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1. Introduction.


1.1 Le défi.


1.2 Une problématique globale.

      Comme la plupart de ceux qui ont exercé en ville et dans l'urgence, certaines questions m'assaillent avec une certaine fréquence: Pourquoi les motifs de consultation, en particulier la consultation urgente, semblent-ils se modifier au fil des ans en se teintant de plus en plus de raisons extramédicales? Pourquoi de plus en plus de patients ont-ils l'air d'être plongés dans un désarroi de plus en plus profond en matière d'organisation personnelle? Pourquoi va-t-on de plus en plus chercher la pilule magique chez le médecin comme au supermarché 1 , tout en refusant catégoriquement d'entrer en matière au sujet de recommandations d'hygiène de vie par exemple? Quel système mutualiste peut-il tenir avec des gens qui estiment ouvertement que leur propre temps est bien plus important que les frais que leur consultation en urgence peut engendrer ? Dans un registre un peu différent on peut citer la consultation-promenade du dimanche puisque la semaine on n'a pas le temps ou parce qu'on n'ose plus aller consulter ou prendre rendez-vous pendant les heures de travail.

      En somme : Quel est le sens de la transformation en cours, et quelles sont les interactions possibles avec l'évolution des dispositifs de santé et la santé des populations tels que nous les connaissons et tels que nous les souhaiterions? Quelles en sont les conséquences et comment les prévoir?

      On peut toujours tenter d'échafauder des explications au cas par cas : la culpabilité inavouée de l'abandon de l'enfant par les deux parents qui travaillent se manifeste le soir au retour à la maison, se potentialise avec la fatigue, et le moindre soupçon de fébricule que l'on ne prend plus la peine de vérifier au thermomètre (c'est une responsabilité de plus) adopte des significations menaçantes qui déclenchent la consultation d'urgence, consultation qui doit plus rassurer et dédouaner les parents que calmer le gamin bien portant par ailleurs. Nombre de services de pédiatrie pâtissent des vagues de ce syndrome au risque de voir s'émousser leur capacité de tri efficace des cas graves.

      Mais l'explication ponctuelle nous laisse insatisfaits et le fatalisme n'a pas (encore?) sa part dans une approche scientifique. Ne peut-on dégager des lois générales qui régissent ces comportements en matière de consommation de ressources qui puissent nous éclairer ? Est-ce que cette analyse relève de la psychiatrie -mais que fait la psychiatrie des comportements de masse?- ou de la médecine communautaire, de l'anthropologie, de l'analyse épidémiologique et du raisonnement de santé publique?

      Que peut nous apporter le fait « d'aller voir ailleurs comment cela se passe »? Certes la comparaison permet de faire avancer la compréhension et dégager des règles générales. De plus, un environnement distinct qui offre des contrastes importants permet aussi de mieux découvrir et dégager des corrélations inapparentes dans un environnement plus homogène.

      Et si l'analyse des faits et des comportements nous ramenait -supposons- aux aléas et retombées de l'incessant modelage au corps du « citoyen-consommateur », quelle serait la marge de manoeuvre effective? Le spécialiste en santé publique ne se donne-t-il pas pour « produire la connaissance dont a besoin le décideur pour agir 2  »? Si c'était bien le cas, quelle est la marge de manoeuvre réelle du décideur, et quelle est l'étendue des limites, des interdits et des tabous imposés par les dogmes d'une époque, ciment essentiel d'un pouvoir aux ambitions globales? Et en dernière analyse, quelle est la part de la morbidité et des coûts engendrés directement imputable aux dogmes et interdits en question?

      Comme dans toute démarche de recherche, plus de questions que de réponses. Or, « He who asks many different questions will receive many different answers 3  ».

      Si on choisit de se limiter aux contingences les plus immédiates, le but de ce travail est de fournir les bases cognitives et descriptives préliminaires à la constitution d'un projet de coopération concernant les populations rurales dans trois provinces de la Xe région du Chili, et d'apporter chaque fois que cela sera possible des réponses aux interrogations que suscite la consultations de données éparses sur un grand nombre de sources. Nous avons choisi de les traiter dans l'ordre suivant :

      Nous passons ensuite en revue les données sanitaires proprement dites :

      Pourquoi le Chili? Un certain nombre de raisons historiques et personnelles sont mentionnées dans le préambule. Mais surtout, le pays constitue depuis un demi-siècle un modèle d'observation et (souvent pour son plus grand malheur) d'expérimentations de toutes sortes. Les transformations y sont rapides et aisément observables, peut-être en raison d'un volant culturel et social allégé par rapport au vieux continent. La collecte des données socio-démographiques y est plutôt fiable et fait l'objet d'un investissement considérable de ressources de la part du gouvernement. Nombre des caractéristiques (comme le système de santé bicéphale) et des transformations en cours rapprochent les problèmes qu'il doit affronter de ce qui se passe dans les pays du premier monde. Bref, de nombreux signes suggèrent que les conditions y sont favorables au développement d'études comparées, et la comparaison est l'un des meilleurs moyens pour dégager des principes généraux.

      Pourquoi encore cette étude? parce qu'il existe sur place des besoins et des problèmes criants qui ne relèvent pas de la fatalité, parce que des êtres humains en meurent, et parce qu'une fonction par excellence de la santé communautaire est d'établir sur le terrain un diagnostic précis quant au système avant de proposer un traitement.

      Parce qu'il est des aspirations similaires de par le monde, ce qu'on peut faire de mieux à cet égard, en particulier dans une époque troublée, c'est de collaborer à tisser des liens, promouvoir la compréhension mutuelle et construire des ponts.

      En somme, le mouvement qui conduit à un travail, comme la plupart des comportements humains, peut être essentiellement multifactoriel.


2. Méthodologie


2.1 Origine des données

      Ce travail n'aurait pas été possible il y a à peine quelques années, tout au moins avec les sévères contraintes d'éloignement et de temps présentes lors de sa réalisation. Les mesures du gouvernement du Chili visant à la mise à disposition d'un grand nombre d'informations sur les sites Internet de ses différents organes ont visiblement porté leurs fruits et constituent la base du présent document. Nous tenons à saluer en premier lieu cet effort essentiel de transparence et de modernisation.

      Les liens web cités référencent le contenu des sites tels que visités aux mois de juillet, août, septembre et octobre 2002.

      Les données sur les consultations médicales et paramédicales, les paramètres de santé gravidique et infantile par commune et les informations sur les postes de santé périphériques sont extraites des séries 1998, 1999, 2000 et 2001 publiées sur le web par le service de santé Llanquihue-Chiloé-Palena, http://www.llanchipal.cl/.

      Les informations de population sont basées sur une projection à 2001 des données du recensement de 1992. Il est important de noter qu'il ne s'agit que d'une approximation. Le chapitre 9 se réfère également aux résultats préliminaires du recensement 2002 (http://www.censo2002.cl/).

      Les statistiques de mortalité infantile et de satisfaction des usagers proviennent des chiffres publiés par l'Institut National des Statistiques (INE), HYPERLINK 'http://www.ine.cl/'http://www.ine.cl/.

      Les informations sur l'affiliation aux divers systèmes de santé, les niveaux de pauvreté, les peuples originaires, la perception subjective de handicaps et de l'état de santé sont extraites des rapports sur les enquêtes CASEN pour l'an 2000 publiés par le Ministère de Planification et Coopération (Mideplan) HYPERLINK 'http://www.mideplan.cl/'http://www.mideplan.cl/.

      Remarquons que dans les séries CASEN il manque plusieurs communautés territoriales de la région (Llanquihue, Puqueldón, Queilen, Quellón, Chaitén, Palena, Futaleufu), l'échantillonnage de l'enquête n'ayant pas satisfait aux critères fixés par les commanditaires. Ces carences concernent surtout la province de Chiloé et trois municipalités sur quatre de la province de Palena.

      Les données sur le montant du budget municipal , l'indicateur de pauvreté du Fonds Commun Municipal (FCM), les taux de réussite au bac, l'existence de services d'eau potable et égouts, proviennent du secrétariat au développement du Ministère de l'Intérieur qui gère une base de données d'informations sur les communes à http://www.sinim.cl/

      L'index de pauvreté humaine (IPH) et l'index d'indigence rurale ont été extraits des tables géographiques du FOSIS reproduites par l'Ing. Walter Velasquez. http://www.bufoland.cl/fosis/inversion/inversion.htm

      L'index de pauvreté humaine (IPH) est calculé à partir de quatre variables :

      Ces informations, comme l'index d'indigence rurale, sont établies à partir de fiches d'enquête (CASE).

      Le nombre et le type de données qu'on peut extraire à distance par Internet connaît aussi des limites assez sévères, et certaines informations ne sont tout simplement pas disponibles, ou en tout cas pas avec une granularité suffisamment fine pour qu'elle puisse être relevante dans un travail d'analyse qui traite des différences entre les communes de trois provinces. Il en va ainsi pour les informations sur la criminalité, l'alcoolisme, les toxicomanies, la sexualité etc. Les données générales disponibles pour le pays sont résumées dans l'annexe 5.


2.2 Traitement des données

      Les informations par commune ont été compilées en une table (Annexe 3). L'attention a été portée à utiliser des séries aussi chronologiquement rapprochées que possible, ce qui nous laisse un éventail de 1997 à 2001. Il n'a pas été décelé de modifications dans les méthodes de collecte et de présentation des données pour cette période.

      Les taux ont été calculés, commune par commune, par rapport à la population estimée 2001.

      Les populations étudiées montrant entre elles un grand éventail de modes de vie de par leur distribution géographique, l'accent a été mis sur l'étude du comportement des diverses variables les unes par rapport aux autres, et l'existence éventuelle de corrélations positives ou négatives.

      Les séries ont été soumises à une analyse visuelle des graphes (« scatterplots ») à la recherche de particularités dans la distribution des données (groupements par entité géographique, distributions en U, ou encore corrélations non linéaires inverses comme celle qui a été détectée entre le revenu autonome et les subsides, par exemple) . Le degré de normalité des séries de données, particulièrement relevant par rapport à de nombreux test statistiques courants et aux coefficients de corrélation linéaire, a été estimé par le calcul du kurtosis (aplatissement) et du biais (« skewness ») :

      Soit Xi la valeur de la variable, N le nombre d'observations et la moyenne de la série. On détermine d'abord la déviation standard s, mesure de dispersion, racine carrée de la variance :

      

      On calcule ensuite le biais de la distribution (skewness) :

      

      et la mesure d'aplatissement de la distribution, le kurtosis :

      

      Une distribution normale a un biais de 0 et un kurtosis de 0.

      Quels critères utiliser pour déterminer que la distribution d'une série diffère significativement d'une distribution normale ? D'après Tabachnik et Fidell (1996), on peut utiliser une approximation de la déviation standard du biais (dsb) et de la déviation standard du kurtosis (dsk) de la distribution normale:

      

      On retient comme différant significativement d'une distribution normale toute série qui présente une valeur absolue du biais ou du kurtosis supérieure à 2 * dsb ou 2 * dsk respectivement. (voir l'annexe 3, en bas de tableau, noms des séries en rouge).

      L'interprétation des résultats de traitements statistiques effectués sur de séries différant significativement de la distribution normale doit faire l'objet de précautions particulières. Dans la pratique, nous avons cependant remarqué que certaines données importantes risquaient d'être ignorées dans le cas d'une extraction des séries a-normales du tableau de comparaison (par exemple la corrélation linéaire étroite, significative et indéniable entre deux séries fortement biaisées et leptokurtiques, le budget municipal total par habitant et par an et le nombre de consultations médicales préventives par habitant et par an. Fig. 1.3.1). Nous avons donc opté pour garder les séries significativement a-normales dans la matrice de corrélation. Des tests spécifiques aux distributions non normales devront être effectués ultérieurement sur ces séries avant toute conclusion définitive, ou, mieux encore, un recoupement avec d'autres informations statistiques.

      

Fig. 2.2.1 : Distribution des valeurs pour deux variables qui ne suivent pas une distribution normale, le budget municipal par habitant et par an et le nombre de consultations de médecin préventives par habitant et par an, et qui sont cependant fortement corrélées.

      Le coefficient de corrélation linéaire ou coefficient de Pearson r est une mesure du degré auquel deux variables évoluent l'une par rapport à l'autre. Soit cov (X,Y) la covariance de deux séries :

      

      Le coefficient de corrélation linéaire entre les variables X et Y est défini par la covariance de X et Y divisée par le produit de la déviation standard de X et la déviation standard de Y :

      

      ou encore,

      

      Le coefficient de corrélation varie entre 1 (corrélation parfaite) et -1 (corrélation négative parfaite). Des valeurs proches de zéro indiquent l'absence de corrélation des variables. Une corrélation est dite forte si sa valeur absolue est supérieure à 0.8, moyenne si sa valeur absolue se situe entre 0.5 et 0.8, faible en dessous.

      Le rejet de l'hypothèse nulle, ou probabilité pour que r soit différent de zéro (signifiance) a été testée par le calcul de t :

      

      la valeur est ensuite comparée à celle d'une table de valeurs de t avec N-2 degrés de liberté (bicaudal puisqu'on ignore en général le sens de la corrélation), aux intervalles de confiance de 95% et 99%.

      A toutes fins pratiques, les coefficients de corrélation linéaire entre les différentes variables et le niveau de signifiance de la corrélation ont été calculés à l'aide du logiciel SPSS (http://www.spss.com/). La table de matrices obtenue est consignée dans l'annexe 6. Les corrélations pour chaque variable ont ensuite été classées en tableaux par coefficient de détermination et par degré de signifiance, reproduits dans le texte et dans l'annexe 7.

      Enfin, des essais de visualisation en 3D de la matrice de corrélation obtenue ont été effectués à l'aide des logiciels UCINET (http://www.analytictech.com/ucinet_5_description.htm) et Mage (http://kinemage.biochem.duke.edu/software/software1.html#mage).

      A titre de précaution : Le coefficient de corrélation de Pearson se base, comme la régression linéaire, sur plusieurs hypothèses sur la nature des données examinées, les plus importantes d'entre elles étant (d'après Osborne et Waters, 2002) :

      On retiendra que les différentes limites de la corrélation linéaire conduisent essentiellement, par l'effet d'atténuation, à un risque de sous-estimation de certaines corrélations, et non pas à une sur-estimation des corrélations.

      Enfin, l'existence d'un coefficient de corrélation marqué n'implique aucunement un lien de cause à effet, ni le sens de celui-ci.

      Dans le but d'alléger la présentation et améliorer la lisibilité du document, un certain nombre d'images ont été déplacées dans l'annexe 4. Leur numération par rapport à l'ordre du texte a cependant été conservée.

      Pour référence, un un profil global du pays et de la de la situation de santé, largement basé sur les informations publiées par l'organisation panaméricaine de la santé (http://www.paho.org) et l'institut national des statistiques (http://www.ine.cl) est placé dans l'annexe 5.


2.3 Remarques pertinentes à la granularité des données

      Les limites de l'analyse avec des données par commune sont atteintes avec la municipalité de Puerto Varas, par exemple, étendue sur plus de 100 km et englobant des environnements très différents.

      

Fig. 2.3.1 : Extension administrative de la commune de Puerto Varas, réseau routier et obstacles naturels.

      En effet, on y trouve une urbanisation plutôt aisée (qui toutefois regroupe simultanément une pauvreté urbaine non négligeable) offrant des services variés et orientée vers le tourisme, un secteur rural en plaine, assez prospère, basé sur une agriculture commerciale, bien desservi par le réseau de transports, et un secteur montagneux (à droite sur le plan) réunissant des conditions de difficultés d'accès et de transport proches de celles rencontrées à Palena ou à Chiloé, et où l'on trouve encore fréquemment de l'agriculture d'autosubsistance.

      Ces caractéristiques de la population rurale de Puerto Varas, forte de plus de 8 000 habitants, ne ressortent pas entièrement de l'analyse à un niveau de granularité communal, et pointent sur la nécessité d'aborder l'analyse des caractéristiques et des besoins des populations à un niveau plus fin, en dessous de l'échelle de la commune, chaque fois que cela apparaîtra nécessaire. Nous espérons pouvoir présenter des chiffres sectoriels pour cette commune dans un document ultérieur.


3. Les données


3.1 Données sociales, culturelles et économiques


3.1.1 Une réalité physique, économique et humaine fragmentée

      

Fig. 3.1.1.1 : Reconstitution virtuelle de la mer intérieure.

      

Fig. 3.1.1.2 : Localisation générale de la région étudiée.

      Les cartes peuvent être consultées dans le document « Annexe 2 ».

      Le climat de la région est de type océanique tempéré, sans gros écarts de température, avec une très forte pluviosité (1800 a 4000 mm). Les sols fertilisés et allégés par les cendres volcaniques se prêtent à l'agriculture et à l'élevage, mais sont sujets à des phénomènes de « wash-out » (lessivage) et, dans les zones montagneuses, à des éboulements parfois meurtriers.

      La région se situe en plein dans les « quarantièmes rugissants » (Fig.3.1.1.2). La côte Pacifique, soumise à un vent d'ouest dominant et des changements rapides de régime, battue souvent par des vagues impressionnantes, est considérée comme dangereuse, et même la mer intérieure peut présenter de très sérieux obstacles au déplacement en cas de mauvais temps.

      Malgré tout, la mer intérieure fournit une protection relative et a facilité les échanges de tout temps. Les excavations de Tom Dillehay (Université de Kentucky) à Monte Verde (près de Puerto Montt) mettent en lumière le site comme l'un des plus anciennement habités des Amériques 4  et ont sérieusement relancé le débat sur les hypothèses de peuplement.

      La population se concentre sur les pourtours accessibles de la mer intérieure et sur les îles, sauf dans le cas des contre-forts andins au sud-est de Puerto Montt et dans la province de Palena séparés par d'étroites vallées et descendant souvent à pic dans la mer. La côte Pacifique, inhospitalière et accidentée, est également peu peuplée, à l'exception notable des villages de pêcheurs de Maullín et Carelmapu (province de Llanquihue).

      Les trois provinces ont des origines historiques très différentes qui exercent encore des effets permanents sur leur structure économique, culturelle et sociale.

      

Fig. 3.1.1.3 : Principales influences historiques sur la colonisation des trois provinces.

      La grande île de Chiloé (200 x 50 km) est une ancienne colonie espagnole du XVIe siècle où ont eu lieu des processus complexes d'échanges transculturels. L'île côtière de Calbuco, proche de Puerto Montt, est une colonie fondée par les Espagnols en provenance d'Osorno, rescapés du grand soulèvement indigène de 1602, fonctionnant comme avant-poste de Chiloé mais développant certaines caractéristiques et prérogatives propres (participation des indigènes aux milices par exemple).

      La province de Llanquihue, longtemps une marche vidée de ses habitants par les conflits opposant les espagnols et les indigènes, a été ouverte par le gouvernement comme territoire de colonisation au milieu du XIXe siècle. Les colons allemands et suisses, partant de Puerto Montt, y ont développé l'agriculture et l'élevage commerciaux, avec l'appui de capitaux européens. D'autres tentatives d'implantation de colons à Chiloé n'ont pas toujours connu le même succès 5 .

      Sur la côte pacifique et dans l'estuaire de la rivière qui draine le lac Llanquihue, zones exposées aux intempéries et moins propices à l'agriculture, on trouve les communautés de pêcheurs de Maullín et Carelmapu.

      On a observé au XXe siècle une certaine migration intérieure de populations fuyant la misère et les spoliations de terres en direction des secteurs les moins accessibles de la province de Llanquihue comme de la province de Palena. Cette dernière, à l'écart, n'est accessible que partiellement par la route, et ce depuis seulement quelques années. C'est une zone montagneuse qui est restée longtemps inhabitée, où l'on distingue deux communes côtières, Hualaihué et Chaitén, et deux communes à l'intérieur abritant des postes-frontière, Futaleufu et Palena.

      En fonction des carences locales et des besoins en main d'oeuvre, les habitants de Chiloé vont eux aussi essaimer aussi loin que la Terre de Feu et la côte atlantique de l'Argentine. L'écrivain Francisco Coloane (1910 - 2002) nous a laissé quelques récits impressionnants sur la vie des « puesteros » et chasseurs de phoques du grand sud qu'il a côtoyé dans sa jeunesse 6 .

      Traditionnellement, les activités agricoles sont basées sur la micro-entreprise familiale, une agriculture en mode semi-autarcique basée sur la pomme de terre et le bétail mineur. Sur les côtes de la mer intérieure, un complément important est assuré par la pêche et surtout la récolte de fruits de mer, dont l'exploitation commerciale a vu se développer en parallèle la fréquence des accidents de plongée et de décompression. Consulter par exemple, à ce sujet : Rosas G. J. et al. (2000).

      Des cycles de marée rouge (algues toxiques) viennent compromettre épisodiquement l'équilibre nutritionnel et économique des communautés côtières. Celui des habitants des communes andines est parfois précarisé par les hivers rigoureux. Le recours peu spécialisé à plusieurs sources de nourriture alternatives (agriculture, élevage de bétail mineur, produits de la mer) a toujours été un facteur de sécurité alimentaire dans ce contexte.

      L'exploitation plus ou moins contrôlée des produits de la forêt est très fréquente dans la province de Palena, dans le secteur andin de la province de Llanquihue comme sur le versant pacifique de Llanquihue (« cordillère de la côte »), entraînant ses propres risques spécifiques, de même que les fréquents glissements liés à la forte déclivité des terrains.

      Ces dernières années ont vu un très important essor de l'aquiculture du saumon, à la recherche d'eaux propres sur les côtes de la mer intérieure.

      

Fig. 3.1.1.4: Cages à saumon dans un fjord près de Hualaihué.

      Cet essor s'est accompagné de l'installation de centres de conditionnement du poisson comme d'infrastructures de soutien logistique, mais parfois les infrastructures publiques n'ont pas suivi et se voient surchargées, ce qui est le cas pour les routes et les centres de santé de Chiloé. Les ressources additionnelles (augmentation notable du parc automobile) et le trafic accru de camions ont augmenté de façon remarquable le nombre d'accidents de la route, phénomène que l'on retrouve d'ailleurs globalement dans tout le pays (Annexe 5).

      Il existe à Chiloé d'intéressantes tentatives de diversification des fermes aquicoles, avec la conchyliculture notamment, mais celle-ci ne joue pour l'instant pas encore un rôle de premier plan.

      On assiste parallèlement au développement des activités touristiques, notamment à Puerto Varas et Frutillar (province de Llanquihue). A un tourisme traditionnel de villégiature en janvier, février et mars, sont venues s'ajouter des activités dites « d'écotourisme » et sportives (trekking, rafting, kayaking, randonnées, pêche sportive, etc.) appuyées sur un important réseau de parcs nationaux comme sur l'initiative privée, et exerçant un attrait international.

      Relevons au passage que la vocation touristique de la région a été identifiée et développée en premier lieu par le fils de Kaspar Jakob (Santiago) Roth, Ricardo Roth, qui fonda en 1913 la première entreprise de voyages du pays, Andina del Sud, mettant en valeur l'ancienne voie de transport lacustre vers la pampa argentine qui traverse le lac Todos los Santos.

      

Fig. 3.1.1.5 : Kaspar Jakob (Santiago) Roth (1850 - 1924), de Herisau (Appenzell - Rhodes Extérieures). Paléontologiste et grand explorateur de la Patagonie, il fut élève de Carl Vogt à Genève. Certaines des collections qu'il a réunies se trouvent au Muséum de Zürich.

      On observe récemment aussi une discrète initiative pour développer le tourisme à la ferme à Chiloé et sur les îles, doublée de la mise en valeur des traditions culturelles spécifiques à l'île. Un projet de la Banque Interaméricaine de Développement, qui vise à la potentialisation de la vocation touristique de l'île, est actuellement en cours d'étude.

