfini plutôt que par référence au dédicataire ; de même, v. 197 quanta putas studiis certantibus agmina cogi.

      
13-16 Sexaginta illic defossas mole sub una
reliquias memini me didicisse hominum,
quorum solus habet comperta uocabula Christus,
utpote quos propriæ iunxit amicitiæ.

Là, je me rappelle avoir appris qu'il y avait, ensevelies sous le poids d'une seule dalle, les reliques de soixante hommes, dont seul le Christ possède les noms de manière certaine, comme ceux d'hommes qu'il a unis à sa propre amitié.

      13-14 : sexaginta... reliquias... hominum : forte hyperbate ; cf. v. 1 innumeros cineres sanctorum. Ce nombre est considérable : outre les 300 martyrs de perist. 13, 83, le seul groupe des 18 de Saragosse fait comparer cette cité avec Rome et Carthage (perist. 4, 53-64).

      13 : v. encadré par sexaginta et una. illic : lieu décrit aux vv. 153-166. mole sub una : plutôt qu'un tertre (perist. 5, 510-511), une tombe à arcosolium, où une dalle de pierre peut recouvrir une sépulture collective (qui, loin d'être une disgrâce, est le sort obligé des martyrs de la Massa Candida [perist. 13, 76-87] et le voeu de ceux de Tarragone [perist. 6, 130-141]).

      14 : reliquias : cf. perist. 3, 194-195 reliquias cineresque sacros | seruat humus ueneranda sinu ; 6, 136. Avant de se spécialiser ('reliques'), ce nom désigne les restes mortels (p.ex. Verg. Æn. 4, 343). memini me didicisse : cf. v. 231 si bene commemini ; perist. 12, 65-66 hæc didicisse sat est Romæ tibi... memento. Prudence raconte après son retour de voyage ses observations (cf. v. 17-18) et les réponses à ses questions (cf. perist. 9, 17 ; 12, 1). hominum : -> v. 11.

      15-16 : liés au Christ (cf. N.T. Ioh. 15, 13-15 maiorem hac dilectionem nemo habet, ut animam suam ponat quis pro amicis suis. uos amici mei estis, si feceritis quæ ego præcipio uobis. iam non dicam uos seruos... uos autem dico amicos ; cf. les derniers mots du martyr, v. 110 tu rape, Christe, animam), les martyrs sont des intercesseurs efficaces (cf. v. 181-182). Le nom (uocabula) et la personne sont presque identifiés, conception biblique reflétée en perist. 1, 1-3 scripta sunt cælo duorum martyrum uocabula | aureis quæ Christus illic adnotauit litteris ; | sanguinis notis eadem scripta terris tradidit. L'imposition baptismale du nom est comme répétée lors du martyre ; cela prendra ici un relief particulier, le juge, ministre paradoxal du baptême sanglant, disant (v. 87) : ergo sit Hippolytus.

      15 : habet comperta : même expression chez Cic. Cluent. 127 ; Liv. 3, 48, 1. Habere est employé comme un auxiliaire (cf. c. Symm. 1, 211 persuasumque habuit) ; cf. vv. 48 proxima... habet ; 123 habet illitus. Sur comperire, -> 5, 256. uocabula : pris ici au sens de nomen (-> v. 4 ; de même, perist. 1, 1 ; c. Symm. 1, 300) ; cf. Varro ling. 8, 20 ; Cic. part. 41.

      16 : le lien de la charité (-> 2, 432) unit les hommes (cf. perist. 1, 53 quos... iunxerat sodalitas), par le Christ auquel ils aspirent (propriæ amicitiæ, datif de but), et chaque homme au Christ, Amour substantiel (propriæ... amicitiæ, périphrase équivalant à sibi, c'est-à-dire Christo). utpote quos... iunxit : l'indicatif (au lieu du subj.) est rare (mais attesté p.ex. chez Cic. Att. 2, 24f, 4), pour insister sur la réalité des faits. propriæ... amicitiæ : cf. perist. 5, 299 propriæque collegam crucis (-> 2, 18) ; proprius souligne le paradoxe d'une certaine égalité avec le Christ.

      
17-18 Hæc dum lustro oculis et sicubi forte latentes
rerum apices ueterum per monumenta sequor,

Tandis que de mes yeux je passe cela en revue et que je suis sur les monuments les traces poinçonnées de réalités du passé, si d'aventure il y en avait de cachées, ...

      17 : hæc : les sepulcra mentionnés au v. 7. lustro oculis : de même, Lvcr. 7, 795 ; Tac. hist. 2, 70, 1 ; cf. v. 2 uidimus (->). On peut comparer ce recensement des martyrs dans les catacombes avec celui des héros futurs opéré par Anchise dans les Champs-Elysées (cf. Verg. Æn. 6, 681 lustrabat). Il y a une correspondance entre Prudence et les fidèles qui ensevelissent le martyr (cf. vv. 135 oculis rimantibus ; 133 sequentes - cf. v. suiv. sequor), avec jeu de mots sur apex (vv. 18. 127) et sur legere (vv. 12. 140) ; cf. Introd. § 27 n. 67 ; tous atteignent les reliques à l'issue de leurs recherches (-> v. 135). sicubi forte : combinaison de sicubi ('si quelque part' = si alicubi ; cf. Cic. Tusc. 1, 103) et de si forte ('si d'aventure' ; cf. Cic. off. 2, 70) ; ellipse d'essent.

      18 : rerum... ueterum : pour Prudence, le temps des martyrs fait figure d''Antiquité chrétienne'. apices : la forme des lettres, ou de signes analogues (p.ex. des chiffres) ; cf. perist. 3, 137 ; 9, 53 ; 10, 1120 ; Gell. 13, 30, 10. Aux vv. 127 (-> v. préc.) et 224, apex signifie 'sommet'. monumenta : des tombes (classique, cf. Cic. Mil. 17) ; cf. cath. 10, 54 ; c. Symm. 1, 403. sequor : reprise de lustro (v. préc.). Cf. les sequentes du v. 133 (-> v. préc.).

      
19-22 inuenio Hippolytum, qui quondam schisma Nouati
presbyter attigerat nostra sequenda negans,
usque ad martyrii prouectum insigne tulisse
lucida sanguinei præmia supplicii.

... je découvre qu'Hippolyte qui avait touché autrefois le schisme de Novat, en tant que prêtre, niant qu'il fallût suivre notre religion, fut conduit jusqu'à la gloire du martyre et remporta les récompenses lumineuses du supplice sanglant.

      19-20 : cf. Damas. carm. 37, 1-2 Hippolytus fertur, premerent cum iussa tyranni, | presbyter in scisma semper mansisse Nouati. Le héros est grandi par sa renonciation au péché (cf. perist. 13, 21-24).

      19 : inuenio Hippolytum : les recherches (cf. v. 17-18) semblent aboutir à 'Hippolytus', qui est à la fois le nom du martyr enseveli et le commencement de l'inscription damasienne lue sur place ; cf. Introd. § 28 n. 74 ; même ambivalence aux vv. 127-128 uidi... | purpureasque notas (-> v. 128). De façon inhabituelle (-> 14, 1), ce n'est qu'ici qu'apparaît le nom du martyr (cf. vv. 86-87. 169. 181. 246) : au v. 2, on avait le nom du dédicataire ; pour compenser, le dernier mot du poème est Hippolyto. quondam : référence au temps des persécutions (v. 18 rerum... ueterum), mais aussi au passé du martyr (de même, v. 23 olim). schisma Nouati : cf. v. 29-30 exsecranda Nouati | schismata ; ce schisme, analogue au donatisme (rigorisme face aux lapsi, rebaptême), suivit l'élection du pape Corneille (251). S. Hippolyte qui, comme Tertullien, s'était opposé au pape Calliste, ne pouvait être novatien : le martyr est mort en 235 (Prudence reflète la tradition fautive de l'inscription damasienne ; cf. Feiertag 1990 pp. 127. 129 et n. 25). La scission (schisma) provoquée par cette secte sera comme expiée dans le supplice du martyr (cf. v. 119 scissa... frusta) ; même motif avec la passion de s. Cassien, dont la sévérité (cf. perist. 9, 25-28) est châtiée par les stylets de ses élèves, et dans celle de soldats martyrs, morts par le glaive après l'avoir manié (perist. 1, 31. 39. 93 ; 8, 18 ; cf. N.T. Matth. 26, 52).

      20 : presbyter : terme technique (cf. Amm. 31, 12, 8 Christiani ritus presbyter, ut ipsi appellant) ; Prudence lui préfère sacerdos ou antistes (-> 2, 68). nostra sequenda : sequi indique ici et au v. 36 l'adhésion à une religion (-> 14, 83), soit sa secta (v. 28), désignée par nostra. Adhérer au Christ implique de suivre sa doctrine et ceux qui l'enseignent (v. 31-32 ; perist. 13, 48 qui sociare animam Christo uelit, ut comes sequatur). negans : le schismatique se définit négativement (face au paganisme et à l'Église). Converti, le martyr alterne critique du schisme et enseignement positif (cf. v. 29-38).

      21 : martyrii... insigne : l'autorité nouvelle de s. Hippolyte, futur martyr, l'amène à ne mentionner au v. 33 que cette qualité, titre de gloire (insigne, cf. perist. 2, 10) qui éclipse sa dignité de prêtre. prouectum : -> 13, 34. tulisse : infinitif historique, verbe principal de la relative introduite par qui au v. 19 ; cf. perist. 5, 384 palmam tulit (->).

      22 : entrecroisement de 2 groupes comprenant un nom (1er hémistiche) et son épithète ; la confrontation du sang et de l'or (-> 2, 275-276) suggère le caractère glorieux du martyre. lucida... præmia : la vie éternelle : cf. perist. 1, 23-24 ; 13, 43. Cf. v. 236 lucis honoratæ præmia restituens. lucida : cf. cath. 10, 161-162 patet ecce fidelibus ampli | uia lucida iam paradisi. Ici, des lucernaires font entrer la lumière sous terre (v. 159-168) et des matériaux réfléchissants font briller la tombe du martyr (v. 183-188). sanguinei... supplicii : insistance sur le caractère sanglant (sanguineus ; cf. Ov. met. 13, 85 ; Stat. Theb. 2, 705) du supplice ; de même, vv. 43-46 (évocation hyperbolique de la persécution) ; 125-130. 141-144 (fresque de la passion).

      
23-24 Nec mirere senem peruersi dogmatis olim
munere ditatum catholicæ fidei.

Ne t'étonne pas qu'un vieillard, dont l'enseignement était autrefois déviant, ait été enrichi du présent de la foi catholique.

      23-24 : celui qui s'est séparé de l'Église ne peut être reconnu comme martyr : cf. Cypr. unit. eccl. 14 etiam si occisi in confessione nominis fuerint, macula ista nec sanguine abluitur : inexpiabilis et grauis culpa discordiæ nec passione purgatur. esse martyr non potest qui in Ecclesia non est : ad regnum peruenire non poterit qui ea quæ regnatura est dereliquit... occidi talis potest, coronari non potest ; Avg. epist. 173, 6 foris autem ab Ecclesia constitutus et separatus a compage unitatis et uinculo caritatis, æterno supplicio punireris, etiamsi pro Christi nomine uiuus incenderis.

      23 : nec mirere : probable adresse au dédicataire, même si un tour impersonnel est possible. Prudence utilise souvent nec à la place de [et ne]. senem : le grand âge du martyr (vv. 78 senior ; 109 senis uenerabilis ; 137-138 caput niueum... ac reuerendam | canitiem), trait pathétique, a un sens protreptique : on peut se convertir jusqu'à la fin. peruersi dogmatis : gén. de qualité ; l'hérésie semble s'ajouter au schisme (-> v. 31-32) : cf. Hier. in Tit. 3, 11 schisma ab Ecclesia separat, hæresis uero peruersum dogma habet ; Avg. c. Pelag. 3, 9, 25 peruersissima dogmata (cf. apoth. præf. 3 ; apoth. 2). Dogma a le sens étymologique d''enseignement' (-> 13, 32) ; le martyr dira (v. 33) quod docui, docuisse piget, après une mention de la cathedra Petri (v. 32). olim : adv. portant sur peruersi dogmatis et se référant au passé du martyr (de même, v. 19 quondam).

      24 : munere ditatum : le martyre est une grâce (-> 14, 35) et une charge (-> 5, 209 ; cf. perist. 2, 562). catholicæ fidei : même iunctura en perist. 7, 9-10 ; præf. 39. Cf. v. 32.

      
25-27 Cum iam uesano uictor raperetur ab hoste
exsultante anima carnis ad exitium,
plebis amore suæ multis comitantibus ibat ;

Alors que déjà il était emporté, victorieux, par un ennemi forcené, tandis que son âme jubilait dans la perpective de la ruine de la chair, il allait, aimé de ses ouailles, avec une nombreuse escorte ; ...

      25 : uesano... ab hoste : cf. v. 39 insano rectori (->) ; uesanus qualifie le bourreau de ste Agnès (-> 14, 70). Sur hostis, -> 5, 250. uictor : le martyr se sait déjà victorieux (uictor qualifie s. Vincent ; -> 5, 367). Pas plus que les autres chrétiens (cf. v. 61-62), il ne pourra abjurer - du fait de la nature de son supplice. Parfois, les martyrs doutent, quand leur mort est retardée (cf. perist. 6, 115-118 ; 7, 51-90 ; 9, 65-68. 83-88). raperetur : cf. perist. 10, 66 ; 12, 11 ; 13, 75 ; repris aux vv. 67 hos rape præcipites et uinctos conice in ignem (le juge) ; 110 hi rapiant artus ; tu rape, Christe, animam ! (le martyr) ; 113 rapit impetus (les chevaux) ; 144 hunc omnem spongia pressa rapit (collecte du sang) ; 246 raptus et ipse sacro sis comes Hippolyto (voeux pour le dédicataire).

      26 : en soi indifférente, car inévitable (-> 5, 164), la mort réjouit le martyr comme étape obligée vers un salut imminent (-> 14, 68). exsultante : employé à propos de martyrs avant leur supplice (perist. 6, 51 ; 14, 69) ou leur mort (perist. 5, 383), et de pèlerins (v. 205 ; perist. 6, 145). carnis ad exitium : cf. perist. 2, 269-270 carne corruptissima | tandem soluti ac liberi.

      27 : le chef religieux est déjà comme un martyr (avec un surcroît d'autorité) ; cf. perist. 5, 333-344 ; 6, 51-60. 73-84 ; 7, 31-45. plebis... suæ : gén. subjectif ; l'emploi du possessif suggère qu'il s'agit d'un groupe dissident (de même, v. 35) ; on a plus de nuances à propos des ouailles d'un évêque catholique (v. 239 populo, cuius tibi credita uita est ; ->). amore : au v. 133, caros désigne probablement les mêmes fidèles, cherchant les restes du martyr ; leur lien est appelé amor p.ex. en perist. 13, 3 (-> ; fides au v. 202). multis comitantibus : de même, Verg. Æn. 3, 346 ; cf. perist. 6, 14-15 uenerat ad forum sacerdos | leuuitis comitantibus duobus. La taille de l'escorte indique l'importance du schisme et l'autorité d'Hippolyte (pris pour le chef des chrétiens : cf. v. 80). ibat : de même, perist. 6, 12 ; 14, 52 ; le martyr ne semble pas traîné (v. 25 raperetur) par ceux qui l'ont arrêté, mais va librement au-devant du tribunal.

      
28-30 consultus quænam secta foret melior,
respondit : " Fugite, o miseri, exsecranda Nouati
schismata, catholicis reddite uos populis !

... interrogé sur la voie qu'il valait mieux suivre, il répond : " Fuyez, malheureux, les abominables schismes de Novat, donnez-vous à nouveau au peuple catholique !

      28-30 : cf. Damas. carm. 37, 5-6 quæsisset populus ubinam procedere posset | catholicam dixisse fidem sequerentur ut omnes. La crypte de s. Hippolyte fut le cadre de la réconciliation avec Damase des clercs ralliés à l'anti-pape Ursin ; cf. l'inscription trouvée sur place : læta plebs sancta canat quod moenia crescunt, | et renouata domus martyris Hippolyti.|| ornamenta operis surgunt auctore Damaso | natus qui antistes sedis apostolicæ || inclita pacificis facta est hæc aula triumphis | seruatura decus perpetuamque fidem... (cf. Bovini 1943, p. 33 n. 3).

      28 : la réponse d'un quasi martyr à la question du schisme est réputée inspirée. consultus : cf. perist. 9, 17 ædituus consultus ait ; apoth. præf. 1-2 est uera secta ? te, magister, consulo. | rectamne seruamus fidem... ? secta : la religion en tant que 'voie à suivre' (doctrine et communauté) : cf. apoth. præf. 1 (-> v. 20). Secta peut être employé à propos de sectes hérétiques (cf. ham. 57 ; N.T. II Petr. 2, 1 ; Lact. inst. 4, 30, 2) mais n'a rien de péjoratif. melior : ne se contentant pas de montrer ce qui est meilleur, le martyr invitera à fuir l'erreur et à embrasser la vérité.

      29-34 : en appelant à la réconciliation avec l'Église, Hippolyte y rentre ipso facto et bénéficiera du martyre (-> v. 23-24). L'idée positive de retour à l'Église (v. 30-32) est incluse entre 2 mentions de ce qui est rejeté (vv. 29-30. 33-34) - structure reproduite dans la suite (v. 35-38).

      29-30 : fugite... reddite : impératifs en asyndète (-> 2, 353-354).

      29 : fugite, o miseri : cf. Verg. Æn. 3, 639 fugite, o miseri, fugite. Ce ton pathétique (o : -> 2, 413-415) et ferme tranche avec celui de la question. O miseri est aussi employé en c. Symm. 2, 203. exsecranda : même emploi, à propos de pratiques païennes, en perist. 10, 1089.

      29-30 : Nouati schismata : reprise, au plur., de schisma Nouati (v. 19 ; ->).

      30 : catholicis... populis : expression (au plur. emphatique) opposée à plebis... suæ (v. 27) ; l'universalité de l'Église sera illustrée dans le catalogue des pèlerins (v. 197-212). L'adj. catholicus n'apparaît ailleurs dans le recueil qu'au v. 24 et en perist. 7, 9. Sur populi, -> v. 5.

      
31-32 " Vna fides uigeat, prisco quæ condita Templo est,
quam Paulus retinet, quamque cathedra Petri.

" Qu'une foi unique soit en vigueur, celle qui a été fondée dans le Temple antique, qui est maintenue par Paul, ainsi que par la chaire de Pierre.

      31 : la vérité de la foi révélée est la même partout (cf. v. préc.) et dès le début. una fides uigeat : le martyr ne condamne pas que l'hérésie (v. 23), mais aussi le relativisme qui sous-tendait la question posée (v. 29) ; cf. c. Symm. 2, 83-90 (relativisme de Symmaque). uigeat : cf. psych. 289 peruulgata uiget nostri sententia Christi. Templo : par analogie avec ecclesia (-> 2, 114), templum peut désigner le bâtiment de l'église (v. 215) ou l'institution (ici). prisco : ailleurs, vision progressiste de l'histoire, dénigrant ce qui est antique (-> 2, 1). condita... est : dépôt inamovible (v. suiv. retinet), la foi est doublement condita : 'fondée', telle une institution (cf. p.ex. perist. 10, 414) et 'mise en sûreté', telle un bien précieux (cf. v. 229).

      32 : la foi du Christ est gardée par sts Pierre et Paul (-> 2, 457-472). Comme en perist. 2, 461-464, s. Paul est nommé d'abord et s. Pierre est l'objet d'une expression plus développée ; l'anaphore de quam et le verbe commun retinet soulignent leur lien. cathedra Petri : emblème de la papauté (cf. Hier. epist. 15, 1), la chaire ou siège de Pierre (cf. c. Symm. 2 præf. 1-2) est un motif important, dès s. Cyprien (cf. Pietri 1976, pp. 301-306. 1503-1505), y c. dans l'iconographie (ibid., p. 351-356), et est l'objet d'une fête liturgique (ibid., p. 381-389) ; la chaire (-> 13, 33-34) sert à l'enseignement de la foi (cf. v. suiv. et v. 225-226) et le symbolise. À l'évêché romain est reconnue une primauté (cf. perist. 2, 462 cathedram possidens primam).

      
33-34 " Quæ docui, docuisse piget : uenerabile martyr
cerno, quod a cultu rebar abesse Dei. "

" Ce que j'ai enseigné, je regrette de l'avoir enseigné : en tant que martyr, je vois qu'est digne de vénération ce que pensais être éloigné du culte de Dieu. "

      33 : quæ docui, docuisse piget : polyptote de docere (désignant aussi des enseignements hérétiques en ham. præf. 37 ; ham. 175 ; cf. v. 23 peruersi dogmatis). uenerabile : attribut de l'objet sous-entendu de cerno (également antécédent de quod [v. suiv.], à savoir l'appartenance à l'Église). S. Hippolyte lui-même recevra ce qualificatif (v. 109). martyr : apposition au sujet ; -> v. 8. Cette mention est un raccourci narratif suggérant l'imminence de la condamnation.

      34 : cerno : verbe repris au v. 46 à propos d'une constatation visuelle du juge, et aux vv. 131. 168 à propos du poète visitant le tombeau du martyr (-> v. 2). cultu : employé à propos du paganisme (-> 2, 498) et pour le Dieu de la Bible (ici ; cf. p.ex. cath. 7, 90). rebar : les hérétiques, probabilistes (cf. v. 28), se basent non sur la vérité de la foi, mais sur l'opinion.

      
35-38 His ubi detorsit læuo de tramite plebem
monstrauitque sequi, qua uia dextra uocat,
seque ducem recti spretis anfractibus idem
præbuit, erroris qui prius auctor erat,

Quand par ces mots il eut détourné ses ouailles du chemin de gauche et leur eut prescrit de suivre le passage où [les] appelle la voie de droite, quand, renonçant aux détours, se fut montré comme le guide d'un parcours direct celui-là même qui autrefois était l'instigateur de l'erreur, ...

      35-38 : cf. Damas. carm. 35, 7 sic noster meruit confessus martyr ut esset. L'opposition entre erreur (vv. 35. 38) et vérité (v. 26-37) est vue de manière imagée (v. 35-36), puis explicite (v. 37-38).

      35 : his : les paroles des vv. 29-32 (cf. perist. 5, 201 ; 13, 49 his ubi corda uirum Christo calefacta præparauit). detorsit : verbe employé avec une connotation morale (-> 2, 368).

      35-36 : læuo de tramite... uia dextra : motif topique des 2 chemins symbolisant le choix moral et existentiel. Selon la conception antique valorisant le côté droit (p.ex. perist. 9, 105) et dépréciant le gauche (p.ex. perist. 13, 21), le 1er correspond au salut et le second à la perte : tel est le cas dans le récit du Jugement dernier (N.T. Matth. 25, 31-46 ; cf. perist. 10, 1136-1140 ; ham. 888-889) ; cf. Verg. Æn. 6, 540-543 hic locus est, partes ubi se uia findit in ambas : | dextera quæ Ditis magni sub moenia tendit, | hac iter Elysium nobis ; at læua malorum | exercet poenas et ad impia Tartara mittit (inspiré de Plato Gorg. 524a). Ici, l'aspect même de ces chemins diffère, entre la voie de l'Église et le sentier du schisme ; de même, à propos du paganisme, c. Symm. 2, 849-850 sola errore caret simplex uia, nescia flecti | in diuerticulum, biuiis nec pluribus anceps ; 854-855 altera multifida est, at simplex altera et una : | una Deum sequitur, diuos colit altera plures. Il n'est pas question ici de la difficulté de la voie vertueuse et du caractère aisé de la voie périlleuse (c. Symm. 1, 337-338 ; 2, 882-888 ; ham. 789-801 ; cf. N.T. Matth. 7, 13-14).

      35 : plebem : même désignation des ouailles de s. Hippolyte au v. 27 (->).

      36 : monstrauitque sequi : même construction de monstrare en cath. 5, 8 (cf. Verg. Æn. 9, 44). Ceux qui recueilleront les restes du martyr lui obéiront (cf. v. 133-134 ; ->). L'emploi de sequi montre l'évolution de l'attitude du martyr (cf. v. 20 nostra sequenda negans) devenu, de porte-parole du démon (cf. c. Symm. 2, 898 mortis iter per deuia monstrat), celui de Dieu (cf. cath. 10, 19-20 iter... monstras | quo perdita membra resurgant). qua : les schismatiques ignorent les moyens du salut (dispensés par et dans l'Église). uia dextra uocat : sujet de uocare, le chemin de droite est personnifié : l'Église, voire le Christ (N.T. Ioh. 14, 6 ego sum uia et ueritas et uita). Via désigne symboliquement la route menant à Dieu, aux vv. 102 (lieu où repose le martyr avant le supplice), 155 (parcours vers l'autel-tombe) et 223 (nef de la basilique).

      37-38 : seque ducem... præbuit : de même, Cic. Vatin. 33 ; Tac. hist. 3, 64, 2. Avant d'offrir sa vie au Christ (perist. 5, 363-364 semet ac uitam suam | Christo immolandam præbuit) le martyr s'offre à ses ouailles. Cf. perist. 13, 46 se fore principium pulchræ necis et ducem cruoris (->).

      37 : cf. Ivvenc. 4, 23 post alius frater thalamis (cf. spretis) sine fructibus (cf. anfractibus) isdem (cf. idem) ; Carm. ad senat. 9 namque (cf. seque) sacerdotes tunicis (cf. spretis) confractibus idem (cf. anfractibus idem) ; cf. Poinsotte 1982, p. 45-46. ducem recti : la voie que montre le martyr est celle de l'Église. Rectus, ici substantivé, qualifie la voie du salut en perist. 5, 369 ; apoth. præf. 12. spretis anfractibus : les détours, symbole du schisme aboutissant à l'hérésie, caractérisent aussi le paganisme : Symmaque veut que chacun progresse per anfractus proprios (c. Symm. 2, 776), tous les chemins menant Dieu ; pour Prudence, les détours du paganisme (c. Symm. 2, 848 anfractus dubios) convergent en enfer (c. Symm. 2, 896-898 una uia est, multis anfractibus errans, | talem passa ducem [dæmonem], qui... | ... mortis iter per deuia monstrat). Le martyr méprise ce qui va contre la foi (-> 9, 32) et semblera le faire quand son corps sera traîné dans les rochers (v. 115-122). Le chemin menant à la tombe du martyr traverse des anfractus à dépasser pour parvenir à la lumière (v. 155-156 huius in occultum gradibus uia prona reflexis | ire per anfractus luce latente docet). idem : terme soulignant le paradoxe de la conversion.

      38 : erroris : nom ambivalent ('errance' et 'erreur' ; -> 2, 231) filant l'image du chemin et des détours (v. 35-37). auctor : alors que l'auctor de la vraie foi est le Saint Esprit (-> 13, 9), celui de l'hérésie est purement humain, quand ce n'est pas le démon (cf. cath. 3, 126).

      
39-40 sistitur insano rectori Christicolas tunc
ostia uexanti per Tiberina uiros.

... on le fait comparaître devant le gouverneur insensé qui persécutait les hommes du Christ à travers les Bouches du Tibre.

      39 : sistitur : -> 2, 53 ; cf. perist. 13, 89 sistitur indomiti proconsulis eminus furori. insano rectori : cf. vv. 25 uesano... ab hoste ; 63 furens quæsitor. Dans sa rage (cf. vv. 5. 47. 59-60), le préfet sortira de Rome, ensanglantée (cf. v. 41-46), pour se déchaîner à l'extérieur (cf. v. 47-48). Rector désigne celui qui est investi d'une autorité (parfois, Dieu : -> 14, 81). Sur insano, -> 5, 203. Christicolas : même adj. au v. 80. Substantivé, il désigne les chrétiens p.ex. en perist. 3, 28. 72 ; 6, 25 ; 13, 82. Ce néologisme n'est attesté en outre que chez Pavl. Nol. carm. 19, 331 ; epist. 32, 12 ; Prudence l'utilise plus souvent (16 ex.) que Christianus (10 ex. ; -> 2, 59).

      40 : ostia... Tiberina : de même, Verg. Æn. 1, 13-14 ; Avson. 385, 1 p. 104. Cf. c. Symm. 2, 938 ad ostia Thybris. Malgré l'allusion à Ostie (cf. v. 151 ostia linquunt ; ->), ostium reste un nom commun désignant l'embouchure d'un fleuve (cf. c. Symm. 2, 607), le lieu désigné ici étant plutôt Porto (port de Rome à l'époque impériale ; cf. v. 48 æquoreus... portus), où fut vénéré un s. Hippolyte. La localisation précise importe moins ici que le cadre : un rivage, proche de Rome. Le flumen que traversent les chevaux (v. 116) est le Tibre. uexanti : participe accordé avec rectori (v. préc. ; hyperbate) ; sur ce verbe, -> 2, 255. uiros : -> v. 11.

      
41-44 Illo namque die Roma secesserat, ipsos
peste suburbanos ut quateret populos,
non contentus humum celsæ intra moenia Romæ
tinguere iustorum cædibus adsiduis.

Ce jour-là, en effet, il s'était écarté de Rome, afin de frapper de sa peste la population même de la banlieue, non content de détremper le sol à l'intérieur des remparts de l'altière Rome, l'ensanglantant de ses incessants massacres des justes.

      41 : illo namque die : le jour de la comparution du martyr (vv. 25 cum iam... raperetur ab hoste ; 39 tunc) sera célébré annuellement (cf. v. 231-234 ; -> 5, 2). secesserat : le sujet (auquel est apposé contentus, v. 43) est sous-entendu ; il s'agit du préfet (cf. v. 39 insano rectori).

      42 : peste : la persécution, fléau par excellence (cf. perist. 1, 43 : 4, 70 ; 10, 25). suburbanos... populos : la population des environs de Rome et aussi sa communauté chrétienne ; même ambivalence en perist. 3, 8. 214 ; 4, 1. 70 ; 6, 52. 84. 147 ; 7, 33 ; 13, 38. 71. Sur populus, -> v. 5. quateret populos : cf. Hor. epist. 2, 2, 84 populum quatit. On trouve quatere dans le même contexte en perist. 9, 29-30 ; cf. perist. 3, 85 pectora cur generosa quatit ?

      43-46 : la peinture de Rome inondée du sang des martyrs est hyperbolique et symbolique (-> v. 22), comme l'évocation des supplices extra muros (v. 53-76). Par son réalisme outré, le poète manifeste l'horreur de la persécution en la rendant sensible ; de même, le peintre représentant la passion de s. Hippolyte s'appliquera à faire voir le sang versé par le martyr (v. 126-130).

      43 : non contentus... tinguere : de même, v. 187 nec Pariis contenta aditus obducere saxis.

      43-44 : humum... tinguere... cædibus : cf. perist. 1, 7-8 ; 4, 91-92 ; 8, 13. S'il souille celui qui le verse (-> 14, 36), le sang des martyrs sanctifie le lieu de leur épreuve et constitue donc une richesse (-> 2, 541-548), que l'on prendra le soin de recueillir (cf. v. 141-144. 150).

      43 : humum : cf. v. 122 parte rubent frondes, parte madescit humus (->). celsæ intra moenia Romæ : cf. Verg. Æn. 1, 7 altæ moenia Romæ ; Lvcan. 3, 90. 298 ; Stat. silu. 1, 2, 191 (-> 2, 416). Cliché poétique teinté d'ironie, les persécutions n'étant pas à la gloire de Rome ; ses remparts, dérisoires, ne peuvent ni la protéger de ce persécuteur, ni contenir sa fureur. celsæ : épithète valorisante (cf. c. Symm. 1, 534 Capitolia celsa) indiquant aussi la posture orgueilleuse du juge rendant ses sentences : vv. 50 exstructo celsior in solio ; 77 celsum... ante tribunal.

      44 : tinguere : souvent employé à propos du sang des martyrs, -> 9, 39-40. iustorum : les chrétiens persécutés (cf. v. 5) ; -> 2, 396. cædibus adsiduis : cf. Liv. 3, 32, 2 adsiduis... funeribus ; jeu sur les sens de cædes (-> 5, 83) : 'massacre' (cf. adsiduis) et 'sang' (cf. tinguere).

      
45-48 Ianiculum cum iam madidum, fora, rostra, Suburam
cerneret eluuie sanguinis adfluere,
protulerat rabiem Tyrrheni ad litoris oram
quæque loca æquoreus proxima portus habet.

Comme il voyait le Janicule qui en était déjà imprégné, les forums, les rostres, Subure baigner de ces flots de sang, il porta sa rage jusqu'au bord de la rive Tyrrhénienne et aux proches voisinages du Port de mer.

      45 : Ianiculum : le Janicule, extra muros, est un ex. assez mal choisi (cf. v. 42 intra moenia Romæ). iam madidum : cf. v. 122 madescit humus ; c. Symm. 1, 515 [Roma] sanguine iustorum maduisse recordans. Ici, iam suggère à la fois l'idée de tâche accomplie (pour le préfet) et de trop-plein (de façon absolue). fora, rostra : on exposait le tête ou les mains de condamnés célèbres (p.ex. Cicéron, cf. Plvt. Cic. 61) sur la tribune aux harangues (rostra : peut à lui seul désigner le forum, cf. Hor. sat. 2, 6, 50). Le forum, lieu des procès (cf. perist. 6, 18) est aussi celui des exécutions (cf. perist. 1, 177 ; 6, 128) ; les rostres se trouvaient à côté du centre symbolique de la ville et de l'empire (umbiculus Vrbis Romæ et miliarium aureum), vers l'articulation entre Forum romain et forums impériaux (peut-être évoqués par le plur. emphatique fora). Suburam : quartier populeux et mal famé (cf. Varro ling. 5, 48 ; Liv. 3, 13, 2 ; Pers. 5, 32) ; l'horreur de Subure provient ici, paradoxalement, non de la prostitution, mais de la persécution.

      46 : cerneret : de son trône (cf. v. 49-50), le juge assiste aux supplices qui s'apparentent aux joutes des gladiateurs (-> v. 53-64), aux naumachies (-> v. 69-76) et, dans le cas de s. Hippolyte, à la tragédie (cf. v. 87) et aux courses de chevaux (-> v. 107). En flattant son instinct de spectateur (cf. v. 77), les accusateurs avaient réclamé un supplice inédit (-> v. 83-84). eluuie sanguinis : gradation par rapport à madidum (v. préc.) ; le préfet semble fuir la menace des flots de sang (-> v. 22) qu'il verse.

      47-48 : la persécution se déroulera sur terre (v. 65-68) et sur mer (v. 69-76), ici associées.

      47 : protulerat : le juge porte ses massacres vers l'aval de Rome, précédant les flots de sang versé ; même idée de fuite en avant et de rage (cf. rabiem) en perist. 5, 432-433. rabiem : cf. perist. 4, 83-84 tristior templum rabies in istud | intulit iras. Rabies, comme furor qui lui est lié (cf. v. 5 ; perist. 13, 25-26), désigne les passions les plus violentes. Tyrrheni litoris oram : la mer Tyrrénienne baigne la côte ouest de l'Italie. L'expression pléonastique litoris oram (gén. explicatif : -> 5, 291) est aussi en fin de v. chez Verg. georg. 2, 44 ; Æn. 3, 396.

      48 : quæque loca... proxima : antécédent loca (coordonné à oram par -que) inclus dans la relative. Le préfet se tient près de la mer pour observer (-> v. 46) les supplices qu'il ordonne (cf. v. 69-76). Ce paysage correspond à celui dans lequel, poursuivi par un monstre marin, l'Hippolyte de la fable perd la vie (cf. l'évocation de ce mythe en c. Symm. 2, 54-55 cum Musa pudicum | raptarit iuuenem uolucri per litora curru). loca : supplicié sur une vaste étendue, le martyr, dont les restes sont réunis (v. 147-148), sera enseveli à Rome dans un locus unique (au sing. : vv. 151. 160. 175 ; -> 14, 42), ce qui marquera son retour dans l'Église. æquoreus... portus : le port maritime de Rome (par opposition au port fluvial, intra muros), Ostie ou plutôt Porto, auquel portus fait peut-être allusion (-> v. 40). L'adj. dérivé æquoreus (-> v. 71) est poétique, cf. Verg. georg. 3, 243. habet : simple auxiliaire (-> v. 16).

      
49-52 Inter carnifices et constipata sedebat
officia exstructo celsior in solio,
discipulos fidei detestandique rebelles
idolii ardebat dedere perfidiæ.

Il siégeait au milieu des bourreaux et des fonctionnaires entassés, les dominant sur un trône dressé en hauteur : il brûlait de livrer à l'apostasie ceux qui étaient disciples de la foi et rebelles à l'exécrable idolâtrie.

      49 : carnifices : -> 14, 17. On trouve tortor aux vv. 59. 63.

      49-50 : constipata... officia : par métonymie, officia désigne des fonctionnaires (cf. Vlp. dig. 1, 18, 6). Constipare évoque la densité de ce groupe, avec en outre l'idée de rassemblement d'une escorte (préfixe con-) ; cf. v. 79 stipati circum iuuenes (->). Autres mentions de l'entourage du juge : perist. 2, 229-260. 277-292 ; 10, 706-710. sedebat... in solio : de même, c. Symm. 1, 367 ; Cic. fin. 2, 69 ; la posture du préfet manifeste son autorité (cf. v. 85 residens). De même, perist. 9, 21-22 grege multo | sæptus magister litterarum sederat (un maître d'école).

      50 : exstructo celsior in solio : cf. v. 77 celsum ante tribunal ; psych. 730-731 exstruitur media castrorum sede tribunal | editiore loco ; Sen. Tro. 727 patrioque sede celsus solio ; Tac. ann. 1, 18, 2 congerunt cæspites, exstruunt tribunal, quo magis conspicua sedes foret. Ce motif peut suggérer l'orgueil, mais aussi la bassesse du juge-spectateur (-> v. 46 ; c. Symm. 2, 1109-1111) ; même idée de pouvoir dévoyé, perist. 2, 177 (le juge suit le martyr pour voir les richesses convoitées).

      51 : discipulos fidei : cf. v. 24 munere ditatum catholicæ fidei (->).

      51-52 : destestandique rebelles idolii : cf. perist. 10, 241 quid, rusticorum monstra detester deum... ? Le martyr résiste (rebelles, -> 9, 34 ; ici avec gén., en perist. 10, 130 avec dat.) aux ordres impies ; cf. Avg. in epist. Ioh. 1, 11 detestator dæmonium et idolorum. Sur idolium, -> 5, 13.

      52 : ardebat : image de la violence du désir (cf. v. 47 rabiem), ici mauvais (perist. 2, 189 ; 9, 46). dedere : verbe emprunté au lexique guerrier, désignant souvent l'allégeance religieuse ; cf. perist. 2, 2 ; 10, 296 pago dedite. perfidiæ : opposé de fidei (v. préc.), désignant l'abandon de la foi dans l'abjuration (perist. 14, 14 sacram deserere fidem), év. le paganisme (-> 5, 88).

      53-64 : le juge assiste aux supplices en spectateur (-> v. 46) ; tels des gladiateurs, les morituri s'avancent (v. 53), sont blessés (v. 54-58) et, finalement, sur l'ordre du président, achevés (v. 63-64). Ici, les victimes sont désignées d'avance et leur mise à mort sera une victoire para-doxale (cf. v. 61-62). Le martyre comme ludus (-> 5, 64) est vu dans l'optique du spectateur.

      
53-54 Carcereo crinita situ stare agmina contra
iusserat horrendis excrucianda modis.

La troupe aux cheveux allongés par un crasseux séjour en prison, il avait ordonné qu'elle se tînt face à lui pour la faire torturer d'horribles manières.

      53-54 : ailleurs, l'incarcération, éprouvante, ne précède que la comparution et l'exécution, non des séances de torture ; c'est là le fait d'un persécuteur cruel (-> 5, 61).

      53 : carcereo... situ : cf. ham. 851 carcereos exosa situs quibus hæserat exsul (corps prison de l'âme). Équivalent de carceralis (-> 5, 269), carcereus est tardif (cf. Ambr. bon. mort. 2, 5 ; Cassiod. in psalm. 118, 156). Situs désigne la crasse liée à l'abandon (v. 132 ; perist. 3, 46-47) ou aux ténèbres (perist. 2, 378 ; 10, 1117). crinita : la longueur des cheveux suggère la durée de l'incarcération (cf. perist. 1, 80). stare... contra : les adversaires se font face (cf. v. 77-78 celsum... ante tribunal | offertur) ; -> 14, 18. agmina : même forme à la même place du v. 197 (pèlerins marchant jusqu'au tribunal de l'église, v. 225) ; agmina suggère la multitude des martyrs (-> v. 5), tout en évoquant la militia Christi (cf. perist. 10, 57).

      54 : horrendis... modis : modus désigne aussi les techniques des bourreaux en perist. 1, 77 ; 10, 880. 1129 ; elles seront détaillées (vv. 55-58. 65-76) avec un réalisme propre à susciter l'effroi (horrendis ; cf. perist. 4, 103 ; 5, 247). excrucianda : cf. perist. 3, 90 excruciare fidem. On a aussi dans ce contexte les dérivés excruciabilis (perist. 3, 115) et excruciatus (perist. 14, 19 ; ->).

      
55-58 Inde catenarum tractus, hinc lorea flagra
stridere, uirgarum concrepitare fragor,
ungula fixa cauis costarum cratibus altos
pandere secessus et lacerare iecur.

De là retentissent les chaînes que l'on tire, d'ici, les lanières de cuir ; le crépitement des verges retentit, l'ongle de fer enfoncé dans la claie des côtes ouvre les profondeurs des entrailles et déchire les viscères.

      55-56 : cf. Verg. Æn. 6, 558 stridor ferri tractæque catenæ. L'horreur des supplices est suggérée par des descriptions sonores ; cf. perist. 5, 62 stridensque flammis lamina (->). Les deux sujets de stridere (rejeté, v. suiv.) se correspondent (inde... hinc), avec une structure syntaxique différente.

      55 : ces supplices évoquent déjà celui de s. Hippolyte : tractus en suggère le mode ; lora peut désigner les rênes d'un char (cf. psych. 335. 413 ; c. Symm. 1, 352) ; flagra annonce flagellis, v. 171 (utilisé pour exciter les chevaux). inde... hinc : -> v. 163. catenarum tractus : motif de transition rappelant la sortie de prison (v. 53) ; cf. v. 67 hos rape præcipites et uinctos conice in ignem. lorea flagra : le lorarius donnait les étrivières aux esclaves (cf. Gell. 10, 3, 19).

      56 : stridere : avec stridens et stridulus, verbe aussi employé à propos des supplices de s. Vincent (-> 5, 62). uirgarum : cf. perist. 1, 44 uirgas et... bisulcas ungulas (v. suiv. ungula) ; 10, 698. 792. concrepitare fragor : cf. Verg. Æn. 8, 527 fragor increpitat ingens. Si crepare est souvent utilisé à propos de supplices (-> 5, 112), concrepitare n'est attesté qu'ici et chez Ven. Fort. uita Germ. 63, 171. Fragor, repris au v. 113, désigne tout craquement ou bruit éclatant.

      57 : ungula fixa : de même, perist. 5, 119-120 ; sur les ungulæ, -> 5, 120 et 337-338. cauis : référence à la cage thoracique. Cf. v. 165 excisi subter caua uiscera montis (image inspirée du corps humain). costarum cratibus : cf. Verg. Æn. 12, 508 costas et crates pectoris ; Apvl. met. 4, 12 perfracta... crate costarum. La cage thoracique est comparée à une claie (crates) formée par les côtes, où s'accrochent les ungulæ. Cf. perist. 3, 133-134 latus ungula... | pulsat utrimque et ad ossa secat ; 147-148 laceratio uulnifica | crate tenus ; 10, 502.

      57-58 : altos... secessus : comme recessus, employé à propos de blessures profondes en perist. 5, 150 (imos recessus scindere ; ->), secessus désigne tout lieu retiré (cf. perist. 5, 506), ici les entrailles ; un terme géographique décrit le corps (analogie entre macrocosme et microcosme).

      58 : pandere... et lacerare : cf. ham. 602 uiam lacerata per ilia pandit (la vipère, censée tuer sa mère en naissant). lacerare : cf. perist. 4, 122 ; 9, 11. 39. Même motif au v. 136, uisceribus laceris (restes de s. Hippolyte). Cf. perist. 3, 147-148 non laceratio uulnifica | crate (cf. v. préc. cratibus) tenus nec arata cutis. iecur : -> 5, 116. Plutôt que le foie - le supplice serait létal, ce qui n'est pas encore le but du préfet (cf. v. 63-64) -, iecur désigne ici les entrailles.

      
59-60 Ac iam lassatis iudex tortoribus ibat
in furias cassa cognitione fremens

Et tandis que les tortionnaires marquaient déjà des signes de fatigue, le juge entra en colère, frémissant devant la vanité de ses mises à la question ...

      59 : de façon mimétique (cf. v. 49 inter carnifices... sedebat), iudex est inclus dans lassatis... tortoribus. Cf. perist. 5, 6 tortore uicto et iudice. ac iam lassatis... tortoribus : cf. perist. 5, 121-124 ac iam omne robur fortium | euiscerando cesserat, | nisusque anhelus soluerat | fessos lacertorum toros (->) ; 140 lassus uigor. De même, Ivv. 6, 484-485 donec, lassis cædentibus, 'Exi' | intonet horrendum, iam cognitione peracta. Le nom tortor est repris au v. 63. iudex : -> 2, 167.

      59-60 : ibat in furias : cf. Verg. Æn. 4, 413 ire... in lacrimas (-> 14, 52) ; cf. perist. 3, 95 excitus in furias. Sur la rage du persécuteur, -> v. 39.

      60 : cassa cognitione : cf. v. 64 uana... quæstio ; cognitio désigne l'instruction menée par le juge (cognitor en perist. 10, 205. 571. 793), avec enquête et tortures, inefficaces (refus d'abjurer, v. 61-62) et vaines (maintien de l''aveu' ; sur cet illogisme, cf. Tert. apol. 2). fremens : cf. perist. 4, 185-186 steterunt | acriter contra fremitum latronum ; psych. 379 Ira fremens.

      
61-62 - nullus enim Christi ex famulis per tanta repertus
supplicia, auderet qui uitiare animam.

... - en effet, aucun parmi les serviteurs du Christ, ne se trouva, dans de si grands tourments, avoir l'audace de souiller son âme.

      61 : nullus : Prudence ne mentionne jamais les lapsi. Christi... famulis : cf. psych. 56 in famulos famulasue Dei ; cf. aussi seruus Dei (-> 2, 474). tanta : plutôt que son sens intensif, tantus a celui de tot (-> v. 5) ; cf. le nombre et la variété des supplices (supplicia : -> v. 22). repertus : le but de la recherche est moins l'identification des chrétiens que leur apostasie (-> v. préc.).

      62 : auderet : l'audace consiste paradoxalement moins à se rebeller contre les persécuteurs (cf. perist. 5, 42-44) qu'à leur céder (ici), encourant la damnation. Cf. perist. 2, 218-220 malim dolore asperrimo | fragmenta membrorum pati | et pulcher intus uiuere. uitiare : même emploi en cath. 6, 120 ; apoth. 1044.

      
63-64 inde furens quæsitor ait : " Iam, tortor, ab unco
desine, si uana est quæstio, morte agito !

En conséquence, l'enquêteur, furieux, dit : " Maintenant, tortionnaire, laisse là le croc, si l'interrogatoire ne mène à rien, qu'on applique la peine de mort !

      63-64 : le juge ne laisse pas se reposer les bourreaux épuisés (au contraire, cf. perist. 5, 121-144), mais fait mettre à mort les patients ; cf. perist. 10, 1101-1103 cessabit equidem tortor et sector dehinc | ... sed peremptoris manus | succedet illis, strangulatrix faucium.

      63 : furens : -> 2, 313 ; la fureur caractérise le juge (-> v. 39). quæsitor : ce terme technique désigne le président d'une chambre d'enquête, ici le tribunal d'exception chargé d'appliquer les décrets de persécution. iam : cet adv. dépendant de desine (v. suiv. ; cf. perist. 10, 1100 cedas necesse est et iam desinas) annonce une nouvelle phase dans le supplice, ce que souligne l'impér. fut. de morte agito (v. suiv.). tortor : reprise de tortoribus (v. 59).

      63-64 : ab unco desine : ab (au lieu de l'abl. seul) avec desinere (-> 5, 433) est postclassique. Le nom uncus (-> 5, 174) reprend ungula (v. 57 ; -> 5, 120).

      64 : uana... quæstio : reprise de cassa cognitione (v. 60 ; ->). Sur quæstio, qui reprend quæsitor (v. préc. ; figure étymologique), -> 5, 208 ; l'-o final est abrégé (-> 2, 74). morte agito : l'expression rappelle lege agito (Plavt. Aul. 458) ; agere lege (cf. Liv. 26, 16, 3 ; Sen. contr. 10, 3, 6) constitue la formule habituelle par laquelle le juge dit au bourreau d'exécuter l'accusé. Si l'impér. fut. peut être pris ici dans sa valeur propre, il n'en reste pas moins que, contrairement à l'avis de Lavarenne (§ 599), son emploi imite aussi l'énoncé solennel d'une sentence - le préfet est imbu de son autorité, cf. v. 49-50.

      
65-68 " Huic abscide caput, crux istum tollat in auras
uiuentesque oculos offerat alitibus ;
hos rape præcipites et uinctos conice in ignem,
sit pyra, quæ multos deuoret una reos.

" À celui-ci, tranche la tête, que la croix élève tel autre dans les airs et qu'il offre ses yeux encore en vie aux oiseaux de proie ; ceux-ci, saisis-les en hâte et, une fois ligotés, jette-les au feu, qu'il y ait un bûcher qui dévore ensemble une multitude de coupables.

      65 : les deux premiers supplices font allusion à ceux de sts Pierre et Paul (cf. perist. 12, 11-20. 23-24. 27), nommés au v. 32. abscide caput : la décapitation (-> 14, 89), mode d'exécution le moins cruel (-> 13, 47). crux : Prudence ne mentionne ce supplice, celui du Christ (cf. perist. 5, 299), qu'à propos de Papes (-> 2, 22). tollat in auras : même fin de v. chez Verg. Æn. 11, 455 [clamor] se tollit in auras. L'élévation du crucifié, exposant le condamné aux charognards (cf. v. suiv.), symbolise aussi une glorification ; s. Pierre s'estime indigne d'imiter ainsi le Christ (cf. perist. 12, 13-19). Cf. N.T. Ioh. 3, 14 sicut Moses exaltauit serpentem in deserto, ita exaltari oportet Filium hominis ; 12, 32 ego, si exaltatus fuero a terra, omnia traham ad me ipsum.

      66 : uiuentesque oculos : même motif en perist. 5, 411 oculosque pinnis uerberans (->) ; 14, 47 oculos ferit. La mention uiuentes ajoute un élément d'horreur ; elle relève peut-être de la conception liant la vue à la vie, cf. l'expression proverbiale uiuus uidensque (Ter. Eun. 73 ; Lvcr. 3, 1046 ; Cic. Quinct. 50). offerat alitibus : au supplice de la crucifixion s'ajoute l'outrage de l'exposition aux rapaces, infligé au cadavre de s. Vincent (cf. perist. 5, 397-398 dirarum... alitum ; 536 auibus cruentis obtulit ; cf. perist. 1, 57) ; sur offerre, -> 14, 19-20.

      67 : rape præcipites : cf. perist. 3, 97-98 rape præcipitem, | lictor. Sur rapere, -> v. 25. L'adj. præceps marque l'impatience (v. 69 properes) et la brutalité (cf. Cic. Cæcin. 60) ; éventuelle ironie sous-jacente : præcipites peut dénoter l'enthousiasme des martyrs allant au supplice, cf. perist. 3, 67 ; 13, 83-85 prosiluere alacres cursu rapido simul trecenti, | gurgite puluereo mersos liquor aridus uorauit (v. 68 deuoret) | præcipitemque globum fundo tenus implicauit imo. uinctos : cf. v. 55 catenarum tractus. Sur uinctus, -> 5, 109. On ligote ceux qui subissent le supplice du feu : perist. 5, 235-236 ; 6, 103-111 ; 10, 851-852. conice in ignem : les martyrs sont jetés sur le bûcher (cf. perist. 10, 852) - ailleurs, ils y montent d'eux-mêmes (perist. 2, 353-354 ; 5, 221 ; 6, 100-102).

      68 : pyra : cf. perist. 6, 67 ; 10, 846. deuoret : cf. perist. 10, 576-577 ignes parandos iam tibi tristis rogi, | qui fine digno corpus istud deuorent ; 814-815 ignibus uorabere | damnatus et fauilla iam tenuis fies ; 13, 84. Même motif au v. 5 tantos iustorum populos furor impius hausit et, en partie inversé, aux vv. 199-200 Vrbs augusta suos uomit effunditque Quirites | una et patricios (fête du martyr) ; il souligne ailleurs la cruauté des persécuteurs (-> 5, 100) ou des démons (perist. 1, 98). una : un n'est pas adv., mais adj. apposé au sujet quæ (antécédent : pyra). reos : pris dans son sens judiciaire (-> 5, 99), ce terme désigne aussi ailleurs les pécheurs (-> 2, 581-582).

      69-76 : le juge met en scène des supplices (-> v. 46) - ici, une sorte de naumachie ; lexique et motifs proches de ceux de perist. 5, 437-472 (tentative de faire disparaître le corps du martyr).

      
69-70 " En tibi, quos properes rimosæ imponere cymbæ
pellere et in medii stagna profunda freti.

" En voici pour toi, que tu vas te hâter de placer sur un esquif plein de fissures, et d'expulser dans les eaux profondes, au milieu des flots.

      69 : en : ici avec le dat. (parfois avec l'acc., souvent absolument : -> 2, 293). tibi : adresse à un homme de main dont il n'est question qu'ici (en perist. 5, 465-468, nom et bref portrait). properes : verbe dénotant l'impatience du juge (cf. v. 67 hos rape præcipites ; -> 5, 468). Les accusateurs de s. Hippolyte diront (v. 81) : si foret exstinctum propere caput. rimosæ... cymbæ : cf. Verg. Æn. 6, 413-414 gemuit sub pondere cymba | sutilis et multam accepit rimosa paludem (barque de Charon). Ici aussi, cette barque semble emmener ses passagers chez les morts - en fait, au Ciel, cf. perist. 7, 88-90 scandit spiritus ardua, | fit pondus graue saxeum, | corpus sucipiunt aquæ. Sur cymba, -> 5, 450. imponere cymbæ : de même, Hor. carm. 2, 3, 28 ; imponere avec le dat. (au lieu de in et l'acc.) est poétique (cf. v. 128 ; perist. 3, 129-130. 212).

      70 : pellere : cf. perist. 5, 450 cymbam (cf. v. préc. cymbæ) peritus pellere (->). L'objet grammatical est quos [scil. martyras] ; pellere a le sens de 'conduire en mer' (et non 'jeter par-dessus bord'). in medii stagna profunda freti : les martyrs sont noyés en haute mer ; cf. perist. 5, 439-440 spumeum | ... profundum ; 460 in altum ; 463-464 ; 471 emensus et multum freti (noyade du corps du martyr) ; même association des idées de milieu et de profondeur avec la fosse de la Massa Candida (perist. 13, 82 mediæ... in ima fossæ). Stagna... freti est redondant ; cf. cath. 9, 49 per stagna ponti ; Lvcan. 8, 853 Rubri stagna profundi. Sur fretum, -> 5, 471. in... stagna profunda : cf. perist. 12, 38 stagnum niuali | uoluitur profundo (baptistère) ; évocation dans les 2 cas de l'imagerie virgilienne des enfers (cf. rimosæ... cumbæ au v. 69 ; -> 12, 38).

      
71-74 " Quos ubi susceptos rabidum male suta per æquor
uexerit et tumidis cæsa labarit aquis,
dissociata putrem laxent tabulata carinam
conceptumque bibant undique naufragium.

" Quand cette embarcation mal jointe aura conduit ses passagers par la mer en furie et que, frappée par les eaux gonflées, elle menacera ruine, alors, il faut que les planches disjointes cessent de tenir cette coque friable et que de tous côtés ils avalent les eaux d'un naufrage programmé.

      71-73 : Prudence s'inspire peut-être d'un exemplum rhétorique : cf. Sen. contr. 7, 1 (en part. 7, 1, 8 erat nauigium... putre, resolutis compagibus).

      71 : quos : relatif de liaison reprenant lui-même quos (v. 69). susceptos : cf. v. 69 imponere cymbæ. rabidum... æquor : cf. cath. 5, 85 qui pontum rabidis æstibus inuium persultare uetas. La mer, également démontée lors de l'immersion du cadavre de s. Vincent (perist. 5, 472), est à l'image du juge (v. 47 rabiem) et des démons (p.ex. apoth. 401). male suta : reprise de l'idée exprimée par rimosæ... cymbæ (v. 69), cymba étant sous-entendu. Sutus se retrouve dans un contexte voisin en perist. 5, 469-470 funale textum conserit, | suto quod implet corpore.

      71-72 : per æquor uexerit : cf. perist. 5, 455-456 uectum lembulo | amplum per æquor (->).

      72 : tumidis... aquis : cf. v. préc. rabidum... per æquor. cæsa : à moins qu'il n'y ait un hysteron-proteron avec labarit, ce participe signifie 'frappé', 'attaqué' (cf. perist. 1, 7) plutôt que 'brisé' (cf. perist. 3, 198) ; comme male suta, cæsa s'accorde avec cymba (v. 69) sous-entendu.

      73 : putrem... carinam : carina désigne la coque du bateau, mal calfatée (cf. vv. 69. 71), voire même pourrie. Puter peut cependant signifier 'désagrégé', 'friable' (en parlant du sol : cf. Verg. georg. 1, 44), ce qui s'accorde mieux avec les indications précédentes et amène une synonymie entre putrem... carinam et dissociata... tabulata, qui s'entrecroisent autour de laxent. tabulata : adj. neutre plur. substantivé, désignant les planches dont est faite la coque du bateau (carinam) ; généralement, tabulatum est employé pour le pont d'un navire.

      74 : conceptumque... naufragium : allusion à la tentative de Néron de noyer sa mère (cf. Tac. ann. 14, 3, 3 - 5, 2). bibant... naufragium : même métaphore en perist. 1, 50 rogis ingesta mæstis ore flammas sorbuit ; 3, 160 uirgo... appetit et bibit ore rogum ; 10, 630 crucem uetusta combiberunt sæcula. Cf. Hor. carm. 2, 13, 22 pugnas bibit aure uulgus ; Verg. Æn. 1, 749 Dido longum bibebat amorem. Cette image permet une plaisanterie burlesque relative à la noyade des martyrs - en quelque sorte, l'inverse de la raillerie de s. Laurent sur le gril (perist. 2, 406 coctum est, deuora) ; elle sera suivie de sarcasmes du même goût (v. 75-76). undique : adv. suggérant à la fois la dispersion des naufragés (après la dislocation de leur embarcation), facilitée par la houle (cf. v. 72 tumidis... aquis), et le grand nombre des victimes (-> v. 5).

      
75-76 " Squamea cænoso præstabit uentre sepulcrum
belua consumptis cruda cadaueribus. "

" Une bête écailleuse fournira, avec son ventre fangeux, un tombeau aux cadavres qu'elle dévorera jusqu'à l'indigestion. "

      75-76 : conclusion propre à susciter dégoût et horreur, avec squamea... belua... cruda et surtout cænoso... uentre ; même motif, plus sobrement, en perist. 5, 444 squamosa pascens agmina.

      75 : squamea : -> 5, 444. cænoso... uentre : l'estomac de l'animal est fangeux, car il vit au fond de la mer où finissent les cadavres putréfiés des noyés dont il se nourrit. Le sort des martyrs évoque celui de Jonas (V.T. Ion. 1, 15 - 2, 2 ; cf. cath. 7, 114-125, en part. 124 uentris meandros), similitude renforcée par la mention d'un animal unique. præstabit : souvent utilisé à propos d'honneurs ou de bienfaits (-> 14, 7), ce verbe comporte la même ironie que bibant... naufragium (v. préc.). sepulcrum : désignation du tombeau à mettre en relation avec le début du poème (v. 7-16), où il est question de tombes toujours plus anonymes ; on a ici le terme de cette gradation, reprise à propos des corps dès le v. 65 (cf. vv. 65, décapité ; 65-66, mutilé [yeux dévorés] ; 67-68, brûlés indistinctement ; 69-76, engloutis et disparus).

      76 : belua : -> 5, 414 ; cf. cath. 7, 114 exceptus inde beluinis faucibus (Jonas). consumptis : terme ambivalent, pouvant indiquer que les cadavres sont 'dévorés' (cf. v. préc. uentre) ou, de façon pléonastique, qu'ils sont 'défunts', car 'détruits' (cf. v. préc. sepulcrum). Son inclusion entre belua et cruda peut faire préférer la 1ère possibilité. cruda : référence moins à la cruauté du monstre qu'à sa difficulté à digérer le nombre de cadavres engloutis ; ce détail burlesque n'est pas étonnant dans la bouche du juge (-> v. 74), ni même sous la plume de Prudence (cf. p.ex. apoth. 719-720) ; il met un point final grotesque à la 1ère partie du poème, relative au grand nombre des martyrs (-> v. 5). cadaueribus : terme plutôt péjoratif (souvent mis dans la bouche des persécuteurs) ; -> 5, 387.

      
77-78 Hæc persultanti celsum subito ante tribunal
offertur senior nexibus implicitus.

Tandis qu'il fait retentir ces paroles, soudain, un homme plutôt âgé est montré devant la haute tribune, chargé de liens.

      77 : persultanti : attitude d'un spectateur des jeux du cirque (-> v. 46), convenant mal à la dignité d'un juge en train de siéger. celsum... ante tribunal : cf. v. 50 exstructo celsior in solio (cf. Mart. 11, 98, 17 in alto... tribunali ; Petron. 29, 5 in tribunal excelsum) ; même iunctura en perist. 5, 224 ; cf. aussi v. 225 sublime tribunal (chaire de la basilique ; -> 2, 500). Sur celsus, -> v. 43. subito : cet adv. met fin à la parenthèse relative à la persécution (v. 41-76) et introduit une péripétie renouant avec le récit centré sur s. Hippolyte (suspendu après le v. 39 sistitur insano rectori), qui part d'une inscription (v. 17-22) et aboutit à une fresque (v. 123-134).

      78 : offertur : verbe suggérant l'idée d'être le jouet des bourreaux (-> v. 66) et celle d'un face-à-face (cf. v. 53-54 stare agmina contra | iusserat). senior : comparatif à valeur surtout intensive ; une comparaison porterait sur les jeunes accusateurs (v. suiv. stipati circum iuuenes), dont l'exaltation, comme celle du juge, contraste avec l'attitude du vieillard enchaîné (dignité pathétique : -> v. 23) ; de même, lors du départ des chevaux, avec les deniers mots prononcés au milieu des cris furieux (v. 109 ultima uox... senis uenerabilis). nexibus implicitus : motif suggéré à propos des autres martyrs (v. 55 inde catenarum tractus) et repris dans la description des supplices (v. 67 uinctos). Sur nexus, -> 5, 323. Implicitus (cf. p.ex. c. Symm. 1, 619) est avec implicatus (perist. 10, 203) une des formes du participe passé d'implicare (-> 5, 200).

      79-84 : les accusateurs développent un syllogisme : Hippolyte est le chef des chrétiens (v. 80) ; or, supprimer leur chef permettra de soumettre les chrétiens (v. 81-82) ; il convient donc de lui infliger une mort exemplaire (v. 83-84) ; de même, en perist. 2, 349-352 ; 10, 61-62. 66-68.

      
79-82 Stipati circum iuuenes clamore ferebant
ipsum Christicolis esse caput populis :
si foret exstinctum propere caput, omnia uulgi
pectora Romanis sponte sacranda deis.

Les jeunes gens, serrés tout autour, rapportaient en criant qu'il était le chef en personne du peuple chrétien : dans le cas où le chef eût été supprimé sans retard, tous les coeurs de la foule se consacreraient d'eux-mêmes aux dieux romains.

      79 : stipati circum iuuenes : cf. Verg. georg. 4, 216 circum stant fremitu denso stipantque frequentes ; Val. Fl. 7, 557 iuuentus prosequitur stipatque ducem. Cf. déjà vv. 49-50 [iudex] inter carnifices et constipata sedebat | officia. Sur stipare, -> 5, 373. Groupes semblables en perist. 9 (encourageant aussi le juge à décréter une peine fantaisiste et cruelle, cf. perist. 9, 37-42) et 14 (cf. perist. 14, 29 omnis iuuentus inruet ; foule solidaire du seul iuuenis [cf. perist. 14, 59] qui a osé lever le regard sur la vierge exposée) ; la jeunesse est souvent vue négativement (-> 13, 21). clamore ferebant : de même, v. 107 instigant subitis clamoribus (cris poussant les chevaux à entamer leur course meurtrière). Le texte ferebant de la plupart des mss (retenu par Bergman et Lavarenne) est préférable, vu les nombreux parallèles, à fremebant (lectio difficilior retenue par Cunningham : ms. Paris, b. nat. 13026). Cf. Verg. Æn. 9, 597 ingentem sese clamore ferebat.

      80 : on ne peut déterminer si le martyr est considéré comme l'évêque (caput) d'Ostie ou de Porto (populis, plur. poétique) ou comme celui de Rome. Dans les 2 cas, les accusateurs sont mal informés (s. Hippolyte n'est que presbyter [cf. v. 20] et hérésiarque [v. 38 erroris auctor]) ; leur confusion suggère l'importance du schisme. Christicolis... populis : sur les chrétiens comme populus, -> v. 5 ; sur Christicola, -> v. 39. caput : le martyr est dux recti (cf. v. 37) après avoir été erroris... auctor (v. 38) ; construit avec le dat. d'intérêt Christicolis... populis.

      81 : si foret exstinctum : le subj. plus-que-parfait marque l'antériorité par rapport à l'irréel du prés. (-> v. suiv. sacranda). Sur exstinguere, -> 5, 389. propere : cf. v. 69 properes.

      81-82 : omnia uulgi pectora : les persécuteurs veulent ébranler la sensibilité (pectora) des chrétiens (uulgi), à défaut de leur intelligence (cf. ham. 363 mens uulgi rationis inops ; c. Symm. 1, 146 indocilis fatui... ineptia uulgi) ; cf. perist. 5, 25-26 ; 6, 37-40 ; 10, 78-80 tu, uentilator urbis et uulgi leuis | procella, mentes inquietas mobiles, | ne se imperita turba dedat legibus ; 82 illitterata credidit frequentia. Il s'agit, par la peur (cf. v. 54 horrendis), de pousser à un retour vers le paganisme.

      82 : pectora... sponte sacranda : en fait, l'allégeance au paganisme ne doit être que formelle ; sur le christianisme au contraire, cf. perist. 3, 75 pectore et ore Deum fateor ; 5, 562 ueneramur ore et pectore ; 7, 41 ; 14, 6 puro ac fideli pectore supplices. sponte : -> 5, 221. Romanis... deis : cf. v. 6 cum coleret patrios Troia Roma deos. Le paganisme se veut la religion romaine par excellence (c. Symm. 2, 343 Romanis... de cultibus) ; Prudence croit au contraire au destin chrétien de Rome (cf. perist. 2, 416-484), asservie provisoirement au paganisme (cf. perist. 2, 1-16). Sépulture des apôtres Pierre et Paul (cf. v. 32), elle devient cité des martyrs et recevra les cendres de s. Hippolyte (cf. v. 151-152). sacranda : adj. verbal utilisé au sens d'un participe fut. passif sans idée d'obligation (cf. Lavarenne § 717-719). Sur sacrare, -> 2, 301. deis : on a plus souvent dis (p.ex. perist. 5, 104 ; 10, 298. 415) que deis (ici ; perist. 3, 30).

      
83-84 Insolitum leti poscunt genus et noua poenæ
inuenta, exemplo quo trepident alii.

Ils réclament un genre de trépas extraordinaire et de nouvelles inventions en matière de supplice, exemple qui ferait trembler les autres.

      83 : en invitant le juge à décréter non un supplice exemplaire par sa sévérité (de même, perist. 2, 325-340), mais une mise en scène (-> v. 46) nouvelle, son entourage flatte son instinct de spectateur blasé (cf. perist. 14, 29-30 nouum | ludibriorum mancipium petet ; ->), après un raison-nement syllogistique (-> v. 79-84). insolitum leti... genus : motif repris par l'expression synonymique noua poenæ | inuenta. La recherche d'un leti genus (cf. perist. 1, 25 genus mortis ; 77 modus passionis ; 10, 854 genus passionis) obéit à l'ordre général morte agito (v. 64).

      83-84 : noua poenæ inuenta : cf. perist. 5, 253-256 quin addit et poenam nouam | crucis peritus artifex, | nulli tyranno cognitam | nec fando compertam retro. Sur poena, -> 14, 22.

      84 : exemplo quo trepident : cf. perist. 2, 351-352 hic solus exemplum dabit, | quid mox timere debeant ; 7, 37-38 suos | exemplo trepidos uidet. La représentation figurée (v. 123 exemplar) de l'exemplum (-> 2, 351) de s. Hippolyte animera la piété des fidèles, dont le tremblement sera religieux (cf. perist. 13, 74), grâce à la catharsis de leurs émotions. alii : les chrétiens survivants.

      
85-88 Ille supinata residens ceruice : " Quis ", inquit,
" dicitur ? " adfirmant dicier Hippolytum.
" Ergo sit Hippolytus, quatiat turbetque iugales
intereatque feris dilaceratus equis. "

Lui, trônant, la tête renversée vers l'arrière, dit : " Comment l'appelle-t-on ? " Ils assurent qu'on l'appelle Hippolyte. " Qu'il soit donc Hippolyte, qu'il frappe et agite un attelage, et qu'il meure déchiqueté par des chevaux sauvages. "

      85 : ille : le juge (de même, v. 89 ille). supinata... ceruice : trônant sur une estrade (residens ; cf. vv. 50. 77), le juge redresse la tête au point de la renverser vers l'arrière, dans un geste d'orgueil outré (cf. Qvint. inst. 11, 3, 82 ceruicem rectam oportet esse, non rigidam aut supinam ; Mart. 5, 8, 10 ; Pers. 1, 129) ; cf. perist. 10, 171-173 nec terret ista, qua tumes, uesania, |... quod supinus, ... | tormenta leti comminaris asperi. À cette attitude s'oppose l'humilité de s. Pierre (perist. 12, 15 exigit ut pedibus mersum caput imprimant supinis) ou de sénateurs emportant le corps de s. Laurent (perist. 2, 489-490 subditis | ceruicibus). quis : après ce pronom, on attendrait est, non dicitur (mis en valeur, cf. rejet au v. suiv. ; repris par dicier) : la culpabilité semblant établie (cf. v. 80), le juge s'intéresse surtout au nom de l'accusé. Il n'utilise esse que pour désigner le rôle que le martyr sera appelé à jouer (v. 87 sit Hippolytus).

      86 : dicitur... dicier : polyptote (de même, ici et v. suiv., Hippolytum et Hippolytus). Sur l'infinitif passif archaïque en -ier, cf. Lavarenne § 128. dicitur : la question, impersonnelle, s'adresse non au martyr, mais aux accusateurs (effacés, cités au style indirect). adfirmant : l'identité du martyr est plus certaine que sa qualité de chef chrétien (cf. v. 79 ferebant). Hippolytum : nom (-> v. 19) repris au v. suiv. par Hippolytus, avec un glissement sémantique.

      87 : ergo : syllabe finale abrégée (-> 2, 293). sit Hippolytus : le juge distribue le rôle principal (-> v. 46), dans une sorte de baptême paradoxal. Comme pour les martyrs Agnès (-> 14, 1) et Vincent (-> 5, 4), nomen est omen. Le jeu de mots porte sur l'homonymie et sur l'étymologie ('brisé par le cheval' : le juge énonce une sentence bilingue, sit ippw lutoV). À la leçon ergo sit Hippolytus (Bergman et Lavarenne ; la plupart des mss), Cunningham préfère Hippolytus fiat ergo (ms. ; variante du ms. C) qui permet une épanalepse du nom mais empêche le jeu sur l'étymologie. Prudence opère une retractatio littéraire de la Phèdre de Sénèque (-> v. 89-140 ; cf. aussi Ov. met. 15, 506-529), sans se borner à refléter naïvement une légende. La vraisemblance historique d'une telle scène n'est pas à rejeter a priori : les magistrats avaient une latitude dans l'exécution des peines et donnaient parfois libre cours à une fantaisie sadique, comme on le voit dans les récits de passions et aussi dans l'Histoire Auguste (cf. Callu 1984). quatiat turbetque : verbes de sens proche, le 1er indiquant plutôt la cause ('frapper' ; cf. v. 106-108), le second, la conséquence ('agiter' ; cf. v. 111-114), contrairement à l'avis de Lavarenne. Dans les faits, ce seront les bourreaux qui procèderont à cette action, non le martyr, pure victime qui ne sera même pas remarquée des chevaux (cf. v. 114). Dans les mss, quatiat est solidaire du début de vers ergo sit Hippolytus ; ceux qui donnent la leçon Hippolytus fiat ergo ont agitet. iugales : désignation d'animaux de trait (cath. 7, 31 ; cf. Verg. Æn. 7, 280), ironique - comme le reste du v. - à propos de chevaux qui n'ont jamais connu le joug (cf. v. 90) ; ils mériteront cette appellation lors du supplice (v. 95 bigas).

      88 : le motif de la mutilation d'un corps entraîné par des chevaux apparaît chez Homère (Il. 22, 369-375) à propos d'Hector et dans la tradition relative à l'écartèlement de Mettius Fufétius (dictateur d'Albe, attaché à 2 chars par Tullus Hostilius : cf. Liv. 1, 28, 9-11 ; Verg. Æn. 8, 642-645). Prudence semble s'inspirer du récit virgilien (cf. lexique et thèmes, aux vv. 110. 115. 127-128). Dans le récit de psych. 407-415, Prudence reprend ce motif en s'inspirant de la Phèdre de Sénèque : effrayé par la Croix, le quadrige de la Sensualité l'entraîne dans des lieux rocailleux, puis elle tombe et se blesse dans les roues du char qu'elle ralentit en accrochant son corps à un obstacle. feris... equis : les chevaux, instruments (cf. v. 106) et non agents (cf. v. 94 ; ham. 361-364), ne sont que la cause indirecte de la mort : ils ne piétinent pas le martyr (-> v. 99-100), ce sont les lieux traversés qui le déchiquètent. La sauvagerie des chevaux sera soulignée par ferinus (v. 94), feras (v. 106) et feritas (v. 113). dilaceratus : idée développée aux vv. 131-140 ; cf. v. 119 scissa minutatim labefacto corpore frusta.

      89-140 : au v. 19, la mention du nom d'Hippolyte et l'allusion aux épigrammes des catacombes étaient suivies d'une imitation de Damas. carm. 37 ; ici sont repris motifs et lexique de la Phèdre de Sénèque, avec 2 différences : ce qui relevait de la fatalité est provoqué ; ici, tout le corps pourra être récupéré.

      
Sen. Phædr. Prvd. perist. 11
1068 inobsequentes protinus frenis equi
1083 imperia soluunt seque luctantur iugo
89-90 animalia freni | ignara insueto subdere colla iugo
92 [non] imperiumque equitis ante subacta pati
1050-1052 fugit attonitum pecus | passim per agros, nec suos pastor sequi | meminit iuuencos
1070 quacumque rabidos pauidus euexit furor
91 non stabulis blandiue manu palpata magistri
93-94 campestre uago nuper pecus e grege captum, | quod pauor indomito corde ferinus agit
1003 ora frenis domita substrictis ligat
1075-1076 ora nunc pressis trahit | constricta frenis
1083-1084 seque luctantur iugo | eripere
95-96 reluctantes sociarant uincula bigas | oraque discordi foedere nexuerant
1085-1087 implicuit cadens | laqueo tenaci corpus et quanto magis | pugnat sequaces, hoc magis nodos ligat 103-104 crura uiri innectit laqueus nodoque tenaci | adstringit plantas cumque rudente ligat
1056 uocis hortatu ciet
1076-1077 terga nunc torto frequens | uerbere coercet
107 instigant subitis clamoribus atque flagellis
1070 quacumque rabidos pauidus euexit furor1089 qua timor iussit ruunt 111-112 cæcoque errore feruntur, | qua sonus atque tremor, qua furor exagitant
1061-1062 prolusit iræ, præpeti cursu euolat, | summam citato uix gradu tangens humum
1090 non suum agnoscens onus
113-114 rapit impetus et fragor urget, | nec cursus uolucer mobile sentit onus
1093-1094 late cruentat arua et illisum caput | scopulis resultat ; auferunt dumi comas
1102-1104 secant | uirgulta, acutis asperi uepres rubis | omnisque ruscus corporis partem tulit
119-122 scissa minutatim labefacto corpore frusta | carpit spinigeris stirpibus hirtus ager. | pars summis pendet scopulis, pars sentibus hæret, | parte rubent frondes, parte madescit humus
1105 errant per agros funebris famuli manus
1108 mæstaque domini membra uestigant canes
1109 dolentum sedulus... labor
135-136 mærore adtoniti atque oculis rimantibus ibant | implebantque sinus uisceribus laceris
1254-1255 complectere artus, ... mæsto pectore incumbens foue 137-138 ille caput niueum complectitur ac reuerendam | canitiem molli confouet in gremio

      

      
89-90 Vix hæc ille, duo cogunt animalia freni
ignara insueto subdere colla iugo,

À peine avait-il dit cela que l'on force deux animaux ignorant le frein à mettre leur cou sous un joug qui leur était inhabituel ; ...

      89-90 : cf. Sen. Phædr. 1068. 1083 (-> v. 89-140) ; cf. perist. 2, 6-8 frenis presseras, | nunc... | imponis imperii iugum ; 10, 419-420 utque subiugatis hostibus | ... frenet orbem legibus.

      89 : uix hæc ille : ellipse du verbe 'dire' (-> 13, 92). duo : cf. vv. 95 bigas ; 97 duorum ; de même, cf. Sen. Phædr. 1101 biiuges ; chez Verg. Æn. 8, 642 par contre (-> v. 88), on a quadrigæ. La dernière syllabe de duo est allongée devant la césure (de même, ham. 13. 122 ; Verg. ecl. 5, 68). animalia : terme générique, comme iugales (v. 87) et pecus (v. 93).

      89-90 : freni ignara : rétifs au frein (cf. Ov. rem. 514), les chevaux doivent y être habitués peu à peu (cf. Varro rust. 2, 7, 12) ; ceux-ci n'ont jamais été montés (v. 92) ni attelés (v. 90).

      90 : dans ce v. s'entrecroisent ignara... colla et insueto... iugo, les épithètes (en in-) étant en début de v., et les noms en fin de v. avec, au milieu, l'infinitif subdere. Les vv. 22 et 76 ont une construction analogue, mais sans verbe en leur centre. insueto ... iugo : reprise de l'idée exprimée par freni | ignara. subdere colla iugo : de même, Stat. Theb. 1, 175 ; on a subdere iugo, au figuré, en ham. 583 ; la même idée peut être exprimée par subiugare (perist. 10, 419. 777). Sur subdere, -> 14, 95. subdere colla : même iunctura en ham. 469 et chez Tib. 1, 2, 90 ; Sil. 10, 215 ; cf. perist. 2, 489-490 uexere corpus subditis | ceruicibus quidam patres ; apoth. 642 submittere colla ; psych. 883 submittere collo. Cf. aussi v. 85 supinata... ceruice (le préfet).