      Les besoins spécifiques du tourisme, qui recherche une nature préservée et limpide, doivent motiver des choix à faire par rapport à l'exploitation forestière du bois natif, mais aussi par rapport à l'aquiculture intensive du saumon dans un certain nombre de cas.
Cette vocation touristique appuyée sur une croissance viable est mise en exergue dans la stratégie régionale de développement élaborée par le Mideplan.


3.1.2 Les communautés rurales : l'apanage du service public


3.1.2.1 Situation générale

      On peut consulter pour une référence étendue : le profil de santé du pays dans l'annexe 5 de ce travail, une récente description du système de santé du Chili avec la rétrospective des réformes (Manuel A. 2002) et aussi le rapport détaillé du PAHO : Profile of the Health Systems in Chile : http://www.americas.health-sector-reform.org/english/clhmchipr.htm.

      Suite aux réformes des années 80, le système de santé du Chili s'articule sur quatre niveaux de structure (Peppers S. 2001):

  • Le niveau de la régulation est géré par le Ministère de la Santé.
  • Le niveau du financement comprend trois sources : l'Etat, les salariés et les entreprises.
  • Le niveau des assurances comprend quatre secteurs : 1) celui des forces armées, qui couvre entre 3 et 4% de la population ; 2) celui de FONASA, organisme étatique, couvrant 65% de la population ; 3) le secteur des institutions privées (ISAPRES) qui couvrent environ 25% de la population, et 4) le secteur des mutuelles, qui intervient à plusieurs niveaux dans la fourniture de services. La couverture des forces armées et de FONASA revient au secteur public et se finance par des apports directs de l'Etat et par un prélèvement de 7% sur les salaires. Les ISAPRES et les mutuelles appartiennent au secteur privé et se financent aussi, en partie, par un prélèvement sur les salaires. Les mutuelles reçoivent aussi un financement de la part des entreprises.
  • Le niveau de la prestation de services : d'une part on trouve le secteur public, avec les hôpitaux des forces armées, du Service National de Santé, et les centres de soins ambulatoires. D'autre part, on trouve le secteur privé avec des cliniques et des centres de consultations médicales, et les mutuelles avec les cliniques orientées vers les accidents de travail et les maladies professionnelles.

      Selon les méthodes de calcul et les chiffres employés par les différents auteurs, la dépense annuelle totale du secteur privé (4% du PIB) pour 1998 se situait entre 500 et 900 USD per capita, celle du secteur public (2.5% du PIB) se situait entre 210 et 250 USD. La dépense du secteur public a connu un maximum historique en 1973 avec 3.5% du PIB, et un minimum historique pendant les années 80 avec 0.85% (González Dagnino A. 1999). Bon nombre d'observateurs s'accordent à penser que le système public n'a pas retrouvé le niveau de fonctionnement qu'il avait jusqu'au début des années 70.

      En termes de distribution géographique, la totalité des infrastructures médicales -certaines fort modernes et bien équipées- et administratives du système privé se situent dans les centres urbains. Cette situation est liée au fait que le secteur s'est développé selon le principe de l'offre et la demande : C'est dans les agglomérations que se trouve la plus forte proportion de patients solvables en termes de services de santé privés, les catégories dites moyennes à aisées de la population.

      Le reste de la population -et notamment la population rurale- est couverte par le système public, qui a hérité de l'infrastructure vieillissante de l'ancien Service National de Santé. Les soins primaires ont été « municipalisés » lors des reformes de la fin des années 80 et le début des années 80, c'est à dire que la responsabilité formelle des soins primaires et une partie des charges de leur financement ont été transférées aux structures municipales. Les résultats de cette réforme sont mitigés et contestés (voir le chapitre consacré au débat politique actuel), l'accord semble se faire sur le fait que la « création de marché » espérée sur la base d'une subdivision par fonctions et par unités géographiques distinctes n'était pas au rendez-vous.

      En règle générale, plus la commune est rurale, plus la proportion d'affiliés au système public (et des non affiliés, en général indigents, également couverts par le service public) est importante (Fig. 3.1.2.1.1).

      

Fig. 3.1.2.1.1: Population rurale et taux d'affiliation au système public de santé plus non affiliés à aucun système, pour les trois provinces.

      Sur ce graphique, remarquons que les communes côtières et rurales de la province de Llanquihue (Fresia, Maullín, Calbuco, Los Muermos) présentent une proportion supérieure d'affiliés au secteur public, par rapport aux communes rurales de l'île de Chiloé. Trois de ces communes (Fresia, Maullín et Los Muermos) connaissent un exode rural important et une diminution de leur population entre 1992 et 2002 : leurs économies demeurent en marge des transformations économiques que vit la région.

      

Fig. 3.1.2.1.2 : Distribution géographique du taux d'affiliés à FONASA (public) plus divers (indigents) pour les communes où ces données sont disponibles.

      A l'inverse, Puerto Varas et Frutillar sortent du lot en raison d'un nombre important d'affiliés au secteur privé (ISAPRES) : Il s'agit de lieux de villégiature à population aisée et aux activités orientées vers le tertiaire. Les apparences sont trompeuses pourtant : pour Puerto Varas, en raison de l'extension de la commune dans la cordillère (plus de 100 km.) il existe une population rurale de plus de 8000 personnes dont une partie a des conditions d'accès difficiles proches de celles qu'on rencontre un peu plus bas le long de la chaîne andine, à Cochamó, Hualaihué, Chaitén, Futaleufu ou Palena. (voir chap. 2.3)

      En somme, la population rurale se caractérise du point de vue couverture de santé par une immense majorité d'affiliés et dépendants du service public.


3.1.2.2 Profils d'affiliation à FONASA (public) ou aux ISAPRES (privé)

      L'ensemble des corrélations pour la variable « affilié aux services publics » permet de définir un profil-type de l'usager (Tableau 3.1.2.2.a). On remarque en premier lieu qu'il s'agit d'un ensemble de corrélations moyennes à faibles, avec peu d'éléments saillants. Cette population est donc elle-même très diverse ; les éléments spécifiques seront repris dans la discussion plus loin dans le texte. nous remarquons cependant une corrélation inverse avec les paramètres de revenu du foyer, de consommation (possession d'une machine à laver) et d'accès aux services de voirie (égouts). L'affilié-type au système public participe à des réunions sociales, perçoit des subsides et a tendance à se trouver en état de santé moyen, voire souffrant d'un handicap.

      
Tableau 3.1.2.2.a : Corrélations significatives de 'Affilié à FONASA (public)'.
Item Coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N coeff détermination r2
Affilié ISAPRES (privé) -0.565 0.023 16 0.319
Participe à des réunions sociales 0.565 0.023 16 0.319
Subsides en % du revenu 0.547 0.028 16 0.299
1-3.5 km au centre de santé -0.539 0.031 16 0.291
Perception état de santé moyen 0.536 0.033 16 0.287
Pop avec service d'égouts -0.53 0.042 15 0.281
Perception bon état de santé -0.524 0.037 16 0.275
Perception subj d'un handicap 0.522 0.038 16 0.272
Consultations med urg / hab / an -0.513 0.042 16 0.263
Possède une machine à laver -0.51 0.044 16 0.260
Revenu autonome du foyer -0.509 0.044 16 0.259
cs med urg % total cs med -0.503 0.047 16 0.253

      Le profil de l'assuré privé (tableau 3.1.2.2.b) tranche singulièrement avec celui de l'affilié aux services publics : En premier lieu il existe un groupe de corrélations plus fortes et plus significatives, ce qui laisse entrevoir un groupe plus « pointu ». Il y a une forte corrélation avec le niveau de revenu, et une bonne corrélation avec les éléments de consommation, de niveau de vie, et d'équipement (voirie). L'affilié aux ISAPRES se sent en bonne santé, ce qui semble en rapport avec son niveau de consommation, et se trouve de préférence dans les endroits qui sont le but de la migration de la population dans la décennie. Il existe une corrélation inverse avec le taux total d'analphabétisme et le taux d'analphabétisme masculin, mais elle n'est pas aussi significative pour l'analphabétisme féminin, où r = -0.492 avec p=0.053, ce qui peut s'expliquer dans un contexte où le revenu masculin est plus déterminant pour le revenu total du foyer. Relevons que les informations sur la consommation de ressources de santé des affiliés au secteur privé sont absentes dans les séries étudiées.

      
Tableau 3.1.2.2.b : Corrélations significatives de 'Affilié aux ISAPRES (privé)'.
Item coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N Coeff détermination r2
Revenu autonome du foyer 0.823 0 16 0.677
Perception état de santé moyen -0.748 0.001 16 0.560
Perception bon état de santé 0.723 0.002 16 0.523
Percept état de santé moy a mauvais -0.719 0.002 16 0.517
Pop avec service d'égouts 0.691 0.004 15 0.477
Taux de var de la pop 92-02 0.686 0.003 16 0.471
Possède une machine à laver 0.685 0.003 16 0.469
Subsides en % du revenu -0.639 0.008 16 0.408
Analphabétisme (h + f) -0.606 0.013 16 0.367
Affiliés autres -0.595 0.015 16 0.354
Possède un frigo 0.579 0.019 16 0.335
Analphabétisme (hommes) -0.575 0.02 16 0.331
Affilié Fonasa (public) -0.565 0.023 16 0.319
Pop avec eau potable du réseau 0.523 0.046 15 0.274


3.1.2.3 L'offre et la demande des professionnels de santé

      En 1999 (Peppers S. 2001), les 2/3 des heures médicales travaillées l'ont été dans le cadre du système privé, qui offre des rémunérations significativement plus élevées.

      Les salaires proposés par le secteur public étant fort modestes en comparaison, la plupart des médecins actifs dans le secteur public trouvent un complément significatif de revenus grâce à une deuxième activité dans le secteur privé en ville.

      Cette situation rend comparativement peu attirants les postes dans le secteur public de médecine rurale en raison de l'absence de clientèle solvable et de possibilités de revenu complémentaire à la campagne. Objet d'un tournus important, les postes de médecins ruraux restent chroniquement difficiles à pourvoir malgré quelques modestes efforts pour améliorer la compensation. On constate également des difficultés à trouver des travailleurs paramédicaux ruraux qualifiés, notamment des infirmiers et infirmières dont il existe une pénurie dans tout le pays.

      Un enjeu important pour l'amélioration de l'offre de prestations de santé en milieu rural consistera donc en la création d'un ensemble de conditions techniques et pécuniaires qui rendront cette activité plus attirante et stimulante pour les professionnels de santé, se profilant en plein dans un plan de carrière et non comme une solution d'attente.

      Enfin, il est essentiel de tenir compte des différences de présence du secteur privé dans les villes et les campagnes lors de l'interprétation des données : En effet, les différences dans l'offre et la consommation de services de santé entre ville et campagne sont encore plus grandes qu'elles n'apparaissent dans les seules statistiques collectées par le secteur public qui ont été considérées dans le présent travail.


3.1.2.4 Des services publics concentrés en zone urbaine

      Le service national de santé du Chili a été conçu et développé autour de méthodes centralisées et des hiérarchies pyramidales caractéristiques de la première moitié du XXe siècle, comme un peu partout ailleurs dans le monde. L'idée fondamentale derrière ce type d'organisation est de réaliser une concentration optimale des ressources lourdes et onéreuses dans quelques centres, permettant en principe une optimisation et une rationalisation de leur emploi. Les spécialistes s'activent essentiellement dans les grands centres hospitaliers, les patients sont « triés » dans des centres périphériques avec un équipement relativement léger. Il y a relativement peu d'échanges entre les différentes structures périphériques de même niveau. Il existe aussi un clivage entre structures périphériques municipales et structures centrales dépendant des services de santé régionaux, interface où les tensions peuvent s'accumuler.
Le rôle du généraliste se cantonne souvent dans le suivi du patient et les consultations de médecine préventive, le patient étant fréquemment référé au spécialiste pour des questions spécifiques. Ces dernières années ont vu l'essor en prestige et en capacité de gain des spécialités, en raison inverse du devenir des généralistes.

      La présence du système national de santé dans les zones rurales est assurée par des infirmeries et postes de soins visités périodiquement par des équipes tournantes multidisciplinaires qui assurent les contrôles de base (médecine préventive, contrôles des traitements, contrôles gynécologiques assurés par les sage-femmes, surveillance nutritionnelle et pédiatrique...).

      

Fig. 3.1.2.4.1 : Organisation schématique du système de soins en périphérie.

      Le système de santé a toujours mis l'accent sur la prise en charge des femmes enceintes et des enfants. De ce fait la collecte des données sur l'état de santé de ces catégories est apparemment la plus régulière, et dans nombre de cas la principale source de renseignements disponible.

      Bien entendu, la structure pyramidale de l'ancien Service National de la Santé a rendu d'importants services dans la lutte contre les maladies infectieuses notamment, mais ses limites et sa rigidité sont apparues de plus en plus évidentes au fil du temps, alors que le système connaît encore de sérieux déboires de financement. En outre, la nécessité d'adresser fréquemment les patients à des centres urbains de grande taille (et les séjours qui y sont liés) pose de véritables problèmes aux familles dans les zones rurales.

      Nous n'écrirons pas à nouveau ici l'histoire des problèmes intrinsèques à la centralisation et la taille même des Centres Hospitaliers, mais la nécessité de nouvelles solutions se fait de plus en plus sentir.


3.1.3 La crise des hôpitaux et du système public

      Le secteur privé, en expansion jusqu'en 1996, a vu sa part reculer depuis : on assiste à ce que certains ont appelé « le grand retour du service public ». Entre 1998 et 2000 l'affiliation au secteur public a augmenté de 10%. (Fig. 3.1.3.1)

      

Fig. 3.1.3.1: Evolution de la couverture de la population selon le système de soins et de prévoyance, 1990 - 2000.

      Cette situation peut s'expliquer par le fait que la crise économique, qui sévit depuis 1997, a amené un nombre considérable d'anciens affiliés du secteur privé à résilier leurs assurances privées et à s'inscrire dans le secteur public, moins onéreux, entraînant une surcharge supplémentaire des services publics de santé doublée d'une perception accrue de la nécessité de pallier leur inadéquation. La transition au secteur public a surtout touché la tranche de la population avec des revenus bas (2e quintile en particulier).

      L'Etat a progressivement refinancé le secteur public de santé depuis une dizaine d'années (augmentation de la dépense budgétaire de 226.4% entre 1989 et 2000, et de la dépense publique de 135.4% pour la même période).

      Toutefois, nombre d'hôpitaux publics ont accumulé des dettes significatives ces dernières années, la consommation de services dépassant les prévisions et les budgets. Des efforts récents pour rétablir rapidement l'équilibre budgétaire et résorber la dette des hôpitaux ont entraîné des problèmes de carences aiguës en médicaments et en services, notamment à Chiloé, dans un contexte de conflits internes.

      Il est fréquemment reproché aux hôpitaux du système public de ne pas avoir augmenté leur qualité et leur offre de prestations proportionnellement aux augmentations du budget de santé ces dix dernières années. Certes la situation de départ était un système public sévèrement sous-financé, mais des questions organisationnelles en rapport avec la taille et l'ancienneté des structures pourraient aussi avoir joué (et continuer à jouer) un rôle important dans cette problématique.

      Il n'y a pas eu de grands investissements dans l'infrastructure hospitalière publique du pays depuis la fin des années 60. Un hôpital comme celui de Puerto Montt, conçu initialement pour couvrir une population d'environ 70 000 habitants, en couvre aujourd'hui presque trois fois plus, sans extension des installations proportionnelle à cette augmentation. La situation pour l'hôpital de Quellón, plus récent, n'est guère différente, du fait des mouvements de population que connaît ce secteur. Le nécessaire renouvellement des structures et du matériel pose des problèmes considérables de financement, non résolus à l'heure actuelle, et incite à rechercher de nouveaux concepts pour diminuer la charge des structures centralisées que sont les hôpitaux publics.

      Il faut retenir que nous trouverons une offre diversifiée en assurances et en services médicaux privés dans les villes « riches » de la région - Puerto Varas, Puerto Montt et dans une moindre mesure Castro. Ces deux derniers centres constituent également des concentrateurs pour les consultations de deuxième niveau (spécialités) et pour les prestations médicales et paramédicales techniquement avancées du service public.

      Nous allons nous concentrer essentiellement ce travail sur les caractéristiques du reste du territoire -les zones rurales, sur lesquelles existe paradoxalement un niveau d'information plus complet du fait de la présence sur le terrain d'une seule catégorie d'acteurs de santé, les services publics.


3.1.4 Aperçu du débat actuel sur la réforme de santé au Chili

      Il règne autour du thème de la réforme du système de santé un débat assez riche et extrêmement contradictoire. Sans prétention à l'exhaustivité, nous en présentons ici quelques lignes directrices, car les discours en disent autant sur l'état de l'imaginaire social des différents partenaires que sur les problèmes rencontrés.


3.1.4.1 L'espoir toujours élusif des économistes: subdiviser pour créer des marchés

      Nous avons suggéré (Annexe 5) qu'au cours des années 40 et 50, la mise en place du Service national de santé, de conception monolithique, couplée à une importante diminution de la mortalité, a profondément et durablement marqué la culture médicale et institutionnelle du pays.

      La proposition d'une forme ou une autre de « décentralisation » du système de santé chilien (en général se rapportant à une régionalisation administrative comme à la séparation des fonctions d'acheteur de services, prestataire de services et assureur) n'est pas une affaire nouvelle. Les réformes entreprises sous la dictature militaire ont cherché à la fois à promouvoir le développement d'un secteur privé des assurances et des services, et à séparer les fonctions du système public de santé en des composantes distinctes et indépendantes censées promouvoir l'efficacité par le recours à la concurrence de marché. Sur cet aspect, ont notamment été mises en oeuvre:

  1. Une subdivision géographique : en services régionaux, actuellement plutôt bien passée dans les moeurs, et, pour les soins primaires, en services municipaux, jamais entièrement satisfaisante et source de divers problèmes allant de la pauvreté de possibilités de carrière pour les fonctionnaires à une incapacité pour l'immense majorité des communes de financer de façon autonome la charge de leurs services de santé.
  2. Une subdivision par fonctions, séparant les prestataires de soins (hôpitaux et centres de soins) et la caisse d'assurance (FONASA).

      Les économistes ont émis eux-mêmes quelques analyses fort pertinentes (voir p. ex. Beteta et coll. 1999) sur les causes de l'échec relatif qu'ont connu ces « décentralisations » dans la pratique. Une culture administrative centralisatrice, l'opposition des milieux médicaux comme de certaines tendances dans l'administration des militaires, le déficit quasi universel de compétences en périphérie, l'imposition unilatérale d'un « modèle » sans la moindre analyse et sans concertation préalable sont notamment des éléments qui, d'après ces auteurs, ont contribué à maintenir la centralisation dans les faits 7 . Toujours selon le point de vue des mêmes cercles, le système devrait poursuivre sur la voie conjointe de la décentralisation géographique et de la séparation des fonctions, tout en développant un effort majeur de formation, de responsabilisation et d'évaluation de ses acteurs. La centralisation devrait cependant être conservée dans les domaines de la planification et des achats, et la concurrence entre fournisseurs de soins est identifiée non plus comme une panacée, mais comme une source potentielle de coûts additionnels dans certaines circonstances.

      On est fort tenté d'imaginer que chaque expert projette sur le domaine de la santé les doctrines et les structures de pensée qui lui sont familières, et pour les économistes il s'agit bien toujours du modèle de marché. Mais visiblement les tenants de la « création de marché » ont mis un peu d'eau dans leur vin suite à leurs expériences passées. On peut toujours s'étonner du fait que la question centrale du sous-financement du secteur public ne prenne pas plus de place dans leurs considérations.


3.1.4.2 Les tenants de la centralisation

      Le collège des médecins du Chili (largement dépourvu de ses anciens pouvoirs disciplinaires depuis les années 80) présente sa propre analyse de la situation et des réformes à apporter au système de santé (http://www.colegiomedico.cl/documentos/reforma/ausan.htm). Outre l'inscription dans la constitution du droit à la santé pour tous et la stigmatisation de la profonde inéquité du système actuel, les propositions s'orientent notamment dans le sens de la constitution d'un Fonds commun de la santé, financé par des prélèvements sur toutes les cotisations obligatoires (affiliés des ISAPRES y compris), la suppression des subventions explicites ou implicites au secteur privé et un plus grand contrôle des pratiques de ce dernier, l'augmentation de la dépense du secteur public à concurrence de 7% du PIB, avec renforcement général de la dotation en personnel et en matériel de tous les échelons du système de santé: le sous-financement du système de santé public est mis en exergue, au premier plan des diverses causes des dysfonctions qu'on y observe. La décentralisation géographique en 29 services de santé est reconnue et classée parmi les atouts du système, mais par ailleurs les questions de décentralisation fonctionnelle et organisationnelle sont loin d'être au premier plan dans les propositions avancées par cette organisation elle-même héritière d'une culture passablement centraliste et hiérarchisée.


3.1.4.3 La participation citoyenne?

      Il est intéressant de remarquer que Beteta et coll. parlent de « la nécessité d'incorporer la participation sociale dans la conception des reformes », et le collège des médecins évoque la « claire insuffisance de la participation de la communauté dans tous les aspects », sans toutefois définir les éléments nécessaires, d'après leurs points de vue respectifs, à augmenter la participation de la communauté. Figure de rhétorique ou préoccupation réelle pour une question centrale non résolue par une tradition de débats en cercle réduit en l'absence d'une culture participative? Les services de santé du premier niveau, municipaux sur le papier, continuent de fonctionner essentiellement grâce aux appoints faits par le fisc au budget municipal. La capacité de financer localement les services locaux existe-t-elle dans la réalité actuelle? Certainement pas pour l'instant.


3.1.4.4 Le plan de réforme du gouvernement

      Le gouvernement propose un plan de réforme orienté notamment vers l'établissement de garanties explicites (AUGE http://www.minsal.cl/sitionuevo/AUGE/proyectoley.htm) - de couverture, de soins et de délais maximaux de prise en charge - pour une liste finie d'affections jugées particulièrement sensibles et coûteuses. Le plan prévoit aussi un renforcement du niveau primaire, appelé « nouveau modèle de soins », comportant une forte composante de médecine préventive et « des soins primaires avec une haute capacité de résolution de problèmes, et la capacité pour résoudre bon nombre des urgences ; la prise en charge permanente des affections au niveau de complexité le plus adapté et intégré dans le réseau de soins ». L'accent est également mis sur le développement de la prise en charge ambulatoire dans les niveaux secondaire et tertiaire de soins. (ce qui n'irait pas sans quelques conséquences pour les populations rurales). Il est également question d'une amélioration de la gestion des ressources, avec notamment « augmentation de la flexibilité dans la gestion des ressources humaines », et d'un renforcement général du contrôle et de la standardisation des prestations, en s'appuyant sur des études coût-bénéfice, coût-utilité et coût-efficacité. Les programmes d'appui de la santé seront « evidence-based » et appuyés par des études coût-efficacité.

      Le recours à l'achat de prestations au secteur privé est envisagé chaque fois que le secteur public ne sera pas à même de fournir une prise en charge dans un délai donné. Comme dans l'approche du collège des médecins, mais de façon moins appuyée, il est également prévu d'exercer un plus grand contrôle des activités du secteur privé (ISAPRES), et de supprimer les subventions qu'il reçoit.