      
91-94 non stabulis blandiue manu palpata magistri
imperiumque equitis ante subacta pati,
sed campestre uago nuper pecus e grege captum,
quod pauor indomito corde ferinus agit.

... ce n'étaient pas des bêtes d'écurie, flattées par la main d'un maître caressant, et elles n'avaient pas été dressées auparavant à subir le commandement d'un cavalier, mais c'était récemment encore un bétail de plaine, capturé parmi un troupeau errant ; une nervosité sauvage les entraîne, le coeur indompté.

      91-94 : opposition entre la vie des chevaux domestiques (idéalisée, v. 91 ; motif repris aux vv. 241-246) et sauvages (tableau noirci) ; Prudence célèbre le gouvernement civilisateur, qui est celui de Rome sur les peuples (perist. 2, 417-428). Cf. Sen. Phædr. 1050-1052 (-> v. 89-140).

      91 : stabulis : abl. de lieu. blandiue... magistri : avant d'être dominateur (v. suiv. imperiumque equitis), le rapport de l'homme au cheval est affectueux. Ce maître est aussi le dresseur ; cf. Verg. georg. 3, 185-186 tum magis atque magis blandis gaudere magistri | laudibus. Dans ces 2 cas, blandus évoque l'action de flatter de la main. Au v. 233, magister désigne l'évêque, auquel est dédié le poème. manu palpata : expression développant blandiue (de même, Plavt. Amph. 507 quam blande mulieri palpabitur ; Merc. 169) ; sur manus, -> 5, 69.

      92 : imperiumque : cf. Sen. Phædr. 1083 (-> v. 89-140). Cf. aussi perist. 2, 7-8 ; 9, 81 exerce imperium, ius est tibi plectere culpam (maître d'école) ; cath. 12, 161-162 nos subactos (ici subacta) ... | erroris imperio graui. equitis : cavalier peut-être distinct du dresseur (v. préc. magister) ; ces chevaux n'ont jamais été attelés, ni montés. subacta : cf. c. Symm. 2, 291-292 immanes quondam populi feritate subacta | edomiti (-> 5, 513). Subagere a un sens technique : cf. Colvm. 6, 2, 1 [iuuencos] qui e grege feri comprehenduntur, sic subigi oportet.

      93 : comme le martyr, ces chevaux viennent d'être capturés dans un troupeau errant (pour s. Hippolyte, la secte). campestre... pecus : iunctura sans parallèle ; ces chevaux, habitués à des lieux ouverts, seront surpris par le paysage escarpé et broussailleux traversé (cf. v. 115-120) ; image reprise à propos de Prudence (cf. v. 243 gramineo ... campo), dont le bercail est l'Église ; cf. aussi v. 211. uago... grege : même expression chez Svet. Iul. 81, 2. Le troupeau errant n'est pas protégé par un berger, cf. cath. 7, 166-168 greges et ipsos claudit armentalium | sollers uirorum cura, ne uagum pecus | contingat ore rorulenta gramina. e grege captum : même motif au v. 242, à propos des ouailles (grex, -> 13, 67) de Valérien : agna nec ulla tuum capta gregem minuat.

      94 : pauor... ferinus : sans abri, sans gardien, ces chevaux sont nerveux (cf. v. 112 qua sonus atque tremor, qua furor exagitant). Ferinus (-> 5, 434) s'insère dans une série (-> v. 88). indomito corde : cf. Ps.-Tib. 3, 6, 16 tigres et... lænas uicit et indomitis mollia corda dedit. S'il peut qualifier des bêtes (ici ; cath. 4, 47), indomitus est aussi employé à propos de barbares (cath. 3, 61 ; c. Symm. 1, 79) et d'un persécuteur (perist. 13, 89). agit : note significative, cor-respondant à pati (v. 92) qui concluait le distique évoquant la vie domestique ; la passio des martyrs soumis à la Providence est préférable à l'action des persécuteurs, désordonnée et impulsive. La pure indétermination est une liberté illusoire (cf. v. 111-112 ; -> 2, 467).

      
95-96 Iamque reluctantes sociarant uincula bigas
oraque discordi foedere nexuerant :

Déjà, bien qu'ils fussent rétifs, des liens les avaient unis en un bige et avaient attaché leur tête dans un accord divergent : ...

      95 : iamque : cet adv. renoue avec le temps du récit. reluctantes... bigas : alors qu'au v. 87 iugales était ironique, ici, les chevaux constituent réellement un bige, comme chez Sénèque (-> v. 89), mais ils demeurent rétifs à tout harnachement (reluctantes, -> 5, 56), cf. v. 89-94. sociarant uincula : possible connotation politique, comme au v. suiv. foedere nexuerant.

      95-96 : bigas... nexuerant : cf. Plin. nat. 7, 202 bigas prima iunxit Phrygum natio.

      96 : sans mors car sans cocher tenant des rênes, les chevaux ont un collier qui leur ceint la tête (ora) et est relié (nexuerant) à une corde (foedere) tenant lieu de timon. discordi foedere : cf. Hor. epist. 1, 12, 19 concordia discors ; cette corde divise (v. 98 diuidit) les chevaux plus qu'elle les unit. Cf. c. Symm. 2, 586-588 discordes linguis populos et dissona cultu | regna uolens sociare (cf. v. préc. sociarant) Deus subiungier uni | imperio. L'adj. discors semble évoquer indomito corde (v. 94).

      
97-100 temonis uice funis inest, qui terga duorum
diuidit et medius tangit utrumque latus,
deque iugo in longum se post uestigia retro
protendens trahitur transit et ima pedum.

... à la place d'un timon est introduite une corde, qui sépare le dos des deux [bêtes] et, placée au milieu, touche les flancs de chacune ; s'étendant en longueur à partir du joug, vers l'arrière, jusque derrière les sabots, elle se laisse traîner et dépasse le bas de leurs jambes.

      97-100 : cf. Verg. georg. 3, 171-173 summo uestigia puluere signent. | post ualido nitens sub pondere faginus axis | instrepat, et iunctos temo trahat æreus orbes (entraînement des boeufs de labour).

      97 : temonis : le timon arrive au milieu du joug (v. 99 iugo), barre posée sur le garrot, où elle est attachée au collier. inest : la corde (funis : -> 5, 459), fixée sur le joug, est insérée entre les chevaux. Inest est suivi de verbes d'action (v. 99 diuidit... tangit) et de mouvement (v. 100 protendens trahitur transit). terga : le joug étant sur l'encolure, la corde est fixée au niveau du dos.

      98 : diuidit : ce qui est exact du point de vue descriptif (la corde passe entre les bêtes et les sépare) a aussi une valeur symbolique (cf. v. 96 discordi foedere). medius : adj. apposé à funis (valeur adverbiale). tangit utrumque latus : l'attelage est si étroit que, malgré la résistance des chevaux, la corde qui les sépare est touchée par leurs flancs ; il faudrait en fait tangit utriusque latus (seuls flancs intérieurs).

      99 : deque iugo : cf. v. 90 ignara insueto subdere colla iugo ; cf. aussi vv. 87 iugales ; 95 bigas.

      99-100 : le chevaux ne sentiront pas le fardeau (cf. v. 114), hors d'atteinte de leurs sabots vu la longueur de la corde. in longum se... protendens : cf. Verg. georg. 1, 171 pedes temo protentus in octo. L'expression in longum prend ici un sens spatial, plus rare que le sens temporel.

      99 : uestigia retro : cf. apoth. 475 ; Verg. Æn. 2, 753 ; 9, 392 (même fin de v.). Vestigia, qui désigne la plante du pied (cf. Cic. Ac. 2, 123 ; Verg. Æn. 5, 566) et aussi le fer du cheval (cf. Plin. nat. 28, 263), est repris par ima pedum (v. suiv.). retro : cet adv. souligne post uestigia et indique l'orientation de protendens. De même, perist. 2, 367-368 faciem retro | detorsit (->).

      100 : protendens trahitur transit : trahitur, qui fait de la corde un objet passif, est inclus entre 2 verbes de mouvement dont funis est paradoxalement le sujet actif. Trahitur, qui indique le mouvement réel (mais futur) de la corde est inséré au milieu de l'évocation d'un mouvement abstrait et logique, qui est aussi celui du regard : la corde part du joug (v. préc. deque iugo) et se prolonge vers l'arrière (in longum se... retro | protendens), au-delà des sabots des chevaux (v. préc. post uestigia ; ici transit et ima pedum). trahitur : le récit du supplice ne précise pas que le martyr est tiré par les chevaux - leur course (v. 111-118) et le sort du martyr (v. 119-122) sont évoqués séparément (sauf au v. 114 nec... mobile sentit onus). À cette annonce du supplice semble répondre la description de son effet (v. 126) : tracti membra cruenta uiri. transit et ima pedum : transire résume le mouvement complexe décrit par retro | protendens, alors que uestigia (v. préc.) est expliqué et développé ici par ima pedum (les sabots des chevaux ; sur ima, -> 13, 82 ; cf. Prop. 2, 10, 22 imos ante... pedes ; Verg. georg. 3, 460 ima ferire pedis).

      
101-104 Huius ad extremum, sequitur qua puluere summo
cornipedum refugas orbita trita uias,
crura uiri innectit laqueus nodoque tenaci
adstringit plantas cumque rudente ligat.

À son extrémité, par là où, sur la surface poussiéreuse, la trace souvent imprimée par ceux dont le pied est de corne suit les chemins qui se dérobent, un lacet attache étroi-tement, par un noeud résistant, les jambes de cet homme et relie ses chevilles au câble.

      101-102 : le sol où est posée la corde est désigné par une énigme alexandrine (de même, v. 185-188), en partie prémonitoire, car les chevaux, lancés sur une route, continueront en pleine nature (v. 115-118). Cf. Verg. georg. 3, 170-171 sæpe rotæ ducantur inanes | per terram, et summo uestigia puluere signent.

      101 : huius : funis, v. 97. sequitur qua : comme sequitur, qua évoque la suite avec l'idée de passage (cf. vv. 112 qua... qua ; 115. 118). puluere summo : repris de Verg. georg. 3, 171 (cf. ci-dessus) ; poussière aussi mentionnée au v. 142 (->). Summus évoque l'affleurement de la corde sur le sol ; le frottement du corps causera la mort (cf. v. 121 pars summis pendet scopulis).

      102 : cornipedum : désignation poétique des chevaux (cf. psych. 254 ; Sen. Phædr. 809 ; Lvcan. 8, 3 ; Stat. Theb. 7, 137) ; cet adj. est épithète chez Verg. Æn. 6, 591 cornipedum... equorum (repris en c. Symm. 2, 54 à propos de l'Hippolyte de la fable). refugas orbita trita uias : ce texte énigmatique peut être compris littéralement (cf. ci-après), ou comme un hypallage - le sens de trita s'accordant mieux avec uias, ce sont les chemins habituellement foulés ([tritas] uias) qui sont suivis par la trace qui se dérobe ([refuga] orbita) sous les sabots des chevaux. refugas... uias : trait alexandrin (description selon un point de vue singulier) ; on a l'impression que les chemins se dérobent sous celui qui, comme immobile, avance dessus (de même, v. 161, avec occurrunt ; ->). Ici, les chemins disparaîtront et l'orbita trita ne suivra plus de route. Sur uia, -> v. 36. orbita trita : cf. c. Symm. 2, 845 centenos terat orbita calles ; Stat. silu. 2, 7, 51 trita uatibus orbita sequantur (cf. v. préc. sequitur). Ici, orbita désigne une ornière ou une empreinte ; il est précisé par trita (cf. Tib. 4, 14 uia trita pede ; sur terere, cf. perist. 5, 484).

      103-104 : cf. Sen. Phædr. 1085-1087 (-> v. 89-140) ; Ov. met. 11, 252 ignaram laqueis uincloque innecte tenaci. Le même lacet (laqueus) voire le même noeud (nodo) attachent les jambes du martyr l'une à l'autre (crura uiri innectit... adstringit plantas) et à la corde (v. 104 rudente).

      103 : crura : les jambes (cf. v. 140) ; cf. v. suiv. plantas - termes associés en perist. 2, 149-151 ; 5, 251-252. uiri : -> v. 11. innectit laqueus : cf. Ov. met. 11, 252, où laqueus est complément de moyen d'innectere ; ici, il est le sujet presque animé d'innectit et des verbes adstringit et ligat (v. suiv.). L'expression est précisée par nodoque tenaci. innectit : reprise de nexuerant (v. 96) et inest (v. 97), utilisés à propos de l'autre extrémité de la corde (-> v. 111). Cf. psych. 356-357 his placet adsuetas bello iam tradere palmas | nexibus, his rigidas nodis innectier ulnas ; à palmas et ulnas correspondraient plantas (v. suiv.) et crura. nodoque tenaci : complément d'adstringit voire aussi de ligat ; cf. apoth. præf. 27 nodos tenaces.

      104 : plantas : comme en perist. 5, 251, ce nom désigne non la plante du pied, mais, par synecdoque, son ensemble (en fait la cheville ; métonymie, -> 2, 151). ligat : non l'action d'attacher les pieds entre eux, mais celle de les lier à la corde (rudente : terme reprenant funis [v. 97]) fixée au joug.

      
105-108 Postquam composito satis instruxere paratu
martyris ad poenam uerbera, uincla, feras,
instigant subitis clamoribus atque flagellis
iliaque infestis perfodiunt stimulis.

Après que, les arrangements étant prêts, on eut obtenu pour le supplice du martyr une disposition suffisante des fouets, des liens, des bêtes sauvages, on les excite par des cris soudains et avec les étrivières, et l'on perce leur ventre de coups d'aiguillon.

      105 : cf. Cic. leg. 1, 39 quæ satis scite nobis instructa et composita uidentur. composito... paratu : paratus (-> 2, 358) évoque les préparatifs mentionnés aux vv. 89-104 ; compositus indique la complexité du dispositif, fait d'éléments divers (v. suiv.) et son caractère artificiel (v. 83-84 noua poenæ | inuenta). satis : -> 5, 289. instruxere : comme exstructo (v. 50), emploi dans un sens concret. Cf. perist. 5, 265-266 hæc ille uersutus uafra | meditatus arte struxerat.

      106 : martyris : -> v. 38. poenam : cf. v. 83 ; -> 14, 22. uerbera, uincla, feras : de même, perist. 5, 61 tormenta, carcer, ungulæ ; 551 per uincla, flammas, ungulas. uerbera, uincla : termes allitérants ; le 1er désigne les fouets (cf. Verg. georg. 3, 106 ; Liv. 8, 28, 4), qui déclencheront la course des chevaux), le second l'ensemble de cordages et de courroies. Cf. v. 55 inde catenarum tractus, hinc lorea flagra. feras : les chevaux sont les instruments (-> v. 88) inconscients (cf. v. 114) du supplice. Cunningham édite feros (cf. mss VN, Sa.c.) ; de fait, ferus peut être substantivé au masc. avec le sens d''animal' (cf. Verg. Æn. 2, 51 ; 7, 489), mais le fém. fera ('bête sauvage' ; -> 5, 387) est plus courant et plus expressif (-> v. 88). Dernier des objets énumérés d'instruxere (v. préc.), feras pourrait év. être objet d'instigant (v. suiv.), ce qui supposerait un enjambement entre deux distiques, fait attesté (p.ex. v. 232-233) mais rare.

      107-108 : les bourreaux accomplissent l'action ironiquement attribuée au martyr (v. 87 quatiat turbetque iugales). Le motif des coups est annoncé par uerbera (v. préc.) ; cf. aussi v. 112 (bruit).

      107 : cf. Verg. Æn. 5, 227-228 ingeminat clamor cunctique sequentem | instigant studiis ; cf. ham. 361-364 (jeux du cirque ; ici, motif sous-jacent : -> v. 46). instigant : cf. ham. 187 inficit inuidia stimulisque (cf. v. suiv. stimulis) instigat amaris. Ce verbe est pris au sens concret ; ses compléments de moyen clamoribus atque flagellis sont sur le même plan. subitis clamoribus : cf. v. 112 qua sonus atque tremor... exagitant. Entre ces 2 mentions de cris sauvages, il est question de l'ultima uox audita senis (v. 109). Le clamor des jeunes gens est déjà évoqué au v. 79. flagellis : ce nom ne peut prendre que le sens concret de 'fouet' (cf. perist. 1, 104), et n'a pas l'ambivalence de uerbera (v. préc.) et de stimulis (v. suiv.), pris du reste ici au sens concret.

      108 : iliaque... perfodiunt : cf. psych. 596-597 calcibus instans | perfodit et costas atque ilia rumpit anhela. Perfodire souligne la violence du coup, qui blesse le cheval. Le plur. ilia désigne les flancs (cf. psych. 633) ou le ventre (cf. ham. 602) ; cf. Liv. 42, 59, 3 ; Stat. silu. 5, 2, 115 (même sens de latus au v. 98). infestis... stimulis : désignation concrète d'une pointe acérée (cf. perist. 9, 51 ; au figuré, perist. 10, 776 ; 13, 72). Comme dans hostile... ferrum (perist. 2, 503), infestus a une valeur proche de l'epitheton ornans, sans le sens technique qu'il a dans un contexte guerrier (Cæs. Gall. 6, 8, 6 infestis signis ; Liv. 2, 20, 2 infesto spiculo).

      
109-110 Vltima uox audita senis uenerabilis hæc est :
" Hi rapiant artus, tu rape, Christe, animam ! "

La dernière parole qu'on entendit du vénérable vieillard est celle-ci : " Que ceux-ci emportent mes membres, toi, ô Christ, emporte mon âme ! "

      109 : ultima uox : cf. perist. 2, 29 extrema uox episcopi (->) ; Cic. inu. 1, 108 non postremam uocem eius audiui (cf. ici audita) ; Apvl. met. 9, 37 ultima uoce prolata. On a une prière comparable en perist. 7, 79-85 ; 14, 83-84. audita : le martyr parle au milieu de cris destinés à exciter les chevaux (vv. 107. 112) ; hormis le bruit des tortures (v. 55-56), le récit, basé sur une fresque, recourt surtout à la description visuelle. senis uenerabilis : cf. v. 23 senem peruersi dogmatis olim ; cf. v. 137-138 reuerendam | canitiem et v. 33. senis : la vieillesse (-> v. 23), pathétique, constraste avec la fureur des chevaux et de ceux qui les aiguillonnent ; au v. 78, la dignité du vieillard (senior) s'oppose à l'excitation de ses jeunes accusateurs et du juge (vv. 77. 79).

      110 : de même, perist. 13, 86 corpora candor habet, candor uehit ad superna mentes. La distinction entre le sort du corps et celui de l'âme est un thème philosphique classique (p.ex. Plato apol. 30c-d ; cf. Kah 1990, p. 272 n. 85), développé p.ex. en perist. 5, 153-172 (-> 2, 485-488). La teneur des paroles du martyr reste authentiquement chrétienne : cf. N.T. Matth. 10, 28 nolite timere eos, qui occidunt corpus, animam autem non possunt occidere ; Luc. 12, 4 ne terreamini ab his, qui occidunt corpus et post hæc non habent amplius quid faciant. rapiant... rape : polyptote ; le martyr ne s'adresse qu'au Christ et ne se préoccupe que de son âme, le sort de son corps étant déjà joué (cf. v. 25 cum iam uæsano uictor raperetur ab hoste). Ces paroles sont comme reprises et illustrées aux vv. 113 (les chevaux : rapit impetus) et 144 (les fidèles qui recueillent le sang du martyr ; ->) ; sur rapere, -> v. 25. Cf. perist. 6, 96 nec uitam rapit illa [= poena], sed reformat. En c. Symm. 2, 55 (mort de l'Hippolyte de la fable), on a raptare, repris du récit virgilien (Æn. 8, 644) relatif à Mettius Fufétius (-> v. 88). artus : synecdoque fréquente pour le corps (-> 13, 13), à l'instar de membra (v. 126). Les artus comme l'anima sont destinés à la vie éternelle, cf. perist. 4, 199 mox resurgentes animas et artus. tu... Christe : cf. cath. 10, 17 tu, Deus optime ; adresse du martyr au Christ (-> 2, 413). L'ancien schismatique en appelle moins à la libération de son âme qu'à son union avec le Christ (-> v. 15-16). animam : cf. perist. 13, 48 qui sociare animam Christo uelit (->). Il est aussi question de l'âme du martyr lors de son arrestation (v. 26 exsultante anima carnis ad exitium) et à propos des reliques, vénérées comme animæ exuuias (v. 183 ; ->).

      
111-114 Prorumpunt alacres cæcoque errore feruntur,
qua sonus atque tremor, qua furor exagitant.
Incendit feritas, rapit impetus et fragor urget,
nec cursus uolucer mobile sentit onus.

Ils s'élancent avec ardeur et se laissent porter dans leur errance aveugle, par là où le son et la frayeur, par là où leur fureur les pousse. La sauvagerie les enflamme, leur élan les emporte, le fracas les presse, et leur course ailée ne perçoit pas le fardeau qu'elle meut.

      111 : prorumpunt : même idée avec exagitant (fin du distique) ; les éléments de prorumpere se retrouvent au v. 117 prosternunt sæpes et cuncta obstacula rumpunt (de même avec innectit, v. 103). alacres : cf. non la joie (-> 13, 83), mais la vivacité des chevaux (cf. v. 113), terrorisés. cæcoque errore feruntur : les chevaux sont à l'image des schismatiques qui, s'écartant du chemin (-> v. 35-36), déchirent le corps de l'Église. Mus par l'instinct (-> v. 94), aveuglés (cæcoque : sens actif), ils ne sont pas conscients (v. 114 nec mobile sentit onus) ; ils étaient déjà errants avant leur capture (v. 93 uago... e grege). Cf. perist. 2, 456 errans Iuli cæcitas (->)

      112 : l'élan des chevaux a des causes complexes (cf. anaphore de qua et zeugma sémantique mettant sur le même plan sonus et tremor [l'un causant l'autre]) ; cf. v. 94 quod pauor indomito corde ferinus agit. sonus : cf. vv. 107 instigant subitis clamoribus ; 113 fragor urget. tremor : de même, à propos de chevaux et dans un contexte proche, psych. 409 expauere feroces ; 411-412 uertunt præcipitem cæca (cf. v. préc. cæcoque) formidine fusi | per prærupta fugam. Cf. Verg. georg. 3, 250-251 ut tota tremor pertemptet equorum | corpora. furor : cf. Verg. georg. 3, 266 ; Sen. Phædr. 1070 (-> v. 89-140) ; Thy. 339 exagitat (ici exagitant) furor. Les chevaux participent de la fureur du juge (-> v. 39) ; motif, suggéré aux vv. 94-95 et développé au v. suiv. exagitant : la nervosité des chevaux est plus grande plus encore qu'à l'état sauvage (v. 94 agit).

      113 : incendit feritas : sur la sauvagerie des chevaux, -> v. 88 ; incendere désigne la véhémence de passions bonnes (perist. 5, 356 ; 6, 21) ou mauvaises (ici ; perist. 10, 108). rapit impetus : cf. les dernières paroles du martyr, v. 110 hi rapiant artus (->). Impetus désigne à la fois l'élan acquis avec la vitesse (cf. Liv. 2, 65, 6 impetu capto) et l'impétuosité naturelle aux chevaux (cf. v. 94 indomito corde), voire l'instinct animal (cf. Cic. off. 2, 11 animalia quæ habent suos impetus). fragor urget : les chevaux sont effrayés et aussi excités par les cris (fragor ; cf. vv. 107. 112 ; perist. 2, 181 ) ; cf. psych. 253-254 talia uociferans rapidum calcaribus urget | cornipedem.

      114 : nec... sentit onus : cf. Sen. Phædr. 1090. Les chevaux aveuglés (cf. v. 111 cæcoque errore) ne sont pas même conscients de leur fardeau (-> v. 99-100). Contrairement à ce qui se produit dans le récit de la Psychomachie inspiré de Sénèque, le corps (mobile... onus) ne reste pas accroché, ne ralentit pas les chevaux (psych. 416 ; cf. Sen. Phædr. 1098-1101) et sera peu à peu déchiqueté (cf. v. 119). cursus uolucer : même iunctura chez Verg. catal. 9, 26 ; Ov. trist. 1, 10, 5 ; Clavd. 24, 321 ; cf. psych. 270 eques illa..., dum fertur præpete cursu ; c. Symm. 2, 54-55 (mort d'Hippolyte) cornipedes arcentur equi, cum Musa pudicum | raptarit iuuenem uolucri per litora curru (cf. Hor. carm. 1, 34, 8 egit equos uolucremque currum). Par métonymie, cursus, sujet de sentit, désigne les chevaux au galop. mobile... onus : cf. perist. 5, 441-443 semper illic mobilis | incerta per ludibria | uagis feretur flatibus (abandon du cadavre sur les flots).

      115-120 : cf. ham. 792-794 (la voie difficile) cum dextrum spinea (v. 120 spinigeris) silua (v. 115 per siluas) | sentibus (id. v. 121) artaret, scopulasque (v. 121 scopulis) semita longe | duceret aërium cliuoso margine callem ; 797-798 squalentibus unum | contentum spinis (v. 120 spinigeris) reptasse per ardua (id. v. 118) saxa (id. v. 115) ; apoth. 144-145 mundum curuis anfractibus et siluosis horrentem scopulis.

      
115-118 Per siluas, per saxa ruunt, non ripa retardat
fluminis aut torrens oppositus cohibet ;
prosternunt sæpes et cuncta obstacula rumpunt,
prona fragosa petunt, ardua transiliunt.

Ils se précipitent par les forêts, par les pierriers ; la rive d'un cours d'eau ne les retient pas, le torrent qu'ils rencontrent ne les arrête pas ; ils couchent les clôtures et brisent tous les obstacles, ils gagnent des pentes rocailleuses, franchissent des escarpements.

      115-118 : cf. v. 37 spretis anfractibus (->). Cf. Verg. Æn. 7, 566-567 urget utrimque latus nemoris medioque fragosus | dat sonitum saxis et torto uertice torrens ; georg. 3, 253-254 (cavales en rut) non scopuli rupesque cauæ atque obiecta retardant | flumina correptosque unda loquentia montis ; 270 superant montes et flumina tranant ; 276-277 saxa per et scopulos et depressas conualles | diffugiunt.

      115 : cf. Clavd. 15, 472-473 per saxa citati | torrentesque ruunt ; non mons, non silua retardat. Ce parallèle amène à donner à perist. 11 le terminus post quem de 399 (composition du poème de Claudien), confirmé par le terminus post quem de perist. 2 et 14 (cf. Introd. § 105). per siluas, per saxa ruunt : comme aux vv. 121-122 (->) et 150, les règnes minéral et végétal sont associés. Les rochers sont encore mentionnés à propos de la fresque (v. 127 saxorum apices), et les arbres dans le récit de la recherche des restes du martyr (v. 145 densa... silua ; cf. Introd. § 27 n. 65). per siluas : cf. Verg. Æn. 8, 644-645 (-> v. 88) raptabatque uiri mendacis uiscera Tullus | per siluam. per saxa ruunt : cf. Avson. Mos. 446 insanumque ruens per saxa rorantia late (cf. v. 127 rorantes saxorum apices) ; Stat. Theb. 6, 452 in fluctus, in saxa ruunt ; Sil. 15, 156 spumante ruens per saxa gementia fluctu ; 16, 7-8 perque ardua cursu | saxa ruit. non : cette négation porte sur retardat et sur cohibet (propositions coordonnées au v. suiv. par aut).

      115-116 : ripa... fluminis : vraisemblablement la rive du Tibre, mentionné au v. 40 ostia... per Tiberina ; tel est aussi le cas en c. Symm. 1, 51, avec l'expression fluminis in ripa.

      115 : retardat : verbe utilisé dans le même contexte par Verg. georg. 3, 253 ; Clavd. 15, 473. Au contraire, psych. 416 (-> v. 114) lacero tardat sufflamine currum.

      116 : torrens : la mention d'un torrent s'accorde bien avec le paysage escarpé (cf. v. préc. et v. 118). oppositus : rien ne retient (cohibet) les chevaux ; cf. ham. 236-237 ipsa quoque oppositum... | transcendunt elementa modum rapiuntque (ici vv. 110 rapiant ; 113 rapit) ruuntque (v. préc. ruunt) ; psych. 484-485 cæcum errare (v. 111 cæcoque errore) sinit, perque offensacula multa | ire, nec oppositum baculo temptare periclum.

      117 : prosternunt... rumpunt : prosternere évoque le fait de renverser ou de coucher l'obstacle, rumpere de le briser (reprise des éléments de prorumpunt, v. 111). La mention de tels dégâts suggère la violence subie par le martyr. sæpes : cf. Cæs. Gall. 2, 17, 4 ; 2, 22, 1 ; Verg. georg. 1, 270 ; ici plutôt une clôture qu'une haie (cf. prosternere : une haie se traverse, mais ne se renverse pas [cf. au contraire, traduction de Lavarenne], malgré le parallèle d'Ov. met. 8, 776 multam pondere siluam prosternere). obstacula : cf. Sen. nat. 2, 52, 1 ; Amm. 17, 13, 4 ; cf. cath. 9, 65 ; ham. 599 sæpti rumpentem (cf. ici rumpunt) obstacula partus.

      118 : prona : adj. substantivé désignant des pentes (descendantes) ; cf. Sil. 15, 235 ; Cvrt. 7, 11, 3. Cf. v. 155 uia prona (descente vers la crypte). fragosa : -> 5, 445 ; cf. Verg. Æn. 7, 566 medio... fragosis dat sonitum saxis et torto uertice torrens ; Ov. met. 4, 778 siluis horrentia saxa fragosis. Plutôt qu'un adj. substantivé (cf. au figuré Qvint. inst. 9, 4, 116), fragosa est l'épithète de prona (qui seul ne comporterait pas d'idée de paradoxe ou de difficulté, comme ici fragosa et ardua). petunt : désorientés (cf. v. 111 cæcoque errore feruntur), les chevaux gagnent sans hésiter des lieux hostiles. ardua : cet adj. substantivé désigne ici des lieux escarpés, dans le sens de la montée (par opposition à prona). transiliunt : idée de traversée (-> v. 101) et de mouvement léger et de rapide (cf. v. 114 cursus uolucer).

      
119-122 Scissa minutatim labefacto corpore frusta
carpit spinigeris stirpibus hirtus ager.
Pars summis pendet scopulis, pars sentibus hæret,
parte rubent frondes, parte madescit humus.

Le corps une fois laminé, ce sont des lambeaux déchirés menu que cueille le terrain hérissé de plantes épineuses. Une partie pend au sommet des rochers, une partie s'accroche aux ronces, une part fait rougir les frondaisons, une part rend la terre humide.

      119-122 : inspiré de Sen. Phædr. 1093-1094. 1102-1104 (-> v. 89-140) ; cf. perist. 5, 445-448.

      119 : ce v. développe l'idée de dilaceratus (v. 88) ; mention de fragments du corps aux vv. 131-132. 136-140. scissa... frusta : le corps est réduit en lambeaux (frusta ; cf. Sen. epist. 89, 2 ; Qvint. inst. 8, 5, 27). Scindere est fréquent dans les récits de tortures (-> 2, 59-60), parfois par hyperbole, ici au sens propre ; il évoque la faute du martyr (cf. vv. 19 schisma ; 30 schismata : -> v. 134). minutatim : cf. Varro rust. 3, 10, 6. labefacto corpore : même expression chez Avson. 368, 14 (même place du v.). Labefacere signifie 'faire glisser' (psych. 31 ; cf. Cic. Verr. ii 3, 94) ou 'ruiner' (perist. 3, 106 ; cf. Cic. fam. 12, 5, 2) ; les 2 nuances peuvent coexister ici.

      120 : carpit : -> 5, 388. spinigeris : néologisme sur le modèle de salutiger (v. 235 ; ->) ; cf. spinifer en cath. 5, 31 ; apoth. 59. Cf. aussi ham. 792 spinea silua ; 797-798 squalentibus... spinis (chemin difficile menant au Ciel). stirpibus : au sens propre une souche, ici sens général de 'plante' (cf. Cic. fin. 5, 33) ; d'autres termes, variés (cf. Introd. § 27 n. 65), parlent dans la suite de buissons, de forêt (-> v. 115) et de feuillages. hirtus : cf. cath. 8, 35-36 uellus adfixis uepribus per hirtæ | deuia siluæ (-> v. 241-245) ; cet adj. exprime l'idée de sauvagerie (cath. 7, 62 ; c. Symm. 2, 290 ; cf. Hor. epist. 1, 3, 22) tout en se référant aux pointes dont le lieu est hérissé (perist. 5, 258 ; cf. Stat. silu. 3, 1, 13) : épines, rochers (cf. v. 150 frondibus et scopulis). ager : sens général de 'terrain' (ou 'campagne'), ici non cultivé (cf. v. 132 per incertos... situs).

      121-122 : concinnitas soulignée par les anaphores de pars et de parte (cf. perist. 9. 56). L'hexa-mètre évoque le sort du corps, le pentamètre l'épanchement du sang (2 types de reliques : -> v. 135-140). Le réceptacle des reliques est minéral (summis... scopulis ; humus) ou végétal (sentibus ; frondes) ; disposition embrassée. Cf. vv. 115 per siluas, per saxa ; 150 frondibus et scopulis.

      121 : cf. ham. 144-145 qui mundum curuis anfractibus et siluosis | horrentem scopulis uersuto circuit astu (le démon) ; 793-794 sentibus artaret, scopulasque semita longe | duceret (voie vertueuse). summis... scopulis : cf. v. 150 extersis frondibus (v. suiv. frondes) et scopulis ; reprise de saxa (v. 115 ; cf. v. 127 saxorum apices). Sur summis, -> v. 101. pendet : la course des chevaux (vv. 114 cursus uolucer ; 118 transiliunt) affleure (cf. v. 101 puluere summo) des obstacles élevés (summis... scopulis) d'où finiront par 'pendre' les restes du martyr. sentibus : des ronces ou des buissons (cf. Lvcr. 5, 206 ; Verg. georg. 2, 411; Cæs. Gall. 2, 17, 4), souvent mentionnés (-> v. préc.). hæret : cf. Sen. Phædr. 1101 hæsere biiuges uulnere (cf. psych. 416 ; -> v. 114) ; même verbe au v. 212 (foule des pèlerins) hæret et in magnis densa cohors spatiis.

      122 : rubent frondes : cf. v. 128 purpureasque notas uepribus impositas ; ce motif annonce le thème de la fresque (v. 129-130). Cf. perist. 9, 50 rubetque ab ictu curta et umens pagina ; 10, 703-704 impacta quotiens corpus attigerat salix, | tenui rubebant sanguine uda uimina. Le sang sera récupéré par les fidèles, cf. v. 150 extersis frondibus et scopulis (v. préc. scopulis). madescit humus : cf. vv. 43-44 humum... | tinguere iustorum cædibus assiduis ; 45-46 Ianiculum cum iam madidum... | cerneret eluuie sanguinis adfluere ; cf. perist. 1, 7-9 hic calentes hausit undas cæde tinctus duplici, | illitas cruore sancto nunc arenas incolæ | confrequentant uoce, uotis, munere ; 4, 90-91 his terris tenui notasti | sanguinis rore speciem futuri ; 6, 62-63 [amphitheatrum] madens ferarum | multo sanguine ; 8, 13.

      123-134 : avant l'épilogue (v. 135-152), Prudence indique que son récit est l'ecphrasis d'une peinture (vv. 123-126. 129-130) où il a vu (vv. 127 uidi ; 131 cernere erat) dans l'ordre les 3 épisodes de la passion : départ (v. 95-110) ; course des chevaux (v. 111-118) et sort du martyr (v. 119-132) ; quête des reliques (v. 133-146). Cette fresque, située dans une crypte dégagée en 1882, ne put être retrouvée, en raison des remaniements effectués après les dévastations du vie s. Les représentations du martyre (attestées : cf. Introd. § 88-90) sont alors rares, mais il est téméraire de nier, comme Bovini (1943), la possibilité de l'existence d'une telle oeuvre. Prudence en évoque une autre en perist. 9 ; puisque les 2 poèmes forment un diptyque, on pourrait supposer que Prudence a forcé la symétrie, inventant ici une fresque sur le modèle de celle, célèbre, de l'Hippolyte de la fable, dans le temple de Diane Trivia (évoquée en c. Symm. 2, 54-56 cum Musa pudicum | raptarit iuuenem uolucri per litora curru, | idque etiam paries tibi uersicolorus adumbret). Mais il faut lui accorder le bénéfice du doute (cf. Puech 1888, p. 309 ; Delehaye 1927, p. 71) : ce qu'il a pu imaginer pouvait aussi être exécuté par un peintre (cf. Hor. ars 9-10 pictoribus atque poetis | quidlibet audendi semper fuit æqua potestas ; cf. le défi concluant l'Homélie 17 de s. Basile [PG 31, 197-198 / 141b-c] : que les peintres représentent la passion célébrée par l'orateur). Prudence insiste sur la réalité concrète de ce qu'il décrit (cf. v. 123 exemplar... paries habet illitus), alors qu'ailleurs il ne cache pas la nature imaginaire de ses visions (cf. p.ex. perist. 2, 557 uideor uidere). C'est peut-être la présence dans 2 sanctuaires d'un type nouveau de peinture qui a amené le poète à constituer le diptyque de perist. 9 et 11 (où les fresques sont de nature différente : -> v. 124). Le lexique utilisé à propos de la fresque peut s'appliquer au style de Prudence (cf. Introd. § 34). Enfin, les vv. 125-128 inspirent plusieurs passages de perist. 3 (reprises lexicales ; cf. Introd. § 143).

      
123-126 Exemplar sceleris paries habet illitus, in quo
multicolor fucus digerit omne nefas ;
picta super tumulum species liquidis uiget umbris,
effigians tracti membra cruenta uiri.

Sur une paroi se trouve peinte à fresque une représentation du crime, dans laquelle le fard aux multiples couleurs a distribué tout le sacrilège ; au-dessus du tombeau, une image peinte tire sa vigueur de l'éclat des ombres, décrivant les membres ensanglantés de l'homme qui avait été traîné.

      123 : exemplar : le terme peut désigner la copie (ici ; Cic. Læl. 17 ; Plin. nat. 33, 157) ou au contraire le modèle (perist. 5, 197 ; Plin. nat. 35, 87) ; cet exemplar évoque, pour l'édi-fication des fidèles, l'exemplum (v. 84 ; ->) qui devait les faire trembler. Cf. vv. 125 picta... species ; 126 effigians ; 129 imitando effingere. paries : cf. c. Symm. 2, 56 idque etiam paries tibi uersi-colorus adumbret ; cette paroi domine le tombeau du martyr (v. 125 super tumulum) semble-t-il derrière l'autel (cf. v. 169-176). habet illitus : habere est un auxiliaire (-> v. 16). Illinere appliqué à paries évoque la technique de la fresque, incorporant dans le mortier frais des couleurs détrempées dans de l'eau ; cf. perist. 10, 350 discriminatis illitam coloribus (temple spirituel ; ici aussi, coloris contrastés ; -> v. 129-130). in quo : l'antécédent peut être le neutre exemplar ('dans la reproduction') ou, plutôt, le masc. paries ('sur la paroi'), plus proche.

      124 : cf. Cic. de orat. 3, 199 quidam uenustatis non fuco illitus, sed sanguine diffusus color. multicolor fucus : cf. perist. 9, 10 fucis colorum picta imago martyris ; c. Symm. 2, 44 coloratis... fucis ; Pavl. Nol. carm. 27, 583 fucata coloribus umbra (cf. v. suiv. umbris). Fucus désigne l'orseille, lichen donnant une teinture rouge (cf. Plin. nat. 26, 103), et toute teinture analogue, dont la pourpre (cf. Plin. nat. 22, 3) et le fard (cf. Tib. 1, 8, 11 ; Prop. 2, 18, 31) ; Prudence lui donne ce dernier sens, péjoratif (idée de tromperie) p.ex. en cath. 2, 59 sunt multa fucis illita (mensonges ; cf. v. préc. illitus) ; c. Symm. 2, 43-44 sociique poematis arte, | aucta coloratis auderet ludere (cf. v. 130 luserat) fucis (peintres païens). Il est tentant de voir fucus au figuré, suggérant que la fresque est une fiction (de même, v. suiv. species et liquidis... umbris). Cette interprétation se heurte (-> v. 123-134) au sens littéral et à de fortes affimations contraires (p.ex. v. 127 uidi, optime papa) - les autres données sont probablement exactes (cf. vv. 1-22. 177-182. 231-238). digerit omne nefas : pour Poinsotte (1982, p. 45-46), cette fin de v. semble inspirée de Carm. ad senat. 76 (digerit omnia tempus), qui reprend Verg. Æn. 2, 81 (digerit omina Calchas). Le peintre distribue et ordonne les épisodes de la passion, avec un souci d'exhaustivité analogue à celui des fidèles qui rassemblent ses restes épars (v. 147-148) et en désordre (v. 131-132) ; mimétiquement, Prudence fait de même aux vv. 121-122 (->). Contrairement à la picta imago martyris de perist. 9, 10 (portrait), cette freque devait comporter plusieurs tableaux (-> v. 123-134) ; on a des ex. contemporains, à Rome, de ce type de figuration nar-rative (panneau sculpté de la porte de Ste-Sabine avec des miracles du Christ sur plusieurs registres ; fresque des catacombes de la via Latina avec Samson affrontant le lion, représenté vivant et, dessous, mort). omne : exhaustif, le peintre représente tout le sang versé (même idée au v. 144 hunc omnem spongia pressa rapit ; cf. perist. 10, 1121-1130). Le peintre a presque un rôle d'archiviste (cf. digerit et peut-être notas au v. 128 [->]). De même, ce qui frappe Prudence à Imola est la fresque représentant minutieusement toutes les plaies de s. Cassien (perist. 9, 11-12). nefas : sur ce terme, qui reprend sceleris, -> 5, 394.

      125 : picta... species : cf. perist. 9, 10 picta imago martyris. Comme exemplar (v. 123), species peut désigner la copie (ici), le modèle (p.ex. perist. 4, 91), ou encore signifier 'fantôme', 'vaines apparences' (cath. 6, 56 ; cf. Lvcr. 1, 125 ; Hor. serm. 2, 3, 208), ce qui pourrait suggérer que la fresque est fictive (-> v. préc.). super tumulum : en perist. 9 aussi, la fresque est située au-dessus du tombeau (tumulus, -> 13, 98), cf. perist. 9, 5. 9-10. liquidis... umbris : liquidus qualifiant souvent la lumière (Lvcr. 5, 281 ; Liv. 22, 6, 9) ou un objet éclatant (cf. perist. 9, 93 liquidis expressa coloribus), cette expression s'apparente à un oxymore (cf. Verg. Æn. 10, 272 liquida nocte), tout comme perspicuo... metallo au v. 193. Il n'est pas question ici d''ombres vaporeuses' (Lavarenne) : le sfumato n'est pas attesté à cette époque et la suite de l'ecphrasis montre plutôt un jeu sur des effets de contrastes (v. 129-130 : juxtaposition du vert et du rouge). Comme en perist. 12, 41, umbra signifie ici 'contraste' ; ce terme technique désigne la mise en valeur d'une figure par un tracé ou un fond obscur (cf. Plin. nat. 35, 29 lumen atque umbras, differentia colorum alterna uice sese excitantes ; cf. ThlL vii2 1483, 14 - 1488, 22, en part. 1486, 80-82) ; cf. Pavl. Nol. carm. 27, 583 fucata coloribus umbra (cf. v. préc. multicolor fucus). Il faut traduire species liquidis uiget umbris par 'l'image tire sa force de l'éclat des ombres' (Fontanier 1986, p. 129 n. 91) ou 'tient sa vigueur de tout l'éclat des ombres' (Fontaine 1986, p. 140). On a un jeu de clairs-obscurs, comme dans les miniatures d'un ms. de Virgile (Roma, b. apost. Vat., Vat. Lat. 3225) où des éléments d'une scène ressortent sur un fond sombre. L'interprétation d'une fresque fictive ferait traduire liquidis... umbris par 'pures apparences' (cf. Cic. off. 3, 69 ueri iuris... umbra et imaginibus utimur) ; liquidus peut aussi qualifier ce qui de l'ordre de la vision mystique (cf. perist. 10, 438 liquidis uidendis aptus est animæ liquor) par opposition à la vision sensible. uiget : l'effet de clair-obscur ne met en lumière que l'essentiel et lui donne un surcroît de vigueur expressive.

      126 : effigians : attesté tardivement (Apvl. met. 11, 11 ; Min. Fel. 3, 1), ce verbe formé sur effigies se retrouve p.ex. en cath. 10, 4 ; cf. v. 129 imitando effingere. tracti... uiri : sur trahere, -> v. 100 ; sur uir -> v. 11. membra : désignation courante, par synecdoque, du corps du martyr (-> 14, 37), à l'instar d'artus (v. 110) ; au v. 132 il s'agit proprement des membra disjoints du martyr. cruenta : cf. perist. 3, 144 membraque picta cruore nouo. Prudence insiste sur le sang versé par les martyrs (-> v. 22) et donc sur l'emploi du rouge par le peintre (-> v. 130).

      
127-128 Rorantes saxorum apices uidi, optime papa,
purpureasque notas uepribus impositas.

Les pointes des pierres, avec leur rosée, je les ai vues, excellent Père, ainsi que les taches pourpres mises sur les buissons.

      127-128 : cf. Verg. Æn. 8, 645 sparsi rorabant sanguine uepres (sur Mettius Fufétius : -> v. 88).

      127 : rorantes saxorum apices : cf. Avson. Mos. 446 ruens per saxa rorantia late (cf. v. 115 per saxa ruunt) ; Ov. Pont. 2, 1, 36 saxaque roratis erubuisse rosis (au figuré). Sur l'image de la rosée, -> v. 142. saxorum apices : reprise de summis... scopulis (v. 121 ; ->). Apex prend le même sens de 'sommet' (Verg. Æn. 4, 246 ; Ov. met. 13, 910) au v. 224 et p.ex. en cath. 7, 136. Avec un jeu de correspondance (-> v. 17), apex désigne la forme des lettres au v. 18 (->). uidi, optime papa : cf. v. 2 uidimus, o Christi Valeriane sacer (->). Prudence ne dit qu'ici avoir vu ce qu'il décrit, sans indiquer d'abord qu'il s'agit d'une peinture (au contraire, perist. 9, 9-10). Le vocatif optime (ironique, à propos du juge, perist. 10, 997 ; ailleurs, à propos de Dieu) s'emploie aussi bien familièrement (cf. Cic. ad Q. fr. 2, 14, 2) qu'officiellement (cf. Sen. dial. 9, 4, 4). Papa, affectueux et respectueux, ne sera réservé à l'évêque de Rome que plus tard.

      128 : cf. vv. 122 rubent frondes ; 130 minio. purpureasque notas : la couleur pourpre du sang (Verg. Æn. 9, 349 ; Hor. carm. 2, 12, 3) symbolise la gloire (-> 2, 275 ; cf. perist. 3, 140 purpura sanguinis ; 5, 339-340 purpurantem... cruorem) - quasi oxymore avec notas (qui évoque la note d'infamie du censeur dans l'album des citoyens). Ce paradoxe est celui de toutes les passions de martyrs, souffrants et bienheureux, condamnés et innocents, soumis et victorieux. Le peintre, tel le censeur, n'oublie aucune nota dans son inventaire des blessures du martyr (-> v. 124 ; cf. aussi v. 147-148). Ici, ces notæ peuvent désigner aussi bien l'objet représenté (sang) que la représentation vue par Prudence (peinture : cf. c. Symm. 2, 42 uariis imitata notis), les secondes permettant au poète d'avoir une vision des premières ; jeu analogue aux vv. 19 inuenio Hippolytum (->) et peut-être 130 minio, ainsi qu'en perist. 9, 10-12 (les blessures vues sur la picta imago martyris sont rapportée à imago et non à martyr). uepribus impositas : les buissons ensanglantés, souvent mentionnés (v. suiv. dumos ; -> v. 120) ; impositas (-> v. 69) suggère que le sang est un objet presque solide, du moins sensible, concret.

      
129-130 Docta manus uirides imitando effingere dumos
luserat et minio russeolam saniem.

Une main experte à représenter les verts halliers, en les imitant, avait aussi produit avec le vermillon l'ornement de la sanie rougeâtre.

      129-130 : la peinture a des coloris variés (cf. v. 124 multicolor fucus) et contrastés, le rouge du sang (minio) tranchant sur le vert des feuillages (uirides), couleurs associées aussi dans une description de l'allégorie de Rome, en c. Symm. 2, 663-664. Cf. perist. 3, 198-200 saxaque cæsa solum uariant, | floribus ut rosulenta putes | prata rubescere multimodis ; 10, 350 discriminatis illitam coloribus (-> v. 125) ; Prudence prise surtout l'opposition entre or et pourpre (-> 2, 275-276).

      129 : docta manus : même début de v. en Anth. 173, 3 (ecphrasis) ; cf. Tib. 1, 8, 12 ; Avian. fab. 24, 5. Le peintre est habile à faire ressortir les couleurs et à représenter la réalité : de docta dépend imitando effingere dumos ; de même, psych. 364 pollice docto ; sur manus, -> 5, 69. imitando effingere : cf. Cic. Tim. 8 imitata et efficta simulacra. Alors qu'effigiare (v. 126) est rare et récent, effingere est classique dans le sens de 'représenter (en peinture)'. Imitari est aussi utilisé à propos des artistes païens, en c. Symm. 2, 42 uariis imitata notis (cf. v. 128 notæ). dumos : -> v. 120 ; cf. Sen. Phædr. 1094 auferunt dumi comas.

      130 : luserat : ludere, 'orner' (-> 12, 48). minio : comme pour purpureasque notas (v. 128), minium, ambivalent, peut désigner la couleur visible sur la fresque ou la matière première (minium ou vermillon) qui permet de l'obtenir (cf. Verg. ecl. 10, 27 ; Plin. 33, 118). russeolam : ce dérivé de russeus (un rouge foncé) est un hapax dans la littérature latine. saniem : terme désignant toutes sortes d'humeurs (cf. apoth. 760 ; Cels. 5, 26, 20), en part. le sang corrompu (cf. psych. 100 ; Verg. georg. 3, 493), comme le suggère l'épithète russeolam.

      
131-132 Cernere erat, ruptis compagibus, ordine nullo,
membra per incertos sparsa iacere situs.

On pouvait voir, avec les articulations brisées, sans ordre, les membres gisant, épars, dans un terrain vague.

      131-132 : avec ses abl. absolus (ponctués par les coupes du v.), l'hexamètre est 'hâché' ; le pentamètre reproduit par sa mixtura uerborum ce qu'annonce ordine nullo.

      131 : cernere erat : même expression dans l'ecphrasis de Verg. Æn. 8, 676. Esse signifie ici 'être possible, permis' (cf. ham. 82 ardua uisere non est) ; tour poétique influencé par le grec. Sur cernere, -> v. 34 ; cf. v. 45-46 Ianiculum cum iam madidum... | cerneret [persecutor] eluuie sanguinis adfluere. Ici et au v. 127 (uidi), le poète se présente comme un témoin (cf. aussi v. 2 uidimus). ruptis compagibus : cf. Sen. OEd. 593 conpage rupta. La mort détruit l'assemblage du corps (compages : -> 5, 111 ; cf. Cels. 4, 14, 1) ; la mention, parmi les fragments, des articulations (vv. 139 humeros ; 140 genua) souligne cette dislocation. Cf. psych. 725 ruptis Heresis perit horrida membris. Employé à propos du cadavre (-> 5, 448), rumpere est utilisé au v. 117 à propos de la course des chevaux : cuncta obstacula rumpunt. ordine nullo : les fidèles ramèneront l'ordre (cf. aussi v. 124 digerit, à propos du peintre) après avoir récupéré et recensé les restes du martyr, dont la sépulture et le culte seront aussi marqués par l'ordo : cf. vv. 204 longis... ordinibus (pèlerins) ; 219 ordo columnarum geminus (intérieur de la basilique).

      132 : membra : ici, il ne s'agit même pas des membres entiers (cf. vv. 119. 139-140) ; cf. v. 136 uisceribus laceris. per incertos... situs : cf. perist. 3, 46-47 ingreditur pedibus laceris | per loca senta situ et uepribus (inspiré de Verg. Æn. 6, 462). Situs (-> v. 53), péjoratif, désigne la jachère ; incertus qui le qualifie se réfère en fait à l'incertitude de ceux qui iront à la recherche des restes du martyr (v. 135-140) ; l'emploi actif d'incertus ('sur quoi on n'a pas de certitude' ; cf. v. préc. ordine nullo), analogue à celui de cæcus (-> 13, 62), est attesté chez Liv. 27, 37, 5 ; Sall. Iug. 49, 5. sparsa iacere : de même, Avson. 147, 4. Sur iacere, -> v. 11.

      
133-134 Addiderat caros gressu lacrimisque sequentes,
deuia quo fractum semita monstrat iter.

Il avait ajouté les amis, allant à sa suite de leurs pas et de leurs larmes, là où le passage forcé montre le cheminement détourné.

      133-134 : correpondance entre ces amis du martyr et le poète : cf. vv. 18 rerum apices ueterum per monumenta sequor (-> v. 17) ; 35 ; 155-156 uia prona reflexis | ire per anfractus luce latente docet.

      133 : addiderat : la fresque comprend un nouvel épisode, cf. v. 124 ; addere exprime la surabondance du décor, cf. vv. 188 addidit ornando clara talenta operi ; 221 adduntur graciles tecto breuiore recessus. caros : adj. substantivé attesté chez Plavt. Men. 105 ; cf. v. 27 plebis amore suæ multis comitantibus ibat. gressu lacrimisque sequentes : cf. perist. 3, 106-107 te lacrimis labefacta domus | prosequitur. Les abl. gressu (moyen) et lacrimis (manière) sont sur le même plan (zeugma sémantique). lacrimisque : un pathétique plus humain contraste avec l'héroïsme dont il était question jusqu'ici. Ce deuil (-> 13, 96) n'est pas partagé par les fidèles contemplant une fresque qui les remplit d'espérance, purifie leurs passions (catharsis) et les amène à prier (cf. v. 175). Comme le peintre, Prudence conclut en évoquant la dévotion des fidèles (v. 175-230).

      134 : le mauvais chemin du schisme (-> v. 35-36) est comme expié par une peine analogue (-> v. 119) ; les ex-schismatiques en pleurs (v. préc. ; -> v. 20) suivent un chemin pénitentiel et initiatique (-> v. 155-156). deuia... semita : cf. v. 149 auia ; perist. 3, 45 inde per inuia carpit iter ; cath. 8, 35-36 uellus adfixis uepribus per hirtæ | deuia siluæ. L'adj. deuius (cf. Sen. Phædr. 1092 ; Cic. Att. 4, 3, 4 iter deuium) peut prendre un sens moral (apoth. præf. 16 iter sequentes deuium). Semita peut désigner les chemins de la perdition (apoth. præf. 6 reflexas semitas) ou la voie du salut (ham. 793 scopulosaque semita). quo : au v. 101, l'idée de mouvement est anticipée non par quo (ici, idée de but à atteindre), mais par qua (cf. la traversée des chevaux). fractum : évocation des escarpements (cf. v. 118) et des obstacles (cf. v. 115-116) et peut-être des dégâts commis (cf. v. 117) ; allusion possible à l'expression iter frangere, 'forcer le passage' (cf. Ætna 382). monstrat : cf. v. 36 monstrauitque sequi, qua uia dextra uocat (->).

      135-140 : la quête des fragments du corps (ici ; cf. vv. 119-121. 131-132) est distinguée de celle du sang (cf. vv. 122. 141-144), probablement par référence à l'Eucharistie : dans sa passion, le martyr imite le Christ, ses reliques deviennent sacrées. Le récit, retractatio de la Phèdre de Sénèque (-> v. 89-140), insiste sur le fait que tous les restes sont retrouvés et évoque moins un acte privé d'affection qu'une grâce pour les vivants (-> 5, 336).

      
135-136 Mærore adtoniti atque oculis rimantibus ibant
implebantque sinus uisceribus laceris.

Ils allaient, hébétés dans le chagrin et fouillant du regard, et emplissaient leur poitrine des chairs déchirées.

      135 : cf. Sen. Phædr. 1105-1109 (-> v. 89-140). mærore adtoniti : les amis du martyr sont stupéfaits par ce spectacle effroyable, ce qui correspond au désir du juge (cf. v. 83-84 insolitum leti... genus et noua poenæ | inuenta, exemplo quo trepident alii), mais partiellement : comme le montre l'abl. de manière oculis rimantibus, ils restent actifs, insoumis (cf. v. 81-82). oculis rimantibus : de même, Varro Men. 233 ; comme Prudence, les amis du martyr commencent par une exploration visuelle (cf. v. 17 hæc dum lustro oculis ; ->), avant un contact avec les reliques (cf. vv. 178. 193-194). ibant : cf. v. 27 plebis amore suæ multis comitantibus ibat.

      136 : implebantque sinus : cf. Verg. Æn. 10, 819 impleuitque sinum sanguis ; 4, 30 ; Ivvenc. 4, 41. Cf. perist. 3, 194-195 reliquias cineresque sacros | seruat humus ueneranda sinu (inspiré de perist. 11 : cf. Introd. § 143). Le sein des fidèles est comme la première tombe des restes du martyr (cf. v. 183) ; porter des reliques de la sorte (perist. 6, 135 gestare sinu fidele pignus) de façon permanente est condamné (cf. perist. 6, 137-141). La même image est appliquée, inversément, à s. Laurent réconfortant les fidèles (perist. 2, 571) et au bâtiment de l'église recevant les pélerins (v. 229-230 ; -> v. 138). uisceribus laceris : cf. perist. 5, 448 discissa rumpent uiscera ; ham. 580 lacerans pia uiscera ferro ; cf. v. 58 lacerare iecur (->). À l'horreur du démembrement s'ajoute celle de la mutilation des restes (uiscera, au sens propre) du martyr.

      
137-140 Ille caput niueum complectitur ac reuerendam
canitiem molli confouet in gremio ;
hic humeros truncasque manus et brachia et ulnas
et genua et crurum fragmina nuda legit.

Celui-là étreint le chef neigeux et nourrit de la chaleur de son tendre giron la vénérable tête chenue ; celui-ci recueille les épaules, les mains mutilées, les bras et avant-bras, les genoux et les fragments de jambes à nu.

      137-140 : comme aux vv. 65-68 (supplices), après une évocation générale (v. 133-136), 2 ex. (ille... hic), puis tour impersonnel (v. 141-144). Les restes du martyr sont énumérés dans l'ordre a capite ad calcem des traités de médecine : tête (v. 137-138), membres supérieurs (v. 139) et inférieurs (v. 140) ; cf. perist. 2, 149-151 (genu, uel crure... planta) et 9 (-> 9, 47).

      137-138 : allusion possible aux vv. 80-82 ipsum Christicolis esse caput populis : | si foret extinctum propere caput, omnia uulgi | pectora (ici in gremio) Romanis sponte sacranda deis. Ce geste est celui de Thésée recevant la tête de son fils Hippolyte, cf. Sen. Phædr. 1254-1255 (-> v. 89-140).

      137 : caput niueum : la blancheur des cheveux du martyr (cf. v. suiv. canitiem) rappelle son grand âge (-> v. 23) ; cf., à propos de l'allégorie de Rome, c. Symm. 2, 81 crinibus albentem niueis. complectitur : par un parallélisme voulu, le même verbe désigne l'étreinte affectueuse de l'évêque Valérien par Prudence (v. 179-180). Cf. aussi perist. 9, 99 complector tumulum.

      137-138 : reuerendam canitiem : enjambement (mise en évidence) ; cf. v. 109 senis uenerabilis.

      138 : molli confouet in gremio : cf. cath. 10, 125-126 nunc, suscipe, terra, fouendum | gremioque hunc concipe molli ; -> 5, 500). Ces termes évoquent l'attitude de la mère pour le nourisson, cf. Catvll. 64, 88 in molli complexu matris ; Verg. Æn. 8, 388 amplexu molli fouet ; Ov. epist. 17, 56 ; Clavd. 1, 144 ; Avson. 471, 6 gremio cui fouendum ; 15 nidum in gremio fouete suo ; Ambr. hex. 3, 8, 54. Cf. v. 229-230 maternum pandens gremium, quo condat alumnos | ac foueat fetos accumulata sinus (cf. v. 136 sinus) ; cf. perist. 4, 43-44 ferre... gremio iuuabit | membra duorum (cité offrant ses martyrs). molli : epitheton ornans renforçant l'idée d'affection exprimée par confouet ; adj. qualifiant en perist. 5 le réconfort du martyr (-> 5, 365-366). confouet : ce verbe peut signifier aussi bien 'réchauffer' (perist. 10, 864) que 'nourrir' (cf. Apvl. met. 8, 7) ; une allusion à ce dernier sens, filant l'image de l'enfant porté par sa mère, n'est pas exclue ; on a une métaphore plus audacieuse encore en perist. 2, 571-573 (s. Laurent 'allaitant' les fidèles).

      139-140 : énumération polysyndétique (de même, perist. 2, 422-423) avec enjambement.

      139 : Prudence brouille l'ordre a capite ad calcem (-> v. 137-140) en citant les mains entre ses mentions des épaules et des avant-bras. L'emploi systématique du plur. (de même, v. suiv. genua) annonce les vv. 145-150 (la totalité des restes est retrouvée). humeros : la mention de ces articulations (-> v. 131) suit logiquement celle de la tête. truncasque manus : même iunctura (au sing.) chez Sen. epist. 66, 51 (main mutilée), -> v. 136 ; il s'agit en même temps ici d'une amputation (cf. perist. 2, 150 crure trunco). et brachia et ulnas : redondance, les deux termes désignant l'avant-bras (sens technique à retenir, vu le caractère de description anatomique de ce passage) ou plus largement les bras. Comme pour les mains (-> 13, 54), il est plusieurs fois question dans les récits de passion des avant-bras des martyrs, attachés derrière leur dos, avec brachia (surtout ; -> 5, 109) et ulna (cf. perist. 10, 492 ; -> 2, 156).

      140 : sur genu avec crus, -> 2, 149-151. genua : comme au v. préc. (humeros), mention d'une articulation (-> v. 131). crurum fragmina : le martyr avait été fixé par les jambes à l'attelage des chevaux (v. 103 ; ->) ; comme les mains (v. préc. truncasque manus), elles semblent elles-mêmes mutilées (-> v. 136). Prudence utilise plus souvent fragmen que fragmentum (-> 5, 257) ; cf. cath. 10, 127-128 hominis tibi membra sequestro, | generosa et fragmina credo (adresse à la tombe ; les 2 vv. préc. ont des similitudes avec le v. 138, ->). nuda : la nudité est souvent un outrage infligé au martyr, avant le supplice (-> 2, 359-360) ou après sa mort (-> 5, 395). Ici, la mention de la nudité des crura est-elle un indice indirect de la modification du costume (port des braies) ? Plus probablement, indication de l'écorchement des jambes. legit : la mention de ce verbe au sens de 'ramasser' (cf. perist. 6, 131 perfusa mero leguntur ossa) correspond à celle du v. 12 (quorum nomina nulla legas ; 'lire') ; le même jeu de mots est fait avec apices (-> v. 17 ; correspondance entre la recherche menée par Prudence et celle de ces fidèles).

      
141-144 Palliolis etiam bibulæ siccantur harenæ,
ne quis in infecto puluere ros maneat.
Si quis et in sudibus recalenti aspergine sanguis
insidet, hunc omnem spongia pressa rapit.

Avec de petits linges assoiffés, les sables sont également asséchés, de peur que cette rosée ne reste dans la poussière qu'elle a imprégnée. Si du sang, tiédissant quand il fut aspergé, repose aussi sur des épines, l'éponge que l'on presse en emporte la totalité.

      141 : palliolis : comme en perist. 3, 180, ce nom ne désigne pas un vêtement (cf. Qvint. inst. 11, 3, 144), mais est un diminutif de pallium au sens de 'pièce de tissu'. Les fidèles se sont équipés de matériel (cf. v. 144 spongia) qui évoque les brandea servant à recueillir des reliques (-> 5, 341-344). bibulæ... harenæ : même iunctura chez Lvcr. 2, 376 ; Verg. georg. 1, 114 ; Ov. met. 13, 901 ; Clavd. 1, 258. Motif comparable aux vv. 45-46 (en part. 45 Ianiculum... madidum) à propos de Rome durant la persécution, et en perist. 1, 7-9 (harena [-> 5, 507] imprégnée du sang de martyrs). siccantur : cf. perist. 5, 336 siccare cruda uulnera (->).

      142 : ne quis... ros maneat : cf. v. 143-144 si quis... sanguis | insidet. in infecto puluere : plutôt que 'dans la poussière malpropre' (Lavarenne), 'dans la poussière qu'il [le sang] imprègne' : cf. apoth. 765-766 cui tabida glæba | traxit sanguineos infecto umore colores (où Lavarenne fait la même inteprétation) ; Tac. hist. 2, 55, 1 quem locum Galba moriens sanguine infecerat ; Verg. Æn. 5, 413 arma infecta sanguine. Le participe infectus n'est péjoratif que si la matière qui imprègne l'objet qualifié est immonde ; s'il souille les armes des persécuteurs (cf. perist. 14, 36), le sang (et le cadavre : -> 5, 400) des martyrs n'a rien d'impur. puluere : cf. v. préc. harenæ ; nom utilisé aussi au v. 101 (route prise par les chevaux). La poussière évoque des lieux symboliques du martyre : le champ de bataille (cf. psych. 152. 235. 414. 637 ; le martyr-soldat, -> 5, 117) et la carrière (cf. Hor. carm. 1, 1, 3 puluerem Olympicum ; le martyr-athlète, -> 5, 64) ; allusion possible à la piste de l'hippodrome (désignée par puluis chez Mart. 12, 82, 5) ; -> v. 46. ros : le sang (cf. v. 127 rorantes... apices ; perist. 4, 91 sanguinis rore ; 10, 1032). Cf. Verg. Æn. 12, 339 rores sanguineos ; Lvcan. 9, 698 diros... fero de sanguine rores ; Stat. Theb. 5, 590 sanguineis infectans (ici infecto) roribus herbas. Prudence utilise ros pour désigner tout liquide, outre la rosée (cf. c. Symm. 2, 813) : cf. perist. 5, 231 (graisse fondue) ; 8, 13 sacros aut fonte aut sanguine rores ; 10, 849 (poix brûlante).

      143 : sudibus : les buissons épineux, souvent mentionnés (-> v. 120), plutôt que des pointes de rocher (cf. Apvl. met. 7, 17, 3), malgré le v. 127 rorantes saxorum apices ; on contreviendrait sinon à l'usus auctoris ; le terme désigne normalement un pieu (Cæs. Gall. 5, 8, 13) ou un épieu (Tib. 1, 10, 65). recalenti : cf. perist. 3, 144-145 membraque picta cruore nouo | fonte cutem recalente lauant. Le préfixe n'exprime pas là l'idée de répétition, mais du 'sens contraire' : en s'écoulant, le sang tiédit, perd sa chaleur (-> 2, 70) au lieu de la transmettre au corps. aspergine : cf. Lvcr. 6, 525 ; Verg. Æn. 3, 534 ; repris p.ex. en perist. 5, 225.

      144 : insidet : comme maneat (v. 142), ce verbe peut dénoter l'occupation permanente d'un lieu (cf. perist. 10, 461), mais le sang tiédi n'a pas pu rester longtemps sur les épines ; insidere peut se rapporter à un bref instant (cf. Verg. Æn. 6, 708 apes floribus insidunt). hunc omnem : hunc reprend sanguis (v. préc.) ; insistance sur le caractère exhaustif de la récupération du sang (-> v. 124). pressa : cf. perist. 4, 138 ungulis... pressis. rapit : -> v. 25 ; cf. les dernières paroles du martyr (v. 110 hi rapiant artus, tu rape, Christe, animam) : le sang recueilli est, selon l'anthropologie biblique, le siège de la vie et de l'âme (cf. v. 183 illas animæ exuuias : les reliques) ; les fidèles semble manifester l'exaucement de la prière du martyr.

      
145-146 Nec iam densa sacro quidquam de corpore silua
obtinet aut plenis fraudat ab exsequiis.

La dense forêt ne garde plus rien du corps saint par-devers elle, elle ne le prive pas d'obsèques complètes.

      145-146 : les amis du martyr recueillent pour l'Église un nouveau trésor (cf. perist. 2, 543-544 quam diues urbanum solum | sacris sepulcris floreat). Leur action symbolique anticipe la résurrection du martyr, sans pour autant lui être nécessaire (cf. apoth. 1074-1079 debet enim mors uicta fidem, ne fraude sepulcri | reddat curtum aliquid, quamuis iam curta uorarit | corpora ; ... | ... reddet quod particulatim | sorbuerat quocumque modo, ne mortuus omnis | non redeat, si quid pleno de corpore desit).

      145 : densa... silua : cf. Cæs. Gall. 3, 29 ; allusion aux obstacles sur lesquels le martyr s'est accroché et a versé son sang, en part. les buissons : vv. 115 per siluas ; 129-130 (-> v. 120). sacro... de corpore : cf. v. 152 sanctos... cineres ; perist. 6, 130-131 de corporibus sacris fauillæ | et perfusa mero leguntur ossa. L'adj. sacer (-> 14, 14) se retrouve au v. 246 sacro... Hippolyto.

      146 : obtinet : verbe repris par fraudat, plus péjoratif. plenis... exsequiis : pour que les obsèques soient complètes (même emploi de plenus en cath. 4, 135), il faut que le corps le soit aussi (cf. vv. 148 corporis integri ; 149-150 toto ex homine ; objet du désir de Thésée à propos de son fils, chez Sen. Phædr. 1278-1279) ; exsequiæ, dont le sens général est 'obsèques' (ici ; perist. 3, 185 ; Cic. Cluent. 201), peut aussi désigner les restes mortels (apoth. 756 ; ditt. 154 ; Evtr. 7, 18, 4). À la différence des Orientaux, les chrétiens de la partie occidentale de l'Empire n'admettaient pas la dispersion des reliques, ni même leur translation. La collecte des restes du martyr est à l'image de la réparation du schisme ; ce fait est comme manifesté aux vv. 227. 241 par l'emploi de plenus à propos du lieu où se rassemblent les fidèles. fraudat ab exsequiis : construction rare (cf. Vvlg. psalm. 77, 30 non sunt fraudati a desiderio suo ; Pass. Theclæ A 13 p. 34, 5 fraudor ego a nuptiis). Ailleurs (p.ex. c. Symm. 2, 913), Prudence utilise fraudare sans préposition (classique).

      
147-150 Cumque recensitis constaret partibus ille
corporis integri qui fuerat numerus,
nec purgata aliquid deberent auia, toto
ex homine extersis frondibus et scopulis,

Une fois que, le recensement des parties ayant été fait, fut complété le nombre qui avait été celui du corps intact, et que les lieux écartés, nettoyés, n'avaient plus aucune dette, les frondaisons et les rochers ayant été essuyés de tout [ce qui restait de] l'homme, ...

      147-148 : recensere et numerus évoquent le travail du censeur, suggéré à propos du peintre par l'emploi de digerit (v. 124) et surtout de notas (v. 128 ; ->).

      147 : cumque : conjonction introduisant 2 propositions circonstancielles (chacune, un distique) dépendant d'eligitur (v. 151). recensitis : au lieu de cette forme (régulière, comme recensis), attestée dans le ms. Mp.c., on a recensetis dans la plupart des mss (de même, apoth. 1000). constaret : cf. c. Symm. 2, 207-208 inani | surgat ut ex cinere, structuraque pristina constet (résurrection de la chair) ; ici, il ne s'agit pas de la structura, mais du seul numerus (cf. Cæs. Gall. 7, 35, 3). Les fidèles honorent le martyr, réparant en partie le crime du juge et préparant même la résurrection. partibus : reprise des 4 mentions de pars des vv. 121-122.

      148 : corporis integri : de même, Cic. Tusc. 2, 54 ; annoncée par plenis... exsequiis (v. 146 ; ->) et reprise par toto | ex homine (v. 149-150), cette expression en anastrophe complète numerus. Qualité propre à l'âme (-> 5, 159), l'integritas redonnée au cadavre rappelle son état antérieur. numerus : les fidèles restaurent l'aspect quantitatif du corps, non sa forme, sa physiologie (cf. vv. 119. 131) ; même limitation dans l'évocation des tombes couvertes de marmora, quæ solum significant numerum (v. 10 ; ->). Ce n'est que par l'inscription du nom (cf. vv. 4. 8) ou d'un texte plus développé (cf. v. 8 epigramma aliquod), comme ce poème, que l'on peut dépasser cette limite, pour obtenir des signata sepulcra (v. 7) au lieu de tacitas... tumbas (v. 10).

      149 : nec... aliquid deberent : cf. vv. 143-144 si quis... sanguis | insidet ; 145-146 nec iam... quidquam de corpore... | obtinet aut... fraudat. Lié à la cité, l'homme ne peut être 'confisqué' par la nature, même si elle offre une sépulture provisoire (cf. perist. 5, 515-516 altar quietem debitam | præstat beatis ossibus). purgata : purgare ne désigne pas ici l'évacuation d'une souillure (cf. perist. 1, 112 ; 8, 2), mais l'action physique du nettoyage ; cf. v. suiv. extersis. auia : cf. v. 134 deuia... semita ; cath. 5, 40 ; c. Symm. 2, 904 ; Verg. Æn. 2, 736.

      149-150 : toto ex homine : reprise de corporis integri (v. 148 ; -> v. 146) ; le corps (cf. v. 147-148) et aussi le sang (v. 144 hunc omnem) ont été ramenés - d'où peut-être l'emploi de homo.

      150 : extersis frondibus et scopulis : ici comme aux vv. 115 ; 121-122 (->), les règnes minéral et végétal sont associés (cf. parcours des chevaux) ; sur les buissons, -> v. 120.

      
151-152 metando eligitur tumulo locus, ostia linquunt,
Roma placet, sanctos quæ teneat cineres.

... on choisit un lieu pour y fixer le tombeau, on quitte les Bouches [du Tibre], Rome paraît adéquate pour garder les cendres saintes.

      151 : metando... tumulo : dat. de but (de même, vv. 188. 198). L'évocation du travail de l'arpenteur (metando) prolonge l'idée des vv. 147-148 et s'oppose à celle de dispersion dans un espace indéterminé (v. 131-132). Sur tumulus, -> 13, 98. eligitur... locus : même iunctura chez Verg. georg. 4, 296. Après le choix de Rome (v. suiv. Roma placet) viendra celui de la tombe (v. 153-194) ; cf. perist. 1, 5 hic locus dignus tenendis ossibus uisus Deo. ostia : leçon éditée par Bergman, Cunningham et Lavarenne, bien que ce dernier traduise par 'Ostie'. Le nom de l'ancien port de Rome est un fém. sing. (p.ex. Liv. 1, 33, 9), parfois un neutre plur. (p.ex. Liv. 9, 19, 4) ; il vaut mieux considérer ostia comme un nom commun, même si un jeu d'opposition entre Rome (cf. v. suiv.) et Ostie est possible ; Prudence situe les événements au bord de la mer pour correspondre au mythe d'Hippolyte narré par Sénèque ; en outre, il existe à Porto (-> v. 40), le culte d'un Hippolyte nommé dans le Martyrologe hiéronymien. linquunt : mouvement inverse de celui du juge (cf. vv. 41 Roma secesserat ; 47-48 protulerat rabiem Tyrrheni ad litoris oram | quæque loca æquoreus proxima portus habet).

      152 : Roma : -> v. 6. sanctos... cineres : cf. v. 145 sacro... corpore ; perist. 3, 194 reliquias cineresque sacros. Le nom cinis (-> 13, 98) est déjà utilisé, associé à sanctus, au v. 1 innumeros cineres sanctorum Romula in urbe [uidimus]. teneat : verbe indiquant le caractère permanent de la possession des reliques, déniée à la nature (vv. 142 maneat ; 144 insidet ; 146 obtinet ; -> 2, 457).

      153-168 : l'état actuel de la crypte correspond à celui de la restauration au vie s. par le pape Vigile (-> v. 159-168), qui l'a agrandie. L'escalier incurvé (v. 155) a disparu ; après un vestibule carré (v. 158), on traverse effectivement un long couloir revêtu de briques, accès monumental rare (v. 159-160 ; couloir élargi par Vigile pour constituer une 'nef') ; la fin du corridor était éclairée par un lucernaire (vv. 161-162. 165-168). Des chambres latérales (v. 163-164) ont été retrouvées (cf. Bovini 1943, pp. 152-154. 164). De la tombe, il ne reste que les bases de l'autel cubique, en haut de marches séparant une abside de la 'nef' ; la crypte n'a presque rien gardé du décor évoqué ici (sinon des inscriptions et quelques plinthes de porphyre). Cette crypte fut désaffectée vers 760, quand Paul Ier fit transporter les restes du martyr intra muros, pour éviter les profanations des Lombards ; redécouverte à la fin du xixe s. par Marucchi et fouillée par De Rossi (1881 ; 1882), elle fut étudiée par Bertonière (1985).

      
153-154 Haud procul extremo culta ad pomoeria uallo
mersa latebrosis crypta patet foueis.

Non loin de l'extrémité du retranchement, près des espaces cultivés du pomérium, s'ouvre une crypte souterraine aux caveaux mystérieux.

      153 : haud procul : cf. Cvrt. 4, 6, 3 haud procul Scytharum gente ; l'usage de procul seul comme préposition est attesté chez Liv. 3, 22, 4 ; Hor. epod. 2, 1 ; cf. cath. 2, 122. Sur haud, -> 2, 99. extremo... uallo : ste Agnès est aussi ensevelie près des remparts de Rome (perist. 14, 3 conspectu in ipso condita turrium) ; ces martyrs sont 'romains' par leur sépulture (cf. vv. 1. 152 ; perist. 14, 1). Le uallum est la levée de terre ceignant le mur d'Aurélien, ici près de la Porta Tiburtina ; la mention du uallum (plutôt que de tours, de murs) suggère un paysage fait de montées et de descentes, rappelant celui de la passion (cf. v. 118 prona, fragosa petunt, ardua transiliunt). culta ad pomoeria : les tombes devaient se situer hors du pomérium (ad), espace consacré entourant Rome, où bâtiments et cultures étaient interdits ; l'épithète culta, curieuse, évoque peut-être un terrain entretenu sommairement (et non des incertos... situs, v. 132).

      154 : mersa... crypta : expression redondante ; cf. vv. 160 per specus ; 162 antra ; 165 excisi subter caua uiscera montis ; 167 per subterranea ; 169 talibus... opertis ; 213 angustum... specus. Crypta est attesté au sens de 'souterrain' p.ex. chez Varro Men. 536 ; Svet. Cal. 58, 1. Mersus est aussi utilisé à propos d'un souterrain en perist. 5, 243. latebrosis... foueis : abl. de qualité ; latebrosus évoque les recoins secrets de ce souterrain (vv. 156 per anfractus ; 163 ancipites... hinc inde recessus) et sa relative obscurité (vv. 156 luce latente ; 159 nigrescere ; 160 nox obscura loci ; 164 sub umbrosis... porticibus). L'expression confère à cette crypte un aspect inquiétant (cf. v. 160 per specus ambiguum) : fouea peut aussi désigner un piège (cf. psych. 257. 269. 288), voire l'Enfer (cf. c. Symm. 1 præf. 85) et latebrosus se réfère à des périls cachés en psych. 891, au fleuve de l'Enfer en apoth. 750. patet : cf. v. 214 ampla fauce licet pateat. L'ouverture extérieure est mentionnée aux vv. 157-158. Cette crypte est à l'image du christianisme, religion ouverte à tous, mais qui comporte mystères et initiation (-> v. 155) ; cf. psych. 830-831 ; c. Symm. 2, 92-93 Fides, doctissima primum | pandere uestibulum ueræ ad penetralia sectæ.