3.1.4.5 Les critiques du collège des médecins

      Le collège des médecins s'est violemment opposé à cette approche qualifiée d'« inspiration HMO » et de « modèle cybernétique » http://www.colegiomedico.cl/documentos/reforma/rechazo.htm . Nombre de critiques portent sur les limitations imposées à l'autonomie de décision professionnelle par le plan du gouvernement, le caractère limité de la liste de pathologies qui seront garanties, les rigidités et inefficiences qu'une telle proposition peut introduire dans la pratique quotidienne, et le devenir des personnes souffrant de pathologies non comprises dans la liste. Ces inquiétudes semblent partagées par au moins une partie du public, qui s'estime d'ailleurs mal informé sur la nature et le contenu de la réforme en dépit de la campagne d'information organisée par le gouvernement.


3.1.4.6 Le point de vue des médecins généralistes de zone

      Les critiques émises par l'association des médecins généralistes de zone (la base de la médecine rurale) ne sont pas moins dures. D'après l'analyse qu'ils ont publiée sur la réforme proposée par le gouvernement (http://www.mgz.cl/docs/augemarco.htm) les hôpitaux ruraux (dits de type 4) « ne bénéficieront pas de la réforme puisque l'essentiel du plan AUGE concerne des centres de plus grande complexité... par conséquent les conditions de précarité économique qui règnent dans les hôpitaux ruraux vont perdurer ». Des inquiétudes sont clairement exprimées quant aux effets de la volonté de rationalisation des hospitalisations « de nombreuses hospitalisations étant motivées non seulement par des critères strictement scientifiques, mais aussi par des critères de ruralité qui ont permis de sauver beaucoup de vies humaines ». Dans un autre document, (http://www.mgz.cl/protestaauge.htm) la présidente de l'association affirme que « Les centres d'assistance où les médecins généralistes de zone sont amenés à exercer leur activité ne disposent pas des instruments de diagnostic adéquats pour contribuer à la détection de certaines affections incluses dans le plan AUGE, comme par exemple l'infarctus du myocarde ». La réforme, selon elle « aggravera encore plus les inégalités dans le système de santé». De fait, les médecins généralistes de zone se sont lancés, comme les autres professionnels de la santé, dans un mouvement de protestations et de débrayages orientés contre le plan de réforme du gouvernement.


3.1.4.7 Une opinion indépendante

      A. González Dagnino (1999) souligne qu'il importe d'augmenter progressivement le financement du secteur public jusqu'à concurrence de 6% du PIB en 2010, afin de se donner les moyens réels de corriger les importantes inégalités dans l'accès aux soins et dans les risques spécifiques de mortalité et de morbidité, « immoralité profonde » du système actuel.

      Il est d'avis que le système de santé, autant dans le secteur public que dans le secteur privé, doit, pour évoluer, passer d'une organisation par activités à une organisation par résolution de problèmes. En outre, d'après cet auteur, l'ancien Service national de santé aurait fonctionné avec une orientation par résolution de problèmes dans les années 60 et jusqu'en 1976, avec un succès non négligeable. Le passage d'un service orienté par activités à un service orienté par problèmes implique des changements structurels, fonctionnels et de mentalité. « La structure actuelle des services de santé chiliens, en particulier le service public, s'organise selon l'ancien modèle weberien, hiérarchique et autoritaire. Ce schéma a périclité dans les années 50, empêche ou gêne la coordination horizontale, bloque la coordination multiple, et présuppose une pyramide des connaissances : à savoir, que ceux qui se situent dans les niveaux plus élevés de la pyramide possèdent plus de connaissances que ceux qui se situent à la base et exécutent des tâches plus simples. Ce système a bien fonctionné jusqu'à la période qui a suivi la deuxième guerre mondiale, avant que la révolution scientifique-technique, qui est aussi une révolution des connaissances, ne déploie ses effets. Dans les services de santé, cette dernière a signifié -et nous pouvons l'observer chaque jour- que les tâches exécutées à la base ont acquis des niveaux croissants de complexité, requérant de nouvelles connaissances et l'emploi de technologies complexes... Ces connaissances précises, profondes, consommatrices de haute technologie, deviennent de moins en moins nécessaires lorsqu'on s'élève dans la pyramide administrative des services, et ceci au point qu'au sommet, au Ministère de la Santé, l'on n'a même pas besoin de savoir quoi que ce soit sur la santé. En bref : la pyramide des connaissances s'est inversée. Cette contradiction, une pyramide de pouvoir assise sur la base, et une pyramide de connaissances au-dessus d'elle, est la cause des conflits, frictions et frustrations qui affectent les travailleurs de la santé dans les hôpitaux et les centres de santé, et elle est un obstacle au développement des services. De fait, aujourd'hui, le sommet hiérarchique de la pyramide opère comme un frein pour la base. Le schéma pyramidal weberien, avec sa chaîne de commandement verticale, s'oppose à la participation, à l'initiative et à la coordination, ainsi qu'à l'action intersectorielle, comme le reconnaissent tous les théoriciens modernes de l'administration. Il est devenu inadapté à la complexité du travail dans les institutions modernes, où la connaissance et l'habilité technique des exécutants, ainsi que leur bonne volonté et leur enthousiasme, sont déterminantes pour le succès. Dans les institutions de santé, il est nécessaire de formuler d'autres structures organisationnelles qui relèguent aux oubliettes la chaîne de commandement du schéma weberien... Il sera nécessaire de modifier graduellement le schéma autoritaire qui nous régit (expression de l'autoritarisme de la société chilienne) par un schéma de coordination multiple et de direction vers des objectifs de santé, où la participation fonctionnaire et citoyenne devienne une composante à part entière de l'organisation et indispensable à son fonctionnement (dans le schéma weberien, la participation n'est pas nécessaire, elle gêne plutôt, et lorsqu'on intente de l'implanter elle ne dure pas ».

      L'auteur défend ensuite le principe de l'application des matrices bidimensionnelles à la résolution de problèmes organisationnels. Plus loin, il souligne l'importance de l'adoption massive des principes de l'épidémiologie clinique et défend le principe de l'introduction des recommandations « garantie pour les patients d'être traités avec les meilleures méthodes que la science puisse leur apporter à un moment donné ; par ailleurs, la protocolisation résout une bonne partie des questions de référence et contre-référence, facilitant le fonctionnement en réseau».

      En ce qui concerne les soins de premier niveau : « Les soins primaires devront recueillir le grand héritage d'Alma Ata : rapprocher la santé de la population, là où se trouvent les risques de tomber malade et de mourir... la technologie de demain passera, d'une matière maniée par les spécialistes dans sa phase d'introduction, à des procédures de pratique générale dans une étape ultérieure... dans la mesure où les spécialités se développent de façon de plus en plus complexe, atteignant de nouveaux niveaux d'action efficace, elles transfèrent des procédures au généraliste. De ce fait, le généraliste devra exister dans le nouveau système de santé... en accroissant en permanence son niveau d'action et sa capacité technologique. Le système de soins primaire devra aussi prendre en charge le généraliste et lui fournir la formation pour résoudre de plus en plus de problèmes de santé ».

      Nous ne pouvons qu'applaudir à la clairvoyance de cet auteur, dont la justesse de pensée dépasse le contexte strictement local..


3.1.5 La ruralité


3.1.5.1 Une répartition inégale

      
Tableau 3.1.5.1.a : Population urbaine et rurale pour les trois régions.
  Population Urbaine Population Rurale Population totale (2001) % population rurale
Prov. Llanquihue 215'735 97'440 313'175 31%
Prov. Chiloé 86'820 67'259 154'079 44%
Prov. Palena 7'568 13'231 20'799 64%

      Les trois provinces comportent une population rurale nettement au-dessus de la moyenne nationale tout en affichant des différences. La province de Llanquihue, avec la capitale régionale, Puerto Montt, comporte de loin la population la plus importante et la plus urbaine. L'île de Chiloé et la province de Palena affichent un caractère rural plus marqué. (Fig. 3.1.5.1.1)

      

Fig. 3.1.5.1.1: Répartition géographique du taux de population rurale pour les provinces de Llanquihue, Chiloé et Palena.

      En pratique, pour les trois provinces, seules huit municipalités (Puerto Montt, Castro, Puerto Varas, Llanquihue, Futaleufu, Quellón et Chaitén) affichent une population urbaine supérieure à 50% (Annexe 4, Fig. 3.1.5.1.2).


3.1.5.2 Profil de la population rurale

      La ruralité apparaît (tableau 3.1.5.2.a) comme un paramètre riche en connexions et en sens : La population rurale a notamment peu accès aux services d'infrastructure, consulte peu le médecin en urgence mais voit des paramédicaux à la place (offre), reçoit des subsides, est peu intégrée au système de consommation et a un revenu autonome bas, se remarque par un niveau d'analphabétisme et de faible réussite au bac, compte plus de personnes âgées en son sein, souffre d'un exode rural. L'associativité dans les campagnes est plus importante qu'en ville.

      
Tableau 3.1.5.2.a : Corrélations significatives de 'taux de population rurale'.
Item coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N Coeff détermination r2
Pop avec eau potable réseau -0.854 0 22 0.729
Subsides en % du revenu 0.795 0 16 0.632
Pop avec service d'égouts -0.79 0 22 0.624
Consultations de med en urgence -0.784 0 23 0.615
Subsides 0.748 0.001 16 0.560
Analphabétisme femmes 0.725 0.001 16 0.526
Analphabétisme h+f 0.725 0.001 16 0.526
Possède un frigo -0.718 0.002 16 0.516
Possède une machine à laver -0.687 0.003 16 0.472
Taux d'organisation communautaire 0.683 0.003 17 0.466
65 ans et plus 0.656 0.001 23 0.430
% des urgences dans toutes les consultations med et paramed -0.608 0.002 23 0.370
Analphabétisme hommes 0.56 0.024 16 0.314
Revenu autonome du foyer -0.549 0.028 16 0.301
Consultations de médecin en urgence / hab / an -0.548 0.007 23 0.300
Taux de variation de la population 1992-2002 -0.529 0.01 23 0.280
1-3.5 km au centre de santé le plus proche -0.521 0.039 16 0.271
Toutes cons paramédicales / hab / an 0.511 0.013 23 0.261
taux d'eleves plus de 450 pts au bac -0.501 0.041 17 0.251
cs paramed prev / hab / an 0.482 0.02 23 0.232


3.1.6 Ruralité n'égale pas nécessairement pauvreté

      

Fig. 3.1.6.1 : Distribution géographique des valeurs par commune de l'index d'indigence rurale, de l'index de pauvreté du Fonds commun des municipalités, et de l'IPH (Index de pauvreté humaine).

      Certes les secteurs ruraux comportent fréquemment des indicateurs de pauvreté plus marqués que ceux des secteurs urbains, comme cela a été établi à niveau national (enquêtes CASEN), mais cela n'est pas toujours le cas. Pour chaque commune, il existe en outre des différences assez importantes selon les indicateurs utilisés. La mesure objective du paramètre « pauvreté » reste classiquement élusive, et elle peut varier énormément en fonction des critères retenus et, bien entendu, ce qu'on cherche à démontrer (Fig. 3.1.6.1, Tableau 3.1.6.a).

      Tableau 3.1.6.a : Les 7 communes les plus touchées par la pauvreté, selon les indicateurs retenus 8 .

      
Index indigence rurale IPH % pop sous le seuil de pauvreté Index de pauvreté FCM
QUEMCHI HUALAIHUÉ MAULLÍN QUEMCHI
CURACO de VELEZ PALENA LOS MUERMOS PUQUELDÓN
QUEILEN MAULLÍN FRESIA QUEILEN
QUINCHAO FUTALEUFU PUERTO MONTT HUALAIHUÉ
CHAITEN COCHAMÓ ANCUD CURACO de VELEZ
QUELLÓN CALBUCO PUERTO VARAS DALCAHUE
CHONCHI QUELLÓN HUALAIHUÉ CALBUCO


3.1.6.1 L'index d'indigence rurale

      

Fig. 3.1.6.1.1: Index d'indigence rurale et population rurale pour les communes des trois provinces.

      Avec l'Index d'indigence rurale, on peut distinguer trois catégories de communautés rurales (fig. 3.1.6.1.1):

  • Des communes rurales avec un index d'indigence rurale réduit ou égal à celui des communes urbaines : Palena, Puqueldón, Cochamó, Los Muermos, Maullín, Fresia, Frutillar. La majorité de ces communes est située dans la province de Llanquihue, une seule constitue l'exception sur l'île de Chiloé.
  • Des communes rurales avec un index d'indigence intermédiaire à élevé : Chaitén, Hualaihué, Calbuco, Dalcahue, Chonchi, Quellón Ces trois dernières sur l'île de Chiloé, Calbuco sur la région côtière proche de Puerto Montt, Chaitén et Hualaihué étant les deux communes côtières de la province de Palena.
  • Des communes rurales avec un index d'indigence très élevé : Quinchao, Queilén, Quemchi, Curaco de Vélez, toutes situées sur l'île de Chiloé.

      L'index d'indigence rurale est fortement corrélé aux subsides attribués (voir le chapitre 5, consacré aux subsides et allocations), inversement corrélé aux paramètres de consommation et d'accès aux services. Le rapport avec l'analphabétisme féminin est frappant. On remarque que cette population à risque est mal couverte par le programme de dépistage du cancer du col utérin. On la trouve volontiers dans les endroits éloignés difficiles d'accès (qui accentuent le recours à une agriculture d'autosubsistance). On recourt aux consultations paramédicales vu l'absence de médecins en dehors des tournées des équipes mobiles. Il existe une corrélation passable avec l'index de pauvreté du Fonds commun des municipalités. Par contre, la corrélation avec le taux de population vivant sous le seuil de pauvreté est médiocre et à la limite du significatif, nous l'avons ajoutée pour référence. Il n'y a pas de corrélation avec l'IPH ni avec le taux de population vivant sous le seuil de pauvreté.

      
Tableau 3.1.6.1.a : Corrélations significatives de 'index d'indigence rurale'.
Item coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N coeff détermination r2
Subsides 0.858 0 16 0.736
Possède une machine à laver -0.713 0.002 16 0.508
Subsides en % du revenu 0.709 0.002 16 0.503
Possède un frigo -0.654 0.006 16 0.428
Index de pauvreté FCM 99 0.631 0.001 23 0.398
Analphabétisme féminin 0.567 0.022 16 0.321
PAP dans les 3 dernières années % -0.556 0.025 16 0.309
Coefficient de difficulté d'acces 0.55 0.007 23 0.303
Pop se définissant comme indigène 0.544 0.029 16 0.296
Taux de pop avec eau potable du réseau -0.495 0.019 22 0.245
% pop sous seuil de pauvreté -0.493 0.052 16 0.243
Taux de pop avec service d'égouts -0.488 0.021 22 0.238
cs paramed urgence / hab / an 0.486 0.019 23 0.236


3.1.6.2 L'Index de pauvreté humaine (IPH)

      La méthodologie de calcul de l'IPH se trouve résumée dans la section 2.1. page 10.

      Parmi les différents indicateurs de pauvreté, l'IPH est le moins « connecté » en termes de corrélations (tableau 3.1.6.2.a). A part le taux de population sous le seuil de pauvreté, il n'y a notamment pas de corrélation avec l'indicateur de pauvreté du FCM, ni avec l'index d'indigence rurale. Comme dans le cas de l'index de pauvreté rurale, mais à un moindre degré, l'IPH est corrélé aux paramètres d'éloignement.

      
Tableau 3.1.6.2.a : Corrélations significatives de 'IPH' (Index de Pauvreté Humaine).
Item coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N coeff détermination r2
taux de population sous le seuil de pauvreté 0.635 0.008 16 0.403
consultations programme de la femme / hab / an -0.557 0.006 23 0.310
coefficient de difficulté d'accès x distance x pop 0.504 0.014 23 0.254
consultations paramédicales urgence / hab /an -0.477 0.021 23 0.228
% des urgences dans toutes les consultations, médicales et paramédicales -0.477 0.021 23 0.228
coefficient de difficulté d'accès x distance 0.471 0.023 23 0.222
mortalité brute p 1000 -0.469 0.024 23 0.220

      

Fig. 3.1.6.2.1: Index de pauvreté humaine et pourcentage de population rurale pour les communes des trois provinces.

      Pour un IPH donné on peut tout aussi bien trouver des villes que des communes très rurales. Pour un taux donné de population rurale, on trouve des IPH très différents (Fig. 3.1.6.2.1).


3.1.6.3 Le taux de population vivant sous le seuil de pauvreté

      La même constatation (absence de corrélation avec le niveau de ruralité de la commune) peut être faite pour le taux de population vivant sous le seuil de pauvreté, pour laquelle la série est malheureusement incomplète. (Annexe 4, Fig. 3.1.6.3.1). Le 'seuil de pauvreté' demeure une mesure critiquée, la valeur retenue pour le panier minimal est jugée trop basse par ses détracteurs. Voici une population plutôt jeune, qui consulte peu et semble peu atteinte par les actions de médecine préventive. Le revenu municipal total (composé en grande partie de subventions) varie en sens inverse au taux de population vivant sous le seuil de pauvreté.

      
Tableau 3.1.6.3.a : Corrélations significatives de 'taux de population vivant sous le seuil de pauvreté'.
Item coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N coeff détermination r2
Revenu municipal total par habitant -0.691 0.003 16 0.477
IPH 0.635 0.008 16 0.403
total cs med et paramed / hab / an -0.635 0.008 16 0.403
consultations méd prev / affiliés fonasa + indigents / an -0.621 0.01 16 0.386
total cs med+paramed préventives / aff fonasa + indigents / an -0.616 0.011 16 0.379
taux 65 ans et plus -0.615 0.011 16 0.378
cs paramed urgence / hab / an -0.574 0.02 16 0.329
analphabétisme sex ratio (h/f) 0.553 0.026 16 0.306
cs medecin prev / hab / an -0.547 0.028 16 0.299
total cons paramed / hab / an -0.516 0.041 16 0.266
Retard de croissance -0.502 0.047 16 0.252
mortalité brute pour 1000 -0.497 0.05 16 0.247
index d'indigence rurale -0.493 0.052 16 0.243

      L'IPH et le pourcentage de la population vivant sous le seuil de pauvreté évoluent dans le même sens. (Fig. 3.1.6.3.2)

      

Fig. 3.1.6.3.2: Index de pauvreté humaine et pourcentage de la population vivant sous le seuil de pauvreté.

      La pauvreté n'est pas systématiquement l'apanage des communes rurales. Les communes urbaines se trouvent au-dessus de la médiane à cet égard.

      On trouve en bas à gauche (Fig. 3.1.6.3.2) des communes très rurales avec un minimum de population vivant dans la pauvreté : Curaco de Vélez, Dalcahue, Quinchao. La ville de Castro affiche également une faible proportion de pauvres avec ces indicateurs. Frutillar apparaît toujours comme un lieu de villégiature où l'on trouve relativement peu de pauvres.

      

Fig. 3.1.6.3.3 : Répartition géographique des taux de population vivant sous le seuil de pauvreté.

      On remarque que les principales communes urbaines (Ancud, Puerto Montt, Puerto Varas) contiennent une plus grande proportion de pauvres que bon nombre de communes rurales de Chiloé (Fig. 3.1.6.3.3). Il y a là un indice possible d'exode rural à l'oeuvre, par attraction des plus démunis vers les centres urbains.

      Les communautés côtières des provinces de Llanquihue et Palena (Calbuco, Los Muermos, Maullín, Hualaihué) montrent également un pourcentage élevé de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, et ce phénomène culmine dans le village de pêcheurs de Maullín, probablement non sans rapport avec la crise actuelle de la pêche artisanale et la sévère limitation des zones de récolte des fruits de mer liées à la présence de marée rouge.

      Curieusement l'Index d'indigence rurale ne se corrèle pas du tout avec l'Index de Pauvreté Humaine : difficile en tout cas de distinguer une tendance, mis à part le fait que les villes sont regroupées dans les bas index, la province de Llanquihue montrerait plutôt un IPH élevé, alors que dans le cas de l'île de Chiloé c'est l'index d'indigence rurale qui est élevé. (Fig. 3.1.6.3.4)

      

Fig. 3.1.6.3.4: Index de pauvreté humaine (IPH) et index d'indigence rurale.


3.1.6.4 L'index de pauvreté du Fonds Commun des Municipalités (FCM)

      En termes de répartition géographique (Fig. 3.1.6.1), les plus hauts index de pauvreté du FCM se trouvent dans les communes de Chiloé central-septentrional (Quemchi, Puqueldón, Queilén, Curaco de Vélez, Dalcahue, Chonchi, Ancud), les communes andines qui leur fait pendant (Hualaihué, Cochamó) et Calbuco. Les communes de la province de Llanquihue affichent des valeurs intermédiaires similaires à celles des communes urbaines, et les deux communes les moins touchées sont les deux postes-frontières de Futaleufu et Palena. Nous allons voir plus loin que ces communautés territoriales sont celles qui présentent les plus gros budgets municipaux grâce aux subsides.

      L'index de pauvreté FCM est de loin l'indicateur de pauvreté le plus parlant en termes de corrélations avec d'autres paramètres dans la présente étude (Tableau 3.1.6.4.a). Il présente des corrélation négatives avec des paramètres de consommation, de revenu et d'accès aux services, avec le budget municipal total, ainsi qu'avec le nombre de consultations médicales qu'elles soient en urgence, préventives ou pour maladie. Il présente aussi des corrélations positives avec l'index d'indigence rurale et les subsides, l'analphabétisme féminin et la participation à des réunions sociales.

      
Tableau 3.1.6.4.a : Corrélations significatives de 'Index de pauvreté FCM 99'.
Item Coeff corrélation r (Pearson) P (2-tail) N coeff détermination r2
Possède une machine à laver -0.788 0 16 0.621
Subsides en % du revenu 0.783 0 16 0.613
Subsides 0.741 0.001 16 0.549
Toutes cons medecin / hab /an -0.689 0 23 0.475
Possède un frigo -0.645 0.007 16 0.416
Index d'indigence rurale 0.631 0.001 23 0.398
Revenu autonome du foyer -0.605 0.013 16 0.366
Taux de pop avec eau potable du réseau -0.576 0.005 22 0.332
Cs medecin maladie / hab / an -0.574 0.004 23 0.329
Taux analphabétisme femmes 0.567 0.022 16 0.321
Cs medecin prev / hab / an -0.549 0.007 23 0.301
Cs medecin urgence / hab / an -0.522 0.011 23 0.272
Taux de pop participant à des réunions sociales 0.513 0.042 16 0.263
Taux de pop avec service d'égouts -0.493 0.02 22 0.243
Cs paramed urgence / hab /an 0.483 0.02 23 0.233
Total cs med et paramed / hab / an -0.459 0.027 23 0.211
Consultations programme de la femme / hab / an 0.456 0.029 23 0.208
Revenu municipal total par habitant -0.44 0.04 22 0.194


3.1.6.5 Synthèse sur les indicateurs de pauvreté

      Les divergences, voire contradictions entre les différents indicateurs de pauvreté soulignent la complexité et la diversité des réalités locales autant que la difficulté à mesurer un paramètre dont les définitions, les significations, la portée et l'emploi suscitent énormément de controverses, ceci d'autant plus qu'il se trouve au coeur même de la redéfinition des doctrines et politiques qui ont remplacé l'assistance au développement. (voir Mestrum F. 2002)

      Selon les enquêtes du Mideplan (profil occupationnel des foyers ruraux indigents, 1998) « Les foyers ruraux ne sont pas seulement hétérogènes, mais ils montrent des variations spécifiques au site. Toute intervention d'appui devra tenir compte de ces spécificités ».

      Afin de faciliter les comparaisons à l'avenir, il serait peut-être souhaitable de les compléter par l'Index de développement humain (IDH ou HDI) du PNUD.


3.2 Données démographiques


3.2.1 Les mouvements de population


3.2.1.1 Un exode qui n'est pas toujours rural

      Les mouvements de population exercent une influence importante (et pas toujours prévue ni planifiée) sur les besoins sanitaires et en infrastructures.Ils sont présents dans les trois provinces considérées : la variation de la population dans certaines communes présente des écarts avec le taux de croissance naturelle du pays, qui a été de l'ordre de 12% pour la décennie. Dans l'ensemble, les provinces de Llanquihue et de Chiloé ont connu un solde migratoire positif, alors que la province de Palena a perdu des habitants.

      

Fig. 3.2.1.1.1 : Distribution géographique du taux de variation de population par commune.

      

Fig. 3.2.1.1.2 : Taux de population rurale et écart entre le taux national d'accroissement naturel de la population 1992-2002 et le taux de variation de la population observé dans les différentes communes pendant la même période (approximation du solde migratoire en supposant le taux de natalité identique partout).

  • Il y a bien une tendance bien connue à l'augmentation de la population des villes et à la diminution dans les campagnes. Cependant la corrélation inverse entre ruralité et influx migratoire n'est pas très forte (Tableau 3.1.1.2.a) et laisse entrevoir d'autres facteurs à l'oeuvre.
  • Un fort afflux de population est bien vérifié dans trois des principaux centres urbains : Puerto Montt, Puerto Varas et Castro, mais pas à Ancud qui reste à l'écart de cette évolution.
  • La croissance la plus élevée de toutes en termes de taux est observée dans une commune rurale à l'extrémité méridionale de l'île de Chiloé, Quellón, qui du fait de sa position géographique est en train de devenir rapidement le centre d'appui logistique pour les activités d'aquiculture dans leur poussée d'expansion vers la XIe région. On assiste pratiquement en direct à la naissance d'une agglomération. Une autre commune rurale côtière de Chiloé, Dalcahue, connaît aussi un très fort solde migratoire positif, en principe en rapport direct avec l'essor de l'aquiculture du saumon.
  • Trois autres communes rurales côtières, Calbuco, Chonchi et Curaco de Vélez connaissent un solde migratoire modérément positif ou neutre, probablement pour les mêmes raisons.
  • Mais l'afflux de population ne se concrétise pas dans les autres communes côtières : Queilen, Quemchi, Quinchao, Hualaihué, Chaitén, Cochamó, Puqueldón présentent un exode rural.
  • Dans l'ensemble, les communes agricoles de l'intérieur souffrent aussi d'un exode rural : Fresia, Los Muermos, Futaleufu et Palena. Il existe un malaise exprimé parmi les petits producteurs agricoles du fait de la concurrence de produits agricoles étrangers à bas prix.
  • Llanquihue et Frutillar, plus orientées vers le secteur tertiaire, connaissent un flux migratoire modéré mais positif.
  • Enfin, le taux d'exode le plus important est retrouvé dans la communauté de pêcheurs artisanaux de Maullín, dont l'activité principale traverse une profonde crise.

      Les phénomènes impliquant des transferts spontanés de population liés à l'émergence ou à l'illusion d'émergence de nouvelles ressources ou de possibilités de gain sont classiques dans les Amériques. Au Chili, on dénombre parmi les plus connus la fièvre de l'or en Terre de Feu à la fin du XIXe, les migrations de Chiloé vers les élevages de moutons du grand sud à la charnière du XIXe et du XXe s., et le grand attrait exercé par l'exploitation du salpêtre dans le grand nord du pays jusqu'à la première guerre mondiale. Le reflux de cette activité a laissé le désert d'Atacama parsemé de villes-fantômes dont certaines demeurent particulièrement suggestives.


3.2.1.2 Paramètres corrélés à la variation de la population

      La migration interne de personnes (Tableau 3.1.1.2.a) s'effectue vers des endroits présentant des paramètres de revenus, de consommation, d'instruction (notamment masculine) et de services publics plus élevés. Point important à élucider, on consulte beaucoup plus en urgence. Quelle est la part de la plus grande accessibilité des services et celles de caractéristiques propres aux populations déplacées et à leur mode de vie? La corrélation négative faible mais à la limite du significatif avec la participation aux réunions sociales est retranscrite ici pour référence.

      
Tableau 3.2.1.2.a : Corrélations significatives de 'Taux de variation de la population 1992 - 2002'.
Item coeff corrélation r (Pearson) P (2-tail) N coeff détermination r2
Taux affiliés Isapres (privé) 0.686 0.003 16 0.471
% des urgences dans toutes les consultatios med et paramed 0.676 0 23 0.457
Taux analphabétisme hommes -0.616 0.011 16 0.379
Taux analphabétisme total -0.533 0.034 16 0.284
Taux de population rurale -0.529 0.01 23 0.280
Taux de cs med en urgence 0.51 0.013 23 0.260
Taux analphabétisme sex ratio -0.51 0.043 16 0.260
Revenu autonome du foyer 0.51 0.043 16 0.260
Possède un frigo 0.505 0.046 16 0.255
Participe à des réunions sociales -0.482 0.059 16 0.232
Taux de pop avec service d'égouts 0.48 0.024 22 0.230
Taux de pop avec eau potable du réseau 0.44 0.04 22 0.194
Pop estimée 2001 0.44 0.036 23 0.194


3.2.1.3 Synthèse sur les mouvements de population

      Sur la base du seul critère des variations de population, et en matière de communes rurales, il faut suspecter et rechercher des inadéquations des services de santé dans les communes qui ont connu les influx migratoires les plus importants dans la dernière décennie, soit Quellón 9  et Dalcahue en premier lieu, suivies de Calbuco, Chonchi et Frutillar. Ces inadéquations peuvent se retrouver également dans les villes objet des migrations, en particulier Puerto Montt, Puerto Varas, Castro et Llanquihue.


3.2.2 Structure par âges

      Les provinces de Llanquihue, Chiloé et Palena présentent une population dans l'ensemble relativement jeune, connaissant un accroissement naturel certain (qui a tendance à s'estomper toutefois ces dernières années) doublé d'une migration interne liée à l'attrait de nouvelles opportunités économiques dans certains points de la région ces dernières années (voir chap. 3.2.1).

      Il est regrettable que les données démographiques ne soient pas présentées en tranches homogènes de 5 ou 10 ans, ce qui permettrait de reconstituer de véritables pyramides des âges.

      Ceci dit, il est établi que les besoins en matière de santé augmentent avec l'âge des populations, nous nous intéresserons donc en particulier à la tranche d'âge des plus de 65 ans.

      Le départ des cohortes en âge de travailler tend à augmenter la proportion de personnes âgées dans les zones originaires et à la diminuer dans les zones cibles des migrations (Fig. 3.2.2.0.1).

      

Fig. 3.2.2.0.1 : Répartition géographique du taux de population âgée de 65 ans et plus, et des variations de population 1992 - 2002.

      Les trois provinces présentent des différences dans la distribution des personnes âgées qui méritent un examen plus attentif :


3.2.2.1 Llanquihue : une distribution relativement homogène

      

Fig. 3.2.2.1.1: Distribution par âges de la population dans la province de Llanquihue.

      (Fig. 3.2.2.1.1) On observe cependant une discrète tendance : la part de la population âgée est moindre dans les communes à forte population urbaine : Puerto Montt et Puerto Varas (remarquons aussi le cas particulier de Maullín où l'émigration ne se répercute pas encore sur la structure d'âges). Plus la commune est rurale, plus la proportion des 65 ans et plus devient importante. Cet aspect peut être lié aux mouvements de population constatés en direction des villes (chap. 3.2.1), et a déjà été caractérisé à l'échelle du pays ( Mideplan, enquête CASEN 1998, document 22 : « profil de l'adulte majeur »). Puerto Montt est l'objet d'un afflux d'adultes jeunes en âge actif.


3.2.2.2 Chiloé : des différences intercommunales affirmées

      

Fig. 3.2.2.2.1: Distribution par âges de la population dans la province de Chiloé.

      (Fig. 3.2.2.2.1) En matière de population âgée, les différences ville-campagne à Chiloé y sont beaucoup plus marquées (du simple au double). Les villes (Ancud, Castro) comportent une part plus importante de population active en âge de reproduction (d'où le plus grand nombre d'enfants aussi). La tendance est claire ici : plus la commune est rurale, plus sa part de population âgée est importante, les taux les plus élevés de personnes âgées se trouvent dans les îles. Remarquons le cas particulier de Quellón, centre économique émergent du sud de l'île, qui est l'objet d'une migration d'adultes jeunes.


3.2.2.3 Palena : des communautés côtières plus jeunes

      

Fig. 3.2.2.3.1: Distribution par âges de la population dans la province de Palena.

      (Fig. 3.2.2.3.1) Dans la faiblement peuplée province de Palena, les adultes jeunes et les enfants prédominent très nettement à Chaitén et Hualaihué, les deux communes côtières. La proportion de personnes âgées est bien plus importante dans les deux postes-frontière de l'intérieur (Futaleufu et Palena) d'où l'on émigre le plus. Cette province toute entière connaît un exode rural marqué vérifié dans le recensement 2002 (Chap. 3.2.1.).


3.2.2.4 Corrélations du paramètre « taux de personnes âgées »

      (Tableau 3.2.2.4.a) Le paramètre « taux de personnes âgées » évolue de pair avec les subsides, ce qui peut être en rapport avec un problème bien identifié avec les rentes trop basses payées par le système de retraites par capitalisation dans les cas des bas revenus, cas de figure dans lequel l'Etat est tenu de compenser par des subsides directs jusqu'à concurrence du minimum fixé par la loi, ce qui place cette population nominalement au-dessus du seuil de pauvreté. Les consultations paramédicales de tous types sont fréquentes, alors que la corrélation avec les consultations de médecine préventive est moins significative : les paramédicaux constituent la principale composante de l'offre de soins en milieu rural. On cite ici pour référence remarque la corrélation (peu significative et surtout négative) avec le Rapport de Mortalité Standardisé. Trait important, l'associativité traduite par le taux d'organisation communautaire est marquée dans cette tranche d'âge.

      
Tableau 3.2.2.4.a : Corrélations significatives de 'Taux de 65 ans et plus'
Item Coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N coeff détermination r2
Mortalité brute pour mille 0.783 0 23 0.613
Subsides 0.695 0.003 16 0.483
Taux d'organisation communautaire 0.681 0.003 17 0.464
Taux de population rurale 0.656 0.001 23 0.430
Pop sous seuil pauvreté -0.615 0.011 16 0.378
Revenu municipal par habitant 0.582 0.004 22 0.339
cs paramed urgence / hab / an 0.547 0.007 23 0.299
Total cs med et paramed / hab / an 0.542 0.008 23 0.294
Total cons paramed / hab / an 0.537 0.008 23 0.288
consultations méd prev / affiliés fonasa + indigents / an 0.522 0.038 16 0.272
taux analphab femmes 0.506 0.046 16 0.256
taux de cs med en urgence -0.481 0.02 23 0.231
cs medecin maladie / hab / an 0.46 0.027 23 0.212
cs medecin prev / hab / an 0.437 0.037 23 0.191
Taux de pop avec eau potable du réseau -0.434 0.044 22 0.188
RMS -0.389 0.067 23 0.151


3.2.2.5 Synthèse : populations rurales et troisième âge

      

Fig. 3.2.2.5.1: Population rurale et taux de personnes de 65 ans et plus dans les trois provinces.

      D'une façon générale, on observe une corrélation entre la ruralité des communes et la proportion de personnes âgées qui y habitent (Fig. 3.2.2..5.1 et Tableau 3.2.2.4.a).

      Cette corrélation est particulièrement relevante dans la planification de santé, car cette population âgée aura des besoins spécifiques et croissants en matière de santé, doublés de difficultés fréquentes pour les déplacements. Le système de santé devra être adapté de façon à répondre à ces besoins changeants.

      On remarque par ailleurs sur la Fig. 3.2.2.5.1 que les communes andines présentant les pires difficultés d'accès (Hualaihué, Cochamó) ont des taux de personnes âgées très bas par rapport à leur niveau de ruralité, ce qui correspond bien à la réalité constatée sur le terrain : En termes de stratégie de vie, les gens partent vivre « en ville » à partir d'un certain âge lorsque les conditions d'accès de leur lieu de vie habituel sont par trop extrêmes.


3.3 Données sanitaires


3.3.1 Taux de mortalité


3.3.1.1 Taux de mortalité et personnes âgées

      

Fig. 3.3.1.1.1: Taux de mortalité brut annuel et population de 65 ans et plus dans chaque commune, pour les trois provinces.

      Il est bien établi qu'une population âgée présente (dans des conditions normales) un taux de mortalité naturel plus élevé qu'une population jeune. On vérifie en effet que la corrélation la plus marquée (Tableau 3.2.2.4.a) du taux de personnes âgées dans la communauté est le taux brut de mortalité annuelle qu'on y observe. (Fig. 3.3.1.1.1)

      

Fig. 3.3.1.1.2 : Taux de mortalité corrigé par le taux de personnes âgées de 65 ans et plus

      Il serait utile de rechercher d'éventuelles causes de surmortalité pour les points qui se situent au-dessus de la droite de régression, notamment Chonchi, Quellon, Quinchao, Quemchi, toutes étant des communes de Chiloé bien identifiables lorsqu'on corrige le taux de mortalité brut par le taux de personnes âgées de 65 ans et plus (Fig. 3.3.1.1.2).

      Chonchi par exemple présente plusieurs paramètres alarmants exprimés dans les sondages (voir chapitres suivants) et, comparé à Los Muermos, commune similaire en termes de ruralité et de taux de personnes âgées (mais pas en termes d'activités ni de régime), la population présente un risque relatif de mortalité 1.48 fois supérieur. Cette différence n'est pas significative mais peut signaler une tendance réelle. Lorsqu'on corrige les données pour le taux de personnes âgées (taux de mortalité brut / taux de personnes âgées), le risque relatif entre Chonchi et Hualaihué est de 1.96, et entre Quellón et Hualaihué, de 1.88.

      A part le déterminant principal (le taux de personnes âgées) les corrélations observées pour le taux de mortalité brut (Tableau 3.3.1.1.a) sont faibles, et semblent surtout relever du comportement des personnes âgées : La corrélation négative avec le coefficient de difficulté d'accès pourrait s'expliquer par le fait couramment observé qu'elles ont tendance à quitter les endroits les plus difficiles lorsqu'elles le peuvent encore.

      
Tableau 3.3.1.1.a : Corrélations significatives de 'Taux de mortalité brut pour mille'
Item coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N Coeff détermination r2
Taux de personnes de 65 ans et plus 0.783 0 23 0.613
Coeff de diff d'acces x distance x pop -0.494 0.017 23 0.244
IPH -0.469 0.024 23 0.220
Coeff de diff d'accès x distance -0.434 0.038 23 0.188
Total cs paramed / hab / an 0.411 0.051 23 0.169
Cs paramed urgence / hab / an 0.404 0.056 23 0.163


3.3.1.2 Taux de mortalité infantile pour mille naissances vivantes

      Nous disposons que d'une série de 1998 pour les municipalités des trois provinces. On peut cependant en retirer quelques informations utiles (Fig. 3.3.1.2 1).

      Les taux varient entre 4.2 pour mille à Frutillar et 23.3 pour mille à Hualaihué, commune à forte composante indigène où le risque relatif pour la mortalité infantile serait donc 5.5 fois plus important, mais dans le détail les décès ne concernent que trois cas d'enfants de plus de 28 jours sur 129 nés vivants. Il faudrait examiner des séries sur plusieurs années pour déterminer s'il existe vraiment un problème significatif.
Parmi les villes, Puerto Montt seule affiche une valeur élevée qui pourrait s'expliquer éventuellement par le transfert vers l'hôpital le mieux équipé des accouchements à risque dans des délais qui ne sont pas optimaux: on constate en effet que la mortalité foetale tardive et la mortalité des enfants de moins de 28 jours y sont plus élevées que partout ailleurs.

      

Fig. 3.3.1.2.1 : Distribution géographique du taux de mortalité infantile pour mille naissances vivantes.

      Des taux de mortalité infantile élevés dans les communautés indigènes ont été observés à l'échelle nationale. Dans les séries qui font l'objet de la présente étude, on ne trouve pas de corrélation significative entre le taux de personnes se considérant comme membres des ethnies originaires et le taux de mortalité infantile. Mais il est vrai que les données pour plusieurs communes à forte composante indigène viennent précisément à manquer.
Parmi les corrélations du taux de mortalité infantile (tableau 3.3.1.2.a), on retient les paramètres de difficulté d'accès et -curieusement- une certaine corrélation négative avec l'obésité gravidique à élucider.

      
Tableau 3.3.1.2.a : Corrélations significatives de 'taux de mortalité infantile pour1000 naissances vivantes
Item Coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N Coeff détermination r2
Coeff de diff d'acces x distance x pop 0.691 0.006 14 0.477
% femmes enceintes avec excédent pondéral 1998 -0.687 0.007 14 0.472
coeff de diff d'accès x distance 0.579 0.03 14 0.335


3.3.2 La question de l'accès aux soins en milieu rural

      D'une façon générale, les populations rurales dispersées éprouveront plus de difficultés d'accès à l'arborescence du système de santé (défini ici par son plus petit commun dénominateur : point de consultations et de soins médicaux ou paramédicaux, en pratique essentiellement paramédical). Nous traitons séparément les résultats de l'enquête subjective CASEN (question concernant la distance au plus proche centre de soins, mesurée en blocs et retranscrite en kilomètres) d'une part, et d'autre part les informations du service de santé régional concernant la distance et la difficulté d'accès (route en bon état, en mauvais état, navigation, accès aérien uniquement etc.) qui sépare les postes périphériques des hôpitaux de référence.


3.3.2.1 Pas du tout de centre de santé à proximité

      D'après les données de l'enquête CASEN, le problème n'est pas présent pour le plus grand nombre, mais se pose quand même dans les communes de Los Muermos (5 100 personnes), Calbuco (4 200 personnes), Maullín (1 400 personnes), Dalcahue (1 100 personnes), les communes andines de Hualaihué (860 personnes) et Cochamó (760 personnes), et même dans les zones rurales de Castro (1 000 personnes) et Ancud (2 800 personnes) pourtant dotés de centres hospitaliers de moyenne complexité (Annexe 4, Fig. 3.3.2.1.1).

      

Fig. 3.3.2.1.2 : Distribution géographique du pourcentage de la population qui n'a pas de centre de santé à proximité

      Un total estimé de 18 800 personnes se déclarant sans accès à un centre de soins peut être déduit. Rappelons cependant que plusieurs communes sont absentes des statistiques.
La principale (et la seule) corrélation pour cette population très dispersée est le taux d'analphabétisme masculin. (Tableau 3.3.2.1.a)

      
Tableau 3.3.2.1.a : Corrélations significatives de 'pas de centre de santé à proximité'.
Item coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N coeff détermination r2
Analphabétisme masculin 0.644 0.007 16 0.415
sex ratio analphabétisme (h/f) 0.509 0.044 16 0.259


3.3.2.2 Centre de santé éloigné de plus de 3.5 km

      

Fig. 3.3.2.2.1 : Population rurale et part de la population qui vit à plus de 3.5 km du centre de soins le plus proche.

      Le problème se pose pour plus de 20 % de la population de Frutillar, Chonchi, Fresia, Maullín, Los Muermos, Puerto Varas, Dalcahue, Quemchi, Hualaihué et Cochamó, avec des valeurs particulièrement élevées pour la population de Fresia, Frutillar et Chonchi.

      Le paramètre « plus de 3.5 km au centre de santé le plus proche » ne présente que des corrélations relativement faibles (Tableau 3.3.2.2.a). Le rapport avec la densité de population de la commune est relevant. On remarque des corrélations positives avec le dépistage PAP et le taux d'obésité infantile.

      

Fig. 3.3.2.2.2 : Distribution géographique du taux de la population qui réside à plus de 3.5 km du centre de santé le plus proche.

      
Tableau 3.3.2.2.a : Corrélations significatives de 'plus de 3.5 km au centre de santé le plus proche'.
Item coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N coeff détermination r2
Pourcentage des urgences toutes cons med et paramed -0.519 0.04 16 0.269
PAP dans les 3 dernières années % pop 0.568 0.022 16 0.323
% Enf. 2 a 5 ans avec poids/taille > ; 2 DS 0.575 0.02 16 0.331
Densité de population -0.608 0.012 16 0.370


3.3.2.3 Les populations proches des services de soins

      Ce paramètre s'est avéré riche en renseignements. On peut assumer que les centres de soins du système public se situent stratégiquement dans les agglomérations et les bourgades, très près des noyaux « historiques » ou dans des quartiers modestes, et qu'il ne s'en est pas encore construit beaucoup de nouveaux auprès des concentrations de population les plus récentes.

      Lorsqu'on considère les endroits où une forte fraction de la population déclare résider à proximité immédiate (moins de 1 km) des centres de soins (Fig. 3.3.2.3.1), on aurait ainsi affaire à un sous-ensemble qui préfère une forme d'habitat groupé, avec un établissement relativement ancien. Sa distribution géographique (Fig. 3.3.2.3.1) s'étale bien au delà des principaux centres urbains.

      
Tableau 3.3.2.3.a : Corrélations significatives de '0-1 km au centre de santé le plus proche'.
Item Coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N coeff détermination r2
taux d'organisation communautaire 0.698 0.008 13 0.487
taux de pop participant à des réunions sociales 0.561 0.024 16 0.315
% Enf. 2 a 5 ans avec poids/taille > ; 2 DS -0.531 0.034 16 0.282
taux de population se définissant comme indigene 0.523 0.038 16 0.274
PAP dans les 3 dernières années -0.512 0.043 16 0.262

      On retient pour ce groupe (Tableau 3.3.2.3.a) des corrélations significatives avec le taux d'organisation communautaire et avec le taux de la population qui participe à des réunions sociales. Les populations regroupées dans les anciens noyaux de peuplement de petite taille seraient plus organisées socialement, ce qui semble logique, et en théorie plus à même de se faire entendre par les institutions politiques, mais cela ne ressort pas des chiffres à disposition.

      Le suivi pour le dépistage du cancer du col de l'utérus semble moins bon qu'en périphérie, on trouve un rapport inverse d'enfants présentant un excédent pondéral, et cette population comporte volontiers des membres des ethnies indigènes. Au total, les résidents proches des centres de santé affichent un profil modeste (on remarque notamment l'absence de paramètres de consommation dans les corrélations). Il peut sembler étonnant de constater que la proximité immédiate du système de soins ne constitue pas un déterminant significatif pour la consommation de services de santé, encore faudrait-il déterminer le type d'offre disponible, mais nous le verrons, la distance à la consultation est aussi fonction du type d'agglomération, et la population des villes présente un autre comportement en la matière.

      

Fig. 3.3.2.3.1 : Distribution géographique du taux de la population qui réside à moins de 1 km du centre de soins le plus proche.

      

Fig. 3.3.2.3.2 : Distribution géographique du taux de la population qui réside entre 1 et 3.5 km du centre de soins le plus proche.

      Toujours selon la même interprétation, on peut admettre que la population résidant à une distance entre 1 et 3.5 km du centre se situe dans l'anneau résidentiel qui s'est typiquement développé autour des anciens noyaux urbains à la faveur de l'essor de la décennie des 90. Cet anneau comprend aussi bien des résidences aisées que des lotissements subventionnés par l'Etat et abritant en principe des travailleurs salariés. On voit en outre sur la carte (Fig. 3.3.2.3.2) que le paramètre a tendance à sélectionner les principales villes (Castro, Ancud, Puerto Montt) qui seules offrent ces conditions. Ce fait est confirmé aussi par la corrélation positive du paramètre avec la densité de population de la commune, et la corrélation négative avec le taux de population rurale. (Tableau 3.3.2.3.b)

      Cette population « urbaine-suburbaine » typique présente en outre des corrélations positives avec bon nombre de paramètres d'instruction, de réussite scolaire, de consommation et d'accès aux services, avec en tout premier lieu la consommation de services médicaux en urgence, en particulier la consultation de médecin.