      
155-158 Huius in occultum gradibus uia prona reflexis
ire per anfractus luce latente docet.
Primas namque fores summo tenus intrat hiatu
illustratque dies limina uestibuli.

Un chemin en pente enseigne comment aller dans ce lieu caché, par des gradins en descente, en passant par des anfractuosités, là où la lumière est cachée. En effet, le jour entre par la porte d'entrée jusqu'à l'ouverture supérieure [de l'escalier] et illumine le seuil du vestibule.

      155-158 : le chemin est analogue à celui, pénitentiel (-> v. 134), des amis du martyr recueillant ses reliques ; l'effroi des lieux (-> v. 154) a un effet cathartique analogue à celui de la fresque, qui reflète le parcours du martyr, alternant zones d'ombre (-> v. 154) et de lumière (-> v. 158). On a les éléments d'une initiation : instruction (v. 156 docet), progression (vv. 155 uia prona ; 159 progressu) par étapes (vv. 155 gradibus ; 157 primas... fores), avec seuil et antichambre (v. 158 limina uestibuli), et illumination finale (vv. 168 cernere fulgorem luminibusque frui ; 184. 188) après la mention, au début, de luce latente (v. 156). Le parcours commence tel une descente aux Enfers (cf. v. 154 latebrosis... foueis ; ->) et aboutit à une tombe-autel (v. 169-174).

      155 : huius in occultum : huius reprend crypta (v. préc.) ; comme occultum est un équivalent du grec crypta, l'expression est quasi synonymique. gradibus... reflexis : non pas un escalier en colimaçon (Lavarenne ; non attesté dans les catacombes romaines), malaisé pour un lieu de pélerinage largement ouvert (cf. v. 214 ampla fauce licet pateat) et ne permettant pas un éclairage a giorno, même indirect (v. suiv. luce latente) du vestibule inférieur ; en outre, cf. les vestiges conservés (quelques marches bien alignées). Si gradibus reflexis reflète uia prona, de même qu'occultum reflète crypta, reflexis évoquerait l'orientation descendante des marches. Tout est inversé par rapport aux basiliques 'normales' (-> v. 163-166) : escalier descendant, menant à un atrium et à un sanctuaire souterrains. Gradus désigne ailleurs des degrés ascendants (-> 14, 61 ; cf. v. 225-226 gradibus sublime tribunal | tollitur, à propos d'une basilique - gradibus à la même place du v.). Autres hypothèses soutenables : référence à une orientation de l'escalier différente par rapport à la voie d'accès extérieure ; expression visant simplement à donner au lieu un aspect mystérieux. uia prona : uia (-> v. 36) désigne aussi l'allée centrale de la basilique, qui conduit au choeur (v. 223) ; prona (cf. v. 118 prona, fragosa petunt : parcours des chevaux) indique que le chemin est descendant et aisé (cf. Tac. Agr. 33 iter pronum ad honores ; cf. vv. 159 progressu facili ; 214). Ce chemin est celui de la foi, route certaine, unique, mais dans une obscurité qui s'atténue (-> v. 158), une fois passés et ignorés les anfractus (v. suiv.). Tous peuvent y accéder (-> v. 154) et parvenir à son terme (v. 175 prompta precantibus ara).

      156 : cf. vv. 33 quæ docui, docuisse piget ; 36-38 monstrauitque sequi, qua uia dextra uocat, | seque ducem recti spretis anfractibus idem | præbuit, erroris qui prius auctor erat. ire... docet : c'est le chemin (uia prona, v. préc.) qui enseigne ; ire (v. 27) et docere (v. 33) sont aussi utilisés à propos du martyr. per anfractus : reprise de latebrosis... foueis (v. 154 ; ->). Prudence fait d'anfractus une métaphore des pièges sur la voie du salut (-> v. 37). luce latente : même iunctura en perist. 5, 308 (lumière cachée) ; ici, indication de l'absence de lumière, qui néanmoins pénètre parfois (-> v. 158 ; cf. v. 166 crebra... lux penetrat) dans le souterrain obscur (-> v. 154), avant une irruption éclatante (vv. 168. 184-188 ; perist. 5, 269-272. 305-308).

      157 : primas... fores : porte extérieure donnant accès à l'escalier ; un édifice devait abriter l'entrée du souterrain. Contrairement au cachot de s. Vincent (-> 5, 305 clausas fores), la crypte est ouverte (-> v. 154). summo tenus hiatu : cf. psych. 692 summo tenus extima tactu ; Verg. Æn. 1, 737 summo tenus attigit ore. L'ouverture supérieure de l'escalier laisse entrer la lumière jusqu'au vestibule et au début du couloir. Tenus (-> 13, 85) suggère un écart entre la porte et le début de l'escalier (où l'éclairage est direct).

      157-158 : intrat... illustratque : le jour (dies) pénètre (intrat) jusqu'au départ de l'escalier, mais éclaire (illustratque) le seuil du vestibule, au bas de cet escalier - nuance, entre éclairage direct (intrat) et indirect (illustratque). On retrouve un paradoxe semblable aux vv. 165-167 crebra terebrato fornice lux penetrat. | sic datur absentis per subterranea solis | cernere fulgorem luminibusque frui.

      158 : illustratque : cf. psych. 830-831 auroræ de parte tribus plaga lucida portis | illustrata patet (cf. v. 154 patet). dies : la lumière du jour (-> 2, 383). Le soleil éclaire le début du parcours par l'ouverture de l'escalier, puis le couloir par de petits lucernaires (v. 161-162) et, par un grand (v. 165-168), la crypte ornée de matériaux réfléchissants (cf. v. 184-188). limina uestibuli : l'entrée du vestibule carré, au bas de l'escalier mentionné au v. 155. Si ce narthex était situé en haut, l'éclairage de son seuil serait une pure évidence ; on aurait un curieux retour en arrière, et une transition maladroite avec la suite (v. 159-160 : mention d'un lieu où la progression est facile malgré l'obscurité - cela convient mal à un escalier). Il est aussi question d'un uestibulum... primis in faucibus (cf. v. 214 fauce) Orci, chez Verg. Æn. 6, 273.

      159-168 : l'éclairage de ces catacombes par des lucernaires est mentionné aux vv. 4-8 d'une épigramme du pape Vigile (de Rossi 1881, p. 60) : huic mundo lucem mittere qua frueris | lux tamen ista tua est quæ nescit funera sed quo | perpetuo crescat nec minuatur habet. | nam nigra nox trinum stupuit per specula lumen | admittuntque nouum concaua saxa diem. Après les destructions des Goths, Vigile fit rétablir le lucernaire (de Rossi 1881, p. 69) évoqué aux vv. 165-168. On a une description analogue à celle de Prudence chez Hier. in Ezech. 12, 40 (passage précédent : -> v. 175) : [cryptæ] quæ, in terrarum rofunde defossæ, ex utraque parte ingredientium per parietes habent corpora sepultorum, et quia obscura sunt omnia, ut propemodum illud propheticum compleatur : 'Descendebant ad infernum uiuentes', et raro desuper lumen admissum, horrorem temperet tenebrarum, et non tam fenestram quam foramen dimissi luminis putes, rursumque pedetemptim inceditur, et cæca nocte circumdatis illud Vergilianum proponitur : 'Horror ubique animo, simul ipsa silentia terrent'.

      
159-162 Inde ubi progressu facili nigrescere uisa est
nox obscura loci per specus ambiguum,
occurrunt celsis immissa foramina tectis,
quæ iaciant claros antra super radios.

De là, une fois qu'en progressant aisément on a cru voir s'assombrir la nuit obscure du lieu, à travers cette caverne incertaine, se présentent des soupirails creusés dans les plafonds élevés, propres à jeter de clairs rayons dans les galeries, par le haut.

      159 : inde : à partir du vestibule. ubi : local et temporel. progressu facili : cf. v. 155 uia prona (->) ; c. Symm. 2, 104-105 facilis Fidei uia prouocat Omnipotentem | credere. La marche en avant (progressus) évoque la progression spirituelle. uisa est : perception ou impression.

      159-160 : nigrescere... nox obscura : -> v. 154 ; cf. Verg. Æn. 11, 184 tenebris nigrescunt omnia circum. Obscurus est un epitheton ornans (cf. Verg. Æn. 2, 420 obscura nocte per umbram) qui indique aussi le résultat de nigrescere (-> 14, 109). Nox s'oppose à dies (v. 158) ; nom pris au sens de 'ténèbres' (cf. Lvcr. 4, 172 ; Verg. Æn. 3, 194) ; cf. perist. 5, 245 æterna nox illic iacet.

      160 : loci : -> v. 48. per specus ambiguum : creusée par l'homme (v. 165 excisi... uiscera montis), la crypte (-> v. 154) est décrite comme une grotte (cf. v. 213 angustum... illud specus) ; specus est souvent utilisé à propos d'un souterrain artificiel ou aménagé (cf. Verg. georg. 3, 376 ; Liv. 39, 13, 13 ; Tac. ann. 12, 57, 3), en part. chez Prudence à propos de la prison de martyrs (-> 5, 238). L'expression utilisée donne un aspect inquiétant au lieu (-> v. 154), dont l'obscurité et les anfractus ou recessus (vv. 156. 163) pourraient bloquer ou égarer le visiteur (-> v. 35-36 ; cf. c. Symm. 2, 847-848 multa ambago uiarum | anfractos dubios habet). specus : nom parfois traité comme un neutre (ici et v. 213 ; Verg. Æn. 7, 568 ; Sil. 13, 425), plus souvent, comme un masc. (perist. 5, 350 ; 6, 28 ; Verg. georg. 3, 376).

      161 : cf. Cvrt. 7, 3, 10 foramine relicto superne lumen admittunt. occurrunt : comme au v. 102 (refugas... uias), l'expression suggère que ce n'est pas l'être animé qui se meut, mais le cadre où il se trouve ; cf. Verg. Æn. 5, 8-9 ut pelagus tenuere rates nec iam amplius ulla | occurrit tellus. celsis ... tectis : cf. Verg. Æn. 7, 342 tecta tyranni celsa petit. Le nom tectum signifie ici 'plafond' (-> v. 219). Celsus qualifie aussi la basilique (v. 217 parietibus celsum sublimibus). immissa : figuré et technique ; cf. Cæs. Gall. 4, 17, 6 insuper trabibus immissis. L'industrie humaine lutte contre les ténèbres du lieu : comme occurrunt et iaciant radios (v. suiv.), immissa peut dénoter l'hostilité dans un contexte guerrier. foramina : cf. perist. 9, 91 ; Cic. Tusc. 1, 47 ; Hor. ars 203.

      162 : iaciant... radios : cf. cath. 5, 144 lucem perspicuo flamma iacit uitro ; les foramina (soupirails) sont vus comme une source de lumière propre. Comme radius peut désigner un dard (cf. Plin. nat. 9, 155) ou un éperon (cf. Plin. nat. 11, 257), l'expression évoque un combat (cf. v. préc.) ; cf. ham. 87-88 oppositus quotiens radiorum spicula nimbus | igne repercusso... spargit ; Lvcr. 1, 147 non radii solis neque lucida tela diei. claros : cf. v. 188 addidit ornando clara talenta operi. antra super : super, qui régit antra, est postposé, suggérant un emploi adverbial (cf. perist. 3, 196 tecta corusca super rutilant). La lumière est projetée dans l'antre, par le haut. Comme specus (-> v. 160), antrum désigne plutôt une caverne naturelle (-> 5, 238).

      
163-166 Quamlibet ancipites texant hinc inde recessus
arta sub umbrosis atria porticibus,
at tamen excisi subter caua uiscera montis
crebra terebrato fornice lux penetrat.

Bien que des recoins propres à faire hésiter ourdissent çà et là d'étroites cours sous des portiques ombreux, cependant, la lumière pénètre largement vers le bas, dans les entrailles profondes de la montagne qu'on a creusée, par la perforation de la voûte.

      163-166 : le souterrain est comparé à une basilique : une nef (la crypte) est précédée d'une cour ouverte sur le ciel (ici éclairée par des lucernaires), entourée de portiques (ici les recessus).

      163 : même tour avec quamlibet suivi d'un adj. en ham. 936 ; c. Symm. 1, 593. Cf. Verg. Æn. 5, 588-589 parietibus textum cæcis iter ancipitemque | mille uiis habuisse dolum. ancipites... recessus : -> v. 154. En perist. 5, 447, recessus (-> 5, 150) désigne des lieux où le corps du martyr risque d'être déchiqueté ; au v. 221, les bas-côtés de la basilique. Ces écarts par rapport à la uia prona de la foi (-> v. 155 ; cf. c. Symm. 2, 849-850 sola errore caret, simplexque uia, nescia flecti | in diuerticulum, biuiis nec pluribus anceps) forment un danger symbolique (cf. psych. 571-572 letum uersatile et anceps | lubricat incertos dubia sub imagine uisus) ; anceps reprend l'idée exprimée par ambiguum (-> v. 160). texant : utilisé à propos de la construction d'un édifice, ce verbe peut désigner la préparation d'un piège (cf. c. Symm. 1, 75 multiplices uariosque dolos texebat). hinc inde : par intermittence (plutôt que 'de toutes parts' : v. 205 ; perist. 2, 438 ; 5, 374 ; 10, 568), et des 2 côtés du chemin ; on trouve le sens 'de part et d'autre' en perist. 2, 358 ; 8, 16 ; hinc... inde séparés désignent 2 aspects d'une action au v. 55 et en perist. 9, 55.

      164 : arta... atria : cette avant-cour correspondrait à l'actuel corridor menant du vestibule à la crypte ; son revêtement de briques, soigné, est assez rare dans les catacombes. umbrosis : cf. Verg. Æn. 8, 241-242 specus et Caci detecta apparuit ingens | regia et umbrosæ penitus patuere cauernæ ; adj. employé en ham. 540 (l'Enfer) ; -> v. 154. porticibus : ce terme pourrait désigner 2 départs de galeries aboutissant chacune à une petite pièce carrée (la suite est obstruée), seuls recessus : l'un à g., peu après le vestibule, et l'autre à l'extrémité opposée du corridor, à dr. Porticus peut désigner toute galerie couverte : la comparaison est à peine forcée.

      165 : excisi... montis : cf. Cic. Verr. ii 4, 68 ; Verg. Æn. 6, 42 excisum... latus ingens rupis in antrum. Ici, mons est hyperbolique (cf. c. Symm. 1, 583 Vaticano tumulum sub monte) : les seuls reliefs de cette zone de l'ager Veranus sont les retranchements voisins (cf. v. 153) et quelques collines. excisi... caua : cf. Avson. 191, 28 fundunt excisi per caua buxa gradus ; excisus indique qu'il s'agit d'une cavité artificielle. subter : comme super au v. 162, subter, lié à caua uiscera, peut être adv. (-> 5, 225) ou préposition ; l'idée qu'il exprime n'est pas que la lumière pénètre plus bas que les galeries, mais vers le bas. caua uiscera montis : comme recessus (v. 163), uiscera et même cauus (cf. v. 57 ; ->) peuvent être utilisés à propos du corps humain. L'expression uiscera montis se trouve chez Verg. Æn. 3, 575 ; Sil. 5, 396 ; Clavd. rapt. Pros. 1, 177.

      166 : crebra... lux : la lumière s'intensifie (cf. v. 168) ; cf. v. 156 luce latente. terebrato fornice : fornix désigne le plafond voûté de la galerie (cf. perist. 5, 243 mersi fornicis ; ->). Ce lucernaire, distinct des celsis immissa foramina tectis du v. 161, sera restauré par Vigile (-> v. 159-168). penetrat : la lumière pénètre sous terre, mais n'arrive pas directement jusqu'au fond du souterrain ; même nuance entre intrare et illuminare (-> v. 157-158). Si au v. préc. subter est adv., penetrat est transitif ; cf. Verg. georg. 2, 504 penetrant aulas et limina regum.

      
167-168 Sic datur absentis per subterranea solis
cernere fulgorem luminibusque frui.

Ainsi, il est permis à travers ces souterrains de voir l'éclat d'un soleil absent et de jouir de ses lueurs.

      167-168 : ce souterrain où parvient la lueur du soleil se distingue des prisons de perist. 5, 245-246 æterna nox illic latet | expers diurni sideris ; 13, 52 abdicata soli. datur... cernere : -> 13, 27.

      167 : absentis... solis : de même, à propos des lampes allumées le soir, cath. 5, 27 absentemque diem, lux agit æmula. per subterranea : de même, v. 160 per specus (-> v. 154).

      167-168 : solis cernere fulgorem : cf. perist. 5, 269-270 carceralis cæcitas | splendore lucis (cf. v. 166 lux) fulgurat ; 12, 49-50 (église) ut omnis aurulenta | lux esset intus, ceu iubar sub ortu.

      168 : cernere : -> v. 34. luminibusque frui : la lumière, synonyme de vie (præf. 3 dum fruimur sole uolubili ; perist. 5, 239-240 ne liber usus luminis | animaret altum spiritum) et de félicité (perist. 2, 395-396 is ipse complet lumine | iustos ; 4, 59-60 prædiues pietate multa | luce frueris).

      169-194 : la crypte ressemble grosso modo à une basilique, avec une salle oblongue aboutissant à une abside, le choeur étant surélevé (2 marches ; base de l'autel au milieu de la seconde). L'autel (vv. 170-174. 193-194) fut reconstruit à son emplacement après les pillages des Goths, qui ont dû emporter le plaquage de métal précieux (vv. 183-184. 188. 193). La crypte a plus de 20 m de long, mais était de dimensions plus modestes : une partie de la 'nef' était un couloir d'accès à la chapelle. Rien n'a été conservé de la fresque, qui pouvait orner le fond d'un arcosolium ou l'abside (v. 125 picta super tumulum) ; les parois sont blanches, avec quelques traces d'une peinture (Christ nimbé) de l'époque de Vigile et des graffiti des vie et viie s. Des marbres gravés (inscriptions philocaliennes contemporaines de Prudence) ont été réemployés.

      
169-170 Talibus Hippolyti corpus mandatur opertis,
propter ubi apposita est ara dicata Deo.

C'est à de telles retraites qu'est confié le corps d'Hippolyte, à un endroit devant lequel on a placé un autel consacré à Dieu.

      169 : talibus... opertis : le souterrain (-> v. 154) avec son lucernaire (cf. distique préc.). Cf. Verg. Æn. 6, 140 telluris operta ; sur operire, -> 2, 50. Hippolyti : cette mention (-> v. 19) marque la fin d'une longue digression : la précédente (v. 19 inuenio Hippolytum) concernait le moment où le poète arrivait devant l'épitaphe. corpus mandatur : cf. Verg. Æn. 11, 22 inhumataque corpora terræ mandemus ; Val. Max. 2, 7, 15 corpora sepulturæ mandari. Cf. v. 151-152 metando eligitur tumulo locus... | Roma placet, sanctos quæ tenæt cineres. Emploi analogue de mandare en perist. 6, 141-142 mandant restitui cauoque claudi | mixtim marmore puluerem sacrandum.

      170 : l'ædicula (v. 184) abritant la tombe était soit une sorte de baldaquin lié à l'autel, qui ne recouvre pas entièrement la sépulture (disposition analogue sur la tombe de s. Cassien : cf. perist. 9, 99-100), soit un arcosolium peint à fresque et orné d'éléments en métal, contre ou sous lequel est placée la table d'autel. propter : cf. perist. 2, 533 cui propter aduolui licet. apposita est : cf. v. 172 custos fida sui martyris apposita (->) ; de telles répétitions sont assez rares (sauf épanalepse ou polyptote) par rapport à la uariatio synonymique. Apponere, renforcé par propter, dénote peut-être l'idée d''ajout' de l'autel à la tombe primitive. apposita... ara : même iunctura en perist. 13, 80 (->). ara dicata Deo : comme les églises (-> 2, 515-516), les autels sont dédiés avant tout à Dieu, au Christ ; ils sont placés sous l'invocation du martyr en tant que collega crucis (cf. perist. 5, 299), enseveli sous l'autel où s'actualise le sacrifice imité dans le martyre. ara : nom pouvant désigner aussi bien les autels païens que, comme ici et au v. 175, l'autel chrétien (-> 5, 518 ; acception relativement rare, mais attestée).

      
171-174 Illa sacramenti donatrix mensa eademque
custos fida sui martyris apposita
seruat ad æterni spem uindicis ossa sepulcro,
pascit item sanctis Tibricolas dapibus.

Cette table, pourvoyeuse du sacrement et en même temps gardienne fidèle placée devant le martyr qui est sien, conserve les ossements dans une tombe en vue de l'espérance qu'apporte le Juge éternel, et nourrit semblablement les riverains du Tibre de mets sacrés.

      171-174 : le martyre imite la Passion du Christ, l'Eucharistie actualise le sacrifice de la Croix ; l'autel-tombe (promu à Rome par Damase) manifeste ces liens ; cf. perist. 5, 515-520 altar quietem debitam | præstat beatis ossibus ; | subiecta nam sacrario | imamque ad aram condita | cælestis auram muneris | perfusa subter hauriunt (lien entre martyre et baptême : cf. perist. 8 ; 12, 43-44 pastor oues alit ipse illic gelidi rigore fontis, | uidet sitire quas fluenta Christi ; -> v. 74). Ici, lien souligné par eademque et item et par une structure en chiasme : 2 vv. sur l'Eucharistie (idée de distribution : donatrix ; pascit) encadrent 2 vv. sur la conservation des reliques (custos ; seruat).

      171 : illa... mensa : cf. v. préc. ara dicata Deo ; N.T. I Cor. 10, 21 mensæ Domini participes esse ; Avg. serm. 310, 2 mensa Cypriani... quia ibi est immolatus. Comme ara, mensa peut aussi désigner une table sacrificielle, dans un temple (cf. Verg. Æn. 2, 764 ; Plin. nat. 25, 105) ou sur un tombeau (cf. Cic. leg. 2, 66). sacramenti : utilisé au sens de 'sacrement' (cf. Cypr. epist. 74 ad celebranda sacramenta cælestia ; Avg. in euang. Ioh. 26, 2 de sacramento... altaris sacri), ce terme désigne le mystère de la Passion en apoth. 357, celui de la foi révélée en perist. 10, 588. donatrix : seul emploi dans la littérature latine comme adj. (comme substantif : Cod. Iust. 8, 54, 20 ; Alc. Avit. epist. 6). L'autel (mensa sujet de pascit, v. 174) symbolisant le Christ est présenté comme ce qui pourvoit l'Eucharistie. eademque : antéposé, cf. v. suiv.

      172 : custos fida : cf. v. 169 corpus mandatur. Le nom custos désigne aussi le corbeau veillant sur le cadavre du martyr (perist. 5, 420 ; ->) et les voies le long desquelles se trouvent les tombes païennes (c. Symm. 1, 405) ; cf. Damas. carm. 20, 5 tumulo custode. sui martyris : dédié à Dieu (v. 170 ara dicata Deo), l'autel 'possède' le martyr dont il contient les reliques. Sur martyr, -> v. 33. apposita : cf. v. 170 propter ubi apposita est ara dicata Deo ; là purement descriptif, ce verbe a ici une connotation différente (il est souvent utilisé à propos de gardes de faction : cf. Cic. Cæcin. 51) ; cf. apoth. 738-740 [ne] nullo custode (ici custos) iacerent, | bis sex appositi, cumulatim qui bona Christi | seruarent (v. suiv. seruaret) (multiplication des pains).

      173 : cf. perist. 5, 511-512 tumuloque corpus creditum | uitæ reseruat posteræ ; là, l'attente est celle de la résurrection (perist. 5, 569-576), ici, celle du Jugement ; le sens des 2 passions est différent : sauvegarde de l'intégrité du martyr (perist. 5) ; retour à l'Église et à Dieu (ici). seruat... sepulcro : -> 12, 45 ; seruare a pour sujet mensa : l'autel occupe la place principale, sepulcro étant complément de moyen. L'autel est le gardien (custos fida) des reliques. ad æterni spem uindicis : le but et le terme de la conservation du corps est le Jugement dernier (cf. perist. 4, 9-64 ; 10, 1131-1140). Sauvé par son repentir et surtout par son martyre, s. Hippolyte peut espérer (cf. spem) ce jour, où son corps ressuscitera dans la gloire. Si la résurrection répare le crime commis (cf. vv. 123 sceleris ; 124 nefas), ce dernier appelle aussi vengeance (cf. uindicis) ; cf. perist. 5, 186-200, en part. 189-190 romphea nam cælestium | uindex erit uoluminum (punition de celui qui voulait brûler les Livres saints). æterni... uindicis : uindex pouvant aussi bien désigner le défenseur que celui qui tire vengeance en exécutant une peine (uindex scelerum est un titre donné à Auguste en c. Symm. 2, 434), il s'agit ici d'une désignation du Christ-Juge, analogue à perist. 10, 1133 sempiterno iudici ; cf. cath. 7, 134 ira summi uindicis ; apoth. 509 ; dans le même sens, ultor (cath. 9, 108 ; apoth. 409). Vindex est utilisé comme épithète en perist. 2, 391 ; 5, 190 ; 10, 447. 824. Sur l'éternité (cf. æterni), attribut divin, -> 2, 262. ossa sepulcro : de même, Verg. georg. 1, 497 mirabitur ossa sepulcris. Sur ossa, -> 5, 516. Sur sepulcro, -> v. 7.

      174 : pascit... dapibus : cf. cath. 5, 108 pascentes dapibus pectora mysticis ; même image pastorale (ici implicite), à propos du baptême, en perist. 12, 43-44 pastor oues alit ipse illic gelidi rigore fontis, | uidet sitire quas fluenta Christi. item : -> v. 171-174. sanctis... dapibus : l'Eucharistie ; reprise de sacramenti (v. 171) ; cf. cath. 9, 61-62 tu cibus panisque noster, tu perennis suauitas ; | nescit esurire in æuum, qui tuam sumit dapem. Tibricolas : seule occurrence de cet adj. dans la littérature latine ; ce composé est formé avec la syncope de -e- (Tibricola au lieu de *Tibericola) ; ailleurs, Prudence utilise le dérivé sans syncope Tiberina (v. 40 ; perist. 12, 7).

      
175-176 Mira loci pietas et prompta precantibus ara
spes hominum placida prosperitate iuuat.

Admirable est la piété en ce lieu, et l'autel accueillant à ceux qui prient réjouit les espérances des hommes par une faveur indulgente.

      175 : mira loci pietas : la pietas des fidèles et du martyr intecesseur (cf. perist. 4, 59 ; 13, 106 pia dona dat patronus ; 14, 132) ; sur le pèlerinage aux catacombes, cf. Hier. in Ezech. 40, 5, 12 dum essem Romæ puer et liberalibus studiis erudirer, solebam cum ceteris eiusdem ætatis et propositi, diebus Dominicis sepulcra apostolorum et martyrum circumire, crebroque cryptas ingredi (suite : -> v. 159-168). Les mirabilia invitent à l'action : la mira libertas de s. Laurent (perist. 2, 491) suscite des conversions, la fresque de perist. 9 amène Prudence à prier avec ferveur ; ici, il priera aussi et appellera à inscrire la fête du martyr au calendrier (cf. v. 231-238). loci : -> v. 48. prompta... ara : l'autel (ara : cf. v. 170) est promptus car le martyr dont il contient les restes (cf. vv. 172-173. 183) intercède auprès du Christ (cf. v. 181-182). precantibus : cf. perist. 5, 546 uoces precantum supplices ; idée reprise par oraui (v. 178), postulet (v. 182), adorat (v. 189).

      176 : spes hominum : même iunctura en perist. 14, 109. L'espérance peut concerner des réalités temporelles (perist. 9, 4 spes est oborta, prosperum Christum fore) ou les fins dernières (v. 174 ad æterni spem uindicis ; perist. 4, 189-200 ; 13, 13 spem luminis et diem perennem). placida prosperitate : si cette expression est un abl. de moyen, elle désigne un 'bonheur paisible', celui des fidèles ; si c'est un abl. de manière, elle se réfère à la miséricorde du Christ (c. Symm. 2 præf. 28-31 tendit suppliciter manus, | notum subsidium rogat, | ast ille placide adnuens [v. 182 adnuere] | puppi ut desiliat iubet) et à sa grâce (perist. 9, 4 spes est oborta, prosperum Christum fore ; 97 audit... preces martyr prosperrimus omnes). Contrairement à Lavarenne, il faut préférer la seconde interprétation, vu le contexte et le parallèle de perist. 9. iuuat : verbe comportant à la fois l'idée d''aider' (v. 182 quod quis postulet, adnuere) et de 'réjouir' (perist. 2, 563-564 probant Quiritum gaudia | quibus rogatus adnuis).

      
177-178 Hic corruptelis animique et corporis æger
oraui quotiens stratus, opem merui.

En cet endroit, souffrant des maladies de mon âme et de mon corps, tant de fois, j'ai prié, prosterné, j'ai gagné un secours.

      177-178 : on retrouve la prière douloureuse du poète au pied de l'autel en perist. 9, 7-8. 101-102 ; cf. Introd. § 131 n. 67. Kah (1990, p. 312) y voit un élément topique et doute de la sincérité d'un auteur curieux de tout (cf. vv. 14 didicisse ; 17 dum lustro oculis ; 18) ; mais rien ne l'oblige à feindre des souffrances - et ses descriptions répondent à l'intérêt de Valérien.

      177 : corruptelis... æger : parlant de lui, Prudence redira (v. 244) sedulus ægrotam pastor ouem referas. Cette souffrance semble liée à un péché dont il demande la purification ; cf. perist. 14, 126 intende nostris colluuionibus ; 130-131 purgabor, oris propitiabilis | fulgore, nostrum si iecur impleas. L'image de la maladie et du remède se retrouve p.ex. en perist. 2, 579-580 per patronos martyras | potest medelam consequi. corruptelis animique et corporis : cf. perist. 9, 7-8 dum lacrimans mecum reputo mea uulnera et omnes | uitæ labores ac dolorum acumina ; 10, 506-507 quis nescit autem, quanta corruptela sit | contaminatæ carnis ac solubilis ? ; apoth. 816-818. Les martyrs intercèdent pour la guérison des maux de l'âme (cf. perist. 1, 97-111 : exorcisme) et du corps (cf. perist. 1, 112-114. 118-119). Sur animus, -> 2, 210.

      178 : oraui quotiens : de passage à Imola, Prudence n'a pu prier qu'une fois (cf. perist. 9, 3-6. 99-106) ; à Rome, il a pratiqué la dévotion mentionnée aux vv. 189-190. 193-194. Orare est utilisé à propos de la prière des martyrs (perist. 2, 485 ; 6, 116 ; 7, 86), des autres fidèles (ici ; v. 240) ou des païens (perist. 2, 514 ; 10, 423). stratus : cf. perist. 9, 6 stratus humi ; -> 5, 564. opem merui : expression unissant les idées de mérite (merui) et de grâce, de miséricorde (opem). Prudence semble avoir pris part à la fête du martyr ; ce principe proche du do ut des est manifeste aux vv. 235-236 crede salutigeros feret hic uenerantibus ortus, | lucis honoratæ præmia restituens. Mereri est souvent utilisé dans un sens faible (simple rapport logique ; -> 13, 87).

      
179-182 Quod lætor reditu, quod te, uenerande sacerdos,
complecti licitum est, scribo quod hæc eadem,
Hippolyto scio me debere, Deus cui Christus
posse dedit, quod quis postulet, adnuere.

Que je me réjouisse de mon retour, qu'il me soit permis, vénérable prêtre, de t'embrasser, que j'écrive ces mêmes mots, c'est à Hippolyte que je le dois, je le sais, lui à qui le Christ Dieu a donné de pouvoir acquiescer à ce que quelqu'un demande.

      179-180 : 3 propositions relatives en quod dépendant de debere (v. 181) ; cf. Ov. met. 4, 76-77 tibi nos debere fatemur | quod datus est uerbis ad amicas transitus aures. Les éléments cités ici constituent plutôt la conséquence de l'exaucement de sa prière que ce qui en était l'objet. Prudence écrit après son retour de voyage (cf. déjà memini, v. 14). Cf. Introd. § 131 n. 67.

      179 : quod lætor reditu : même motif dans les autres 'poèmes du voyage' (-> 9, 106). Le retour joyeux marque le succès d'un pèlerinage : cf. perist. 1, 14 lætus hinc tersis reuertit supplicator fletibus ; 2, 568 tristis haud ullus redit. Cf. aussi v. 209 lætus (les pèlerins).

      179-180 : quod te... complecti licitum est : le poète témoigne de son affection pour l'évêque de sa cité, évoquant peut-être aussi un retour (v. 179 reditu) à la pleine communion de l'Église, cf. v. 243-244 sic me gramineo remanentem denique campo | sedulus ægrotam pastor ouem referas.

      179 : uenerande sacerdos : Prudence s'adresse à son destinataire, en tant qu'évêque (-> 2, 21) ; cf. v. 2 o Christi Valeriane sacer (->). On a uenerandissime chez Pavl. Nol. epist. 19, 3.

      180 : complecti : verbe désignant la salutation affectueuse, l'étreinte (cf. Cic. Att. 16, 5, 2) ; -> v. 137. licitum est : classique, tout comme licuit (cf. perist. 10, 1098). Cf. perist. 2, 533 cui propter aduolui licet (tombeau de s. Laurent). scribo quod hæc : ce motif d'action de grâces, qui évoque la composition du poème, montrerait, selon Kah (1990, p. 313), la 'Musenfunktion' du martyr, telle qu'elle apparaît au début de perist. 10 (invocation de s. Romain, là où les poètes profanes s'adressent aux Muses). Rien n'oblige de penser que l'inspiration poétique ait été - fictivement ou non - l'objet de la prière de Prudence ; ce passage est proche de la fin de perist. 9 : audior, urbem adeo, dextris successibus utor, | domum reuertor, Cassianum prædico. La célébration du martyr apparaît comme une conséquence de l'exaucement de la prière et perist. 9 et 11 semblent être des offrandes votives (cf. v. 198 quæue celebrando uota coire Deo). scribo : Prudence ne parle pas d'un carmen (-> 2, 35) et ne se présente pas comme un coryphée (cf. perist. 1, 118 ; 4, 193-200), mais comme l'auteur d'une lettre. Sur l'importance de la forme écrite, -> 9, 19. hæc eadem : évocation de l'oeuvre du poète ; cf. perist. 3, 215 carmine propitiata fouet ; cf. aussi les allusions au mètre, en perist. 3, 208-210 ; 4, 161-172.

      181-182 : les fidèles recourent à l'intercession des martyrs (perist. 3, 213-215 ; 6, 82-84 ; 14, 124-133), s'estimant indignes de s'adresser au Christ (perist. 2, 577-580), ou en raison de l'efficacité de la prière des saints (ici ; perist. 1, 11-21) ; motifs coexistant en perist. 5, 557-560.

      181 : Hippolyto : -> v. 19. scio : cf. perist. 2, 577-578 indignus, agnosco et scio, | quem Christus ipse exaudiat. L'exaucement de ses prières a pour Prudence valeur de preuve (cf. perist. 2, 561-564). debere : même s'il parle de mérite au v. 178 (opem merui), le poète se sait débiteur de la grâce du Christ communiquée par le martyr ; ce poème pourrait être un gage de reconnaissance après un voeu (cf. v. 198). Deus... Christus : sur iunctura, -> 5, 297. cui : prosodie ; de même, perist. 4, 4. 23. 41. 179.

      182 : intercession, -> 9, 95. postulet : cf. perist. 2, 565-566 quod quisque supplex postulat | fert impetratum prospere. L'objet de la demande est suggéré aux vv. 177-178. adnuere : -> 2, 564.

      183-188 : hommage discret à un mécène (v. 185 diues manus : Damase), qui par un plaquage d'argent permet que l'autel reflète la lumière pénétrant dans la crypte (v. 165-168). Un arcosolium ou un baldaquin (v. 184 ædicula) recouvre (v. 183 continet intus) l'autel et la tombe contiguë (cf. vv. 170. 172). De ces richesses, pillées par les Goths, il ne reste que ce qu'a pu récupérer le pape Vigile : les reliques, l'emplacement de l'autel, des fragments de l'inscription philocalienne, qui était peut-être gravée sur les tabulæ de marbre lisse citées au v. 185.

      
183-184 Ipsa, illas animæ exuuias quæ continet intus,
ædicula argento fulgurat ex solido.

La chapelle elle-même, qui contient en elle la dépouille de l'âme, resplendit [de l'éclat] de l'argent massif.

      183 : illas animæ exuuias : les reliques ; exuuiæ évoque un vêtement ou une peau qui auraient été ôtés de l'âme - suggéré par les derniers mots du martyr (v. 110 hi rapiant artus, tu rape, Christe, animam), ce dépouillement est provisoire, dans l'attente de la résurrection (cf. perist. 5, 570-571 quin excitatam nobilis | carnem resumat spiritus). Le siège de l'âme est le sang (cf. v. 144), son réceptacle, le corps (cf. perist. 5, 301 caducum uasculum ; ->). continet intus : redondance constrastant avec exuuias ; probable emprunt à Ps.-Pavl. Nol. carm. 32, 39 qui præter titulum nil certi continet intus (cf. Poinsotte 1982, p. 48)

      184 : ædicula : le ciborium (-> v. 183-188). argento... ex solido : à moins que l'on ait ici un emploi apo koinou, ex ne se rapporte pas à la matière de l'ædicula (mais cf. Val. Max. 8, 15 ext. 2 statuam solido ex auro ; Plin. nat. 29, 130), mais à la source de son éclat, et dépend de fulgurat (ex causal : cf. perist. 13, 79). Cf. vv. 188 clara talenta operi ; 193 perspicuo... metallo. Cf. cath. 7, 79-80 micet metalli siue lux argentei | sudum polito prænitens purgamine. fulgurat : l'éclat de l'argent semble répondre à celui de la lumière du soleil dans la crypte (v. 167-168 solis | ... fulgorem). Cf. aussi perist. 5, 270 splendore lucis fulgurat ; ailleurs, on a fulgere (p.ex. perist. 2, 174).

      
185-188 Præfixit tabulas diues manus æquore leui
candentes, recauum quale nitet speculum,
nec Pariis contenta aditus obducere saxis,
addidit ornando clara talenta operi.

Une main opulente a fixé par devant des plaques dont la surface lisse éclate de blan-cheur, à la manière dont brille le creux d'un miroir, et non contente de recouvrir l'accès avec de la pierre de Paros, elle ajouta de brillantes richesses pour orner l'ouvrage.

      185-188 : expression énigmatique (de même, v. 101-102) ; sans parler de marbre, Prudence évoque sa forme (tabulas), joue sur le sens d'æquore, précise sa couleur et son éclat (candentes) avant de donner l'indice Pariis... saxis. Le plaquage de métal précieux est évoqué de manière plus sibylline, puisqu'il faut parvenir au v. 193 (metallo) pour voir que talenta a un double sens.

      185 : præfixit tabulas : plutôt qu'une barrière de choeur, un revêtement de marbre placé en avant de l'autel, lié à la tombe du martyr (cf. v. 187). Cf. v. 9-10 muta... tacitas claudentia tumbas | marmora. diues manus : la main généreuse du donateur s'oppose à celle de l'avare (perist. 2, 241-242 auarus contrahit | manus recuruas) ; sur manus, symbolisant l'action, -> 5, 69. Ce mécène est Damase : crypte et couloir d'accès ont été aménagés sous son pontificat (env. 20 ans avant le voyage de Prudence), et l'inscription philocalienne gravée sur ces tabulæ est son oeuvre ; cf. Introd. § 139 n. 79. Des donateurs sont évoqués aussi au v. 218 (muneribusque opulens) et en perist. 12, 47-48 regia pompa loci est, princeps bonus has sacrauit arces | lusitque magnis ambitum talentis. æquore leui : abl. de qualité dépendant de tabulas ou plutôt abl. de moyen dépendant de candentes ; l'expression semble redondante, mais leuis ('lisse') évoque le poli de la surface plane (æquor) du marbre, qui lui donne un éclat (v. suiv. candentes) comparable à celui d'un miroir (v. suiv. speculum). On peut voir dans l'emploi d'æquor (qui désigne la mer au v. 71) un jeu sur l'équivalence poétique æquor/marmor souvent appliquée à la mer (cf. apoth. 651-653 uideo luctantia magnis | æquora turbinibus tranquillo marmore tendi | imperio Christi), avec une inversion de l'image habituelle ; cet effet typique de l'alexandrinisme se confirme et se prolonge avec la mention d'un miroir concave au v. suiv., qui a - concrètement - la faculté d'inverser les images, et au v. 193 avec perspicuo... metallo (->).

      186 : candentes : sur l'éclat (-> 2, 482) et le grand prix (v. préc. diues) du marbre, cf. aussi perist. 5, 73-74 sumptuosa splendido | delubra crescunt marmore. Candens évoque un blanc lumineux et constitue un indice supplémentaire de l'énigme, tout en filant l'image du v. préc. (il peut qualifier l'écume de la mer, -> 5, 490). recauum... speculum : la comparaison entre une surface plane (æquor) et un miroir concave est étrange ; un tel miroir réfléchit plus inten-sément la lumière, mais l'emploi de recauum semble d'abord lié à des éléments de la description du souterrain : idées de cavité (vv. 161 foramina ; 165 caua uiscera montis ; 166 terebrato) et d'inversion (v. 155 gradibus... reflexis ; inversion de la métaphore æquor/marmor, -> v. préc.), voire de creuset (réunion des reliques [v. 147-152] et convergence des fidèles [vv. 189-192. 195-214]). nitet : cf. perist. 2, 482 tandem nitebunt marmora ; cath. 10, 49-50 candore (cf. ici candentes) nitentia claro | ... lintea (linceul). speculum : les idées de lumière et de miroir, liées, sont rapportées à l'autel ; elles sont appliquées au Christ en cath. 5, 153-154 tu lux uera oculis, lux quoque sensibus ; | intus tu speculum, tu speculum foris.

      187-188 : l'ajout d'or ou d'argent au marbre (plaquage ou appliques) exprime la surabondance de richesse ; nec... contenta annonce addidit. Cf. v. 184 ædicula argento fulgurat ex solido.

      187 : nec... contenta : cf. v. 43-44 non contentus humum... | tinguere iustorum cædibus assiduis. Pariis... saxis : le marbre (de même, saxum chez Cic. Ac. 2, 100). Parius est une épithète d'excellence (Verg. georg. 3, 34 Parii lapides ; Hor. carm. 1, 19, 5 Pario marmore), le marbre de Paros étant des plus réputés ; cf. perist. 12, 51 subdidit et Parias fuluis laquearibus columnas (cf. perist. 12, 48 magnis... talentis et, ici, v. suiv., clara talenta) ; c. Symm. 2, 246 quæ saxa Paros secat. aditus : plutôt que le couloir menant à la crypte, l'accès immédiat à la tombe (sol devant l'autel, où se prosternent les fidèles : v. 178 oraui quotiens stratus ; cf. perist. 3, 193-194. 197 nos pio fletu, date, perluamus, | marmorum sulcos... sterne te ; 9, 99-100). obducere : cf. v. 185 præfixit.

      188 : addere et ornare sont aussi utilisés à propos de vierges consacrées présentées par s. Laurent (perist. 2, 297. 299-300 addo gemmas nobiles... gemmas corusci luminis | ornatur hoc templum quibus). addidit : -> v. 133. ornando... operi : tour assez rare, -> v. 151. Cet opus est le plaquage de marbre. clara talenta : comme en perist. 12, 47 (magnis... talentis : donations pour le décor d'une basilique), allusion à la valeur et au prix (talenta : -> 2, 51) des aménagements. Dans les 2 cas (cf. v. 193 oscula perspicuo figunt impressa metallo ; perist. 12, 49 bracteolas), la suite suggère que ce métal précieux a été utilisé comme matière première, au service de la lumière, ce qu'indique ici clara (cf. aussi v. 162 claros... radios).

      
189-190 Mane salutatum concurritur : omnis adorat
pubis, eunt, redeunt solis adusque obitum.

Le matin, on accourt ensemble pour le salut : toute la jeunesse prie, ils vont, reviennent, jusqu'au coucher du soleil.

      189-190 : ouverture du distique avec mane, conclusion mimétique sur solisque adusque obitum.

      189 : cf. perist. 10, 1048 omnes salutant atque adorant eminus (vénération dont est l'objet le taurobolié). mane salutatum concurritur : cf. Verg. georg. 2, 462 mane salutantum totis uomit ædibus undam ; même emploi absolu de salutare chez Mart. 10, 10, 2 cum tu... mane salutator limina mille teras ; Qvint. inst. 12, 11, 8. Ce salut au saint protecteur reproduit la pratique de la clientèle allant saluer son patronus (cf. l'ex. virgilien ci-dessus ; -> 13, 106) et repartant avec la sportula (cf. Ivv. 1, 95 ; 3, 249), panier contenant argent ou nourriture ; cf. perist. 3, 82 cliens lapidum (satire de l'allégeance des païens aux idoles). concurritur : cf. Cic. Mur. 59 unde ... amici gratulatum Romam concurrerent ; Avg. in euang. Ioh. 13, 8 concurrebatur ad Christum. Ce verbe exprime l'idée d'enthousiasme (cf. perist. 12, 2 cursitant ouantque) et de rassemblement en un lieu (cf. v. 191 conglobat) ; on le retrouve au v. 207 (catalogue des pèlerins). adorat : -> v. 175 ; verbe désignant parfois la prière adressée à un saint (ici ; perist. 14, 86) ou la vénération d'un martyr (perist. 4, 38) ; dans les autres contextes chrétiens, il s'agit de l'adoration réservée à Dieu (p.ex. cath. 11, 81. 83) ou à ses emblèmes (p.ex. apoth. 488. 598).

      190 : pubis : sur la terminaison -is (au lieu de -es), -> 5, 397 ; ici comme en cath. 7, 162, le mètre impose pubis, même si pubes est aussi donné par des mss. Ce nom est accordé avec omnis (v. préc.) ; même iunctura chez Cic. Mil. 61 ; Hor. carm. 2, 8, 17. Pubis désigne au sens propre les jeunes gens en âge de servir (cf. cath. 5, 69 ; c. Symm. 2, 695) et évoque donc le fer de lance de la militia Christi. eunt, redeunt : expression suggérant le va-et-vient des fidèles ; verbes associés chez Cic. Phil. 2, 89 ; Phæd. 2, 8, 12 ; Val. Fl. 1, 725. solis adusque obitum : comme l'éclairage de la crypte est a giorno, le culte s'y déroule de jour. Prudence mentionne aussi la prière nocturne, en perist. 2, 71 nocturnis sacris ; 12, 63 peruigil sacerdos (->).

      
191-192 Conglobat in cuneum Latios simul ac peregrinos
permixtim populos religionis amor.

L'amour religieux sonne le rassemblement des Latins en même temps que des peuples pérégrins qui convergent, pêle-mêle.

      191-192 : l'Église, aux rangs serrés et mêlés, est unie ; cf. vv. 197 studiis certantibus agmina cogi (->) ; 201 confundit plebeia phalanx umbonibus æquis | discrimen procerum ; 203-204 acies... se candida... | explicat et longis ducitur ordinibus ; 212 hæret et in magnis densa cohors spatiis ; 213 tantis... cateruis.

      191 : conglobat in cuneum : la foule converge en masse vers un lieu unique ; cf. Verg. Æn. 12, 457-458 densi cuneis se quisque coactis | agglomerant ; Apvl. met. 4, 26, 22 denso conglobatoque cuneo cubiculum... inuadunt. Comme pubis (v. préc.), lexique militaire : conglobare désigne le rassemblement des troupes en une formation de bataille (Tac. ann. 13, 39, 4 hos in testudinem conglobatos) et cuneus est l'une d'elles, en triangle (Cæs. 6, 40, 2 ; Verg. Æn. 12, 269).

      191-192 : Latios simul ac peregrinos... populos : le culte chrétien unit urbs et orbis, l'humanité (cf. perist. 2, 413-444) ; peregrinus évoque les temps de la République (cf. Liv. 5, 19, 5 peregrina iuuentus, Latini Hernicique... ad id bellum conuenere), tout en prenant le sens récent de 'pèlerin' (cf. Hier. epist. 71, 5) : cf. perist. 1, 8-10 harenas incolæ | confrequentant... | exteri nec non et orbis huc colonus aduenit ; 14, 4-5 seruat salutem uirgo Quiritium | nec non et ipsos protegit aduenas.

      191 : Latios : à côté de cet adj., on a Latinus (c. Symm. 1, 42) et Latiaris (c. Symm. 1, 396). Latios, substantivé ou accordé avec populos, désigne les habitants du Latium, ici en part. ceux de Rome. simul ac : forte conjonction de coordination (de même, cath. 10, 3), sans le sens d''aussitôt que'. peregrinos : les étrangers de passage, voyageurs et pèlerins ; vu l'opposition entre populi peregrini et Latii, évocation probable de l'ancienne distinction entre pérégrins (non citoyens) et citoyens (romains ou de droit latin), caduque depuis l'édit de Caracalla, en 212. La suite du récit a une couleur 'républicaine' : plèbe et patriciat (v. 199-202) ; évocation de peuples conquis au ive s. av. J.-C. (v. 207-208 : allusion aux guerres Samnites).

      192 : permixtim : adv. attesté chez Cic. inu. 1, 49. On a mixtim en perist. 6, 141 ; 10, 848. populos : désignation de la population en même temps que des chrétiens d'un lieu donné (-> v. 5) ; cf. v. 211. religionis amor : religionis peut être compris comme un gén. objectif (l'amour pour la religion, ici l'attachement au culte du martyr) ou peut-être comme un gén. subjectif (l'amour que donne la religion, unificatrice, -> 2, 432). Dans les 2 cas, on est aux antipodes du schisme ; cet amour est surnaturel, et dépasse l'affection que portaient les fidèles de la secte d'Hippolyte pour leur chef (v. 27 plebis amore suæ). Cf. c. Symm. 2, 589-592 concordique iugo retinacula mollia ferre | constituit [Deus], quo corda hominum coniuncta teneret | religionis amor ; nec enim fit copula Christo | digna, nisi implicitas societ mens unica gentes.

      
193-194 Oscula perspicuo figunt impressa metallo,
balsama defundunt, fletibus ora rigant.

Ils impriment des baisers posés sur le clair métal, font couler le baume, baignent leur visage de pleurs.

      193 : retractatio d'un vers d'Ausone (Mos. 235 oscula fulgenti dat non referenda metallo) évoquant une jeune fille embrassant son image dans un miroir ; le plaquage de la tombe est comparé à un miroir brillant (v. 186 recauum quale nitet speculum). Prudence évoque une manifestation de dévotion conservée dans la liturgie latine (baiser du prêtre à l'autel contenant des reliques) ; cf. perist. 2, 519-520 apostolorum et martyrum | exosculantur limina ; 5, 337 sulcos pererrat osculis ; 555-556 quem trementes posteri | exosculamur lectulum ; 9, 99-100 complector tumulum... | altar tepescit ore. oscula... figunt impressa : la redondance souligne le contact entre l'objet vénéré et le fidèle ; cf. perist. 9, 100 altar tepescit ore ; 10, 831-832 nec immorata est fletibus (v. suiv. fletibus), tantum osculum | impressit unum. oscula... figunt : cf. apoth. 598-599 dum rutilos apices submissus adoro, | dum lacrimans ueneror, dumque oscula dulcia figo ; de même, Lvcr. 4, 1179 ; Verg. Æn. 1, 687 ; Lvcan. 2, 114. perspicuo... metallo : comme liquidis... umbris (v. 125), expression étrange proche de l'oxymore ; elle se réfère aux ornements évoqués au v. 188 (->), perspicuus désignant au figuré la clarté du métal comme clara (v. 188) exprimait son éclat ; cf. aussi, sur un plan symbolique, le sens propre de perspicuus ('diaphane', 'transparent' ; cath. 5, 144 lucem perspicuo flamma iacit uitro) : le revêtement de la tombe du martyr n'est pas un obstacle et laisse passer jusqu'aux reliques les gestes de vénération et les prières. Cf. perist. 3, 191-192 marmore perspicuo | atria luminat alma nitor ; selon Lavarenne, perspicuus désignerait là 'l'éclat brillant' de ces marbres - en fait, il s'agit plutôt de fenêtres en albâtre, perspicuus signifiant 'diaphane'. metallo : la mine ou le filon (-> 2, 191) ; à l'époque tardive (p.ex. Clavd. 6, 184), le métal ; ce sens est fréquent chez Prudence (ici et perist. 10, 1085 ; cath. 7, 79 ; 12, 198).

      194 : balsama defundunt : des offrandes de parfums (ici) ou de fleurs (cf. perist. 3, 201-207) sont faites aux morts (cf. cath. 10, 169-172 nos tecta fouebimus ossa | uiolis et fronde frequenti, | titulumque et frigida saxa | liquido spargemus odore), pratique remontant à des usages païens (fête des parentalia), origine de celle bientôt condamnée du refrigerium (repas funéraires). Le poète préfère une offrande spirituelle (cf. perist. 10, 361-362 ex his [vertus] amoenus hostiis surgit uapor, | uincens odorem balsami, turis, croci), comme celle de ses vers, qui sont une prière (cf. perist. 3, 208-215), ou plus encore l'Eucharistie (vv. 171. 174 ; cf. perist. 5, 519-520 cælestis auram muneris | perfusa subter hauriunt ; par opposition, perist. 6, 131 perfusa mero leguntur ossa [pratique condamnée]). L'huile versée sur les reliques (ou recueillie dans les luminaires de leurs tombeaux) permettait d'obtenir des reliques par contact, comme le montre la collection d'oleæ rassemblée pour la reine lombarde Théodolinde, à qui Grégoire le Grand avait refusé de donner des ossements de martyrs (cf. Testini 1980, p. 30-32, fig. 2-3). balsama : ici, le baume (résine odoriférante pouvant servir à la conservation des corps : cf. cath. 10, 49-52 candore nitentia claro | prætendere lintea mos est, | aspersaque myrrha Sabæo | corpus medicamine seruat ; utilisé aussi par les païens, cf. perist. 10, 362) est une offrande ; Prudence en vante l'odeur et le place dans ses évocations du Paradis (cath. 5, 117 ; 11, 76). fletibus ora rigant : cf. Verg. Æn. 6, 669 fletu simul ora rigabat ; 9, 251 uultum lacrimis atque ora rigabat ; Ov. met. 2, 419 fletibus ora rigauit ; 11, 419 ter fletibus ora rigauit. La mention d'une telle émotion sur la tombe des martyrs est fréquente chez Prudence (cf. ci-dessus) ; cf. perist. 1, 13 lætus hinc tersis reuertit supplicator fletibus. Ailleurs, les larmes sont répandues sur le tombeau même : perist. 2, 534 qui fletibus spargit locum ; 4, 193-194 nos pio fletu, date, perluamus | marmorum sulcos ; 9, 99-100 (->).

      
195-198 Iam cum se renouat decursis mensibus annus
natalemque diem passio festa refert,
quanta putas studiis certantibus agmina cogi
quæue celebrando uota coire Deo !

Enfin, quand l'année se renouvelle avec l'écoulement des mois et que la fête de la passion ramène le jour de sa naissance [au ciel], tu peux t'imaginer quelles grandes foules se rassemblent, dans une émulation zélée, et quels voeux se rencontrent pour célébrer Dieu !

      195-198 : célébrer la fête annuelle (cf. v. 234 annua festa) des martyrs est un usage très ancien : cf. Martyr. Polyc. 18 ; Tert. corona 3 oblationes pro defuncto, pro nataliciis annua die fecimus. Du temps de Prudence, ce culte attire les foules ; cf. p.ex. Ambr. hymn. 12, 21-32.

      195 : cf. perist. 10, 575 [solis] recursu lux et annus ducitur ; 12, 5 pleno... innouatus anno ; 21-22 ut teres orbis iter flexi rota percucurrit anni | diemque eundem sol reduxit ortus. se renouat... annus : cf. Ps.-Tib. 3, 7, 113 centum fecundos Titan renouauerit annos ; Avson. carm. 332, 13 dum pater antiqui renouatur Martius anni. decursis : cf. Cic. Quinct. 99 ætate decursa ; au figuré, perist. 5, 289-290 decursa iam satis tibi | poenæ minacis munia. Au v. 238 (dies currat et iste tibi), emploi du verbe simple dans le même sens. mensibus annus : même fin de v. en Verg. georg. 1, 64.

      196 : natalemque diem : de même, cath. 11, 49. La fête du martyr est l'anniversaire de sa naissance (natalis [dies] : cf. Cic. Att. 7, 5, 3) à la vie céleste (cf. perist. 5, 5-8 ; Avg. serm. 350, 9). passio festa : la fête commémore solennellement (perist. 5, 561 solemnem diem) la passion du martyr (sur passio, -> 2, 550), son triomphe (perist. 5, 2 diem triumphalem ; 12, 3) ; cf. v. 234 annua festa. Festus qualifie aussi dies en perist. 1, 120 sit dies hæc festa nobis, sit sacratum gaudium ! ; 12, 3 festus apostolici... dies triumphi. passio : la syllabe finale est abrégée (-> 2, 74). refert : la fête du martyr ramène (refert) et actualise le jour où il est né au ciel (natalemque diem).

      197 : quanta putas... agmina : exclamation proche d'une question rhétorique, comme reprise aux vv. 213 tantis... cateruis ; 215 tanta frequentia. Agmen (utilisé au v. 53 à propos de martyrs [->] ; -> 2, 142) a une connotation militaire (-> v. 191-192) ; cf. v. 212 densa cohors. putas : cf. v. 11-12 quanta uirum iaceant... corpora... | nosse licet, quorum nomina nulla legas ; le poète ne s'adresse pas forcément à son destinataire et il peut s'agir de l'équivalent d'un tour impersonnel. studiis certantibus : cf. vv. 200 ambitione pari ; 202 præcipitante fide ; perist. 4, 54 Cæsaraugusta studiosa Christo. Comme agmina, le certare évoque le combat (cf. perist. 5, 214), ici une émulation : cf. perist. 6, 73 certant officiis pii sodales. cogi : l'idée de rassemblement (cf. perist. 2, 144 cogens in unum et congregans) imprègne tout le catalogue des pèlerins : vv. 200 una ; 201 confundit ; 207 concurrit ; cf. aussi v. suiv. coire ; v. 191-192 (->).

      198 : quæue... uota : l'exclamatif quæ conserve l'idée d'intensité et de multitude (v. préc. quanta... agmina). celebrando... Deo : tour assez rare (-> v. 151). De même que l'autel ad corpus est appelé ara dicata Deo (v. 170), la fête du martyr manifeste le cultus Dei auquel était attaché s. Hippolyte déjà avant son repentir (cf. v. 34). Celebrare signifie en général 'fréquenter en nombre' (cf. perist. 2, 532) et, quand il prend le sens de 'célébrer', a généralement un objet abstrait : fête, rite (perist. 3, 182) ou passion d'un martyr (perist. 2, 33-34 qua uoce, quantis laudibus | celebrabo mortis ordinem) - ici, directement Dieu. uota coire : les prières (peut-être votives ; -> 2, 536) formulées le même jour et dans le même lieu convergent (coire, -> 5, 333) dans l'Eucharistie, désignée par ce terme en perist. 12, 64 duplicatque uota (->). Perist. 11, où Prudence souligne l'exaucement de ses prières (cf. v. 177-182) et promeut le culte de s. Hippolyte (cf. v. 231-238), pourrait être une offrande votive (un des uota) : cf. v. 180-181 scribo quod hæc eadem | Hippolyto scio me debere.

      199-212 : Prudence s'inspire de s. Paulin (carm. 14, 55-78) avec son catalogue des pèlerins venus à Nole pour la fête de s. Félix (cf. Introd. § 11 ; Costanza 1977) ; celui de Prudence a une saveur nettement archaïque (-> v. 191) et évoque le rassemblement des classes sociales et des familles, motifs absents de celui de s. Paulin, plus concret dans la description, avec même des précisions numériques. Prudence utilise des verbes variés, avec une structure progressive : sortie (v. 199 effundit uomitque) des Romains, déploiement et progression des Albains (v. 203-204 Albanis... se... portis | explicat et... ducitur), approche (v. 206 uenit) de populations du Nord et du voisinage, ralliement (v. 207 concurrit) des Samnites, arrivée (v. 208 iamque... adest) des Campaniens. Après cela vient à nouveau une évocation générale du voyage (v. 209-212).

      
199-202 Vrbs augusta suos uomit effunditque Quirites,
una et patricios ambitione pari.
Confundit plebeia phalanx umbonibus æquis
discrimen procerum præcipitante fide.

La Ville auguste déverse les siens, répand les Quirites, ensemble, avec les patriciens, animés d'une ambition égale. La phalange de la plèbe, avec ses boucliers uniformes, brouille la séparation propre aux Grands, dans l'empressement des fidèles.

      199-202 : comme les flots de sang durant la persécution (v. 41-48), la foule se répand hors de Rome. Le martyr unit les chrétiens dans la joie (ici) et dans les tribulations (v. 68) ; cette union de la ville (cf. cath. 7, 143-145 [les Ninivites] cursant per ampla congregatim moenia | plebs et senatus, omnis ætas ciuium, | pallens iuuentus, heiulantes feminæ), s'étend à l'Italie centrale (v. 203-210) ; ailleurs, s'unissent l'humanité (perist. 2, 437-440) et même, au Ciel, élus et anges (-> 5, 373-374). La distinction entre plèbe et patriciat, ou entre pérégrins et Latins (-> v. 191), a les couleurs de l''âge d'or' républicain ; cf. le tableau du début de la République, c. Symm. 2, 419-421 plebeias inde cateruas (ici plebeia phalanx) | collatas patribus (ici patricios) mixtim (v. 192 permixtim) dicionibus æquis (ici umbonibus æquis) | imperitasse diu belloque et pace regendis. Cf. Pavl. Nol. carm. 14, 65-68 ipsaque cælestum sacris procerum monumentis | Roma Petro Pauloque potens rarescere gaudet | huius honore diei porteque ex ore Capenæ | milia profundens ad amicæ moenia Nolæ.

      199 : Vrbs augusta : cf. Avson. Mos. 421 augustæ... moenibus urbis (-> v. 1). suos... Quirites : les Romains (-> 14, 4), le commun des habitants, opposé aux patricii ; même expression en c. Symm. 1, 358. uomit : cf. Verg. georg. 2, 462 [domus] mane salutantum totis uomit ædibus undam (imité au v. 189). effunditque : cf. Verg. Æn. 9, 67-68 qua uia clausos | excutiat Teucros uallo atque effundat in æquum.

      200 : una et : analogue à simul ac (v. 191). Comme à propos de l'unité des fidèles, aux vv. 13 (dans la mort : mole sub una) et 68 (dans l'épreuve : pyra... una), Cunningham fait d'una une épithète de phalanx (v. suiv.), ce qui met patricios et plebeia dans la même phrase. Une telle disposition se heurte à 2 difficultés : confundit (v. suiv.) aurait 2 objets directs (ici patricios ; v. 202 discrimen) ; on aurait un enjambement sur 2 distiques. patricios : l'aristocratie sénatoriale, longtemps restée païenne. ambitione pari : de même, Pavl. Nol. carm. 19, 340 ; ici, idées d'égalité (v. suiv. umbonibus æquis) et de rivalité, d'émulation (v. 197 studiis certantibus ; v. suiv. præcipitante fide). L'ambitio, caractéristique de la classe sénatoriale (-> 2, 492), est une passion décriée (-> 2, 249) quand elle vise à de vains honneurs ; ici, elle ennoblit même la plèbe.

      201 : métaphore militaire (-> v. 191-192) ; cf. Ivv. 2, 45-46 illo | defendit numerus iunctæque umbone phalanges. confundit : idée de mélange (cf. v. 191-192 conglobat... | permixtim), voire de rassemblement (-> v. 197). phalanx : désignation de tout groupe armé (à l'origine, formation serrée d'infanterie, rangée sur plusieurs rangs) ; ici, il s'agit des pèlerins, qui vont à pied. Alors que la plèbe est ennoblie par la bonne ambitio (v. préc.), les patriciens sont ramenés à l'humilité en renonçant, semble-t-il, au char (-> 2, 238) ou à la voiture (cf. c. Symm. 2, 1088-1089). La graphie falanx, donnée par des mss et retenue par Bergman et par Cunningham, semble s'être généralisée à la fin du ive s. (cf. Lavarenne § 94). umbonibus æquis : évocation de formations dont l'efficacité résidait dans la juxtaposition de boucliers uniformes. L'idée n'est pas forcément défensive : la seule autre occurrence d'umbo (psych. 255) le présente comme un moyen d'attaque ; cf. v. préc. ambitione pari ; v. suiv. præcipitante fide.

      202 : discrimen procerum : littéralement 'la séparation des grands', c'est-à-dire les signes extérieurs distinguant les personnages éminents (proceres) du commun - p.ex. les moyens de transport ; de même, à propos des sacrifices païens, c. Symm. 2, 1104 redimunt uitam populi procerumque salutem ; cf. Ov. met. 3, 530 uulgus... proceresque ignota ad sacra feruntur. Cette différence - discrimen évoque aussi l'idée de schisme - n'existe plus dans le christianisme, où les martyrs sont les proceres dans la cité qui les a vus naître (perist. 4, 191-192) : turba, quæ seruat procerum creatrix | purpureorum. præcipitante fide : l'empressement des fidèles (-> v. 197) est le même dans la joie (ici) et durant les persécutions (-> v. 67).

      
203-206 Nec minus Albanis acies se candida portis
explicat et longis ducitur ordinibus,
exsultant fremitus uariarum hinc inde uiarum,
indigena et Picens plebs et Etrusca uenit.

En outre, une blanche armée se déploie aux portes d'Albe et se laisse conduire en longues files ; de ci, de là, sur diverses routes, s'élèvent des frémissements joyeux, l'indigène, le Picentin, ainsi que la plèbe d'Étrurie arrivent.

      203-206 : commençant avec Albe-la-longue, bourg voisin de Rome qui est aussi sa cité-mère (cf. Verg. Æn. 1, 267-277 ; Liv. 1, 3, 3), la liste s'étend au Latium (indigena) et aux régions limitrophes (v. 206) ; cet hommage a une couleur archaïque, comme la suite (-> v. 191).

      203 : nec minus : équivalent d'etiam (-> 13, 100) ; mêmes idées de rivalité et d'égalité au v. 200 ambitione pari (->). Albanis... portis : cf. Pavl. Nol. carm. 14, 67-68 huius honore diei portæque ex ore Capenæ | milia profundens. acies... candida : probable jeu étymologique sur albus ('blanc') ; expression militaire (-> v. 191-192) évoquant les cohortes célestes (-> 5, 373 ; cf. perist. 1, 67 candidatis... cohortibus ; Cypr. laps. 2 adest militum Christi cohors candida). Comme en perist. 12, 56 (Vrbi... togatæ), mention du vêtement des jours de fête (cf. Liv. 27, 34, 12 ; Titin. com. 167 togis cum candidis), qui rappelle la robe baptismale ; -> 13, 86.

      204 : explicat : explicare aciem signifie dans un contexte militaire (-> v. 191-192) 'déployer sa ligne de bataille' (cf. Liv. 7, 23, 6). longis ducitur ordinibus : ordinem ducere peut signifier 'commander une centurie' (cf. Cæs. ciu. 1, 13, 4 ; Liv. 3, 44, 2) ; bien que mêlés (-> v. 201), les rangs des chrétiens ne sont pas en désordre, du moins ici (par contre, cf. v. suiv. exsultant fremitus). Nombreux, les chrétiens d'Albe se déploient (cf. explicat) en longues files (éventuel jeu de mots sur Alba Longa). Cf. perist. 2, 163 longo... ordine (->).

      205 : cf. Pavl. Nol. carm. 14, 69-70 dimittit duodenæ decem per milia denso | agmine ; confertis longe latet Appia turbis. exsultant fremitus : métaphore jouant sur le sens propre d'exsultare ('bondir') ; cf. c. Symm. 2 præf. 57 exsultat, fremit, intonat (éloquence de Symmaque) ; Verg. Æn. 5, 148-150 plausu fremituque uirum... | consonat omne nemus... | pulsati colles clamore resultant. exsultant : la joie des pèlerins ressemble à celle du martyr allant au supplice : cf. v. 26 exsultante anima (->). uariarum... uiarum : expression renforcée par hinc inde (-> v. 163), équivalant à un complément de lieu. On arrive à Rome par toutes les routes (habitants des environs, v. suiv. indigena), spécialement par la via Nomentana (habitants du Picénum, v. suiv. Picens), par l'Aurelia et la Flaminia (Toscans, v. suiv. plebs... Etrusca).

      206 : indigena et Picens : vu la coupe du v., ces termes semblent être des substantifs au sing. collectif (comme au distique suiv.) ; la structure du v. serait curieuse s'ils étaient, comme Etrusca, des épithètes de plebs (Lavarenne) ; il vaut mieux considérer l'hémistiche plebs et Etrusca uenit comme un groupe à part, avec une conjonction postposée. indigena : les habitants du Latium (v. 191-192 par Latios... populos) ; cf. Lvcan. 2, 432 indigenas Latii populos. Picens : le Picénum est une région bordée par l'Adriatique, correspondant aux Marches. plebs : -> 2, 468. Etrusca : cf. c. Symm. 2, 518 miles... Etruscus ; les Toscans sont aussi désignés par Tuscus (p.ex. c. Symm. 1, 57). uenit : ce verbe, dont dépendent indigena, Picens et plebs... Etrusca est accordé avec le sujet le plus proche ; il marque un changement, puisqu'il n'est plus question de départ, mais d'arrivée (-> v. 199-212).

      
207-210 Concurrit Samnitis atrox, habitator et altæ
Campanus Capuæ iamque Nolanus adest ;
quisque sua lætus cum coniuge dulcibus et cum
pigneribus rapidum carpere gestit iter.

Le féroce Samnite les rejoint à la course, ainsi que l'habitant campanien de l'altière Capoue ; maintenant se présente aussi le Nolan ; chacun, joyeux, avec son épouse et sa tendre progéniture, brûle de faire rapidement le voyage.

      207-210 : après les environs de Rome et les régions du Nord (v. 203-206), mention des peuples du Sud, parmi les premiers à avoir été dominés par Rome (trait archaïsant, -> v. 191).

      207 : concurrit : cf. v. 189 mane salutatum concurritur (->) ; Pavl. Nol. carm. 14, 55 Lucani coeunt populi, coit Apula pubes. La marche forcée des Samnites s'oppose à l'allure processionnelle des Albains (v. 203-204). Samnitis atrox : l'épithète atrox a un caractère proverbial, par référence aux guerres de Rome contre les Samnites, au ive s. av. J.-C. (cf. c. Symm. 2, 515-516 num cum Dictæis bellum Corybantibus asper | Samnitis Marsusque leui sudore gerebat ?), peut-être aussi au fait que le 'Samnite' soit un type de gladiateur (cf. Hor. epist. 2, 2, 98 ; Cic. Sest. 134). Le Samnium est une région montagneuse située aux confins du Latium et de la Campanie (cf. Pavl. Nol. carm. 14, 78 oppida Samnites duri montana relinquunt). habitator : nom rare (de même, p.ex. psych. 745) ; cf. Cic. ad Q. fr. 2, 3, 7 ; Lvcan. 1, 27 ; Avson. id. 10, 82.

      207-208 : habitator... altæ Campanus Capuæ : cf. Pavl. Nol. carm. 14, 58-60 bis ter denas Campanias læta per urbes | ceu propriis gaudet festis, quos moenibus amplis | diues habet Capua. Cf. c. Symm. 2, 745-746 illic lasciuum, Campania fertilis, hostem | deliciæ uicere tuæ. Les 2 verbes conjugués du distique (qui compte 3 sujets grammaticaux) étant situés à ses extrémités, il est difficile de déterminer celui dont dépend habitator ; le fait que Campanus Capuæ soit rattaché à ce qui précède par l'enjambement, alors que Nolanus adest en est séparé par iam, ferait lier habitator à concurrit - avec un effet de constraste entre la douceur de vivre suggérée par la Campanie (surtout Capoue) et la rudesse du Samnite ; cela réintroduit le thème de l'union des opposés (cf. v. 199-202, à propos de la société romaine). altæ... Capuæ : Capoue est construite sur une colline (cf. Sil. Pun. 12, 86-87 altæ... Capuæ ; 16, 626 Capua est accitu ab alta) ; altus est aussi une épithète d'excellence ; de même, v. 43 celsæ intra moenia Romæ.

      208 : iamque... adest : conclusion d'une description du voyage, commencée par la sortie de la ville d'origine (-> v. 199-212). Nolanus : abrègement de No-, voyelle longue atone. Cette mention (quasi doublet de Capoue, autre ville campanienne) semble être un discret hommage à s. Paulin, dont un poème à s. Félix a servi de modèle à ces vv. (-> v. 199-212).

      209-210 : le pèlerinage unit les fidèles de tout rang (v. 199-202) et de tout lieu (v. 199-208), et aussi les familles ; cf. perist. 1, 118-119 state nunc, hymnite, matres, pro receptis paruulis ! | coniugum salute læta uox maritarum strepat ! ; 3, 206-207 ; 6, 148-149 circumstet chorum ex utroque sexu : | heros, uirgo, puer, senex, anulla. Dans le tableau de la conversion de Rome (perist. 2, 489-500. 509-528), Prudence évoque aussi des familles (perist. 2, 521-524) et des rangs sociaux variés.

      209 : quisque : ce qui apparaît jusqu'ici comme un mouvement de troupe (-> v. 191-192), général, concerne des individus, avec leur famille. sua... cum coniuge : cf. perist. 1, 118 coniugum salute læta (ici lætus) uox maritarum strepat ! lætus : la joie des fidèles commémorant la passion des martyrs est la même que celle des martyrs et des fidèles assistant à leur épreuve (-> 14, 68) ; cf. Pavl. Nol. carm. 14, 58-59 Campania læta per urbes | ceu propriis gaudet festis.

      209-210 : dulcibus et cum pigneribus : cf. perist. 2, 84 nudare dulces liberos (->) ; 523-524 offerre uotis pignera | clarissimorum liberum. Le nom pignus désigne souvent les descendants (p.ex. cath. 10, 119).

      210 : rapidum... iter : le chemin semble entraîner les pélerins ; de même, v. 155 uia prona. L'épithète rapidum a le sens d'un adv. ; l'idée d'empressement est aussi exprimée par concurrere (vv. 189. 207) et par præcipitante fide (v. 202). Le même enthousiasme se voit chez les martyrs allant à la mort : perist. 6, 100-101 rapidis focos crepantes | intrant passibus ; 13, 83 prosiluere alacres cursu rapido simul trecenti. carpere... iter : cf. Pavl. Nol. carm. 14, 72 aspera montosæ carpuntur strata Latinæ. Cf. perist. 3, 45 inde per inuia carpit iter ; Hor. carm. 2, 7, 11 ; Ov. epist. 17, 34 ; Sen. nat. 7, 8, 2. gestit : verbe reprenant en partie l'idée exprimée par exsultant (v. 205).

      211-218 : avec les conversions en masse et le développement du culte des martyrs, les catacombes sont trop petites ; des basiliques ad corpus accueillent les fidèles lors des solennités. Cf. Pavl. Nol. epist. 13, 11 tantis influere penitus agminibus (cf. v. 197 agmina) in amplissimam gloriosi Petri basilicam per illa uenerabilem regiam cærula eminus fronte ridentem, ut tota et intra basilicam et pro ianuis atrii (cf. v. 227-230) et pro gradibus campi spatia coartentur (cf. v. 211-212).

      
211-214 Vix capiunt patuli populorum gaudia campi
hæret et in magnis densa cohors spatiis.
Angustum tantis illud specus esse cateruis
haud dubium est, ampla fauce licet pateat.

C'est à peine si les plaines qui s'ouvrent peuvent contenir la joie de ces populations, et la dense cohorte se bloque dans ces grands espaces. La caverne dont il a été question est étroite pour de si grands bataillons, à n'en pas douter, bien que son ouverture soit largement béante.

      211-214 : cf. Pavl. Nol. carm. 14, 69-70 dimittit duodenæ decem per milia denso | agmine ; confertis longe latet Appia turbis.

      211 : uix capiunt : même expression chez Cic. Phil. 2, 114 ; Liv. 7, 25, 9. Cf. v. 227 plena laborantes ægre domus accipit undas. patuli... campi : cf. Clavd. rapt. Pros. 1, 221 patulis... campis ; carm. min. 53, 72 ; cf. v. suiv. in magnis... spatiis. Même idée de large ouverture à propos de la crypte (v. 214 ampla fauce licet pateat). populorum : cf. v. 191-192 Latios simul ac peregrinos | ... populos (-> v. 5). gaudia : cf. Pavl. Nol. carm. 14, 58-59 Campania læta per urbes | ceu propriis gaudet festis ; cf. perist. 2, 563 Quiritum gaudia (->) ; 12, 1 coeunt ad gaudia. Ce sont les gaudia, non les populi qui sont présentés comme l'objet direct de capiunt ; l'enthousiasme est aussi réifié au v. 205 exsultant fremitus uariarum hinc inde uiarum.

      212 : hæret : cf. v. 121 pars sentibus hæret (le martyr traîné par les chevaux). in magnis... spatiis : reprise de patuli... campi (v. préc.). densa cohors : cf. Clavd. 8, 88 qui modo tam densas nutu mouere cohortes ; motif implicite avec phalanx (v. 201), repris au v. suiv. par tantis... cateruis (métaphores militaires, -> v. 191-192). Cohortes désigne les armées impériales en perist. 10, 427, les armées angéliques en perist. 1, 67 ; ce nom, qui désigne le 1/10e d'une légion peut être utilisé dans un sens large (p.ex. Svet. Cal. 12, 2 cohors amicorum). Densa évoque les rangs serrés de la foule (Verg. Æn. 2, 511 hostes densi) ; cf. cath. 5, 53 densetur cuneis turba pedestribus.

      213 : angustum : cf. perist. 5, 243-244 saxa mersi fornicis | angusta clausum strangulant ; cf. vv. 164 arta... atria (crypte) ; 228 artaque confertis æstuat in foribus (basilique). tantis... cateruis : reprise de la métaphore militaire densa cohors (v. préc.), écho de celle du v. 197 quanta putas studiis certantibus agmina cogi. Caterua désigne un bataillon et toute sorte de foule (cf. Cic. Tusc. 1, 77 ; Verg. Æn. 11, 496), p.ex. en perist. 2, 179 ; 10, 662. L'idée de grand nombre est reprise au v. 215 par tanta frequentia. specus : cf. v. 160 per specus ambiguum (->) ; -> v. 154.