      
Tableau 3.3.2.3.b: Corrélations significatives de '1-3.5 km au centre de santé le plus proche'.
Item Coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N coeff détermination r2
cs medecin urgence / hab / an 0.718 0.002 16 0.516
Taux d'eleves avec + de 450 pts au bac 0.718 0.004 14 0.516
pourcentage des urgences toutes cons med et paramed 0.705 0.002 16 0.497
taux de cs med en urgence 0.687 0.003 16 0.472
Taux de pop avec service d'égouts 0.667 0.007 15 0.445
densité population 0.654 0.006 16 0.428
Taux de pop avec eau potable du réseau 0.64 0.01 15 0.410
taux de pop possédant un frigo 0.628 0.009 16 0.394
total cons medecin / hab /an 0.61 0.012 16 0.372
Taux d'affiliés FONASA (public) -0.539 0.031 16 0.291
taux analphabetisme h+f -0.536 0.033 16 0.287
taux de pop possédant une machine à laver 0.532 0.034 16 0.283
Taux de population rurale -0.521 0.039 16 0.271


3.3.2.4 Le coefficient de difficulté d'accès

      (Voir l'Annexe 1 pour le détail du calcul proposé)

      

Fig. 3.3.2.4.1 : Distribution géographique des consultations primaires d'accès difficile et pondération par la population inscrite à ces centres.

      Nous proposons de calculer un coefficient de difficulté d'accès qui permette une estimation de la difficulté et de la durée de parcours entre le poste de premier recours (occupés par des paramédicaux en dehors des visites des équipes mobiles) et l'hôpital ou le centre de santé de référence. Nous avons trouvé intéressant de multiplier ce paramètre par la distance à parcourir, et l'ensemble par la population impliquée (le résultat est ensuite divisé par 1000). On calcule ensuite des moyennes par commune.
Les communes à problèmes s'individualisent aisément : Un premier groupe se situe sur le pourtour de la côte de la mer intérieure, en rapport avec les nombreuses îles, et culmine au sud de Chiloé. On identifie Calbuco, Queilen, Quemchi, Quinchao, Quellón et même Castro. Le deuxième groupe comprend les communes côtières directement sises sur la chaîne andine, qui non seulement comportent des îles littorales, mais en outre présentent de sérieux obstacles à la circulation longitudinale et transversale. Il s'agit de Puerto Varas (tout au moins son segment andin), Cochamó, Hualaihué et Chaitén. En termes de population concernée, c'est Hualaihué et Cochamó qui arrivent en premier.

      On remarque que la chaîne côtière (« cordillère de la côte ») ne présente pratiquement pas d'obstacles à la circulation et au transport, par rapport à la chaîne andine.

      Relevons qu'aucun des paramètres d'éloignement ne suit une loi normale de distribution (voir les valeurs de kurtosis et de biais dans l'annexe 3), une situation connue pour causer une atténuation des corrélations observables. Il en apparaît tout de même un certain nombre :

      La difficulté d'accès est corrélée (Tableau 3.3.2.4.a) avec l'index d'indigence rurale, et négativement avec un paramètre de consommation, ce qui se comprend compte tenu du fait que la difficulté d'accès est un puissant déterminant de la rentabilité commerciale des activités agricoles (les activités agricoles dans les endroits de difficile accès sont plutôt orientées vers l'autosubsistance). Cette population économiquement faible reçoit des subsides ces dernières années. On remarque le recours aux paramédicaux.

      
Tableau 3.3.2.4.a : Corrélations significatives de 'coefficient de difficulté d'accès'.
Item coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N Coeff détermination r2
Possession d'un frigo -0.635 0.008 16 0.403
Index d'indigence rurale 0.55 0.007 23 0.303
Subsides 0.54 0.031 16 0.292
Subsides en % du revenu 0.54 0.031 16 0.292
Cons. paramédicales maladie / hab. / an 0.461 0.027 23 0.213

      Il n'y a pas de corrélations fortes lorsqu'on considère à la fois la difficulté d'accès et l'éloignement. (Tableau 3.3.2.4.b)

      
Tableau 3.3.2.4.b : Corrélations significatives de 'coefficient de difficulté d'accès x distance'.
Item coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N Coeff détermination r2
Mortalité infantile 98 p. 1000 naiss. vivantes 0.579 0.03 14 0.335
Perception subjective mauvais état de santé -0.533 0.034 16 0.284
Obésité gravidique -0.525 0.01 23 0.276
Possession d'un frigo -0.518 0.04 16 0.268
IPH 0.471 0.023 23 0.222
Coefficient de difficulté d'accès x distance 0.471 0.023 23 0.222
% Enf. avec poids / âge < ; 2 DS -0.466 0.025 23 0.217
Mortalité brute p 1000 -0.434 0.038 23 0.188

      Mais la situation est plus claire lorsqu'on considère à la fois la difficulté d'accès multipliée par la distance et par la quantité de population impliquée, calcul qui met en avant les communes andines de Hualaihué, Cochamó, et à un moindre degré, Chaitén. Ce qui frappe d'abord (Tableau 3.3.2.4.c) c'est le rapport avec la mortalité infantile, qui correspond sur les cartes (Figs. 3.3.1.3.1) au pic absolu observé à Hualaihué, risque à confirmer en comparant plusieurs séries annuelles.

      On remarque par ailleurs les corrélations négatives avec l'obésité gravidique, et à un moindre degré, les enfants avec un poids trop bas, qui sont discutées dans leurs chapitres respectifs.

      
Tableau 3.3.2.4.c : Corrélations significatives de 'coefficient de difficulté d'accès x distance x population concernée'.
Item coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N Coeff détermination r2
Mortalité infantile 98 p. 1000 naissances vivantes 0.691 0.006 14 0.477
Obésité gravidique -0.627 0.001 23 0.393
Possession d'un réfrigérateur -0.551 0.027 16 0.304
Subsides en % du revenu 0.507 0.045 16 0.257
IPH 0.504 0.014 23 0.254
Mortalité brute p 1000 -0.494 0.017 23 0.244
% Enf. avec poids / âge < ; 2 DS -0.457 0.028 23 0.209


3.3.2.5 Synthèse : les difficultés d'accès physique au système de santé

      

Fig. 3.3.2.5.1: Population rurale et proportion de la population sans centre de soins à proximité, ou vivant à plus de 3.5 km du centre de santé.

      Dans l'ensemble des trois régions, on peut évaluer le nombre de personnes qui fait état de l'absence de centre de santé, ou d'un centre de santé situé à plus de 3.5 km du lieu d'habitation, à plus de 100 000 personnes.

      Les communes avec le plus fort pourcentage de la population s'estimant dans l'enquête CASEN comme éloignée ou dépourvue de centre de santé sont (Fig. 13.3.1) : Frutillar (8 500 personnes), Chonchi (6 500 personnes), Los Muermos (10 800 personnes), Fresia (5 600 personnes), Cochamó (2 200 personnes), Dalcahue (3 200 personnes), Maullín (7 900 personnes), Calbuco (9 100 personnes), Hualaihué (3 000 personnes), Quemchi (2 300 personnes), et même Ancud (9 900 personnes) et Puerto Varas (6 700 personnes) cette dernière commune présentant une extension de plus de 100 km dans les Andes. Il faut ajouter à cette liste les communes où l'on observe des problèmes d'accès au centre de santé de référence, en particulier Queilen, Quellón et Chaitén, en plus de Calbuco, Cochamó et Hualaihué déjà nommées. Ces chiffres constituent une approximation et manquent pour plusieurs communes de Chiloé, mais suggèrent la nécessité d'un renforcement des services de santé en périphérie.

      On remarque en outre une corrélation significative entre les paramètres d'éloignement et difficulté d'accès et le taux de mortalité infantile, qui présente un pic dans la commune de Hualaihué. Cette dernière devrait être vérifiée sur les séries de plusieurs années en raison de la faiblesse des effectifs.


3.3.3 Accès aux soins et activité globale des services de santé

      Au niveau national et en 1997, le nombre de consultations se situait à 1.2 consultations par habitant et par an pour les consultations médicales non urgentes, et 1.4 consultations par habitant et par an pour les consultations paramédicales non urgentes. En ce qui concerne les consultations en urgence, les taux furent de 0.38 et 0.13 respectivement. (PAHO health services system profile 1999)


3.3.3.1 A Chiloé

      C'est à Chiloé que l'on trouve les différences les plus impressionnantes (pratiquement du simple au double) dans les activités de consultation médicales et paramédicales. (Fig. 3.3.3.1.1).

      En termes de dotation, il existe deux hôpitaux dits de moyenne complexité ou type III, à Castro et Ancud, offrant une présence médicale 24h/24, des hôpitaux dits de basse complexité ou type IV (sans présence médicale 24h/24, permanence assurée par des paramédicaux) à Queilén, Quellón et Achao, et des centres de consultation à Puqueldón, Chonchi, Quemchi, Curaco de Vélez et Dalcahue.

      Il existe des chambres hyperbares pour traiter les accidents de décompression de la plongée sous-marine aux deux extrémités de l'île, à Ancud et à Quellón.

      

Fig. 3.3.3.1.1: Consultations médicales et paramédicales par habitant et par an à Chiloé, selon le type de consultation.

      Mis à part l'activité de Castro, premier centre de l'île regroupant les consultations et bon nombre des urgences, et comportant un petit secteur privé, on observe :

  • Des localités avec une activité médicale hors urgences faible (Puqueldon, Chonchi, Quemchi, Dalcahue, Quellón) : quatre centres de consultations et un hôpital rural.
  • Des localités avec une activité totale (médicale et paramédicale) faible. (Chonchi, Quellón 10 , Ancud). Pour le cas de Chonchi, il est possible que l'activité soit reportée sur le centre médical et l'hôpital de Castro, mais dans le cas de Quellón (qui comporte un hôpital rural plus étoffé que les autres) il n'existe pas d'alternative à proximité. Le résultat pour Ancud est étonnant, puisque cette ville comporte en principe un hôpital de moyenne complexité, et mérite une recherche plus approfondie.
  • L'activité de base de médecine préventive est relativement constante un peu partout, traduisant une activité homogène des équipes mobiles et fixes.
  • Les localités de Curaco de Vélez, Puqueldon, Chonchi, Quemchi, Dalcahue et Queilen affichent une proportion de consultations médicales d'urgence en dessous de la norme. Il n'y a pas de centre ouvert 24h/24 en ces lieux.
  • Ce déficit est compensé de façon variable par un nombre accru de consultations paramédicales d'urgence, traduisant l'absence de personnel médical sur le terrain, et la présence de personnel paramédical (Voir aussi la fig. 3.3.3.4.1).

3.3.3.2 Province de Llanquihue

      On trouve des hôpitaux ou centres de santé ruraux (type 4, sans présence médicale permanente) à Frutillar, Fresia, Llanquihue, Maullín et Calbuco.

      Puerto Varas possède un centre de consultations et a passé une convention avec une clinique privée locale pour la prise en charge des urgences en dehors des heures ouvrables, la petite chirurgie, les accouchements, les examens de laboratoire et radiologiques. Principal centre pour les trois provinces, l'hôpital de base de Puerto Montt est classé type I, c'est à dire capable en principe d'assumer tout type de soins complexes.

      

Fig. 3.3.3.2.1: Consultations médicales et paramédicales par habitant et par an dans la province de Llanquihue, selon le type de consultation.

      La situation est un peu plus homogène qu'à Chiloé, avec un nombre moyen de consultations médicales et paramédicales par habitant similaire. Cependant :

  • On observe un recours bien moindre aux consultations paramédicales d'urgence.
  • Il n'y a pas de consultations médicales d'urgence à Cochamó (ce service est couvert par Puerto Montt, env. 100 km de route asphaltée depuis le chef-lieu, les autres points à l'intérieur de la commune étant accessibles par des pistes souvent difficiles en hiver).
  • Par ailleurs, Maullín et Los Muermos ont relativement peu de consultations d'urgence.

3.3.3.3 Province de Palena

      On compte trois hôpitaux ruraux dans la province de Palena : à Palena et Futaleufu, zones à faible population dispersée, deux établissements simples appuyées -fait remarquable en soi!- par une convention avec la ville argentine d'Esquel pour la prise en charge de cas plus conséquents qui ne peuvent être dérivés à Puerto Montt. A Chaitén l'établissement est plus étoffé en nombre de lits et en services de radiologie et de laboratoire.

      Hualaihué comporte un centre de consultations (trois médecins, un dentiste, une infirmière, une sage-femme et autres paramédicaux et auxiliaires) et il existe une convention avec un centre privé pour les accouchements et les hospitalisations simples.

      En remplacement du bateau médical « Cirujano Videla », retiré en 1998 (http://www.armada.cl/site/unidades_navales/452.htm), il existe des équipes transportées par bateau qui interviennent pour les soins de trois à quatre mille personnes dispersées sur les côtes et les îlots dépendant de Hualaihué, Quemchi, Quellón et Chaitén jusqu'aux îles Déserteurs. Le financement d'un bateau destiné à assurer la continuité de l'action du « Cirujano Videla » est en discussion actuellement.

      

Fig. 3.3.3.3.1: Consultations médicales et paramédicales par habitant et par an dans la province de Palena, selon le type de consultation.

      Cette province se caractérise par la fréquence en nombre et en proportion des consultations médicales dans les communes et postes-frontière de l'intérieur (Palena, Futaleufu), qui présentent en outre une assez bonne couverture de médecine préventive (jusqu'à une consultation par habitant et par an). Un effort important semble avoir abouti en matière de dotation en personnel médical pour ces communautés faiblement peuplées et défavorisées. La collaboration trans-frontalière pour la prise en charge des cas difficiles est un fait hautement louable et un signe de maturité administrative.

      Les deux communes côtières (Chaitén, Hualaihué) ont des chiffres moins bons en termes de consultations de médecine préventive. On remarque encore un taux assez bas de consultations médicales d'urgence à Hualaihué, la commune la moins isolée de la province, pourtant séparée de Puerto Montt par quatre heures de route de terre en autobus.


3.3.3.4 La clef des disparités constatées dans les services de santé: le budget municipal total

      
Tableau 3.3.3.4.a : Corrélations significatives de 'Somme de toutes les consultations médicales et paramédicales par habitant et par an'.
Item coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N coeff détermination r2
Budget municipal total par habitant 0.877 0 22 0.769
taux pop sous seuil pauvreté -0.635 0.008 16 0.403
taux 65 ans et plus 0.542 0.008 23 0.294
Index de pauvreté FCM 99 -0.459 0.027 23 0.211

      La solution à l'énigme des importantes fluctuations dans le nombre des consultations apparaît évidente si on songe que les soins primaires dépendent essentiellement des municipalités depuis les réformes des années 80. Les budgets municipaux autonomes s'étant avérés parfaitement insuffisants pour faire face à la charge des soins de santé, l'Etat fournit un complément sous forme de subventions, qui constituent l'essentiel du budget municipal total. Ce paramètre présente une très forte corrélation avec le nombre total de consultations médicales et paramédicales de toute sorte. (Tableau 3.3.3.4.a, Fig. 3.3.3.4.1)

      

Fig. 3.3.3.4.1 : Budget municipal par habitant et par an et nombre total de consultations (médicales et paramédicales) par habitant et par an.

      La distribution géographique fortement inégalitaire dans le nombre de consultations par habitant et par an s'explique alors essentiellement par des inégalités tout aussi marquées en termes de budget (Fig. 3.3.3.4.2).

      

Fig. 3.3.3.4.2 : Distribution géographique des consultations de toute sorte par habitant et par an, et budget municipal total par habitant et par an.

      On a cependant l'impression, à examiner ce graphique, que certaines communes (Fresia, Frutillar et Futaleufu notamment, les informations sur le budget manquent pour Llanquihue) s'en sortent mieux en termes de production de services pour un budget donné. Malgré le fait que la distribution des variables ne satisfasse pas aux critères de base pour une régression linéaire -en particulier elle diffère significativement d'une distribution normale et s'avère hétéroscédatique (voir chap. 2.2) - on peut tenter de calculer le nombre de consultations espérées pour un budget donné à l'aide de l'équation de régression linéaire entre les consultations et le budget municipal :

Nombre de consultations espérées = 0.016 * budget municipal + 1.7767

      Puis on calcule la différence (consultations espérées - consultations observées) et on la rapporte aux consultations observées. Les résultats, rapportés dans l'Annexe 3, montrent que l'écart à la valeur espérée est faible et s'étale entre +28.6% (Frutillar) et -34.66% (Chonchi), avec une distribution qui ne diffère pas significativement de celle d'une erreur normale. On ne met donc en évidence ni moutons noirs ni temples d'Hippocrate dans le lot, quoique le paramètre s'ajoute à la longue liste d'indicateurs dans le rouge pour Chonchi.

      Au total, on peut en conclure que pour un apport en ressources donné, le système public de santé, tout au moins dans les provinces considérées 11 , présente une réponse homogène en termes de production de consultations, ce qui permet de déduire une certaine homogénéité dans les conditions d'organisation et de production des consultations. Ce résultat est à pondérer par le fait que les professionnels de santé sont évalués au nombre de consultations, qu'ils veillent à accomplir, ce qui ne préjuge aucunement de leur durée, qualité, ou pouvoir de résolution de problèmes.

      L'autre conclusion importante qu'on peut tirer de cette observation est que le principal facteur déterminant et limitant pour les consultations médicales et paramédicales du secteur public est l'enveloppe disponible au niveau municipal, plutôt que les besoins spécifiques des populations. Cela contredit d'ailleurs la notion, couramment avancée, d'un financement « per capita » des services municipaux de santé en fonction du nombre de patients pris en charge.

      L'absence d'autres données sur la performance des services de santé ne nous permet pas d'aller plus loin dans l'analyse. Il existe bien des enquêtes sur la satisfaction des usagers des services de santé, mais les résultats, extrêmement fragmentaires, ne sont disponibles que pour Puerto Montt et Ancud et d'ailleurs ne s'avèrent guère flatteurs pour ces services lorsqu'on les compare à la moyenne nationale.


3.3.3.5 Déterminants des ressources des communes

      Mais qu'est-ce qui détermine une répartition aussi inégalitaire des ressources des communes ? On remarque une corrélation exponentielle négative entre l'importance du budget et la population de la commune, et en particulier sa population rurale. (Fig. 3.3.3.5.1)

      

Fig. 3.3.3.5.1: Population des communes et budget municipal par habitant et par an

      En d'autres termes, et surtout en dessous d'une certaine taille critique (environ 7000 habitants), plus une collectivité territoriale municipale est réduite en termes de population, plus elle reçoit de ressources pour son fonctionnement. Cette situation pourrait se comprendre par une combinaison des facteurs suivants:

  • La volonté politique de corriger les difficultés et les frais fixes importants qu'affrontent les communes les moins peuplées, donc les plus faibles du point de vue des ressources. Mais on est ici clairement en présence d'une sur-correction.
  • La volonté politique de renforcer les communautés limitrophes (les postes-frontière de Futaleufu et Palena) et leurs services afin de tenter de freiner l'exode rural dans ces endroits peu peuplés et sensibles où des questions de souveraineté territoriale peuvent se poser. Ce qui peut expliquer la sur-correction.
  • Un découpage électoral (circonscriptions ?) qui donnerait proportionnellement plus de poids politique aux communes en question. [hypothèse à vérifier]

      L'appareil étatique semble donc bien capable de concentrer des ressources orientées vers des objectifs spécifiques (bien qu'ils demeurent d'un impact des plus modestes compte tenu de la petite taille des populations impliquées), le déterminant principal pour les ressources engagées étant la volonté politique lorsqu'elle est présente. Pourra-t-on un jour émettre la même affirmation à propos de l'ensemble du système public de santé ?

      Le profil de distribution de ressources observé laisse prévoir que les problèmes de ressources en matière de services de santé risquent de se retrouver de façon accentuée dans les communes de taille intermédiaire (7 a 25 000 habitants) -trop grandes et pas assez stratégiques pour bénéficier de la manne étatique et trop réduites pour bénéficier significativement du développement du secteur des services.


3.3.4 Accès aux soins et urgences

      Contrairement à ce qu'il se passe pour l'ensemble des consultations, les consultations préventives et les consultations pour maladie, les consultations en urgence ne présentent pas de corrélation significative avec le budget municipal (voir les tables de corrélation correspondantes dans l'annexe 7 et le Tableau 15.0.a) ce qui laisse supposer que d'autres facteurs sont à l'oeuvre.

      Les consultations de médecin en urgence sont fortement corrélées à un ensemble de paramètres de consommation, accès aux services, revenus et instruction spécifiques à l'environnement urbain (voir le tableau 15.0.a à la fin de ce chapitre), alors que le recours en urgence aux paramédicaux est lié à des paramètres de ruralité et de bas revenus. Les deux pratiques sont mutuellement exclusives comme en atteste leur répartition géographique : (Fig. 3.3.4.1)

      

Fig. 3.3.4.1 : Distribution géographique des consultations médicales en urgence par habitant et par an, des consultations paramédicales en urgence par habitant et par an, et de la part des urgences dans l'ensemble des consultations de médecin.

      Ce qui frappe en tout premier lieu dans la représentation géographique c'est la présence de halos clairs de basse fréquence de recours aux consultations médicales en urgence dans un rayon de 50 a 100 km autour des deux principaux centres urbains et hospitaliers, doublée (souvent mais pas toujours) d'un recours accru aux consultations paramédicales en urgence dans les mêmes territoires. Cette situation caractérise Chonchi, Queilen, Dalcahue, Quemchi, Curaco de Vélez et Puqueldón sur l'île de Chiloé, Maullín, Los Muermos et Cochamó dans la province de Llanquihue, Hualaihué dans la province de Palena.

      Cette configuration pourrait correspondre soit à une stratégie de conventions passées entre les municipalités limitrophes et les services urbains, soit à une forme de commensalisme où les communes limitrophes ont pu choisir de se décharger du fardeau du service médical en urgence en proposant des paramédicaux à la place, paramédicaux qui redirigent les cas jugés sévères vers les centres hospitaliers des centres urbains voisins. Dans les deux cas, cette stratégie peut fonctionner lorsque les distances de parcours ne s'avèrent pas trop importantes, et sur des routes en bon état (ce qui n'est pas le cas avec Hualaihué et Cochamó par exemple, et se discute avec les routes de terre de Queilén), mais elle peut aussi certainement être à l'origine de tensions entre les communes et les centres urbains par ailleurs surchargés au sujet du transfert des coûts comme des compensations. On peut l'interpréter comme une retombée de la municipalisation des soins du premier niveau dans un contexte de ressources humaines et matérielles très limitées.

      

Fig. 3.3.4.2: Consultations médicales en urgence et consultations paramédicales en urgence, par habitant et par an, dans les trois provinces.

      Si on représente (Fig. 3.3.4.2) la variable « consultations médicales » contre « consultations paramédicales » d'autres caractéristiques des soins en urgence deviennent apparentes : la consommation est comparativement plus homogène (les valeurs sont regroupées) sur le continent qu'à Chiloé. Font exception les communes rurales de Maullín, Los Muermos et Cochamó, qui présentent des valeurs basses de consultations médicales et paramédicales. A Chiloé, Chonchi, Puqueldon et Queilen ne compensent pas non plus le déficit de consultations médicales par des paramédicaux. Chonchi se trouve à peu de distance de Castro, avec une route en relativement bon état, mais ce n'est pas le cas de Puqueldon (île séparée de Chiloé par un bras de mer) ni de Queilen, assez éloignée sur un chemin secondaire de terre. Cette commune est dotée d'un centre ou hôpital rural qui est resté pendant des années sans infirmière. Ces données suggèrent fortement la nécessité d'un renforcement des services dans ces communes, mais aussi l'importance d'obtenir de plus amples renseignements sur le niveau de fonctionnement des services et les problèmes rencontrés localement.

      
Tableau 3.3.4.a : Corrélations significatives de 'taux des urgences dans les consultations de médecins'
Item Coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N coeff détermination r2
Taux des urgences dans les consultations paramédicales 0.816 0 23 0.666
Taux de population rurale -0.784 0 23 0.615
Taux de population avec eau potable réseau 0.783 0 22 0.613
Taux d'analphabétisme féminin -0.759 0.001 16 0.576
Taux de population avec service d'égouts 0.733 0 22 0.537
Taux d'analphabétisme h+f -0.733 0.001 16 0.537
Taux de pop. qui possède un réfrigérateur 0.695 0.003 16 0.483
Subsides en % du revenu -0.694 0.003 16 0.482
Taux de pop. qui possède une machine à laver 0.691 0.003 16 0.477
1 - 3.5 km au centre de santé le plus proche 0.687 0.003 16 0.472
Toutes consultations paramédicales / hab / an -0.656 0.001 23 0.430
Subsides -0.655 0.006 16 0.429
Taux d'élèves avec plus de 450 pts au bac 0.62 0.008 17 0.384
Taux d'organisation communautaire -0.553 0.021 17 0.306
Taux d'analphabétisme masculin -0.547 0.028 16 0.299
Taux de femmes encientes avec un poids trop bas 1998 0.546 0.007 23 0.298
Densité de population 0.518 0.011 23 0.268
consultations paramédicales urgence / hab /an -0.513 0.012 23 0.263
Taux de variation de la population 1992 - 2002 0.51 0.013 23 0.260
Taux affiliés fonasa (public) -0.503 0.047 16 0.253
consultations paramédicales maladie / hab / an -0.49 0.018 23 0.240
Taux de 65 ans et plus -0.481 0.02 23 0.231
Rapport de Mortalité Standardisé 0.402 0.058 23 0.162


3.3.5 Accès aux soins et troisième âge

      Le système de santé national a toujours orienté des ressources limitées vers la femme enceinte et l'enfant, et n'a jamais beaucoup mis l'accent sur les personnes âgées. Il existe actuellement des tentatives pour renverser cette tendance avec le déploiement de programmes spécifiquement orientés vers le troisième âge, mais il reste à voir si les ressources nécessaires vont suivre. Nous tenterons de déterminer, en fonction des données disponibles, quel est son niveau de préparation aux problèmes émergents.


3.3.5.1 Un contexte changeant pour le troisième âge

      Traditionnellement, la faiblesse chronique des divers systèmes de retraites et pensions que le pays a connus a toujours été compensée par une prise en charge des personnes âgées au sein de la famille (famille nucléaire-étendue), mais ce lien naguère fort (et parfois tyrannique) a tendance à se diluer très rapidement ces dernières années avec l'adoption en masse de modèles de consommation basés sur la famille atomisée qui ne laissent pas de place aux anciens mécanismes de solidarité. L'exode rural des jeunes se fait précisément en direction des paramètres de plus grande consommation, et a tendance a laisser les personnes âgées isolées dans les campagnes. Ce sont précisément les synergies à l'oeuvre dans cette triple ségrégation -géographique, par âges et par revenus- qui peuvent potentialiser les aspects les plus délétères de la transition en cours : une augmentation drastique des coûts humains et matériels. La tendance à la monétarisation générale des activités humaines sera-t-elle à même d'y faire face ?

      

Fig. 3.3.5.2.1: Distribution géographique du taux de personnes âgées et du taux de population vivant à plus de 3.5 km du centre de santé le plus proche.


3.3.5.2 Distribution des personnes âgées

      Il découle du fait que les personnes âgées sont plus présentes dans les campagnes (voir chap. 3.2.2), qu'il s'en trouve un plus grand nombre dans des conditions d'accès aux soins limité. Mais cette répartition varie d'une commune à une autre. Dans les limites des statistiques disponibles, nous pouvons identifier ci-après les communes où le problème peut se poser le plus fréquemment (voir aussi annexe 4, Fig. 3.3.5.2.2): Chonchi, Dalcahue, Queilen, Fresia, Los Muermos, Frutillar, et à un moindre degré, Cochamó. Relevons qu'il est dans les habitudes de la population âgée de se réinstaller dans les endroits plus accessibles lorsqu'ils le peuvent.


3.3.5.3 Population du troisième âge et urgences

      D'une façon générale, l'offre de services d'urgence n'est pas adaptée à la répartition de la population du troisième âge. Dans les communes à plus forte population âgée (Fig. 3.3.5.3.1) il y a aussi le moins de consultations d'urgence. En fait, le paramètre « taux de 65 ans et plus » est positivement corrélé à la consultation médicale préventive, à la consultation médicale pour maladie, à la consultation paramédicale, au total des consultations médicales et paramédicales, et à la consultation paramédicale en urgence, mais présente une corrélation négative et médiocre avec le taux de consultations de médecin en urgence. (voir chap. 3.3.3 et 3.3.4)

      Cet aspect pourrait aussi tenir à des limites d'ordre culturel: le recours à la consultation n'est pas nécessairement perçu partout comme faisant partie de l'ordre habituel des choses. Nous tentons de mettre en évidence cet aspect dans la prochaine section « Perception subjective de l'état de santé et troisième âge ». Inversement, ce mécanisme peut jouer exactement dans le sens contraire dans les villes, où il reste à déterminer quelle est la part de la consommation imputable à la plus grande disponibilité de services et quelle est la part de la pulsion ou nécessité de consommation immédiate.

      

Fig. 3.3.5.3.1: Population de 65 ans et plus et consultations en urgence par habitant et par an.


3.3.5.4 La population âgée et les questions pertinentes à la perception subjective de l'état de santé

      De façon intuitive, et aussi en fonction de ce que le Mideplan a mis en évidence à l'échelle du pays (Rapport sur la santé au Chili en 2000) nous nous attendions à trouver un lien entre le taux de personnes âgées et le nombre de personnes déclarant présenter un état de santé moyen ou franchement mauvais dans les enquêtes CASEN, ou encore un lien avec le taux de consultations. Nous constatons qu'il n'en est rien (Fig. 3.3.5.4.1), ce qui indique l'importance d'autres facteurs dans la perception de l'état de santé.

      

Fig. 3.3.5.4.1: Population de 65 ans et plus et perception subjective d'un état de santé moyen à mauvais.

      Il ne semble pas y avoir de règle définie pour la portion de la population qui se perçoit subjectivement comme souffrant d'un état de santé moyen à mauvais. On distingue en effet (Fig. 3.3.5.4.1):

  • Les communautés qui présentent le meilleur état de santé subjectif sont soit des petites villes (Puerto Varas, Castro) soit des populations rurales de taille modeste (Frutillar, Cochamó, Los Muermos, Dalcahue, Quinchao). Dans ce groupe on remarque tout de même que plus il y a de personnes âgées, plus la proportion de personnes se percevant en mauvais état de santé est grande, cette corrélation s'appliquant par extension à Quemchi et Curaco de Vélez.
  • La proportion de la population qui se perçoit en mauvais état de santé dans les deux premières villes (Puerto Montt et Ancud) est nettement plus importante que dans des petites communautés avec un nombre égal ou supérieur de personnes âgées.
  • Certaines communautés rurales présentent une perception subjective de l'état de santé plus mauvais que celui des grandes villes et disproportionné par rapport au nombre de personnes âgées : les communautés côtières de Hualaihué, Maullín, Calbuco, Chonchi et la communauté agricole et forestière de Fresia. (Fig. 3.3.5.4.2)

      

Fig. 3.3.5.4.2 : Distribution géographique des perceptions subjectives dans la population d'un bon état de santé, d'un état de santé moyen, et d'un mauvais état de santé.

      C'est précisément cet ensemble d'apparents paradoxes qui a constitué l'une des motivations premières pour aller de l'avant avec une analyse de corrélations multiples sur l'ensemble des données disponibles. Les résultats se sont avérés tout aussi étonnants.

      La question sur l'état de santé de l'enquête CASEN (« dans quel état de santé estimez-vous être actuellement? ») comporte trois cases à cocher pour les réponses possibles : Bon , Moyen (« Regular ») et Mauvais. Nous allons détailler à la suite les paramètres avec lesquels ces réponses se sont avérées corrélées.


3.3.5.4.1 Le bon état de santé

      
Tableau 3.3.5.4.1.a : Corrélations significatives des 'se perçoit subjectivement en bon état de santé'.
Item Coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N coeff détermination r2
% perception subjective état de santé moyen -0.957 0 16 0.916
Affilié ISAPRES (prive) 0.723 0.002 16 0.523
% perception subjective mauvais état de santé -0.669 0.005 16 0.448
Revenu autonome du foyer 0.577 0.019 16 0.333
Affilié FONASA (public) -0.524 0.037 16 0.275
Possède une machine à laver 0.501 0.048 16 0.251

      Ce qui surprend en tout premier lieu c'est la présence exclusive et en force de paramètres qui mesurent le niveau de vie et de consommation, sans aucun lien avec des paramètres d'âge ou de recours à de services de santé. En somme, tout se passe comme si, lorsqu'on demande à quelqu'un « êtes-vous en bonne santé », il répond « oui, je consomme bien ». Les corrélations pointent indirectement vers une appartenance urbaine et vers un niveau socio-économique élevé, une catégorie généralement connue pour afficher les meilleurs paramètres objectifs d'état de santé et de longévité.


3.3.5.4.2 L'état de santé moyen

      
Tableau 3.3.5.4.2.a : Corrélations significatives des 'se perçoit subjectivement en état de santé moyen'.
Item Coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N coeff détermination r2
% perc subj bon état de santé -0.957 0 16 0.916
Affilié ISAPRES (prive) -0.748 0.001 16 0.560
Revenu autonome du foyer -0.69 0.003 16 0.476
% perc subj mauvais e de santé -0.669 0.005 16 0.448
Possède une machine à laver -0.578 0.019 16 0.334
Participation réunions sociales 0.542 0.03 16 0.294
Affilié FONASA (public) 0.536 0.033 16 0.287

      Autre curiosité sémantique, l'exact contraire à « je suis en bon état de santé » en termes de corrélations n'est pas « je suis en mauvais état de santé », mais « je suis en un état de santé moyen » (« regular »). Les corrélations pointent de façon concordante vers un profil socio-économique de faibles ressources avec une consommation limitée, sans aucun élément qui se réfère à l'état de santé ou à la consommation de services de santé. En d'autres termes, lorsque l'interrogé répond « je suis en un état de santé moyen (regular)» il faudrait comprendre « je consomme peu ou prou ». On se situe aux antipodes du concept d'état de santé couramment utilisée par les professionnels du domaine.

      Il est tentant de comparer cette dérive sémantique avec ce qui s'est passé en français avec l'expression « bien aller » et son rapport initial historique avec la physiologie digestive. Une ligne de recherche relevante devrait explorer plus en détail les rapports entre niveau objectif et désirs de consommation, perception de l'état de santé et demande de services de santé, interface complexe qui présente un potentiel explosif pour les coûts.


3.3.5.4.3 Le mauvais état de santé

      
Tableau 3.3.5.4.3.a : Corrélations significatives des 'se perçoit subjectivement en mauvais état de santé'.
Item Coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N coeff détermination r2
Obésité infantile 2 - 5 ans 0.701 0.002 16 0.491
Percept subj bon état de santé -0.669 0.005 16 0.448
Obésité gravidique 0.582 0.018 16 0.339
coeff de diff d'accès x distance -0.533 0.034 16 0.284

      On entre dans un tout autre registre avec la perception subjective d'un mauvais état de santé, le seul lien étant une corrélation négative avec le bon état de santé. La perception d'un mauvais état de santé est en rapport direct avec des paramètres d'obésité gravidique et surtout infantile (les deux étant par ailleurs associés), tous deux indicateurs objectifs de plus amples problèmes dans les populations concernées (principalement les communes rurales de Chonchi, Fresia et Los Muermos, voir Fig. 3.3.5.4.2). On peut aussi se demander si l'image corporelle ne joue pas un rôle elle aussi dans cette perception, mais il est impossible de l'affirmer en l'absence d'autres critères objectifs.


3.3.5.4.4 Ceux qui ignorent dans quel état de santé ils se trouvent

      
Tableau 3.3.5.4.4.a : Corrélations significatives de 'ne sait pas en quel état de santé il est'.
Item Coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N coeff détermination r2
Taux d'élèves avec + de 450 points au bac 0.589 0.027 14 0.347
cons paraméd prev / aff fonasa+indigents / an -0.509 0.044 16 0.259

      Ce paramètre présente peu de corrélations et d'ailleurs la distribution des données diffère significativement de la normale, ce qui constitue un facteur d'atténuation. Il est cependant ironique de constater une corrélation inverse (mais faible) entre un indicateur de performance scolaire et l'anosognosie en matière d'état de santé.


3.3.5.4.5 A titre de synthèse (provisoire) sur le troisième âge et la perception de l'état de santé

      Contrairement à nos postulats initiaux, le taux de personnes âgées ne s'est trouvé en aucun moment corrélé avec une perception plus ou moins fréquente dans la population d'un mauvais état de santé quel qu'il soit. En fait, la perception de l'état de santé s'est avérée correspondre, pour les catégories « bon » et « moyen », à des paramètres diamétralement opposés de consommation et de niveau de vie, et pour la catégorie « mauvais », à des paramètres d'obésité infantile et maternelle.

      Dans un environnement global où la définition et les limites du soi passent de plus en plus par la capacité ou non à consommer tel ou tel produit, cette apparente dérive sémantique de la perception de l'état de santé ne peut manquer d'interpeller, en particulier par son potentiel latent à moduler la demande de soins et partant, la répartition de ressources limitées. On peut postuler que la perception subjective de ce qu'est un « bon » ou un « moyen » état de santé relève d'une définition culturelle et soumise à des fluctuations, définition dont la forme actuelle a abouti à lier bonne santé et capacité économique ou niveau de consommation. La perception d'un « mauvais » état de santé semble par contre être restée plus proche du sens technique du terme, puisqu'elle est plus fréquente dans des populations présentant des problèmes spécifiques comme l'obésité. Une relation avec la perception de l'image corporelle n'est d'ailleurs pas exclue.

      Ces résultats tendent à remettre en question la signification à attribuer aux évaluations de l'état de santé des populations basées sur des enquêtes subjectives simples. (voir p. ex. Van Oyen et coll. 1996)


3.3.6 Perception subjective de l'état de santé et pauvreté

      Les rapports fort évocateurs entre perception de l'état de santé et plusieurs paramètres de niveau de vie et de consommation ont été explorés dans le chapitre précédent. Nous avons constaté qu'il est impossible de lier la perception de l'état de santé avec tel ou tel indicateur de pauvreté : il n'y a pas de corrélations significatives. Par exemple, avec la proportion de la population vivant sous le seuil de pauvreté, ou avec l'IPH. (Annexe 4, Fig. 3.3.6.1, 3.3.6.2 et 3.3.6.3)

      En termes de revenu autonome du foyer la situation est un peu plus explicite et reproduit dans l'ensemble la corrélation avec les critères de consommation et de niveau de vie. Les perceptions subjectives d'un mauvais état de santé se concentrent nettement dans les communes à bas revenus, par exemple : Chonchi, Maullín, Fresia, Quemchi, Calbuco. Mais le secteur des bas revenus exhibe une assez grande dispersion : à revenus similaires, Los Muermos et Cochamó regroupent moins de mécontents par rapport à cet aspect. La tendance générale est que plus le revenu autonome est élevé, moins il y a de personnes qui se plaignent par rapport à leur état de santé, avec toutefois un « facteur urbain » de péjoration à Puerto Montt et Ancud. (Fig. 3.3.6.4) :

      

Fig. 3.3.6.4 : Revenu autonome du foyer et perception subjective de l'état de santé.


3.3.7 Médecine préventive : Le cas du dépistage du cancer du col de l'utérus par le test de Papanicolaou

      Cette prévention rentre dans le cadre d'un programme à niveau national. Les prestations (tout comme la surveillance gynécologique de base) sont assurées habituellement par les sage-femmes. Les informations proviennent des enquêtes subjectives CASEN indépendantes des services de santé.

      La couverture pour l'ensemble des trois provinces de Llanquihue, Chiloé et Palena (respectivement de 50.3%, 45.7% et 48.8%) se situe globalement en retrait par rapport au niveau de couverture national, de l'ordre de 68.3% selon le rapport Mideplan sur l'état de la santé en 2000. Il existe là encore d'importantes différences interrégionales et intercommunales qu'il importe de détailler. (fig. 3.3.7.1.1)


3.3.7.1 Consultations du programme de la femme et dépistage PAP

      

Fig. 3.3.7.1.1: Consultations dans le cadre du programme de la femme et pourcentage de la population féminine affirmant avoir bénéficié d'un dépistage par Papanicolaou dans les trois dernières années.

      Il n'y a pas de lien direct entre le nombre de consultations du programme de la femme et le degré de couverture par le test PAP. Cette absence de correspondance est également vérifiée si l'on considère l'ensemble des consultations, et l'ensemble des consultations paramédicales. Les communes avec les meilleurs résultats parviennent à leurs fins avec un nombre très variable de consultations dans le cadre du programme de la femme. Il en va de même pour les résultats moyens à mauvais.

      

Fig. 3.3.7.1.2 : Distribution géographique du taux de dépistage PAP dans les trois dernières années, selon les réponses des femmes aux enquêtes CASEN.

      On est frappé par le fait que trois des quatre villes (Puerto Montt, Castro et Ancud) n'obtiennent que des résultats médiocres à franchement mauvais en matière de prévention PAP. Ceci en dépit de la présence en ville d'une offre médicale diversifiée et de systèmes de prévision privés (ISAPRES) qui, tout au moins au niveau national, assurent à leur population féminine un taux de couverture pour le test de PAP un peu plus élevé que le système public (Mideplan, rapport sur l'état de santé 2000).

      Tout se passe donc comme si un « facteur urbain » jouait contre la bonne conduite de la médecine préventive. Puerto Varas est la seule exception. Il importe d'éclaircir les origines de cette mauvaise performance en secteur urbain pour chercher à la corriger.

      Relevons que dans les enquêtes CASEN, à niveau national, les deux raisons de plus en plus fréquemment invoquées dans les cas d'absence de dépistage PAP sont : 1) l'oubli (env. 41% des cas) et 2) l'absence d'intérêt ou la perception qu'il ne s'agit pas d'un examen important (env. 23% des cas). (Mideplan, rapport sur l'état de santé 2000).

      A part Puerto Varas, des communes rurales parmi les plus diverses et les plus éloignées obtiennent les meilleurs résultats de couverture de population : Cochamó, Frutillar, suivies de Fresia et Chonchi. Il conviendrait de déterminer sur place les facteurs humains, locaux et méthodologiques qui ont permis cette meilleure couverture et s'en inspirer.

      Ces bons résultats soulignent également la bonne qualité du travail des équipes multidisciplinaires en médecine rurale. Le capital de méthodologie et d'expérience des communes obtenant les meilleurs résultats pourrait s'avérer utile aux communes qui s'en sortent moins bien. De tels échanges horizontaux pourraient être facilités et encouragés par une meilleure structuration du système de santé en réseau.

      La méthodologie du dépistage est peut-être à revoir à Ancud, Quinchao, Castro et Quemchi, toutes étant des communes de l'île de Chiloé.


3.3.7.2 Dépistage PAP et corrélations

      Nous avions initialement postulé qu'à un meilleur taux de dépistage PAP (impliquant en principe une meilleure couverture de soins, ou en tout cas un meilleur suivi) devrait correspondre une perception subjective d'un meilleur état de santé. Il n'en est rien : les meilleurs résultats de dépistage PAP (Annexe 4, Fig. 3.3.7.2.1) se trouvent dans les deux extrêmes de perception de l'état de santé: Cochamó, Frutillar et Puerto Varas ont les populations qui se sentent en meilleure santé des trois provinces, Fresia et Chonchi ont celles qui s'en plaignent le plus. La perception de l'état de santé ne semble pas être déterminante par rapport au dépistage PAP, qui d'ailleurs ne présente que des corrélations médiocres avec différents paramètres. (Tableau 3.3.7.2.a)

      
Tableau 3.3.7.2.a : Corrélations significatives de 'dépistage PAP effectué dans les 3 dernières années'.
Item coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N coeff détermination r2
Taux d'organisation communautaire -0.59 0.034 13 0.348
Rapport de Mortalité Standardisé 0.567 0.022 16 0.321
il n'y a pas de centre de santé ou + de 3.5 km 0.567 0.022 16 0.321
index d'indigence rurale -0.556 0.025 16 0.309
% pop se définissant comme indigène -0.528 0.035 16 0.279
il n'y en a pas de centre de santé ou + de 1.3 km 0.514 0.042 16 0.264
0-1 km au centre de santé le plus proche -0.512 0.043 16 0.262


3.3.7.3 PAP : Comment améliorer la prévention?

      Le taux d'analphabétisme féminin ne montre aucune corrélation avec la pratique d'un dépistage PAP récent (Annexe 4, Fig. 3.3.7.3.1), par contre il se trouve que les populations les moins assidues pour les dépistages sont aussi celles où l'on observe le plus d'assistance aux réunions sociales (Annexe 4 Fig. 3.3.7.3.2) et un plus grand taux d'organisation communautaire (Tableau 3.3.7.2.a). Ces caractéristiques pourraient s'avérer d'excellent vecteurs pour la diffusion d'informations.

      Il est suggéré que l'assiduité au dépistage du cancer du col pourrait être améliorée par une campagne interservices ciblée sur les communes qui posent problème et aboutissant à un rappel opportun de la nécessité et l'importance du dépistage PAP à l'occasion des réunions sociales.


3.3.8 Troubles de la nutrition et du développement: Obésité infantile et Retard de croissance

      Nous n'aborderons pas dans le cadre de ce court exposé la question des poids trop bas à la naissance, devenus très peu fréquents dans la région comme dans le reste du pays. Par contre, tout comme celle des adultes, l'obésité infantile s'avère un problème qui explose dans les Amériques comme dans le reste du monde, avec un redoutable potentiel de nuisance collective hypothéquant l'avenir des populations et l'équilibre des services de santé de demain (maladies cardiovasculaires, diabète, hypertension etc.).

      Pour référence : la consommation de Coca-Cola au Chili en 2001 s'est élevée à 336 bouteilles de 8 onces par personne et par an (http://www.contal.com/hechos_relevantes04.html), soit le troisième rang mondial après le Mexique et les USA (à titre de comparaison : France : 104 bouteilles par personne et par an) et pour 1999 la consommation totale de boissons gazeuses sucrées s'est élevée à 87 litres par personne et par an 12 . Au Chili, un enfant de 4 a 8 ans passe en moyenne 20 heures par semaine devant la télévision 13 .

      Au niveau national, le taux d'obésité infantile est de l'ordre de 10% dans les zones urbaines, et très légèrement inférieur (9.8%) dans les zones rurales. Il est plus élevé à la fois dans les villes les plus riches et les régions rurales les plus pauvres (Mideplan, rapport sur l'état de santé 2000). D'autres enquêtes (Junta Nacional de Auxilio y Becas) avancent des chiffres bien plus alarmants: 16% des enfants de moins de six ans seraient obèses, et 20.6% souffriraient d'excédent pondéral. A titre de comparaison, la prévalence de l'obésité infantile est estimée en France à 10-12% et aurait doublé en dix ans (Rapport INSERM 2000).