      214 : haud dubium est : le v. préc. est une proposition infinitive dépendant de cette expression (cf. ham. 452 ; tour attesté chez Liv. 38, 6, 7 ; Plin. epist. 8, 14, 20), introduite comme une incise ; sur haud, -> 2, 99. ampla fauce : même expression en ham. 254 ; elle est proche de l'oxymore, fauces désignant en général un passage resserré (cf. v. préc.) ; il est déjà question de l'entrée du souterrain au v. 157 summo... hiatu. Amplus reprend l'idée exprimée par patuli (v. 211) et s'oppose à angustum. pateat : le souterrain de la crypte est ouvert à tous, -> v. 154. Pateat reprend l'adj. patulus employé au v. 211 patuli... campi. La même idée d'ouverture se retrouve à propos de la basilique (vv. 223 aperit ; 229 pandens).

      215-226 : la description de la basilique (cf. perist. 3, 191-200 ; 12, 47-54) rappelle Verg. Æn. 1, 446-449 hic templum (v. 215 templum) Iunoni ingens Sidonia Dido | condebat, donis opulentum (v. 218 muneribusque opulens) et numine diuæ, | ærea cui gradibus surgebant limina nixæque | ære trabes (v. 220 trabibus), foribus cardo stridebat aënis. Il y a contamination : la fin du v. 219 (laquearia tecti) reprend celle d'Æn. 8, 25, le début du v. 225 (fronte sub aduersa), celui d'Æn. 1, 166.

      
215-218 Stat sed iuxta aliud, quod tanta frequentia templum
tunc adeat, cultu nobile regifico,
parietibus celsum sublimibus atque superba
maiestate potens muneribusque opulens.

Mais à côté se dresse un autre sanctuaire, qu'une si grande affluence peut alors rejoindre ; il est connu par son apparat royal, altier avec ses murs élevés et puissant par la majesté qui y resplendit, riche par les offrandes qu'il reçoit.

      215 : aliud... templum : plutôt qu'un édifice consacré à s. Hippolyte, la grande basilique constantinienne de S.-Laurent, voisine (iuxta). Prudence, qui a assisté à la fête de sts Pierre et Paul (29 juin), a pu être encore à Rome de manière à pouvoir transposer à s. Hippolyte (fêté le 13 août) ce qu'il a observé à propos de s. Laurent (le 10 août, fête bien plus populaire), pour lequel perist. 2 avait déjà été écrit (de même, à propos de perist. 3 et 14 ; cf. Introd. § 106). tanta frequentia : cf. v. 213 tantis... cateruis ; cf. aussi v. 197 quanta putas studiis certantibus agmina cogi (->). Frequentia désigne aussi une foule en perist. 10, 82 ; 14, 40 ; cf. perist. 2, 515 Christi frequentans atria. templum : le bâtiment de l'église (cf. perist. 2, 164) ; comme ecclesia, templum peut aussi désigner l'institution (-> v. 31).

      216 : tunc : le jour de la fête du martyr (v. 195-196 cum se renouat decursis mensibus annus | natalemque diem passio festa refert), la foule emplit la basilique ; le reste de l'année (v. 189-190), on vénère ses reliques dans la crypte. adeat : subj. prés. à valeur potentielle ; de même, p.ex. perist. 10, 855. Au v. 190, on a eunt, redeunt (dévotion quotidienne) ; ici, l'emploi de adire évoque l'idée de voyage (cf. perist. 9, 105 urbem adeo). cultu... regifico : cf. Verg. Æn. 6, 604 epulæ... paratæ regifico luxu ; Clavd. 5, 339-340 densæque capacia turbæ | atria regifico iussit splendere paratu. Cultus désigne normalement le culte rendu à la divinité (-> v. 34) ; ici, il s'agit du luxe et de l'élégance de l'édifice (cf. Sen. dial. 2, 15, 5 ), honneur rendu à Dieu. nobile : épithète de templum, en hyperbate (même iunctura en apoth. 513). Cf. perist. 12, 47 regia pompa loci est.

      217 : parietibus celsum sublimibus : l'élévation caractérise l'extérieur (ici) et l'intérieur (cf. v. 223-224), et même l'aménagement : au v. 225, sublimis qualifie l'ambon (gradibus sublime tribunal [tollitur]) ; cf. aussi, v. 161 celsis... tectis (crypte). parietibus : synizèse de -rie- (-i- considéré comme une semi-consonne). Pares désigne probablement les murs extérieurs.

      217-218 : superba maiestate : cf. vv. 216 cultu... regifico ; 217 parietibus celsum sublimibus. Avec l'aspect grandiose de la basilique et donc sa capacité d'accueillir une foule, Prudence joue sur les registres de l'élévation et du colossal ; la beauté et l'éclat seront évoqués au distique suiv.

      218 : hémistiches parallèles par leur syntaxe et même par leurs sonorités pesantes (début en m-, fin en -ens), qui suggèrent le caractère massif de l'édifice. La symétrie de ce v. annonce de façon mimétique le sujet du v. suiv. (ordo columnarum geminus) ; expression semblable en perist. 3, 8 urbe potens, populis locuples. maiestate potens : expression redondante, l'abl. de cause dénotant une réalité ('dignité', 'majesté') proche de celle qu'évoque potens ('puissance', 'souveraineté'). muneribusque opulens : les munera sont probablement des offrandes votives (cf. perist. 1, 8-9 harenas incolæ | confrequentant obsecrantes, uoce, uotis, munere) ou des marques d'évergétisme (ornements luxueux ; cf. v. 216 cultu nobile regifico) ; il en est aussi question à propos de la crypte (v. 185-188). Opulens, attesté chez Sall. Iug. 69, 3, est plus rare qu'opulentus (cf. perist. 13, 16 ; Verg. Æn. 1, 447 templum... donis opulentum et numine diuæ).

      
219-220 Ordo columnarum geminus laquearia tecti
sustinet auratis suppositus trabibus.

Une double rangée de colonnes soutient les lambris du plafond, elle est placée sous des poutres dorées.

      219-220 : cf. perist. 12, 49. 51-52 bracteolas trabibus subleuit, ... subdidit et Parias fuluis laquearibus columnas, | distinguit illic quas quaternus ordo (S.-Paul). Ici, la basilique a une nef (cf. v. 223-226) flanquée de bas-côtés (cf. v. 221-222), avec de chaque côté une colonnade. Cf. Clavd. carm. min. 31, 42 trabibusque smaragdi supposuit cæsas hyacinthi rupe columnas.

      219 : ordo columnarum : de même, Vitr. 3, 2, 5. ordo : syllabe finale abrégée (-> 2, 74). Sur ordo, -> v. 131. laquearia tecti : de même, Verg. Æn. 8, 25. Tectum désigne le plafond, comme aux vv. 161. 221 ; laquearia signifie à lui seul 'plafond lambrissé'. Ces lambris sont recouverts d'or (v. suiv. auratis... trabibus) ; cf. perist. 3, 196-197 tecta corusca super rutilant | de laquearibus aureolis ; 12, 51 fuluis laquearibus ; c. Symm. 2, 838 regia gemmato laquearia fulua metallo. En cath. 5, 141-142, Prudence parle d'un tel plafond d'une église, auquel sont accrochées des lampes : pendent mobilibus lumina funibus | quæ subfixa micant per laquearia. Sur ces plafonds, cf. Deichmann 1957.

      220 : sustinet... suppositus : la colonnade placée sous les poutres soutient le plafond. Ce qui est vrai architectoniquement - les colonnes sont porteuses - ne l'est pas pour le spectateur, si ce n'est pour les plafonds bas des nefs latérales (v. 221-222) : la nef centrale comporte, au-dessus des colonnes, une architrave et un mur (év. percé de fenêtres) sur lequel reposent les poutres. Cf. perist. 12, 51 subdidit et Parias fuluis laquearibus columnis ; psych. 868 domus interior septem subnixa columnis ; Cic. de orat. 3, 180 columnæ porticus sustinent. auratis... trabibus : même expression chez Verg. Æn. 2, 448 ; Prop. 3, 2, 10-12 ; Sen. Thy. 646 ; cf. perist. 12, 49-50 bracteolas trabibus subleuit, ut omnis aurulenta | lux esset intus ; c. Symm. 2, 455 tectorumque (v. préc. tecti) trabes. Prudence parle souvent de plafonds dorés, utilisant généralement laquearia (-> v. préc.) ; cf. perist. 6, 154 hinc aurata sonent in arce tecta ; psych. 810.

      
221-224 Adduntur graciles tecto breuiorue recessus,
qui laterum seriem iugiter exsinuent.
At medios aperit tractus uia latior alti
culminis exsurgens editiore apice.

Des bas-côtés étroits et moins hauts de plafond s'ajoutent à cela, si bien que s'ouvre de manière continue l'enchaînement des côtés. Par contre, une allée plus large dégage l'es-pace tracé au milieu, qui s'élance avec un sommet, le haut faîte de l'édifice, plus élevé.

      221-222 : non des chapelles latérales (Lavarenne), mais des bas-côtés ajoutés (adduntur) à la nef (qui était simple, dans la crypte). Cf. Avson. 22, 2, 29 p. 410 ; Pavl. Nol. epist. 49, 3.

      221 : adduntur : -> v. 133. graciles... recessus : la légèreté et l'étroitesse (gracilis) des bas-côtés contraste avec l'aspect massif du sanctuaire (cf. v. 218) et avec la largeur de la nef (v. 223 uia latior ; ->). Au v. 163, recessus (-> 5, 150) désigne des anfractuosités sombres, avec une valeur symbolique ici absente. Ce terme évoque le recul pris par rapport à la uia ou au tractus qu'est la nef (v. 223-224), où pénètre la procession, jusqu'au choeur (v. 225-226). breuiorue tecto : même sens de breuis p.ex. chez Ov. trist. 5, 2, 70 ; cf. v. 219 laquearia tecti. La différence de hauteur entre nefs latérales et nef centrale est rappelée au v. 224.

      222 : laterum seriem iugiter : évocation de l'ordo columnarum (v. 219) qui rythme l'espace intérieur et définit une série d'ouvertures donnant sur la nef. Iugiter montre qu'il ne s'agit pas de renfoncements séparés (chapelles latérales), mais d'un espace continu (nef secondaire). Series évoque la même idée de continuité : l'existence d'une uia latior (la nef) suggère celle de uiæ plus étroites sur les côtés. Latus évoque le flanc d'un être vivant, cf. exsinuent ; image explicite aux vv. 229-230 maternum pandens gremium, quo condat alumnos | ac foueat, fetos accumulata sinus. exsinuent : ce verbe (attesté en Anth. 84, 8 ; Pavl. Nol. epist. 49, 3) désigne la largeur ajoutée (cf. v. préc. adduntur) au sinus (v. 230) de l'église. Les formes actives (ici ; v. suiv. aperit) suggèrent la pression de la foule et le caractère accueillant de l'édifice.

      223-224 : la nef centrale est ample (aperit... uia latior) et élevée (alti | culminis exsurgens editiore apice), contrairement (cf. at) aux nefs latérales, étroites (v. 221 graciles) et basses (v. 221 tecto breuiorue) ; on peut circuler dans l'une et les autres (vv. 222 iugiter exsinuent ; 223 aperit tractus). L'espace large accueillant les fidèles peut être opposé au harnachement serré des chevaux tirant le martyr : cf. vv. 98 latus (ici v. 222 laterum seriem) ; 100 trahitur (ici v. 223 tractus).

      223 : medios... tractus : la nef centrale, située entre les 2 recessus (v. 221) des bas-côtés. Tractus désigne l'espace ouvert dans l'église par la uia où s'avance la foule des fidèles (les recessus sont plutôt les lieux où elle se range), et évoque peut-être le supplice du martyr (cf. v. 126 tracti membra cruenta uiri) : les fidèles suivent le tractus subi par s. Hippolyte, origine de la fête célébrée dans le sanctuaire. aperit : ce verbe a les mêmes connotations qu'exsinuent au v. préc. (->) ; l'idée d'ouverture (-> v. 214) est reprise au v. 229 maternum pandens gremium. uia latior : comme le seront les églises de la Contre-Réforme, cette basilique a une nef large, facilitant l'audition du prédicateur (cf. v. 225-226). Via (-> v. 36) évoque la procession d'entrée et suggère que le pélerinage se prolonge jusqu'à l'intérieur de l'église, c'est-à-dire ici jusqu'à l'ambon - lieu qui invite le regard à s'élever vers Dieu (cf. v. 226 prædicat unde Deum).

      223-224 : alti culminis : complément redondant d'editiore apice ; culmen désigne le faîte de l'édifice (face extérieure du toit, cf. c. Symm. 2, 833), alors que tectum (vv. 219. 221) désigne le plafond intérieur. Cf. perist. 10, 349 pulchram, uenustam, præminentem culmine (temple spirituel).

      224 : exsurgens : alors que les bas-côtés semblaient croître en largeur (v. 222 exsinuent), la nef s'élance en hauteur (de même, exsurgere chez Vitr. 2, 6, 1). editiore : cette comparaison implicite avec les bas-côtés (cf. distique préc.) répond à celle du v. 221 tecto breuiorue recessus. Cet adj. est synonyme de celsus (cf. v. 217 parietibus celsum). apice : de même, v. 127 (-> v. 18).

      
225-226 Fronte sub aduersa gradibus sublime tribunal
tollitur, antistes prædicat unde Deum.

En face, par des gradins s'élève une tribune altière, d'où le prêtre prêche Dieu.

      225 : fronte sub aduersa : littéralement, 'au pied de la façade opposée' (du point de vue des pèlerins qui arrivent) ; de même, Verg. Æn. 1, 166. Frons désigne aussi une façade chez Vitr. 1, 5, 3 ; Colvm. 8, 3, 7 ; il est associé à aduersus chez Lvcr. 6, 117 ; Hor. sat. 1, 1, 103.

      225-226 : gradibus... tollitur : l'ambon est surélevé (motif analogue à celui de la hauteur de la basilique, distique préc.), avec des marches, qui s'ajoutent peut-être à celles du choeur (celles de la crypte étaient descendantes, v. 155 gradibus... reflexis). Cf. apoth. 535-536 per inaccessas scalarum gloria turres | tollitur et gradibus luces uia candida summis ; Verg. Æn. 1, 448 aëra cui gradibus surgebant limina ; sublime tribunal tollitur : cf. perist. 10, 697 sublime tollant ; c. Symm. 1, 425 sublimem tollas super aëra uultum. L'adj. sublimis qualifie aussi les murs (v. 217) de l'édifice.

      225 : sublime tribunal : cf. psych. 736-738 conscendunt apicem, mox et sublime tribunal | par sanctum carumque sibi supereminet æquo | iure potestatis (tribune d'où parlent la Concorde et la Foi) ; Clavd. 5, 382 scandat sublime tribunal. La tribune du haut de laquelle siégeait le juge est aussi appelée celsum... tribunal (v. 77 ; dans les 2 cas, fin d'hexamètre) ; cf. aussi v. 32 cathedra Petri (->) ; perist. 2, 500 Christi ad tribunal ; cf. Cypr. epist. 39, 4 pulpitum, id est tribunal ecclesiæ.

      226 : antistes : le prêtre (ou l'évêque) : -> 2, 68. Une étymologie du nom est peut-être évoquée ici : le prêtre se tient en avant des fidèles et se retourne pour leur faire face, fronte sub aduersa (v. préc.). prædicat... Deum : cf. N.T. I Cor. 15, 12 si... Christus prædicatur ; Hier. epist. 112, 10 Christus et Iudæis et gentibus prædicasti. La prédication du prêtre a Dieu pour objet, celle de Prudence, les martyrs : cf. perist. 9, 109 Cassianum prædico (->). On a prædicere ici et en perist. 2, 32 ; ailleurs, prædicare.

      
227-230 Plena laborantes ægre domus accipit undas
artaque confertis æstuat in foribus,
maternum pandens gremium, quo condat alumnos
ac foueat, fetos accumulata sinus.

Pleine, la demeure accueille avec difficulté les flots qui peinent [à avancer] et, étroite, bouillonne de cette foule qui s'entasse aux portes, ouvrant son giron maternel pour y garder ses nourissons et les y blottir, lourde de ceux qui comblent son sein.

      227-230 : les fidèles sont trop nombreux pour entrer dans la crypte et même pour avancer jusque dans la basilique (cf. Delehaye 1933, p. 44) ; cf. aussi s. Paulin de Nole, -> v. 211-218. Le lexique utilisé, avec le motif de l'affection maternelle, se retrouve à propos des funérailles du martyr : vv. 138 canitiem molli confouet in gremio (cf. vv. 229 gremium ; 230 foueat) ; 146 plenis (cf. v. 227 plena) ... ab exequiis.

      227 : cf. Verg. georg. 2, 461-462 si non ingentem foribus (v. suiv. foribus) domus alta superbis | mane salutantum totis uomit ædibus undam (sur cet extrait, -> v. 189 ; domus et undam/-as occupent les mêmes places du v.) ; Clavd. 3, 205-216 ; Ambr. hex. 3, 5, 23. Les difficultés de la foule à avancer (laborantes) sont comme partagées par l'édifice (ægre... accipit) ; cf. déjà v. 211-212 uix capiunt (ici accipit) patuli populorum gaudia campi, | hæret et in magnis densa cohors spatiis. plena... domus : cf. perist. 2, 42 cælestis... domus. L'adj. plenus se retrouve dans un contexte proche au v. 241 sic tibi de pleno lupus excludatur ouili. Cf. perist. 4, 135 plena magnorum domus angelorum (Saragosse). laborantes... undas : de même, Clavd. 17, 319. ægre : cf. vv. 177 corruptelis animique et corporis æger ; 244 ægrotam... ouem (Prudence). accipit : cf. c. Symm. 2, 254-255 hæc domus apta mihi est, hæc me pulcherrima sedes | accipit, æterno cælestique hospite digna (le temple spirituel). undas : cette image, appliquée à la foule, apparaît déjà dans le catalogue des pèlerins (v. 199 Vrbs augusta suos uomit effunditque Quirites), avec une référence aux flots de sang baignant la ville (v. 41-46) et s'étendant hors les murs (v. 47-48) ; ici, les flots des pèlerins de partout refluent vers la capitale. Cf. Tert. apol. 50, 13 semen est sanguis Christianorum !

      228 : artaque : cf. v. 213-214 angustum tantis illud specus esse cateruis | haud dubium est, ampla fauce licet pateat. La porte forme un goulet d'étranglement ; cf. psych. 665-666 uentum erat ad fauces portæ castrensis, ubi artum | liminis introitum bifori dans cardine claustra. La basilique est pleine (plena, v. préc.), alors que l'on tente encore d'y entrer. foribus : fores désigne l'entrée de la basilique (même sens d''accès' au v. 157, à propos de la crypte), non la 'porte' concrète (cf. perist. 5, 305 clausas fores) ; ici, les portes restent ouvertes, cf. v. suiv. pandens gremium. æstuat : l'agitation de la foule était jusqu'ici présentée comme le fait de la joie surtout (cf. vv. 205. 209-211) ; ici, il s'agit du désir d'entrer malgré les difficultés.

      229-230 : même image du giron maternel aux vv. 136-138 implebantque sinus (ici fetos adcumulata sinus) uisceribus laceris. | ille caput niueum complectitur ac reuerendam | canitiem molli confouet (ici foueat) in gremio (ici gremium). Elle est développée à propos du bâtiment de l'église (cf. v. 222 qui laterum seriem iugiter exsinuent [->]), qui est à l'image de l'institution (cf. perist. 2, 159 Ecclesiæ matris) ; cf. Optat. 3, 10 p. 95, 16 Ecclesia catholica omnes filios pacis gremio et sinu suo complectitur. Cette indication est proche de l'inscription qui ornait le linteau de la basilique de S.-Laurent in Damaso, que Prudence a pu lire : cunctis porta patet quis porrigit ubera mater (= Damas. carm. 74).

      229 : maternum... gremium : cf. cath. 12, 103 interque materna ubera ; c. Symm. 1, 254 maternam... aluum. Le nom gremium est repris au v. suiv. par sinus. Le giron de la basilique est ouvert (pandens) tout en étant un refuge (condat... | ac foueat) ; sur gremium appliqué à des édifices, cf. ThlL vi2, c. 2323, 40-55. pandens : cf. v. 223 aperit (-> v. 214). quo : antécédent gremium ; abl. de lieu à nuance instrumentale. alumnos : au sens propre, ce nom désigne les nourissons, et file donc la métaphore du giron maternel ; cf. perist. 2, 570-572 [ceu] tuosque alumnos urbicos | lactante complexus sinu | paterno amore nutrias (s. Laurent intercesseur ; ->).

      230 : foueat : sur ce verbe (qui évoque l'affection maternelle), -> 13, 13. fetos... sinus : cf. vv. 227 plena ; 228 confertis ; image suggérant que la basilique est enceinte (sens propre de fetus) de ses fidèles : ceux qui sont dans l'Église sont ses fils, qui doivent être enfantés à la vie éternelle. accumulata sinus : cf. perist. 3, 194-195 reliquias cineresque sacros | seruat humus ueneranda sinu. Les fils par excellence d'une Église locale, qu'elle garde en son sein jusqu'au Jugement, sont les martyrs : cf. perist. 4, 5-8 plena (v. 227 plena) magnorum domus (v. 227 domus) angelorum | non timet mundi ruinam, | tot sinu (ici sinus) gestans simul offerenda | munera Christo.

      231-238 : cf. la formule conclusive de perist. 9 (Cassianum prædico) : les compositions de Prudence ne sont pas qu'une offrande propitiatoire destinée à aider à son salut (cf. præf. 34-36 et epil. 7-12 ; perist. 3, 208-215), mais visent à faire connaître les canaux habituels de la grâce, en tant que prière et en tant que catéchèse ou prédication. Il serait cependant excessif d'affirmer, comme Cunningham (1963, p. 43-45), que la plupart des pièces du Peristephanon ont été écrites pour la fête des martyrs qu'elles célèbrent.

      
231-234 Si bene commemini, colit hunc pulcherrima Roma
Idibus Augusti mensis, ut ipsa uocat
prisco more diem, quem te quoque, sancte magister,
annua festa inter dinumerare uelim.

Si j'ai bonne mémoire, Rome la très belle honore ce martyr aux Ides du mois d'Auguste, comme elle-même appelle ce jour, à l'antique manière ; je voudrais que toi aussi, maître saint, tu comptes ce jour parmi les fêtes de l'année.

      231-234 : les calendriers anciens mentionnent la fête de s. Hippolyte aux Ides d'août (cf. de Rossi 1882, p. 30). On notait soit le jour de la mort, soit celui, proche, de la depositio du corps dans sa tombe (cf. Delehaye 1933, p. 34) ; cf. Cypr. epist. 12, 2 dies eorum quibus excedunt adnotate, ut commemorationes eorum inter memorias martyrum celebrare possumus. Cf. Introd. § 76.

      231 : si bene commemini : à la différence de memini (v. 14), commemini (cf. Ter. Phorm. 523 ; Ov. fast. 3, 792) laisse entendre l'intérêt du sujet, qui 'se ressouvient'. Cette hypo-thétique de pure forme fait intervenir le narrateur, qui achève son récit sur une rupture. colit hunc pulcherrima Roma : -> v. 1 ; cf. Verg. georg. 2, 534 scilicet et rerum facta est pulcherrima Roma ; Æn. 7, 602-603 nunc maxima rerum | Roma colit (repris aussi en perist. 9, 3 rerum maxima Roma). La même fin de v. (pulcherrima Roma) se trouve aussi dans l'évocation du deuil du præfectus païen décrié dans le Carmen contra paganos (v. 32), en 384 ; Prudence joue peut-être sur le contraste entre cet événement et, 20 ans plus tard, la joie de la Rome chrétienne (cf. Poinsotte 1982, p. 56). Cf. v. 6 cum coleret patrios Troia Roma deos (->) ; prisco more (v. 233) rappelle le passé de Rome, et son revirement est souligné par ipsa (v. 232). Colere peut désigner le culte païen ou le culte rendu à Dieu (cf. v. 34 cultu... Dei) ou aux martyrs (ici ; perist. 3, 5 ; 12, 56. 66). hunc : s. Hippolyte (dernière mention directe au v. 183).

      232 : Idibus Augusti : le 13 août, jour de la fête de s. Hippolyte et aussi de s. Cassien, (célébré en perist. 9). Augusti mensis : expression développée, rappelant l'origine récente du nom de ce mois, pour rendre hommage à un homme (cf. c. Symm. 1, 246 cité ci-après).

      232-233 : ut ipsa uocat prisco more diem : après un catalogue des pèlerins archaïsant (-> v. 199-202), Prudence évoque l'antiquité (voire la caducité) d'un calendrier aux consonnances païennes (Ides) qui consacre un mois à Auguste (empereur estimé, cf. c. Symm. 2, 429-438), fait critiqué en c. Symm. 1, 246-247 posteritas mense atque adytis et flamine et aris | Augustum coluit. Il déplore l'usage de fêter le mois de Janus et les Calendes (cf. c. Symm. 1, 237-241).

      233 : prisco more : la tradition est aussi invoquée par le juge de s. Romain (perist. 10, 401 o fas priorum, moris o prisci status !) ; Prudence a moins de respect pour le passé de Rome que les païens (-> 2, 1). Priscus reste utilisé in bonam partem au v. 31 una fides uigeat, prisco quæ condita Templo est. te quoque : cf. perist. 12, 65-66 tu domum reuersus | diem bifestum sic colas memento. sancte magister : l'évêque Valérien, -> v. 2. Magister, titre donné aussi aux évêques Fructueux (perist. 6, 10) et Cyprien (perist. 13, 2 ; ->), évoque leur rôle d'enseignant et donc de garant de la pureté de la foi face à l'hérésie (cf. v. 33). Ce nom désigne au v. 91 le maître de chevaux domestiques (stabulis blandiue manu palpata magistri) ; l'évêque est aussi pastor (v. 244), l'écurie étant remplacée par la bergerie (v. 241 ouili) ; dans les 2 cas, l'animal domestique a un sort plus enviable que l'animal sauvage, errant (-> v. 91-94).

      234 : annua festa inter : cf. vv. 195-196 cum se renouat decursis mensibus annus | natalemque diem passio festa refert ; 237 inter solemnes. Annuus est attesté dans ce sens de 'qui revient chaque année' chez Cic. nat. 1, 21 ; 2, 49 ; cf. Catvll. 64, 388 annua cum festis uenissent sacra diebus. Sur l'adj. substantivé neutre festa, -> 12, 58. dinumerare : cf. Vet. Lat. act. 1, 26 dinumeratus est cum apostolis ; Isid. orig. 3, 70, 36 Centaurus Chiron... inter astra dinumeratus est. Habituellement, c'est le verbe simple numerare qui est utilisé avec inter dans le sens de 'mettre au nombre de' (p.ex. Cic. Font. 38), non dinumerare qui signifie 'dénombrer' (cf. ham. 36).

      
235-236 Crede, salutigeros feret hic uenerantibus ortus,
lucis honoratæ præmia restituens.

Crois-moi, il apportera des aurores salutaires aux fidèles, distribuant en retour les récompenses de la lumineuse journée qui aura reçu les honneurs.

      235 : crede : cf. perist. 9, 97 audit, crede, preces martyr prosperrimus omnes ; 10, 445. salutigeros : attesté chez Ov. met. 2, 642 ; Apvl. Socr. 6, 133 ; Avson. 332, 26, bien plus rare que salutifer (-> 13, 91), construit selon le même modèle que spiniger (v. 119). hic : le martyr (v. 231 hunc) ; Prudence ne citera le nom de s. Hippolyte qu'à l'extrême fin du poème et le tait dans les vv. qui précèdent. uenerantibus : verbe employé absolument, dont le complément implicite est la fête du martyr (v. suiv. lucis honoratæ) ; cf. perist. 5, 561-562 si rite sollemnem diem | ueneramur ore et pectore. ortus : comme au v. suiv. (lucis), le jour est désigné par une synecdoque (cf. cath. 9, 19-20 o beatus ortus ille, uirgo cum puerpera | edidit nostram salutem !).

      236 : cf. v. 22 lucida (cf. lucis) sanguinei præmia (ici præmia) supplicii (->). lucis honoratæ : le fait d'observer la fête du martyr ; le contraste entre l'effort (emploi du sing.) et la récompense (v. préc. salutigeros ortus, au plur.) souligne l'abondance des grâces reçues. Lux a le même sens dérivé ('journée') en perist. 12, 58 lux in duobus feruet una festis. Honorare reprend l'idée exprimée par uenerantibus (v. préc.) ; cf. Liv. 5, 23, 4 ; Svet. Tib. 26, 1. præmia restituens : cf. v. 178 opem merui (->) ; c. Symm 2, 750-751 his ego pro meritis quæ præmia digna rependam | non habeo. L'analogie des termes de l'échange (v. 235 ortus ; ici lucis) justifie l'emploi de restituere.

      
237-238 Inter sollemnes Cypriani uel Chelidoni
Eulaliæque dies currat et iste tibi.

Que ce jour aussi vienne se placer, pour toi, parmi les solennités de Cyprien ou de Chélidoine ainsi que d'Eulalie !

      237-238 : ces martyrs sont célébrés en perist. 13 (s. Cyprien), 1 et 8 (s. Chélidoine de Calahorra) et 3 (ste Eulalie de Mérida) ; cf. le catalogue de martyrs de perist. 4 : après ceux de Saragosse (perist. 4, 1-8), sujet principal, s. Cyprien est comme ici le premier nommé (perist. 4, 17-18 Afra Carthago tua promet ossa, | ore facundo Cypriane doctor) ; ste Eulalie est évoquée dans une strophe (perist. 4, 37-40 Lusitanorum caput oppidorum | urbs adoratæ cineres puellæ | obuiam Christo rapiens ad aram | porriget ipsam) et s. Chélidoine, en perist. 4, 31-32 nostra gestabit Calagurris ambos | quos ueneramur. inter sollemnes... dies : cf. perist. 5, 561 solemnem diem ; Tert. adu. Marc. 4, 12 ; Avg. serm. 309, 6. Cette expression reprend annua festa inter (v. 234), sollemnis joutant l'idée de solennité et de consécration (cf. Cic. Tusc. 1, 113).

      237 : Cypriani : -> 13, 2. Chelidoni : prosodie (l'accent d'intensité allonge la syllabe -do-) irrégulière par rapport à l'étymologie (nom grec qui désigne l'hirondelle), et p.ex. au nom d'îles chez Prisc. periheg. 126 ; Avien. orb. terr. 184. Prudence ne nomme pas s. Hémétère, associé à s. Chélidoine dans la notice de perist. 4, 31-32 et dans les poèmes consacrés aux martyrs de Calagurris (perist. 1 et 8). Hormis le titre de perist. 1 (hymnus in honorem sanctorum martyrum Emeterii et Chelidonii Calagurritanorum), ce passage donne la seule mention du nom de ce martyr chez Prudence (et donc la plus ancienne absolument).

      238 : Eulaliæque : vierge martyre célébrée (et nommée plusieurs fois) en perist. 3, poème postérieur à perist. 11 (cf. Introd. § 143). currat et iste : cf. v. 234 dinumerare. Currere évoque l'écoulement du temps ; cf. v. 195 cum se renouat decursis mensibus annus. tibi : dat. d'intérêt ; celui qui fixe le calendrier du diocèse (et peut y introduire des fêtes) est l'évêque. Prudence interpellera aussi son destinataire de la sorte aux vv. 239 te... tibi ; 241 tibi (-> 5, 2-3).

      239-246 : les 4 voeux formés par Prudence se réfèrent aux ouailles de l'évêque (v. 239-242) puis aux 2 correspondants (v. 243-246). Ici quadruple, l'anaphore de sic est sextuple en Clavd. carm. min. 50, 3-14, où l'auteur parodie une prière chrétienne (cf. Introd. § 52 n. 136). Il s'agit d'une formule de prière traditionnelle (cf. perist. 5, 569 sic nulla iam restet mora ; cath. 2, 101 sic tota decurrat dies) ; cf. Hor. carm. 1, 3, 1-3 sic te diua potens, Cypri, | sic fratres Helenæ, lucida sidera, | uentorumque regat pater ; Clavd. rapt. Pros. 3, 309-310 sic crine fruaris semper Apollineo, sic me felicior æuum mater agas.

      
239-240 Sic te pro populo, cuius tibi credita uita est,
orantem Christus audiat omnipotens ;

Ainsi, que le Christ tout-puissant t'entende dans tes prières pour le peuple dont la vie t'a été confiée ; ...

      239-240 : le 1er voeu est que l'évêque soit, comme les martyrs, un intercesseur efficace auprès du Christ ; cf. perist. 13, 67-69 (prière de s. Cyprien) da quoque, ne quis iners sit de grege, quem tuum regebam, | ne cadat impatiens poenæ titubetue quis tuorum, | incolumem ut numerum reddam tibi debitumque soluam. L'évêque de Tarragone va plus loin (perist. 6, 84) : cunctis pro populis rogabo Christum. Prudence n'ose s'adresser au Christ que par l'entremise des martyrs (v. 178 ; cf. perist. 2, 577-580).

      239 : contrairement à la communauté schismatique dirigée par Hippolyte (v. 27 plebis... suæ), les ouailles de Valérien sont moins son peuple (malgré tuum... gregem, v. 242) que celui du Christ (cf. perist. 13, 67-69). te... tibi : polyptote (-> 5, 2-3) ; le destinataire est interpellé par tibi (vv. 238. 241) et tuum (v. 242) ainsi que par crede (v. 235), referas (v. 244) et sis (v. 246). populo : -> 13, 71. credita uita est : même motif du troupeau confié à l'évêque en perist. 13, 67-69 (cf. ci-dessus) ; s'ils s'en séparent (-> v. 230), les membres du troupeau (cf. v. 241-244) sont en danger. Cf. aussi perist. 2, 463-464 creditas | æternitatis ianuas ; 561 quæ sit potestas credita.

      240 : cf. Verg. Æn. 4, 219-220 talibus orantem dictis... | audiit omnipotens. orantem : -> v. 178. Christus... omnipotens : même iunctura en cath. 10, 64 ; c. Symm. 1, 564. Cf. perist. 13, 55 omnipotens genitor Christi Deus et creator orbis. Christus : la dernière syllabe du nom, au temps fort du pied et à la césure, est allongée ; de même, perist. 10, 628 ; c. Symm. 1, 92. audiat : comme exaudire, le verbe simple peut signifier 'exaucer' (cf. Cic. Pis. 43 ; Verg. Æn. 4, 220) ; cf. perist. 2, 581-582 audi benignus supplicem | Christi reum Prudentium (->) ; 9, 97 audit, crede, preces martyr prosperrimus omnes ; 105 audior.

      241-245 : image du pasteur veillant sur ses ouailles, dont la source est la parabole de la brebis perdue et retrouvée (N.T. Matth. 18, 12-13 ; Luc. 15, 4-6), en part. pour les vv. 242 et 244, ainsi que, plus généralement, l'image du Bon Pasteur (N.T. Ioh. 10, 1-16 ; cf. V.T. psalm. 22, 1-4). Ces motifs populaires sont illustrés par de nombreuses représentations plastiques ; cf. aussi cath. 3, 156-162. 168-170. Ce passage est proche de cath. 8, 33-34 ille ouem morbo (cf. v. 243 ægrotam) residem gregique | perditam sano ; 37-40 impiger pastor (v. 244 sedulus... pastor) reuocat lupisque (v. 241 lupus) | gestat exclusis (v. 241 excludatur) humeros grauatus, inde purgatam reuehens (v. 244 referas) aprico | reddidit ouili (v. 241 ouili) ; 41 reddit et pratis uiridique campo (v. 243 campo) ; 45-46 reflexa | uernat herbarum coma. L'extrait de cath. 8 destiné à illustrer la fin du jeûne semble rassembler, un peu artificiellement des éléments tirés d'ici, de perist. 12 (-> 12, 31-44) et de la description du martyre d'Hippolyte : cf. cath. 8, 34-36 male dissipantem | uellus adfixis uepribus (v. 128 uepribus) per hirtæ (v. 120 hirtus)| deuia (v. 134 deuia) siluæ (v. 115 siluas) ; 42-43 ubi nulla lappis | spina (v. 120 spinigeris), ... perarmat (cf. Introd. § 193 n. 168).

      
241-242 sic tibi de pleno lupus excludatur ouili
agna nec ulla tuum capta gregem minuat ;

... ainsi, que le loup soit repoussé au dehors de la bergerie comble, et que la prise d'aucune agnelle ne diminue ton troupeau ; ...

      241-242 : le 2e voeu concerne l'intégrité du troupeau ; cf. N.T. act. 20, 29 ego scio quoniam intrabunt post discessionem meam lupi graues in uos non parcentes gregi (repris en psych. 791-793 latet et lupus ore cruento | lacteolam mentitus ouem sub uellere molli, | cruda per agninos exercens funera rictus ; allusion à des hérésiarques).

      241 : motif du loup dans la bergerie (N.T. Ioh. 10, 12) repris aussi en cath. 3, 156-160. 168-169 ; 8, 37-38 ; psych. 791-793) ; cf. Verg. georg. 3, 537-538 non lupus insidias explorat ouilia circum | nec gregibus nocturnus obambulat ; Æn. 9, 59 pleno lupus insidiatus ouili (ici, Prudence semble s'inspirer de ce dernier ex.). tibi : dat. d'intérêt ; de même, v. 238. de pleno... ouili : cf. v. 245 cum lacteolis caulas compleueris agnis ; ham. 223 plenas nocte lupus studuit perrumpere caulas. La bergerie (ouile) est une figure de l'Église ; cf. v. 227 plena... domus. lupus : sur le loup, adversaire typique des chrétiens, -> 5, 19. excludatur : cf. perist. 4, 66-67 sanguis [martyrum] exclusit genus inuidorum | dæmonum ; cath. 8, 37-38 lupisque | ... exclusis. Prudence évoque à la fois l'exorcisme (cf. Tert. idol. 11 in tuo nomine dæmonia exclusimus), et probablement l'excommunication, dont l'exemple le plus célèbre fut donné par l'épisode de la soumission de Théodose à l'autorité spirituelle de s. Ambroise, en 390 (cf. Introd. § 6 et n. 23).

      242 : cf. v. 93 uago... pecus e grege captum. Dans sa prison, s. Cyprien fait une prière semblable (perist. 13, 69 incolumem ut numerum reddam tibi debitumque soluam). agna nec ulla... minuat : évocation de la parabole de la brebis perdue et retrouvée, même s'il est aussi question (v. préc.) du loup dans la bergerie. Le fait de parler d'agneaux (de même, v. 245), plutôt que de brebis (conformément aux sources néo-testamentaires), crée un effet de pathétique. tuum... gregem : -> v. 239 ; Avg. epist. 22, 1 gregem tibi commissum (-> 13, 67). capta : cf. perist. 1, 98 lumino capta ritu ; 2, 11 feritate capta gentium ; 5, 19 captator... lupus.

      
243-244 sic me gramineo remanentem denique campo
sedulus ægrotam pastor ouem referas ;

... ainsi, que, pasteur diligent, tu me ramènes enfin, moi, brebis malade qui tarde dans la plaine herbeuse ; ...

      243-244 : dans ce 3e voeu, Prudence se réfère peut-être à son voyage et aux soucis qu'il avait à Rome (v. 177 corruptelis animique et corporis æger). Avec l'image du bercail, il pourrait évoquer ici une pénitence marquant son retour à la pleine communion avec l'Église ; l'interprétation de ce passage est liée à celle des vv. 179-180 (quod lætor reditu, quod te, uenerande sacerdos | complecti licitum est). La situation de Prudence, brebis égarée, est distincte de celle des ennemis de l'Église, loups dans la bergerie. Ce passage (proche de cath. 8, 33, 48 ; -> v. 241-245) est à voir à la lumière de le Præfatio, où Prudence se dépeint comme le mondain qui, à l'approche de la mort, pense à son âme et se repent de sa légèreté passée.

      243 : me... remanentem : à l'écart de la bergerie, sans cesser de faire partie du troupeau, Prudence était absorbé par les affaires du 'monde' (gramineo... campo). gramineo... campo : cf. psych. 40 gramineo in campo (lieu du premier combat) ; Verg. Æn. 5, 287 tendit gramineum in campum ; Ov. fast. 3, 519. Dans sa comparaison entre chevaux domestiques et sauvages (v. 91-94), Prudence montre combien les premiers sont plus heureux, cf. v. 91 blandiue manu palpata magistri - correspondance probable entre les 2 passages : cf. v. 93 campestre... pecus (les chevaux sauvages) et, inversement, v. 233, magister employé à propos de l'évêque. Les pèlerins remplissent les plaines de cris de joie (v. 211), mais se dirigent vers le bercail, la basilique.

      244 : ægrotam : reprise de l'image du v. 177 corruptelis animique et corporis æger (->) ; cf. cath. 8, 33-34 ille ouem morbo residem gregique | perditam sano. Le motif de la maladie n'existe pas dans les récits évangéliques relatifs à la brebis égarée. sedulus... pastor : cf. cath. 8, 37 impiger pastor. Le nom pastor désigne aussi l'évêque Fructueux (perist. 6, 47 [Christus] cuius sum famulus gregisque pastor) et se retrouve en perist. 12, 43 pastor oues alit ipse illic gelidi rigore fontis. L'évêque est le berger de son troupeau, qui trouve son bonheur sous sa houlette ; -> v. 91-94. ouem : il serait déplacé de la part de Prudence, vu son âge et son rang, de se présenter comme une agnelle (cf. v. 242 agna) ; aussi est-il logique de le voir utiliser à son propos le terme des récits évangéliques, ce qui permet en outre une uariatio dans le lexique. À la fin de perist. 10, en référence à N.T. Matth. 25, 33, Prudence se compte inter hædorum greges (perist. 10, 1136), et espère que, grâce à l'intercession de s. Romain, le Christ fera passer l'hædus du côté des élus : perist. 10, 1140 sit dexter agnus. Ce motif se retrouve dans l'art plastique : à Rome, p.ex. dans les catacombes de Priscilla, le Bon Pasteur est peint avec un bouc (= le défunt, pécheur) sur les épaules. referas : cf. cath. 8, 39-40 gestat... humeros grauatus, inde purgatam reuehens aprico | reddidit ouili.

      
245-246 sic, cum lacteolis caulas compleueris agnis,
raptus et ipse sacro sis comes Hippolyto.

... ainsi, quand tu auras remplis ton parc d'agneaux blancs comme le lait, qu'entraîné toi aussi, tu sois le compagnon du saint Hippolyte.

      

      245 : lacteolis... agnis : cf. psych. 792 lacteolam... ouem. L'adj. lacteolus (cf. perist. 3, 165 ; ditt. 115) très rare, n'est attesté que chez Catvll. 55, 17 lacteolæ... puellæ ; Avson. 396, 46 lacteoli uisceris. L'expression évoque la blancheur des agneaux et peut-être aussi le fait qu'ils ne sont pas sevrés ; cf. agna au v. 242 (->). caulas : la barrière d'un parc à moutons ; cf. ham. 223 plenas (ici compleueris) nocte lupus studuit perrrumpere caulas ; Verg. Æn. 9, 60 ueluti pleno lupus insidiatus ouili fremit ad caulas. compleueris : reprise de l'idée du v. 241 par de pleno... ouili (->), avec une allusion implicite au distique préc. : la brebis égarée (Prudence) a été ramenée au bercail. Ce dernier voeu est comme soumis à la réalisation du précédent.

      246 : raptus et ipse : cf. v. 110 (derniers mots du martyr) hi rapiant artus, tu rape, Christe, animam ! On a ici le terme d'une gradation : instruit des faits (cf. vv. 3-4. 23-24), Valérien est invité à imiter les fidèles de Rome (v. 233 te quoque) et finalement le martyr ; rapere (-> v. 25) s'applique à l'âme de Valérien, emportée au ciel. sacro... Hippolyto : cf. perist. 9, 5-6 sacer... | martyr... Cassianus. L'adj. sacer (-> 14, 14) est employé aux vv. 2 Christi... sacer (Valérien) ; 145 sacro... de corpore. Hippolyto conclut le poème ; ailleurs, le nom du martyr est mis en évidence au début de la pièce (-> 14, 1). Ici, Prudence compense l'annonce tardive (v. 19) du nom de s. Hippolyte (->). comes : employé avec le dat. (de même, Cic. Att. 8, 7, 1), comes désigne aussi les compagnons des martyrs, unis dans leur passion (cf. perist. 13, 48 qui sociare animam Christo uelit, ut comes sequatur ; ->).


Peristephanon 12
Quatrième Passion : Passion des Apôtres (Passio Apostolorum)

      Le poème consacré aux apôtres et martyrs Pierre et Paul est au centre du triptyque du voyage (cf. Introd. §§ 131-133. 146) et, comme tel, au coeur des sept Passions, dont il évoque, par son sujet, ses motifs et son mètre, l'ensemble des pièces (cf. §§ 152. 203-205). Par son sujet même, perist. 12 se distingue des autres poèmes du recueil (cf. præf. 42 carmen martyribus deuoueat, laudet apostolos). Saints Pierre et Paul sont très présents dans l'oeuvre de Prudence, qui consacre à l'un et à l'autre chacune des préfaces du Contre Symmaque ; dans le Peristephanon, ils sont invoqués par le diacre Laurent, qui chasse Jupiter de Rome par leur puissance (cf. perist. 2, 469-472), et évoqués par l'hérésiarque repenti Hippolyte (cf. perist. 11, 31-32). Au sein des sept Passions, les supplices de saints Pierre et Paul (crucifixion, décapitation) sont évoqués dans le poème qui suit perist. 12 (cf. perist. 11, 65-66), mais sont les seuls à ne pas être infligés à saint Vincent (perist. 5, poème final). Si l'on excepte perist. 8, perist. 12 est aussi le plus bref des poèmes du Peristephanon 685 . Enfin, ce poème-charnière est le seul du recueil à célébrer non pas un, mais deux héros - le seul aussi à se présenter tout entier comme un dialogue (récit, après une question) ; cf. Introd. § 145-146.

      Les martyrs 686 

      Tradition hagiographique et liturgique

      Une partie de la vie des deux Apôtres est connue par le Nouveau Testament, où leur martyre est annoncé (Pierre : Ioh. 21, 18-19) ou suggéré (Paul : act. 21, 27 - fin), avant d'être évoqué par Clément de Rome (epist. Cor. 5) et par d'autres textes anciens (Apocalypse de Pierre ; Actes de Pierre). Saint Pierre, pêcheur galiléen devenu chef du collège apostolique et évêque de l'Église romaine, serait mort crucifié en 64, dans l'hippodrome du Vatican ou sur les pentes du Janicule ; saint Paul, juif natif de Tarse et citoyen romain, persécuteur des premiers chrétiens puis Apôtre des Gentils, aurait été décapité en 65 aux Trois-Fontaines. Ces faits, anciennement mais assez mal établis, sont l'objet de débats récurrents et parfois âpres. Quoi qu'il en soit, il n'existe aucune autre tradition concernant le martyre et la sépulture des Apôtres, et la date de la fête du 29 juin constitue un élément solide. Le fait que saint Paul soit mort une année jour pour jour après saint Pierre est souligné notamment par Prudence 687 . Ce dernier a peut-être connu l'hymne ambrosienne consacrée aux deux Apôtres 688  et tient compte des épigrammes damasiennes (3, 4 et 20) liées aux sanctuaires des Apôtres.

      Dans la riche tradition postérieure, on peut citer le sermon 82 de saint Léon (où les Apôtres sont opposés à Romulus et Rémus), des hymnes d'Helpis (viie s.) et les séquences de Notker le Bègue (ixe-xe s.) et d'Adam de Saint-Victor (xiie s.) 689 . Dans la liturgie, saints Pierre et Paul sont associés, non seulement le 29 juin, mais aussi aux fêtes propres à chacun (25 janvier : conversion de saint Paul ; 22 février : chaire de saint Pierre ; 18 novembre : dédicace de leurs basiliques). La liturgie mozarabe n'a pas repris perist. 12 pour le 29 juin, mais l'hymne ambrosienne, mieux adaptée au chant. On trouve des allusions ou des emprunts à perist. 12 p.ex. chez Sidoine Apollinaire (fin du ve s. ; -> v. 45-54), Dungal (ixe s) et Rupert de Deutz (xie - xiie s.) 690 .

      Témoignages archéologiques et artistiques du culte

      Proches des lieux d'exécution, les tombes apostoliques, vénérées déjà avant les travaux de Constantin, sont situées dans des nécropoles antiques (en grande partie païennes). Au Vatican fut édifiée une basilique pour laquelle il fallut de grands travaux d'arasement et la désaffectation exceptionnelle d'un cimetière (la tombe primitive fut retrouvée en 1950 ; plus d'une décennie après, les ossements seront formellement identifiés, après des polémiques liées au déroulement des fouilles et affectées par des intérêts personnels ou confessionnels). Sur la voie Ostienne, l'édifice constantinien, plus petit, sera remplacé par une vaste basilique, sous Théodose et Honorius 691 . Auparavant, les deux Apôtres étaient aussi vénérés conjointement dans l'actuelle basilique Saint-Sébastien (basilica Apostolorum) - la nature et l'histoire de ce culte restent discutés.

      Des lieux de culte romains se réfèrent aux épisodes de la fuite de Pierre et de l'emprisonnement ; d'autres sanctuaires évoquent le souvenir de l'habitation de Paul et la prière de saints Pierre et Paul lorsque Simon le Magicien se fracassa à terre (cf. Fux 2002a). Hors de Rome, les églises placées dès la fin de l'Antiquité sous l'invocation des deux Apôtres ou de saint Pierre sont nombreuses.

      Les représentations des deux Apôtres (verres dorés, mosaïques, reliefs sur les sarcophages) 692  montrent des traits 'réalistes' (peut-être historiques) constants : Pierre est grand, massif, âgé, avec une barbe courte et drue ; Paul est plutôt petit, chauve, avec une assez longue barbe sombre. À cela s'ajoutent des attributs symboliques : clefs de saint Pierre et, pour saint Paul, un rouleau (le glaive deviendra son attribut au cours du Moyen-Âge). L'association des deux Apôtres évoque leur concordia chère à Damase 693 , antithèse du couple fratricide Romulus-Rémus, avec aussi un lien fait entre l'Vrbs (saint Pierre, tête des Apôtres et évêque de Rome) et l'orbis (saint Paul, Apôtre des Gentils). Saint Pierre, dont les Papes seront les successeurs, est célébré comme un nouveau Moïse et représenté frappant le rocher et faisant naître une source 694 .

      Bibliographie : les études historiques et archéologiques sont très nombreuses ; cf. p.ex. Smith 1988, Chadwick 1957 et 1982, Chastagnol 1966, Emminghaus 1962 et AA.VV. 1969, Fux 2002a (sanctuaires romains). Cf. AA. SS. 27 (juin t. 7), 362-435 ; MHier 342-343 ; MRom 261. S. Pierre : DECA 2029-2034 (Saxer ; Broccoli) ; BSS 10, 588-650 (Penna et alii) ; BHL 966-972 et suppl. 708-713 ; BHG 2, 189-193. 194-197 et app. 153-155. S. Paul : DECA 1937-1938 (Loi) et 1943-1944 (Mazzoleni) ; BSS 10, 164-228 (Penna et alii) ; BHL 953-955 et suppl. 696-700 ; BHG 2, 177-182 et app. 149.

      Le poème

      Résumé

      À l'étonnement du poète voyant Rome en effervescence (v. 1-2), le narrateur répond en expliquant qu'il s'agit de la fête de saints Pierre et Paul (v. 3-10), dont il narre les passions (vv. 11-20 ; 21-28) avant d'évoquer les sanctuaires (vv. 31-44 ; 45-54), sur les deux rives du Tibre (v. 29-30). Il invite le poète à faire comme les Romains (v. 55-58), en se rendant même aux deux sanctuaires (v. 59-62), tout comme le Pape ce jour-là (v. 63-64), et à fêter de même, chez lui, les deux Apôtres (v. 65-66).

      Dynamique et thématique du récit

      Le narrateur est un cicérone qui répond à l'étonnement du poète (de même, perist. 9). Ce poème développe deux motifs descriptifs de perist. 11 : la fête des martyrs et leurs sanctuaires. Avec ces deux 'poèmes du voyage', perist. 12 a encore en commun un caractère personnel (d'où l'usage du distique) et la propagande d'un culte. Ce poème en forme de double diptyque est dépourvu de toute tension dramatique (à la différence de perist. 2. 5. 13. 14), même dans les récits de passion : Pierre impose sa volonté aux bourreaux (cf. v. 13-16) et Paul sait et accepte d'avance son destin (cf. v. 25-28). Le coeur du recueil est ainsi tout de contemplation sereine et joyeuse.

      L'insistance de Prudence sur l'identité de la date des martyres de saints Pierre et Paul suggère la concordia Apostolorum ; quant à l'espace occupé par leurs sanctuaires, il évoque l'emprise des Apôtres et aussi de l'Église sur Rome. Ces sanctuaires permettent aussi de traiter, en filigrane, des relations entre Église et Empire : Saint-Pierre est l'un des premiers temples chrétiens de Rome, une sorte donation privée de Constantin ; Saint-Paul est le premier bâtiment chrétien à être transformé à titre officiel par le préfet de la Ville. Le pape Damase est l'instigateur de l'agrandissement de Saint-Paul et aussi l'auteur de travaux à Saint-Pierre évoqués en perist. 12.

      Bibliographie : cf. Pillinger 1976, Fontaine 1964b et 1970b, Argenio 1967, Ruysschært 1966, Martinez Fazio 1964, Rapisarda 1963/1964, Künzle 1957, Weyman 1923.

      Mots rares (seules occurrences chez Prudence) : laureatum (v. 6), æmulando (v.13), canens (v. 32), supercilio (v. 33), omnicolor (v. 39), musci (v. 40), lacunar (v. 42), camuros et hyalo (v. 53), Transtiberina (v. 63), duplicatque (v. 64).

      Mètre : 33 distiques composés d'un grand archiloquien et d'un trimètre iambique catalectique 695 .

      Schéma métrique :

      Forme fixe (tétramètre bucolique suivi de trois trochées ; iambique hipponactéen).

      Les coupes correspondent en principe à des unités de sens ; il n'y a généralement pas d'enjambement (sauf vv. 19. 39. 43. 51. 53. 59).


Commentaire

      

      Passio Apostolorum : cf. Introd., App. C, p. 137-138 ; titre proche d'Ambr. hymn. 12, 1 Apostolorum passio ; sts Pierre et Paul sont couramment désignés par apostoli (-> 2, 519).

      1-10 : venu à Rome pour des démarches délicates (cf. perist. 9, 101-105), Prudence dit ignorer la raison de l'affluence des fidèles le 29 juin (cf. v. 57-58 ; Ambr. hymn. 12, 25-26. 29-30). Dès le v. 3 commence la réponse du narrateur (jusqu'à la fin), qui évoque la date (vv. 3 festus... hic dies ; 5 unus... dies [-> 5, 1-8] ; cf. Ambr. hymn. 12, 2 diem sacrauit ; 28 festum sacrorum martyrum), puis le lieu, personnifiant dies (v. 6) et Tiberis (v. 7). L'écoulement du Tibre entre les tombes des Apôtres (cf. vv. 29-30. 46. 61-63) est comparable à celui de l'année, qui sépare leurs martyres mais unit leurs fêtes (cf. vv. 5. 23). L'introduction s'achève sur une partitio : les 2 sanctuaires (v. 8 : cf. vv. 31-44 et 45-54), puis les 2 supplices (v. 9 ; cf. vv. 11-20. 21-28).

      
1-2 Plus solito coeunt ad gaudia ; dic, amice, quid sit !
Romam per omnem cursitant ouantque.

Ils sont plus nombreux qu'à l'habitude à se rassembler pour se réjouir ; dis-moi, ami, ce que c'est ! À travers toute la ville de Rome, ils ne cessent de courir et exultent.

      1 : plus : plus [hominum] au lieu de plures. coeunt ad gaudia : la fête de s. Hippolyte (à Rome, le 13 août) comprend aussi gaudia (perist. 11, 211) et rassemblement (-> 11, 197) ; sur coire, -> 5, 333. dic, amice, quid sit : cf. perist. 9, 17 ædituus consultus ait ; 11, 3 quæris (point de départ du récit) ; apoth. 348-349 Pascha tuum dic, dic, cuius de sanguine festum | tam solemne tibi est ?

      2 : Romam : Rome est nommée ici et à l'avant-dernier v. (de même, avec passionem, perist. 2, 35. 255). La foule enthousiaste (-> 11, 189) se dirige vers 2 lieux opposés : cf. v. 57 per bifidas plebs Romula funditur plateas. cursitant ouantque : cf. Hor. serm. 2, 3, 146 ut heres... lætusque ouansque curreret ; Val. Max. 9, 3, 4. Imitant le Pape (v. 64 mox huc recurrit), les inter-locuteurs se rendront en hâte aux 2 sanctuaires (v. 59 gressu properemus incitato). Ouare (-> 5, 8) évoque l'ouatio, forme mineure du triumphus (v. suiv. apostolici... triumphi) ; sur cursitare, -> 2, 141.

      
3-6 - Festus apostolici nobis redit hic dies triumphi,
Pauli atque Petri nobilis cruore.
Vnus utrumque dies, pleno tamen innouatus anno,
uidit superba morte laureatum.

Voici le jour de la fête du triomphe apostolique qui nous revient, jour ennobli par le sang de Paul et de Pierre. Un seul jour, pourtant renouvelé par une année pleine, a vu chacun des deux orné des lauriers d'une mort magnifique.

      3 : cf. v. 22 diemque eundem sol reduxit ortus (-> 11, 195). festus : -> 11, 196. apostolici... dies triumphi : cf. perist. 5, 2 diem triumphalem tuum. L'épithète chrétienne apostolicus (-> 2, 519) est liée à un terme romain (exprimant la victoire ; cf. v. préc. ouantque ; vv. 6 laureatum ; 8 tropæis). nobis : dat. d'intérêt, ton affectif ; Prudence ne sera plus exclu de ce 'nous' aux vv. 59-62.

      4 : Pauli atque Petri : les martyrs, nommés ici (-> 14, 1) et aux vv. 11. 23 (passions) et 31. 45 (sanctuaires) ; cf. v. préc. apostolici. nobilis cruore : le sang versé le 29 juin (cf. v. 9-10) ennoblit ce jour ; cf. Ambr. hymn. 12, 23-24 fundata tali sanguine | et uate tanto nobilis.

      5 : utrumque : cf. vv. 29 ; 59 ad utrumque... properemus. Liée au sujet, l'idée de dualité est récurrente (vv. 8 binis... tropæis ; 10 bis fluxit ; 29 ossa duum... utraque ripa ; 55 duas... dotes ; 57 per bifidas... plateas ; 58 duobus... festis ; 64 duplicatque uota ; 66 diem bifestum). pleno... innouatus anno : cf. v. 21-22 ; plenus annus désigne l'année complète (cf. Cic. Mil. 24 ; Verg. Æn. 7, 53) ; innouare indique le retour à une situation antérieure (-> 9, 54).

      superba morte : vision positive de la mort (de même, v. 13 celsæ decus... mortis ; -> 14, 9) ; cf. p. ex. perist. 1, 25 hoc genus mortis decorum (le martyre) ; -> 5, 291. laureatum : attribut d'utrumque. Les lauriers sont liés au triumphus (cf. v. 3 ; -> 5, 540), non à l'ouatio (v. 2) ; de même, sur s. Étienne, Fvlg. Rvsp. serm. 3, 11 sanguine laureatus.

      
7-10 Scit Tiberina palus, quæ flumine lambitur propinquo,
binis dicatum cæspitem tropæis,
et crucis et gladii testis, quibus irrigans easdem
bis fluxit imber sanguinis per herbas.

Le marais du Tibre, qui est léché par le fleuve proche, sait que le tertre gazonneux a été consacré par un double trophée, marais témoin de la croix aussi bien que du glaive, par lesquels une pluie de sang s'est écoulée deux fois à travers les mêmes herbes en les arrosant.

      7-8 : scit... dicatum cæspitem : expression syntaxiquement ambivalente (scit peut régir un objet direct dicatum cæspitem ou une proposition infinitive dicatum <esse> cæspitem).

      7 : Tiberina palus : les abords du Tibre au cours lent sont marécageux. Palus évoque l'expression Stygiam... paludem, par laquelle Virgile désigne le fleuve des enfers (Æn. 6, 323). flumine... propinquo : le Tibre est proche de S.-Paul-hors-les-Murs, mais se situe à près d'1 km de S.-Pierre. lambitur : cf. v. 46 stringit amnis cæspitem sinistrum ; Hor. carm. 1, 22, 8.

      8 : dicatum cæspitem : cf. perist. 5, 453 palustri e cæspite ; cæspes (cf. v. 46) peut évoquer un tertre funéraire (cf. Verg. Æn. 3, 304 ; Hier. epist. 1, 13), voire fait de chaque rive un autel de gazon (usage païen, cf. Sen. Med. 797 ; Ivv. 12, 12). La topographie romaine est sacralisée (dicatum : -> 9, 6) : aux vv. 29-30, sacer et sacratus qualifient le fleuve et les tombeaux. tropæis : terme militaire désignant le lieu de la déroute de l'ennemi (ici, les dieux-démons chassés par le sang des martyrs : perist. 2, 469-472), puis le monument de la victoire (ici, les basiliques : cf. Hier. epist. 46, 12 tropæa apostolorum et martyrum ; Evs. Cæs. hist. eccl. 2, 25, 7, tropaia de Gaius) - voire la victoire (perist. 4, 154) ou le corps du martyr (perist. 5, 399).

      9-10 : le sang des martyrs baigne le sol romain, comme le Tibre, mais à partir du ciel, cf. v. 10 imber) - mêmes lexique (vv. 7 flumine ; ici fluxit) et cadre (vv. 8 cæspitem ; ici easdem... herbas).

      8 : et crucis et gladii : croix (-> 2, 22 ; cf. v. 12 præminente ligno) et glaive (-> 13, 47 ; cf. v. 27 ense) sont les instruments par lesquels (quibus) sts Pierre et Paul (-> 11, 65) ont imprégné Rome de leur sang (cf. perist. 2, 469-472). testis : cf. perist. 5, 195-196 cinis | testis... funeris. irrigans : de même, Sen. Thy. 44 effusus omnis irriget terras cruor.

      9-10 : easdem... per herbas : annonce du locus amoenus constitué par les basiliques (cf. en part. v. 31-44), dont la description se conclut par le v. 54 sic prata uernis floribus renident. Easdem souligne l'unité du lieu ; au v. 22, diemque eundem indique l'identité du jour de ces martyres.

      10 : imber sanguinis : cf. perist. 10, 1032 illapsus imber tabidum rorem pluit ; Sen. OEd. 349. 978 ; Lvcan. 6, 224 ; Stat. Theb. 4, 730.

      11-20 : le supplice de s. Pierre, prédit par le Christ (N.T. Ioh. 21, 18), est mentionné chez Clem. Rom. epist. Cor. 5 ; Iren. 3, 3, 2-3 ; Tert. scorp. 15 Petrus passioni Dominicæ adæquatur. Sa crucifixion renversée symbolise l'humiliation (apparente), condition de l'exaltation à venir.

      
11-12 : Prima Petrum rapuit sententia legibus Neronis
pendere iussum præminente ligno.

La première sentence, édictée en vertu des lois de Néron, a emporté Pierre, que l'on ordonne de suspendre à un bois très élevé.

      11-12 : la position de legibus Neronis permet de le faire dépendre soit de rapuit (Bergman, Lavarenne), soit de iussum (Thomson), un emploi apo koinou n'étant pas exclu.

      11 : rapuit : cf. perist. 10, 66 iubetur inde Romanus rapi ; 11, 25 (->). prima sententia : le verdict du juge, opposé aux leges générales de l'empereur ; il y aura une sententia concernant s. Paul (cf. v. 23). legibus Neronis : une jurisprudence (voire une législation) antérieure au rescrit de Trajan (cf. Tert. apol. 5, 3-8) est attribuée à Néron, premier empereur persécuteur, nommé aussi au v. 23 ; cf. perist. 2, 472 ; c. Symm. 2, 669-670 primus Nero... | sanguinem apostolicum bibit. Prudence cite aussi les persécuteurs Galère (perist. 7, 6 ; 10, 31), Valérien (perist. 13, 35), Gallien (perist. 6, 41. 45 ; 13, 35), Maximien Hercule (perist. 3, 77. 81).

      12 : præminente ligno : déjà dans l'Écriture (cf. N.T. act. 5, 30 quem uos interemistis, suspendentes in ligno ; 10, 39 quem occiderunt suspendentes in ligno), lignum suffit à désigner la croix (cf. perist. 1, 36 insigne lignum ; apoth. 5 ; psych. 408). L'idée exprimée par præminente (reprise au v. suiv. par celsæ... mortis) est double : description concrète de l'élévation du condamné et évocation du prestige paradoxal (-> 2, 22) de ce supplice (cf. præminens en cath. 11, 109).

      
13-16 Ille tamen, ueritus celsæ decus æmulando mortis
ambire tanti gloriam magistri,
exigit, ut pedibus mersum caput imprimant supinis,
quo spectet imum stipitem cerebro.

Lui cependant, craignant, avec l'imitation de l'honneur d'une mort éminente, de rivaliser avec la gloire d'un si grand maître, exige qu'on applique sa tête en l'abaissant, avec les pieds tournés vers le haut, afin que son cerveau regarde vers le bas du poteau.

      13 : celsæ decus... mortis : désignation positive de la mort (de même, v. 6 ; -> 14, 9) ; cf. perist. 6, 114 mortis decus (sur decus, -> 13, 73). Celsus (-> 5, 369) reprend le double sens ('élevé' ; 'éminent') de præminente (v. préc.). æmulando : ce verbe pourrait signifier ici 'singer' (cf. Plin. nat. 34, 47 ; Tert. patient. 16). La syllabe en -o est abrégée (-> 2, 86).

      14 : ambire... gloriam : cf. Boeth. cons. 3 carm. 8, 20 ambire opes, honores ; reprise de decus æmulando, v. préc. La gloria du Christ se manifeste sur la Croix (cath. 9, 105 inclytam cælo reportans passionis gloriam ; cf. N.T. Ioh. 12, 23-27) et celle des martyrs réside dans leur supplice (cf. perist. 9, 94 ; -> 14, 9). tanti... magistri : le Christ (appelé magister en cath. 6, 78 ; 8, 17).

      15 : exigit ut : tour attesté chez Ov. fast. 6, 358 ; Cvrt. 8, 4, 21. L'humilité de s. Pierre ne diminue en rien son autorité face aux persécuteurs. Il obtiendra satisfaction, montrant qu'il a prise sur le destin qu'il accepte - comme s. Paul, qui connaît son supplice avant celui qui le décrète (cf. v. 25-26). pedibus mersum caput... supinis : pedibus... supinis est à l'abl. de manière, et c'est mersum caput qui constitue paradoxalement l'objet direct d'imprimant - ce qui souligne l'intention de cette crucifixion inversée : abaisser ce qui est élevé. À l'opposé de l'attitude du martyr est celle du juge, en perist. 11, 85 supinata residens ceruice (->).

      16 : quo : quo (malgré l'absence de comparatif : -> 5, 183) évite de subordonner l'une à l'autre 2 propositions en ut. spectet : avec son sujet sous-entendu caput, ce verbe signifie 'être tourné vers' - on a l'inverse du sens donné à uidit (avec un sujet inanimé) au v. 6. stipitem : -> 2, 24. cerebro : le haut de la tête (-> 14, 117), lieu du cerveau et siège de l'esprit. Prudence alterne les mentions de l'esprit (immatériel, v. 18 mente) et de la tête (concrète, v. 20 ora).

      
17-20 Figitur ergo manus subter, sola uersus in cacumen,
hoc mente maior, quo minor figura.
Nouerat ex humili cælum citius solere adiri,
deiecit ora spiritum daturus.

Il est donc fixé avec les mains au-dessous, la plante des pieds tournée vers le sommet [de la croix], l'âme d'autant plus grande que la posture est plus humble. Il savait qu'en partant du sol on monte habituellement plus vite jusqu'au Ciel ; il pencha sa face vers le bas au moment de rendre l'esprit.

      17 : figitur : -> 5, 228 ; reprise d'imprimant (v. 15). ergo : abrègement de la syllabe finale (-> 2, 293). manus... sola : acc. de relation (cf. Lavarenne § 222-229). L'immobilisation des mains (-> 5, 69) et des pieds (sola ; ailleurs, plantæ : -> 2, 151) indique une vulnérabilité totale ; plus importante ici est l'inversion de la position du corps. subter : adverbial (-> 5, 225).

      18 : proportionnalité inverse entre l'apparence et la réalité intérieure ; cf. la comparaison entre pauvres et riches de perist. 2, 203-264. 289-292. figura : l'apparence (-> 13, 28), ici la posture.

      19 : cf. psych. 290 scandere celsa humiles et ad ima redire feroces ; N.T. Luc. 14, 11 quia omnis qui se exaltat humiliabitur, et qui se humiliat exaltabitur ; I Petr. 5, 6 ; cf. aussi V.T. Iob. 22, 29 qui enim humiliatus fuerit erit in gloria et qui inclinauerit oculos suos ipse saluabitur ; prou. 29, 23. cælum... adiri : cf. perist. 4, 75 ; 5, 7 euexit ad cælum dies ; 304 liber in cælum ueni ; 368 ; 6, 26 ; 8, 2. 7 ; 10, 1110 anima absoluta uinculis cælum petit. citius : cf. v. 25 ipse prius sibimet finem cito dixerat futurum (s. Paul). Ce parallèle invite à donner à citius non le sens de 'plus aisément' qu'il pourrait avoir ici, mais celui de 'plus vite'. La mention d'un salut plus ou moins rapide, grâce à l'expiation, relève de la doctrine des peines purgatoires (cf. N.T. Matth. 5, 26 amen dico tibi non exies inde donec reddas nouissimum quadrantem ; 12, 32 ; I Cor. 3, 15), développée p.ex. chez Avg. ciu. 21, 13 etiam in hac quidem mortali uita esse quasdam poenas purgatorias confitemur ; 16 purgatorias autem poenas nullas futuras opinetur, nisi ante illud ultimum tremendumque iudicium ; enchir. 18, 68-69, en part. 69 nonnullos fideles per ignem quendam purgatorium, quanto magis minusue bona pereuntia dilexerunt, tanto tardius citiusque saluari). Prudence semble demander pour lui-même un séjour au Purgatoire après sa mort (ham. 931-966).

      20 : cf. N.T. Ioh. 19, 30 inclinato capite tradidit spiritum. daturus : verbe simple au lieu de reddere (-> 14, 28 ; de même, v. 53 [per]cucurrit) ; cf. perist. 5, 359-360 mentem... | et reddit auctori Deo.

      21-28 : le martyre de s. Paul semble résulter d'un déterminisme astral (v. 21-22) et de la fureur de Néron (v. 23-24). Cette mort, qu'il a prédite (v. 25 ; -> 2, 21) et acceptée (v. 26), s'accomplit sans délai (v. 27), sans faute (v. 28) ; cf. N.T. II Tim. 4, 6-8 ego enim iam delibor, et tempus meæ resolutionis instat. ... superest mihi corona iustitiæ, quam reddet mihi Dominus in illa die.

      
21-24 Vt teres orbis iter flexi rota percucurrit anni
diemque eundem sol reduxit ortus,
euomit in iugulum Pauli Nero feruidum furorem,
iubet feriri gentium magistrum.

Lorsque la roue arrondie de l'année eut parcouru le chemin de la voûte du monde, et que le soleil levant ramena la même journée, Néron vomit sa fureur enfiévrée contre la gorge de Paul, il ordonne que soit frappé le maître des gentils.

      21-22 : de même, v. 5 pleno tamen innouatus anno ; cf. aussi perist. 11, 195.

      21 : teres... rota... anni : la révolution annuelle du soleil (cf. solis rota en perist. 14, 96 [->] ; Sen. Herc. f. 182 rota... anni). L'image du mouvement circulaire s'applique aux années (p.ex. ici ; perist. 10, 573-575), aux siècles (c. Symm. 2, 878) ou aux heures (cath. 8, 9). orbis iter flexi : pour dire que l'année a effectué 'son' parcours (iter... percucurrit), utilisation, au lieu du possessif, du gén. orbis... flexi (qui désigne le zodiaque et reprend teres... rota... anni).

      22 : diemque eundem... reduxit : cf. Verg. georg. 1, 249 aurora diemque reducit ; Stat. Theb. 11, 6 Iuppiter et uultu cælumque diemque reducit. Le jour des 2 martyres est identique, malgré l'écoulement d'une année ; chacun pourra communier à cette concordia apostolorum par la célébration annuelle de la fête (cf. v. 3). Aux vv. 9-10, easdem... per herbas évoque l'identité du lieu. sol... ortus : le lever du soleil (ortus participe épithète de sol), désigné ailleurs par solis ortus (ortus substantif : p.ex. perist. 13, 102 ; cath. 1, 9). Il est fait allusion à ce passage au v. 50 (ceu iubar sub ortu : la lumière dans la basilique semble refléter et inclure l'aurore du martyre).

      23 : euomit... feruidum furorem : de même, perist. 10, 395 uim furoris euomit ; cf. perist. 5, 468 furore feruens (->). Le furor caractérise le persécuteur (-> 14, 63) ; l'épithète feruidus exprime la violence des passions (-> 2, 249). in iugulum Pauli : il semble être question non d'une décapitation par section de la nuque, mais d'un égorgement, iugulatio (supplice auquel s'attend ste Agnès [perist. 14, 77-78] ; cf. c. Symm. 2, 1097 ferrum iugulo inserit). Plus qu'un détail historique, ce fait suggère l'idée de vulnérabilité sans fuite ni soumission, voire de combat face à face (cf. perist. 10, 64 iugulos retectos obstinate opponere ; cath. 12, 116 ; psych. 49). Pauli Nero : noms de l'Apôtre (-> v. 4) et du persécuteur (-> v. 11), juxtaposés ; cf. v. 11 prima Petrum rapuit sententia legibus Neronis. La syllabe finale de Nero est abrégée (-> 2, 74).

      24 : feriri : cf. perist. 10, 836-837 ferit ceruiculam | percussor ense. gentium magistrum : désignation courante de s. Paul (perist. 2, 461 uocator gentium ; ditt. 192 populorum doctor ; cf. c. Symm. 1 præf. 1-6), qui se trouve sous sa plume : cf. II Tim. 1, 11 [Christus] in quo positus sum ego prædicator et apostolus et magister gentium (cf. I Tim. 2, 7). Sur gentes (les païens), -> 2, 11.

      
25-28 Ipse prius sibimet finem cito dixerat futurum :
" Ad Christum eundum est, iam resoluor ", inquit.
Nec mora, protrahitur, poenæ datur, immolatur ense ;
non hora uatem, non dies fefellit.

Lui-même avait dit auparavant que la fin viendrait rapidement pour lui : " Il faut aller jusqu'au Christ, maintenant, je suis délivré ", dit-il. Sans retard, il est tiré au-dehors, livré au supplice, immolé par l'épée ; le prophète ne s'était trompé ni d'heure, ni de jour.

      25 : ipse... sibimet : affirmation du sujet (libre, conscient). Sur -met, -> 2, 20. prius... dixerat futurum : cf. perist. 2, 21 fore hoc sacerdos dixerat ; 473 ; 10, 853. La certitude du martyr est le fait d'une grâce ; ailleurs, l'avenir est l'objet, incertain, de l'espérance (cf. perist. 9, 4 ; 103 spem futuri forte nutantem boni). finem cito... futurum : la mort, désignée par l'euphémisme finem (cf. perist. 4, 128 ; 10, 577. 813 ; 13, 45), est désirée comme moyen de délivrance et de salut ; son arrivée rapide (cito) est une grâce (cf. perist. 10, 813-814 ; 14, 86-89 ; -> 14, 90).

      26 : seul discours direct inclus dans la longue réponse (v. 3-66) à la question initiale (v. 1-2) ; ces derniers mots sont comparables à ceux de s. Hippolyte (perist. 11, 110 hi rapiant artus, tu rape, Christe, animam !). ad Christum eundum est : cf. perist. 4, 14-15 obuiam Christo properanter ibit | ciuitas quæque ; apoth. 1083-1084 tætra sepulcra | despuite ; exsurgens quo Christus prouocat, ite ! Le Christ n'est cité qu'ici et au v. 44 (fluenta Christi), le Père au v. 55 (summo Patre conferente). resoluor : au passif, resoluere signifie 'être libéré' ou 'mourir' (-> 5, 359).

      27-28 : le style de ces vers, où s'unissent concision (asyndète, absence d'épithètes) et précision (énumération), se retrouve en perist. 9, 105-106 (exaucement d'une prière).

      27 : nec mora : de même, perist. 3, 131 ; apoth. 755 ; expression fréquente chez Ovide (p.ex. fast. 4, 843) attestée aussi chez Verg. Æn. 5, 368 ; Stat. Theb. 3, 293 ; Avson. Mos. 255. Il y a une adéquation entre la rapidité de l'expression (sans verbe) et ce qu'elle dénote. Un retard dans la passion serait douloureux (-> 5, 355) et jetterait le doute sur la prophétie du martyr (cf. v. suiv.). protrahitur : s. Paul est tiré de sa prison - allusion discrète à sa captivité. Protrahi est aussi utilisé en perist. 10, 1106 (situation inverse : le martyr est tiré du lieu de son interrogatoire pour être exécuté en prison). poenæ datur : dare est souvent utilisé à propos de supplices (-> 5, 388), désignés par poena (terme générique ; -> 14, 22). immolatur ense : termes précisant poenæ datur (cf. perist. 10, 749) : il y a sacrifice (immolatur, -> 5, 364), par le glaive (-> 13, 47). S. Paul meurt en citoyen romain, qualité dont il s'était targué (cf. N.T. act. 16, 36-39 ; 22, 25-30), notamment pour faire appel à l'empereur (cf. N.T. act. 25, 10-12).

      28 : cf. perist. 2, 29-32 extrema uox episcopi, | prænuntiatrix gloriæ | nihil fefellit ; nam dies | prædicta palmam prætulit. non hora... non dies : sauf s'il veut dire que l'Apôtre a été arrêté dans l'heure, Prudence souligne la précision de la prédiction (reprise a contrario de N.T. Matth. 24, 50 ueniet Dominus serui illius in die qua non sperat et hora qua ignorat ; Marc. 13, 32 de die autem illo uel hora nemo scit... nisi Pater). uatem... fefellit : termes se rapportant aussi bien à non hora qu'à non dies (répartis dans les 2 propositions, sous-entendus dans celle dont ils sont absents). Vates, qui désigne le devin, le poète ou leur dieu Apollon (c. Symm. 2, 525), s'applique ici au martyr (ailleurs, aux auteurs inspirés de la Bible : p.ex. perist. 10, 625 ; cath. 4, 96).

      29-66 : après le récit des passions vient un diptyque évoquant les sanctuaires de Pierre (v. 31-44) et de Paul (v. 45-54), entouré par une mention du Tibre (cf. v. 7-10 ; ->) et par un rappel du présent divin que constituent les Apôtres (v. 55-56 : dot pour les noces de l'Église romaine avec le Christ ; cf. perist. 2, 305-307). Une seconde partie (v. 57-66), conclusive, revient au motif initial du poème : double fête à Rome (v. 57-64), adresse à l'interlocuteur (v. 65-66).

      
29-30 Diuidit ossa duum Thybris sacer ex utraque ripa,
inter sacrata dum fluit sepulcra.