3.3.8.1 L'obésité infantile plus fréquente caractérise les villes comme un certain nombre de communes rurales

      

Fig. 3.3.8.1.1 : Distribution géographique des taux d'obésité infantile, par quartiles.

      Dans les trois provinces qui constituent l'objet de la présente étude (fig. 3.3.8.1.1) le taux des enfants de 2 a 5 ans obèses varie du simple au triple, avec des valeurs de deux à trois points de pourcentage inférieures à la moyenne nationale. En termes de prédiction de l'impact futur sur la population, il serait encore plus intéressant de disposer des chiffres concernant l'obésité infantile dès six ans et plus, après le rebond d'adiposité. L'obésité infantile dans l'enfance a elle-même été reliée à une augmentation du risque de mortalité à l'âge adulte de 50 a 80%, mais la probabilité de persistance de l'obésité de l'enfance à l'âge adulte augmente avec l'âge de l'enfant, avec sa sévérité, et avec les antécédents familiaux (rapport INSERM 2000).
Du point de vue de l'analyse de corrélations (Tableau 3.3.8.1.a), l'obésité infantile présente des liens assez forts avec la perception d'un mauvais état de santé, la perception d'un handicap, et l'obésité gravidique. Il existe des signes qui évoquent une atomisation (bas taux d'organisation communautaire), éventuellement un habitat dispersé (relation inverse avec le taux de personnes qui résident à moins de 1 km du centre de santé le plus proche) dans la sous-population considérée, et un paramètre de consommation en particulier (la possession d'un réfrigérateur) est corrélé avec l'obésité infantile.

      
Tableau 3.3.8.1.a : Corrélations significatives de 'Enfants de 2 à 5 ans avec poids/taille > 2 DS'.
Item coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N Coeff détermination r2
Perception subjective mauvais état de santé 0.701 0.002 16 0.491
Perception subjective d'un handicap 0.664 0.005 16 0.441
Possession d'un frigo 0.577 0.019 16 0.333
plus de 3.5 km au centre de santé le plus proche 0.575 0.02 16 0.331
Obésité gravidique 0.574 0.004 23 0.329
subsides en % du revenu -0.537 0.032 16 0.288
0-1 km au centre de santé le plus proche -0.531 0.034 16 0.282
taux d'organisation communautaire -0.528 0.029 17 0.279
Subsides -0.516 0.041 16 0.266
il n'y a pas de centre de santé ou + de 1.3 km 0.511 0.043 16 0.261
Possession d'une machine à laver 0.396 0.129 16 0.157

      Dans l'ensemble, la distribution de l'obésité infantile dans la région reprend ce que constate le Mideplan à l'échelle du pays : elle touche surtout les deux extrêmes de la gamme, les villes riches et les communes pauvres.

      Toutes les villes (Puerto Varas, Puerto Montt, Castro et Ancud) ont des taux d'obésité infantile plutôt élevés (3e quartile). Des facteurs concomitants à la vie urbaine - stress, sédentarité, grande disponibilité commerciale de sources de calories annexes (boissons gazeuses, sucreries...) et la perte de repères nutritionnels (impact de la publicité, TV, déracinement)- sont des co-facteurs possibles souvent invoqués pour expliquer ce phénomène.

      Le taux extrêmement élevé d'obésité infantile à Chonchi inciterait fortement à enquêter sur des causes locales spécifiques.

      On trouve aussi dans le groupe à obésité infantile marquée les communes rurales de Frutillar, Queilen, Fresia, Chaitén, Los Muermos et Curaco de Vélez représentant l'ensemble de la gamme en ce qui concerne le taux de population rurale (Fig. 3.3.8.1.2).

      On remarque toutefois avec intérêt qu'un nombre relativement élevé de communes rurales présentent une résilience (ou retard ?) par rapport à la prévalence de l'obésité infantile. Les facteurs qui jouent en faveur du bas taux d'obésité infantile dans les communes de Llanquihue, Dalcahue, Quinchao, Hualaihué, Puqueldón, Cochamó et Palena, mais aussi Maullín, Calbuco, Quellón, Quemchi méritent d'être éclaircis, car leur identification pourrait s'avérer extrêmement utile dans la conduite des programmes de lutte contre l'obésité infantile et la promotion d'une alimentation équilibrée.

      Le problème de l'obésité touche également les adultes, et est la source d'une très forte co-morbidité. Une étude descriptive récente des médecins généraux de zone de Chonchi et de Castro (Cortes E. et coll. 1999) portant sur des patients souffrant d'hypertension, a mis en évidence un état nutritionnel altéré chez 94% des adultes (27% avec une surcharge pondérale et 66.3% avec une obésité franche selon IMC). 17% des patients souffraient de diabète type II, et 78% avaient une cholestérolémie élevée au-dessus de la norme.

      

Fig. 3.3.8.1.2: Taux de population rurale et fréquence de l'obésité infantile chez les enfants de 2 a 5 ans


3.3.8.2 Obésité infantile et pauvreté

      Un lien entre obésité infantile et pauvreté a été évoqué dans le rapport du Mideplan sur l'état de la santé, pour d'autres régions à fort degré de pauvreté et à fort degré d'obésité infantile (notamment IXe région), mais cette corrélation n'est pas vérifiée dans le détail pour les provinces de Llanquihue, Chiloé et Palena (Tableau 3.3.8.1.a et Annexe 4, Fig. 3.3.8.2.1) où le lien se fait plutôt avec des paramètres de consommation et d'atomisation. D'une façon générale, dans les pays « en voie de développement » l'obésité infantile est corrélée à un niveau socio-économique élevé, tout comme l'obésité adulte. Par contre, dans les pays « développés », la fréquence de l'obésité féminine est plus importante pour les femmes dans les groupes du bas de l'échelle sociale, alors que chez les hommes et les enfants la distribution est beaucoup moins nette (Rapport INSERM 2000, Sobal et Stunkard 1999).

      Signalons les deux cas extrêmes, Chonchi (grande fréquence d'excédent pondéral, taux moyen de population sous le seuil de pauvreté) et Maullín (faible fréquence d'excédent pondéral, taux élevé de population vivant sous le seuil de pauvreté). Trois des quatre villes (Puerto Varas, Ancud, Puerto Montt) montrent des paramètres très similaires pour les deux variables et font nettement moins bien que la plupart des communautés rurales dans cette série (rappelons que pour certaines séries émanant des enquêtes, comme le pourcentage de population vivant sous la ligne de pauvreté, les données manquent pour plusieurs communes).

      Nous avons déjà signalé que la concordance entre les différents index de mesure de la pauvreté est souvent faible, voire inexistante. Il est donc normal que la comparaison du taux d'obésité infantile avec les autres index de mesure de pauvreté nous fournisse des résultats divergents. Aucun ne présente de corrélation avec le taux d'obésité infantile, que ce soit l'index d'indigence rurale, l'indicateur de pauvreté du FCM, ou encore l'IPH (Annexe 4, Fig. 3.3.8.2.2)


3.3.8.3 Obésité infantile et réfrigérateur dans le foyer : y a-t-il un rapport ?

      Le citadin habitué au confort a tendance à oublier l'importance de la révolution alimentaire que représente l'arrivée d'un réfrigérateur dans un foyer : voici soudain une quantité non négligeable de sources de calories disponibles en libre accès, à tout instant du jour et de la nuit, et sans effort !. Indicateur de niveau de vie et de consommation, le réfrigérateur permet et introduit un autre type de consommation alimentaire 14 . Il n'est donc pas surprenant qu'il y ait une forte corrélation (Si l'on fait abstraction de l'exception notoire et extrême de Chonchi : R = 0.86) entre la possession de frigos par les foyers et le taux d'excédent pondéral infantile (Fig. 3.3.8.3.1) .

      

Fig. 3.3.8.3.1: Nombre de foyers possédant un réfrigérateur et taux d'enfants présentant un excédent pondéral.

      L'impact spécifique de la possession d'un réfrigérateur sur la nutrition et le taux d'obésité infantile est souligné par la moindre corrélation obtenue avec un autre indicateur de consommation et de niveau de vie, la machine à laver (Annexe 4, Fig. 3.3.8.3.2) : La corrélation est deux fois moins marquée que dans le cas du réfrigérateur, et non significative. Et elle est encore plus faible lorsqu'on considère le revenu mensuel autonome du foyer (Annexe 4, Fig. 3.3.8.3.3).

      Il serait par ailleurs intéressant de pouvoir établir la même statistique par rapport à la possession d'un poste de télévision, puissant facteur de sédentarisme et de modification des comportements, alimentaires entre autres.

      Dans une période où (notamment du fait des échecs essuyés avec la prévention alimentaire) l'accent est mis sur le renforcement de l'activité physique, ce résultat tend à suggérer la nécessité d'introduire ou de renforcer des notions de gestion de stocks de nourriture et du contenu du réfrigérateur dans les programmes d'éducation à la nutrition et de lutte contre l'obésité existants. Une autre ligne d'action de prévention de l'obésité infantile devrait s'orienter vers la promotion de l'allaitement maternel (rapport INSERM 2000).


3.3.8.4 Les retards de croissance

      Le taux des retards de croissance (rapport taille / âge inférieur de 2 DS de la moyenne) varie du simple au quadruple dans les populations qui nous intéressent. Deux des quatre villes et la moitié des communautés rurales sont touchées. Pas de règle à dégager en ce qui concerne la répartition ville / campagne de ce paramètre peu « connecté », donc. (Fig. 3.3.8.4.1 et Annexe 4, Fig. 3.3.8.4.2).

      

Fig. 3.3.8.4.1 : Distribution géographique du taux de retards de croissance, par quartiles.

      Pas plus que dans le cas de l'obésité infantile, on n'établit aucun lien entre les retards de croissance et les différents indicateurs de pauvreté, mis à part une corrélation négative peu marquée (r = -0.5) avec le taux de population vivant sous le seuil de pauvreté.

      

Fig. 3.3.8.4.3 : Taux d'enfants montrant un excédent pondéral et taux d'enfants montrant un retard de croissance.

      Plus intéressante semble la mise en rapport des endroits présentant à la fois un taux de retard de croissance important et un taux d'obésité infantile élevé. Le graphique résultant (Fig. 3.3.8.4.3) pourrait s'avérer un bon indicateur synoptique pour sélectionner les endroits où il importe de renforcer les mesures de prévention et d'éducation nutritionnelle en premier.


3.3.9 Statut nutritionnel de la femme enceinte


3.3.9.1 Les poids trop bas

      Nous avons à disposition une série de données de 1998 qui détaille l'état nutritionnel des femmes enceintes. Le taux de femmes enceintes présentant un poids trop bas varie entre 2% et 16%. La dispersion des points est assez grande (Fig. 3.3.9.1.2), mais seules cinq communes rurales sur dix-huit affichent plus de 10% de femmes enceintes souffrant d'un poids trop bas : Il s'agit de Calbuco, Fresia, Dalcahue, Quemchi et Cochamó. Toutes les autres communes rurales ont des taux inférieurs à 10%.

      En ce qui concerne les villes, quatre sur cinq (Puerto Montt, Llanquihue, Castro et Ancud) voient leur population de femmes enceintes touchée par le phénomène à plus de 10%. La cartographie met aussi en évidence le caractère urbain du déficit pondéral gravidique. (Fig. 3.3.9.1.1)

      

Fig. 3.3.9.1.1 : Distribution géographique du déficit pondéral gravidique.

      

Fig. 3.3.9.1.2 : Population rurale et taux de femmes enceintes présentant un poids trop bas.

      Dans l'analyse de corrélations, le paramètre « poids trop bas chez la femme gravidique » montre aussi un ensemble de corrélations avec des paramètres clairement urbains (Tableau 3.3.9.1.a) :

      
Tableau 3.3.9.1.a : Corrélations significatives de 'Poids trop bas chez la femme gravidique'
Item coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N coeff détermination r2
Taux des consultations en urgence toutes cs 0.57 0.005 23 0.325
Taux de consultations de médecin en urgence 0.546 0.007 23 0.298
Densité de la population 0.476 0.022 23 0.227
Consultations médecin urgence / habitant / an 0.454 0.03 23 0.206
Population avec service d'égouts 0.441 0.04 22 0.194

      Tous ces éléments évoquent l'existence d'un facteur de protection rural en ce qui concerne le déficit pondéral chez les femmes enceintes, ou bien d'un facteur urbain de péjoration.

      On remarque aussi l'absence de corrélation avec des paramètres de pauvreté, de consommation ou d'absence de consommation. Se trouve-t-on déjà dans le registre des problèmes liés à l'image corporelle chez la femme urbaine? Ce n'est pas du tout certain compte tenu d'une évolution globalement inverse par rapport au revenu autonome familial avec l'exception notoire de trois communes rurales où la sécurité alimentaire pourrait être assurée par la production non monétaire (Annexe 4, Fig. 3.3.9.1.3). Les résultats de la littérature concernant l'Inde du Nord (Kumar 2002) mettent en lumière une situation très similaire avec des villes regroupant à la fois les bas poids (chez les bas revenus) et les obésités (chez les hauts revenus). Les villes des pays en transition nutritionnelle apparaissent ainsi actuellement comme le lieu de la potentialisation des inégalités par excellence.


3.3.9.2 Excédent pondéral ou obésité gravidique

      C'est de loin la pathologie la plus répandue. Comme dans le cas du poids trop bas chez les femmes enceintes, elle est fréquente aussi bien dans des communautés urbaines que rurales, mais avec cette fois un biais rural dans certaines communes. On remarque des taux exceptionnellement bas dans trois communes andines : Cochamó, Hualaihué et Palena. (Fig. 3.3.9.2.1 et Annexe 4, Fig. 3.3.9.2.2).

      

Fig. 3.3.9.2.1 : Distribution géographique de l'obésité gravidique.

      Les corrélations du paramètre « obésité gravidique » montrent une population dans des endroits accessibles (sédentarité?) et présentant un faisceau de paramètres de revenus, de niveau de vie et de consommation élevés. (Tableau 3.3.9.2.a)

      Comme dans le cas de l'obésité infantile (chap. 3 3.8.3), il y a une corrélation significative entre le surpoids gravidique et la présence d'un réfrigérateur dans le foyer (Annexe 4, Fig. 3.3.9.2.3), et le lien est bien plus faible avec un autre indicateur de consommation, la machine à laver (Annexe 4, Fig. 3.3.9.2.4). Voir la discussion à ce sujet dans le chapitre précédent.

      
Tableau 3.3.9.2.a : Corrélations significatives du paramètre 'Obésité gravidique'.
Item coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N coeff détermination r2
Mortalité infantile 98 -0.687 0.007 14 0.472
coefficient de difficulté d'accès x distance x population -0.627 0.001 23 0.393
Possession d'un frigo 0.589 0.016 16 0.347
Percept subj mauvais état de santé 0.582 0.018 16 0.339
Obésité infantile (2 a 5 ans) 0.574 0.004 23 0.329
Subsides en % du revenu -0.541 0.03 16 0.293
Coefficient de difficulté d'accès x distance -0.525 0.01 23 0.276
cs pg de la femme / hab / an 0.424 0.044 23 0.180
Possession d' une machine à laver 0.389 0.137 16 0.151

      Hormis les trois exceptions andines déjà mentionnées, la tendance générale est à un rapport inverse entre la fréquence de l'obésité gravidique et celle du déficit pondéral gravidique avec plus d'obésité et moins de déficit pondéral à la campagne où l'environnement semble propice à une certaine sécurité alimentaire (Fig. 3.3.9.2.5).

      

Fig. 3.3.9.2.5: Taux de femmes enceintes présentant un excédent pondéral ou une obésité, et taux de femmes enceintes présentant un poids trop bas.

      Remarquons ici encore la position extrême de Chonchi pour l'obésité maternelle. C'est en fait la seule communauté rurale à fort composant identitaire indigène à présenter cet aspect, alors que les communautés de Hualaihué, Quinchao, Calbuco et Quemchi affichent des valeurs bien plus faibles (voir le chapitre 4, consacré aux ethnies originaires).

      Peut-être l'argument le plus fort militant pour l'importance et l'urgence d'interventions d'éducation nutritionnelle repose dans la corrélation significative entre l'obésité gravidique maternelle et l'obésité infantile, hypothéquant l'avenir de façon durable (Fig. 3.3.9.2.6):

      

Fig. 3.3.9.2.6: Femmes enceintes avec excédent pondéral ou obésité gravidique et taux d'enfants de 2 à 5 ans avec excédent pondéral ou obésité.


3.3.10 Perception subjective des handicaps

      Les fiches d'enquête CASEN comportent une question sur la présence d'un handicap, quelle que soit sa nature (physique, visuelle, neurologique, auditive, psychiatrique etc.). Pour les trois provinces, entre 1% et 5% de la population enquêtée a répondu à cette question par l'affirmative. Voici (Fig. 3.3.10.1) la répartition des réponses rapportée à la population rurale :

      

Fig. 3.3.10.1: Taux de la population déclarant souffrir d'un handicap et répartition de la population rurale.

      

Fig. 3.3.10.2 : Distribution géographique de la part de la population qui estime souffrir d'un handicap.

      Les variables sont dans ce cas encore très dispersées, on trouve parmi les cas extrêmes des communautés côtières orientés vers la pêche et l'agriculture (Maullín, Chonchi, Quemchi, Curaco de Vélez), une commune agricole et tertiaire (Frutillar), trois villes présentant des valeurs élevées et proches (Ancud, Puerto Montt, Puerto Varas). Il est intéressant de remarquer que comme dans le cas de la perception subjective de l'état de santé, la perception d'un handicap ne montre pas de véritable corrélation avec la proportion de personnes âgées dans la commune (Annexe 4, Fig. 3.3.10.3), ni avec aucun des indicateurs de pauvreté (taux de personnes vivant sous la limite de la pauvreté (Annexe 4, Fig. 3.3.10.4), IPH, index de pauvreté rurale, revenu moyen autonome). Le profil des corrélations (Tableau 3.3.10.a) pointe cependant vers un niveau socio-économique modeste.

      Tableau 3.3.10.a : Corrélations significatives du paramètre 'perception subjective d'un handicap'.

      
Item Coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N coeff détermination r2
% Enf. 2 a 5 ans avec poids/taille > ; 2 DS 0.664 0.005 16 0.441
Affilié FONASA (public) 0.522 0.038 16 0.272
Affilié autre -0.505 0.046 16 0.255
% Enf. avec poids / âge < ; 2 DS 0.504 0.046 16 0.254

      Curieusement, il n'a pas été constaté de lien non plus entre la perception d'un handicap et un paramètre proche, la perception d'un état de santé moyen à mauvais, encore moins avec la perception d'un mauvais état de santé. (Annexe 4, Fig. 3.3.10.5)

      Nous n'avons pas trouvé non plus de lien entre la perception subjective de handicaps et la couverture médicale et paramédicale des communautés étudiées.

      Il faudrait vérifier dans quelle mesure la perception subjective de handicaps se rapporte à la présence réelle de handicaps médicalement reconnus : dans un certain nombre de cas, il pourrait s'agir plutôt d'un signe d'appel à d'autres facteurs de stress, ce qui est à soupçonner notamment dans la commune de Chonchi qui cumule des valeurs extrêmes dans beaucoup de domaines, notamment un excédent de mortalité et des excédents pondéraux maternels et infantiles.

      Une hypothèse à vérifier entièrement est la possibilité d'une corrélation entre la perception physique d'un handicap et le taux d'obésité infantile (Tableau 3.3.10.a) pour lequel nous ne voyons pas d'explication évidente hormis le potentiel d'interaction de facteurs de stress culturel et social sur le comportement alimentaire et l'image corporelle.


3.3.11 Les nouveaux indicateurs de mortalité corrigée

      González Wiedmaier et coll. (2000) ont diffusé dans le bulletin de surveillance épidémiologique officiel du ministère de la Santé deux nouveaux indicateurs de santé synthétiques calculés pour chaque commune du pays:

  • L'Indice comparatif de mortalité (ICM ou SMR), qui mesure l'excès ou le déficit de risque de décès observé dans une population donnée, pendant une période donnée, par rapport à une population 'idéale'. Il est construit en faisant la différence, tranche d'âge par tranche d'âge, entre la mortalité observée localement et la mortalité espérée en se basant sur une population de référence (en l'occurrence, la population du pays tout entier). On calcule ensuite le rapport des totaux mortalité observée sur mortalité espérée, le résultat étant exprimé par rapport à la valeur 100. Un ICM au-dessus de 100 exprime un excès de risque, un ICM en dessous de 100 traduit un risque inférieur à celui de la population standard. Pour une démonstration de la méthode, consulter par exemple: http://www.health.state.pa.us/hpa/stats/techassist/stdmortratio.htm
  • Les années de vie potentiellement perdues (AVPP ou YPLL), calculées en définissant arbitrairement une limite potentielle à la durée de vie, 80 ans en l'occurrence, et en cumulant les écarts à cette limite des décès survenus sur un territoire et une période donnée. Pour une explication de la méthode: http://www.health.state.pa.us/hpa/stats/techassist/ypll.htm

      Ces indicateurs sont présentés comme des outils susceptibles d'identifier les communes ou zones à risque, de permettre leur classement en accord avec l'importance des problèmes, et d'orienter l'allocation des ressources de la santé.

      Au niveau du pays, 41.9% de la population vit dans des communes présentant un ICM significativement supérieur à la norme, la majorité de cette population étant située dans le régions du sud. En ce qui concerne les AVPP, la moyenne nationale est de 93.1 AVPP pour 1000 habitants, avec 40% de la population vivant dans des communes avec un taux d'AVPP supérieur à la médiane qui est de 97.5 AVPP pour 1000 habitants. Ces communes se trouvent en majorité dans le sud du pays, avec un pic dans les zones à forte composante indigène. Le coefficient de corrélation entre les deux indicateurs est de 0.77 à niveau national

      De nombreux doutes (voir par ex. Kamran A. 1999 pour une présentation du débat) ont été émis en ce qui concerne la pertinence et l'équité d'une répartition des ressources de santé orientée par des indicateurs synthétiques qui auraient tendance à mettre l'accent sur les populations jeunes et à sous-estimer les besoins spécifiques des personnes d'âge moyen et avancé dont les décès 'pèsent' nécessairement moins sur l'index. Le débat a porté notamment sur les DALYs promues par la Banque Mondiale. Cette dernière a commencé par ignorer ces critiques, interprétant 'équité' comme une probabilité égale d'accès aux soins pour les victimes d'une affection donnée dans une classe d'âge donnée (voir p. ex. Musgrove P. 1994). Dans une étude canadienne (Bedard et coll. 1999), des doutes ont été également formulés sur les possibilités réelles de comparaison de l'ICM d'une province à l'autre. L'emploi en pratique de l'ICM comme outil déterminant les choix en matière de politiques de santé semble susciter beaucoup d'interrogations.

      Il existe donc un intérêt notoire à évaluer le comportement des nouveaux indicateurs sur le terrain local de la présente étude. Le tableau général se trouve dans l'Annexe 3, la distribution géographique des deux indicateurs est la suivante : (Fig. 3.3.11.1)

      

Fig. 3.3.11.1 : Distribution géographique de l'indice comparatif de mortalité (RMS) et des années de vie potentielles perdues (AVPP), avec la distribution statistique pour les trois provinces étudiées. Les astérisques (*) indiquent les valeurs significativement élevées par rapport à la moyenne nationale signalées dans la littérature.