Le Tibre sépare les ossements des deux [Apôtres], l'une et l'autre rive le rendent sacré, tandis qu'il s'écoule entre les saintes tombes.

      29 : ossa : les restes mortels (-> 5, 516) équivalent à la personne, cf. v. 31 dextra Petrum regio tectis tenet aureis receptum. duum : forme rare du gén. plur. (-> 2, 524), attestée chez Lent. Cic. fam. 12, 15, 2 ; Sall. Iug. 106, 5 ; expressions de la dualité, -> v. 5-6. Thybris : forme grecque et poétique ; cf. aussi c. Symm. 2, 871. 938 (Tiberis, plus prosaïque, n'apparaît pas chez Prudence ; cf. v. 7 Tiberina palus). sacer ex utraque ripa : S.-Pierre s'élève sur la rive droite (v. 31 dextra... regio), S.-Paul sur la rive gauche (v. 46 cæspitem sinistrum) ; comme le Pape, les interlocuteurs traverseront le Tibre pour les visiter (cf. v. 61-64). La sainteté des reliques se communique par contact (ex ; cf. perist. 2, 151) : cf. perist. 3, 194-195 ; 4, 145.

      30 : sacrata... sepulcra : cf. vv. 8 binis dicatum cæspitem tropæis ; 47 sacrauit arces.

      31-44 : trois lieux évoquent le sanctuaire de s. Pierre : son paysage (v. 31-34), l'atrium avec sa fontaine (v. 35-36), le baptistère (v. 37-44). Cette progression reflète les étapes de l'initiation chrétienne (catéchuménat, baptême ; cf. perist. 2, 497-536 ; ->), encadrée par les évocations du Paradis (locus amoenus des vv. 31-32) et du salut (v. 43-44 : communion avec le Christ). L'ensemble a pour fil conducteur l'eau vive, don naturel canalisé par les hommes pour devenir la matière d'un sacrement, don du Christ (cf. Fontaine 1964, p. 255-266 : l'eau ; l'huile de l'onction baptismale, cf. les oliviers) ; ce ruisseau résulte des travaux de drainage de Damase (cf. Damas. carm. 3) pour parer au ruissellement menaçant les fondations de la basilique. Ce locus amoenus est paradoxalement lié à un tombeau, à la mort (cf. Introd. § 32 et n. 88). Ce passage (avec perist. 11 : cf. Introd. § 193 n. 168) inspire cath. 8, 41. 45-48 : reddit et pratis uiridique campo (...) [ubi]... frequens palmis nemus et reflexa | uernat herbarum coma, tum perennis (v. 34 perennem) | gurgitem uiuis uitreum (v. 39 uitreas) fluentis (v. 44 fluenta) | laurus obumbrat (v. 41 umbram) ; le sujet est Pastor (cath. 8, 37. 49 ; cf. ici v. 43).

      
31-34 Dextra Petrum regio tectis tenet aureis receptum
canens oliua, murmurans fluento ;
namque supercilio saxi liquor ortus excitauit
frondem perennem chrismatis feracem ;

La rive droite garde Pierre, accueilli sous des toits dorés ; l'olivier la fait blanchir, un ruisseau la fait murmurer ; en effet, l'eau qui jaillit du saillant d'un rocher a fait pousser une frondaison pérenne, porteuse de l'onction ; ...

      31 : Petrum... tenet... receptum : cf. v. 45 parte alia titulum Pauli uia seruat Ostiensis. L'idée de 'possession' (tenet ; -> 2, 457), est reforcée par l'attribut receptum (en perist. 5, 522, à propos de l'âme reçue au ciel ; ->). regio : un lieu opposé à un autre (de même, Cic. ac. 2, 123), et non, au sens technique, un 'rione', quartier de Rome (cf. Tac. ann. 14, 12, 2). tectis... aureis : le motif d'un toit doré (non d'un plafond, comme aux vv. 49-51) est récurrent (même expression en c. Symm. 2, 698. 832 ; cf. psych. 810) ; un tel édifice couvert de tuiles dorées est représenté sur la mosaïque de Ste-Pudentienne (Rome, début ve s.).

      32 : la mention d'un arbre (oliua) et d'un cours d'eau (fluento) évoque le Paradis, avec l'arbre de vie (V.T. gen. 2, 9) et le fleuve qui se ramifie (V.T. gen. 2, 10) ; cf. cath. 8, 46-47 perennis gurgitem uiuis uitreum fluentis | laurus obumbrat (-> v. 39-42). canens oliua : cf. Ov. met. 6, 81 fetum canentis oliuæ ; Ivv. 14, 144 densa montem qui canet oliua. Il faut considérer oliua comme un abl. de moyen (comme dans le dernier ex.) ; de même, murmurans fluento. murmurans fluento : même expression en perist. 6, 155 ; cath. 7, 128 ; Verg. Æn. 10, 212 ; Sen. Phædr. 514.

      33 : allusion à un miracle produit par Moïse : V.T. exod. 17, 6 percutiesque petram et exibit ex ea aqua ut bibat populus ; num. 20, 11 ; deut. 8, 15 ; II Esdr. 9, 15 aquam de petra eduxisti eis sitientibus ; psalm. 77, 16 ; sap. 11, 4. Par ses travaux, Damase, successeur de Pierre, a aussi fait naître une source (cf. aussi v. 43 pastor oues alit ipse illic gelidi rigore fontis). Le parallélisme entre Pierre et Moïse, thème de la propagande damasienne (cf. Pietri 1976, p. 316-401), est illustré par l'iconographie contemporaine (cf. Fontaine 1964b, p. 258 n. 32). supercilio : désignation au figuré de tout élément saillant (cf. Verg. georg. 1, 108 supercilio cliuosi tramitis undam elicit) ou sommet ; au sens propre, 'sourcil'. saxi : éventuel jeu sur le nom de s. Pierre (v. 31 Petrum). liquor ortus excitauit : le participe ortus se retrouve au v. 22 à propos du lever du soleil (sol... ortus) ; il est ici un peu redondant avec le verbe excitare ('faire sortir').

      34 : frondem perennem : Bergman, Lavarenne et Cunningham préfèrent fontem perennem (mss CTNPEFM), qui rattache l'idée de perpétuité à la source et non au feuillage de l'olivier (v. 32 canens oliua) et a de nombreux parallèles (apoth. 885 ; cf. Cic. Mil. 34 ; Liv. 42, 12, 10 ; Ov. epist. 8, 64). Il faut cependant retenir frondem perennem avec Arevalo (mss DOU, Va.c., Ea.c.; cf. Fontaine 1964b, p. 249-250 ; Pillinger 1976), vu le contexte (chrismatis feracem : ce sont les frondaisons des oliviers qui portent la matière première de l'huile, non l'eau) et des parallèles : cath. 8, 46-48 perennis | gurgitem uiuis uitreum fluentis | laurus obumbrat ; ditt. 175-176 frondibus æternis præpinguis liquitur humor, | qui probat infusum terris de chrismate donum. On retrouve frons perennis chez Lvcr. 1, 118 ; Pavl. Fest. p. 30 ; cf. Avg. doctr. christ. 2, 61 facile est intelligere pacem perpetuam significari oleæ ramusculo... quia nouimus... arborem ipsam frondere perenniter (cf. aussi les parallèles à frondem excitare dans ThlL s.v. excito 1260, 48-52). chrismatis feracem : cf. perist. 10, 779 feracem gloriæ. Chrisma (spécifique au vocabulaire chrétien), qui désigne l'huile, se rapporte souvent chez Prudence à la signation des baptisés : cath. 6, 126-128 te fontis et lauacri | rorem subisse sanctum, | te chrismate innotatum ; apoth. 493 ; psych. 360-361 post inscripta oleo frontis signacula, per quæ | unguentum regale datum est et chrisma perenne; c. Symm. 1, 585-586 ; ditt. 175-176 ; de même, Tert. bapt. 7, 1 ; Avg. ciu. 20, 10.

      
35-36 nunc pretiosa ruit per marmora lubricatque cliuum,
donec uirenti fluctuet colymbo.

... maintenant, [cette eau] s'élance à travers des marbres précieux et rend sa pente glissante, jusqu'à ce qu'elle vienne s'ébattre dans une vasque verdoyante.

      35 : nunc : avec cet adv., éloge discret des récents travaux hydrauliques damasiens (cf. Damas. carm. 3 ; 4). pretiosa... per marmora : le marbre précieux (de même, vv. 48. 51 ; cf. perist. 5, 73-74 ; 11, 185-188) de la canalisation (cliuum) prolonge le rocher brut d'où jaillissait la source (v. 33 supercilio saxi). lubricatque : cf. Lvcr. 5, 948-949 umori' fluenta | lubrica proluuie larga lauere humida saxa. Sans cesse lavé par l'eau qui glisse dessus, ce marbre n'est pas souillé de sang et de la fumée des sacrifices (cf. perist. 2, 481-482 ; c. Symm. 1, 501).

      36 : l'eau, agitée, aboutit dans une vasque ; dans le baptistère, elle tombera en cascade (v. 37 lapsibus sonoris ) dans une cuve (v. 38 stagnum... uoluitur profundo). donec uirenti : cf. Hor. carm. 1, 9, 17 (même début de v.). uirenti... colymbo : la pierre (marbre ou serpentine) est verte, alors que dans le paysage, la végétation avait la couleur blanche du marbre (v. 32 canens oliua) ; la cuve baptismale sera aussi verdoyante, mais du fait de la mousse (cf. v. 40). Colymbus ('bassin', 'piscine') n'est attesté qu'ici et en Hist. Avg. Heliog. 23, 7 ; Pass. Thom. p. 140, 11 ; CIL vi 1179 ; x 5348. La fontaine de l'atrium de la basilique est décrite chez Pavl. Nol. epist. 13, 13 nitens atrium... ubi cantharum ministra manibus et oribus nostris fluenta ructantem fastigatus solido ære tholus ornat et inumbrat, non sine mystica specie quattuor columnis salientes aquas ambiens.

      
37-38 Interior tumuli pars est, ubi lapsibus sonoris
stagnum niuali uoluitur profundo.

À l'intérieur du tombeau, il est un endroit où des cascades sonores font rouler l'eau d'un bassin dans ses profondeurs de neige.

      37 : pars tumuli : évocation d'une chapelle baptismale construite par Damase, semble-t-il, dans l'absidiole d'un transept (lien implicite entre le baptême et la mort, cf. v. suiv.). Tumulus désigne aussi S.-Pierre en c. Symm. 1, 583 Vaticano tumulum sub monte. lapsibus sonoris : le glissement de l'eau (lapsibus : -> 5, 487) est déjà évoqué au v. 35 lubricatque cliuum ; son bruissement l'est au v. 32 murmurans fluento. Ce détail suggestif (mouvement, bruit), préféré à la présentation statique et ordonnée d'un ensemble, relève d'une esthétique baroque.

      38 : à stagnum et à profundo, évocation de la mort (cf. perist. 11, 70 in... stagna profunda ; cath. 5, 128 stagnis... ex Acherunticis - reprise de Verg. Æn. 6, 323 Cocyti stagna alta uides Stygiamque paludem), figé et sombre, s'opposent le mouvement de uoluitur et la clarté de niuali. Avec leurs connotations contradictoires, les 2 iuncturæ entrecroisées symbolisent la dualité du baptême, participation à la mort et à la résurrection du Christ. stagnum... uoluitur : l'eau stagnante (stagnum désigne une piscine ; cf. Sen. Thy. 466 ; Tac. ann. 15, 64, 4) est vivifiée (uoluitur) par l'eau de source. niuali... profundo : au contraire des enfers évoqués par profundum (cf. cath. 9, 18 merserat quem lex profundo noxialis tartaro ; apoth. 745 nigrante profundo ; cf. Verg. Æn. 4, 26 Erebi nox profunda), le lieu évoqué semble clair comme la neige (niuali : -> 13, 11) - niualis suggère d'abord la fraîcheur (-> v. 43) et la pureté d'une eau qui proviendrait de la fonte des neiges (cf. Mart. 14, 118, 1 ; Gell. 19, 1, 3) ; sur les dérivés de nix, -> 2, 540.

      
39-42 Omnicolor uitreas pictura superne tinguit undas ;
musci relucent et uirescit aurum,
cyaneusque latex umbram trahit imminentis ostri :
credas moueri fluctibus lacunar.

Une représentation aux couleurs diaprées teinte d'en haut le verre des ondes ; les mousses renvoient la lumière et l'or en devient verdoyant ; le liquide azuré tire des contrastes de la pourpre qui le surplombe : on croirait que les caissons du plafond se meuvent sur les flots.

      39-42 : aux tons chauds (omnicolor... pictura ; relucent ; aurum ; umbram... ostri) du plafond construit par Damase (cf. Ps.-Damas. epigr. 5adn.) s'oppose la palette froide des eaux (uitreas ; musci ; uirescit ; cyaneusque latex) ; cf. perist. 11, 159-168 (espace obscur surplombé de la lumière, avec aussi une évocation finale de l'Eucharistie) ; cath. 8, 46-47 perennis (ici v. 34 perennem) gurgitem uiuis uitreum (cf. v. 39) fluentis (vv. 32 fluento ; 44 fluenta) | laurus obumbrat (cf. v. 41).

      39 : omnicolor... pictura : de même, dans les autres 'poèmes du voyage' (perist. 9, 10 fucis colorum picta imago ; 11, 124 multicolor fucus) ; cf. aussi perist. 3, 198-200 (pavement). Ce motif paradisiaque (cath. 3, 104-105 prataque multicolora latex | quadrifluo celer amne rigat) constraste avec les connotations liées à la mort caractérisant la vasque (v. 38) qu'animent l'eau vive (distique préc.) et (ici) les couleurs du plafond peint ou des mosaïques (autre sens de pictura : cf. Cvlex 64) d'une abside. Omnicolor n'est attesté qu'ici et chez Lvcil. 311 ; Ven. Fort. Mart. 3, 516. uitreas... undas : même iunctura chez Verg. Æn. 7, 759 ; Ov. met. 5, 48 ; Avson. Mos. 195 ; Clavd. 10, 128. Vitreus (qualifiant l'eau p.ex. en perist. 7, 16) peut évoquer la transparence (v. 38 niuali ; cf. psych. 869) ou une couleur tirant sur le vert (v. suiv. uirescit ; cf. Plin. nat. 9, 100). superne tinguit : l'eau baptismale participe de la diaprure du plafond, ce qui symbolise le sacrement baptismal, avec la descente de l'Esprit qui se communique (cf. la métaphone tinguere [-> 5, 342], à propos d'un reflet). superne : abrègement de la dernière syllabe (cf. Lvcr. 6, 597 ; Hor. carm. 2, 20, 11 ; cf. Lavarenne § 164, rem. 1) ; cet adv. évoque le Ciel, séjour divin (cf. perist. 6, 26 ; 13, 86 ; cath. 3, 20).

      40 : échange entre l'or du plafond (-> 11, 220) et la verdeur de la mousse dans la vasque. musci : élément du locus amoenus (cf. Hor. epist. 1, 10, 6-7 ruris amoeni | riuos et musco circumlita saxa nemusque ; Lvcr. 5, 951 humida saxa, super uiridi stillantia musco ; Verg. georg. 4, 18 stagna uirentia musco). relucent : la réflexion de la lumière prend un sens spirituel (cf. perist. 10, 432. 435 lumen æternæ spei... intus quod relucet mentibus). uirescit aurum : la couleur verte provient de la mousse, peut-être de l'eau (v. préc. uitreas... undas) - il se peut qu'à l'idée de 'verdir' se superpose celle de 'prendre de la vigueur' (autre sens de uirescere) : cf. v. 42 moueri. aurum : le fond doré d'une mosaïque (cf. v. 43-44) ou la dorure d'un plafond (v. 42 lacunar ; cf. v. 49-50).

      41 : mariage analogue entre l'azur et la pourpre en psych. 857-859 hic calchedon hebes perfunditur ex hyacinthi | lumine uicino ; nam forte cyanea propter | stagna lapis cohibens ostro fulgebat aquoso. cyaneusque : 1ère syllabe longue ; cet adj. qualifie l'eau sombre de la mer chez Aviénus (Arat. 402 ; ora 191 ; orb. terr. 370. 769. 964). latex : désignation poétique, notamment des fleuves infernaux (cf. Verg. Æn. 6, 715 ; Stat. Theb. 1, 290) ou paradisiaques (cf. cath. 3, 104-105) et des figures baptismales que sont l'eau coulant du rocher frappé par Moïse (cath. 5, 90 ; cf. vv. 33-34. 43-44) ou du flanc transpercé du Crucifié (perist. 8, 16). umbram trahit : umbra désigne moins l'obscurité (même si l'ombre appartient au locus amoenus) que le constraste (-> 11, 125), le plafond illuminant l'eau (v. préc. relucent) en même temps qu'il la colore ; les vaguelettes formées à la surface de l'eau agitée (v. 37-38) font se juxtaposer l'azur de l'eau et le reflet de la pourpre du plafond, ainsi que l'or et le vert (v. préc.). Trahere reprend d'un point de vue inverse l'idée exprimée par tinguit (v. 39) ; cf. perist. 10, 510 ; apoth. 766 ; Verg. Æn. 4, 701 ; Ov. met. 2, 236. imminentis ostri : la pourpre, produite par un coquillage, colore l'eau d'en haut (imminentis ; cf. v. 39 superne) et de l'extérieur, illustration paradoxale de l'échange réciproque entre haut et bas ici évoqué. Prudence emploie plus souvent purpura et ses dérivés (-> 2, 275) que son synonyme ostrum (p.ex. ici ; perist. 10, 910 ; psych. 39).

      42 : credas moueri : même tour p.ex. en perist. 10, 490 ; de même, dans les descriptions de perist. 11, formes à la 2e pers. (-> 11, 197), qui sont moins des adresses à l'interlocuteur (v. 1-2) que des moyens de rendre le récit plus expressif. moueri fluctibus lacunar : les reflets lumineux changeants, provoqués par l'agitation de l'eau, donnent l'illusion que le plafond est en mouvement. Sur le lacunar renvoyant le son ou la lumière, cf. Hor. carm. 2, 18, 2 ; Sen. epist. 114, 1 ; Petron. 60, 1. Les plafonds à caissons étaient parfois dorés (-> 11, 220), voire peints (cf. Plin. nat. 35, 124), ce qui permet de supposer qu'il y est fait allusion non seulement au v. 40 (l'or), mais aussi à la pictura multicolore du v. 39 (cependant, cf. v. 43-44).

      
43-44 Pastor oues alit ipse illic gelidi rigore fontis,
uidet sitire quas fluenta Christi.

Là, le pasteur abreuve lui-même de la fraîcheur d'une source glacée les brebis qu'il voit avoir soif de l'onde du Christ.

      43 : pastor : au v. suiv., fluenta Christi montre que pastor ne désigne pas le Christ mais son vicaire, occupant du lieu (cf. v. 31). Titre épiscopal (-> 11, 244), pastor convient aussi à s. Pierre (cf. N.T. Ioh. 21, 15-17 ; Cypr. testim. 1, 14 tit. pastor Ecclesiæ apostolorum princeps), peut-être représenté en ce lieu. Cf. DECA, s.v. Pasteur (Le bon) / II. Iconographie, p. 1923-1925 (Giuntella). oues : image courante, les 'ouailles' d'un évêque (cf. déjà les paraboles du bon Pasteur et de la brebis égarée : -> 11, 241-245). alit : bien qu'indirectement précisé par sitire, ce verbe convient mal à un contexte purement baptismal (même si les fonctions nourricière et purificatrice de l'eau sont associées en c. Symm. 2, 606-607). Il peut y avoir une allusion au discours du Pain de Vie (N.T. Ioh. 6, 55- 56 qui manducat meam carnem et bibit meum sanguinem habet uitam æternam... caro enim mea vere est cibus et sanguis meus uere est potus), donc à l'Eucharistie, que le néophyte recevait lors de la vigile pascale après les sacrements du baptême et de la chrismation (cf. v. 34). Ce passage à coloration johannique évoque aussi le dialogue avec la Samaritaine (N.T. Ioh. 4, 10 dedisset tibi aquam uiuam) et le rôle du bon Pasteur (Ioh. 10, 14) confié à s. Pierre (Ioh. 21, 17 pasce oues meas) ; cf. aussi N.T. apoc. 21, 6. illic : désignation ambiguë du baptistère ou d'une représentation telle que la traditio legis (remise par le Christ du rouleau de la Loi à s. Pierre, au-dessus des brebis buvant aux fleuves du Paradis : p.ex. mausolée Ste-Constance, Rome ; sur Pierre et Moïse, -> v. 33). Cf. Damas. carm. 3, 9 inuenit fontem præbet qui dona salutis ; 4, 5 una Petri sedes, unum uerumque lauacrum. gelidi... fontis : même iunctura chez Verg. ecl. 10, 42 ; Avson. Mos. 30. La fraîcheur de l'eau baptismale (v. 38 niuali... profundo) préfigure l'æternum refrigerium dont elle est le gage. Fons est souvent utilisé à propos du baptême d'eau (perist. 8, 5. 13 ; cath. 6, 126 ; c. Symm. 1, 550) ou de sang (perist. 1, 30 ; 3, 145). rigore : terme désignant le froid de l'eau (cf. Scrib. Larg. 83 ; Plin. epist. 8, 8, 4) ; son sens propre ('raideur') pourrait évoquer le rocher d'où elle sourd (cf. v. 33).

      44 : uidet : possible jeu sur l'étymologie d'episcopus ('qui observe') ; de même avec uidere, à propos des évêques Sixte II (perist. 2, 23 : angoisse de s. Laurent), Quirin (perist. 7, 38 : inquiétude de ses ouailles) et Fructueux (perist. 6, 52 : attitude de ses ouailles) ; la tâche du berger (v. préc. pastor) lui commande de regarder son troupeau. sitire : marque du désir, motif johannique lié aux fins dernières (-> 5, 356) et au baptême (cf. perist. 8, 7-8 ; Ps.-Damas. epigr. 60, 2 cupiens haurire fluenta). Sur l'acc. avec sitire, -> 2, 189. fluenta Christi : le ruisseau (v. 32 fluento) semble être devenu celui du Christ, par sa destination baptismale ; éventuelle référence à la transfixion du Christ (N.T. Ioh. 19, 34 ; cf. perist. 8, 15-16 laterum cui uulnere utroque | hinc cruor effusus fluxit et inde latex ; cath. 9, 86-87 ; ditt. 165-166).

      45-54 : description du sanctuaire, à peine achevé, imitée par Sidon. epist. 2, 10, 4 vers. 8-9 intus lux micat atque bracteatum | sol sic sollicitatur ad lacunar, | fuluus ut concolor erret in metallo (cf. v. 49-50) ; 11-15 distinctum uario nitore marmor | percurrit cameram, solum, fenestras, | ac sub uersi-coloribus figuris | uernans herbida crusta sapphiratos | flectit per prasinum uitrum lapillos (cf. v. 53-54).

      
45-46 Parte alia titulum Pauli uia seruat Ostiensis,
qua stringit amnis cæspitem sinistrum.

Sur l'autre rive, la voie Ostienne conserve le siège de Paul, à travers l'étendue gazonnée qu'effleure le fleuve, sur sa gauche.

      45 : ce v. de transition correspond au v. 31 dextra Petrum regio tectis tenet aureis receptum. parte alia : emploi d'alius à la place d'alter ; de même, perist. 9, 47. 51 ; 14, 62. titulum Pauli : titulus, qui désigne au sens propre une inscription (perist. 5, 392), est employé par synecdoque pour le tombeau dans son ensemble (de même, perist. 3, 10) ; ce terme se spécialisera pour désigner l'église paroissiale urbaine. uia... Ostiensis : située en aval de Rome, la basilique S.-Paul est longée par la voie conduisant au port d'Ostie. Prudence nomme aussi la uia pontis Hadriani (v. 61). seruat : même emploi en perist. 3, 195 ; 4, 2. 95 ; 11, 173. La basilique constitue l'objet de seruare, le sujet étant, assez curieusement, uia... Ostiensis.

      46 : cf. v. 7-8 scit Tiberina palus, quæ flumine lambitur propinquo, binis dicatum cæspitem tropæis. Contrairement à la basilique S.-Pierre, S.-Paul est tout au bord du Tibre. stringit amnis : de même, Verg. Æn. 8, 62-64 ego sum, pleno quem flumine cernis | stringentem ripas... | ... Thybris... amnis. Sur amnis, -> 2, 193. cæspitem sinistrum : la rive gauche (de même, v. 62 læuam... fluminis). Sur cæspes, -> v. 8.

      
47-48 Regia pompa loci est, princeps bonus has sacrauit arces
lusitque magnis ambitum talentis.

Royal est l'apparat de ce lieu, un bon prince a fait l'offrande de ces demeures et en a orné le pourtour à grands frais.

      47 : regia pompa : de même, perist. 11, 215-216 templum | ... cultu nobile regifico ; regius évoque la magnificence (cf. Hor. carm. 2, 15, 1) et peut-être la générosité (cf. Cic. de orat. 1, 32), tout en se référant au pouvoir impérial (cf. princeps). Souvent péjoratif (-> 14, 101), pompa désigne l'apparat de la basilique, l'idée de cortège qu'il évoque étant reprise au v. suiv. par ambitum. pompa loci : même iunctura chez Avson. 322, 32. princeps bonus : l'empereur (-> 13, 35) Honorius, qui a achevé les travaux entrepris en 386 par Théodose. Leur basilique, qui subsista jusqu'à l'incendie de 1823, remplaçait un édifice de petites dimensions érigé par Constantin. Prudence célèbre ailleurs (-> 2, 473-484) la politique d'Honorius consistant à conserver les oeuvres d'art païennes tout en interdisant le culte. En c. Symm. 1, 618, dux bonus semble désigner Théodose, loué pour son attitude éclairée face aux païens ; en perist. 3, 86, cette expression est appliquée ironiquement à l'empereur Maximien. Le mécène (ici, le prince régnant) n'est pas nommé ; de même, perist. 11, 185-188 præfixit tabulas diues manus... | candentes... ; | nec Pariis (cf. v. 51 Parias) contenta aditus obducere saxis, | addidit ornando clara talenta (cf. ici talentis) operi. sacrauit arces : ce n'est pas l'empereur, mais l'évêque qui procède à la dédicace de l'église (cf. Avg. epist. 54, 8 ; Inscr. christ. Diehl 1817a) ; sacrare est pris ici au sens faible d''offrir' (de même, cath. 4, 75 ; psych. 889 ; au v. 30, il signifie au contraire 'consacrer'). Arx peut désigner tout édifice majestueux ou vénérable : ici, une église (de même, perist. 6, 154 ; Ven Fort. carm. 1, 2, 3 ; Coripp. Iust. 2, 471).

      48 : lusitque... ambitum : ludere a le même sens d''orner' ou 'composer' en perist. 11, 129-130 ; c. Symm. 2, 44 ; son emploi transitif est attesté chez Verg. georg. 4, 565 ; Hor. carm. 4, 9, 9 ; Stat. silu. 1, 3, 51. Ambitus désigne le revêtement, la décoration intérieure de la basilique (achevés sous Honorius). magnis... talentis : même iunctura chez Plavt. Most. 913 ; Verg. Æn. 9, 265 ; Cassiod. uar. 2, 22, 2. Comme en perist. 11, 188 (->), talentum (unité monétaire : -> 2, 51) évoque le métal précieux utilisé comme matière première (cf. v. 49-50 ; de même, perist. 11, 188) et, surtout, sa valeur.

      
49-50 Bracteolas trabibus subleuit, ut omnis aurulenta
lux esset intus, ceu iubar sub ortu.

Il a plaqué des feuilles d'or sur les poutres, afin qu'à l'intérieur, toute la lumière fût dorée, comme celle de l'astre au moment de l'aurore.

      49 : Prudence mentionne aussi un plafond doré au v. 40 (->) et en perist. 3, 196-197 ; 11, 220 (->). bracteolas trabibus subleuit : les poutres (trabes ; cf. perist. 11, 220) sont plaquées de feuilles de métal (bracteolas) ; cf. Plin. nat. 17, 106 [sardæ] quæ bractea aurea sublinuntur. Au lieu de bractea (perist. 10, 1083 ; c. Symm. 1, 436), utilisation du diminutif (attesté chez Ivv. 13, 152 ; Arnob. nat. 6, 21 ; cf. aussi psych. 335) pour des raisons métriques surtout (moins probablement pour ménager un contraste avec le distique suiv. et son objet grandiose).

      49-50 : ut omnis aurulenta lux esset intus : ce décor luxueux reçoit un but spirituel, puisqu'il est au service de la lumière (-> v. 22), abondante (cf. omnis) ; même justification à propos de sanctuaires en perist. 3, 191-192 ; 11, 185-188. Cf. perist. 11, 167-168 sic datur absentis per subterranea solis | cernere fulgorem luminibusque frui (lumière captée artificiellement).

      49 : aurulenta : cet adj. n'est attesté qu'ici et chez Ven Fort. uita Germ. 45.

      50 : ceu iubar sub ortu : évocation de la lumière claire de l'aurore, que désigne iubar renforcé par sub ortu (moment du lever du soleil ou les instants précédants ou suivants) ; cf. Verg. Æn. 4, 130 iubare exorto. Cf. v. 22 diemque eundem sol reduxit ortus (correspondance ; ->).

      
51-52 Subdidit et Parias fuluis laquearibus columnas,
distinguit illic quas quaternus ordo.

Sous les caissons fauves du plafond, il a également placé des colonnes en pierre de Paros, qu'il y a disposées sur quatre rangées.

      51 : subdidit... columnas : les colonnes semblent soutenir directement les poutres du plafond (fait inexact : -> 11, 220) ; cf. perist. 11, 219-220 ordo columnarum geminus laquearia tecti | sustinet auratis suppositus trabibus. Parias : cf. perist. 11, 187 Pariis... saxis (->) ; cf. aussi v. 35 pretiosa... per marmora. fuluis laquearibus : même expression en c. Symm. 2, 838. Prudence mentionne plusieurs fois des lambris dorés (cf. v. 49 ; -> 11, 219) ; la couleur fauve correspond mieux à l'or qu'à celle de la clarté de l'aube ou de l'aurore mentionnée au v. préc.

      52 : distinguit : plutôt que 'séparées' (sens propre), les colonnes sont 'disposées' et donc pratiquement 'groupées' en 4 rangées (quaternus ordo). illic : l'espace intérieur de la basilique. quaternus ordo : cf. perist. 11, 219 ordo... geminus (ordo désigne l'alignement des colonnes en rangées). Comme quadruus (cf. psych. 843), quaternus signifie 'quadruple' ; son emploi au sing. est rare (attesté chez Mart. 12, 76, 1). Cette basilique à 5 nefs a des dimensions considérables.

      
53-54 Tum camuros hyalo insigni uarie cucurrit arcus :
sic prata uernis floribus renident.

Puis il a fait courir sur les arcs cintrés une diaprure de verre magnifique : ainsi les prairies sont-elles émaillées de fleurs printanières.

      53 : la nature et l'emplacement de cette décoration (peut-être disparue avant 460, suite à des restaurarations) sont discutés. tum... cucurrit : tum introduit une nouvelle action du princeps bonus (v. 47), sujet de cucurrit (verbe simple, intransitif, sur le modèle de percurrere [-> 14, 28] dont il reprend le sens ; de même, v. 20 spiritum daturus au lieu de redditurus ; cf. Martinez Fazio 1964, p. 53-58). camuros : camur signifie 'recourbé', 'tourné en dedans' (cf. Gloss. V 59, 9 ; Isid. orig. 12, 1, 35) ; attesté chez Verg. georg. 3, 55 ; Avien. Arat. 429. Il est ici pléonastique (cf. Martinez Fazio 1964, p. 48-53). hyalo insigni : hyalus, calqué sur le grec (le verre et toute pierre translucide) n'est attesté que chez Verg. georg. 4, 334-335 uellera... | ... hyali ('verre') saturo fucata colore ; Avson. Mos. 418-419 cæruleos nunc, Rhene, sinus hyaloque ('couleur verte/éclat vitreux') uirentem | pande peplum. Il semble être question d'une mosaïque faite de tesselles de couleurs vives, attirant le regard (insigni ; cf. perist. 5, 10 ; psych. 851) ; cf. Sen. epist. 86, 6 ; Stat. silu. 1, 5, 42. Elle ornerait de motifs floraux les arcades de l'entre-colonnement de la nef principale ou, plutôt, la bande inférieure de l'arc triomphal séparant la nef du transept (ornement fréquent à Ravenne, un siècle plus tard). Martinez Fazio (p. 58-72) discute cette expression sans s'attarder sur insigni, qui rend problématique l'interprétation qu'il retient : hyalo évoquerait le fond vert de stucs à motifs végétaux ornant les arcades latérales de la nef. L'imitation de Sidoine Apollinaire invite aussi à voir ici plutôt une mosaïque. uarie : cette variété peut être celle des couleurs ou des motifs, ou les deux.

      54 : cette comparaison avec une prairie en fleurs (cf. perist. 3, 199-200) conclut la description des basiliques (rappel des vv. 7-10). sic... renident : cf. v. 40 musci relucent ; comme pour le motif équivoque du bon Pasteur aux vv. 43-44, la comparaison peut être à la fois matérielle et formelle (les fleurs constituent le sujet représenté). prata : l'image paradisiaque et bucolique du pré (cf. cath. 3, 104 ; 5, 121 ; 8, 41) se retrouve à propos du décor minéral du temple spirituel en psych. 862-863 has inter species smaragdina gramine uerno | prata uirent, uoluitque uagos lux herbida fluctus. uernis floribus : même iunctura chez Hor. carm. 2, 11, 9 ; Ov. met. 4, 315 ; Stat. Theb. 5, 580 ; Clavd. 21, 86. Cf. perist. 5, 321 uernare multis floribus (->). Le motif, topique, participe de l'idée de nouveauté suggérée par la mention du soleil levant (v. 50).

      
55-56 Ecce duas fidei summo Patre conferente dotes,
Vrbi colendas quas dedit togatæ.

Voilà les deux dotations de la foi, apportées ensemble par le Père suprême, qui en a fait don à la Ville en toge pour qu'elle les vénère.

      55 : Prudence évoque l'expression juridique conferre dotem ou dotes, formule répétée en Dig. 37, 7 (sous le titre de dotis collatione). Plus étymologiquement, il suggère peut-être aussi le fait que les deux Apôtres ont été donnés ensemble, avec leur concordia. ecce duas... dotes : l'emploi de l'acc. d'exclamation après ecce est poétique ; cf. Verg. ecl. 5, 65-66 en quattuor aras : | ecce duas ibi, Daphni, duas altaria Phoebo. fidei... dotes : les Apôtres sont donnés aux Romains comme garants de la foi, cf. perist. 2, 457-458 obsides | fidissimi huius spei ; 11, 31-32 una fides uigeat, ... | quam Paulus retinet, quamque cathedra Petri (cf. Ambr. hymn. 12, 7-8 Deum secutos præsulem | Christi coronauit fides ; 11-12 electionis uas sacræ | Petri adæquauit fidem). summo Patre : cf. perist. 10, 609 ; cath. 4, 68 ; 5, 157 ; 12, 81 ; apoth. 90. 101. 254.

      55-56 : dotes... dedit : figure étymologique ; de même, perist. 13, 106 dona dat (->).

      56 : Vrbi... togatæ : cf. perist. 2, 10 Vrbis togatæ (->) ; cette périphrase désignant Rome avec le vêtement romain par excellence suggère aussi que la population s'est endimanchée (cf. perist. 11, 203-204), dans la tenue d'usage pour la clientèle venant saluer le patronus (cf. Mart. 5, 26, 4 ; Ivv. 1, 96 sportula... turbæ rapienda togatæ ; 3, 127) ou l'escorter (cf. Mart. 2, 57, 5 quem grex togatus sequitur et capillatus) - même transposition implicite du patronage civil au culte des martyrs en perist. 11, 189 (->). colendas... dedit : -> 5, 388. Ce don du Père répond à l'oblation des martyrs (v. 27 poenæ datur) ; fait à l'Vrbs, il est étendu à l'orbis par l'invitation des vv. 65-66 (de même, perist. 2, 569-576). Sur colere à propos de martyrs, -> 11, 231.

      57-66 : dans la seconde partie de la 'conclusion', après une évocation des sanctuaires (v. 29-56), on revient à la question initiale et à l'évocation de la fête du 29 juin.

      
57-58 Aspice, per bifidas plebs Romula funditur plateas,
lux in duobus feruet una festis.

Regarde, le peuple de Romulus se répand par deux avenues en se divisant : la clarté d'un jour unique connaît la ferveur de deux fêtes.

      57 : aspice : on a aussi aspice en début de v., signalant un spectacle remarquable, en ham. 61. 778 ; c. Symm. 1, 603. Le poète voyait la foule, étonné, sans percevoir son double mouvement ; informé, il est invité à la regarder derechef, puis à la rejoindre (v. 59-62 ; de même, perist. 9, 5-8. 95-104). per bifidas... plateas : les pèlerins se répartissent entre la uia Aurelia (vers S.-Pierre) et la uia Ostiensis (vers S.-Paul), appelées platea (-> 2, 157). Cette précision respecte la structure binaire du poème (-> v. 5-6), mais contredit et corrige celle d'Ambr. hymn. 12, 27-28 trinis celebratur uiis | festum sacrorum martyrum ; Prudence tait le pèlerinage à la basilique S.-Sébastien (basilica Apostolorum), sur la uia Appia, où ne se rendait pas le Pape le jour de la fête - ce sanctuaire fut lié à la pratique alors condamnée du refrigerium, comme l'attestent des graffiti anciens (cf. Introd. § 185-186). plebs Romula : de même, gens Romula en c. Symm. 2, 298 (cf. Hor. carm. 4, 5, 1-2 ; carm. sæc. 47) ; cf. aussi Vrbs Romula en perist. 2, 310. 412. Plebs désigne à la fois la population d'un lieu et l'ensemble des fidèles qui y résident (-> 2, 468). funditur : cf. perist. 11, 199-202 Vrbs augusta suos uomit effunditque Quirites | una et patricios ambitione pari. | confundit plebeia phalanx umbonibus æquis | discrimen procerum, præcipitante fide. Ce verbe suggère une analogie avec l'élément liquide, présent tout au long du poème (notamment le Tibre).

      58 : cf. Stat. silu. 1, 2, 229-230 uixdum emissa dies, et iam socialia præsto | omina, iam festa feruet domus utraque pompa (double mariage). Manifestant l'unité dans la dualité, Prudence insère una entre duobus et festis (figure inverse au v. 5 ; ->). lux : désignation par synecdoque de la journée (-> 11, 236). Au v. 50, lux (aussi en début de v.) désigne au sens propre la lumière. in duobus... festis : ce groupe introduit par in est proche, pour le sens, d'un abl. instrumental ; de même, Hier. epist. 22, 35, 5 in amore Dei feruentem. L'adj. festus (épithète au v. 3 ; -> 11, 196) est substantivé au neutre, avec le sens de 'fête' ; de même, perist. 11, 234 annua festa (cf. Ov. fast. 4, 877). Prudence utilise aussi festum p. ex. à propos de la Pâque juive (apoth. 348), de fêtes païennes (-> 2, 452). feruet : ce verbe désigne la force des passions (-> 2, 249), ici la ferveur des fidèles et l'agitation de la ville (même motif en perist. 11, 205. 211-212. 228).

      
59-62 Nos ad utrumque tamen gressu properemus incitato,
et his et illis perfruamur hymnis.
Ibimus ulterius, qua fert uia pontis Hadriani ;
læuam deinde fluminis petemus.

Quant à nous, hâtons-nous cependant vers chacune des deux, en accélérant le pas, et goûtons les hymnes de celle-ci et de celle-là. Nous irons de l'autre côté, par où mène la rue du Pont-d'Hadrien ; ensuite, nous gagnerons la rive gauche du fleuve.

      59-60 : properemus... perfruamur : le récit débouche sur l'exhortation et sur l'action ; de même, en perist. 9 (-> v. 57-58) et 11 (introduction du culte du martyr ; -> 11, 231-238).

      59 : nos... tamen : les interlocuteurs feront davantage que les fidèles qui se dirigent vers l'un des deux sanctuaires. Zèle analogue dans la dévotion en perist. 11, 197 studiis certantibus ; 200 ambitione pari ; 202 præcipitante fide. ad utrumque : de même, v. 5-6 unus utrumque dies... | uidit... laureatum (->). Sans autres précisions, utrumque peut désigner les Apôtres, au masc. (cf. v. 55 duas... dotes), les célébrations (v. préc. duobus... festis) voire les sanctuaires, au neutre. gressu... incitato : cf. v. 2 cursitant (->), ici redondance avec properemus ; cf. Sen. Herc. O. 513 gressum citabat ; Tro. 999 incitato... accurrit gradu ; cf. aussi cath. 7, 131-132 percito | gressu.

      60 : et his et illis... hymnis : pour cette fête, les rubriques liturgiques semblent être distinctes et spécidiques pour chaque sanctuaire ; autre allusion au chant liturgique en perist. 2, 515-516 Christi frequentans atria | hymnis resultat martyrem. Prudence évoque ses propres oeuvres à la fin de poèmes tardifs : perist. 1, 118 hymnite ; 3, 210-215, en part. 215 carmine propitiata fouet ; perist. 4, 189-200 (tel un coryphée, le poète entraîne les autres fidèles à sa suite) ; 6, 145-162, en part. 151-152 laudans Augurium resultet hymnus, | mixtis Eulogium modis coæquans. perfruamur hymnis : le poète ne veut rien perdre des beautés du culte, objet de jouissance esthétique ; cf. perist. 10, 534 Dei Parentis perfruetur lumine (béatitude des élus).

      61-64 : sur la situation des sanctuaires sur les 2 rives du Tibre, -> v. 7-10. 29.

      61 : ibimus ulterius : les interlocuteurs vont traverser le Tibre pour gagner sa rive droite, le Vatican (emploi analogue d'ulterior, psych. 653). qua fert uia pontis Hadriani : cf. Verg. Æn. 6, 295 hinc uia Tartarei quæ fert Acherontis ad undas ; fin de vers analogue au v. 45 uia seruat Ostiensis). Cet itinéraire par le pont S.-Ange (appelé aussi pons Ælius) est légèrement plus long que celui qui emprunte le pont dit de Néron (tracé repris par le pont Victor-Emmanuel ii). Prudence évite peut-être ainsi de citer à nouveau (cf. v. 11. 23) le nom du persécuteur : l'évoquer ici créerait un parallèle incongru avec Honorius, princeps bonus (v. 47) bâtisseur.

      62 : læuam... fluminis petemus : cf. v. 45-46. Prudence sous-entend partem ; cf. Verg. Æn. 3, 563 læuam... petiuit ; Ov. met. 3, 642. deinde : (3 syllabes) ; le pèlerinage se déroule en deux temps, comme les célébrations accomplies par le Pape (cf. v. 63-64 prius... | mox).

      
63-64 Transtiberina prius soluit sacra peruigil sacerdos ;
mox huc recurrit duplicatque uota.

Le prêtre, après une vigile, accomplit d'abord les cérémonies sacrées au-delà du Tibre ; bientôt, il revient ici en toute hâte et répète ses offrandes votives.

      63 : Transtiberina... sacra : traditionnellement, la rive droite est l''autre' rive, pour les Romains (cf. v. 61 et huc au v. suiv.), y c. le Pape, dont la résidence officielle était au Latran. Transtiberinus est substantif chez Cic. Att. 12, 23, 3 ; adj. chez Mart. 1, 41, 3. soluit sacra : de même, Colvm. 10, 419 (même emploi de soluere chez Prop. 3, 10, 31 ; Verg. Æn. 7, 5). Ici, il s'agit du sacrifice de la messe (cf. v. suiv. duplicatque uota). Sacra peut aussi désigner les rites païens (-> 2, 423). peruigil sacerdos : la traduction 'pontife vigilant' citée en note par Lavarenne n'a pas de sens ici ; peruigil se réfère presque toujours chez Prudence à l'activité nocturne et à l'absence de sommeil (cf. perist. 3, 61 ; 10, 238 ; terme poétique, cf. p.ex. Ov. met. 10, 369 ; Ivv. 10, 369). Sacerdos désigne souvent l'évêque, revêtu de la plénitude du sacerdoce ministériel (-> 2, 21). Cette prière nocturne est exceptionnelle (cf. perist. 11, 189-190 mane... solis adusque obitum) ; au contraire des nocturnis sacris de perist. 2, 71 (messe), il ne s'agit que d'une vigile précédant l'accomplissement (soluit) du sacrifice eucharistique : sinon, les interlocuteurs ne pourraient assister à une célébration ayant déjà eu lieu.

      64 : mox huc recurrit : répondant à prius (v. préc.), mox souligne l'idée de précipitation (-> v. 2). Avec la célébration à S.-Paul, le Pape revient en quelque sorte sur ses pas (recurrit), puisqu'il regagne la rive gauche d'où il était parti. duplicatque uota : cf. Verg. Æn. 8, 556 uota metu duplicant matres (sens différente de duplicare). On a ici le premier témoignage relatif à la bination, c'est-à-dire à l'itération (exceptionnelle) du sacrifice de la messe dans la même journée par le même prêtre (cf. Weyman 1914, p. 179-181). uota : ce nom désigne l'Eucharistie, cf. Avg. epist. 149, 16 porro si usitatius... in Scripturis uotum appellatur euchn, ... ea proprie intellegenda est oratio quam facimus ad uotum, id est proseuchn. uouentur autem omnia quæ offeruntur Deo, maxime sancti altaris oblatio, quo sacramento prædicatur nostrum illud maximum uotum, quo nos nouimus in Christo esse mansuros, utique in compage corporis Christi. La foule se répartissant entre les 2 sanctuaires, les célébrations qui s'y déroulent doivent être complètes et distinctes ; il est peu probable que uota ne désigne que des prières votives (-> 2, 536). Les voeux de la communauté convergent (perist. 11, 198 quæue celebrando uota coire Deo) et culminent dans l'Eucharistie, notamment dans la partie de la messe appelée 'collecte'.

      
65-66 Hæc didicisse sat est Romæ tibi : tu domum reuersus
diem bifestum sic colas memento.

Il est assez pour toi d'avoir appris cela à Rome : toi, revenu au foyer, rappelle-toi d'honorer ainsi le jour à la double fête.

      65 : hæc didicisse : sur la curiositas de Prudence, -> 11, 14. sat est... tibi : point final du récit, évoquant le départ des interlocuteurs ; cf. apoth. 892-893 quocumque modo sit factus, id unus | scit factor Dominus ; factum mihi credere sat sit. Romæ : locatif ; désignation de Rome par son nom (et non par périphrase : cf. v. 56 Vrbi... togatæ) symétrique de la seule autre mention de Roma dans ce poème, au v. 2 (de même, perist. 2, 35. 550 avec passionem). domum reuersus : de même, perist. 9, 106 domum reuertor ; 11, 179 quod lætor reditu. Sur domus, -> 9, 103.

      66 : diem bifestum : cf. v. 3 festus apostolici... dies triumphi. L'idée de double fête en un jour est exprimée aux vv. 5 ; 58 lux in duobus feruet una festis. L'adj. bifestus est un hapax legomenon dans la littérature latine (composés en bi- : cf. Lavarenne § 1244). sic colas memento : asyndète (sans ut), évoquant la langue parlée. Cf. v. 56 Vrbi colendas quas dedit [Pater] togatæ (->). On retrouve memento dans des exhortations en perist. 10, 835 ; cath. 6, 125 ; l'idée de mémoire est liée à celle d'apprentissage (v. préc. didicisse), cf. perist. 11, 13-14. Prudence n'est pas invité à introduire le culte d'un martyr 'étranger' dans son diocèse hispanique (cf. perist. 11, 231-238), mais à le célébrer avec la ferveur des Romains (cf. sic) - probablement sans la pratique de la bination (cf. v. 64), liée à la topographie romaine. Cette conclusion, reprenant la demande des vv. 1-2, est proche de celle de perist. 9, plus personnelle et dramatique : audior, urbem adeo, dextris successibus utor, | domum reuertor, Cassianum prædico.


Peristephanon 13
Deuxième Passion : Passion de Cyprien (Passio Cypriani)

      Le poème célébrant saint Cyprien est le seul, parmi les sept Passions, à être consacré comme tel à un Père et Docteur de l'Église - il n'y a pas de mention de ce type à propos de saint Hippolyte (perist. 11). Ce poème dédié à l'évêque de Carthage devait, significativement, suivre perist. 2, où est célébré saint Laurent, martyr romain par excellence, et où est évoqué Sixte II ; la puissance urbi et orbi de la parole du martyr marque les deux poèmes. Perist. 13 a pour pendant perist. 14 (cf. Introd. § 116-117). Saint Cyprien représente l'Africa chrétienne et constitue par excellence la figure de l'évêque, modèle et guide (cf. aussi perist. 2, 21-28 et 11, 25-38). Ici, Prudence insiste sur la puissance de la parole, qui unit l'amour et la mort - de façon diabolique dans le cas des invocations magiques faites dans les cimetières, de façon salvifique dans les appels et les prières en faveur du martyre. Pour Prudence, sensible à la force de l'éloquence (fallacieuse) d'un Symmaque, saint Cyprien fait figure d'orateur véridique.

      Les martyrs 696 

      Né vers 200, évêque de Carthage à partir de 249, Cyprien 697  fut condamné à l'exil fin août 257, puis décapité le 14 septembre 258 in agro Sexti, durant la persécution de Valérien et de Gallien, et enterré dans le cimetière de Macrobius Candidianus, rue des Mappales ; son culte dut être immédiat. Quant aux martyrs de la Massa Candida (-> v. 87), ils sont morts près d'Utique, un 24 août, probablement vers 260, sous les mêmes empereurs.

      Tradition hagiographique et liturgique

      La vie de saint Cyprien, surtout à partir de sa conversion (vers 249), est bien connue par ses propres écrits (ainsi que par la Vita Cypriani rédigée par le diacre Pontius : BHL 2041 ; CPL 52) - et son martyre, par les Actes Proconsulaires, document de première valeur 698 . Même s'il évoque indirectement les mots d'ordre de l'Exhortation au martyre (Cypr. Fort.), Prudence ne cite aucune des oeuvres conservées de saint Cyprien - il parle de commentaires aux Épîtres pauliniennes (cf. v. 16-20) - et n'utilise pas les documents qui parlent de l'exil qui a précédé le martyre ; le poète stylise son récit et y intègre un élément probablement légendaire, attribuant au martyr un passé de magicien amoureux (de même, Greg. Naz. hom. 24) 699 . En outre, Prudence insère dans son poème une mention de la Massa Candida : les deux martyres sont également associés chez Avg. serm. 311, et c'est peut-être par saint Augustin que le poète a connu cet épisode (cf. aussi serm. 306 ; in psalm. 49, 9).

      L'existence d'un corpus écrit 'authentique' et contemporain au martyr, utilisé par les auteurs postérieurs, marginalise perist. 13 dans la production hagiographique, assez limitée, relative à saint Cyprien ; on peut citer une hymne d'Ennode (carm. 1, 12) où, comme en perist. 13, sont évoqués l'éloquence du martyr et son séjour en prison, avant sa décapitation. Ne pouvant être repris tel quel par la liturgie mozarabe à cause de son mètre, le poème de Prudence a inspiré l'hymne de forme ambrosienne qui est chantée à vêpres et à laudes pour la fête de saint Cyprien (cf. PL 86, 1201c-1202a). En outre, on trouve une imitation de perist. 13, 26 chez Walafrid Strabon (ixe s.) 700 . Enfin, perist. 13 figure dans une collection hagiographique d'écrits de et sur saint Cyprien, dans un manuscrit du (xiie ou du xiiie s.) 701 .

      Témoignages archéologiques et artistiques du culte

      Carthage connaissait trois lieux de culte dédiés à saint Cyprien : outre une memoria près de la mer, la mensa Cypriani sur le lieu du martyre et une basilica in Mappalibus édifiée sur la tombe. Ses reliques seront transférées en Gaule à l'époque carolingienne.

      L''africanité' et l'universalité du martyr se manifestent par sa vénération aussi bien locale que dans le reste de l'Empire (en tant que Docteur de l'Église) ; mentionné dans la Depositio martyrum, saint Cyprien est nommé au canon romain de la messe. Le culte des martyrs de la Massa Candida resta par contre local, et ne semble pas avoir inspiré d'artistes ; l'iconographie de saint Cyprien prend les caractères typiques - mais non individuels - de l'évêque, docteur et martyr.

      Bibliographie : cf. les études de Saxer 1980, pp. 84-119. 183-187 ; Sabattini 1973, Delehaye 1921 et 1927 (p. 8-9), Franchi de' Cavalieri 1902, Monceaux 1900. S. Cyprien : DECA 603-606 (Saxer) ; BSS 3, 1260-1278 (Gordini ; Brandi) ; AA. SS. 44 (sept. t. 4), 191-348 ; BHL 307-308 ; 2037-2041 et suppl. 234-239 ; Fros p. 178 ; BHG 1, 137-140 et app. 53-55 ; MHier 505-506 ; MRom 395-396. (399). Massa Candida : DECA (1587-)1588 (Mara) ; BSS 9, 4-6 (Gordini) ; AA. SS. 38 (août t. 4), 761-765 ; BHL 832 et suppl. 623 ; MHier 448-450 (18 août, et non 24 août) ; MRom 356-357.

      Le poème

      Résumé

      Prudence évoque d'abord l'universalité des écrits de saint Cyprien (v. 1-8), leur éloquence inspirée (v. 9-14) et leur utilité pour l'intelligence des Écritures (v. 9-14). Il est ensuite question de la conversion de saint Cyprien, ancien magicien (v. 21-32) devenu évêque (v. 33-34), qui invitera ses ouailles à résister aux persécuteurs (v. 35-48). Emprisonné (v. 49-52), il prie notamment pour les fidèles (v. 53-69) ; trois cents d'entre eux sauteront dans une fosse pleine de chaux vive plutôt que d'abjurer (v. 70-87), ce qui remplit de joie saint Cyprien (v. 88-89), qui confesse aussi sa foi avant d'être condamné à la décapitation (v. 90-95). Prudence invite l'Afrique en deuil à se réjouir (v. 96-101) et évoque encore la diffusion universelle des écrits du martyr (v. 102-106).

      Dynamique et thématique du récit

      Un peu comme en perist. 2, où la mention du martyre de saint Sixte (perist. 2, 21-32) permet d'annoncer celui de saint Laurent, on a ici un récit secondaire de passion, qui illustre non l'action prophétique, mais la fonction protreptique de l'évêque. Le martyre collectif de la Massa Candida illustre l'efficacité de la parole de saint Cyprien, qu'elle soit adressée à Dieu (le martyr, intercesseur) ou aux hommes (l'évêque, docteur et pasteur).

      Cette éloquence donne à l'action terrestre de l'évêque une universalité et une perpétuité que la seule épreuve du martyre ne permet pas, même si elle la dépasse infiniment - on se trouve dans le même cas qu'en perist. 14, où la qualité de vierge s'ajoute à celle de martyre. Les deux poèmes présentent des voies de sanctification praticables de tous temps : ici, la prédication et l'écriture mise au service de la Foi. On ne peut de ne pas voir ici un reflet de ce à quoi Prudence aspire lui-même : se sanctifier, et sanctifier autrui par le charme de ses oeuvres édifiantes.

      Bibliographie : cf. les études de Petruccione 1990a et 1991a et de Costanza 1978 ; cf. aussi Malamud 1989, p. 115-148, avec toutes les réserves qu'apporte Roberts 1993, p. 114-115 et n. 8.

      Mots rares (seules occurrences chez Prudence) : opulentus et exsecutor (v. 16), perpolita (v. 19), abdicata (v. 52), unicultor (v. 90 ; ->), cultior et gloriatur (v. 97), recedit (v. 100), prophetat (v. 101), Hesperiæ (v. 104).

      Mètre : 106 vers archiloquiens ici exceptionnellement utilisés catastichon 702 .

      Schéma métrique :

      Forme fixe (tétramètre bucolique suivi de 3 trochées), exceptionnelle 703 . Généralement 704 , coupe après le tétramètre bucolique, correspondant le plus souvent à des unités de sens 705 .


Commentaire

      Passio Cyriani : titre sobre, analogue à celui de perist. 14 ; cf. Introd., App. C, p. 138.

      
1-4 Punica terra tulit quo splendeat omne quidquid usquam est,
inde domo Cyprianum, sed decus orbis et magistrum.
Est proprius patriæ martyr, sed amore et ore noster ;
incubat in Libya sanguis, sed ubique lingua pollet,

La terre punique a porté la source de la splendeur de tout ce qui est partout ; c'est de cette demeure qu'est issu Cyprien, mais c'est de la terre qu'il est l'honneur et le maître. Il est un martyr propre à sa patrie, mais par l'amour et le discours, il est nôtre ; son sang repose en Libye, mais sa langue a une vertu universelle, ...

      1 : Punica terra : cf. perist. 1, 4 terra Hibera. Désignations de la patrie du martyr : vv. 4 Libya ; 51 Tyriæ Carthaginis ; 71 Carthaginis ; 96 Africa ; 102 Libyæ. La mise en valeur de Punicus est significative : dans le recueil primitif, ce poème suit perist. 2 (qui commence par une adresse à Rome, avec l'évocation des guerres passées). Perist. 13 est la seule des Passiones où Rome ne soit pas mentionnée. tulit : cf. perist. 3, 6-7 proximus occiduo locus est | qui tulit hoc decus egregium. omne quidquid usquam est : de même, perist. 10, 325 quidquid usquam est ; cath. 9, 23 quidquid est uirtutis usquam, psallat in laudem Dei.

      2-4 : oppositions (sed) et symétries entre localisation particulière et rayonnement universel :

      
(a) inde domo (b) Cyprianum, sed (a') decus orbis (b') et magistrum  
(a) est proprius patriæ (b) martyr, sed   (b') amore et ore (a') noster
(a) incubat in Libya (b) sanguis, sed (a') ubique (b') lingua (a') pollet

      L'idée que le lieu du martyre participe de la gloire de son héros (cf. début de perist. 1. 2. 6 et tout perist. 4) est comme dépassée par l'universalité des oeuvres de s. Cyprien. Le motif de la double patrie du martyr (particulière et universelle) se retrouve à la fin du poème (v. 96-106).

      2 : inde domo : l'abl. de provenance précise inde ; cf. Verg. Æn. 8, 114 unde domo ? La patrie du martyr (domus ; de même, perist. 14, 1) est marquée par des grâces divines ; cf. perist. 1, 19 inde larga fonte ab ipso dona terris influunt ; 4, 77 inde, Vincenti, tua palma nata est. Cyprianum : le martyr est nommé au début du poème (-> 14, 1), et ensuite, sous les noms Cyprianus (vv. 8. 38. 53. 59 ; cf. perist. 4, 18 ; 11, 237) et Thascius (vv. 88. 93). Effet de retardement avec quo splendeat (v. 1) dont l'antécédent Cyprianum est sous-entendu. decus orbis : cf. Cic. Flacc. 75 decus patriæ. Decus (-> v. 73) désigne aussi des martyrs en perist. 2, 573 o Christi decus ; 3, 7 ; 4, 63. orbis : reprenant omne, quidquid usquam est (v. 1), orbis désigne le monde créé (cf. v. 55 Deus et creator orbis) et maintenu (v. 6) par Dieu. magistrum : s. Cyprien est le seul Docteur de l'Église célébré comme tel dans les Passiones ; cf. vv. 8 discet ; 17 quæ doceret orbem ; 34. 38 (->) ; 105 doctor ; 74 docens ; 96 quo docente ; 101 docet, instruit. Magister évoque le magistère de l'évêque (cf. perist. 6, 10 ; 11, 233) ; utilisé aussi à propos du Christ et de s. Paul (cf. perist. 12, 14 ; 24).

      3 : proprius patriæ : cf. perist. 4, 17-18 Afra Carthago tua promet ossa, | ore facundo Cypriane doctor. martyr : la qualité d'écrivain semble plus universelle que celle de martyr (au v. 105, doctor humi est, idem quoque martyr in supernis, c'est le contraire ; opposition non de l'Afrique au reste du monde, mais de la terre au Ciel). amore et ore : paronomase analogue au v. 28 oris et nitoris et en perist. 5, 562 ueneramur ore et pectore (->). Ore désigne l'éloquence, subsistant dans les écrits ; amore peut être vu comme l'amour du saint pour l'humanité (en perist. 2, 572, pour ses compatriotes) ou comme l'affection dont il est l'objet (dévotion appelée amor en perist. 3, 5 ; 6, 133). L'amour de charité fut la cause de la conversion du futur martyr (v. 27 [Christus] implet amore sui, dat credere) et de l'héroïsme des martyrs de la Massa Candida (v. 75 laudis amore rapi... et fidem tueri : enseignement de s. Cyprien). noster : référence à toute la chrétienté latine (cf. v. 102-104).

      4 : les reliques du martyr sont désignées par un liquide (sanguis) et ses écrits par un corps (lingua) ; le corps se désagrège, se liquéfie (cf. v. 84-87) et la parole, liquor (v. 12 ; cf. v. 9-14), se fixe dans les livres (cf. v. 7-8). incubat... sanguis : expression curieuse, sanguis (qui s'accorde mal avec incumbere) équivalant à 'restes mortels' (synecdoque) ; de même, perist. 1, 3. 7-8. Libya : le nord de l'Afrique (cf. v. 102 ; c. Symm. 2, 491 où Libya est mis sur le même plan qu'Europa) ; -> v. 1. Au sens strict, l'Africa est la région de Carthage, alors que la Libya est située entre l'Africa et l'Égypte. ubique : comme l'immortalité (cf. v. 5), l'ubiquité est un attribut divin (cf. perist. 4, 72 ; apoth. 638). Les paroles de s. Cyprien, inspirées (cf. v. 9-10), possèdent ces qualités. lingua : comme os (v. 3), lingua désigne la parole du martyr et, partant, ses écrits (cf. Avg. epist. 132, 1 apostolorum linguas exhortor ut legas) ; au v. 11, lingua signifie plutôt 'éloquence'. En perist. 10, le juge fait trancher la langue du martyr, qui poursuit miraculeusement son discours ; ici, l'image de la langue continuant à parler dénote aussi la permanence du témoignage inspiré. pollet : ce verbe peut désigner la toute-puissance divine (perist. 5, 86 ; 10, 324) ou une puissance terrestre providentielle (ici ; perist. 1, 4).

      
5-8 sola superstes agit de corpore, sola obire nescit,
dum genus esse hominum Christus sinet et uigere mundum.
Dum liber ullus erit, dum scrinia sacra litterarum,
te leget omnis amans Christum, tua, Cypriane, discet.

... elle seule, survivant à son corps, est active, elle seule ignore la mort, tant que le Christ permettra qu'existe le genre humain et que le monde soit en force. Tant qu'il y aura un livre, tant qu'il y aura des archives littéraires sacrées, toute personne qui aime le Christ te lira, Cyprien, et s'instruira de tes enseignements.

      5 : sola... sola : anaphore (cf. c. Symm. 2, 593-594 sola Deum nouit concordia, sola benignum | rite colit tranquilla Patrem). sola superstes : cf. perist. 4, 115-116 sola tu morti propriæ superstes | uiuis in orbe. nescit : emploi poétique (avec l'infinitif), faisant de la capacité (l'immortalité) l'absence et même l'ignorance du défaut habituel (la mortalité) ; de même, perist. 2, 304 ; 5, 234. 440 ; cath. 12, 38.

      6-7 : dum... dum... dum : cette triple anaphore n'est certainement pas au sein d'une même phrase : Christus se retrouverait dans une subordonnée (v. 6) et dans la principale (v. 8), le tricolon ne serait ni progressif, ni dégressif, et les idées sont distinctes (v. 5-6 persistance, v. 7-8 lecture). La proposition introduite par le 1er dum dépend de la phrase des vv. 4-5 ; celles du v. 7 dépendent de leget... discet (v. 8) et sont liées (fut. de esse sous-entendu après le 3e dum).

      6 : cf. N.T. Matth. 24, 35 cælum et terra transibunt, uerba uero mea non præteribunt. dum... Christus sinet : le délai consenti avant le Jugement permet la conversion du plus grand nombre. genus... hominum : même expression p.ex. en apoth. 486 ; c. Symm. 1, 35. Christus : perist. 13 insiste sur le Christ plus que sur les autres personnes de la Trinité ou que sur Dieu en général. Christus y apparaît aux vv. 8. 20. 25. 32. 48. 49. 55. 56. 75. 91. 104. uigere mundum : sur la caducité du monde, cf. perist. 4, 6 ; 6, 157 olim tempus erit ruente mundo. Même sens de uigere en cath. 4, 13 quod sumus aut uigemus.

      7-8 : pour Prudence, convaincu de la haute valeur de l'écriture (-> 9, 19), il y aura livres et lecteurs jusqu'à la fin des temps ; la lectio divina fait partie de la vie de tout (v. 8 omnis) chrétien.

      7 : liber : -> 5, 182. ullus : emploi sans négation préalable ; de même, perist. 10, 174. scrinia sacra litterarum : contrairement à Lavarenne (qui traduit 'ouvrage sacré'), il faut voir ici l'allusion à une bibliothèque, scrinia ('coffret') pouvant désigner une collection d'écrits. Cf. apoth. 377-378 quæ non scriptorum armaria Christi | laude referta nouis celebrant miracula libris ? L'adj. sacra s'accorde avec scrinia, mais se réfère à litterarum : les sacræ litteræ sont l'Écriture avec peut-être ses commentaires (cf. vv. 16. 18).

      8 : te leget : tour imagé (te leget pour tua scripta leget) semblable à l'usage français ; de même, Cic. Brut. 65. omnis amans Christum : le public auquel s'adressait s. Cyprien était avant tout chrétien. Amans est substantivé (de même, Ter. Ph. 755) ; cf. apoth. 453 amans ter centum milia diuum (Julien l'Apostat). tua... discet : reprise de te leget, avec un sens plus précis ; s. Cyprien est un écrivain (cf. v. 11-14), mais aussi une autorité (-> v. 2 magistrum).

      9-14 : l'éloquence de s. Cyprien vaut par sa source (v. 9-10), ses qualités (v. 11-14) et sa fin, son utilité (v. 15-20). Le motif de l'inspiration de l'éloquence connaît une longue tradition païenne (p.ex. invocations aux Muses ; Apollon, cf. Verg. Æn. 6, 56) et philosophique (cf. p.ex. Plato, Ion) ; il est présenté ici dans une perspective chrétienne (v. 9, allusion au Credo).

      
9-10 Spiritus ille Dei, qui fluxerat auctor in prophetas,
fontibus eloquii te cælitus actus irrigauit.

L'Esprit de Dieu, qui s'était écoulé, inspirateur, sur les prophètes, mis en branle du haut du Ciel, t'a arrosé des sources de l'éloquence.

      9 : Spiritus... fluxerat auctor : cf. v. 70-72 influebat inde | Spiritus in populum Carthaginis, auctor acrioris | ingenii. (Spiritus et auctor sont à la même place du v. 72.) Le même Esprit donne aux fidèles le désir et la force d'être martyrs (-> v. 70-75). Spiritus... Dei : même expression en Trin. 10 ; ailleurs, on a Spiritus (v. 72 ; perist. 8, 11 ; 10, 682), Sanctus Spiritus (perist. 10, 104), Paraclitus (perist. 10, 430). ille : démonstratif emphatique soulignant aussi l'éloignement dans le temps. qui fluxerat auctor in prophetas : l'inspiration des prophètes est proclamée dans le Credo de 381 : et in Spiritum sanctum... qui locutus est per prophetas. fluxerat : métaphore filée au v. suiv. avec irrigauit (-> v. 9-10). auctor : le Saint-Esprit est auctor (source, garant et instigateur) des discours des prophètes, qui demeurent de réels oratores et scriptores : Dieu agit in hominem (cf. N.T. Hebr. 1, 1 Deus loquens patribus in prophetis) et per hominem (cf. N.T. Matth. 1, 22 quod dictum est a Domino per prophetam dicentem). prophetas : s. Cyprien est assimilé à un prophète, cf. v. 101 : disserit, eloquitur, tractat, docet, instruit, prophetat.

      9-10 : fluxerat... irrigauit : image topique de l'éloquence (cf. Thraede 1965, p. 152 n. 144) ; cf. perist. 10, 13-14 si superno rore respergas iecur | et spiritali lacte pectus irriges ; c. Symm. 1, 632 o linguam miro uerborum fonte fluentem ; Lact. inst. 4, 30, 1 uberrimum Dei... fontem, quo irrigatus aliqui perenni luce potiatur ; Hier. epist. 60, 5, 2. Cf. aussi perist. 12, 9-10 [crux et gladius] quibus irrigans easdem | bis fluxit imber sanguinis per herbas.

      10 : cf. N.T. Luc. 12, 11-12 cum inducent uos... ad magistratus et potestates, nolite solliciti esse qualiter aut quid respondeatis... Spiritus enim Sanctus docebit uos in ipsa hora quæ oporteat dicere. Le témoignage du martyr est inspiré ; de même, cath. 9, 6 Spiritum cælo influentem per medullas [Dauid] hauriens. En perist. 10, 21-22, c'est le Christ, uerborum dator (perist. 10, 928-930) qui inspire. fontibus : cette image (biblique : cf. gen. 7, 11) des cieux comme source est suggérée par la pluie ou la neige. L'éloquence de s. Cyprien et de Symmaque est louée dans les mêmes termes, avec une différence : Symmaque n'étant pas inspiré, dit son étonnement (cf. c. Symm. 1, 632 miro fonte). eloquii : terme repris au v. 97, utilisé aussi à propos de Symmaque (c. Symm. 1, 633 ; 2 præf. 58) et du démon (c. Symm. 1 præf. 75). cælitus actus : cf. N.T. Ioh. 14, 26 Paracletus... Spiritus Sanctus quem mittet Pater in nomine meo ; 15, 26 Paracletus quem ego mittam uobis a Patre Spiritum ueritatis. irrigauit : métaphore filant celle de fluxerat (v. 8). Irrigare se retrouve en perist. 1, 20 ; 10, 14 spiritale lacte pectus irriges ; 728 ; 12, 9.

      
11-14 O niue candidius linguæ genus, o nouum saporem !
Vt liquor ambrosius cor mitigat, imbuit palatum,
sedem animæ penetrat, mentem fouet et pererrat artus :
sic Deus interius sentitur et inditur medullis.

Ô éloquence d'une langue plus éblouissante que la blanche neige, ô saveur nouvelle ! Comme une liqueur d'immortalité, elle adoucit le coeur, baigne le palais, pénètre le siège de l'âme, fomente l'esprit et parcourt les membres : ainsi, Dieu est ressenti de l'intérieur et s'introduit dans les moelles.

      11-13 : l'éloquence de s. Cyprien (relevant de l'asianisme, cf. Mohrmann 1955, p. 231-232) est louée par Lact. diu. inst. 5, 1, 24-25 unus... præcipuus et clarus extitit Cyprianus, quoniam et magnam sibi gloriam ex artis oratoriæ professione quæsierat et ad modum multa conscripsit in suo genere miranda. erat enim ingenio facili copioso suaui et, quæ sermonis maxima est uirtus, aperto, ut discernere non queas, utrumne potentior in persuadendo fuerit. Prudence ne développe pas de discours du martyr, peut-être par fidélité au laconisme des Actes, peut-être par modestie et coquetterie d'auteur.

      11 : de même, perist. 14, 124 o uirgo felix, o noua gloria (cf. Introd. § 117) ; double exclamation en o (de même, perist. 6, 142 ; 10, 401. 801) ; cf. perist. 2, 413-415 ; 10, 371-373 (5 fois o). O peut dénoter l'admiration (ici ; perist. 2, 529 ; 5, 473 ; 6, 142) ou p.ex. la colère, ou encore renforcer un vocatif (-> 2, 413-415). niue candidius : cf. perist. 3, 162 martyris os niue candidior ; c. Symm. 1, 546 candidiore toga niueum pietatis amictum ; Catvll. 80, 2 ; Ov. Pont. 2, 5, 38. Cf. V.T. psalm. 50, 9 lauabis me et super niuem dealbabor ; Potam. tract. I, p. 1414a [Christus] niue candidior, sole candentior. Cette éloquence 'plus blanche que neige' amènera les martyrs de la Massa Candida à se jeter dans la chaux vive (comparée à de la neige : v. 78 niueusque puluis ardet). candidius : cf. v. 86 corpora candor habet, candor uehit ad superna mentes. Le blanc éclatant est la couleur par excellence des armées angéliques (-> 5, 373-374), des objets qui montent au ciel (perist. 1, 89) et du chemin qui y mène (perist. 14, 93). linguæ : -> v. 4. o nouum saporem : acc. d'exclamation après o (cf. c. Symm. 1, 632 ; 2, 1096 ; Verg. georg. 2, 459) ; ailleurs, nomin. et plus souvent vocatif. nouum saporem : cette nouveauté réside moins dans l'inspiration (la même que celle des prophètes, cf. v. 9) que dans l'objet (exégèse du Nouveau Testament, cf. v. 15-20) ; cf. v. 75 Christum sapere. saporem : technique (cf. Cic. Brut. 172 ; Qvint. inst. 6, 3, 107) ; cf. cath. 4, 94-96 nil est dulcius ac magis saporum, | nil quod plus hominum iuuare possit,| quam uatis pia præcinentis orsa ; cf. Thraede 1965, p. 154, n. 152-154.

      12-14 : le breuvage auquel est comparée l'éloquence a des effets spirituels (cor mitigat ; sedem animæ penetrat, mentem fouet) que ressent même le corps (inditur medullis) ; Prudence s'inscrit dans une tradition remontant à Sappho, illustrée à propos des hymnes ambrosiennes chez Avg. conf. 9, 6, 14 quantum fleui in hymnis et canticis suaue sonantis ecclesiæ tuæ uocibus commotus ac-riter ! uoces illæ influebant auribus meis et eliquabatur ueritas in cor meum et exæstuabat inde affectus pie-tatis et currebant lacrimæ et bene mihi erat cum eis. Les idées d'emprise (inbuit ; penetrat ; pererrat ; inditur) et de chaleur (fouet) de l'éloquence se retrouvent à propos de la chaux de la Massa Candida : emprise (vv. 79 urere tacta potens ; 84 mersos... uorauit ; 85 fundo tenus implicauit imo ; 86 corpora candor habet) ; chaleur (vv. 78 saxa recocta uomunt ignem... ardet ; 79 urere ; 84 aridus).

      12 : cf. apoth. 300-301 ipse Deus trepidum mortalem mitis amico | imbuit alloquio seque ac summa retexit. liquor ambrosius : -> v. 4 ; cf. cath. 3, 23-24 liquor influit ambrosius | nectareamque fidem redolet (sur l'ambroisie, cf. c. Symm. 1, 276 ; ham. 858). Liquor désignera curieusement la chaux (v. 84 liquor aridus ; -> v. 12-14). cor mitigat : cf. V.T. psalm. 104, 15 uinum lætificat cor hominis. L'action divine apaise et adoucit (cf. perist. 5, 436) ; les ennemis de la Foi sont, eux, victimes de leurs passions : cf. v. 65-66 ne qua ferum reprimat clementia iudicem, tyranni | neu sciat inuidiam mitescere. imbuit : de même, à la même position du v. 103 Gallos fouet, imbuit Britannos (fouet à la même position qu'au v. 13).

      13 : sedem animæ : le corps ; cf. perist. 11, 183 animæ exuuias (reliques du martyr) ; -> v. 64. penetrat : la faculté de la parole inspirée d'atteindre les tréfonds de la personne (cf. Ambr. epist. 30, 14 uerbo penetrante medullas animæ) montre sa puissance par rapport à celle des persécuteurs (cf. perist. 3, 94 -95 non penetrabitur interior | exagitante dolor animus ; 5, 157-160). mentem fouet : de même, Avson. 181, 15-16 fouet hoc tibi mentem | quod fieri optaras, id uoluisse deum. Le nom mens (-> 5, 359) est quasi synonyme d'anima : cf. v. 86 candor uehit ad superna mentes. fouet : -> v. préc. ; fouere peut désigner un réconfort physique (cath. 6, 122 ; psych. 628), mais aussi la grâce obtenue par les martyrs (perist. 3, 215 ; 6, 146) et la vénération dont ils sont l'objet (perist. 5, 507 ; 7, 5). Ici, métaphore à l'intérieur d'une comparaison (-> v. 12-14). pererrat artus : cf. cath. 6, 25-26 pererrat omnes | quies amica uenas ; c. Symm. 2, 382 pererratis... membris. artus : même si la pluralité et la forme des membres font d'artus un objet convenant au verbe pererrare, ce substantif est synonyme de corpus, à l'instar de membra (-> 14, 37). De même, perist. 1, 113 ; 2, 225 ; 3, 168 ; 4, 30. 199 ; 5, 367 (->) ; 9, 11 ; 10, 453 ; 11, 110.

      14 : Deus : l'Esprit Saint, présent dans la parole inspirée et dans celui qui la reçoit (-> 2, 493-494) ; ailleurs, Deus désigne le Père (Pater Deus : perist. 5, 58 ; 10, 107 ; 14, 52) ou le Fils (Christus Deus : perist. 7, 85 ; 10, 1. 468. 642. 674). interius : -> 9, 63. sentitur : -> 2, 427-428. inditur medullis : cf. Hier. tract. in psalm. i p. 231, 21 uerbum est in corde, inscribitur in medullis. La moelle désigne l'intimité de la personne, lieu des influences décisives (cf. perist. 1, 108 ; 2, 493-494 repens medullas indoles | adflarat ; 10, 732).

      
15-16 Vnde bonum subitum terris dederis, Pater, reuela !
Derat apostolicis scriptis opulentus exsecutor.

D'où vient ce bienfait que tu as donné soudain à la terre, Père, révèle-le ! Il manquait aux écrits des Apôtres un exégète riche en ressources.

      15 : unde : réponse donnée aux vv. 21-24 (conversion du magicien Cyprien). bonum : de même, v. 99 desine flere bonum tantum ; cf. perist. 1, 115 hoc bonum Saluator ipse, quo fruamur, præstitit. subitum : idée reprise par repente (v. 25). terris dederis : reprise du thème de l'universalité de l'action du martyr ; on a terris à la même position du v. 100 (-> 2, 431) ; cf. perist. 1, 19 inde larga fonte ab ipso dona terris influunt. Pater : cf. v. 54 Patris supremi. reuela : sens figuré, attesté tardivement : cf. Tert. apol. 7 ; Apvl. met. 9, 26, 4 ; Avg. conf. 3, 7, 14.

      16 : apostolicis scriptis : le Nouveau Testament (désignations de l'Écriture, -> 5, 186-187), en part. les Épîtres pauliniennes (cf. v. 18 uoluminibus Pauli) : s. Paul est désigné par apostolus en c. Symm. 1 præf. 33 ; ham. 506 ; ditt. 191). opulentus : adj. au sens figuré, repris au v. suiv. par locuples facundia. exsecutor : nom rare, d'emploi surtout juridique ; même sens chez Ambr. Cain et Ab. 2, 4, 15 p. 391, 8 Dei uerbum, cuius Leuites intepres et quidam exsecutor est ; cf. Petr. Chrys. serm. 84 p. 439b ; Ps.-Max. Tavr. serm. 54 p. 641a.

      
17-20 Eligitur locuples facundia quæ doceret orbem
quæque uoluminibus Pauli famulata disputaret,
quo mage cruda hominum præcordia perpolita nossent
siue timoris opus seu mystica uel profunda Christi.

Une faconde pleine de richesses est choisie pour instruire le monde et pour se mettre au service des rouleaux de Paul en les discutant, afin que les coeurs encore bruts des hommes, une fois bien dégrossis, connaissent mieux l'oeuvre de la crainte [de Dieu] ou les mystères et profondeurs du Christ.

      17 : locuples facundia : de même, c. Symm. 1, 634 diues facundia (cf. Thraede 1965, p. 152 n. 144). C'est le Christ, potens facundiæ (cf. perist. 10, 21), qui inspire s. Cyprien, appelé ore facundo Cypriane doctor en perist. 4, 18. Comme pour Lactance (inst. 5, 1, 24-28), s. Cyprien est aux yeux de Prudence l'orateur idéal (-> v. 16-17), mais son style est critiqué pour sa lourdeur chez Avg. doctr. christ. 4, 14, 31. quæ doceret orbem : cf. v. 2 orbis et magistrum (->).

      18 : uoluminibus Pauli : précision à apostolicis scriptis (v. 16). Les livres canoniques sont souvent appelés uolumen (p.ex. perist. 5, 189 cælestium... uoluminum ; cath. 7, 81). À une époque où le codex (livre) remplace le uolumen (rouleau), ce nom reste utilisé, p.ex. à propos des écrits de Symmaque en c. Symm. 1, 648. famulata : s. Cyprien, ministre, écrit dans un but pastoral.

      19-20 : de même, c. Symm. 1 præf. 1-2 : Paulus, præco Dei, qui fera (ici cruda) gentium | primus corda (ici præcordia) sacro perdomuit (ici perpolita) stilo. On peut aussi rapprocher c. Symm. 1 præf. 6 (Deo... agnito) de profunda Christi. Pour Kah (1990, p. 66 et n. 302), ces passages sont liés.

      19 : quo mage : même expression en c. Symm. 2, 6 ; sur quo final, -> 2, 127 ; de même, v. 24 (sans comparatif). mage : forme archaïque de magis (cf. Plavt. Men. 386 ; Lvcr. 4, 81 ; Verg. Æn. 10, 481), utilisée aussi en perist. 3, 9. cruda... præcordia : s. Cyprien n'invite pas des païens à se convertir (cf. p.ex. perist. 1, 94 iamne credis, bruta quondam Vasconum gentilitas ?), mais instruit les fidèles. Crudus ('sanglant', souvent littéral ; -> 5, 336) est curieusement épithète de præcordia, métaphorique (cf. perist. 1, 98) et qualifié par perpolita (autre d'image). perpolita nossent : cette éloquence est civilisatrice (cf. Cic. de orat. 1, 33 ; Qvint. inst. 12, 1, 2. 32) ; l'exégèse de l'Écriture instruit des vérités nécessaires au salut (cf. v. 96-97).

      20 : timoris opus : expression dense, où on a pu voir (Bergman, p. 569 ; Thomson, p. 328 n. b ; Kah 1990, p. 79 n. 353) une désignation péjorative de l'Ancien Testament, opposé au Nouveau (mystica uel profunda Christi). Mais pourquoi un évêque enseignerait-il alternativement (cf. siue... seu) la doctrine chrétienne et le message d'un Ancien Testament déprécié ? Chez Prudence, timor n'est employé au sens de 'crainte religieuse' qu'ici et en perist. 10, 358 (Dei timorem ; une des offrandes du culte spirituel). Le contexte indique que les deux types de réalité dont il est question sont l'objet des écrits pauliniens. Comme les parties doctrinales des Épîtres exposent les mystica uel profunda Christi, on peut lier timoris opus à leurs parties parénétiques (cf. N.T. II Cor. 5, 11 scientes ergo timorem Domini, hominibus suademus) ; on a comme une opposition entre action (opus) et contemplation (mystica), dans une expression asymétrique et elliptique que Lavarenne (§ 1645) juge négligente - tout en avouant ne pas la comprendre. Le v. 32 (uiuere iustitiam Christi, penetrare dogma nostrum) a un sens proche. mystica... Christi : cf. v. 91, mysteria... Christi aux mêmes places du v. ; cf. aussi perist. 10, 646-647 de mysticis | nostræ salutis deque processu spei. Ailleurs, mysticus qualifie les sacrements (baptême, perist. 6, 29 ; Eucharistie, cath. 5, 108) ou l'Écriture (perist. 5, 186). profunda : cf. apoth. 833 profunda Sabaoth ; Ps.-Qvint. decl. 19, 7 siderum cursus et profunda naturæ.

      
21-24 Vnus erat iuuenum doctissimus artibus sinistris :
fraude pudicitiam perfringere, nil sacrum putare,
sæpe etiam magicum cantamen inire per sepulcra
quo geniale tori ius solueret æstuante nupta.

Il était une fois, parmi les jeunes hommes, un très grand savant en arts criminels : briser la chasteté par la fourberie, ne rien considérer comme sacré, souvent aussi entonner des incantations magiques parmi les tombeaux, afin d'anéantir les liens familiaux du mariage, en enfiévrant l'épousée.

      21-24 : les péchés d'avant la conversion se retrouvent dans le tableau des crimes de l'athée en c. Symm. 2, 168-181, en part. 173 incestabo toros (adultère ; cf. ici v. 24), sacrum calcabo pudorem (mépris du pudor ; cf. v. 22) ; 176 magico cantamine (magie ; cf. v. 23). Le motif d'un Cyprien magicien se trouve aussi chez Greg. Naz. serm. 24 (année 379) ; confusion possible avec un Cyprien d'Antioche (cf. AA. SS. sept. t. 7, p. 204-226 : récits rassemblés au milieu du ve s.).

      21 : unus erat : cf. le français 'il était une fois...' ; unus a un sens proche de celui d'aliquis. iuuenum : même topos du caractère déréglé de la jeunesse en perist. 14, 29. 59 ; Prudence se l'applique à lui-même en præf. 10-12 lasciua proteruitas | et luxus petulans (heu pudet ac piget !) | foedauit iuuenem nequitiæ sordibus et luto. doctissimus : des artes sinistræ, Cyprien passera à l'exégèse de l'Écriture et à la prédication ; de doctus, il deviendra doctor et docens (-> v. 2). artibus sinistris : même désignation de la magie chez Cassiod. uar. 4, 22, 2 (au sing.) ; cf. c. Symm. 1, 89 Thessaliæ... magiæ ; 2, 894 magicas... artes. Sur sinister, -> 11, 35-36.

      22 : fraude : ici, le recours à la magie - et donc aux puissances démoniaques -, degré supérieur dans le sacrilège (cf. nil sacrum putare). pudicitiam perfringere : sinon absence de consentement, il y a illicéité d'une union extra-conjugale. nil sacrum putare : même tour en perist. 10, 247-248 potesne quidnam tale, ... | sanctum putare ? ; -> 2, 298.

      23-24 : d'après le parallèle de c. Symm. 2, 176 (incantations d'un futur héritier), Lavarenne estime que ces pratiques ont lieu dans un cimetière pour faire mourir le mari de la femme convoitée ; cependant, il n'est pas ici question d'homicide, mais de luxuria (v. 25). Per sepulcra semble plutôt être un élément topique des scènes de sorcellerie (cf. p.ex. Hor. sat. 1, 8).

      23 : sæpe etiam : iunctura fréquente, p.ex. Verg. georg. 1, 84. 322. 365 ; Hor. epist. 2, 1, 182 ; Avson. Mos. 175. Ici, il est question non de séduction de femmes non mariées, mais du recours à la magie noire contre des femmes mariées, pour commettre l'adultère. magicum cantamen : à ce cantamen, 1ère mention de la parole de s. Cyprien dans le récit, s'opposera son chant de triomphe et d'action de grâces (v. 95 ille Deo meritas grates agit et canit triumphans) - ses dernières paroles. Plus rare que carmen, cantamen se retrouve en c. Symm. 2, 176 magico cantamine ; il n'est attesté que chez Prop. 4, 4, 51 magicæ... cantamina Musæ ; Apvl. met. 2, 1, 2 artis magicæ natiua cantamina ; apol. 26, 6 (etc.) ; Cod. Theod. 9, 16, 6 magus uel magicis cantaminibus assuetus ; sur les noms en -men, -> 5, 213. cantamen inire : de même, Boeth. cons. 1 carm. 1, 2 mæstos... inire modos. Dès que le chant magique est entonné, le repos des morts est troublé et le sacrilège commis. per sepulcra : l'évocation des morts constitue le sommet et le type de toute pratique magique ; cf. c. Symm. 1, 96-97.

      24 : quo : quo final employé sans comparatif (-> 5, 183). geniale tori ius : désignation redondante des liens du mariage ; cf. perist. 3, 110 proxima dotibus et thalamis ; 311 aurea pompa tori ; cath. 3, 143 non thalamo neque iure tori ; Stat. Theb. 3, 689 iura ... genialia. Le nom torus peut à lui seul désigner le mariage (-> 14, 10), de même que l'adj. genialis (perist. 3, 105). ius solueret : le magicien, pour qui rien n'est sacré (cf. v. 22), n'hésite pas à briser les liens du mariage. æstuante nupta : l'épouse (nupta ; de même, perist. 14, 79 - uxor n'est employé chez Prudence qu'en perist. 10, 184 ; ham. 738) est en proie à de violentes passions (sur æstuare, -> 5, 202), après l'usage par le séducteur d'un philtre ou de quelque autre pratique magique.

      
25-27 Luxuriæ rabiem tantæ cohibet repente Christus,
discutit et tenebras de pectore, pellit et furorem.
Implet amore sui, dat credere, dat pudere facti.

La rage d'une si grande concupiscence, le Christ l'arrête soudain, il dissipe les ténèbres du coeur [de cet homme] et en chasse la folie passionnée. Il l'emplit d'amour pour lui, lui donne de croire, lui donne d'avoir honte de ses actes.

      25-27 : la conversion de s. Cyprien (cf. sa lettre ad Donatum, § 3-4) est décrite par une énumération, avec une symétrie (3 expressions sur l'action négative du Christ, 3 sur son action positive ; correspondance rabiem / furorem) tempérée par la variation (interruption par le motif symbolique du v. 26 ; double [et non triple] anaphore de dat, v. 27). Le poète évite la monotonie et le système (au v. 27 : charité, foi et repentir - non les trois vertus théologales).

      25 : luxuriæ rabiem tantæ : de même, Val. Fl. 7, 66 rabiem... luxuriemque ; cf. v. suiv. furorem. cohibet repente Christus : inopinée (repente ; -> 5, 348), la conversion est une grâce : Cyprien manifestera son acceptation par ses actes (v. 29-32) et méritera l'épiscopat (v. 33-34).

      26 : discutit... tenebras : cf. Sen. Thy. 899-900 discutiam tibi | tenebras ; Pavl. Nol. carm. 19, 80. Le martyr demandera au Christ de dissiper les ténèbres de son cachot (v. 62-64 uise libens tenebris ergastula cæca dissipatis | eripe corporeo de carcere uinculisque mundi | hanc animam). de pectore : complément apo koinou de discutit... tenebras et de pellit furorem ; la césure et la conjonction et postposée indiquent que le lien est plus fort avec la proposition préc. Pectus est repris aux vv. 61 si luteum facili charismate pectus expiasti ; 72 stimulis ut pectora subditis calerent (décision des fidèles d'affronter le martyre. pellit et furorem : de même, cath. 9, 67 languor omnis pellitur ; apoth. 1080 pellite corde metum.

      27 : le Christ remplace les passions mauvaises par des vertus ; cf. v. 75 laudis amore rapi, Christum sapere et fidem tueri (inspiration des martyrs de la Massa Candida) : mêmes vertus (amor, fides), le repentir étant remplacé par Christum sapere. amore sui : sui, gén. objectif (-> 5, 550) ; de même, perist. 1, 45 ; 10, 714. Amore est repris à la même place du v. 75 laudis amore rapi (->). dat credere, dat pudere : même tour en perist. 2, 336 ; 14, 128 (au passif, en perist. 11, 167-168) ; cf. Verg. Æn. 1, 521-522 o regina, nouam cui condere Iuppiter urbem | iustitiaque dedit gentes frenare superbas. Prudence met sur le même plan credere (-> 2, 444) et pudere (emploi personnel, archaïsme). facti : factum équivalent de facinus ; cf. perist. 2, 472 factum Neronis.

      28-32 : à l'image de la transformation intérieure, l'aspect (v. 28-30) et le comportement (v. 31-32) changent : dépouillement (exuitur ; cf. v. 26 discutit... pellit), limitation (conpescitur ; cf. v. 25 cohibet) et attitude nouvelle (v. 31-32 ; cf. v. 27). Cf. N.T. Tit. 2, 6-7 iuuenes simul hortare ut sobrii sint, in omnibus te ipsum præbe exemplum bonorum operum, in doctrina integritatem (cf. v. 31-32), grauitatem (cf. v. 29 seueram), uerbum sanum irreprehensibilem (cf. v. 31 modesta loqui).

      
28-30 Iamque figura alia est quam quæ fuit oris et nitoris.
Exuitur tenui uultus cute, transit in seueram.
Deflua cæsaries compescitur ad breues capillos.

Désormais, sa manière d'être est autre qu'elle n'avait été, qu'il s'agisse de son visage ou de son élégance. Il dépouille sa face de sa délicatesse superficielle, et passe à un air sévère. Sa coiffure flottante est réduite à des cheveux courts.

      28-30 : l'aspect de s. Cyprien cesse d'être celui d'un bellâtre efféminé (cf. la Sensualité en psych. 312 delibuta comas) et prend une dignité déjà quasi sacerdotale (sévérité ; tonsure).

      28 : figura... oris et nitoris : hyperbate ; oris et nitoris est remarquable par son jeu de sonorités (de même, v. 3, amore et ore [->]) et par un zeugma sémantique alliant l'aspect du visage et le genre d'élégance (de même, perist. 2, 234 qui ueste et ore prænitent ; là, os désigne plutôt l'éloquence - ce sens n'est pas exclu ici, cf. v. 31 ipse modesta loqui). alia... quam : irrégulier (au lieu de alius ac), mais attesté p.ex. chez Cic. inu. 1, 87 ; de même, apoth. 978.

      29 : de même, psych. 551-554 toruam faciem... | exuit, inque habitum sese transformat honestum ; | fit uirtus specie uultuque et ueste seuera, | quam memorant frugi. exuitur : reprise de l'image paulinienne du dépouillement du 'vieil homme' (Eph. 4, 22-24 ; Col. 3, 9) ; cf. apoth. 926 ut ueterem splendens anima exuat Adam ; cf. aussi perist. 2, 267-268 breui ulcerosos exuent | artus ; Avg. peccat. merit. 2, 7, 9 exui ueterem hominem. tenui... cute : évocation du sens propre de cutis ('peau') par l'emploi de tenuis (cf. l'idée de 'peau fine') et aussi du fait du complément au gén. uultus (pris au sens concret) qui sépare ces termes (pris au figuré). transit in seueram : tour repris de la terminologie ovidienne des métamorphoses (cf. Ov. met. 8, 730 ; 11, 643), utilisé aussi chez Plin. nat. 22, 112 ; Sen. epist. 99, 9. Avec l'ellipse de cutem, le tour est assez audacieux : le nom sous-entendu n'est pas au même cas ; l'adj. correspondant (tenuis, au figuré) n'est pas abstrait, comme seueram ; in seueram cutem est en soi étrange. La seueritas (cf. cath. 2, 31-36) caractérise d'autres martyrs (cf. perist. 3, 23 ore seuera ; 9, 42 doctor seuerus [->]).

      30 : deflua cæsaries : de même, perist. 10, 273-274 (le dieu Liber) dum, defluentem leniter flectens comam, | limat capillos et corymbos Liberi ; psych. 359-360 (la Luxuria) ut mitra cæsariam cohibens aurata uirilem | combibat infusum croceo religamine nardum. compescitur : ad breues capillos montre que la chevelure longue n'est pas seulement 'retenue' (nouée), mais 'arrêtée' (coupée). ad breues capillos : les cheveux courts sont une marque d'austérité et aussi de soin (les cheveux longs peuvent dénoter un long séjour en captivité, perist. 1, 80 ; 11, 53).

      
31-32 Ipse modesta loqui, spem quærere, regulam tenere,
uiuere iustitiam Christi, penetrare dogma nostrum.

Lui-même se met à parler avec discrétion, à rechercher l'espérance, à garder la règle, à vivre selon la justice du Christ, à pénétrer dans les profondeurs de notre doctrine.

      31-32 : 5 infinitifs de narration ; même tour en perist. 3, 21-22 ; 10, 861-865 ; 11, 55-58. :

      31 : ipse : insistance sur l'oeuvre propre du martyr, distincte de celle du Christ (v. 25-27) et dépassant le seul changement d'aspect (v. 28-30). modesta loqui : la réserve dans les paroles (cf. la brève confession de foi, v. 90-91) n'exclut pas l'éloquence (cf. vv. 11-14. 38-49. 70) ; elle s'oppose à l'usage inconsidéré de la parole dans les rites magiques (v. 23) et à l'ancienne figura... oris (-> v. 28) ; cf. perist. 3, 23 ore seuera (v. 29 seueram), modesta gradu. spem quærere : le Christ avait rempli le martyr de son amour et lui avait donné la foi (v. 27) ; c'est lui-même par contre qui recherche l'espérance, répondant à la grâce ; cf. v. 43 merce doloris emi spem luminis et diem perennem. regulam tenere : observer une loi morale et religieuse, cf. c. Symm. 2, 275-276 uia iustitiæ, pietas... prodita cælo, | ... fides ueri, rectæ... regula sectæ.

      32 : évocation de l'action et la contemplation chrétiennes (cf. v. 20 siue timoris opus, seu mystica uel profunda Christi). La iustitia est rapportée au Christ, le dogma à l'Église (cf. nostrum). iustitiam Christi : pour Kah (1990, p. 263-264), le concept de iustitia serait entièrement romanisé chez Prudence ; uiuere iustitiam montre pourtant qu'il ne s'agit pas d'une vertu civique mais d'une disposition existentielle, liée au Christ (mettre en pratique la justice, vivre en état d'homme justifié ; cf. N.T. Rom 1, 17 iustitia... Dei). La uia iustitiæ est citée aux côtés de la rectæ... regula sectæ en c. Symm. 2, 275-276 (-> v. préc). iustitiam : à la leçon iustitia donnée par la plupart des mss (retenue par Bergman et Lavarenne), il faut préférer l'acc. (avec Cunningham) ; de même, v. 90 edere iussus erat, quid uiueret ; perist 10, 367. penetrare dogma nostrum : au v. 13, c'est la parole de Cyprien qui sedem animæ penetrat ; ici, l'esprit entre dans une vérité transmise par l'Église (dogma, enseignement doctrinal : -> 11, 23) ; cf. perist. 6, 36. 40.

      
33-34 His igitur meritis dignissimus usque episcopale
prouehitur solium doctor, capit et sedile summum.

Devenu en conséquence, par ces mérites, le plus digne docteur, il est élevé jusqu'au trône épiscopal et prend possession du siège suprême.

      33 : usque : emploi non classique de usque seul comme préposition (cf. Plin. nat. 3, 75 ; Qvint. inst. 11, 3, 131 ; de même, v. 103 ; perist. 10, 160).

      33-34 : episcopale... solium : repris par sedile summum ; cf. aussi cathedra en perist. 2, 462 ; 11, 32 (cf. Hier. epist. 117, 1 episcopalem cathedram tenere) ; Prudence souligne le prestige (cf. perist. 6, 11-12 ex episcopali | clarus nomine Fructuosus) du degré le plus élevé du sacerdoce ; en outre, le siège de Carthage est l'un des plus importants et a une prééminence régionale.

      34 : reconnu digne de la charge épiscopale (prouehitur), Cyprien s'en revêt souverainement (capit). prouehitur : cf. perist. 6, 26 carcer prouehit ad superna cæli ; 8, 1-2 ubi corda probata | prouehat ad cælum sanguine ; 11, 21 usque ad martyrii prouectum insigne. doctor : -> v. 2.

      
35-37 Valerianus opum princeps erat atque Gallienus.
Constituere simul poenam capitis Deum fatenti ;
milia terrigenum spurcissima iusserant sacrari.

Valérien était le prince doté de la puissance, ainsi que Gallien. Ils décrétèrent ensemble la peine capitale contre qui confessait Dieu ; ils avaient ordonné de rendre les honneurs sacrés aux milliers d'objets d'origine terrestre immondes entre tous.

      35 : Valerianus : allongement de la 1ère syllabe (de même, perist. 4, 80 ; 11, 2). Valérien, acclamé empereur par ses troupes en 253, s'associa peu après son fils Gallien. opum princeps : de même, perist. 3, 81 Maximianus, opum dominus. La mention du pouvoir impérial (sur les choses, opum) suit celle de la dignité épiscopale (v. 33-34). Princeps désigne l'empereur, chrétien (perist. 2, 473 ; 12, 47) ou païen (perist. 2, 311 ; 3, 100 ; 5, 27 ; 6, 42 ; 10, passim ; 14, 66). Gallienus : Gallien, mentionné en perist. 6, 41 iussum est Cæsaris ore Gallieni ; 45 (-> 12, 11) comme le seul instigateur de la persécution ; à ce sujet, cf. Evs. Cæs. hist. eccl. 7, 23.

      36 : constituere simul : le décret de persécution (-> 5, 14) est attribué aux deux empereurs. poenam capitis : la peine de mort (par décapitation ou non). À la même place du vers, on a poenam au v. 94, poenæ au v. 68 (-> 14, 22). Deum fatenti : même expression chez Cypr. idol. 12 ; cf. perist. 1, 23 unicum Deum fateri sanguinis dispendio ; 3, 75 pectore et ore Deum fateor. Fatenti est un sing. collectif (de même, perist. 6, 149 ; 10, 61), participe prés. substantivé.

      37 : milia : grand nombre, indéterminé ; cf. perist. 2, 76 ; 9, 11. 71 ; 10, 176-178 iubes... | ut tecum adorem feminas mille et mares, | deas deosque. Cf. apoth. 453 (Julien l'Apostat) amans ter centum milia diuum ; ham. 95-96 multa deorum | milia. terrigenum : gén. plur. archaïque, fréquent avec les composés en -gena (chez Prudence : indigenum ; omnigenum). Les idoles n'ont rien de divin (cf. terrigena en perist. 14, 82 [->] ; psych. 816), mais se réduisent à une matière (cath. 12, 198 saxum, metallum, stipitem ; -> 5, 67-76) et les dieux, selon l'explication evhémériste reprise par Prudence, ont une origine humaine : cf. c. Symm. 1, 189-192 facta est terrigenæ domus unica maiestatis | et tot templa deum Romæ quot in orbe sepulcra | heroum numerare licet, quos fabula manes | nobilitat, noster populus ueneratus adorat. spurcissima : -> 2, 12. sacrari : verbe employé pour le culte chrétien (-> 12, 47) ou païen (ici ; perist. 11, 82 sacranda deis ; ->).

      
38-40 Contra animos populi doctor Cyprianus incitabat,
ne quis ab egregiæ uirtutis honore discreparet,
neu fidei pretium quis sumere degener timeret.

Au contraire, Cyprien, en tant que docteur, encourageait les âmes, dans le peuple : que nul ne se séparât de l'honneur d'une vertu éminente, que nul ne s'abâtardît en craignant de prendre sur lui le prix de la foi.

      38 : animos populi : s'adressant au populus (-> 11, 42) en tant que pasteur, l'évêque concurrence l'empereur (v. 35 opum princeps) ; ses propos en appellent au courage (autre sens d'animus ; -> 2, 210). doctor : de même nom, v. 105 et perist. 4, 18 (-> v. 2) ; cf. aussi perist. 6, 37 ; 7, 32 (évêques). incitabat : cf. perist. 10, 67 incitator ; 776 his... incitans stimulis.

      39-40 : s. Cyprien souhaite que son peuple n'abandonne pas la foi reçue (ne quis... discreparet) et qu'il la magnifie dans le martyre (neu... quis... timeret ; expressions symétriques).

      39 : egregiæ uirtutis honore : l'adoption des fidèles par Dieu est un ennoblissement, accru par le martyre (cf. perist. 5, 549-550 per illum carcerem, | honoris augmentum tui ; 10, 131 honos deinde stemmati accedit nouus). La foi, vertu théologale, est désignée comme uirtus (Lavarenne traduit improprement par 'mérite') ; cf. perist. 1, 49 tunc et ense cæsa uirtus triste percussit solum ; 4, 102-103 arte uirtutis fideique oliuo | unctus. Egregius est aussi utilisé au v. 73 (->).

      40 : fidei pretium... sumere : la foi amène à verser son sang, prix auquel s'acquiert la béatitude éternelle (cf. v. 43). Cf. v. 72-73 ut pectora... calerent | ad decus egregium discrimine sanguinis petendum ; perist. 3, 39-40 [ne] sanguinis in pretium | mortis amore puella ruat ; ditt. 177 mercedem sanguinis inire. sumere... timeret : construction (classique) de timere avec l'infinitif ; de même, psych. 471-472. La crainte en question est une passion distincte du timoris opus évoqué au v. 20 (->). degener : cf. perist. 3, 41-42 illa perosa quietis opem | degeneri tolerare mora. Placé avant le verbe qui conclut le v., degener répond à honore (même position au v. préc.) : ne pas être prêt à donner sa vie pour la foi revient à déchoir de son rang de fils adoptif de Dieu.

      
41-45 Esse leuem cruciatum, si modo conferas futura
quæ Deus ipse uiris intermina fortibus spopondit ;
merce doloris emi spem luminis et diem perennem ;
omne malum uolucri cum tempore transuolare cursim ;
nil graue quod peragi finis facit et quiete donat.

Le supplice était léger, pour peu qu'on le comparât aux biens futurs, sans fin, que Dieu lui-même avait promis aux hommes courageux ; au prix de la douleur, on achetait l'espérance de la lumière et une journée qui ne connaîtrait pas de crépuscule ; toute souffrance, avec le temps ailé, s'envolait rapidement ailleurs ; rien n'était pesant, qu'une fin menait à l'achèvement et gratifiait du repos.

      41-45 : cf. N.T. Rom. 8, 18 non sunt condignæ passiones huius temporis ad futuram gloriam quæ re-uelabitur in nobis ; cf. perist. 6, 94-98 non est, credite, poena, quam uidetis, | quæ puncto tenui citata transit ;| nec uitam rapit illa, sed reformat. | felices animæ, quibus per ignem | celsa scandere contigit Tonantis.

      41 : leuem cruciatum : cf. perist. 10, 526-527 iactura uilis mordet et damnum leue, | si, quo carendum est, perdere extimescimus. Dans le recueil, cruciatus n'est utilisé qu'ici et en perist. 10, 717. futura : l'attribut intermina (v. suiv.) précise futura, qui ne désigne pas simplement l'avenir.

      42 : Deus ipse... spopondit : évocation du motif biblique de la promesse (cf. apoth. 374 ; cath. 12, 43) ; cf. perist. 10, 470 spondet salutem perpetem credentibus ; c. Symm. 2, 161 spondente Deo. La sponsio peut comprendre un gage, une caution (contrairement au promissum) ; telle est la grâce reçue et manifestée par s. Cyprien (cf. N.T. Ephes. 1, 13-14 in quo [= Christo] credentes signati estis Spiritu promissionis Sancto, qui est est pignus hereditatis nostræ). uiris... fortibus : uir (à la même position du v. 49 his ubi corda uirum Christo calefacta præparauit) prend un sens éthique (de même, perist. 1, 25 hoc genus mortis decorum, hoc probis dignum uiris). Les uiri (-> 2, 37) sont les 'héros', les milites Christi (fortis précise cette nuance, -> 5, 237 ; uir fortis apparaît aussi chez Ter. Andr. 445 ; Liv. 4, 5, 5 ; Cæs. ciu. 3, 99, 1). intermina : cf. v. suiv. diem perennem ; cf. perist. 5, 297-298 spectator hæc Christus Deus | compensat æuo intermino ; c. Symm. 2, 105-107 qui bona non tantum præsentia donat, | sed uentura etiam longisque intermina sæclis | promittit ; cf. cath. 12, 38-40 (l'éternité) quod nesciat finem pati, | sublime, celsum, interminum, | antiquius cælo et chao.

      43 : le martyre est le prix (merx) auquel le confesseur aquiert la béatitude éternelle (cf. v. 40 ; -> 11, 22), la douleur recevant une valeur quasi rédemptrice (cf. N.T. Col. 1, 24 qui nunc gaudeo in passionibus pro uobis, et adimpleo ea quæ desunt passionum Christi in carne mea pro corpore eius quod est Ecclesia). merce : ici, merx ('récompense') prend le sens de 'prix' (de même, Colvm. 10, 117), qui est celui de merces (cf. ditt. 107 primus init Stephanus mercedem sanguinis imbri ; -> 5, 3). emi spem luminis : plus que la foi ou la charité (cf. v. 27), l'espérance requiert une participation du sujet humain ; spes (de même, v. 31) désigne l'objet de l'espérance qu'est la vie éternelle (diem perennem, sur le même plan que spem luminis). La lumière est le monde divin (-> 2, 205) ; cf. apoth. 372-373 quam spem, nisi numinis almum | lumen et aduentum Domini ? ; on a aussi spes luminis en cath. 1, 24 ; 5, 9. diem perennem : perennis semble nier dies, qui peut désigner le temps par opposition à l'éternité (perist. 10, 316) ; dies (-> v. 88) désigne ici plutôt la lumière du jour (-> 2, 383) ; cf. perist. 14, 122 perenni lumine (->).

      44 : malum : cf. doloris (v. préc.). uolucri... transuolare : métaphore filée, avec jeu étymologique. De même, ham. 385-388 hoc pulchrum, quod terra parit, quod gloria confert, | lubrica, commendat quod perniciosa uoluptas, | ... exemplo tenuis quod transuolat umbræ. uolucri cum tempore : cf. c. Symm. 2, 137 corporis ac uitæ uolucris... usus. cursim : cf. perist. 10, 142-143 nonne cursim transeunt | fasces, secures, ... ?

      45 : une légère ambiguïté suggère l'identité entre mort (finis, euphémisme : -> 12, 25) et fin des souffrances (peragi : -> 5, 292) ; cf. perist. 10, 1096-1097 finis instat debitus, | finis malorum, passionis gloria. Ce motif de consolation s'apparente à celui des épicuriens ; cf. perist. 4, 125-128 iam minus mortis pretium peractæ est, | quæ uenenatos abolens dolores | concitam membris tribuit quietem | fine soporo ; 5, 527-528 finem malorum præstitit | mortis supremus exitus. graue : antonyme de leuis (cf. v. 41 leuem cruciatum et v. préc.). peragi... facit : même construction de facere (cf. Lavarenne § 672) en perist. 10, 978 (cf. Cic. Brut. 142 ; Verg. Æn. 2, 538). quiete donat : après les avantages négatifs de la mort, le bien qui en résulte. Donare est construit non avec l'acc. (cf. c. Symm. 2, 105), mais avec l'abl. (cf. perist. 1, 27 hostico donare ferro). Quies désigne le repos du corps avant la résurrection, et celui de l'âme en Dieu ; cf. perist. 4, 127 ; 5, 515.

      
46-48 Se fore principium pulchræ necis et ducem cruoris
seque caput gladio submittere sanguinem dicare ;
qui sociare animam Christo uelit, ut comes sequatur.

Lui-même serait le commencement des nobles trépas et le guide du sang [versé], il soumettrait sa tête au glaive, vouerait son sang ; si quelqu'un voulait joindre son âme au Christ, qu'il soit son compagnon et le suive !

      46-48 : le v. 46 est explicité aux vv. 47-48 : pulchræ necis est comme scholié par caput gladio submittere, cruoris l'est par sanguinem dicare, principium et ducem sont repris par ut comes sequatur.

      46 : principium : sens logique (et non temporel) - les martyrs de la Massa Candida mourront avant s. Cyprien, mais sa prédication et sa prière sont à l'origine de leur passion. pulchræ necis : cf. perist. 5, 291 pulchroque mortis exitu (->). La mort du martyr est appelée nex en perist. 3, 101 ; 9, 64 ; 10, 773. ducem cruoris : l'effusion du sang se fera à l'instigation de s. Cyprien, appelé dux (désignation de l'empereur : -> 2, 47), comme l'évêque Fructueux (perist. 6, 10), le prêtre Hippolyte (perist. 11, 37) et le diacre Romain (perist. 10, 62).

      47 : caput gladio submittere : cf. v. 36 constituere simul poenam capitis Deum fatenti ; le martyr semble annoncer son mode d'exécution ; le prés. souligne l'imminence de l'événement. gladio : cf. v. 94 (sentence du juge ; gladio à la même place du v.) carnifices, gladio poenam luat hostis idolorum. Ce supplice est subi par s. Paul (perist. 12, 9 gladii testis) et par d'autres (perist. 8, 18 ; 10, 823-824 gladius recidat uile uix hominis caput | infantis ; 14, 78 uim gladii traham) ; -> 14, 89. On a aussi ensis (perist. 1, 28. 49 ; 10, 837. 872 ; 12, 27) ; la décapitation par la hache (cf. perist. 1, 44 ; 2, 327 ; 10, 43), dégradante, n'est subie par aucun martyr du recueil. sanguinem dicare : proposition en asyndète avec la précédente (elle reprend ducem cruoris [v. préc.] : possible jeu de mots ducere / dicare). S. Cyprien consacre (dicare : -> 9, 6) son sang à Dieu ; cf. vv. 64 liceat fuso tibi sanguine immolari ; 73. Sur ce sang (-> 2, 16), cf. v. 4 incubat in Libya sanguis.

      48 : sociare animam Christo : cf. c. Symm. 2, 758 regnator mundi Christo sociabere in æuum (promesse à Honorius) ; cf. aussi perist. 11, 110 tu rape, Christe, animam ; 14, 83 te sequentem, Christe, animam uoca. Cette association est un retour, car le Christ est animæ dator (ham. 931 ; cf. psych. 764-766). ut comes sequatur : en suivant leur évêque, les fidèles deviennent ses compagnons, dans une certaine égalité. Cette idée semble propre à Prudence : le pape Sixte appelle son diacre Laurent frater (perist. 2, 27-28 præcedo, frater ; tu quoque | post hoc sequeris triduum), alors que les sources ambrosiennes utilisent pater et filius (-> 2, 27) ; cf. perist. 6, 14-15 sacerdos, | leuitis comitantibus duobus. Ce que demande le martyr n'est pas l'habituelle escorte (cf. perist. 11, 27 plebis amore suæ multis comitantibus ibat), mais le partage de son épreuve. Cf. perist. 11, 246 raptus et ipse sacro sis comes Hippolytus (adressé à un évêque). sequatur : -> 11, 20.

      
49-50 His ubi corda uirum Christo calefacta præparauit,
ducitur ante alios proconsule perfurente uinctus.

Lorsqu'avec ces paroles il eut préparé pour le Christ des coeurs d'hommes enflammés, il fut emmené enchaîné avant les autres, tandis que le proconsul était en grande fureur.

      49 : his ubi : -> 11, 35. corda... Christo calefacta : cf. perist. 14, 12 puellulam Christo calentem (->) ; Verg. Æn. 12, 269 calefactaque corda tumultu. uirum : gén. archaïque (-> 2, 524 ; de même, perist. 3, 35 ; 11, 11), plus rare que uirorum. Vir prend une valeur éthique (-> v. 42).

      50 : motif de la comparution devant le juge furieux (-> 5, 41) lors de la condamnation ; cf. v. 89 sistitur indomiti proconsulis eminus furoris. ducitur... uinctus : cf. perist. 9, 37 ducite, ... ducite captiuum. L'emploi de ducere au passif montre la caractère paradoxal de la situation de celui qui est ducem cruoris (v. 46). ante alios : l'évêque est le premier visé par la persécution, même s'il n'est pas le premier à mourir (cf. v. 46). proconsule : Galérius Maximus. uinctus : cf. la prière des vv. 63-64 eripe corporeo de carcere uinculisque mundi | hanc animam (sens symbolique).

      
51-52 Antra latent Tyriæ Carthaginis abditis reposta,
conscia tartareæ caliginis, abdicata soli.

Des cavernes sont cachées, à l'écart, dans les profondeurs de Carthage la Tyrienne ; elles sont les complices des ténèbres du Tartare, repoussées loin de la lumière du soleil.

      51 : antra : les cavernes sont le domaine des morts (cf. v. suiv. tartareæ caliginis ; perist. 2, 288 oletque ut antrum tartari), des démons (cath. 9, 52), et du paganisme (p.ex. siège des sibylles, cf. c. Symm. 1, 262 ; apoth. 438). Ces antra sont illuminés par la descente du Christ au séjour des morts (cath. 9, 76 Deus dum luce fulua mortis antra illuminat) et, dans le cas des catacombes, par les lucernaires (perist. 11, 161-162). La prison est aussi dépeinte comme une caverne en perist. 5, 238 lugubre in antrum ; 6, 28 specum reorum. latent : ici, ce sont les cavernes qui sont cachées ; à propos d'autres souterrains, latere a pour sujet ceux qui s'y trouvent (perist. 6, 31 ; 10, 1050 foedis latentem sub cauernis), les ténèbres (perist. 5, 245 æterna nox illic latet) ou la lumière (perist. 11, 156 luce latente). Tyriæ Carthaginis : Carthage, citée encore au v. 71 (-> v. 1), désignée aussi par Afra Carthago (perist. 4, 17) et Lybica arx (c. Symm. 1, 184). Tyriæ se réfère à Didon, sa fondatrice légendaire (cf. ham. 496 regina Tyri). abditis : adj. substantivé ; de même, perist. 2, 344 ; 5, 114 ; cf. Lvcr. 6, 809 terrai penitus abdita. reposta : syncope obligatoire dans l'hexamètre, pour éviter (cf. ham. 921 ; c. Symm. 2, 967) ; cf. Lavarenne § 55.

      52 : conscia... caliginis : métaphore audacieuse - un objet inanimé semble être 'conscient' ; cf. perist. 5, 347 uetustas conscia (->) ; cath. 6, 83 conscium futuri librum. tartareæ caliginis : tartareus (-> 2, 288) suggère un lien avec le monde des morts. Caligo désigne l'obscurité de la prison (cf. perist. 5, 350 densæ specum caliginis). abdicata soli : l'absence de soleil comporte une signification symbolique (de même, cf. perist. 5, 246 expers diurni sideris).

      
53-54 Clausus in his specubus sanctus Cyprianus et catena
nexus utramque manum nomen Patris inuocat supremi.

Enfermé dans ces antres et avec les deux mains attachées par une chaîne, saint Cyprien invoque le Nom du Père suprême : ...

      53 : clausus... catena : ces termes incluent mimétiquement le reste du v., dont sanctus Cyprianus. specubus : de même, Verg. georg. 3, 376. Le cachot est aussi appelé specus (perist. 5, 350 ; 6, 28), antrum (perist. 5, 238 ; 6, 72 ; ici v. 51 antra), carcer (perist. 5, 247 ; 6, 25. 26. 27). sanctus Cyprianus : expression qui sera usuelle et qui commence à apparaître (cf. Introd. § 169 n. 126) ; l'usage ancien veut que sanctus ne qualifie pas le nom propre, mais martyr.

      53-54 : catena nexus : l'enchaînement est plus une torture qu'une mesure de sécurité ; cf. perist. 1, 22 catenæ dura ; 107 hæc coercet, torquet, hæc catenas incutit ; 5, 16 ; 11, 55-56 inde catenarum tractus, hinc lorea flagra | stridere. L'enjambement métrique semble avoir une valeur mimétique.

      54 : les mains liées, le martyr ne peut prier dans l'attitude de l'orant ; un miracle le permet à d'autres, cf. perist. 6, 103-107 nexus denique, qui manus retrorsus | in terga reuocauerant reuinctas, | intacta cute decidunt adusti. | non est ausa cohibere poena palmas | in morem crucis ad Patrem leuandas. nexus utramque manum : cf. perist. 1, 71 nexibus manus utrasque flexus inuoluit rigor ; 9, 43 uincitur post terga manus (acc. de relation ; ->). Contrairement aux bourreaux, actifs par leurs mains (-> 14, 88), les martyrs n'ont que la parole ou la prière (sur manus, -> 5, 69). nomen... inuocat : expression biblique (gen. 12, 8 ; psalm. 104, 1 ; act. 2, 21), le nom représentant toute la personne ; cf. perist. 2, 413 o Christe, nomen unicum ; 5, 91 uirtute Christi et nomine (->) ; 8, 3. Prudence n'utilise inuocare qu'ici et en apoth. 501-502 supinas | erigit ad cælum facies atque inuocat Iesum. Patris... supremi : cf. cath. 6, 1 ades, Pater supreme.

      
55-56 " Omnipotens genitor Christi Deus et creator orbis,
Christe parens hominis quem diligis et uetas perire,

" Dieu Tout-Puissant, qui as engendré le Christ et créé le monde ; Christ, père de l'homme, que tu chéris et auquel tu interdis de périr, ...

      55-56 : engendré par le Père, le Christ est 'père' de la création (cf. Mar. Victor. hymn. 1, 64 implet parentem dum esse præstat omnium) et spécialement de l'humanité (cf. le ton personnel : quem diligis et uetas perire) ; on a aussi cunctiparens (ham. 931) et omniparens (cath. 3, 2), à propos Verbe. La prière est ici adressée au Père et au Fils (-> 5, 37-38).

      55 : omnipotens genitor : même début de v. en Verg. Æn. 10, 668 (prière de Turnus). Omnipotens qualifie aussi le Christ (-> 11, 240). genitor : équivalent de Pater (technique, plus précis que parens, v. suiv.), fréquent p.ex. dans l'Apotheosis ; cf. le Credo de 381 (genitum, non factum). Deus : seule forme du vocatif de Deus chez Prudence, sauf en ham. 931 o Dee cunctiparens, animæ dator, o Dee Christe. creator orbis : le Père, conformément au Credo (ailleurs, le Fils : perist. 10, 469 ; cath. 11, 50). On a plus souvent conditor (p.ex. cath. 4, 9 rerum conditor et repertor orbis), factor (-> 2, 415) ou auctor (-> 2, 416).

      56 : Christe : -> 2, 413. parens hominis : cf. le titre messianique Filius hominis (annoncé en V.T. Dan. 7, 13, repris dans les Évangiles). Parens suggère un parallèle avec le rapport du Père et du Fils, et une proximité entre le Verbe incarné et les hommes. quem : par zeugma syntaxique, quem est objet direct de diligis et sujet de perire (proposition infinitive dépendant de uetas). diligis : cf. N.T. Ioh. 13, 34 sicut dilexi uos, et uos diligatis inuicem. Prudence emploie peu diligere ; il parle plus souvent de l'amour (amor ; -> v. 27) des martyrs pour Dieu et de la miséricorde de Dieu (-> 9, 85). uetas perire : cf. V.T. Ezech. 18, 23 numquid uoluntatis est meæ mors impii, dicit Dominus Deus, et non ut conuertatur a uiis suis et uiuat ? ; N.T. I Tim. 2, 4 qui omnes homines uult saluos fieri et ad agnitionem ueritatis uenire ; thème repris en cath. 7, 103-104 minacem iudicem | seruare malle quam ferire ac plectere. Il n'y a pas d'anéantissement de l'homme ; uetas perire évoque l'abolition du péché originel contracté par Adam et Ève et le caractère révocable de sa malédiction (V.T. gen. 2, 17 in quocumque... die comederis ex eo morte morieris).

      
57-60 " ille ego, uipereis quem tu bonus oblitum uenenis
criminibus uariis tinctum miseratus abluisti ;
iamque tuum fieri mandas, fio Cyprianus alter,
et nouus ex ueteri nec iam reus aut nocens ut ante.

" ... c'est moi que voici, que toi, dans ta bonté, pris de pitié, tu as lavé, alors que j'étais enduit de venins vipérins, souillé de crimes variés ; à l'instant, tu m'enjoins alors de devenir tien, je deviens un autre Cyprien, un homme nouveau à partir de l'ancien, et non plus coupable ou criminel comme auparavant.

      57-60 : la conversion, décrite comme processus psychologique et moral aux vv. 21-32, est vue ici d'un point de vue personnel (cf. aussi la Præfatio) ; cf. le modèle des Confessions de s. Augustin et de Pavl. Nol. carm. 10, 33-38. 133-135 (cf. Costanza 1976, n. 5 p. 124-125).

      57 : ille ego : pronoms annonçant de façon elliptique la modification survenue dans la vie du converti, distance (ille) et identité (ego) ; cf. vv. 59 fio Cyprianus alter ; 60 nouus ex ueteri. uipereis... oblitum uenenis : cf. v. suiv. criminibus uariis tinctum - plus précis, mais de portée symbolique moindre : uipereis... uenenis (au sing., cf. Lvcan. 9, 635) fait allusion au péché originel (cf. v. préc.), à Satan (-> 2, 239-240), peut-être aux philtres magiques (cf. v. 21-24) ; oblitus désigne l'empreinte durable du péché (-> 2, 378). tu bonus : tu s'oppose à ego, et bonus au mal dont Cyprien s'accuse. À l'impureté du pécheur n'est pas opposée la pureté du Christ, mais sa bonté (cf. N.T. Ioh. 10, 11 ; Rom. 2, 4 an diuitias bonitatis eius... contemnis, ignorans quoniam benignitas Dei ad pænitentiam te adducit ?) et sa miséricorde (v. suiv. miseratus).

      58 : criminibus : des désirs sensuels (v. 25) et le recours à la magie pour les satisfaire (v. 21-24) ; -> 2, 287. tinctum : -> 5, 342 ; cf. perist. 10, 510 plerumque felle tincta liuores trahit ; métaphore filée par abluisti. miseratus : de même, perist. 9, 85 miseratus ab æthere Christus. abluisti : cf. V.T. psalm. 50, 4 amplius laua me ab iniquitate mea et a peccato meo munda me ; 9 asperges me hysopo et mundabor, lauabis me et super niuem dealbabor ; N.T. act. 22, 16. Il s'agit d'un motif baptismal (p.ex. perist. 8, 6 ueteres maculas diluit amne nouo) ; cf. Tert. Scorp. 12 sordes baptismate abluuntur ; Avg. ciu. 1, 27 lauacro sanctæ regenerationis abluti.

      59 : le sens obvie de iamque (cf. v. suiv.) serait 'et désormais' (mandas et fio : prés. historiques), mais l'accumulation de tours ambivalents suggère que, sur le point d'affronter le martyre, s. Cyprien connaîtra un nouveau baptême, dans le sang et une transfiguration plus totale encore (le passage du péché à la sainteté anticipe celui de la vie terrestre à la gloire éternelle). tuum fieri mandas : même construction de mandare avec une proposition infinitive p.ex. en perist. 6, 140 ; 10, 42. tuum : repris au v. 67 de grege, quem tuum regebam. fieri... fio : reprise soulignant l'obéissance aux ordres (mandas) du Christ. alter : -> 5, 157 ; cf. au v. suiv. la terminologie paulinienne du passage du vieil homme à l'homme nouveau. L'humilité interdit au martyr de proclamer ses vertus, mais les grâces reçues l'empêchent de taire sa conversion.

      60 : cf. N.T. Col. 3, 9-10 expoliantes uos ueterem hominem cum actibus eius, et induentes nouum, eum qui renouatur in agnitionem secundum imaginem eius qui creauit eum. ueteri : abl. en - (de même, psych. 370), fréquent en poésie (p.ex. Ivv. 6, 121 ; Stat. Theb. 1 360), car utrn'entre pas dans l'hexamètre. nec iam... aut : la négation introduite par nec vaut aussi pour l'adj. coordonné par aut (nec n'est pas répété), peut-être employé au sens affaibli de uel. reus aut nocens : hysteron-proteron apparent ; grâcié et justifié, le martyr n'est plus soumis au jugement (reus) ; par cette grâce et pour lui répondre, il cesse de pécher (nocens). On peut aussi voir ici deux situations distinctes (cf. aut) : est reus tout homme soumis au Jugement (Prudence s'attribue ce statut en perist. 2, 582) ; est nocens le pécheur (ici) et le damné (cf. cath. 5, 125). Avant sa conversion, Cyprien était l'un et l'autre ; sauvé par son martyre, il ne sera plus ni l'un ni l'autre.

      
61-64a " Si luteum facili charismate pectus expiasti,
uise libens tenebris ergastula cæca dissipatis,
eripe corporeo de carcere uinculisque mundi
hanc animam, ...

" Si par ta grâce sans entraves tu as purifié mon coeur couvert de boue, veuille venir voir ce cachot aveugle, en en dissipant les ténèbres, arrache de sa prison corporelle et des liens du monde l'âme que voici, ...

      61-64 : un platonisme chrétien (-> 5, 301-304) fait une analogie entre souillure du péché (v. 61), ténèbres de la prison (v. 62) et monde terrestre (v. 63-64) ; la délivrance concerne l'âme.

      61 : luteum : sens éthique (-> 2, 447) ; cf. cath. 10, 25-28 si terrea forte uoluntas | luteum sapit et graue captat, | animus quoque pondere uictus | sequitur sua membra deorsum. facili : s'il prend souvent le sens de 'facile' (cf. perist. 14, 21), facilis qualifie aussi l'action divine, 'aisée' (libre et toute-puissante) et 'favorable' en c. Symm. 1 præf. 83 mortalem, facili quem releues manu. charismate : prosodie calquée sur celle du grec (1ère syllabe allongée) ; Prudence donne à chrisma ('charisme', 'don de la grâce' ; cf. c. Symm. 2, 1046) le sens de 'grâce' (grec cariV), ici et en Trin. 10-11 Spiritus ista Dei complet, Deus ipse : fideles | in populos charisma suum diffundere promptus. Il s'agit de la grâce sanctifiante (actuelle), non de la seule grâce charismatique (don communiqué à une personne moins pour elle que pour l'utilité de tous). expiasti : fin d'un état de péché et de souillure (de même, p.ex. perist. 1, 102 ; cath. 12, 165 ; ham. præf. 18).

      62 : uise : -> 14, 132. libens : cf. v. préc. facile ; emploi de l'adj. à la place de libenter ; de même, ham. 937. tenebris... dissipatis : abl. absolu exprimant la conséquence : par son regard, le Christ dissipe les ténèbres (celles de la prison - mais aussi sur un plan moral et mystique : -> 14, 80). ergastula cæca : la prison (ergastulum, -> 5, 358) où se trouve le martyr (cf. v. 51-52) ; au v. suiv. (corporeo de carcere), un glissement de sens suggère que, déjà ici, il est question du corps, prison de l'âme. Le sens actif ('aveuglant') de cæcus est fréquent chez les poètes (Lvcr. 1, 408 cæcæ latebræ ; Verg. Æn. 12, 444) et même en prose (Cic. dom. 24).

      63 : prison et chaînes (cf. perist. 5, 345-346 manceps carceris | et uinculorum ianitor) sont l'image de l'enfermement de l'âme dans le corps et dans le 'siècle' - curieusement, uincula est utilisé à propos du macrocosme, et carcer, du microcosme (et non l'inverse), peut-être en raison du caractère topique de l'image du corps-prison. On a l'autre image en perist. 2, 486-487 finis idem uinculi | carnalis (->). corporeo... carcere : cf. Ennod. opusc. 4 p. 391, 21 ; Arnob. nat. 2, 45 [animæ] carceribus corporum indutæ ; Ivvenc. 1, 192 carcer corporis ; même image, platonicienne, p.ex. en perist. 5, 358 corporali ergastulo (->). uinculisque mundi : cf. perist. 2, 583-584 seruientem corpori | absolue uinclis sæculi ; 10, 1110 anima absoluta uinculis cælum petit.

      64 : hanc animam : expression opposée à ille ego (v. 57) ; quand parle le martyr, l'essentiel de sa personne est son âme, qui seule compte. Cf. anima aux vv. 13 (sedem animæ penetrat) et 48 (qui sociare animam Christo uelit, ut comes sequatur) : il y a progression, en part. entre le moment où entre le Christ (v. 13 penetrat) et ici, celui où il fait sortir l'âme (v. 63 eripe).

      
64b-66 liceat fuso tibi sanguine immolari,
ne qua ferum reprimat clementia iudicem, tyranni
neu sciat inuidia mitescere, gloriam negare.

" ... qu'il me soit permis d'être immolé, en répandant le sang pour toi, et qu'aucune forme de clémence ne vienne contenir le juge cruel ; que l'hostilité du tyran ne sache pas s'adoucir et [me] refuser la gloire.

      64 : Cyprien n'est pas qu'une victime héroïque, son acte a une valeur sacrificielle. fuso... sanguine : cf. cath. 5, 71 ; Sall. hist. 2, 98, 2 ; Avson. 153, 50. immolari : -> 5, 364.

      65-66 : vv. liés par ne... neue ; un enjambement et une anastrophe accolent iudicem, tyranni (séparés du reste du v. par la coupe) ; gloriam negare donne la clef du passage.

      65 : ne qua... reprimat clementia : l'abstrait est sujet et l'animé (ferum... iudicem) objet ; cf. perist. 5, 435-436 [si] clementia | coruos minaces mitigat. Cette sorte de clémence (cf. l'indéfini qua), contrefaite (cf. ferum), relèverait de l'inuidia (cf. v. suiv.). ferum... iudicem : même expression (topique) chez Tert. adu. Marc. 1, 6. Sur iudex, -> 2, 167. tyranni : -> 14, 21.

      66 : neu sciat inuidia : scire a une valeur d'auxiliaire ; on n'a pas (ali)qua inuidia, car, à la différence d'une prétendue clementia, l'inuidia serait réelle. inuidia : nominatif (allongement de la syllabe finale). Les païens cherchent parfois à amoindrir la gloire des martyrs en leur refusant la mort (perist. 4, 133-134 inuidus quamuis obitum supremum | persecutoris gladius negarit) ou occultant leur souvenir (perist. 1, 74 inuidentur ista nobis, fama et ipsa extinguitur). gloriam : la mort pour le Christ (-> 14, 9) ; de même, decus (-> v. 73) et laus (-> v. 76).

      
67-69 " Da quoque ne quis iners sit de grege quem tuum regebam,
ne cadat impatiens poenæ titubetue quis tuorum,
incolumem ut numerum reddam tibi debitumque soluam. "

" Accorde également que nul ne reste engourdi, du troupeau que je dirigeais comme le tien ; que, ne pouvant supporter la peine, aucun des tiens ne tombe ou ne chancelle, afin que soit complet le nombre [d'ouailles] que je te rends, et que je m'acquitte de ma dette. "

      67-69 : tuum... tuorum... tibi : polyptote (-> 5, 2-3), typique de la prière (cf. le Te Deum).

      67 : da... ne : -> 2, 433-436. iners : de même, v. suiv. ne cadat... titubetue (->). grege : les fidèles (cf. perist. 6, 47 gregisque pastor ; 7, 42 ; 11, 242), dont l'évêque est pasteur, à l'image du Christ (cf. N.T. Ioh. 10, 1-18). tuum regebam : l'attribut tuum de l'objet quem [gregem] équivaut à in tuo nomine et à ut tuum sit. Le verbe regere (-> v. 103) est à l'imparfait : s. Cyprien ne peut plus exercer son ministère qu'en priant et en confiant son troupeau au Christ.

      68 : ne cadat... titubetue : cadere Christo est utilisé par s. Cyprien (epist. 21, 2) à propos de ceux qui, sacrifiant aux idoles, sont perdus pour le Christ (désignés comme lapsi) ; cf. perist. 7, 44 neu constans titubet fides. impatiens poenæ : même emploi du gén. avec impatiens p.ex. en perist. 2, 368 ; psych. 116. Sur poena, -> v. 36.

      69 : comme dans la parabole des talents (N.T. Matth. 25, 14-30 ; Luc. 18, 11-27), s. Cyprien rend des comptes au Christ pour le troupeau qui lui a été confié ; cf. perist. 11, 242 agna nec ulla tuum capta gregem minuat. incolumem : la prière ne veut pas tant la sauvegarde physique des ouailles (sens obvie d'incolumis) que l'intégrité de l'Église et, partant, le salut de ses membres (qui peut passer par le martyre) ; cf. perist. 2, 267-268 breui ulcerosos exuent | artus et incolumes erunt. numerum reddam : cf. Avson. 68, 2 numerumque iussus reddere ; même précision avec s. Laurent recensant les pauvres dont il a la charge (perist 2, 125-132. 161-164) et dans le catalogue des martyrs de perist. 4. debitumque soluam : cf. perist. 1, 62 debitum persoluit omne functa rebus Cæsaris ; il s'agit là d'acquitter les devoirs inhérents à une fonction - aucun martyr n'utilise ces termes pour le sacrifice de sa vie, acte de pur amour et grâce.

      
70-72a Vocibus his Dominum permouerat, influebat inde
Spiritus in populum Carthaginis, auctor acrioris
ingenii, ...

Par ces paroles, il avait ému le Seigneur ; de là vint l'influx de l'Esprit descendant sur le peuple de Carthage, instigateur d'une ardeur renouvelée dans les tempéraments, ...

      70 : uocibus his... permouerat : le martyr est éloquent devant les hommes (cf. v. 4-14) et devant le Christ (comme intercesseur). Permouere, qui évoque l'un des 3 buts de l'éloquence (mouere ; cf. Cic. de orat. 2, 115), est employé à propos de Symmaque en c. Symm. 2, 760 nil te permoueat magni uox rhetoris, oro. Le plus-que-parfait permouerat souligne l'achèvement de la prière, introduite par le prés. historique inuocat (v. 54). Dominum : le Christ, principal destinataire (cf. v. 67-69) d'une prière adressée au Père et au Fils (v. 55-56), qui sera exaucée par l'envoi de l'Esprit (v. suiv.). Dominus, fréquent dans les poèmes hexamétriques de Prudence, n'apparaît pas dans les autres passiones, mais en perist. 3, 27 ; 4, 58. 185 ; 6, 45. 129. 137 ; 8, 3. 15. influebat : cf. cath. 7, 75 cælo refulgens influebat Spiritus ; 9, 6 Spiritum cælo influentem per medullas hauriens. inde : adv. à valeur à la fois chronologique (succession des événements), causale (rôle de la prière) et relationnelle (envoi de l'Esprit par le Fils).

      71 : Spiritus... auctor : -> v. 9. populum Carthaginis : -> v. 1 ; désignation hyperbolique des chrétiens gouvernés par s. Cyprien, en part. des 300 qui mourront martyrs ; cf. vv. 38 populi doctor Cyprianus ; 102 Libyæ populos ; 11, 239 pro populo, cuius tibi credita uita est. On trouve aussi les désignations populus Christi, populus Christicolus, populus catholicus (-> 11, 30).

      71-72 : acrioris ingenii : cf. perist. 3, 32-33 ingeniique ferox | turbida frangere bella parat. L'adj. acer est un epitheton ornans qualifiant un martyr en perist. 4, 155 ; cf. aussi perist. 4, 185-186 steterunt | acriter contra fremitum latronum ; 5, 132 tortore tortus acrior ; 10, 52 acris heros excellentiæ.

      
72b-75 stimulis ut pectora subditis calerent
ad decus egregium discrimine sanguinis petendum,
non trepidare docens nec cedere nec dolore uinci,
laudis amore rapi, Christum sapere et fidem tueri.

... si bien que les coeurs, soumis à ses aiguillons, brûlaient de rechercher l'insigne honneur dans l'épreuve du sang ; il leur apprenait à ne pas trembler, à ne pas céder ni se laisser vaincre face à la douleur, à se laisser ravir par amour de la gloire, à être imprégné du Christ et à garder la foi.

      72 : stimulis ut pectora subditis calerent : le mouvement intérieur est décrit comme un processus physiologique (de même, v. 12-14), avec les catachrèses des pointes acérées (stimulis ; -> 11, 108), du coeur (-> v. 26) et de la chaleur (-> 14, 12 ; cf. v. 13 mentem fouet).

      72-73 : calerent ad decus : de même, Prop. 4, 3, 62 ad noua lucra calere.

      73 : decus egregium : iunctura fréquente en poésie (cf. Verg. Æn. 7, 473 decus egregium formæ ; Sen. Ag. 8 ; Clavd. carm. min. 11, 4 ; Inscr. christ. Rossi II p. 91, 56 v. 1), qui désigne le martyre en perist. 3, 7 ; cf. v. 39 egregiæ uirtutis honore. Decus seul désigne le martyr (-> v. 2), sa gloire (ici ; perist. 4, 183 ; 6, 11-12 ad tantum decus ex episcopali | clarus nomine Fuctuosus ibat ; 10, 909 cruenti pectoris spectat decus ; 12, 13 ueritus celsæ decus æmulando mortis) ou celle qui rejaillit sur sa patrie (perist. 4, 29). discrimine sanguinis : cf. perist. 5, 574 commune discrimen tulit. L'expression ne peut être prise au sens littéral (cf. v. 64 liceat fuso tibi sanguine immolari) : les martyrs meurent étouffés et rongés par la chaux vive - le sang symbolise la vie.

      74-75 : de docens dépendent trepidare, cedere et vinci (niés, v. 74), et rapi, sapere et tueri (v. 75). Docere est la mission de s. Cyprien (-> v. 2) ; il instruisait les fidèles, inspiré par l'Esprit - maintenant, c'est l'Esprit qui inspire les fidèles, suite à l'intervention et à la prière de l'évêque.

      74 : non trepidare : les pasteurs cherchent à rassurer les fidèles, cf. perist. 2, 21-28 ; 6, 51. 82 ; 7, 41-45. Contrairement au souhait des persécuteurs (perist. 11, 84 exemplo quo trepident alii), les martyrs sont intrépides (perist. 10, 819), et ce sont parfois les agents du supplice (perist. 3, 13-14 ; 6, 111 ; 10, 861) ou même ses instruments (perist. 5, 296 ; 6, 33. 102) qui tremblent. nec cedere : cf. perist. 10, 55 stent ut parati neue cedant turbini ; c'est le persécuteur qui bat en retraite (perist. 10, 1100 cedas necesse est uictus). Cedere est aussi utilisé dans un contexte militaire (-> 2, 420) ou juridico-politique (-> 5, 46). nec dolore uinci : le martyre est en partie une 'psychomachie', combat intérieur contre la souffrance : cf. perist. 5, 136 ars et dolorum uincitur ; 10, 580-581 nec dolorum spiculis | uictum fatiscit fitque poenis fortius.

      75 : laudis amore : iunctura fréquente en poésie (cf. Hor. epist. 1, 1, 36 ; Verg. Æn. 5, 394 ; Ov. met. 11, 527), reprise chez Lact. inst. 3, 8, 27. Prudence, qui l'utilise encore en psych. 279, s'inspire peut-être du modèle horatien précité (même position dans le v., même cas). L'amour de la gloire ou du martyre (perist. 3, 40 mortis amore ; 10, 71 amor coronæ) est second par rapport à l'amour du Christ (v. 27 : amore, même position du v.). Laus désigne aussi la gloire du martyr en perist. 1, 82 ; 4, 85-86 nec furor quisquam sine laude nostrum | cessit aut clari uacuus cruoris ; 108-109 laureis doctus patriis eadem | laude cucurrit ; 183-184 decus ex secundo | laudis agone ; 10, 1132 ; il peut prendre le sens d''éloge' (-> 2, 33). rapi : -> 11, 25. Christum sapere : même emploi de l'acc. en perist. 10, 247 si sanum sapis ; cath. 3, 16-17 fercula nostra Deum sapiant | Christus et influat in pateras (cf. Plavt. Pseud. 737 ; Cic. Att. 14, 5, 1). L'idée de sapor est exprimée au v. 11 o niue candidius genus, o nouum saporem (->). fidem tueri : de même, perist. 10, 59-60 fixa et statuta est omnibus sententia | fidem tueri uel libenter emori. Sur fides, -> 5, 60.

      
76-79 Fama refert foueam campi in medio patere iussam,
calce uaporifera summos prope margines refertam ;
saxa recocta uomunt ignem niueusque puluis ardet,
urere tacta potens et mortifer ex odore flatus.

La tradition rapporte qu'on avait ordonné d'ouvrir au milieu de la plaine une fosse qui soit remplie jusqu'à ras bord d'une chaux d'où émane une chaude vapeur ; les pierres calcinées vomissent le feu, la poussière neigeuse est ardente, capable de brûler ce qu'elle touche, et son souffle est mortel par ses exhalaisons.

      76-79 : la fosse de chaux vive (supplice attesté ailleurs : cf. Delehaye 1966, p. 418) est vue comme un lieu infernal et chaotique, où les 4 éléments sont mêlés (air [uaporifera ; flatus], terre [saxa ; puluis], eau [uomunt], feu [78 ignem ; ardet ; urere]), où les contraires se rejoignent (niueusque... ardet ; cf. v. 83 liquor aridus), et où se trouvent rochers et poussière (saxa... puluis).

      76 : fama refert : formule ovidienne, cf. en part. Ov. fast. 2, 203 illa fama refert Fabios exisse trecentos (ici aussi, groupe de 300 personnes, cf. v. 83) ; Palmer (1989, p. 120) insiste sur l'analogie entre les pièces lyriques de Prudence et les Fastes d'Ovide. Ici, la fama traverse le temps (cf. perist. 1, 74 ; 10, 189. 225), ailleurs (-> 2, 541), l'espace. refert : -> 9, 19. campi in medio : peut-être par souci de variation, tour préféré à celui, plus commun (et, vu l'élision, fort proche), de campo in medio (cf. v. 82 mediæ sponte ruerent in ima fossæ ; v. suiv. summos prope margines). Il n'y a pas de référence à un lieu précis, mais au caractère public de cette épreuve (la fouea n'est pas un piège caché). En perist. 10, une tentative d'exécution sur le bûcher se déroule parte campi ex altera (v. 846), mais la mise à mort a lieu dans un cachot (v. 1106-1109). iussam : personnification de fouea (iussam, au lieu de iussum [esse]).

      77 : uaporifera : adj. composé rare, vraisemblablement créé par Stace (Theb. 6, 716 ; silu. 1, 3, 45 uaporiferis fornacibus), repris en Schol. Iuu. 9, 57 ; Avson. Mos. 210 perque uaporiferi graditur uineta Vesuui. Prudence, qui l'utilise aussi en apoth. 134 (uaporiferos... ignes), semble s'inspirer de la Moselle (de même, v. 79 ; ->). summos... margines : selon l'usage le plus courant, margo est un masc. (cf. apoth. 686 ; ham. 794), non un fém. refertam : paronomase avec refert (v. préc.) - ici, moins un effet de l'art que d'une légère négligence.

      78 : recocta : -> 5, 70. uomunt ignem : cf. Verg. Æn. 8, 620 galeam flammas... uomentem ; 10, 271 uastos umbo uomit aureus ignes. Prudence fait une description fantastique de la fosse, sorte de volcan (cf. Lvcr. 1, 724 faucibus eruptos... uis [Ætnæ] ut uomat ignis) ou d'entrée des enfers. niueusque : 1ère mention de la blancheur de la chaux, qui donne son nom ('Massa Candida') au groupe des martyrs (v. 86-87). Sur l'image de la neige, -> v. 11 ; outre niueus, on a niualis et ninguidus (-> 2, 540). puluis ardet : lexique repris au v. 84 gurgite puluereo mersos liquor aridus uorauit. Le verbe ardere constitue un oxymore avec niueus, épithète de puluis.

      79 : vers en asyndète avec le préc. ; ellipse d'est ('il y a') - sinon, urere tacta potens serait apposé à puluis (v. préc.), et la 2e partie du v. serait un autre sujet d'ardet (v. préc.), mal accordé pour le sens. urere... potens : cf. perist. 3, 53 scindere... potens. Vrere (-> 2, 396) reprend ardere (v. préc.), avec un sens actif. mortifer... flatus : emprunt à Avson. Mos. 265-266 (haustas sed hiatibus auras | reddit mortiferos expirans branchia flatus ), vu la rareté de la iunctura et la présence (-> v. 77) de uaporiferus (cf. Charlet 1980b, p. 73-74). Mortifer est fréquent chez Prudence (9 ex. ; cf. p.ex. psych. 55 mortiferas... spargere flammas). mortifer ex odore : ex causal ; de même, perist. 11, 184 ædicula argento fulgurat ex solido. flatus : un souffle émanant de la fosse.

      
80-82 Appositam memorant aram fouea stetisse summa
lege sub hac : salis aut micam iecur aut suis litarent
Christicolæ aut mediæ sponte irruerent in ima fossæ.

À côté, raconte-t-on, se dressait un autel qu'on avait placé au bord de la fosse, avec la prescription suivante : les chrétiens devaient soit offrir le sacrifice d'un grain de sel ou du foie d'un porc, soit s'élancer d'eux-mêmes au fond du fossé, en son milieu.

      80-82 : répétition et illustration concrète (l'autel / la fosse mortelle) du dilemme évoqué aux vv. 36-37 constituere simul poenam capitis Deum fatenti ; | milia terrigenum spurcissima iusserant sacrari.

      80 : appositam... aram : ara (-> 5, 518) désigne l'autel, païen (ici ; perist. 10, 259 appone poris religiosas arulas ; c. Symm. 1, 52-53 uos nemus appositasque meo sub honore sacrantes | ... celebrabitis aras) ou chrétien (perist. 11, 170 propter ubi apposita est ara dicata Deo). memorant : reprise de fama refert (v. 76) ; cf. perist. 4, 163-164 quos Saturninos memorat uocatos | prisca uetustas. stetisse : le parfait suggère le caractère ponctuel de la présence de l'autel. summa : cf. v. 77 calce uaporifera summos prope margines refertam ; à fouea... summa s'oppose in ima fossæ (v. 82) : les chrétiens ont le choix entre le bord et le fond de la fosse (lequel est la porte du ciel, cf. v. 86).

      81 : lege sub hac : l'ordre du persécuteur, souvent désigné par iussum, est appelé lex (ici, sens amoindri ; -> 5, 14) ; cf. perist. 10, 1087 hac dii coercent lege cultores suos. On retrouve sub lege chez Ov. hal. 33 ; Sen. benef. 3, 19, 2 ; Avg. lib. arb. 1, 106. salis... micam : la petitesse de l'offrande (un grain de sel) indique le caractère symbolique du geste demandé - un refus n'en revêt que plus d'éclat. De même, perist. 3, 122-124 si modicum salis eminulis | ... digitis | tangere, uirgo, benigna uelis (demande du juge à la martyre) ; apoth. 187 ridiculosque deos uenerans sale, ture, cæspite. aut... aut : répétition de aut postposé ; cette alternative concernant le type de sacrifice ne constitue que le 1er terme du dilemme (cf. aut au v. 82). iecur... suis : cf. perist. 3, 29-30 iecur pecudis | mortiferis adolere deis. litarent : connotation païenne (cf. l'opposition de c. Symm. 2, 779-780 uel qui colimus te, | Christe, uel exta litant sculptis qui tabida saxis) : cf. perist. 1, 42 ; 5, 15 ; 10, 289. 1010 (contexte analogue) ; dans un contexte chrétien, perist. 10, 354 ; psych. 784.

      82 : Christicolæ : -> 11, 39. mediæ... in ima fossæ : comme au v. 80 (->), Prudence est précis : les chrétiens sont appelés à se jeter au milieu et au fond de la fosse (de même, perist. 11, 70 pellere et in medii stagna profunda freti) ; il utilise à la fois le tour substantivant l'adj. de lieu (in ima ; de même, v. 76 campi in medio ; cf. ima en perist. 10, 898 ; 11, 100) et celui où l'adj. s'accorde avec le nom complété (mediæ fossæ ; de même, vv. 80 fouea... summa ; 85 fundo... imo). Comme fouea (vv. 76. 80), fossa désigne aussi bien un piège (psych. 262) que le domaine de la mort (apoth. 1068 ; ham. 825). sponte irruerent : le geste des martyrs, bien que volontaire (sponte : -> 5, 221), n'est pas suicidaire. Sur irruere, -> 14, 75.

      
83-85 Prosiluere alacres cursu rapido simul trecenti,
gurgite puluereo mersos liquor aridus uorauit
præcipitemque globum fundo tenus implicauit imo.

D'un bond enthousiaste, au pas de course, trois cents à la fois s'y jetèrent ; la fluidité sèche qui les engloutissait dans ce gouffre poussiéreux les dévora et enveloppa jusque dans ses tréfonds l'agrégat qui y était précipité.

      83-85 : cf. perist. 5, 483-484 patente (cf. ici v. 74 patere) dum fundo aridum | secura plebs iter terit.

      83 : prosiluere : mouvement instinctif provoqué par la foi (ici ; cath. 9, 54 prosilit ruitque supplex, Christum adesse ut senserat) ou par la peur (perist. 3, 174 prosilit et sua gesta fugit). alacres : adj. suggérant la joie (ditt. 112 ; psych. 605) et la rapidité du mouvement (perist. 11, 111) ; cf. psych. 740 concurrunt alacres castris ex omnibus. cursu rapido : cf. perist. 6, 100-101 hæc inter rapidis focos crepantes | intrant passibus ; Verg. Æn. 5, 291 rapido... contendere cursu. simul : les fidèles aspirent tous au martyre ; même vision idéale en perist. 11, 61-62 nullus enim Christi ex famulis per tanta repertus | supplicia, auderet qui uitiare animam. trecenti : ce chiffre provient peut-être d'une influence du nombre des Fabii dans un texte d'Ovide (fast. 2, 203-204) ; -> v. 76. S. Augustin indique 'plus de 153' (in psalm. 49, 9 solo in proximo quæ dicitur Massa Candida plus habet quam centum quinquaginta tres martyres ; nombre comparé avec celui de N.T. Ioh. 20, 11).

      84 : reprise de l'idée du mélange des éléments (-> v. 76-79) ; puluereo et aridus font écho à puluis ardet (v. 78). gurgite puluereo mersos : cf. Verg. Æn. 10, 559 gurgite mersum. liquor aridus : oxymore ; ce supplice s'apparente avec ceux du bûcher (perist. 10, 847 texebat ustor fumidus pinu arida) et de la noyade (perist. 7, 81-82 amnicus... liquor). uorauit : cf. psych. 262-263 ut fossa ruentes | exciperet cuneos atque agmina mersa uoraret ; cf. aussi perist. 10, 637.

      85 : præcipitemque globum : une 'métamorphose' est en cours : chaque martyr est præceps, mais ils ne forment déjà qu'un globus (cf. v. 87 massa), en mouvement (cf. psych. 172 ; c. Symm. 2, 508). præcipitemque : -> 5, 460 et 11, 67. fundo tenus : cf. perist. 3, 148 ; 11, 157 primas namque fores summo tenus intrat hiatu. fundo... imo : reprise du v. 82 ima fossæ ; cf. cath. 9, 38 fundo ab imo ; psych. 655. implicauit : cf. perist. 5, 200 imo implicabunt tartaro (->).

      
86-87 Corpora candor habet, candor uehit ad superna mentes,
'Candida Massa' dehinc dici meruit per omne sæclum.

La blancheur possède les corps, la blancheur porte les âmes juqu'aux cieux élevés - de là vint qu'ils méritèrent d'être appelés 'Masse Blanche' dans tous les siècles.

      86 : le candor de la chaux retient les corps, mais conduit les âmes au Ciel - Prudence utilise un point de vue inattendu (celui de l'instrument du supplice) ; procédé alexandrin. Sur de tels récits, -> 2, 485-488. corpora : cf. perist. 2, 59-60 cum Christiana corpora | plus quam cruente scindimus (->). candor... candor : l'insistance sur ce nom permet de comprendre l'étiologie de Candida Massa (v. suiv.). Le second candor, désignant la chaux comme cause matérielle de la mort (et du salut), peut aussi être compris dans le sens moral d''innocence' (cf. cath. 3, 157). On a d'autres ex. de répétitions expressives en perist. 1, 21-24 (testibus et sanguinis) ; 10, 511-515 (carni, puis 3 fois carnis) ; 11, 110 (verbe rapere) ; -> 14, 74. superna : adj. substantivé ('ciel') ; de même, v. 105 martyr in supernis ; perist. 6, 26 carcer prouehit ad superna cæli ; cf. Cypr. epist. 37, 4 ; Cassiod. uar. 3, 19, 1. mentes : les âmes (-> 5, 359) ; cf. aussi v. 13.

      87 : Candida Massa : la chaux fait disparaître les reliques individuelles et les corps ne sont plus qu'une 'masse blanche' (étymologie contestée, un peu vite, par la critique moderne, qui fait de Massa Candida un nom de lieu - sens possible pour massa). Cf. Avg. serm. 306 ; 311, 10 ; in psalm. 49, 9 ; 144, 7 ; Pavl. Nol. carm. 19, 144-146 nec procul inde Vticam collatis Candida Massa | martyribus magno uenerandæ cædis aceruo | extulit. dehinc : sens temporel (cf. perist. 3, 128 ; 10, 1101) et logique ; cf. cath. 3, 131. meruit : sens atténué de mereri (cf. perist. 6, 128), ici simple auxiliaire indiquant l'existence d'un rapport logique entre dici et ce qui précède. per omne sæclum : conclusion influencée par les doxologies liturgiques (-> 5, 576).

      
88-89 Lætior interea iam Thascius ob diem suorum
sistitur indomiti proconsulis eminus furori.

Cependant, désormais réjoui par le jour [de gloire] des siens, Thascius comparaît face à la fureur du farouche proconsul, qui se tient à distance.

      88 : lætior : valeur intensive (-> 2, 61) ; d'autres martyrs éprouvent le même surcroît de joie durant leur passion (cf. perist. 5, 125 ; 14, 68). interea iam : adverbes marquant le lien entre 'passions' principale (s. Cyprien) et secondaire (Massa Candida). Thascius : autre nom de s. Cyprien (-> v. 2). diem : désignation métaphorique de la mort (cf. V.T. Iob. 8, 56 ; Val. Fl. 5, 12). suorum : écho à la fin du v. 68 tuorum (s. Cyprien garde des liens avec ses ouailles).

      89 : de même, v. 50 ducitur ante alios proconsule perfurente uinctus ; cf. perist. 11, 39 sistitur insano rectori. sistitur : -> 2, 53. indomiti proconsulis... furori : expression imagée, désignant le juge furieux ; probable hypallage, indomitus portant, pour le sens, plutôt sur furor (-> 14, 63 ; cf. psych. 697 indomitos... furores ; Catvll. 64, 54) que sur proconsul (exécutant servile, il n'est pas indomitus) ; sur cet adj., -> 11, 94. eminus : -> 11, 85.

      
90-91 Edere iussus erat quid uiueret, " Vnicultor, inquit,
trado salutiferi mysteria consecrata Christi. "

Il avait reçu l'ordre de déclarer quelle était sa vie : " Dévot de l'Unique ", dit-il, " je communique les mystères sacrés de celui qui porte le salut, le Christ. "

      90 : quid uiueret : de même, v. 32 uiuere iustitiam Christi ; psych. 762 quod uiuimus. unicultor : seule occurrence du terme dans la littérature latine. Cf. aussi cath. 6, 125.

      91 : la doctrine chrétienne, objet d'une tradition (trado), est mystérieuse (mysteria) et sacrée (consecrata), car révélée, et apporte le salut (cf. salutiferi... Christi) ; cf. perist. 10, 646 mystica nostræ salutis. trado... mysteria : de même, l'archidiacre Laurent est appelé mysteriarches par son juge (perist. 2, 350). Prudence se réfère aux Actes proconsulaires, où l'aveu ne concerne pas la foi, mais la qualité d'évêque. salutiferi : cf. cath. 3, 7 ; psych. 14. En perist. 11, 235, on a salutiger, plus rare. consecrata : cf. v. 98 et cath. 7, 197 quod consecrati tu magister dogmatis.

      
92-94 Ille sub hæc : " Satis est iam criminis, ipse confitetur
Thascius, ipse Iouis fulmen negat. Expedite ferrum,
carnificis gladio poenam luat hostis idolorum. "

L'autre, à ces mots : " Le crime est déjà suffisant, Thascius lui-même l'avoue, il nie lui-même la foudre de Jupiter. Apprêtez le fer, que par le glaive du bourreau cet ennemi des idoles purge sa peine ! "

      92-93 : satis est iam criminis, ipse confitetur Thascius, ipse Iouis fulmen negat : la ponctuation de Cunningham (satis est iam criminis, ipse confitetur. Thascius ipse Iouis fulmen negat) n'est pas satisfaisante, le second ipse n'ayant pas de raison d'être ; celle que retiennent les autres éditeurs lui donne par contre une valeur de répétition expressive (de même, pour souligner la responsabilité ou culpabilité du sujet, perist. 3, 82. 84 ; 5, 148. 151). Sur le fond, la réponse du martyr suffit à le condamner à mort (position juridique connue, critiquée par Tert. apol. 2, 20 'Christianus' si nullius criminis nomen est, ualde ineptum, si solius nominis crimen est).

      92 : ille sub hæc : même début de v. chez Verg. Æn. 5, 394 ; même ellipse du verbe 'dire', p.ex. en perist. 3, 126 martyr ad ista nihil ; 11, 89. satis : -> 5, 289. confitetur : double sens d''avouer' (cf. perist. 1, 111) et de 'confesser (sa foi)' ; -> 5, 40.

      93 : Thascius : -> v. 2. Iouis fulmen : de même, Acc. trag. 35 ; Sen. Ag. 528 ; cf. perist. 10, 276-277 fulmen æris ceu Tonantis ; la foudre est l'attribut de Jupiter, emblème du paganisme (cf. perist. 6, 39 [ut] Iouem relinquant ; 10, 415 Ioui statoris... et dis ceteris) et inspirateur des persécuteurs (-> 2, 471), qui l'invoquent (perist. 10, 396 pro Iuppiter). Iouis fulmen pourrait désigner par métaphore le 'bras séculier' impérial mis au service du paganisme (Vulcain équivaut au feu [perist. 2, 356. 404] et Pluton aux bourreaux [perist. 5, 99]). Prudence prête les attributs joviens à Dieu, appellé Tonans en perist. 6, 98 ; cf. perist. 5, 191-192 ueneni interpretem | linguam perurens fulmine ; 14, 46 en ales ignis fulminis in modum (->). negat : expression de la négation des dieux païens - ailleurs, de Dieu (perist. 3, 70 ; 10, 35). expedite ferrum : même expression chez Liv. 24, 26, 10 ; cf. perist. 1, 37 uile censent expeditis ferre dextris spicula. L'emploi du plur. expedite n'est pas contradictoire avec le sing. carnificis (v. suiv.) : les licteurs étaient par paires, et le bourreau avait besoin d'au moins un aide. ferrum : l'arme typique des persécuteurs (-> 14, 36), ici un glaive, est comme le pendant de celle des dieux (fulmen Iouis).

      94 : gladio : -> v. 47. poenam luat : de même, Ov. met. 3, 625 ; cf. perist. 5, 52 mors luenda est sanguine. À la même place du v., on a poenam au v. 36 et poenæ au v. 68 (-> 14, 22). hostis : le conflit entre martyrs et persécuteurs oppose deux militiæ, d'où l'emploi d'hostis (-> 5, 250) ; cf. cependant perist. 3, 72-73 en ego sum | dæmonicis inimica sacris. idolorum : le paganisme (désignation polémique ; ailleurs, ce n'est jamais un païen qui l'utilise : -> 2, 484).

      
95 Ille Deo meritas grates agit et canit triumphans.

Lui rend grâces à Dieu, à bon droit, et entonne un chant triomphal.

      95 : ille : le martyr (au v. 92, le juge). Deo... grates agit : allusion aux derniers mots du martyr d'après les Actes proconsulaires ('Deo gratias'). L'expression grates agere est attestée chez Plavt. Mil. 412 ; Cic. rep. 6, 9 ; Ov. trist. 4, 10, 132 ; les doublets grates et gratibus de gratias et de gratiis sont utilisés surtout dans le domaine religieux ; cf. aussi grates debere (perist. 10, 562). meritas : cf. psych. 889 Christe, tibi meritosque sacramus honores. canit triumphans : de même, perist. 14, 52-53 ibat triumphans uirgo, Deum Patrem | Christumque sacro carmine concinens (cf. Introd. § 117 ; ->) ; dans les 2 cas, Bergman et Cunningham éditent triumfans, contre les mss (de même, v. 101 profetat au lieu de prophetat). Le chant du martyr fait partie de son témoignage ; ce motif trouve sa source dans le Cantique des trois Hébreux dans la fournaise (V.T. Dan. 3, 52-90 [LXX]) ; ici, il s'agit d'un ajout de Prudence, faisant contraster ce chant joyeux lors de la mort (-> 2, 29) avec les incantations au milieu des tombeaux (cf. v. 23).

      96-106 : double opposition, l'une reprenant celle des vv. 1-4 (patrie africaine et renommée universelle), l'autre (patries céleste et terrestre) se retrouvant p.ex. en perist. 2, 529-584.

      
96-98 Fleuit abire uirum mæsta Africa quo docente facta est
cultior, eloquio cuius sibi docta gloriatur ;
mox tumulum lacrimans struxit cineresque consecrauit.

L'Afrique, affligée, pleura le départ d'un homme par l'enseignement duquel elle avait été mieux formée, dont l'éloquence, qui l'a instruite, est pour elle source de gloire ; bientôt, dans les larmes, elle lui édifia un tombeau et regarda ses cendres comme sacrées.

      96-98 : cf. perist. 5, 509-512 dum cura sanctorum pia | deflens (ici fleuit ; lacrimans) adornat aggerem | tumuloque (ici tumulum) corpus creditum | uitæ reseruat posteræ. :

      96 : fleuit abire uirum : même construction de flere p.ex. chez Verg. ecl. 3, 78. Les proches du martyr pleurent sa disparition ; de même, perist. 2, 23. 25-26 ; 3, 181. 183 ; 5, 510 ; 6, 51 ; 11, 133. Ils seront invités à se consoler (cf. v. 99). Sur uir, -> 2, 491. abire : ce verbe est moins un euphémisme pour 'mourir' que l'expression d'un point de vue subjectif voire égoïste, démenti au v. 100 nec ab hoc recedit orbe. Africa : métonymie pour Afri, les habitants de la province d'Afrique (-> v. 1). quo docente : cet abl. absolu accompagne facta est et équivaut à un abl. précédé de ab ; même tour p.ex. en cath. 3, 187 ; 6, 22. Le résultat de l'action de s. Cyprien, doctor (-> v. 2), est exprimé par le participe docta au v. suiv.

      97 : cultior : -> 2, 439-440. eloquio : -> v. 10. sibi... gloriatur : emploi explétif de sibi ; cf. Cassian. inst. 12, 27, 1 cum sibi uel de nobilitate natalium gloriatur. docta gloriatur : docta (esse) reprend docente (v. préc. ; ->) et cultior. Si docta équivaut à se doctam esse, on a un tour rare et poétique (cf. Hor. epist. 1, 7, 22 ait esse paratus), calqué sur le grec (emploi du nomin. dans la proposition infinitive quand le sujet est le même que celui de la principale) ; docta peut être un participe passé apposé au sujet (cf. C. Rapisarda 1948, p. 17-18).

      98 : cf. Cæs. Gall. 6, 17, 4 rerum exstructos tumulos locis consecratis conspicari licet. mox : référence à des événements postérieurs de plusieurs années (de même, perist. 5, 513). tumulum... struxit : struere laisse entendre que tumulus ne désigne pas qu'une simple tombe (cf. perist. 5, 511 ; 9, 5. 99 ; 11, 3), mais un sanctuaire (cf. perist. 12, 37). lacrimans : les pleurs font partie des funérailles (-> v. 96). cineresque consecrauit : cf. Mela 3, 84 [Phoenix] ossa... flagrantibus arce bustis inferens memorando funere consecrat. Le verbe consecrare, déjà employé au v. 91, signifie ici 'honorer comme sacré'. Les restes des martyrs (membra ou ossa) sont aussi parfois désignés par cinis, que les martyrs aient été brûlés (perist. 3, 120. 194 ; 4, 38 ; 6, 134) ou non (ici ; perist. 4, 2. 47 ; 11, 1. 152) - même si les chrétiens ne pratiquent par la crémation.

      
99-101 Desine flere bonum tantum, tenet ille regna cæli,
nec minus inuolitat terris nec ab hoc recedit orbe :
disserit, eloquitur, tractat, docet, instruit, prophetat.

Cesse de pleurer un si grand bien, lui occupe les royaumes célestes, mais n'en vient pas moins voler au-dessus de la terre et ne se retire pas de ce monde : il argumente, expose, discute, instruit, forme, prophétise.

      99 : desine flere : -> v. 96. bonum tantum : désignation abstraite de s. Cyprien, de ce qu'il représente pour sa patrie ; de même, v. 15 unde bonum subitum terris dederis. tenet ille regna cæli : proposition en asyndète semblant d'abord causale - le salut du martyr console ceux qu'il laisse -, mais les vv. suiv. la font apparaître comme une concessive : bien qu'il soit au Ciel, le martyr continue de prodiguer ses bienfaits aux hommes qu'il a quittés ; cf. perist. 2, 551-552 est aula nam duplex tibi, | hic corporis, mentis polo (-> 2, 551). tenet : ce verbe (-> 2, 457) évoque à la fois la fermeté de la possession acquise (cf. perist. 2, 124 pretiosa quæ Christus tenet) et la jouissance d'un bien. ille : pronom (utilisé au v. 95) suggérant l'éloignement (cf. v. 106 illinc pia dona dat patronus). regna cæli : plur. poétique (différemment, N.T. Matth. 3, 2. 4 regnum cælorum ; -> 5, 88) ; cf. cath. 10, 86 cælestia regna (même expression chez Cypr. eleem. 13). Le martyr rejoint la source de son éloquence (cf. v. 10 fontibus eloquii te cælitus irrigauit).

      100 : nec minus : expression donnant à tenet illa regna cæli (v. préc.) une valeur concessive ; elle a ici une valeur comparative (de même, psych. 190). inuolitat terris : terris est soit un abl. de lieu, soit un dat. ; même indétermination en perist. 3, 152 [crinis] inuolitans umeris ; ditt. 29 sentibus inuolitans Deus igneus. terris... orbe : cf. vv. 15 unde bonum subitum terris dederis, Pater, reuela ; 17 eligitur locuples facundia, quæ doceret orbem (mêmes places dans le v.).

      101 : Prudence aime les énumérations (cf. perist. 10, 508 sordet, tumescit, liquitur, foetet, dolet), accumulant ailleurs les épithètes (-> 14, 70) ou les noms (-> 14, 106). Ici, ces verbes illustrent le ministère de docteur et de pasteur de s. Cyprien, thème récurrent (en part. docere, -> v. 2). disserit, eloquitur, tractat : quasi synonymes ; disserit insiste sur l'argumentation, l'enchaînement des idées (cf. perist. 10, 22. 391. 924. 1123) ; eloquitur se rapporte à l'énonciation et suggère l'éloquence (cf. perist. 10, 5. 546 ; 14, 38 ; cf. eloquium aux vv. 10. 97) ; tractat prend le sens de 'traiter d'un sujet, le discuter' (-> 2, 322). Il n'y a pas d'ordre logique, ni de renvoi précis à des catégories comme inuentio, dispositio, elocutio, même si elles sont implicitement présentes. docet, instruit : -> v. 2 ; comme les 3 préc., verbes quasi synonymes ; docere a une connotation théorique ('culture'), alors qu'instruere (repris au v. 106), dont le sens premier est matériel (cf. instrumentum ; -> 11, 105) évoque plutôt la formation avec un but pratique. Cf. Cic. sen. 29 ut adulescentes doceat, instituat, ad omne officii munus instruat. prophetat : dérivé de propheta (perist. 10, 626), signifiant 'prophétiser' (cf. v. 9-10) ou, ici (cf. N.T. I Cor. 14, 4), 'interpréter' ou 'exposer la loi divine' (cf. v. 16-18). Ce verbe constitue le point culminant de la série : seule la prophétie requiert l'inspiration. Comme pour triumphans (v. 95), Bergman et Cunningham écrivent profetat, contre tous les mss.

      
102-104 Nec Libyæ populos tantum regit, exit usque in ortum
solis et usque obitum, Gallos fouet, imbuit Britannos,
præsidet Hesperiæ, Christum serit ultimis Hiberis.

Il ne dirige pas seulement les peuples de Libye, mais s'avance jusqu'au lever du soleil et jusqu'au couchant, réchauffe les Gaulois, imprègne les Bretons, veille sur l'Hespérie, sème le Christ chez les plus reculés des Hibères.

      102-104 : l'influence de s. Cyprien s'exerce sur le monde entier, mais seules des parties de l'Empire d'Occident sont mentionnées (même limitation, p.ex. perist. 4 : cf. Introd. § 4 et n. 13). Une telle énumération (plutôt qu'un terme général) est typique de Prudence (-> v. 101).

      102 : Libyæ populos : périphrase pour Afri, reprenant Africa (v. 96) ; Libya désigne aussi l'Afrique au v. 4 (-> v. 1). Populus (-> v. 71) est souvent utilisé au plur., quand il désigne, la population (chrétienne : -> 11, 5) d'une région. regit, exit : asyndète ; de même, v. suiv. fouet, inbuit. regit : l'autorité de s. Cyprien (cf. v. 67) se poursuit après sa mort, par une double influence : sur les hommes par son enseignement, sur Dieu par sa prière. Il est le seul martyr pour lequel ce verbe soit employé ; toutefois, la même idée se retrouve à propos de s. Laurent (perist. 2, 553-564). exit : l'influence de s. Cyprien dépasse les frontières de sa patrie.

      102-103 : usque in ortum solis et usque obitum : de même, cath. 12, 91 a solis ortu ad exitu ; rupture de symétrie : avec ortum (-> 12, 22), usque (-> v. 33) est régulièrement accompagné de la préposition in, mais il est employé seul comme préposition avec obitum.

      103 : obitum : cf. perist. 11, 190 solis adusque obitum ; ailleurs, obitus signifie 'mort' (cf. aussi v. 5 sola obire nescit). Gallos... Britannos : mentions symétriques ; au v. suiv., par souci de variation, le 1er terme est abstrait, le second est à nouveau au plur. fouet, imbuit : mêmes formes respectivement à la même position des vv. 12 imbuit palatum ; 13 mentem fouet.

      104 : præsidet : cf. v. 102 regit. Ce verbe, utilisé à propos de dieux tutélaires (cf. Cic. Manil. 70 deos... qui huic loco... præsident), se trouve dans un contexte chrétien en perist. 1, 67 ; c. Symm. 1, 325. Hesperiæ : nom poétique de l'Italie ; outre Italia (c. Symm. 2, 697), on a aussi Ausonia (apoth. 380). Christum serit : cf. v. 91 trado salutiferi mysteria consecrata Christi ; perist. 6, 37-38 "Tu, qui, doctor," ait, "seris nouellum | commenti genus..." ; 92 serit loquellam (l'Esprit inspirateur). Cette métonymie correspond à une réalité spirituelle : c'est le Christ qui est apporté aux populations christianisées. ultimis Hiberis : les Ibères sont les seuls à recevoir un qualificatif. Prudence insiste sur le caractère lointain, marginal de sa patrie, à l'extrême Occident de l'Empire : perist. 2, 537-548 ; apoth. 424-425 audiit aduentum Domini, quem solis Hiberi | uesper habet (symétriquement, pour l'Orient, il cite les régions de la mer Noire et du Caucase). Cette mention à la fin d'un tetracolon progressif constitue une mise en valeur (contrairement à ce qu'affirme Palmer 1989, p. 96-97). Hiberis : épithète en perist. 1, 4 ; 6, 5. 144, cet adj. est substantivé ici, ainsi qu'en perist. 1, 117 ; 2, 537, où il désigne l'Èbre. Prudence n'emploie jamais Hispania, ni Hispani, sinon en perist. 6, 4-5, par souci de variation avec Hiberus : Hispanos Deus aspicit benignus, | arcem quandoquidem potens Hiberam.

      
105-106 Denique doctor humi est, idem quoque martyr in supernis ;
instruit hic homines, illinc pia dona dat patronus.

Enfin, c'est un docteur sur terre, le même qui est aussi martyr dans les cieux élevés ; ici, il forme les hommes, de là, il donne ses pieuses offrandes comme saint patron.

      105 : denique : introduction du résumé final. doctor : -> v. 2. humi : même sens (par opposition au ciel : in supernis) en apoth. 633-634 qui cælo uisus humique | inuentus rex. idem quoque : l'identité entre le docteur et le martyr est réelle (s. Cyprien a acquis une qualité après l'autre), mais l'exercice de ces fonctions (v. 106) est différent : les hommes sont instruits par ses oeuvres (v. 4-8), mais c'est Dieu qui, par son intercession, prodigue ses grâces. martyr : au v. 3, s. Cyprien est lié au lieu où il a versé le sang (est proprius patriæ martyr), alors qu'ici, sa patrie d'élu est le Ciel (-> 2, 551). in supernis : cf. v. 86 candor uehit ad superna mentes (->).

      106 : instruit : même verbe au v. 101 (->), avec 5 autres qui indiquent l'activité que poursuit le martyr sur la terre, grâce aux écrits qu'il a laissés. hic... illinc : reprise du v. préc. humi... in supernis ; même opposition entre ciel et terre avec hic et illic en perist. 2, 552-553, avec hinc et illic en perist. 1, 66-67. Illic désigne aussi le ciel en perist. 1, 2. 67 ; 2, 553. homines : plus rare dans le recueil que uir (parfois employé à sa place : -> 11, 11), homo est aussi utilisé au plur. aux vv. 6. 19 et p.ex. en perist. 11, 14. 176 ; 14, 109. pia dona : hypallage, pia étant pour le sens relatif au sujet ; les dons des martyrs manifestent leur pietas (cf. perist. 3, 56 ; 4, 22 , 14, 132 [->]). dona dat : figure étymologique ; cf. perist. 12, 55-56 ; apoth. 640 dona dederunt ; c. Symm. 2, 160. Les grâces obtenues par les martyrs sont aussi appelées dona en perist. 1, 19 inde larga fonte ab ipso dona terris influunt. patronus : apposition au sujet. Cf. perist. 1, 12 hic patronos esse mundi, quos precantes ambiant ; 2, 579-580 per patronos martyras | potest medellam consequi ; 6, 145 ; 10, 835.


Peristephanon 14
Sixième Passion : Passion d'Agnès (Passio Agnes)

      Agnès représente les vierges martyres dans le 'canon' des sept Passions ; dans le Peri-stephanon élargi, il y aura aussi Eulalie (perist. 3) 706  et Encratis (perist. 4, 109-140). Perist. 14 précède perist. 5 (cf. Introd. § 110) et a pour pendant perist. 13 (cf. § 116-117). Perist. 14 est, avec perist. 2, l'un des plus anciens poèmes du recueil (cf. § 100-103. 105-107) ; l'un et l'autre évoquent une sainteté accessible par le martyre et par l'ascèse (virginité consacrée, pauvreté), et font du martyr un triomphateur et un protecteur des Romains 707 . Agnès (rejoignant aux cieux le Christ-Époux) peut être opposée à Proserpine (c. Symm. 1, 356-360), enlevée aux enfers par Pluton - dans les deux cas, il est fait mention des Quirites, suppliant Proserpine ou protégés par Agnès (v. 4) 708 .

      La martyre 709 

      Agnès fut martyrisée à l'âge de 12 ou 13 ans, un 21 janvier, probablement en 305 (4e édit de Dioclétien [mars 304] : sacrifice général 710 ) et enterrée sur la voie Nomentane.

      Tradition hagiographique et liturgique

      Comme pour saint Laurent, Prudence ignore la tradition romaine relative à sainte Agnès (fugue ; pousse des cheveux cachant la nudité ; supplice du feu 711 ) ; il parle de sa décapitation, s'inspirant de la version ambrosienne (avec ses commentaires 712 ) et, le premier, narre l'exposition au lupanar, sous-entendu dans les versions antérieures. Cet épisode, situé sous arcade du cirque de Domitien 713 , se retrouve dans les passions en prose (latine et grecque) du début du ve s. ; les récits ultérieurs, proches de perist. 14, découlent de la Passion latine (BHL 156 ; CPL 2159). Mentionnée dans le De uirginitate en prose et en vers d'Aldelm de Malmesbury (viie s.), sainte Agnès est célébrée par un long poème hexamétrique de Roswitha de Gandersheim (xe s.) et dans les distiques élégiaques de Hildebert de Lavardin (xie - xiie s.) et de Philippe de Harvengt (xiie s.). Adam de Saint-Victor (xiie s.) lui consacre une séquence 714 .

      Perist. 14 fut utilisé dans la liturgie mozarabe 715  ; son mètre est repris par Ennode, tandis qu'on en a des emprunts p.ex. chez Dungal (ixe s.) et chez Dante 716 .

      Témoignages archéologiques et artistiques du culte

      De la grande basilique édifiée par Constantin près de la tombe de la martyre, il ne reste que des ruines et le mausolée circulaire annexe destiné à sa fille Constantine 717  ; l'actuelle basilique ad corpus est médiévale et ses dimensions sont plus restreintes.

      Le culte de sainte Agnès, nommée au canon de la messe, est universel ; à Rome, il comprend une cérémonie particulière, le jour de la fête de la martyre : la bénédiction de deux agneaux dont la laine servira à la confection des pallia portés par le Pape et les archevêques métropolitains. Le rapprochement Agnes / agnus (-> v. 1 ; cf. Delehaye 1934, p. 130) se retrouve dans l'iconographie : l'agneau est l'attribut de sainte Agnès dans une fresque du ive s. (cimetière de Comodille) et dans la théorie des vierges martyres à Saint-Apollinaire-le-Neuf, à Ravenne. La martyre est représentée en orante sur une plaque de marbre offerte par le pape Libère (352-366) et apparaît sur nombre de verres dorés 718 . La mosaïque ornant la basilique ad corpus (viie s.) met aux pieds de la martyre un glaive et deux boules de feu (cf. les traditions relatives à sa passion).

      Bibliographie : cf. Frutaz 1960 (ouvrage de base) et Fux 2002b ; Amore 1975, p. 78-80 ; Franchi de' Cavalieri 1899. Cf. DECA 54 (Saxer) ; BSS 1, 382-411 (Josi ; Aprile) ; AA. SS. 2 (janv. t. 2), 714-728 ; BHL 156-167 et suppl. 156-167c ; BHG 45-46 ; MHier 52-53 ; MRom 29-30. (38).


Le poème

      Résumé

      Vénérée aux portes de Rome, Agnès a une couronne de vierge et de martyre (v. 1-9). Ne parvenant pas à la faire abjurer (v. 10-20), le juge la menace de la jeter au lupanar (v. 21-37). Là, personne n'ose la regarder (v. 38-42), sauf un jeune homme, alors terrassé par Dieu (v. 43-51). La martyre, triomphante (v. 52-56), intercède pour le coupable qui est réanimé (v. 57-60). Le juge, dépité, la condamne à mort (v. 61-66), et la martyre voit avec impatience venir l'homme au glaive qui consommera ses noces avec le Christ (v. 67-84), et meurt (v. 85-90). Son âme s'envole et contemple les vanités du monde (v. 91-111), dont elle est victorieuse (v. 112-118) ; Dieu lui donne une double couronne (v. 119-120), Prudence lui adresse une prière (v. 121-133).

      Dynamique et thématique du récit. Actualité

      Les péripéties s'inscrivent dans une structure en 'étapes' : Agnès remporte les cou-ronnes de la virginité préservée puis du martyre ; les vv. 61-63 marquent l'articulation entre les deux ascensus. La récurrence thématique s'accompagne - élément particulier à ce poème - de la répétition de termes à la même position dans le vers, parfois par facilité ou nécessité métrique, parfois aussi pour suggérer une correspondance 719 .

      L'utilisation d'une forme métrique rare (cf. Introd. § 105) permet une opposition implicite entre deux vierges mariées à l'âge de 12 ans : la fille de Stilicon avec Hono-rius, mariage impérial que célèbre Claudien - et ici Agnès, épouse mystique du Christ, doublement couronnée. Les vierges chrétiennes sont ailleurs l'objet d'une compa-raison polémique avec les vestales (cf. perist. 2, 297-304 et c. Symm. 2, 1105-1113). Prudence a repris dans perist. 14 certains aspects de la doctrine que saint Ambroise développe en lien avec la figure d'Agnès : lien entre ascétisme et martyre, et spéci-fiquement, motifs de la double couronne 720  et des noces mystiques avec le Christ 721 .

      Bibliographie : cf. les études de Gómez Pallarès 1996, Burrus 1995, Schetter 1986, Risposati 1979, Gelsomino 1973, Lunelli 1972, Fontaine 1970a, Argenio 1968 ; cf. aussi Malamud 1989, p. 149-180 et le commentaire de van Assendelft chez Bastiænsen 1987.

      Mots rares (seules occurrences chez Prudence) : protegit (v. 5), renisam (v. 13), temnere (v. 28), publicitus (v. 38), flexu (v. 39), procaciter (v. 43), corruit (v. 48), uiolabile (v. 55), demorabor (v. 76), colluuionibus (v. 126), propitiabilis (v. 130).

      Mètre : 133 hendécasyllabes alcaïques, exceptionnellement catastichon 722 .

      

      Schéma métrique :

      Forme fixe, sinon pour les première et dernière syllabes 723 . Césure systématique avant le choriambe 724  ; quelques irrégularités par rapport à Horace 725 .


Commentaire

      Passio Agnes : titre (proche de celui de perist. 13 : cf. Introd., App. C, p. 138) donné par les mss BVN, édité par Cunningham. La leçon présentant le gén. Agnetis (Bergman ; Lavarenne) est à rejeter (forme plutôt tardive, inutilisée au début du poème : -> v. 1).

      
1-2 Agnes sepulcrum est Romulea in domo,
fortis puellæ, martyris inclytæ.

La tombe d'Agnès se trouve dans la demeure romuléenne, tombe d'une jeune fille courageuse, d'une martyre illustre.

      1 : Agnes : gén. sing. de forme grecque ; la déclinaison Agne, Agnes (et non Agnes, Agnetis, comme avec les nomin. des vv. 31. 61. 67. 112) est courante au ive s. (cf. Ambr. hymn. 8, 1 ; Damas. carm. 37, 2 ; Avg. serm. 273, 6). Ce nom est comme un titre incorporé au texte (de même, Ambr. hymn. 8, 1 Agnes...) ; le nom du martyr est aussi le 1er mot de perist. 10, et apparaît au début de la plupart des poèmes du recueil : cf. perist. 2, 3 ; 3, 1 ; 5, 4 ; 6, 1 ; 7, 2 ; 9, 6 ; 12, 4 ; 13, 2 (en perist. 1 et 8, martyrs non nommés ; en perist. 11, le nom du martyr est le dernier mot) ; de même, p.ex. Ambr. hymn. 10, 1 Victor, Nabor, Felix... ; 11, 3 ; 13, 2. « Agnès » évoque la pureté de la vierge (agnh, 'pure') et le sacrifice de la martyre (paronymie avec agnus : l'agneau, animal sacrificiel) ; cf. Avg. serm. 273, 6 [Agnes] uirgo quæ quod uocabatur, erat. Agnes Latine agnam significat, Græce castam. erat quod uocabatur : merito coronabatur ; cf. aussi Ambr. uirg. 1, 2, 5 non hominis habuisse nomen, sed oraculum martyris... nomen uirginis titulus est pudoris. L'iconographie associe très tôt un agneau à la martyre. Romulea in domo : de même, perist. 11, 1 Romula in urbe ; cf. Ov. fast. 5, 160 Romulea urbs ; Sil. 7, 485. Domus est employé au sens figuré de 'patrie' (de même, perist. 13, 2 ; cf. Cæs. Gall. 1, 53, 4).

      2 : mention des qualités de la vierge et de la martyre (de même, perist. 3, 1-2 germine nobilis | mortis et indole nobilior). fortis puellæ : expression imitée chez Ennod. carm. 1, 17, 5 puella fortis (qui reprend le mètre rare utilisé ici). fortis : -> 5, 237 ; cf. v. 12-13 fortiter impiis | iussis renisam. puella : ste Agnès n'est pas tout de suite désignée comme une vierge (-> v. 4). Les martyres Eulalie (perist. 3, 40 ; 4, 38) et Encratis (perist. 4, 178) sont aussi appelées puella. Au v. 11, diminutif puellula. martyris inclytæ : de même, Damas. carm. 37, 10 inclyta martyr (en l'honneur de ste Agnès ; Prudence ne semble pas avoir connu ce texte, malgré un second parallèle : -> v. 21 trux tyrannus) ; même iunctura en perist. 5, 285 martyr inclyte. L'adj. inclytus est attesté chez Lvcr. 5, 8 ; Verg. Æn. 6, 562 ; cf. perist. 5, 537 ; 10, 778.

      
3-6 Conspectu in ipso condita turrium,
seruat salutem uirgo Quiritium,
nec non et ipsos protegit aduenas
puro ac fideli pectore supplices.

Ensevelie en vue même des tours, la vierge maintient le salut des Quirites, et ne manque pas non plus de protéger ceux qui arrivent d'ailleurs, suppliants au coeur pur et fidèle.

      3 : même motif en perist. 11, 153 haud procul extremo culta ad pomeria uallo (->). Le tombeau est à 2 km de la Porta Pia, sur la Nomentane ; ensevelie dans un cimetière chrétien utilisé dès la fin du iie s., elle lui donna son nom ; on y édifia une basilique au début du ive s. On a ici une indication de distance plutôt qu'une évocation fidèle des lieux : le tombeau était souterrain et son emplacement était invisible depuis l'enceinte d'Aurélien, à cause d'une colline (entre l'actuelle villa Paganini et les murs de Rome) et de la basilique constantinienne. Cette relative inexactitude s'explique d'autant mieux si Prudence n'était pas encore venu à Rome. condita : même sens funéraire de condere (cf. ThlL iv 150, 83 - 151, 57) en perist. 5, 517-518 [ossa] subiecta... sacrario | imamque ad aram condita ; 10, 524-525 caro | tabescit, imo cum sepulcro condita est. turrium : les tours de l'enceinte d'Aurélien, édifiée après 271 contre d'éventuelles incursions barbares (cf. Hist. Avg. Aur. 21, 9 ; CIL xi 6308) ; tous les 30 m, une tour haute d'env. 20 m communique avec un chemin de ronde. L'allégorie de Rome parle de ses tours ceintes de lauriers en c. Symm. 2, 725. Il est aussi question des moenia de Rome en perist. 2, 416 ; 11, 43.

      4 : cf. Introd. § 115 et n. 31. seruat salutem : salus est ambivalent (salut éternel [cf. v. 124-133] ou sauvegarde 'temporelle' [cf. le miracle des vv. 57-60]). Le rôle tutélaire d'une martyre (-> 11, 191-192) est aussi mentionné en perist. 3, 5. 9-10 ossibus ornat, amore colit... sed mage sanguis martyrii | uirgineoque potens titulo. Ailleurs, ce sont les cités qui conservent (seruare) les ossements des martyrs (-> 12, 45), non l'inverse. Cette mention, qui suit celle des remparts, suggère que ce tombeau est comme un bastion de Rome. Prudence croit en une sorte de réversibilité temporelle des mérites ; de même, Pavl. Nol. carm. 26, 233-234 sancte Deo dilecte, Dei tu dextera, Felix, | esto, precor, nobis tu munitissima turris. Les vertus incarnées par ste Agnès jouent ailleurs le rôle de gardiennes de l'entrée du temple spirituel (c. Symm. 2, 252-253 ; -> v. 133). seruat : le verbe est souvent mis en tête de v. en perist. 14 (25 ex.), ainsi que dans les autres poèmes anciens. uirgo : annoncée par puellæ (v. 2), la virginité de la martyre sera affirmée explicitement au v. 8 intactum... uirginal. Prudence utilise uirgo seul (ici ; vv. 28. 39 ; perist. 3, 159. 185) ou avec les épithètes triumphans (v. 52) et felix (v. 124) ; cf. aussi perist. 4, 111 uiolenta uirgo. On a aussi uirginal (v. 8), uirginitas (vv. 24. 56), uirginalis (vv. 84. 116), uirgineus (perist. 3, 133. 154). Prudence semble rapprocher uirgo de uirago, comme le montre p.ex. la séquence heros, uirgo, puer, senex, anulla (perist. 6, 149), où uirgo répond à heros et anulla à senex. Presque partout ailleurs, le martyr est appelé uir (-> 2, 37). Quiritium : désignation épique et archaïque des habitants de Rome (de même, perist. 2, 513. 563 ; 11, 199). En c. Symm. 1, 358, ce nom désigne les fidèles païens (de même, perist. 2, 513) qui adressent des supplications à Proserpine ; la déesse est le parfait opposé de la martyre (l'une est enlevée aux enfers par Pluton, l'autre est élevée au Ciel, de plein gré, pour y rejoindre le Christ-Époux).

      5 : nec non et : -> 5, 485 ; cf. perist. 1, 10 exteri nec non et orbis huc colonus aduenit. protegit : verbe reprenant seruat (v. préc.). aduenas : les étrangers (de même, psych. præf. 17), c'est-à-dire des pèlerins provinciaux (cf. ThlL i 828, 15 - 829, 14) ; de même, Pavl. Nol. carm. 27, 550-551 tandem conuertitur aduena Christo, | dum sanctorum opera in Christo mirantur aperta. Prudence associe également pèlerins et autochtones en perist. 1, 10-15 ; 11, 203-212.

      6 : la prière est efficace devant les reliques (cf. perist. 2, 529-536), également à distance (cf. perist. 2, 537-584) : perist. 14 se conclut par celle de Prudence (v. 124-133). puro ac fideli pectore : pour être exaucée, la prière doit être sincère et conforme à la vérité de la foi ; cf. perist. 1, 13 nemo puras hic rogando frustra congessit preces ; cath. 2, 49-52 te mente pura ac simplici... rogare... discimus. supplices : -> 2, 565. Ste Agnès priera ainsi pour guérir son agresseur (v. 85-86 Christum... | supplex adorat).

      
7-9 Duplex corona est præstita martyri :
intactum ab omni crimine uirginal,
mortis deinde gloria liberæ.

Une double couronne a été conférée à la martyre : une virginité sauve de toute atteinte, et ensuite, la gloire d'une mort en liberté.

      7 : duplex corona : cf. Ambr. uirg. 1, 2, 9 habetis... in una hostia duplex martyrium ; au contraire, perist. 5, 525-526 simplex sed illis contigit | corona poenarum. La mention de la double victoire de ste Agnès, vierge (v. 8) et martyre (v. 9), introduit et conclura (v. 119-123) le récit ; ce leitmotiv (cf. vv. 34-37. 81-84) est inspiré d'Ambr. off. 1, 41, 203 ; uirg. 1, 2, 5. 9. S. Vincent obtient aussi, autrement, une double couronne (-> 5, 4). On a aussi duplex pour duo en perist. 4, 42 ; 5, 538. est præstita : cf. perist. 5, 515-516 altar quietem debitam | præstat beatis ossibus. martyri : certains mss ont la leçon martyrii, qui priverait le verbe d'un complément au dat. et assimilerait la couronne de la virginité à une corona martyrii ; la leçon martyri est préférable.

      8 : intactum ab : même tour chez Cæl. Cic. fam. 8, 2, 1 ; Prudence utilise aussi intactus avec le gén. (apoth. 568 intactam thalami puellam). De même, cath. 11, 55 pudoris intactum decus (la Vierge Marie) ; cf. perist. 5, 454 corpus, quod intactum iacet (cadavre du martyr). omni : -> 5, 121. crimine : la virginité de la martyre n'a été souillée par aucun péché (crimen équivaut à peccatum : cf. Mohrmann 1958-1977, t. 2 p. 105), ni par les attaques d'autrui : crimen est volontairement général. uirginal : rare, archaïsant (cf. Apvl. apol. 34, 5 ; Sol. 1, 67) ; -> v. 4.

      9 : gloria : de même, v. 124 o uirgo felix, o noua gloria. Sur la gloria des martyrs (liée à leur supplice, leur mort ou leur béatitude), cf. perist. 1, 93 ; 2, 30. 370 ; 5, 213. 399. 554. 575 ; 7, 19. 57 ; 9, 30. 94 ; 10, 544. 569. 768. 779. 1097 ; 13, 66. Elle rejaillit sur leur cité (-> 2, 9). mortis... liberæ : même motif chez Damas. carm. 37, 4 (sponte) ; Ambr. uirg. 1, 2, 8. La mort des martyrs est librement acceptée (cf. v. 69-87 ; cf. Tert. apol. 50, 1) et libératrice (cf. v. 91-92 spiritus emicat | liberque in auras exilit ; cf. Tert. apol. 50, 3) ; le sens obvie de liberæ est le premier ; le second est suggéré par la position de l'adj., qui répond à intactum (v. préc.). La mort reçoit d'autres qualifications positives : uotiua (perist. 2, 330) ; pulchra (perist. 8, 4) ; gloriosa (perist. 10, 65) ; inclyta (perist. 10, 135) ; pretiosa (perist. 10, 839) ; superba (perist. 12, 6).

      10-14 : en prologue au récit de sa passion sont évoqués le jeune âge de la martyre (v. 10-11) et sa foi ardente (v. 12-14). Prudence introduit ici le thème du mariage mystique de la vierge martyre (cf. v. 79 nupta Christo), lié à l'emploi du mètre rare de Claudien.

      
10-11 Aiunt iugali uix habilem toro
primis in annis forte puellulam

On dit qu'elle avait à peine l'âge permettant l'hymen, qu'elle se trouvait être une petite fille dans ses premières années, ...

      10 : la martyre atteint l'âge nubile (12 ans : cf. Pompon. dig. 23, 2, 4), ce qui valide sa consécration ; de même, pour ste Eulalie, perist. 3, 16-18 (vocation) et 106-111 (refus du mariage) ; les vestales, elles, ne sont que des vierges captives (cf. c. Symm. 2, 1066-1069), non consentantes et pour un temps limité. Ce jeune âge, ici confirmé par l'examen des reliques, est mentionné par Damas. carm. 37, 3 nutricis gremium subito liquisse puellam ; Ambr. uirg. 1, 2, 7 hæc duodecim annorum martyrium fecisse traditur ; hymn. 8, 5-6 matura martyrio fuit, | matura nondum nuptiis ; Ps.-Ambr. epist. 1 tertio decimo ætatis suæ anno mortem perdidit ; Avg. serm. 273, 6 puella tredecim annorum. aiunt : l'allusion à une tradition (cf. Damas. carm. 37, 1 fama refert ; Ambr. uirg. 1, 2, 7 fecisse traditur) souligne la réalité des mirabilia (-> v. 57). iugali... toro : cf. c. Symm. 1, 160-161 deprensa iugalis | corruptela tori ; ham. 780-781 thalamis et lege iugali | exutæ Hebræisque toris sacrisque uacantes. Là comme en perist. 2, 303 ; 3, 111 ; 13, 24, torus ('lit nuptial'), métaphore pour le mariage (de même, p.ex. Ov. met. 1, 620 ; Tac. ann. 15, 37, 9).

      11 : le motif de la faiblesse naturelle de la martyre souligne l'action de la grâce, cf. N.T. I Cor. 1, 27 infirma mundi elegit Deus, ut confundat fortia. primis in annis : même expression p.ex. chez Avson. 168, 7 ; 179, 3. forte : adv. repris à la même position du v. 43, aussi avec un sens faible, pour introduire une péripétie. puellulam : de même, perist. 3, 103 (ste Eulalie).

      
12-14 Christo calentem fortiter impiis
iussis renisam, quominus idolis
addicta sacram desereret fidem.

... qu'enflammée pour le Christ, elle résista courageusement aux ordres impies, de peur qu'adjugée aux idoles, elle ne désertât la foi sacrée.

      12 : Christo calentem : de même, perist. 6, 21 incenditque fidem calore Christi ; 10, 732-733 animo ac medullis solus ardor æstuet | uidere Christum ; 13, 49 corda... Christo calefacta. Cf. Pavl. Nol. carm 14, 11 caleant mens fidesque Deo. Ici, expression audacieuse : calere avec le nom d'une personne à l'abl. peut avoir un sens érotique (cf. Hor. carm. 4, 11, 33 ; Ov. am. 3, 6, 83 calere puella), cf. perist. 10, 183 ; c. Symm. 1, 171 ; ham. 585 - même si calere, généralement, dénote toute passion, bonne (ici ; perist. 13, 72) ou mauvaise (perist. 2, 213). Ce lexique amoureux, transposé au domaine mystique (-> v. 74-78 ; cf. en part. v. 76 uota calentia), s'accorde avec la reprise du mètre rare d'une pièce nuptiale de Claudien. fortiter : -> v. 2. impiis : -> 2, 377.

      13 : iussis renisam : emploi du dat. (de même, Plin. nat. 2, 198). Esse est sous-entendu. quominus : classique, mais rare du temps de Prudence. Sur quo final, -> 2, 127.

      13-14 : idolis addicta : l'idolâtrie (comme le lupanar, cf. v. 30 mancipium) est une aliénation.

      14 : sacram desereret fidem : ici, la persécution vise à obtenir l'abjuration des fidèles (cf. perist. 11, 52). La martyre n'abandonnera pas sa fides (-> 5, 60 ; cf. Ambr. hymn. 8, 7-12) et le Christ n'abandonnera pas la martyre (-> v. 33). sacram : ailleurs, cet adj. qualifie les martyrs (perist. 9, 5 ; 11, 246) et leurs qualités (integritas : v. 34 ; forma : v. 44), esprit (perist. 3, 31-32), sang (perist. 4, 65 ; 8, 13), corps et reliques (perist. 3, 194 ; 5, 343. 393. 505 ; 11, 145).

      
15-17 Temptata multis nam prius artibus,
nunc ore blandi iudicis illice,
nunc sæuientis carnificis minis,

En effet, soumise d'abord à l'épreuve de multiples façons, tantôt par les propos séducteurs du juge qui la flattait, tantôt par les menaces du bourreau déchaîné, ...

      15-17 : le juge veut éveiller des passions opposées, relevant du désir ou de la crainte ; ce fait est déjà relevé et commenté p.ex. dans le IVe Livre des Maccabées ; cf. aussi Ambr. uirg. 1, 2, 9.

      15 : temptata : le juge veut faire abjurer la martyre ; cf. perist. 10, 876-877 temptemus igitur ante partem quampiam | truncare ferro corporis superstitis. artibus : ars peut désigner les tortures (-> 5, 136), mais aussi la manipulation par la parole (cf. cath. 7, 193 explorat arte sciscitator callida).

      16-17 : juge et bourreau sont mis sur le même plan (de même, perist. 5, 6 tortore uicto et iudice) ; ils sont identifiés en perist. 5, 148 (->). nunc... nunc : de même, v. 107 ; perist. 1. 117-118 ; 10, 933-934. 940.

      16 : ore : cf. perist. 5, 175-176 prætor ore subdolo | anguina uerba exsibilat. blandi : de même (premiers mots du juge), perist. 2, 63 blande et quiete efflagito ; 5, 17-18 uerba primum mollia | suadendo blande effuderat. iudicis : -> 2, 167. illice : adj. rare, sens tardif ; de même, psych. 328 ; c. Symm. 2, 6 ; cf. Apvl. apol. 76, 5 ; Cypr. zel. 2 ; Pavl. Nol. carm. 24, 719.

      17 : sæuientis : -> 2, 58. carnificis : terme suggestif (cf. l'étymologie : perist. 6, 17 pastus sanguine carnifex) aussi fréquent ici que tortor. minis : si ces menaces sont verbales, seul cas dans le recueil où un bourreau, simple instrument du juge, 'parle' à sa victime ; influence peut-être d'Ambr. uirg. 1, 2, 9. De même, perist. 3, 97-103. 113-120 ; à propos du juge, cf. aussi perist. 2, 182 oculisque turbatis minax ; 185-186 quid frendens... | minitaris... ? ; 5, 187 ; 10, 1102. Parfois, ce sont les instruments du supplice qui tremblent devant les martyrs : cf. perist. 6, 33 fratres tergeminos tremunt catastæ ; 101-102 minantur ipsis | flammarum trepidantibus caminis.

      
18-20 stabat feroci robore pertinax,
corpusque duris excruciatibus
ultro offerebat non renuens mori.

... elle se tenait debout, têtue, dans sa force intrépide, et offrait d'elle-même son corps à de durs tourments, ne refusant pas de mourir.

      18 : vers encadré par stabat et pertinax (état permanent et visible), tandis qu'en son coeur se trouve feroci robore (bouillonnement intérieur : cf. v. 12 Christo calentem). Malgré les apparences, la martyre n'a rien de l'ataraxie du sage stoïcien. stabat : verbe marquant aussi la résistance et la résolution de la martyre chez Ambr. uirg. 1, 2, 9. S. Cyprien oppose stare ('demeurer ferme dans la Foi') à labi : cf. Cypr. epist. 8, 2, 2 ; laps. 2. 22. Cf. perist. 6, 91 ; 10, 397 stat inter aras et deorum imagines ; 11, 53. Stare est aussi employé en tête de v. à propos de la première épreuve de la martyre (son exposition : v. 40 stantem refugit mæsta frequentia) et aux vv. 112-113 pede proterit | stans et draconis calce premens caput. feroci : opposé à blandi (v. préc.), cet adj. qualifie aussi ste Eulalie (cf. perist. 3, 32). robore : certains mss ont robure ; ce remplacement d'-or, -oris par -ur, uris se retrouve parfois en perist. 5, 121 ; 10, 801, et serait propre à Prudence, exception faite d'un personnage dont parle Quintilien (inst. 1, 6, 23 sicut Antonius Gnipho, qui 'robur' quidem et 'ebur' atque etiam 'marmur' fatetur esse, uerum fieri uult ex his 'ebura', 'robura', 'marmura' ; cf. Lavarenne § 25) ; on a toujours robor, roboris p.ex. en apoth. 559 ; ham. 286.

      19-20 : corpusque... offerebat : de même, Ambr. uirg. 1, 2, 7 nunc furentis mucroni militis totum offerre corpus, mori adhuc nescia, sed parata. Le verbe offerre est employé à propos d'offrandes à Dieu, en part. celle des martyrs, qui se sacrifient (perist. 1, 57 ; 10, 72. 773. 1036).

      19 : duris : cf. perist. 1, 46 ; 10, 699 duris ictibus. excruciatibus : seule attestation du nom dans la latinité (noms en -tus, 4e décl., cf. Lavarenne § 1156-1161). Sur excruciare, -> 11, 54.

      20 : ultro : la spontanéité des martyrs montre leur acceptation de l'épreuve. renuens mori : même tour chez Apvl. met 3, 9, 6 renuentem præcedens facinus instaurare (texte discuté).

      21-66 : -> 5, 383-464 (parallélisme entre deux types de scènes d'exposition du martyr).

      
21-24 Tum trux tyrannus : " Si facile est ", ait,
" poenam subactis ferre doloribus
et uita uilis spernitur, at pudor
carus dicatæ uirginitatis est.

Alors, le terrible tyran dit : " S'il est aisé de subir le supplice, une fois que les souffrances ont été surpassées, et de mépriser la vie comme une chose vile, par contre, l'honneur attaché à la virginité consacrée a son prix.

      21 : tum trux tyrannus : groupe allitérant ; cf. Damas. carm. 37, 4 trucis... tyranni (-> v. 2). Trux, repris au v. 67, qualifie ceux qui attaquent les martyrs en perist. 2, 357 ; 5, 403 ; 6, 32 ; 10, 71. 817. Prudence insiste sur la cruauté des ennemis de la martyre : cf. vv. 17 sæuientis carnificis ; 70 uesanus, atrox, turbidus. Tyrannus, repris dans un sens général au v. 100, désigne aussi le persécuteur en perist. 3, 127 ; 5, 168. 255. 429. 534 ; 6, 111 ; 10, passim ; 13, 65.

      22 : poenam : terme désignant le supplice des martyrs dans tous les poèmes du recueil (sauf perist. 8) : cf. perist. 1, 70 ; 2, 338 ; 3, 125 ; 4, 117. 136. 178 ; 5, passim (-> 5, 153-154) ; 6, 23. 94. 106 ; 7, 45 ; 9, 33. 84 ; 10, passim ; 11, 83 ; 12, 27 ; 13, 36. 68. 94.

      23 : uita uilis : uilis (attribut de uita) se retrouve en perist. 1, 37 (jugement de martyrs sur leur passé). pudor : utilisé aussi aux vv. 33. 73 et en perist. 2, 197 ; 5, 129 ; 10, 356. 676.

      24 : dicatæ uirginitatis : il était possible de consacrer sa vie à Dieu dès 12 ans, âge nubile légal (-> v. 10), cf. Ambr. uirg. 1, 10, 58 si hominem uellent amare filiæ uestræ, per leges possent eligere quem uellent ; quibus igitur hominem eligere licet, Deum non licet ? Sur uirginitas, -> v. 4. dicatæ : dicare se réfère à un état de vie ici et en perist. 3, 18 ; 9, 30 ; il peut aussi qualifier des lieux ou des reliques (-> 9, 6). est : fait unique en perist. 14, le v. se conclut par un monosyllabe. Horace n'offre aucune exception de ce type pour le mètre en question, sinon la présence d'un monosyllabe avant la césure (Hor. carm. 4, 4, 73).

      
25-28 " Hanc in lupanar trudere publicum
certum est, ad aram ni caput applicat
ac de Minerua iam ueniam rogat,
quam uirgo pergit temnere uirginem :

" Notre décision est de la livrer publiquement à la prostitution, si elle n'incline pas la tête contre l'autel et ne demande maintenant son pardon à Minerve, vierge que cette vierge persiste à mépriser : ...

      25-28 : la martyre doit choisir entre Minerve et le lupanar, c'est-à-dire Vénus (cf. perist. 10, 230 nec te lupanar Cypridis sanctæ mouet ?). On a des jeux semblables sur la mythologie dans d'autres poèmes anciens, avec Vulcain (le feu : -> 2, 356) et Pluton (le bourreau : -> 5, 99).

      25 : cf. le récit des vv. 38-60 ; type de condamnation attesté par Tert. apol. 50 proxime ad lenonem damnando Christianam potius quam ad leonem, confessi estis labem pudicitiæ apud nos atrociorem omni poena et omni morte reputari ; Cypr. mortal. 1 excedunt ecce in pace tutæ cum gloria sua uirgines... corruptelas et lupanaria non timentes ; 15 ; Ambr. uirg. 2, 4, 23. La martyre pouvait aussi être outragée par sa dénudation (cf. Evs. Cæs. mart. Pal. 9, 6-8) ; la pousse miraculeuse d'une longue chevelure peut alors protéger sa pudeur (cf. perist. 3, 151-155, avec allusion à Damas. carm. 37, 7-8). Le viol de la victime avant son supplice, mentionné à propos de ste Thècle, l'est aussi en dehors des persécutions anti-chrétiennes, à propos des filles de Séjan (cf. Tac. ann. 6, 4 [5, 9], 3 ; Svet. Tib. 61 ; Cass. Dio 58, 11), en vertu d'un usage interdisant que l'on suppliciât des vierges (Svet. Tib. 61). Si en Grèce, les femmes adultères pouvaient être jetées au lupanar, cette peine n'existe pas à Rome, sinon comme préliminaire 'légalisant' le supplice ou (ici) comme moyen de pression (cf. Herter 1960). lupanar... publicum : il n'y a jamais eu de lupanar d'État ; publicus signifie 'commun à tous' (de même, perist. 2, 246 per scorta tractum publica), mais peut aussi avoir une valeur adverbiale (= publice, 'devant tout le monde', voire 'au nom de l'État' : cf. perist. 2, 327 securem publicam) ; cf. v. 38 publicitus. On retrouve lupanar à la même place du v. 55. trudere : cf. perist. 5, 238 lugubre in antrum truditur ; 10, 1107.

      26 : ad aram : de même, Ambr. hymn. 8, 17-18 aras nefandi numinis | adolere tædis cogitur. Un lien est fait entre cette adoration et la virginité : s. Ambroise parle de torches nuptiales (hymn. 8, 17-22), Prudence fait de la vierge Minerve la divinité à adorer. Sur ara, -> 5, 518.

      26-27 : applicat... rogat : certains mss ont les subj. prés. applicet... roget (potentiel), d'autres font alterner les deux modes ; le ton du passage (cf. l'impersonnel certum est) et le probable ind. fut. des vv. 29-30 plaident pour ce double ind. prés., leçon de la majorité des mss.

      27 : de Minerua... rogat : même tour en c. Symm. 1, 210 cæca de rupe poposcit ; cf. aussi Plavt. Pers. 642 ; Cic. Vatin. 10. Minerve est mentionnée p.ex. en perist. 10, 275 ; apoth. 455 (Julien l'Apostat adopte devant l'idole l'attitude commandée à la martyre : augustum caput ante pedes curuare Mineruæ). Agnès refuse de ueniam rogare, mais sera elle-même rogata (-> v. 57).

      28 : uirgo... uirginem : polyptote ; de même, avec des acceptions différentes (voire contraires) du terme répété, perist. 1, 35-36 proque uentosis draconum, quos gerebant, palliis, | præferunt insigne lignum, quod draconem subdidit ; 2, 19 morte mortem diruit. La confrontation des acceptions chrétienne et païenne d'un terme est assez fréquente chez les auteurs chrétiens, notamment s. Cyprien (cf. Mohrmann 1958-1977, t. 1 p. 289-298). Désignant la martyre, uirginem apparaît à la même position du v. 39. temnere : emploi du verbe simple avec le sens du composé contemnere ; ce tour archaïsant est fréquent dans la langue poétique et tardive (cf. perist. 12, 20. 53). Prudence semble y recourir aussi pour des raisons métriques.

      
29-30 " omnis iuuentus irruet et nouum
ludibriorum mancipium petet. "

" ... toute la jeunesse se ruera sur elle et recherchera la nouveauté de cet objet offert à de joyeux outrages. "

      29 : iuuentus : cf. v. 59 iuueni ; sur le regard négatif porté sur la jeunesse, -> 13, 21.

      29-30 : irruet... petet : certains mss (dont CDO ; -> v. 88) ont irruit... petit, ce qui exclut les vv. 29-30 du discours du juge et en fait un élément du récit - ce qui serait prématuré (cf. v. 38-39) et s'accorderait mal avec la réaction de la foule (cf. v. 40-42). Le ms. U donne irruat... petat, maintenant la phrase dans le discours, en cohérence aussi avec les subj. du potentiel qu'il a, après correction, aux vv. 26-27. Ici, le mode indicatif, largement attesté, reste préférable (-> v. 26-27). nouum... mancipium : nouum peut prendre les sens d''insolite' (une prostituée vierge et chrétienne ; -> 11, 83-84), de 'supplémentaire' (cf. Sen. contr. 1, 2, 10 turba... concurrit ad meretricem nouam), de 'jeune' (cf. v. 10-11), voire de 'récent' : la martyre vient d'être réduite à l'esclavage (mancipium) - il faut prendre mancipium au sens propre, et non lui donner un sens atténué d''agissant sous la contrainte' (sens fort aussi en apoth. 408 ; ham. 128).

      :

      
31-35 - " Haud ", inquit Agnes, " immemor est ita
Christus suorum, perdat ut aureum
nobis pudorem, nos quoque deserat ;
præsto est pudicis nec patitur sacræ
integritatis munera pollui. "

" Non ", dit Agnès, " le Christ n'est pas oublieux des siens au point de nous laisser perdre l'honneur doré de la chasteté, de nous abandonner aussi ; il est là, à disposition de celle qui est chaste, et ne souffre pas que les dons de l'innocence sacrée soient maculés. "

      31-35 : la virginité est valorisée (cf. aureum pudorem ; sacræ integritatis munera ; mise en valeur par l'enjambement métrique) comme une vocation, et non comme l'attente d'un possible mariage (-> v. 10) - ce dont le juge est conscient (cf. v. 23-24 pudor | carus dicatæ uirginitatis est ; au contraire, cf. perist. 3, 104-105. 109-111). 'Fiancée' du Christ, la martyre est sûre qu'il l'aidera à demeurer pure (cf. Ambr. uirg. 1, 8, 51 ; 2, 4, 26-28) et est donc prête à défier le juge.

      31 : haud... immemor : de même, cath. 10, 134-136 non inmemor ille [Deus] requiret | sua munera fictor et auctor, | propriique enigmata uultus. Sur haud, -> 2, 99. Agnes : -> v. 1.

      32-33 : aureum... pudorem : par rapport aux vierges chrétiennes (cf. c. Symm. 2, 1055-1113), les vestales n'ont qu'un captiuus pudor (c. Symm. 2, 1070) ; ste Agnès montre un héroïsme de désir (et non seulement d'honneur). Par contre, en perist. 3, 111, le juge parle d'aurea pompa tori et en perist. 2, 197, pudor et aurum sont opposés (pudor per aurum soluitur).

      33 : pudorem : -> v. 23 ; nom repris au v. suiv. par pudicis ; jeu étymologique analogue en perist. 3, 153 pudibunda pudicitia. deserat : de même, psych. 622-623 tu, cura Dei, facies quoque Christi, | addubitas ne te tuus unquam deserat auctor ? À cette fidélité divine correspond celle des martyrs (cf. v. 14). Au contraire, cf. perist. 2, 511-512 Vesta Palladios lares | impune sensit deseri.

      34 : præsto est : même expression en perist. 10, 727. 884. 1006. Cf. aussi perist. 2, 569 cum præsto semper adsies (->). pudicis : même adj. à la même place du v. 132.

      34-35 : sacræ integritatis : même acception d'integritas chez Ambr. uirg. 1, 2, 5 ; 1, 3, 10 ; Avg. ciu. 1, 18. 19. Cf. perist. 2, 198 uiolatur auro integritas et perist. 2, 301 ; 3, 3 sacra uirgo.

      35 : munera : les grâces divines ; de même, perist. 2, 562 ; 5, 209 ; 10, 785 ; 11, 24. pollui : ce verbe exprime la souillure du sacrilège (perist. 10, 103), du meurtre (cf. v. 36-37), etc., avec des connotations sexuelles en perist. 10, 225 (débauche de Jupiter) ; psych. 52.

      
36-37 " Ferrum impiabis sanguine, si uoles,
non inquinabis membra libidine. "

" Tu souilleras ton épée de sang, si tu le veux, tu ne souilleras pas mon corps par la débauche. "

      36-37 : cf. perist. 3, 91-92 ergo, age, tortor, adure, seca, | diuide membra coacta luto. Confiante (-> v. 31-35), ste Agnès ose une prophétie (-> 2, 21). Héroïne romaine (cf. v. 1-4), elle est l'opposé d'Hannibal, qui résista au fer mais non au plaisir (cf. c. Symm. 2, 742 ferrumque libidine fregit).

      36 : ce n'est pas le sang de la martyre, pur et précieux (cf. perist. 5, 339-344 ; 11, 141-144), qui souille le fer, mais le péché du bourreau. Pour Prudence, l'effusion de sang est une souillure, à la guerre (perist. 1, 39 impias manus cruentis inquinare stragibus), aux jeux du cirque (perist. 6, 61-66) ou dans des rites tels le taurobole (perist. 10, 1008-1085). ferrum : cf. vv. 65 i, stringe ferrum, miles ; 77 ferrum in papillas omne recepero. Le fer est l'instrument du pouvoir des persécuteurs : cf. p.ex. perist. 1, 43 succincta ferro pestis ; 2, 503 ; 5, 16 ; 9, 70 ; 10, 702 ; 13, 93.

      36-37 : impiabis... inquinabis : uariatio, synonymie et paronymie ; cf. Sen. Herc. OEt. 1702 nec aras impias quisquam inquinat (à propos de sacrifices humains).

      37 : membra : métonymie pour 'corps' (cf. perist. 1, 26 ; 2, 209 [->] ; 3, 92. 117. 144 ; 4, 122. 127 ; 5, 155. 232. 328 ; 9, 14. 57. 83 ; 10, passim ; 11, 126). Membra désigne les restes mortels des martyrs en perist. 1, 116 ; 3, 178 ; 4, 44. 93 ; 5, 428 ; 11, 132. libidine : -> 2, 245.

      38-60 : l'épisode du lupanar marque une défaite graduelle du juge : face à la martyre (v. 38-39), la foule est pleine de retenue (v. 40-42) ; une péripétie (v. 43-51) relance l'action, avec le regard qu'un spectateur ose porter sur la martyre (v. 43-45), mais son châtiment (v. 46-49) confirme l'échec de la mesure (v. 50-51) et marque le triomphe de la martyre (v. 52-56), qui secourt son assaillant (v. 57-60). Même si elle n'est pas rapportée à propos de ste Agnès avant Prudence (mais cf. Ambr. off. 1, 41 quid de sancta Agnes, quæ in duarum maximarum rerum posita periculo, castitatis et salutis, castitatem protexit, salutem cum immortalitate commutauit ?), l'exposition au lupanar n'est pas historiquement invraisemblable (-> v. 25).

      38-42 : le motif de la retenue de la foule devant une jeune fille condamnée à la prostitution, à l'exception d'une personne immédiatement châtiée, est un thème littéraire répandu dans les exercices de rhétorique (Sen. Rhet. contr. 1, 2, 20-21), les romans d'aventure (Apoll. Tyr. ; Xen. Ephes.) et la littérature hagiographique (cf. Franchi de' Cavalieri 1899, p. 25-26).

      
38-39 Sic elocutam publicitus iubet
flexu in plateæ sistere uirginem.

Après qu'elle eut discouru ainsi, il ordonne de placer la vierge en public, au tournant d'un boulevard.

      38 : sic elocutam : de même, perist. 10, 546 uixdum elocutus martyr. publicitus : rare, attesté chez Apvl. met. 1, 10, 1 (cf. Lavarenne § 1213) ; cf. v. 25 lupanar... publicum.

      38-39 : iubet... sistere uirginem : uirginem n'est pas le sujet d'une proposition avec sistere, mais son objet (sujet sous-entendu) : la martyre n'eût pas obéi sans contrainte.

      38 : iubet : les mss B, D, Oa.c. ont iubent, qui se rapporterait non au juge, mais à omnis iuuentus (v. 29), s'il y avait un premier mouvement hostile de la foule ; ce fait est peu probable (-> v. 29-30) - on passerait d'un 'lynchage' (v. 38-39) à une attitude retenue (v. 40-42).

      39 : flexu : cf. Liv. 22, 12, 7 in aliquo flexu uiæ. in plateæ : même expression à la même place du v. 49 (prosodie et occurrences de platea, -> 2, 157). Dans les plateæ, lieux fréquentés, témoins et agresseurs potentiels (vv. 38 publicitus ; 40 frequentia) sont nombreux : il n'y a pas là de contradiction avec le fait que les prostituées se tenaient non sur les places, mais sous les portiques (cf. Herter 1960, p. 85-87 ; pour ste Agnès, on situera le lupanar sous une arche du cirque de Domitien). sistere : ce verbe évoque la comparution devant un juge (-> 2, 53) ; de fait, ici, la martyre se tient (sous la contrainte, cf. v. 25 trudere ; debout, cf. v. 40 stantem) devant une foule qui est comme un juge, vu son défi qui fait de cette épreuve une ordalie (v. 31-37). uirginem : -> v. 4 ; cette forme, à la même position du v. 28, y désigne Minerve.

      
40-42 Stantem refugit mæsta frequentia,
auersa uultus, ne petulantius
quisquam uerendum conspiceret locum.

Tandis qu'elle se tient debout, la foule, triste, s'en écarte, détournant la face, de peur qu'un regard trop effronté n'aille se porter sur un lieu qu'il faut respecter.

      40-42 : la foule est également retenue et étonnée chez Ambr. uirg. 1, 2, 8 (lors de l'exécution).

      40 : stantem refugit : ce mouvement de recul contraste avec la ferme immobilité de la martyre (-> v. 18) et la prédiction du juge (v. 29-30 omnis iuuentus irruet et... petet). mæsta : ce sentiment de gêne, mêlant pitié et crainte, s'oppose aux ludibria prévus par le juge (v. 30).

      41-42 : cf. Damas. carm. 37, 8 ne Domini templum facies peritura uideret ; sans mentionner l'épisode du lupanar, Damase laisse entendre que la pudeur de la martyre a été préservée contre toute attente (par une longue chevelure) ; version reprise en perist. 3, 151-158.

      41 : auersa uultus : cf. perist. 10, 289 auertat ora de litantis hostia ; au contraire, v. 126-127 intende nostris colluuionibus | uultum. Certains mss ont aduersa uultus (uultus désignant le visage de la martyre, plur. poétique), lectio facilior mal accordée avec la fin de la phrase. Avec auersa, uultus est un acc. de relation (cf. Lavarenne § 222-229) dont le plur. s'explique comme désignant les visages de la frequentia (v. préc.). petulantius : cf. Ambr. uirg. 2, 4, 26 ingens petulantium concursus (cf. v. suiv.). Chez Prudence, la petulantia est plus souvent l'impudence et l'impudicité que l'effronterie (cf. præf. 10-11 lasciua proteruitas | et luxus petulans ; psych. 315).

      42 : uerendum... locum : expression à double sens, qu'il s'agisse de uerendum ('redoutable', c'est-à-dire 'vénérable', mais aussi 'mal famé') ou de locus (le corps nu de la martyre [en part. ses uerendæ partes, cf. Plin. nat. 2, 93] ou le lieu, interlope, mais devenu vénérable). Le premier sens est comme repris par sacram... formam (v. 44-45), le second semble corroboré par les autres sources : Ambr. uirg. 2, 4, 26 ; Ps.-Ambr. epist. 1, 8 lupanar efficitur locus orationis ; Ps.-Max. Tavr. serm. 56 p. 645a lupanar turpitudinis locus efficitur orationis. La vénération d'une arcade du cirque de Domitien, attestée au viiie s., existait peut-être déjà.

      
43-45 Intendit unus forte procaciter
os in puellam nec trepidat sacram
spectare formam lumine lubrico.

Un seul, d'aventure, a la hardiesse de tourner sa tête vers la jeune fille et ne tremble pas à l'idée de contempler la beauté sacrée par un dangereux coup d'oeil.

      43-45 : pour que l'épreuve fût réelle, il fallait que la martyre subît une attaque ; pour que sa victoire fût totale, il importait que l'attaque fût limitée (la martyre reste pure).

      43 : intendit : l'essentiel de l'action est donné dans ce verbe (en place initiale ; -> v. 4). Intendere est repris au v. 126 intende nostris colluuionibus (prière à la martyre), passage symétrique à celui-ci (de même, spectare, cf. vv. 45. 95). Avant de mentionner le regard du profanateur (v. 45), Prudence parle du mouvement de son visage (v. 43-44 intendit... os), qui s'oppose au v. 41 auersa uultus. unus : emploi du numéral avec le sens d'un indéfini ; de même, perist. 6, 75 pronus detrahere studebat unus ; la mention d'un groupe permet d'inférer un partitif sous-entendu (exprimé en perist. 5, 283 quorum unus ore augustior). forte : -> v. 11.

      44-45 : nec trepidat... spectare : même construction, c. Symm. 2, 706 nec trepidans animam succumbere leto (cf. p.ex. Verg. Æn. 9, 114 ; Avg. serm. 15, 6). sacram... formam : cf. Damas. carm. 37, 7-8 nudaque profusum crinem per membra dedisse, | ne Domini templum facies peritura uideret. Le sort du profanateur est comme annoncé dans facies peritura. Chez Prudence, forma désigne, plus que la 'beauté', la nature structurée selon l'ordre donné par le Créateur (cf. Torro 1976, p. 66-67) ; cf. perist. 10, 941-942 dubitasne uerti posse naturæ statum | cui facta forma est, qualis esset primitus ? ; apoth. 1031-1034 ; ham. 264-265. Sur sacer, -> v. 14.

      45 : spectare formam : cf. Avson. Mos. 234 germanæque putat formam spectare puellæ. Le verbe spectare est aussi utilisé au v. 95 spectat tenebras ardua subditas (correspondance : -> v. 43). lumine : avec le sens de 'regard' ou d''oeil', ce nom se retrouve en perist. 1, 101 ; 5, 203. 235. 306 ; il signifie 'lumière' aux vv. 48. 122 (ici, correspondance avec le v. 48 cæcus corusco lumine corruit : le lumen humain profanateur est châtié par le lumen divin vengeur ; jeu de mots analogue, -> 5, 239). lubrico : de même, cath. 2, 103 oculiue peccent lubrici.

      
46-49 En ales ignis fulminis in modum
uibratur ardens atque oculos ferit ;
cæcus corusco lumine corruit
atque in plateæ puluere palpitat.

Voici que le feu, oiseau ailé, est lancé à la manière de la foudre, brûlant, et le frappe aux yeux ; aveuglé par le coup du rayon étincelant, il s'effondre et frémit dans la poussière du boulevard.

      46-49 : l'aveuglement de celui qui convoitait la vierge du regard est analogue à la berlue dont sont frappés les Sodomites voulant faire violence aux anges de Dieu (V.T. gen. 19, 5. 10-11).

      46 : si ales est un nom (avec ignis au gén.), l'instrument du châtiment serait l'oiseau de Jupiter (christianisation par transposition thématique : de même, apoth. 49. 168. 425 ; cath. 9, 19-21 ; psych. 73), et son action serait comparée à celle de la foudre (attribut jovien ; -> 5, 192 ; 13, 93) ; cf. Hor. carm. 4, 4, 1 ministrum fulminis alitem. Si ales est un adj. (avec ignis au nomin.), le profanateur serait frappé par le feu divin (-> 2, 393-394), qualifié poétiquement d''ailé' (de même, psych. 323 ; cf. Sil. 17, 415 ; Verg. Æn. 8, 430). Le v. 48 confirme la seconde interprétation (les yeux ne sont pas percés, mais éblouis), mais les résonnances littéraires de la première demeurent. en : -> 2, 293. ales : ce terme désigne des oiseaux cruels, exerçant un châtiment, en perist. 5, 397-398 dirarum... | aut bestiarum aut alitum ; 11, 66 uiuentesque oculos offerat alitibus ; on est proche, ici, de l'ales de cath. 1, 1, messager du jugement et dissipateur des ténèbres du péché. fulminis in modum : cf. Verg. Æn. 9, 706 fulminis acta modo ; 11, 616 fulminis in morem. Cf. aussi perist. 2, 381 Ægyptiæ plagæ in modum.

      47 : uibratur : cf. Verg. Æn. 8, 524 uibratus ab æthere fulgor ; Ov. met. 2, 308 uibrataque fulmina iactat. Ce verbe, qui désigne l'action de brandir (-> 9, 51) ou de lancer (ici), se retrouve en cath. 7, 95 uibrans tonantum nube flammarum quatit (Sodome). oculos ferit : le profanateur, puni par là où il a péché, subit le châtiment qu'infligent ordinairement les oiseaux (-> 5, 411).

      48-49 : allitérations expressives en c- (v. 48) et en p- (v. 49). La chute et la perte de la vue évoquent l'épisode de la vocation de Saul (N.T. act. 9, 1-19) ; dans les passions, un tel châtiment a une valeur éducatrice ou démonstrative (talion au sens large, tout comme dans l'ensemble de la Psychomachie, cf. Gnilka 1963, p. 51-52) et se conclut par la guérison de la victime (cf. v. 57-60), voire par sa conversion. Cf. aussi N.T. Matth. 5, 28-29 omnis qui uiderit mulierem ad concupiscendum eam, iam moechatus est eam corde suo ; quod si oculus tuus dexter scandalizat te, erue eum et proice abse te : expedit enim tibi ut pereat unum membrorum tuorum, quam totum corpus tuum mittatur in gehennam (ainsi, ce châtiment immédiat apparaît comme une grâce). Un sort semblable attend le persécuteur qui a menacé de brûler les Écritures : sa langue sera frappée par la foudre divine (perist. 5, 191-192 tanti ueneni interpretem | linguam perurens fulmine).

      48 : corusco lumine : sur cette iunctura, -> 2, 299. Coruscus qualifie aussi des réalités célestes en perist. 4, 9 Deus dextram quatiens coruscam ; 10, 440 ; il est aussi utilisé à propos des martyrs en gloire (-> 2, 370). Lumen se trouve à la même place des vv. 45 (->). 122.

      49 : in plateæ se retrouve à la même position du v. 39 (->). Les détails rapportés sont suggestifs : effondrement dans un nuage de poussière, soubresauts (cf. perist. 1, 49 ense cæsa uirtus triste percussit solum). palpitat : de même, perist. 5, 116 iecur retectum palpitet ; 10, 10. 844.

      
50-51 Tollunt sodales seminecem solo
uerbisque deflent exsequialibus.

Des camarades le lèvent de terre, à demi-mort, et le pleurent dans des lamentations funèbres.

      50 : tollunt... solo : cette levée du corps (de même, perist. 2, 489-490 uexere corpus subditis | ceruicibus quidam patres) et la mention de lamentation funèbres (v. suiv.) montrent que les sodales croient que le personnage est mort (à tort, cf. seminecem). Solo se retrouve à la fin du v. 116 uirginali perdomitus solo (sens différent, mais parallèle avec la martyre terrassant le démon). sodales : des compagnons, solidaires dans la condition voire dans l'action : fidèles chrétiens (perist. 6, 73), soldats de César (perist. 1, 53 sodalitas) ou de Dieu (perist. 5, 288), membres de la même foule (ici). seminecem : composé (-> 2, 150) attesté chez Verg. Æn. 5, 275.

      51 : deflent : de même, perist. 5, 510 deflens adornat aggerem. exsequialibus : adj. attesté en Ov. met. 14, 430 ; uerba exsequialia désigne clairement des lamentations funèbres rituelles.

      
52-56 Ibat triumphans uirgo, Deum Patrem
Christumque sacro carmine concinens,
quod sub profani labe periculi
castum lupanar nec uiolabile
experta uictrix uirginitas foret.

C'était une marche triomphale pour la vierge, qui célébrait par un cantique sacré Dieu le Père et le Christ : soumise au risque de la profanation et de la souillure, la virginité, victorieuse, avait fait l'expérience d'une peine de prostitution chaste et sans viol.

      52-56 : la martyre rend grâces pour le châtiment divin, témoignage d'assistance. Son chant au milieu des lamentations illustre le précepte évangélique : sine ut mortui sepeliant mortuos suos, tu autem uade, adnuntia regnum Dei (Luc. 9, 60). Cf. Introd. § 117 (parallèle avec perist. 13, 95).

      52 : ibat : emploi au figuré (la martyre 'se sort' de l'épreuve) ou comme auxiliaire (ibat triumphans = triumphabat ; de même, perist. 11, 59-60 ibat | in furias = furiebat). triumphans uirgo : -> v. 4 ; expression imitée par Ennod. carm. 1, 17, 2 triumphos uirginis (qui reprend le mètre de perist. 14). Le triomphe relève de la spiritualité de la militia Christi (cf. perist. 4, 78. 159, et les poèmes anciens : perist. 2, 4 ; 5, 2. 543 ; 10, 745. 778 ; 12, 3 ; 13, 95).

      52-53 : Deum Patrem Christumque : cette prière s'adresse au Père et au Fils ; de même, pour la prière de demande et d'intercession de s. Cyprien (perist. 13, 55-56) ; -> 5, 37-38.

      53 : on retrouve un chant de triomphe, sorte d'archétype de l'oeuvre du poète, en perist. 3, 136-140 ; cf. aussi perist. 13, 95 Deo meritas grates agit et canit triumphans. Ailleurs, il est aussi question d'hymnes de louange chantées par les martyrs (perist. 5, 313-314. 324 ; 10, 122) ou ceux qui les assistent (perist. 5, 315-316 ; 10, 836-840). sacro : -> v. 14. carmine concinens : concinere (-> 2, 36), intensif (cf. Hor. carm. 4, 2, 33-34 concines... Cæsarem). Sur carmen, -> 2, 35.

      54 : sub profani labe periculi : équivalent de sub profanæ labis periculo ; l'adj. profanus qualifiant grammaticalement periculum dépend pour le sens de labes ; periculum devrait dépendre de sub, qui ne peut s'appliquer à labes (faute d'un hysteron-proteron et d'un non-sens). profani : probable allusion à l'étymologie pro fano, puisqu'il est question d'un uerendum... locum (v. 42) et de sacram | spectare formam (v. 44-45). periculi : periculum peut désigner toute sorte de difficultés (cf. perist. 1, 16), avec l'idée d''épreuve'. On retrouve pericula au v. 106 (->).

      55 : castum lupanar : oxymore faisant se succéder des termes antithétiques (procédé fréquent, cf. Lavarenne § 1536-1541). Ce paradoxe est repris aux vv. 128-129 cui posse soli Cunctiparens dedit | castum uel ipsum reddere fornicem (castum aussi en début de v.) ; lupanar se retrouve à la même place du v. 25. uiolabile : le 'viol' est à prendre ici au sens sexuel.

      56 : uictrix uirginitas : renvoi aux thèmes du poème, virginité (-> v. 4) et victoire ; cf. Ambr. uirg. 2, 4, 26. Victrix qualifie souvent les vertus dans la Psychomachie ; cf. aussi le jeu de sonorités analogue en psych. 103 uictricem uictrix. foret : subj. introduit par quod (v. 54), emploi assez rare chez Prudence (8 ex.) ; le chant de la martyre est rapporté au style indirect.

      
57-60 Sunt qui rogatam rettulerint preces
fudisse Christo, redderet ut reo
lucem iacenti : tunc iuueni halitum
uitæ innouatum uisibus integris.

D'aucuns vinrent rapporter que, sur demande, elle répandit des prières au Christ pour qu'il rende la lumière au coupable qui gisait : c'est alors que le souffle vital revint au jeune homme, avec des yeux intacts.

      57-60 : le motif de la guérison du profanateur châtié est topique (-> v. 48-49).

      57 : sunt qui... rettulerint : comme en perist. 13, 76. 80, récit rattaché à une tradition ; Prudence insiste sur la réalité des prodiges (cf. perist. 1, 83-93 ; 6, 121-129 ; 7,9 ; 9, 17-20 ; 10, 956-1005. 1111-1115), distinguant ses récits 'historiques' des épopées littéraires et mythiques (cf. perist. 10, 216-305). L'affirmation de la véridicité peut néanmoins aussi être un motif littéraire, dans les récits les plus fantaisistes. rogatam : rogare désigne littéralement une demande (cf. perist. 2, 181 ; 6, 83 ; 7, 42), mais constitue déjà une prière d'intercession adressée à la martyre (cf. perist. 1, 13 ; 2, 564). Cf. perist. 6, 83-84 cur uestri memor ut fiam rogatis ? | cunctis pro populis rogabo Christum. rettulerint : -> 9, 19. preces : ailleurs dans le recueil, ce nom désigne non les prières au Christ (ici), mais au martyr (-> 9, 97).

      57-58 : preces fudisse Christo : Christo s'apparente à un dat. de direction dépendant de fundere, ici au figuré ; il peut aussi être rattaché, pour le sens, à preces. Fundere est aussi employé à propos de prières, répandues comme des larmes (-> 9, 99), en perist. 1, 17 ; 2, 536 qui uota fundit murmure ; c. Symm. 1, 209-210 puerilia uota | fudit (contexte païen).

      58 : reo : culpabilité morale (sinon légale), à l'inverse des martyrs (-> 5, 99).

      58-59 : redderet ut reo lucem iacenti : la martyre fait recouvrer la vue, ce qui a un sens symbolique (montrer la Vérité), cf. cath. 1 - tout comme la posture (iacenti ; -> 11, 11).

      59 : tunc : certains mss de la famille bb ont la leçon tum. iuueni : cette mention relève peut-être d'un léger effet de pathétique, la martyre pouvant être prise de pitié pour celui qui semble mort. Ailleurs, dans les propos du juge (v. 29 iuuentus) ou de la martyre (v. 72 ephebus), ce qui domine est le stéréotype de la jeunesse lascive. halitum : lors de la mort, cette haleine, apparentée au souffle vital (cf. uitæ rejeté au v. suiv.), quitte le corps (cf. perist. 7, 86-87 orantem simul halitus | et uox deserit et calor ; cath. 9, 48 ; 10, 11) ; cf. Salvatore 1958, p. 140-149.

      60 : innouatum : retour à la situation antérieure (-> 9, 54). Ici, le personnage est-il ressuscité par l'intercession de la martyre (comme Lazare, cf. v. préc.) ? Halitum uitæ laisserait entendre qu'il avait perdu la vie, mais seminecem (v. 50) indique qu'il n'a que perdu connaissance. uisibus : le sens de la vue, les yeux (cf. Stat. Theb. 6, 277) ; de même, perist. 10, 314. 710. integris : comme pour l'expression reddere lucem (v. 58-59), le sens d'integer, ici, peut aussi être symbolique ('plénier', 'parfait' : cf. perist. 5, 159).

      
61-63a Primum sed Agnes hunc habuit gradum
cælestis aulæ ; mox alius datur
ascensus ; ...

Mais c'était là le premier degré qu'Agnès avait atteint vers la cour céleste ; bientôt, une nouvelle ascension lui est accordée ; ...

      61 : primum... gradum : primum est mimétiquement le premier mot, par anastrophe (épithète ou attribut de [hunc] gradum). La victoire de la virginité (v. 38-60) semble suffire au salut ; le martyre lui est supérieur, mais non dissemblable (cf. v. 119-123 ; Hier. epist. 130, 5 habet et seruata pudicitia martyrium suum). Cette hiérarchie dans la sainteté s'oppose à celle du siècle (v. 100-101 reges, tyrannos, imperia et gradus | pompasque honorum stulta tumentium ; gradus aussi en fin de v.). La prison, qui donne le rang de 'confesseur', est aussi un premier degré avant le martyre (cf. perist. 6, 25 carcer Christicolis gradus coronæ est). Agnes : -> v. 1. habuit : ce verbe de possession marque le caractère acquis, donc suffisant et irréversible du salut.

      62 : cælestis aulæ : le Paradis (de même, perist. 2, 551 ; -> 2, 372), auquel s'opposent la cour impériale et l'aula mundialis (perist. 1, 41) ; cf. vv. 81-82 diuide ianuas | cæli obseratas terrigenis prius ; 125 cælestis arcis nobilis incola ; cf. perist. 2, 559 Roma cælestis ; 10, 104. L'expression cælestis aula se retrouve chez Gennad. uir ill. præf. ; Sedvl. carm. pasch. 3, 320. Cælestis a un sens proche de sanctus ou de sacer (cf. perist. 1, 60 ; 2, 42 ; 5, 189. 519). mox : nouvelle étape dans le récit. alius : -> 12, 45. datur : le martyre est une grâce, fait souligné par dare à propos de la gloire (-> 5, 4) est même de la mort (cf. perist. 10, 854 nec passionis hoc genus datum est mihi).

      63 : ascensus : de même, perist. 7, 54-55 ascensumque... | æterni ad solium Patris.

      
63b-66 iram nam furor incitat
hostis cruenti : " Vincor ", ait gemens,
" i, stringe ferrum, miles, et exsere
præcepta summi regia principis ! "

... en effet, la rage enflamme la colère de l'ennemi sanguinaire : " Je suis vaincu ", dit-il dans un gémissement, " va, tire l'épée, soldat, et exécute les ordres souverains du prince suprême ! "

      63 : iram... furor : le furor est un état intérieur, cause de l'ira qui le manifeste ; ils sont aussi associés p.ex. en perist. 6, 49 nec differt furor aut refrenat iram ; cf. V.T. Dan. 2, 12 rex in furore et in ira magna. iram : cf. perist. 4, 84 ; 5, 328 ; 6, 49 ; 9, 26. 45 ; 10, 392. 811. 962 ; l'ira est au nombre des passions que la martyre considérera du haut du ciel (v. 106). Ira est mis en anastrophe, reléguant nam à la 2e place. furor : cf. perist. 3, 66 ; 4, 85 ; 5, 162. 468 ; 6, 49 ; 10, 25. 395. 679. 967 ; 11, 5 ; 12, 23 ; 13, 89. À la différence d'ira (purement passionnel), furor peut désigner une 'folie' religieuse, le paganisme (perist. 10, 376 furorne summus ultima et dementia est) ou, pour le persécuteur, le christianisme (perist. 10, 583 tantus nouelli dogmatis regnat furor) ; comme pestis (-> 2, 221), furor peut aussi désigner la persécution violente (cf. perist. 10, 175).

      64 : de même, perist. 5, 136 ars et dolorum uincitur ; 327-328 flet uictus et uoluit gemens | iram, dolorem, dedecus. hostis : -> 5, 250. cruenti : -> 5, 153. uincor : -> 5, 543.

      65 : i, stringe ferrum : des mss omettent i, nécessité par le mètre, certains donnant un composé de stringere en ad-, dis-, ou in-, moins bon pour le sens que stringere ferrum (cf. ham. 566 ; psych. præf. 26 ; cf. Stat. Theb. 8, 141). De même, l'impér. i en cath. 12, 99 i, ferrum rape ; cf. Verg. Æn. 4, 381; Ivv. 6, 306 ; Liv. 7, 6, 10. Sur ferrum, -> v. 36. miles : -> 5, 465. exsere : probable jeu de mots, exserere signifiant 'rendre exécutoire une condamnation' (cf. Symm. epist. 9, 147 ut in eos... legum seueritas exseratur ; cf. aussi perist. 5, 56), mais ayant pour objet direct une arme (cf. psych. 471-472 ensem | stringere).

      66 : le juge ne fait qu'exécuter l'édit impérial ; cf. perist. 6, 41-42 iussum Cæsaris ore Gallieni | quod princeps colit, ut colamus omnes ; 10, 34-35 [Galerius] edicta late mundum in omnem miserat : | Christum negaret quisque mallet uiuere (récurrent dans les passions littéraires : cf. Delehaye 1966, p. 173-175). L'enflure de l'expression traduit la servilité du juge et reflète des usages contemporains. præcepta : 'ordre', sens étymologique (cf. præcipere : p.ex. perist. 10, 186. 572) ; de même, ditt. 91 ; cf. perist. 9, 25. summi... principis : princeps, l'empereur (-> 13, 35) ; l'épithète summus suggère un excès voire une impiété, cet adj. qualifiant ailleurs Dieu le Père (-> 12, 55). regia : cf. perist. 12, 47 regia pompa loci est, princeps bonus has sacrauit arces. L'antique tabou qui empêchait d'appeler l'empereur 'roi' n'a plus cours ; cf. p.ex. perist. 5, 21 rex... orbis maximus (cf. Tert. spect. 3 ; Lact. mort. pers. 19 ; Avg. conf. 9, 7, 15) ; -> 5, 108.

      67-84 : le discours final comprend un défi aux pouvoirs mondains (et leur dénonciation) et des éléments de prière (contenu fréquent dans les passions littéraires, cf. Delehaye 1966, p. 189-191) ; de même, Ambr. uirg. 1, 2, 7. Certaines allusions licencieuses (en part. v. 69-78) relèvent du genre des vers fescennins, illustré par le poème de Claudien (cf. 11, 40-41) dont Prudence reprend le mètre. Les vv. 67-72 sont imités en perist. 6, 32-36 (cf. Introd. § 107).

      
67-68 Vt uidit Agnes stare trucem uirum
mucrone nudo, lætior hæc ait :

Comme elle voyait l'homme terrible se tenir debout, avec la lame mise à nu, Agnès, réjouie, tint ces propos : ...

      67-68 : cf. de même Ambr. uirg. 1, 2, 7 nunc furentis mucroni militis totum offerre corpus.

      67 : ut uidit Agnes : la martyre regarde l'épée nue (cf. v. suiv.) qui la menace, alors que la foule n'osait pas regarder celle qui lui était offerte en victime (cf. v. 40-42). Sur Agnes, -> v. 1. stare trucem uirum : passage inspirant perist. 6, 32 tandem stant trucis ad tribunal hostis (de même, v. 70 et perist. 6, 34) ; cf. Introd. § 107. stare : -> v. 18. trucem : -> v. 21. uirum : ce nom (cf. v. 65 miles) annonce des paroles à connotation sexuelle ; par le glaive de cet homme (appelé amator au v. 74) seront consommées les noces de ste Agnès et du Christ (v. 74-80).

      68 : mucrone nudo : mucro constitue une uariatio synonymique de ferrum (vv. 65. 77) et de gladium (v. 78). Si nudus est courant pour qualifier une épée dégainée, cet adj. prépare plus encore que uirum (v. préc.) à comprendre l'analogie que développera la martyre entre sa mise à mort et l'acte sexuel. lætior... ait : au contraire, v. 64 ait gemens (le juge). Sur la joie des martyrs affrontant la mort, cf. perist. 3, 135 ; 142 læta canebat et intrepida ; 5, 125. 131. 211 ; 10, 791 iam lætus puer ; 11, 22. 26 ; cf. Ambr. hymn. 8, 14 sic læta uultu ducitur ; uirg. 1, 2, 8 læta successu ; off. 1, 41, 203 ; Evs. Cæs. hist. eccl. 8, 10, 10. Cette joie doit être partagée par les fidèles assistant au martyre (perist. 7, 31-45 ; 10, 757-758 nec mouebatur | lætata parens). Lætior qualifie s. Vincent (perist. 5, 125) et s. Cyprien (perist. 13, 88) ; ici est peut-être suggérée une comparaison avec la joie - moindre - éprouvée lors du premier triomphe (v. 52-56).

      
69-73 " Exsulto, talis quod potius uenit
uesanus, atrox, turbidus, armiger,
quam si ueniret languidus ac tener
mollisque ephebus tinctus aromate,
qui me pudoris funere perderet.

" Je jubile, puisque c'est bien plutôt un tel homme qui vient, forcené, inflexible, emporté, avec une arme, et non, d'aventure, un jouvenceau nonchalant, tendre et doux, baigné de parfum, qui causerait ma perte par le meurtre de mon chaste honneur.

      69-73 : opposition entre les types du bourreau, farouche (trois adj.) et armé, et celui de l'amant, nonchalant (trois adj.) et parfumé - avec récurrence de uenire (vv. 69. 71).

      69 : exsulto... quod : tour classique, même si l'usage de la proposition infinitive est plus fréquent chez Cicéron (cf. aussi perist. 9, 73 irasci quod... ; 10, 291 miror quod...) - peut-être, influence du tour tardif et populaire construisant les verbes déclaratifs avec quod (cf. Lavarenne § 820). Sur exsultare, -> 11, 26 ; sur l'abrègement - , -> 2, 297. uenit : ind. prés.

      70 : de même, perist. 6, 35 atrox, turbidus, insolens, profanus (-> v. 67) ; 10, 33 immitis, atrox, asper, implacabilis (cf. Lavarenne § 1591-1594 ; -> 13, 101). À cet ensemble correspond l'abondance de termes qualifiant l'ephebus (v. 71-72). Avec ce caractère, le bourreau frappera sans hésiter (cf. v. 88-90) ; la martyre cède devant les armes, mais résiste virilement devant l'être efféminé qui voudrait la violer. uesanus : adj. repris à la même position dans le vers par Ennode (carm. 1, 17, 14 uesane tortor), qui utilise le même mètre rare ; cf. perist. 11, 25 cum iam uesano uictor raperetur ab hoste. atrox : épithète fréquente des persécuteurs ; cf. ci-dessus et perist. 1, 40-41 atrox... | ductor aulæ mundialis. turbidus : épithète du juge en perist. 5, 324-325 turbidi prætoris ; 6, 35 ; 10, 811 turbida ira iudicis. armiger : après trois épithètes relatives aux dispositions intérieures, armiger apporte un élément descriptif objectif.

      71-72 : languidus ac tener mollisque : adj. synonymiques (comme au v. 70 avec asyndète ; ici, uariatio polysyndétique). Cf. l'allégorie de la Sensualité en psych. 312-315 delibuta comas, oculis uaga, languida uoce, | perdita deliciis, ... | elumbem mollire animum, ... | ... et fractos soluere sensus. tener : cet adj. (souvent non péjoratif) qualifie Jupiter dans ses débauches (c. Symm. 1, 62).

      72 : mollisque : assez rarement péjoratif (-> 5, 278), mollis qualifie des propos captieux en perist. 5, 17 et est utilisé dans un contexte érotique en c. Symm. 1, 116-117 Herculeus mollis pueri famosus amore | ardor. ephebus : parmi les nombreuses graphies données dans les mss, il est impossible d'établir celle qu'aurait choisi Prudence, et déraisonnable de retenir, comme Bergman, la plus 'baroque' (efybus, attesté dans le seul ms. E). Ce nom, qui désigne un jeune homme (cf. perist. 10, 767 ; apoth. præf. 1), est souvent connoté négativement : il désigne un mignon d'Apollon (perist. 10, 189), le dieu Liber ivre (perist. 10, 274), Mars violant une vestale (c. Symm. 1, 170). tinctus aromate : de même, psych. 312 delibuta comas (cf. ci-dessus). Cf. Ambr. pren. 18 [uirum] lupanaribus mancipatum, unguentis oblitum, aromatibus delibutum. Aroma est rare au sing., comme ici et en cath. 3, 22 ; apoth. 758 (cf. Mart. Cap. 2, 115 ; Ven. Fort. 7, 12, 39). Sur tinguere, employé à propos de liquides, -> 5, 342.

      73 : pudoris funere : expression imagée, personnifiant pudor (-> v. 23) - mais sans valeur allégorique générale (ce pudor est celui de la martyre). Cf. Lvcan. 4, 233 pro dira pudoris funera ! perderet : aux vv. 32-33, il est dit que Christ ne peut laisser perdre le pudor de la martyre ; ici, perdere au sens fort (-> 5, 161) s'applique non au pudor, mais à la martyre (me).

      
74-78 " Hic, hic amator iam, fateor, placet ;
ibo irruentis gressibus obuiam,
nec demorabor uota calentia :
ferrum in papillas omne recepero
pectusque ad imum uim gladii traham.

" Voici, voici maintenant un amant, je l'avoue, qui m'agrée ; je marcherai à sa rencontre, en précipitant mes pas, et je ne laisserai pas attendre des souhaits enflammés : j'accueillerai son fer tout entier dans mon sein et jusqu'au fond de mes entrailles, je tirerai la violence de son glaive.

      74-78 : cf. Ambr. uirg. 1, 2, 7 furentis mucroni militis totum offerre corpus, mori adhuc nescia, sed parata ; 1, 2, 8 non sic ad thalamum nupta properaret, ut ad supplicii locum læta successu, gradu festina uirgo processit, non intorto crine caput compta, sed Christo. Ici, le langage vert de la martyre montre que sa vocation à la virginité n'est pas naïve, mais découle d'un amour spirituel passionné. En perist. 3, 136-140, la martyre exprime aussi sa joie d'être blessée dans sa chair, pour le Christ.

      74 : hic, hic : même répétition de hic en perist. 10, 736 et de hunc en perist. 5, 169 (->). Ces paroles rappellent celles d'Agrippine montrant son ventre au moment de mourir : hic est, hic est fodiendus (Octavia 371) ; cet exemplum a pu être suggéré par la lecture d'Ausone (-> v. 78), mais l'expression semble reprise d'Ambr. hymn. 8, 23 hic, hic ferite ! amator : chez Ambr. uirg. 1, 2, 9, le bourreau semble proposer à la martyre de l'épouser, mais est rabroué. S'il y a trace de cette version, Prudence la retourne : le bourreau venu exécuter la martyre est accueilli comme un amant. iam : adv. renforçant hic, ou prenant le sens de 'désormais' (la sentence de mort est exécutoire). fateor : proclamation d'un amour pour le Christ (-> 13, 36) et aveu (-> 2, 575) ironique relatif à un 'amant'. placet : cf. perist. 2, 307 dotata sic Christo placet ; 4, 50.

      75-76 : l'impatience de la martyre, qui va au-devant de son supplice, est la même que celle de ste Eulalie (perist. 3), qui s'enfuit de chez soi et se présente spontanément devant le tribunal.

      75 : ibo : cf. v. 52 ibat (à l'issue de la 1ère victoire ; ici, le futur en annonce une seconde, cf. v. 61-63). Immobile (v. 40 stantem) quand elle risquait d'être violée, la martyr marche au-devant d'une mort sans souillure (-> v. 36-37), consommant ses noces. irruentis gressibus : cf. perist. 6, 81 [ne] tardis gressibus irruant in ignem ; 13, 82 Christicolæ... mediæ sponte irruerent in ima fossæ. obuiam : emploi analogue d'obuiam ire (noces mystiques entre les cités et le Christ) en perist. 4, 13-15 orbe de magno caput excitata | obuiam Christo properanter ibit | ciuitas. Quelques mss ont obuia, ce qui produit un tour (adj. apposé au sujet) plus raffiné que le banal adv. obuiam ; cette altération s'expliquant paléographiquement, on peut conserver la lectio facilior.

      76 : demorabor uota : cf. Ov. met. 8, 71 ; Ivv. 14, 250 ; Clavd. 8, 522 uota moratur. Imitation probable d'Ambr. uirg. 1, 2, 9 quantorum uota ut sibi ad nuptias perueniret ! at illa : "... Quid, percussor, moraris ? ..." uota : -> v. 106. calentia : de même, v. 12 Christo calentem (->).

      77-78 : recepero... traham : alternance entre fut. antérieur (parfois utilisé au lieu du fut. simple : -> 5, 389 ; ici, dénote l'impatience ?) et fut. simple ; de même, perist. 10, 139-140 (cf. p.ex. Verg. Æn. 6, 88-91 defuerint... aberit). La martyre est passive, puis active.

      77 : ferrum... omne : expression montrant la force du désir de mourir pour le Christ ; le v. suiv. surenchérit. Omnis est utilisé pour totus (de même, perist. 5, 292). Sur ferrum, -> v. 36. papillas : les seins (cf. perist. 4, 123 ; 10, 738), désignant par métonymie la poitrine (v. suiv. pectus). Agnès croit qu'elle va être égorgée (= iugulatio) ; elle sera décapitée (cf. v. 89).

      78 : le motif du désir d'une blessure profonde se retrouve dans divers contextes (-> 5, 150). pectusque ad imum : reprise de l'idée du v. préc. (omne... ferrum), avec un changement de point de vue. La poitrine est souvent mentionnée - littéralement ou par métonymie : cf. perist. 1, 57 siue pardis offerendum pectus aut leonibus ; 3, 85 pectora cur generosa quatit ? ; 132 iuncea pectora dilacerant ; 4, 123 pectus abscisa patuit papilla ; 10, 455 retectis pectus albet ossibus ; 909 cruenti pectoris spectat decus. uim gladii traham : au lieu de l'expression commune (gladium traham ; cf. Ov. met. 4, 120), tour avec uim, mettant l'accent sur l'efficacité de l'instrument ou de l'objet en cause ; de même, perist. 1, 56 uerberum post uim crepantum ; 5, 231 uis... roris fumidi ; 10, 484 non ungularum tanta uis latus fodit ; ici, possible imitation d'Avson. 259, 6 matricida Nero proprii uim pertulit ensis (sur l'exemplum d'Agrippine, -> v. 74). Sur gladium, -> 13, 47.

      
79-80 " Sic nupta Christo transiliam poli
omnes tenebras æthere celsior.

" Mariée de la sorte au Christ, je franchirai d'un bond toutes les ténèbres de la voûte céleste, me trouvant plus élevée que l'éther.

      79-80 : thème du mariage mystique, cf. Ambr. uirg. 1, 2, 8 non sic ad thalamum nupta properaret ut ad supplicii locum læta successu, gradu festina uirgo processit ; 1, 2, 9 hæc Sponsi iniuria est exspectare placiturum. qui me sibi prior elegit, accipiet ; 3, 7, 34 fertur ornasse caput, nuptialem induisse uestem, ut non ad mortem ire diceres, sed ad sponsum. La substitution de la mort d'une vierge à son mariage est un thème pathétique utilisé par le juge de ste Eulalie (cf. perist. 3, 101-115), et un thème tragique fréquent dans la littérature profane (Iphigénie, Polyxène, Antigone) - ici en partie renversé.

      79 : nupta Christo : au tour verbal avec le datif (lié à un événement ponctuel), quelques mss préfèrent un tour nominal (avec le gén. Christi ; état permanent). Tertullien fut le premier à affirmer qu'une femme, par son célibat consacré, pouvait devenir 'épouse du Christ' ; il emploie nubere (Tert. orat. 22, 9 ; uirg. uel. 16, 2). Ce thème devient topique dans les vitæ des vierges consacrées (cf. Schmidt 1954). Chez Prudence, l'épouse du Christ peut aussi être l'Église (-> 2, 307 ; les vierges sont les joyaux de la dot de l'Église) ou l'âme (ham. 628-636). transiliam : idée de traversée (de la terre vers le séjour divin) et de mouvement léger et de rapide (de même, perist. 11, 118) ; cf. v. 92 in auras exsilit (l'âme délivrée du corps). poli : la voûte céleste, partie la plus élevée du ciel (cf. perist. 1, 88 per poli liquentis axem ; 3, 63) ; en perist. 2, 552 (hic corporis, mentis polo), polus désigne le séjour divin, qui est ici au-delà du ciel.

      transiliam poli omnes tenebras : plus radicale que le catastérisme stoïcien, cette 'apothéose' fera aller la martyre au-delà de la voûte céleste (æthere celsior), considérée comme ténébreuse (poli... tenebras, quasi oxymore : polus est le ciel lumineux, éclairé par les astres). Cf. ham. 849-853 concretum celeri relegens secat æra lapsu, | exsuperat polum feruens scintilla remensum, | carcereos exosa situs quibus hæserat exul ; | tunc postliminio redeuntem suscipit alto | cana Fides gremio.

      80 : tenebras : l'absence de la vraie Lumière, le mal, c'est-à-dire la mort ou l'absence de pureté (cf. v. 95, avec tenebras à la même place du v. ; les ténèbres que la martyre a dépassées lui sont alors subditas). æthere celsior : cf. ham. 7 regnare Deum super æthera credas ; hyperbole : ailleurs, æther désigne souvent le séjour divin lui-même (cf. perist. 9, 85 miseratus ab æthere Christus ; ->). L'âme et le lieu qu'elle gagne sont souvent qualifiés de celsus (-> 5, 369).

      
81-84 " Æterne rector, diuide ianuas
cæli obseratas terrigenis prius
ac te sequentem, Christe, animam uoca,
cum uirginalem, tum Patris hostiam ! "

" Maître éternel, fais s'ouvrir les portes du Ciel, auparavant verrouillées aux habitants de la terre, et appelle, ô Christ, l'âme qui vient à ta suite, victime virginale et surtout victime pour ton Père ! "

      81-84 : les seuls défunts dont l'Église affirme dès le début le salut et la béatitude sont les martyrs (cf. Tert. anim. 55, 5) ; avant sa mort, la martyre prie (-> 2, 29), sûre d'être exaucée.

      81 : æterne rector : cf. Ambr. hymn. 1, 1 æterne rerum conditor ; 4, 2 Deus creator omnium polique rector ; sur æternus, -> 2, 262. La martyre semble s'adresser au Christ (cf. v. 83 Christe), invoqué comme æterne rex en cath. 11, 78, ou peut-être (comme en perist. 13, 55-56) d'abord au Père (v. 81-82), puis au Fils (v. 83-84). rector : cf. apoth. 447 rectoris ad atria Christi. Le Père est invoqué comme rector en cath. 10, 5 (cf. ham. 65 rectorem lucis et orbis). diuide ianuas : évocation d'une porte à deux battants étroitement fermés, ouverts de force. L'ouverture des portes du Ciel (ianuas cæli) est confiée à s. Pierre : perist. 2, 463-464 recludit creditas | æternitatis ianuas (->) ; ailleurs, le martyr ne demande que la rupture des liens corporels, pour que l'âme s'élance vers l'éternité (cf. perist. 3, 92 diuide membra coacta luto ; 9, 86-88).

      82 : obseratas... prius : l'accès au Paradis, fermé après le péché originel (V.T. gen. 3, 24), est rouvert par la rédemption opérée à la Croix (N.T. Luc. 23, 43 dixit illi Iesus : "Amen, dico tibi, hodie mecum eris in paradiso.") Prius désigne donc le temps qui précède l'événement du Golgotha ; même si la prière peut être faite sub specie æternitatis, il est plus simple de sous-entendre au v. préc. [mihi] diuide ianuas. obseratas : de même, perist. 5, 349 obseratis uectibus (->). terrigenis : cf. Lvcr. 5, 1411. 1427 ; Cic. diu. 2, 133 ; ce nom évoque l'anthropologie biblique (-> 5, 301-302 ; cf. V.T. gen. 2, 7) ; cf. Hier. in Ier. 6, 32, 20.

      83 : le martyr s'adresse directement au Christ (-> 2, 413), en part. ici, où il est l'Époux. te sequentem : sequi (-> 11, 20) exprime l'obéissance, l'imitation, et la progression ; cf. N.T. apoc. 14, 4 uirgines enim sunt, hii qui sequuntur Agnum quocumque abierit ; Tert. anim. 55, 5 si... sequaris Dominum. Il s'agit ici à la fois d'une attitude intérieure (cf. perist. 11, 36 monstrauitque sequi, qua uia dextra uocat) et d'un 'mouvement' (cf. perist. 3, 162-163 martyris os... | uisa relinquere et astra sequi ; 10, 474 Christum secuta Patris intrat gloriam ; -> 2, 488). Christe, animam uoca : -> 2, 413 ; de même, perist. 11, 110 hi rapiunt artus, tu, rape Christe, animam ! ; cf. perist. 1, 32 milites, quos ad perenne cingulum Christus uocat. animam : le ms. C a la leçon amicam, qui irait au-delà des audaces des vv. 74-78, désignant non l'épouse, mais la maîtresse. En fait, on a quitté le registre érotique, passant du sarcasme à la prière (cf. de même perist. 2, 409-412).

      84 : reprise du motif de la double sainteté (-> v. 7). uirginalem... hostiam : la martyre fait oblation de sa vie (cf. Cypr. epist. 76, 3 [martyres] hostiæ facti Deo), préparée par l'offrande que constitue sa chasteté. Prudence laisse entendre que l'hostia peut consister dans l'une et l'autre ; cf. Ambr. uirg. 1, 3, 10 non enim ideo laudabilis uirginitas, quia et in martyribus repperitur, sed quia ipsa martyres faciat ; 1, 7, 32 uirgo matris hostia est, cuius cottidiano sacrificio uis diuina placatur. Comme uictima (-> 5, 28), hostia est utilisé dans un contexte biblique (ham. præf. 8. 31) ou païen (perist. 10, 289). uirginalem : -> v. 4. Patris hostiam : la martyre, victime offerte au Père, à l'image du Christ (cath. 9, 88 immolatam corporis sacri hostiam) ; cf. perist. 6, 106-107 palmas | in morem crucis ad Patrem leuandas (les martyrs sur le bûcher). Sur le caractère sacrificiel du martyre, cf, perist. 1, 96 credis in Deum relatos hostiarum spiritus ? ; 4, 50-52 placebunt | testibus Christi prius hostiarum | pignere functæ ; 10, 768-770 pars optima | Deo immolatur ecce nostri corporis ; | digna est fidelis lingua, quæ sit hostia. La même idée est exprimée ailleurs par immolari (-> 5, 364).

      
85-87 Sic fata Christum uertice cernuo
supplex adorat, uulnus ut imminens
ceruix subiret prona paratius.

Ayant parlé de la sorte, inclinant le chef, elle prie le Christ, suppliante, afin que son cou bien incliné subisse en étant mieux préparé la blessure imminente.

      85-87 : cf. Ambr. uirg. 1, 2, 9 stetit, orauit, ceruicem inflexit ; alors qu'elle évoquait une iugulatio (v. 77-78), la martyre semble s'apprêter à être décapitée (uertice cernuo). En fait, sa posture est celle d'une prière silencieuse (non citée, de même que celle évoquée aux vv. 58-59, pour son assaillant) : elle veut vite rejoindre son Époux, sans longue agonie. Le fait que le bourreau lui tranche la tête sera comme la réponse immédiate et inopinée (cf. v. 88 ast) du Christ.

      85 : uertice cernuo : attitude de recueillement et d'humilité ; la martyre l'imposera, comme humiliation, au démon : v. 118 nec uictus audet tollere uerticem (au contraire, le juge, en perist. 11, 85 supinata residens ceruice). Sur uertex ('tête'), -> 2, 308. Cf. perist. 5, 365-366.

      86 : supplex : cf. v. 5-6 aduenas | puro ac fideli pectore supplices (-> 2, 565). adorat : ici, non pas 'adorer' mais 'prier' (-> 11, 189). uulnus : terme convenant mieux à une iugulatio (utilisé p.ex. à propos de l'égorgement d'un taureau sacrifié en perist. 10, 1028) qu'à la décapitation ; néanmoins, cf. perist. 10, 871-872 fortasse ceruix (cf. v. suiv. ceruix), si secandam iussero | flecti sub ensem, non patebit uulneri. imminens : au sens d''immédiat, proche' (prépondérant, pour la martyre) et de 'menaçant' (cf. cath. 7, 102 poenæ imminentis iret ut prænuntius : Jonas).

      87 : ceruix : cf. perist. 1, 55 seu foret præbenda ceruix ad bipennem publicam ; psych. 282-283 caput orantis flexa ceruice resectum | eripit. subiret : cf. perist. 10, 98-99 ut pro fideli plebe solus immoler | dignus subire cuncta. prona : il est tentant de donner à pronus le sens de 'penché en avant', faisant de ceruix... prona une reprise de uertice cernuo (v. 85) ; cela implique de lier la subordonnée en ut à l'expression uertice cernuo - la martyre ne prierait pas le Christ de l'aider à affronter la mort avec résolution, mais l'adorerait en penchant la tête, de façon à recevoir plus facilement le coup de grâce (lecture banalisante, faisant de la prière une simple attitude - et non, comme habituellement chez Prudence, une supplication pressante). Le sens de prona est double : pour la martyre, subjectivement, sens figuré de 'disposé à' (renforçant paratius, qui suit) ; physiquement, sens propre de 'penchée en avant'. paratius : même idée en perist. 1, 54 stant parati ferre, quidquid sors tulisset ultima ; 10, 55 stent ut parati neue cedant turbini.

      
88-90 Ast ille tantam spem peragit manu,
uno sub ictu nam caput amputat ;
sensum doloris mors cita præuenit.

Mais voici que celui-là exauce une si grande espérance par la main [armée de l'épée], car c'est d'un seul coup qu'il tranche la tête ; la sensation de la douleur est devancée par cette mort rapide.

      88-90 : le bourreau tranche d'un coup la nuque de la martyre en prière, prévenant son attente ; chez Ambr. uirg. 1, 2, 9, moins assuré, il tremble, et exprime la gêne des persécuteurs ; chez Ambr. hymn. 8, la martyre n'est pas décapitée, mais égorgée. Les versions damasienne et de la Passio Græca font mourir la martyre au milieu des tortures (cf. ici v. 15-20 : menaces).

      88 : ast : forte opposition (jusqu'alors, la martyre pensait être égorgée ; sa décapitation est inattendue). ille : ambigu ; s'il s'agit du Christ (cf. v. 85), on eût attendu hic ; pour le bourreau, dont la dernière mention est au v. 74, on eût attendu plus de précision. C'est bien lui que la martyre voit s'avancer (v. 67-70) et qui lui tranche la tête, mais la prière de ste Agnès est exaucée (v. 88 spem peragit) par le Christ qui fait du bourreau son instrument. tantam : comme aux vv. 29-30 (->), les mss CDO ont une leçon modifiant le sens, tantum (qui relativise l'action du bourreau). Plutôt que cet élément, inutile, de consolatio, il vaut mieux conserver tantam (accent sur l'espérance de la martyre), qui lie le v. 87 à ce qui précède (v. 81-86 : nature de cette espérance) et s'accorde avec nam (v. suiv.), qui n'aurait aucun sens avec tantum. spem : cf. la prière des vv. 81-84 (de même, perist. 13, 43 merce doloris emi spem luminis et diem perennem). La spes mentionnée à la même place du v. 109 (->) n'est cependant pas la vertu théologale, mais une des illusions du siècle, critiqué aux vv. 94-111. peragit : même emploi en perist. 5, 292 (->) ; 10, 1109 peracta est passio. manu : autres mentions de la main du bourreau (agent : -> 5, 69) en perist. 1, 47 barbaras forum per omne tortor exercet manus ; 92 manum repressit hærens ; 5, 118 manus cruentas increpans ; 151 manus et ipse intersere ; 9, 39-40 manusque | tinguant feriatas sanguine ; 57 omnia membra manus pariter fixere ducentæ ; 70 istud dedisti ferrum et armasti manus ; 10, 447 manusque continetis uindices ; 496 carnificum manus ; 548-549 uertat ictum carnifex | in os loquentis inque maxillas manum ; 697 manu pulsant nates ; 1102 peremptoris manus.

      89 : uno sub ictu : même expression chez Lvcan. 6, 613, alliant ici l'idée concrète de la position de la tête (suggérée par sub) à l'abstrait de l'action (ictu) ; cf. perist. 1, 28 pulchra res ictum sub ense persecutoris pati. Le nom ictus désigne aussi le coup de grâce en perist. 1, 93 peregit ictum, ne periret gloria ; ailleurs, il s'agit des assauts répétés des bourreaux (-> 5, 113). caput amputat : cf. v. 26 ad aram ni caput applicat (correspondance ?). Cf. perist. 3, 116 gladio feriere caput ; 10, 823 gladius recidat... caput ; 873 amputatum... collum ; 11, 65 huic abscide caput ; 13, 47 seque caput gladio submittere ; cf. aussi l'expression capitis damnare (cf. perist. 13, 36 poenam capitis).

      90 : sensum... præuenit : même emploi transitif de præuenire (-> 5, 212) chez Verg. ecl. 8, 17 ; Liv. 8, 16. sensum doloris : contrairement à un martyr comme s. Vincent, torturé mais exsors dolorum (-> 5, 160) en son âme, ste Agnès n'a pas ressenti la douleur physique, mais une épreuve morale, des tentations et des menaces (cf. v. 15-17). Ailleurs, les martyrs subissent la prison (perist. 1. 5-6. 13), des tortures (perist. 2-5. 10-11) ou une mise à mort cruelle (perist. 12. 7. 9. 11), et les milites Christi (martyrs soldats [perist. 1] ou diacres [perist. 2. 5. 10]) se glorifient des blessures reçues et du sang versé, dans une pulchra mors. Le respect du corps de la martyre, hormis le coup de grâce, semble lié à sa virginité consacrée - celle qui épouse le Christ a son intégrité physique préservée (cf. v. 8). mors cita : la martyre bénéficie d'une faveur refusée à s. Laurent (perist. 2, 333-336 non uolenti impertiam | præstetur ut mortis citæ | compendiosus exitus, | perire raptim non dabo). Une fin rapide abrège l'épreuve et répond à l'impatience de rejoindre le Christ (cf. perist. 3, 159-160 uirgo citum cupiens obitum | appetit et bibit ore rogum ; 10, 813-814 si te morarum pænitet, finem citum | subeas licebit : ignibus uorabere).

      91-123 : dans une certaine mesure, Prudence reprend de Lucain (9, 1-18) le tableau de l'âme du défunt (Pompée) s'élançant au ciel et riant des misères du monde qu'elle contemple ; cf. aussi Verg. ecl. 5, 56-57 candidus insuetum miratur limen Olympi | sub pedibusque uidet nubes et sidera Daphnis ; -> 2, 485-488.

      
91-93 Exutus inde spiritus emicat
liberque in auras exsilit ; angeli
sæpsere euntem tramite candido.

Dégagée, l'âme s'élance de là et bondit, libre, dans les airs ; les anges escortèrent celle qui allait sur le chemin éblouissant de blancheur.

      91-93 : la mort n'est évoquée que par le mouvement ascendant de l'âme ; cf. Ambr. hymn. 8, 2-3 quo spiritum | cælo refudit debitum ; de même, perist. 2, 487-488 erupit uolens | ... spiritus ; 3, 161 emicat inde columba repens ; 169-170 flatus in æthere plaudit ouans | templaque celsa petit uolucer. Thème et lexique (emicare ; spiritus ; candidus) sont communs avec perist. 3, qui pourtant décrit le corps de la martyre, retombant apaisé, sur lequel tombe un linceul de neige. Ici, en montant aux cieux, l'âme rejoint le Christ-Époux ; cf. Ambr. uirg. 1, 8, 44 sume igitur alas, uirgo, sed spiritus, ut superuoles uitia, si contingere cupis Christum : 'In altis habitat, et humilia respicit'.

      91 : cf. Lvcan. 9, 3-4 prosiluit busto ; sequitur conuexa Tonantis | qua niger astriferis connectitur axibus aër. exutus : cf. perist. 2, 267-268 breui ulcerosos exuent | artus ; 13, 29 exuitur tenui uultus cute, transit in seueram (->). Prudence exalte la valeur libératrice de la mort (cf. v. 92 liberque), objet de sa prière personnelle (-> 2, 583-584). inde... emicat : emicare évoque une sortie (ex- ; cf. exutus et v. suiv. exsilit) dans un mouvement rapide, léger et vigoureux (cf. perist. 5, 461). Emicare donne à l'âme les qualités symboliques du feu ou de la lumière : cf. perist. 4, 26-28 emicant iuxta lapides gemelli ; | ardet et splendor parilis duorum | igne corusco (âmes de martyrs). Parlant de sa mort, Prudence dit emicam (præf. 44). spiritus : Prudence utilise indifféremment spiritus ou anima (v. 83) et encore animus, mens, etc. (-> 2, 488) ; cf. Lavarenne, § 1018.

      92 : liberque : cf. v. 9 mortis deinde gloria liberæ ; -> 5, 304. in auras : expression souvent employée par Virgile, pour désigner l'air et, partant, le ciel. Cf. perist. 1, 83 missa quod sursum per auras euolarunt munera ; cath. 10, 43. exsilit : verbe composé (-> v. 79) reprenant le sens d'exutus et d'emicat (v. préc.) ; de même, perist. 1, 30 lota mens in fonte rubro sede cordis exsilit. angeli : en perist. 3, 47-50, les anges escortent la martyre allant au-devant du juge ; les soldats du Christ sont incorporés dans les armées angéliques (-> 5, 287-288).

      93 : sæpsere euntem : de même, perist. 5, 373-374 stipant euntem candidi | hinc inde sanctorum chori. Entourée d'anges, la martyre progresse vers le Ciel ; elle était immobile (v. 40 stantem) au lupanar, entourée d'une foule d'hommes. Sæpire ('entourer', avec ici l'idée d''escorter' voire de 'protéger') est employé à propos des fidèles accompagnant leur évêque martyr (perist. 7, 34-35 riparum sinuamina | stipato agmine sæpserat) ; cf. perist. 9, 21-22 grege multo | sæptus magister litterarum sederat. tramite : cf. perist. 5, 369-370 cui recta celso tramite | reseratur ad Patrem uia. Ce chemin est la voie droite, qui commence ici-bas : cf. perist. 11, 35 his ubi detorsit læuo de tramite plebem (->). candido : aussi utilisé en perist. 3, 162, cet adj. qualifie les choeurs célestes en perist. 5, 373. Cf. perist. 13, 86 corpora candor habet, candor uehit ad superna mentes (->).

      94-99 : ce tableau adopte le point de vue du héros, non de l'assistance (perist. 3, 161-175 ; 6, 121-129). L'étonnement (miratur) de la martyre est-il admiratif ou perplexe - et son rire (ridetque), bienveillant ou moqueur ? L'expression sub pedibus situm, situant le monde par rapport à elle, donne une réponse : pede revient 2 fois à la même place (vv. 112. 133 - cf. aussi pedibus, v. 94) : d'un pied, la martyre écrase le démon (v. 112-118), de l'autre, semble-t-il, elle purifie le pécheur (v. 124-133). Ici, le début semble imité de Lvcan. 9, 12-14 stellasque uagas miratus (v. 94 miratur) et astra | fixa polis, uidit (v. 95 spectat) quanta sub nocte (v. 95 tenebras) iaceret (v. 95 subditas) | nostra dies, risitque (v. 96 ridetque) sui ludibria trunci. Cependant, là où Pompée rit de sa destinée terrestre, la martyre rit de tout le cours du monde, confortée dans ses choix ; la consolatio stoïcienne devient ici une exhortation morale. On peut aussi faire un rapprochement avec le Christ marchant sur les eaux : c. Symm. 2 præf. 18 calcantem pedibus mare (cf. vv. 94. 112) ; 27 plantis æquora subdere (cf. vv. 94-95. 116) ; 39 calcare fluentia (cf. vv. 97-99. 112).

      
94-95 Miratur orbem sub pedibus situm,
spectat tenebras ardua subditas

Elle s'étonne à la vue du monde situé sous ses pieds, regarde d'en haut les ténèbres au-dessous d'elle ...

      94-95 : cf. Verg. ecl. 5, 56-57 insuetum miratur limen Olympi | sub pedibusque uidet nubes et sidera.

      94 : cf. Lvcan. 9, 12-14 stellasque uagas miratus, et astra | fixa polis, uidit, quanta sub nocte iaceret | nostra dies, risitque sui ludibria trunci. Prudence semble avoir inspiré Dante, Paradis 22, 124-132 "Tu se' sì presso a l'ultima salute", | cominciò Bëatrice, "che tu dei | aver le luci chiare e acute ; || "e però, prima che tu più t'inlei, | rimira in giù, e vedi quanto mondo | sotto li piedi già esser ti fei..." (passage reprenant le Songe de Scipion ; cf. Gelsomino 1973). miratur : la suite indique que la martyre est moins admirative (-> 2, 302) que perplexe. orbem : ambivalent ; on passe d'une perspective spatiale (la terre de laquelle s'élève l'âme) à une perspective morale (la terre, c'est-à-dire le 'siècle') ; sub pedibus comporte aussi ce double aspect. sub pedibus situm : image biblique (psalm. 109, 1 sede a dextris meis, donec ponam inimicos tuos scabillum pedum tuorum) exprimant la suprématie sur le monde ; la martyre n'a ici ni l'agressivité des vv. 112-113 (hæc calcat Agnes ac pede proterit | stans et draconis calce premens caput), ni la douceur des vv. 132-133 (quod pia uisere | dignaris, almo uel pede tangere) ; opposition analogue (avec jeu semblable sur pedibus) en perist. 3, 74 idola protero sub pedibus ; 213 illa Dei sita sub pedibus | prospicit hæc.

      95 : reprise du v. préc., mais tonalité plus neutre (spectat, cf. miratur) ou plus sombre (tenebras, cf. orbem ; subditas, cf. sub pedibus situm). spectat... ardua : -> v. 43 ; cf. Verg. Æn. 10, 3-4 unde arduus [Iuppiter] omnes... | adspectat. Ardua reprend la prophétie des vv. 79-80 transiliam poli | omnes tenebras æthere celsior. tenebras : même nom à la même position du v. 80 (prophétie maintenant accomplie). Cf. perist. 5, 5-7 hic te ex tenebris sæculi | tortore uicto et iudice | euexit ad cælum dies. subditas : comme sub pedibus situm (v. préc.), subdere prend un sens surtout spatial (-> 12, 51) - mais l'idée de triomphe n'est pas absente (v. 112 hæc calcat Agnes ac pede proterit).

      
96-99 ridetque solis quod rota circuit,
quod mundus omnis uoluit et implicat,
rerum quod atro turbine uiuitur,
quod uana sæcli mobilitas rapit :

... et rit de ce dont la roue du soleil fait le tour, de ce que tout l'univers roule et enveloppe, de ce qui vit dans le sombre tourbillon des choses, de ce que la vaine agitation du siècle emporte : ...

      96 : ridetque : cf. Lvcan. 9, 14 (-> v. 94-99). solis... rota : en Lvcr. 5, 432, cette expression désigne le char du soleil ; l'image est assez répandue pour que Sénèque utilise seul rota au sens de 'soleil' (Sen. OEd. 256). Rota évoque le disque solaire (cf. cath. 12, 5-6 hæc stella, quæ solis rotam | uincit decore ac lumine ; ham. 76) et le mouvement apparent de l'astre (ici, la révolution diurne ou annuelle ; cette dernière, en perist. 12, 21 [->]) ; en apoth. 626, les deux sens ne s'excluent pas (de même, perist. 10, 537 rotati solis... globus). Évoqué juste après les ténèbres du monde (v. préc.), le soleil y est implicitement inclus (quasi oxymore, teinté d'ironie ; cf. ridetque). circuit : certains mss ont ici circumit ; en ham. 145 (circuit), le préfixe est assimilé, mais non en cath. 7, 124 (circumibat ; les mss de la famille bb ont circuibat).

      97 : mundus omnis : quasi pléonasme ; de même, perist. 10, 34. Mundus se retrouve à la même position du v. 114. uoluit et implicat : cf. perist. 2, 194 uoluens harenis implicat (torrent aurifère). Implicare est souvent connoté négativement (idée de prendre au piège : -> 5, 200) ; uoluere, repris par turbo (v. suiv.), évoque la mécanique céleste (cf. apoth. 210-211 [Dei] ad arbitrium sphera mobilis atque rotunda | uoluatur, seruentque suos uaga sidera cursus), mais aussi les bouillonnements d'un torrent ; cf. ham. 377 humanum miseris uoluunt erroribus æuum ; psych. 522-523 (Cupidité) quod uoluunt sæcula, nostrum est ; | quod miscet mundus, uesana negotia, nostrum.

      98 : rerum... atro turbine : turbo rerum (cf. Ov. met. 7, 164 ; Sen. Agam. 198) est contaminé avec la iunctura virgilienne atro turbine (cf. Verg. Æn. 1, 511 ; 10, 603 ; 12, 923). Turbo désigne l'agitation du siècle (cf. perist. 4, 81-82 sæuus antiquis quotiens procellis | turbo uexatum tremefecit orbem ; 10, 55) et peut aussi représenter l'oeuvre du démon (cf. cath. 12, 127-128 Christi insecutor sustulit | ceu turbo nascentes rosas). rerum : le monde ; de même, perist. 2, 417-418 qui sceptra Romæ in uertice | rerum locasti ; 10, 469. atro : reprenant tenebras (v. 95), cet adj. évoque ou qualifie (epitheton ornans) des réalités redoutables (-> 5, 310), comme la mort (cf. cath. 10, 158 atra e morte triumphans) ou des vices (cf. v. 108 liuoris atri fumificas faces ; ->). uiuitur : même emploi en c. Symm. 2, 471 quod uiuitur ac fit.

      99 : uana : cf. ham. 504-505 uanum quidquid sol aspicit, ex elementis | cuncta solubilibus fluxoque creamine constant. sæcli : péjoratif (-> 2, 279). mobilitas : à la mobilitas sans but du siècle s'oppose le mouvement ascendant de la martyre, qui aboutit à sa station glorieuse au Ciel. rapit : verbe désignant aussi l'effet du supplice sur le corps des martyrs (perist. 6, 96 ; 7, 15 ; 11, 110 [->] ; 12, 11) et le ravissement vers le ciel (perist. 1, 87 ; 11, 110. 246).

      100-111 : liste des vanités du monde proche de perist. 2, 237-260 (->) ; cf. Introd. § 103.

      
100-101 reges, tyrannos, imperia et gradus
pompasque honorum stulta tumentium,

... les rois, les tyrans, les pouvoirs et les dignités, ainsi que les honneurs pompeux qui s'enflent sottement, ...

      100-101 : Prudence relativise les honneurs (qu'il a connus, cf. præf. 16-21) : cf. perist. 2, 249-250 ; 10, 142-145 nonne cursim transeunt | fasces, secures, sella, prætextæ togæ, | lictor, tribunal et trecenta insignia, | quibus tumetis moxque detumescitis ? ; c. Symm. 2, 154 [ne] pulchroque inflata tumescat honore ; motif classique, cf. Hor. sat. 2, 7, 85-86 ; Plin. epist. 7, 26 ; Sen. dial. 10, 7, 1.

      100 : reges tyrannos : le pouvoir des rois est tyrannique ; cf. perist. 2, 5 reges superbos uiceras. Sur tyrannos, -> v. 21. imperia : comme pour reges, le terme suiv. indique la nuance d'imperia : non des 'empires', mais des 'pouvoirs' (cf. perist. 3, 100 ; 9, 81 ; 11, 92) exercés sur autrui. gradus : les degrés de la société ne sont que vanité ; ceux de l'Église (perist. 2, 39 Leuuita sublimis gradu) ou du Ciel (-> v. 61) sont, eux, indélébiles.

      101 : pompasque honorum : redondance ; de même, Avg. catech. rud. 16, 25 ad uanas honorum pompas ; cf. Cypr. domin. orat. 19 diuitias sæculi et pompas. Pompa (-> 12, 47) et honos (-> 13, 39) sont péjoratifs ; cf. ham. 438 inflaturque cauo pompæ popularis honore ; psych. 439-440 Pompa, ostentatrix uani splendoris, inani | exuitur nudata peplo. Au sens propre, pompa désigne toute sorte de procession : religieuse païenne (perist. 10, 161), triomphale (c. Symm. 2, 581), nuptiale (perist. 3, 111), funèbre (perist. 10, 1082). stulta tumentium : l'objet neutre plur. (adj. substantivé stulta) de tumere prend un sens adverbial ; de même, apoth. 11 uiolenta tuendo, 'en regardant avec force'. L'enflure est une image de la vanité (de même, perist. 2, 133 lætus tumescit gaudio ; 10, 171 nec terret ista, qua tumes, uæsania), plus particulièrement de l'orgueil (ici et perist. 10, 144-145, cf. ci-dessus). La stultitia caractérise les païens (cf. perist. 10, 268. 296).

      
102-103 argenti et auri uim rabida siti
cunctis petitam per uarium nefas,

... la valeur de l'argent et de l'or, recherchée par tous avec une soif enragée, en passant par toutes sortes de crimes, ...

      102-103 : de même, perist. 2, 189 aurum, quod ardenter sitis ; 197-200 pudor per aurum soluitur, | uiolatur auro integritas | pax occidit, fides perit | leges et ipsæ intercidunt.

      102 : argenti et auri : en perist. 2, métaux associés dans l'évocation des richesses de l'Église faite par le juge (perist. 2, 68-69. 71) et par le martyr (perist. 2, 115. 118) ; cf. psych. 526-527 sordet Christicolis rutilantis fulua monetæ | effigies, sordent argenti emblemata. uim rabida siti : les mss divergent, certains omettant uim ; le texte retenu (mss BT) s'accorde avec le mètre et donne le sens le plus plausible. uim : -> v. 78. rabida siti : même expression chez Sen. Herc. O. 1077. Rabidus est péjoratif : cf. c. Symm. 1 præf. 49-50 turbine sæculi | uectarat rabidis fluctibus innatans ; la rabies caractérise la luxuria (-> 13, 25) et guide les persécuteurs (-> 11, 47).

      103 : cunctis petitam : le dat. complément d'agent. per uarium nefas : cf. perist. 5, 82 ; 10, 515 carnis uoluptas omne per nefas ruit ; 13, 58 criminibus uariis tinctum miseratus abluisti.

      
104-105 splendore multo structa habitacula,
illusa pictæ uestis inania,

... les demeures construites avec force magnificence, les futilités illusoires d'un vêtement brodé ; ...

      104 : splendore : de même, psych. 439 Pompa, ostentatrix uani splendoris ; cf. perist. 5, 73-74 his sumptuosa splendido | delubra crescunt marmore. Le splendor peut être connoté positivement (-> 5, 270), au point de désigner le Christ (-> 2, 414). multo : sing. également en perist. 4, 59 ; 6, 63 ; 9, 21. structa : cf. perist. 2, 176 structos talentis ordines ; 13, 98 tumulum lacrimans struxit. habitacula : attesté chez Apvl. Socr. 4 ; Gell. 5, 14, 21, utilisé aussi en cath. 10, 40.

      105 : de même, perist. 2, 233-234 principum | qui ueste et ore prænitent ; 237 hunc qui superbit serico : cf. Verg. georg. 2, 464 illusasque auro uestes ; Sen. epist. 90, 41 nondum uestis illis erat picta, nondum texbatur aurum ; Pavl. Nol. carm. 25, 43 horreat illusas auro uel murice uestes. L'expression illusa uestis est aussi utilisée en perist. 10, 512, après une mention de l'or (perist. 10, 511) ; cf. ham. 290-291 additur ars ut fila herbis saturata recoctis | illudant uarias distincto stamine formas. illusa... inania : attesté chez Hor. ars 230, inania reprend l'idée de uanus (v. 99). Cf. psych. 564-565 talibus illudens male credula corda uirorum | fallit imaginibus. pictæ uestis : cf. Verg. Æn. 9, 26 diues pictai uestis ; 9, 614 picta croco et fulgenti murice uestis ; Ov. fast. 5, 217 ; 6, 363 ; pictus ne signifie pas 'peint' (-> 9, 10), mais 'brodé' (pictus [acu]). La toga picta triomphale (cf. Prop. 4, 4, 53), brodée et rehaussée de gemmes, devient au ive s. un insigne de fonction, attribué aux martyrs en perist. 2, 557-560 illustribus | gemmis coruscantem uirum, | quem Roma cælestis sibi | legit perennem consulem ; 10, 909-910 cruenti pectoris spectat decus, | fruiturque et ostro uestis ut iam regiæ.

      
106-109 iram, timorem, uota, pericula,
nunc triste longum, nunc breue gaudium,
liuoris atri fumificas faces,
nigrescit unde spes hominum et decus,

... la colère, la crainte, les voeux, les dangers ; tantôt une tristesse durable, tantôt une brève joie ; les torches fumeuses de la sombre envie, qui font noircir l'espérance des hommes et leur honneur, ...

      106-109 : de même, perist. 2, 257-260 quid inuidorum pectorum | strumas retexam turgidas, | quid purulenta et liuida | malignitatum uulnera ?

      106 : accumulation asyndétique de noms ; de même, v. 100 ; perist. 10, 143-144. 178-179. 299-300. 326-335. 356-360 ; de même, avec des épithètes (-> v. 70) ou des verbes (-> 13, 101). Ici, on a 2 passions abstraites (iram, timorem), puis 2 réalités auxquelles la martyre fut confrontée (uota, pericula). iram, timorem : cf. perist. 5, 327-328 uoluit gemens | iram, dolorem, dedecus ; 9, 26 ; 10, 962 timorque et ira pectus in caliginem. Sur ira, -> v. 63. timorem, uota : cf. Avson. 319, 72-73 spem, uota, timorem | relinquo. Le timor est ici une passion, non une disposition religieuse (cf. perist. 10, 358 ; 13, 20). Vota n'a pas non plus ici son sens religieux de 'voeux' (-> 2, 536). uota, pericula : ces noms évoquant des passions (uota : désir ; pericula : crainte) se retrouvent à la même place du v. 76 (désir du martyre), resp. du v. 54 (periculum de l'exposition) - les emplois de uota montrent que le monde n'est pas intrinsèquement mauvais, mais qu'il est le lieu de réalités mouvantes et ephémères qui n'ont plus cours dans l'éternité.

      107 : l'itération de nunc (-> v. 16-17) souligne les symétries dans le vers (opposition entre triste et gaudium et entre breue et longum ; écho des terminaisons). triste : adj. substantivé ; cf. Verg. ecl. 3, 80 triste lupus stabulis (sens différent). longum : de même, perist. 1, 112 ; 2, 339-340 mors inextricabilis | longos dolores protrahet ; 4, 129 cruda te longum tenuit cicatrix ; 9, 84. breue gaudium : à ces plaisirs s'oppose la béatitude éternelle, cf. c. Symm. 2, 907-909 fruimurque futuris, | ad quæ non ueniunt præsentis gaudia uitæ, | nec currunt pariter capta et capienda uoluptas.

      108 : liuoris atri : association de couleurs proches sur les plans esthétique (liuor : bleu plombé ; ater : noir mat) et éthique (liuor : envie, jalousie ; ater [-> v. 98] : triste, funeste, cruel) ; de même, cath. 7, 201 hoc est, quod atri liuor hostis inuidet. Il n'y a pas ici d'oxymore avec le sens (tardif, cf. Svet. Cal. 1) 'livide' de liuor ; sinon, l'image des fumificas faces serait maladroite. Liuor et ses dérivés peuvent avoir un sens physiologique (perist. 10, 510), maintenu en perist. 2, 259-260 quid purulenta et liuida | malignitatum uulnera ; par catachrèse, il désigne le vice ou péché de jalousie, parmi d'autres, en ham. 397 liuor, adulterium, dolus, obtrectatio, furtum. fumificas faces : cf. perist. 3, 118 facibus data fumificis (à propos de tortures). Le fait que les torches apportent non la lumière, mais la fumée indique que leur finalité n'est pas remplie.

      109 : nigrescit : nigrescere est utilisé ici (au figuré) et en perist. 11, 159 ; ham. 909 (au sens propre) ; on a aussi nigrare (-> 2, 88). unde : causal (de même, perist. 9, 15 ; 10, 1000). spes hominum : même expression en perist. 11, 176. L'agitation du monde obscurcit l'espérance (spes ; -> v. 88), vertu théologale distincte des souhaits (uota, v. 106), qui peuvent être déçus. decus : désignant souvent la qualité de martyr (-> 13, 73), ce nom évoque la dignité humaine, dont un fondement est l'espérance d'une vie éternelle (spes), et donc une vocation surnaturelle.

      
110-111 et, quod malorum tætrius omnium est,
gentilitatis sordida nubila.

... et enfin, ce qui est plus affreux que tous les maux, les nuages crasseux du paganisme.

      110-111 : le vice moral culmine dans le paganisme ; cf. perist. 2, 261-264 tute ipse, qui Romam regis, | contemptor æterni Dei, | dum dæmonum sordes (ici sordida) colis, | morbo laboras regio ; au contraire, perist. 2, 474-476 qui seruus Dei | tætris (ici tætrius) sacrorum sordibus (ici sordida) | seruire Romam non sinat. L'épreuve des martyrs est le paroxysme de toute lutte morale (-> 2, 501-508).

      110 : malorum : ici et dans l'Hamartigénie, malum désigne le mal moral ; ailleurs dans le recueil, les souffrances (p.ex. perist. 13, 44). tætrius omnium : emploi du comparatif (et non du superlatif) avec le gén. partitif, tour familier, fréquent à l'époque tardive (-> 5, 294).

      111 : gentilitatis : cf. perist. 1, 94 bruta quondam Vasconum gentilitas. Ce dérivé de gens (-> 2, 11) prend chez Prudence son sens chrétien (cf. Lact. inst. 2, 13, 13 ; cf. Mohrmann 1958-1977, t. 1, p. 26-27). sordida : outre un sens esthétique (-> 2, 187), cet adj. peut avoir, comme ici, un sens éthique ; de même, perist. 10, 180 tot stuprorum sordidam prosapiam ; apoth. 195 quæue superstitio tam sordida ; cf. perist. 2, 263 dum dæmonum sordes colis (->). nubila : les erreurs du paganisme, de même, c. Symm. 1, 508.

      112-118 : la martyre écrase la tête du démon (v. 112-113), qui n'osera plus la relever (v. 114-118) ; comme en perist. 2, 501-508, le martyre apparaît comme une lutte apocalyptique ; une exégèse de gen. 3 et d'apoc. 12 selon le sens moral permet d'identifier ste Agnès à la nouvelle Ève (cf. V.T. gen. 3, 14-15) ; cf. Introd. § 102 et n. 6. Cf. cath. 3, 127-130 ut mulier | colla trilinguia calce terat, | sic coluber muliebre solum | suscipit, atque uirum mulier ; 149-150 femineis | uipera proteritur pedibus ; même motif dans Pass. Perpet. 4, 7 (vision de la martyre) erat sub ipsa scala draco cubans miræ magnitudinis... et quasi primum gradum calcarem, calcaui illi caput. On en a probablement une représentation sur une mosaïque de Carthage : figure féminine debout, tenant une palme, écrasant un serpent du pied (cf. Leclercq 1907, c. 438 fig. 84).

      
112-113 Hæc calcat Agnes ac pede proterit,
stans et draconis calce premens caput.

Cela, Agnès le talonne et l'écrase de son pied, debout, écrasant aussi du talon la tête du Serpent.

      112-113 : la martyre vainc les vanités du monde et le diable (cf. la synonymie calcat ; pede proterit ; calce premens) ; cf. perist. 5, 543-5443 uictor triumpho proteris | solo latronem corpore ; psych. 32-33 pede calcat | elisos in morte oculos ; de même, Pavl. Nol. carm. 24, 659-660 ; Avg. serm. 280.

      112 : calcat : cf. perist. 5, 167-168 qui perstat intus, qui tuam | calcat, tyranne, insaniam ; Sen. Herc. O. 641 ; Octavia 467 ; calcat est repris par calce (v. suiv.). Agnes : -> v. 1. pede proterit : même expression chez Plavt. Truc. 268. pede : -> v. 133. proterit : cf. perist. 5, 543-544 ; cath. 3, 149-150 cernua femineis | uipera proteritur pedibus (-> 5, 543).

      113 : stans : -> v. 18 ; se tenant face au juge, la martyre affrontait Satan. draconis : les forces du mal, le démon (-> 5, 381-382) ; cf. Avg. in psalm. 103 serm. 4, 6 [diabolus] dictus est et leo et draco. premens : les victoires sur le monde et sur le démon étant liées, ce participe peut prendre, outre sa valeur descriptive, une valeur causale ou consécutive. Premere désigne aussi une emprise forcée ou violente en perist. 2, 6 populosque frenis presseras ; 9, 29-30 sæua tempestas premebat | plebem dicatam Christianæ gloriæ.

      
114-118 Terrena mundi qui ferus omnia
spargit uenenis, mergit et inferis,
nunc uirginali perdomitus solo
cristas cerebri deprimit ignei
nec uictus audet tollere uerticem.

Celui qui, dans sa sauvagerie, répand ses venins sur toutes les réalités terrestres du monde et les plonge dans les enfers, maintenant, complètement dompté sous le pied d'une vierge, abaisse la crête de sa tête enflammée et, vaincu, n'ose plus relever le chef.

      114 : terrena mundi : expression quasi pléonastique ; on retrouve terrena chez Ov. met. 2, 730 ; Gell. 14, 1, 3. Sur mundus, -> v. 97. ferus : adj. qualifiant aussi le persécuteur (perist. 13, 65), employé aussi à propos des animaux utilisés dans le supplice des martyrs (-> 11, 88).

      115 : spargit uenenis : -> 2, 201 ; cf. c. Symm. 1, 235 coniugis epotum sparsus per membra uenenum ; Ov. met. 15, 359 sparsæ... membra uenenis. Dans le poème reprenant le mètre de perist. 14, Ennode utilise deux fois uenenum (carm. 1, 17, 19. 31). mergit... inferis : les enfers (cf. cath. 1, 68 ; 9, 70), où le démon plonge le monde et ses habitants (terrena mundi... omnia), ne sont pas identiques à l'Enfer des damnés. Cf., à propos de l'Enfer (tartarus ou gehenna) cath. 9, 18 merserat quem lex profundo noxialis tartaro ; c. Symm. 1, 26 præcipites in tartara mergi ; psych. 90 corpora commaculans animas in tartara mergis ; ham. 959-960 auidæ nec flamma gehennæ | deuoret hanc animam mersam fornacibus imis. La forme inferis est un dat. (direction) ou un abl. (lieu où se déroule l'action ; -> 13, 84) ; de même, perist. 5, 437 mergam cadaver fluctibus.

      116 : uirginali... solo : sur uirginali, -> v. 4 ; solo est un abl. instrumental ; on retrouve solum avec la même référence biblique (-> v. 112-118) en perist. 5, 543-544 uictor triumpho proteris | solo latronem corpore ; cath. 3, 129-130 sic coluber muliebre solum | suscipit atque uirum mulier.

      117 : cristas : plur. poétique, attesté chez Verg. Æn. 3, 468, dans le sens d''aigrette de casque' (de même, p.ex. c. Symm. 1, 488) ; ici, cristæ désigne le sommet touffu de la tête du diable (cf. Sen. Herc. O. 1254 serpens squalidum crista caput uibrans). cerebri : le haut de la tête, cf. Hor. carm. 2, 17, 27 ; Plin. nat. 32, 138 ; Apvl. met. 9, 40 ; de même, perist. 12, 16 quo spectet imum stipitem cerebro ; psych. 139. deprimit : ce verbe exprime au figuré l'idée de soumission (apoth. 336 ; c. Symm. 2, 560), reprise au v. suiv.

      118 : l'attitude du démon vaincu, tête inclinée, ressemble à celle de la martyre avant de mourir (v. 85 ; ->) - mais l'humilité de la martyre est volontaire et sa tête sera couronnée (v. 119-120). uictus : la virginité fut victorieuse (v. 56 uictrix uirginitas) et le juge admit sa défaite (v. 64 uincor). Prudence suggère, sans l'expliquer, un lien mystérieux entre cette défaite et celle du démon. audet : -> 5, 399. tollere uerticem : imitation probable d'Hor. carm. 3, 16, 19 perhorrui late conspicuum tollere uerticem ; même motif en perist. 6, 2 attolit caput ignibus coruscum ; c. Symm. 1, 425 censeo sublimem tollas super æra uultum. Ici comme au v. 85 (correspondance entre les passages), uertex est pris au sens de 'tête' (-> 2, 308).

      
119-123 Cingit coronis interea Deus
frontem duabus martyris innubæ ;
unam decemplex edita sexies
merces perenni lumine conficit,
centenus exstat fructus in altera.

Cependant, Dieu ceint de deux couronnes le front de la martyre pucelle ; l'une est constituée d'une récompense en lumière éternelle multipliée par six fois dix, alors qu'un fruit centuple se montre sur la seconde.

      119-123 : cf. v. 7 duplex corona est præstita martyri ; la couronne est l'emblème des martyrs (-> 5, 4), des élus (cf. N.T. apoc. 2, 10 esto fidelis usque ad mortem et dabo tibi coronam uitæ). L'ascétisme permet aux fidèles de rechercher un autre 'martyre' (cf. aussi perist. 2, 297-308).

      119 : cingit coronis : cf. ham. 965 tempora uincta coronis. interea : terme de transition, changement de 'tableau' ; cf. perist. 6, 61 ; 13, 88.

      120 : innubæ : adj. utilisé en cath. 3, 123 innuba femina ; apoth. 571-572 innuba uirgo | nubit Spiritui (la Vierge Marie) ; c. Symm. 2, 1073-1074 innuba... femina (une vestale).

      121-123 : cf. la parabole du semeur, N.T. Matth. 13, 8 alia uero ceciderunt in terram bonam, et dabant fructum aliud centesimum, aliud sexagesimum, aliud tricesimum ; 13, 23 qui uero in terra bona seminatus est, hic est qui audit uerbum et intellegit, et fructus adfert, et facit quidem centum, aliud autem sexaginta, porro aliud triginta). L'exégèse attribuant une fécondité de 60/1 à la virginité et de 100/1 au martyre dépend de Cypr. hab. uirg. 21 primus cum centeno martyrum fructus est, secundus sexagenarius uester est ; ut apud martyres non est carnis et sæculi cogitatio, nec parua et leuis delicata congressio, sic et uobis, quarum ad gratiam merces secunda est, sit et uirtus ad tolerantiam proxima (de même, Cypr. epist. 76, 6, 2, où il est dit que certains remportent les deux récompenses). La même parabole est appliquée aux vierges en c. Symm. 2, 1055-1063, mais avec une fécondité au centuple (cf. Hier. in Matth. 2, 13, 20 : 30/1 aux épouses vertueuses, 60/1 aux veuves, 100/1 aux vierges ; s. Jérôme critique ceux qui privent du premier rang les épouses du Christ au profit des martyrs). Cf. Herzog 1966, p. 25 n. 29.

      121 : unam : outre son sens d''un seul' (par rapport à 60), unus a la valeur d'alter, auquel correspond altera (v. 123). decemplex... sexies : expression périphrastique du numéral (cf. Lavarenne § 961-969) ; decemplex est construit sur le même modèle que centiplex (-> v. 123). edita : de même, p.ex. perist. 10, 752-753 una matre quod septem editi | gessere pueri ; cath. 3, 3.

      122 : merces : cf. perist. 5, 3-4 quo sanguinis merces tibi | corona, Vincenti, datur (->). Au lieu de merces, on a merx en perist. 13, 43 merce doloris emi spem luminis et diem perennem. perenni lumine : de même, c. Symm. 2, 887 abundans luce perenni. Cette lumière a la même source que celle qui aveugla le profanateur (v. 48 corusco lumine), mais est permanente, perennis (-> 2, 560).

      123 : centenus... fructus : cf. cath. 7, 220 fructus... centiplex (cf. Plavt. Pers. 560 centumplex munus ; Ivvenc. 2, 793 centiplicemque... frugem). Le sens 'centuple' de centenus est tardif (cf. Avg. ciu. 21, 27 ; Ven. Fort. carm. 3, 9, 105) ; ailleurs, il a une valeur distributive (perist. 10, 1052) ou celle d'un numéral cardinal.

      
124-127 O uirgo felix, o noua gloria,
cælestis arcis nobilis incola,
intende nostris colluuionibus
uultum gemello cum diademate,

Ô vierge bienheureuse, ô gloire nouvelle, noble habitante de la citadelle céleste, tourne vers nos bourbiers ta face ornée d'un double diadème, ...

      124-127 : Prudence invoque de même s. Vincent (cf. perist. 5, 537-544).

      124 : de même, perist. 13, 11 o niue candidius linguæ genus, o nouum saporem ! (cf. Introd. § 117). Ici, o renforce le vocatif (-> 2, 413-416). Des parallèles confirment l'allusion au double triomphe : 1° uirgo infelix désigne Pasiphaé, qui perd toute pudeur (Verg. ecl. 6, 47) ou Polyxène, qui perd la vie (Ov. met. 13, 451 ; appelée felix... uirgo par Verg. Æn. 3, 321, car morte sans avoir été unie à un vainqueur) ; 2° la noua gloria in armis (Verg. Æn. 11, 154) de Pallas est évoquée, après sa mort, par Évandre. uirgo felix : -> v. 4 ; cf. perist. 6, 97 felices animæ ; cath. 5, 33-34 felix, qui meruit sentibus in sacris | cælestis solii uisere principem. noua gloria : la martyre devait être un nouum ludibriorum mancipium (-> v. 29-30) ; cf. v. 9 mortis... gloria liberæ. Cf. perist. 4, 141-142 hunc nouum nostræ titulum fruendum | Cæsaraugustæ dedit ipse Christus (martyre survivante) ; 7, 57-58 haudquaquam tibi gloria | hæc est insolita aut noua (miracle).

      125 : cælestis arcis : cf. v. 62 cælestis aulæ (même place du v. ; ->). Cette image du Paradis (-> 2, 372) est celle de la Jérusalem céleste de l'Apocalypse ; cf. perist. 2, 372 in arce lucebunt Patris ; 2, 555 æternæ in arce curiæ ; 10, 535 regnante Christo stans in arce regia. nobilis : de même, à propos des vierges, perist. 2, 297 gemmas nobiles ; 3, 1-2 germine nobilis Eulalia | mortis et indole nobilior. La noblesse des martyrs se substitue à celle du monde (cf. perist. 10, 111-145). incola : de même, perist. 1, 111 gehennæ est incola (un démon).

      126 : de même, cath. 2, 57-58 intende nostris sensibus, | uitamque totam dispice (-> v. 130-131) ; cf. V.T. psalm. 18, 7 intende in uocem deprecationis meæ. intende : -> v. 43. colluuionibus : cf. perist. 11, 177 corruptelis animique et corporis æger ; psych. 890 cor uitiorum stercore sordet ; attesté chez Ambr. pæn. 1, 8, 36 ; Avg. c. Pelag. 4, 11, 31 detersa peccatorum colluuione.

      127 : uultum : le visage du martyr resplendit de sa gloire, parfois déjà durant le supplice (cf. perist. 2, 361-372 ; 5, 129). gemello : équivalant de duo ; cf. ham. 96 numero... gemello ('le nombre deux') ; ailleurs, on a le plur., p.ex. perist. 4, 26 emicant iuxta lapides gemelli. De même, gemini (p.ex. perist. 3, 131), duplices (ham. 94), bini (-> 2, 538). diademate : cf. perist. 4, 21 ; 10, 764-765 gemmis uestiet | apicem hunc corona regio ex diademate. Comme la corona, le diadema est un insigne de pouvoir et d'honneur (p.ex. ditt. 78 ; c. Symm. 1, 33).

      
128-129 cui posse soli Cunctiparens dedit
castum uel ipsum reddere fornicem !

... toi à qui seule le Père de toutes choses a donné de rendre chaste jusqu'au lupanar lui-même !

      128 : soli : ce martyre est exceptionnel ; de même, perist. 5, 537-539 tu solus, o bis inclyte, | solus brauiis duplicis | palmam tulisti. Cunctiparens : adj. substantivé attesté chez Drac. laud. Dei 2, 65 ; épithète de Deus en ham. 931. De même, perist. 3, 70 omnipater ; 7, 56 cunctipotens ; cf. aussi dierum factor (perist. 6, 44-45), cunctorum conditor unus (c. Symm. 2, 242), parens opifexque et conditor (ham. 697), rerum parens (cath. 7, 25).

      128-129 : posse... dedit... reddere : dedit régit posse (-> 13, 27), duquel dépend reddere ; cf. perist. 11, 181-182 cui Christus | posse dedit, quod quis postulet, adnuere.

      129 : -> v. 42. castum : même forme à la même place du v. 55 (->). uel ipsum : insistance sur le paradoxe. fornicem : terme désignant une voûte (cf. perist. 5, 243), spécialisé dans le sens de 'lupanar' (ham. 636 ; c. Symm. 2, 836 ; cf. Hor. sat. 1, 2, 30 ; Sen. contr. 1, 2, 21).

      130-133 : cette prière humble du poète (-> 2, 573-584) n'est pas une coquetterie littéraire, mais est réelle et sincère - cf. la prière de perist. 9, 5-8. 99-104, exaucée (perist. 9, 105).

      
130-131 Purgabor oris propitiabilis
fulgore, nostrum si iecur impleas.

Je serai purifié par l'éclat de ton visage secourable, si tu emplis mon coeur.

      130-131 : même, cath. 2, 57-60 (prière au Christ) intende (cf. v. 126 intende) nostris sensibus, | uitamque totam dispice ; | sunt multa fucis illita, | quæ luce purgentur tua. Ici, reprise et inversion des éléments de la scène du lupanar : de profanateur, le visage devient purificateur ; la foudre n'est plus un châtiment, mais une grâce, et elle émane du visage, au lieu de l'atteindre. Le centon mozarabe de perist. 14 généralise cette version personnelle : purga iam corda propitiabilis | fulgore nostrum si iecur impleas (PL 86, 1052-1054).

      130 : propitiabilis : allongement de la syllabe pro- ; adj. attesté chez Enn. scæn. 372 ; Tert. ieiun. 15 ; Avg. spec. 33. Cf. perist. 3, 214-215 populosque suos | carmine propiata fouet.

      131 : fulgore : le fulgor marque un visage glorieux ; cf. perist. 2, 361-362 illi os decore splenduit | fulgorque circumfusus est (->). nostrum : 1ère pers. du plur., à propos du poète seul (cf. v. préc. purgabor). si... impleas : potentiel dans une hypothétique dépendant du fut. simple purgabor (cf. perist. 10, 213 ; cf. Lavarenne § 834). iecur impleas : un complément à l'abl. est sous-entendu (en perist. 13, 27 [implet amore sui], c'est l'objet direct qui n'est pas précisé). L'association d'implere avec iecur (le foie, siège des sentiments : cf. p.ex. Hor. carm. 1, 13, 4 ; cf. perist. 10, 13) est surprenante - on a comme l'inverse du châtiment de Prométhée. Sur le sens de iecur ('foie', ou coeur, entrailles), -> 5, 116.

      
132-133 Nil non pudicum est, quod pia uisere
dignaris, almo uel pede tangere.

Rien ne manque de pudeur, que, dans ta piété, tu as daigné effleurer d'un regard ou toucher de ton pied bienfaisant.

      132 : nil non pudicum : la double négation met en évidence l'adj. pudicus (à la même place du v. 34 ; ->). pia : plutôt que le sens moral classique (perist. 3, 36 pia cura parentis), sens religieux ; pius qualifie un martyr (ici ; perist. 3, 56 pia uirgo), ses dons (perist. 13, 106 illinc pia dona dat patronus) ou les fidèles (-> 5, 509). uisere : le regard communique à son objet les qualités de son sujet (cf. perist. 13, 61-64 uise libens tenebris ergastula cæca dissipatis, | eripe corporeo de carcere uinculisque mundi | hanc animam - le regard du Christ illumine) ; ici, le regard de la martyre (cf. vv. 126-127 intende... uultum ; 130-131 oris... fulgore) est purificateur - celui du profanateur lui vaut un châtiment immédiat (cf. v. 43-49). Cf. cath. 11, 31-32 [donec Christus] ipse peccantem diu | dignatus orbem uiseret.

      133 dignaris : cf. perist. 6, 160-161 fors dignabitur et meis medellam | tormentis dare. almo : cf. Pavl. Nol. carm. 6, 315 alme Iohannes ; 21, 7 cum... almis martyribus. Cf. perist. 5, 287 (->). On a peut-être un écho de Damas. carm. 37, 9 alma pudoris (cf. v. préc. pudicum) ; de même, c. Symm. 2, 252-253 interius spargit sola picta rubenti | flore pudicitiæ pudor almus et atria seruit (l'âme, domus spirituelle). pede tangere : pede se trouve à la même position au v. 112 ; à la violence du geste triomphateur contre le démon (v. 112-113 hæc calcat Agnes et pede proterit | stans et draconis calce premens caput) correspond la douceur du geste purificateur pour le fidèle (-> v. 94-99). tangere : le contact physique, même léger, marque l'adhésion ou l'union spirituelle ; cf. le geste d'apostasie de perist. 3, 122-124 si modicum salis eminulis | turis et exiguum digitis | tangere ; 5, 179-180 puluinar ut nostrum manu | abomineris tangere. Là, l'organe du toucher est la main ; ici, comme par hyperbole, le pied, moins noble (proche de ceux que la martyre domine du haut du Ciel).


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