      On observe en premier lieu que les deux paramètres prédominent dans les environnements urbains et dans la province de Llanquihue. L'ICM est le moins sensible des deux, et sélectionne trois villes sur cinq (Puerto Montt, Llanquihue et Castro), et une commune rurale (Fresia) sur dix-huit, représentant en tout une population estimée de 224 608 personnes (46% de la population des trois provinces).

      Les AVPP pour 1000 habitants présentent une plus grande sensibilité et sont significativement élevées dans tous les endroits où l'ICM l'est. La composante urbaine est encore plus présente. Quatre villes sur cinq (Puerto Montt, Puerto Varas, Llanquihue et Castro) affichent des taux d'AVPP significativement supérieurs à la moyenne nationale, seule Ancud est épargnée. Il existe aussi une très forte dépendance apparente des facteurs régionaux: dans la province de Llanquihue, six communes sur neuf, soit 82% de la population, présentent des taux d'AVPP significativement supérieurs à la moyenne nationale: Puerto Montt, Cochamó, Puerto Varas, Llanquihue, Fresia, Calbuco; à Chiloé, seules deux communes sur dix (Castro et Quinchao), représentant 28% de la population, présentent un taux d'AVPP significativement supérieur à la moyenne nationale. Enfin, dans la province de Palena, une seule commune sur quatre (Palena, avec 6.3% de la population) présente un taux d'AVPP significativement supérieur à la moyenne nationale.

      

Fig. 3.3.11.2 : Indicateur comparatif de mortalité (ICM) et années de vie potentielles perdues (AVPP). Les valeurs significativement élevées par rapport à la norme sont signalées en rouge et en gras pour les ICM, en rouge pour les AVPP.

      En ce qui concerne le rapport entre les deux indicateurs (Fig. 3.3.11.2), le coefficient de corrélation r observé entre ICM et AVPP est de 0.47 (p <= 0.02307, t = 2.46, DL = 21) soit nettement inférieur à ce qui est observé pour le pays entier où r = 0.77. Ceci pourrait être en rapport avec le plus grand nombre de communes étudiées dans la série nationale, mais peut aussi avoir un lien avec les particularismes régionaux remarqués précédemment.

      Outre un évident facteur urbain qui ne peut expliquer par lui-même pourquoi certaines communes rurales sont sélectivement touchées et d'autres non, quels peuvent être les déterminants de la distribution des deux indicateurs de morbidité proposés? Leur distribution rappelle dans l'ensemble le mode de colonisation historique (Fig. 3.1.1.3) et, partant, le type d'économie rurale, le type d'agriculture et le degré d'organisation des communautés rurales. Toujours est-il que les principaux rapports observés pour l'ICM, de loin l'indicateur le mieux connecté des deux, consistent en des corrélations négatives avec les subsides reçus (Fig. 5.0.5) et le taux d'organisation communautaire, suivis à peu d'écart par le taux de participation à des réunions sociales (Tableau 3.3.11.a, Fig. 3.3.11.3). En d'autres termes, les populations rurales les plus « pauvres » et les plus organisées du point de vue communautaire présentent des ICM faibles par rapport aux populations plus urbaines et plus « riches », et aussi par rapport aux populations rurales plus atomisées (dont Fresia et Cochamó sont les prototypes) qui émergent des colonisations du début du XXe siècle. Le gros du fardeau de la morbidité estimé selon ce critère est déjà du côté des villes et de la consommation. Ce résultat est concordant avec l'étude transversale de Young et Lyson (2001) aux USA, qui fait apparaître la participation ou pluralisme structurel comme un déterminant majeur d'un bas taux de mortalité corrigée. De même, des travaux rétrospectifs (Egolf et coll. 1992, Lasker et coll. 1994) sur la ville italo-américaine de Roseto ont mis en évidence une relation entre l'érosion de la tradition communautaire et cohésive, initialement forte, des immigrants (« Américanisation ») et la montée de la mortalité cardiovasculaire, initialement basse, jusqu'à égalisation avec les valeurs observées dans les villes voisines.

      
Tableau 3.3.11.a : Corrélations significatives de l'ICM (indice comparatif de mortalité).
Item coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N Coeff détermination r2
Subsides -0.733 0.001 16 0.537
Taux d'organisation communautaire -0.657 0.004 17 0.432
Subsides en % du revenu -0.628 0.009 16 0.394
cs paramed urg / hab / an -0.591 0.003 23 0.349
cs med prev / affilies FONASA / an -0.588 0.017 16 0.346
PAP dans les 3 dernières années 0.567 0.022 16 0.321
Participation à des réunions sociales -0.54 0.031 16 0.292
Taux de pop avec service d'égouts 0.506 0.016 22 0.256
Possède une machine à laver 0.499 0.049 16 0.249
AVPP 0.473 0.023 23 0.224
Taux de pop av eau potable réseau 0.45 0.036 22 0.203
Revenu municipal par habitant -0.442 0.039 22 0.195
cs med prev / hab / an -0.428 0.042 23 0.183

      

Fig. 3.3.11.3 : Taux de participation aux réunions sociales et indicateur comparatif de mortalité.

      Comparativement à ICM, la mesure des AVPP pour 1000 habitants constitue un paramètre pauvre en corrélations significatives (Tableau 3.3.11.b).

      
Tableau 3.3.11.b : Corrélations significatives des AVPP pour 1000 habitants.
Item coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N Coeff détermination r2
consultations méd prev / affiliés fonasa + indigents / an -0.519 0.039 16 0.269
ICM 0.473 0.023 23 0.224
cs paramed maladie / hab / an 0.446 0.033 23 0.199
% Enf. avec poids / âge < ; 2 DS -0.445 0.033 23 0.198

      Le tableau dressé par les deux indicateurs synthétiques présente un aspect inquiétant, lorsqu'on le met en rapport avec les effets du modèle de développement mis en oeuvre comme avec le déplacement « spontané » des populations - un transfert net de population des communautés rurales relativement structurées vers des agglomérations déstructurées - ce qui revient à un déplacement de population d'un secteur à basse morbidité vers un secteur à morbidité élevée 15 .

      En l'absence de remise en cause du modèle actuel de croissance et des conséquences des stimuli distribués (et elle est bien improbable) un important renforcement de la demande, des besoins et des coûts induits est hautement prévisible, mettant la pression sur le services de santé. Qui va payer?

      Le deuxième type de réserves que l'on peut émettre touche à l'emploi des deux indicateurs synthétiques comme des instruments destinés à orienter la distribution des ressources limitées du système de santé. Nous avons vu que les deux paramètres sélectionnent essentiellement les environnements urbains et, pour les AVPP, les environnements ruraux les moins participatifs, satisfaisant ainsi à la réputation générale des indicateurs stratifiés par tranche d'âge de rester muets (aucune corrélation) par rapport aux problèmes spécifiques rencontrés dans les campagnes, les questions d'éloignement et d'accès aux soins, et le plus fort taux de personnes âgées qu'on y trouve. Une étude britannique récente (Ashtana S. et coll. 2002) arrive sensiblement au même constat par rapport à plusieurs indicateurs et milite pour la mesure directe des besoins avec un niveau de granularité bas qui tienne compte de l'hétérogénéité des situations rurales.

      Une gestion hypothétique orientée uniquement par les AVPP et le ICM tendrait à aggraver encore plus la disparité entre les services disponibles dans les villes et à la campagne, laissant à l'écart le gros de la population des provinces de Chiloé et de Palena.


4. Les ethnies originaires


4.1 L'outil de mesure et ses limites

      Les informations proviennent du rapport d'analyse du Mideplan sur l'enquête CASEN 2000 (Document 14 : Ethnies et pauvreté au Chili, annexe statistique p. 66 et suivantes). Les fiches d'enquête comportent une question sur l'appartenance subjective à l'un des « peuples originaires ou indigènes ». Logiquement, répondra « oui » à cette question quiconque s'identifie comme tel.

      Diverses critiques ont été émises sur la méthode (voir p. ex. Valdés Marco R.). En fait, il existe beaucoup de doutes sur la validité, la sensibilité, la spécificité de critères d'ethnicité, même auto-déclarée, dans des enquêtes épidémiologiques (McAuley et coll. 1996) et on signale un important besoin de recherche de méthodologies de mesure performantes dans le domaine (Senior et Bhopal, 1994).

      Les processus extrêmement complexes d'échanges culturels, géniques, techniques et religieux qui ont eu lieu de très longue date dans l'île de Chiloé et ses zones d'influence apportent une dose d'incertitude non négligeable à la définition d'appartenance à une ethnie donnée.

      On s'explique encore mal pourquoi les Huilliches, « gens du Sud », ont présenté une relation aussi différente à la colonisation par rapport aux groupes du nord (VIIIe et surtout IXe régions) qui ont pratiqué une résistance très active à celle-ci. Le résultat est une culture particulière, qui a vu certes une dilution des notions d'appartenance identitaire pour les populations autochtones, mais aussi l'adoption par les nouveaux venus hispaniques de l'essentiel de la culture matérielle agraire polyvalente, le « kit de survie » développé de longue date et avec succès par les populations autochtones.

      De ce fait, en dehors de quelques communautés rurales indigènes instituées réparties sur quatre ou cinq communes, la situation habituelle dans les zones rurales à l'écart, -y compris les implantations dispersées dans le secteur andin de Llanquihue et Palena par exemple- est la coexistence de familles de microfundistes exerçant des activités agricoles avec des techniques et des conditions de vie pratiquement identiques, alors que certains seulement s'identifient clairement comme « membres des peuples originaires » et cultivent cette tradition. Culture matérielle très proche, identification d'appartenance diversifiée peuvent résumer ce paradoxe qui souligne les limites sévères de la prétention à l'identification des ethnies originaires par le seul nom de famille ou la perception subjective de l'appartenance ethnique.

      Si l'on juxtapose ces données avec les conséquences d'un long passé négationniste, discriminatoire et prédateur en ce qui concerne l'existence des populations autochtones, on peut craindre à juste titre que dans les populations de Llanquihue, Chiloé et Palena la proportion de « membres des ethnies originaires » ne soit sous-estimée par la méthode de l'enquête subjective. Une récapitulation des estimations historiques en matière de taux de population indigène dans le pays pourrait s'avérer des plus parlantes.

      Enfin, dans un contexte de cohabitation, en des conditions matérielles similaires, de familles s'identifiant comme « membres des peuples originaires » avec des familles ne partageant pas cette identification, il convient de prendre garde à ce qu'une intervention sélective d'appui aux premières ne déclenche un sentiment d'injustice et d'inégalité de traitement de la part des secondes, nourrissant un mécontentement généralisé et des fractures au sein des communautés rurales comme celles que l'auteur de ces lignes a pu constater directement sur le terrain.


4.2 Une présence à la fois urbaine et rurale en des points spécifiques

      Le taux moyen de personnes s'identifiant comme appartenant aux peuples originaires est de l'ordre de 11% pour l'ensemble de la Xe région, soit environ 113 400 personnes, constituant 17% des membres des ethnies originaires pour tout le pays selon le Mideplan.

      L'absence de chiffres complets concernant les sondages par commune pour les trois provinces considérées dans ce travail ne nous permet pas d'avancer les totaux par province.

      Près de la moitié de ceux qui se reconnaissent une appartenance aux ethnies originaires se trouve actuellement dans les communes à prédominance urbaine: Puerto Montt, Castro, Puerto Varas, Ancud, le taux étant nettement plus élevé dans les villes secondaires que dans la capitale régionale (Fig. 4.2.1).

      Cette situation reflète, avec un peu de retrait, celle que connaît l'ensemble du pays, où près de 63 % de la population indigène réside désormais dans les zones urbaines.

      

Fig. 4.2.1: Ruralité et répartition des personnes s'identifiant comme membres des ethnies originaires.

      Pour les zones rurales, on peut très clairement distinguer deux types de communes :

      1 ) Un groupe de communes rurales présentant un taux bas de personnes s'identifiant aux peuples originaires. Elles comprennent la quasi totalité des communes rurales de la province de Llanquihue (Fresia, Frutillar, Maullín, Los Muermos, Cochamó). On peut tenter d'expliquer cette différence d'identification par le fait que la zone de Llanquihue a subi un processus de colonisation relativement récent (XIXe-XXe s.) et alimenté par des groupes de provenances variées, souvent indigènes eux-mêmes, mais spoliés de leurs terres et déplacés du fait même de leur appartenance 16 , ce qui a pu susciter une crainte légitime et durable d'afficher une condition indigène de façon trop explicite.

      

Fig. 4.2.2: Distribution géographique du taux de personnes se considérant comme appartenant aux ethnies originaires.

      On trouve également deux cas exceptionnels à Chiloé, les petites communautés voisines de Dalcahue et Curaco de Vélez, cette dernière insulaire, en face et à courte distance de la grande île. Les données manquent malheureusement pour plusieurs autres communes de Chiloé qui auraient permis d'étoffer la compréhension de cette distribution. Relevons que ces communes (Dalcahue en particulier) ont connu d'importants afflux de personnes dans la dernière décennie.

      2) Un groupe de communes rurales présentant un taux plus élevé de personnes s'identifiant aux peuples originaires (de trois a quatre fois plus que dans le premier groupe) distribuées grosso modo en couronne autour de la mer intérieure, soit l'île côtière de Calbuco, les communautés rurales de Chonchi, Quemchi et Quinchao sur la grande île de Chiloé, et sur la côte de la province de Palena, la jeune commune de Hualaihué. Là encore, les données manquent pour les autres communes de Palena. Il est clair que des comparaisons beaucoup plus précises peuvent et doivent être effectués à l'aide des résultats bruts des enquêtes, dont la plus relevante probablement proviendra du résultat du recensement 2002 lorsqu'il sera disponible.


4.3 Paramètres de mesure de pauvreté


4.3.1 Des communautés rurales à index d'indigence élevé

      

Fig. 4.3.1: Population s'identifiant comme appartenant aux ethnies originaires et index d'indigence rurale.

      (Fig. 4.3.1) Les communes rurales à forte composante indigène (Calbuco, Quemchi, Chonchi, Quinchao) se situent nettement dans le segment le plus affecté en ce qui concerne l'index d'indigence rurale. Seules deux petites communautés à faible composante indigène (Curaco de Vélez, Dalcahue), également à Chiloé, atteignent des valeurs aussi élevées.


4.3.2 La corrélation avec les autres paramètres de mesure de pauvreté n'est pas aussi nette

      Les communes rurales à forte composante indigène se situent dans le segment moyen en ce qui concerne la population vivant sous le seuil de pauvreté (Annexe 4, Fig. 4.3.2), avec des valeurs proches de celles observées dans les villes. Les valeurs extrêmes en termes de population vivant sous le seuil de pauvreté sont atteintes par des communes à bas taux de population originaire : Maullín et Los Muermos pour les valeurs les plus élevées, Curaco de Vélez et Dalcahue pour les valeurs les plus basses. Ces deux dernières communes ont expérimenté un afflux de population dans la dernière décennie, par ailleurs.

      L'index de pauvreté humaine (IPH) nous permet seulement de discriminer Hualaihué comme localisation ayant la valeur la plus élevée, les autres communes ne se distinguant en aucune manière (Annexe 4, Fig. 4.3.3).

      En termes de revenu moyen autonome, les communes rurales à forte composante indigène se situent toutes dans le segment moyen à bas, avec Hualaihué affichant le revenu le plus bas de toutes les communes, mais la caractéristique « bas revenus » est partagée avec un certain nombre de communes rurales à faible composante indigène, par exemple Cochamó, Los Muermos et Maullín (Fig. 4.3.4)

      

Fig. 4.3.4: Population s'identifiant comme appartenant aux ethnies originaires et revenu moyen autonome des foyers.


4.3.3 Biens de consommation

      En ce qui concerne la possession d'objets de consommation, les communes à composante indigène se situent dans le bas de l'échelle pour les machines à laver (Annexe 4, Fig. 4.3.5) et encore plus pour les réfrigérateurs (Annexe 4, Fig. 4.3.6). Ce dernier objet semble avoir un lien plus privilégié que les autres avec la fréquence de l'obésité infantile et maternelle (voir chap. 3.3.8. et 3.3.9.).

      La situation d'ensemble est cohérente avec ce qui est relevé au niveau national pour tous les objets de consommation objets de l'enquête (Rapport d'analyse du Mideplan sur l'enquête CASEN 2000, document 14 : « Ethnies et Pauvreté au Chili » p. 24) :

      
Tableau 4.3.5 : Population s'identifiant comme appartenant aux ethnies originaires et possession d'une machine à laver ou d'un réfrigérateur dans le foyer
% foyers possédant : Population non indigène Population indigène
Machine à laver 45.3 25.9
Réfrigérateur 73.7 49.2


4.4 Population âgée

      

Fig. 4.4.1: Personnes s'identifiant comme appartenant aux peuples originaires et nombre de personnes de 65 ans et plus dans les communes.

      A l'exception de Hualaihué, commune jeune sise sur les contreforts andins, les taux de personnes de 65 ans et plus pour les communes à forte composante indigène se situent à des valeurs au-dessus de la médiane (fig. 4.4.1), en particulier à Quemchi et Quinchao. Ces trois communes connaissent un exode rural (chap. 3.2.1)

      Calbuco et Chonchi affichent (fig. 4.4.1) des taux de personnes âgées similaires à ceux de communautés rurales à faible composante indigène. Ces deux communes sont moins affectées par l'exode rural et ont même vu un influx d'habitants dans la dernière décennie (Chap. 3.2.1)

      En général, du fait du plus grand nombre de personnes âgées, il faut s'attendre à des besoins médicaux et des taux de morbidité relativement élevés dans toutes les communes rurales.


4.5 Perception subjective de l'état de santé

      Dans la plupart des communes rurales à forte composante indigène (Chonchi, Calbuco, Quemchi et Hualaihué), une proportion plus importante de la population se plaint de son état de santé, avec des valeurs similaires ou bien supérieures à celles observées en ville (Annexe 4, Fig. 4.5.1). Cette caractéristique les différencie de la majorité des communes à faible composante indigène.

      Parmi les communes à forte composante indigène, Chonchi présente le plus de personnes se sentant en mauvaise santé (à recouper avec la forte prévalence de l'obésité infantile, de l'obésité de la femme enceinte, et du nombre de personnes qui estiment souffrir d'un handicap dans cette commune) et Quinchao le moins.


4.6 Perception subjective d'un handicap

      Contrairement à la perception subjective de l'état de santé, la perception subjective d'un handicap n'est pas différente entre les communes à forte et à faible composante indigène (Annexe 4, Fig. 4.6.1). Remarquons la position extrême de Chonchi dans toutes les séries.


4.7 L'accès aux soins des populations indigènes

      En ce qui concerne l'enquête CASEN, la proportion de personnes sans centre de santé à proximité ou vivant à plus de 3.5 km de celui-ci est égale, voire inférieure, entre les communes à forte composante indigène et les autres : Hualaihué, Calbuco, Quemchi et Quinchao ont des valeurs inférieures ou égales à 30%, alors que Maullín, Dalcahue, Fresia, Cochamó, Frutillar et Los Muermos ont des valeurs supérieures allant jusqu'au double (Fig. 4.7.1). L'analyse des corrélations tend à pointer sur le fait que la population qui se reconnaît une identité indigène a une préférence pour un habitat groupé qui se trouve en général à moins de 1 km du poste de santé le plus proche.

      

Fig. 4.7.1: Personnes s'identifiant comme appartenant aux ethnies originaires et proportion de la population vivant à plus de 3.5 km du plus proche centre de santé, ou sans centre de santé à proximité.

      Dans le cas étudié, il ne semble pas y avoir de discrimination spécifique dans la distribution des ressources limitées du système de santé vis à vis des communes à forte composante indigène. Les déficits semblent répartis assez uniformément dans les zones rurales.

      Remarquons encore, parmi les communes à forte composante indigène, le cas particulier de Chonchi, commune où l'on trouve aussi des taux record de femmes enceintes et enfants obèses, de personnes décrivant un état de santé moyen ou mauvais, comme de personnes estimant souffrir de handicaps divers.


4.8 Excédent pondéral infantile

      

Fig. 4.8.1: Personnes s'identifiant comme appartenant aux ethnies originaires et taux d'enfants présentant une obésité.

      (Fig. 4.8.1) Hormis une fois de plus le cas particulier de Chonchi, qui relève probablement de problèmes bien spécifiques, les taux d'enfants présentant un excédent pondéral se situent tous en dessous de la moyenne dans les communes rurales à forte composante indigène, à la pair avec d'autres communes rurales, et proches des valeurs les plus basses. Cette situation doit être mise en parallèle avec la moindre fréquence des biens de consommation et notamment des réfrigérateurs dans les communes indigènes. Cette situation est différente de la haute prévalence de l'obésité installée depuis une ou deux générations chez les amérindiens des USA (Story et coll. 1999) mais comparable à celle des amérindiens Pima du Mexique qui ont conservé une activité physique élevée et une alimentation traditionnelle par rapport à leurs homologues de l'Arizona (Ravussin et coll. 1994).


4.9 Retard de croissance

      Aucun rapport n'a été décelé entre taux de population indigène et retard de croissance, les valeurs sont dispersées pour toutes les communes indépendamment du type de leur population. (Annexe 4, Fig. 4.9.1)


4.10 Surcharge pondérale gravidique

      On fait la même constatation que pour les retards de croissance ou l'obésité infantile : en matière de surcharge pondérale de la femme gravidique, rien ne permet de distinguer les communes rurales à forte composante indigène des autres (Annexe 4, Fig. 4.10.1)


4.11 Analphabétisme

      Beaucoup plus rare dans les villes, présent en force dans les campagnes d'autant plus qu'elles sont éloignées (Fig. 4.11.1), l'analphabétisme ne semble pas affecter davantage les communautés indigènes en particulier.

      

Fig. 4.11.1 : Distribution géographique du taux d'analphabétisme.

      Les communes rurales à forte et à faible composante indigène montrent des valeurs similaires sur cet aspect (Fig. 4.11.2). Los Muermos affiche un taux d'analphabétisme très marqué (masculin en particulier) qui mériterait des éclaircissements. Les villes (Puerto Montt, Puerto Varas, Castro, Ancud) présentent toutes les taux les plus bas d'analphabétisme. Remarquons la bonne performance de la commune rurale de Calbuco, à parité avec les villes dans le bas taux d'analphabétisme.

      L'analphabétisme féminin prédomine toujours sur l'analphabétisme masculin, avec un différentiel plus marqué à Palena qu'à Chiloé ou Llanquihue. (Tableau 4.11.a)

      
Tableau 4.11.a : Taux d'analphabétisme par sexe et par province.
Taux d'analphabétisme Hommes Femmes Total H/F
Prov. Llanquihue 5.2 6.2 5.7 0.84
Prov. Chiloé 4.9 6.4 5.7 0.76
Prov. Palena 6.3 11.4 8.7 0.56

      L'analyse de l'ensemble des corrélations du taux d'analphabétisme confirme clairement son caractère essentiellement rural, et pointe vers une population dispersée plutôt que résidant dans des petits noyaux à proximité du poste de soins. (Tableau 4.11.b) L'analphabétisme masculin présente même une distribution un peu différente de l'analphabétisme féminin et son profil de corrélation suggère qu'il prédomine dans les endroits tout particulièrement éloignés. (Annexe 7)

      

Fig. 4.11.2: Personnes s'identifiant comme appartenant aux ethnies originaires et taux d'analphabétisme dans la population de la commune.

      
Tableau 4.11.b : Corrélations significatives du paramètre 'taux analphabetisme h + f'.
Item Coefficient corrélation r (Pearson) p (2-tail) N Coefficient détermination r2
taux de cs med en urgence -0.733 0.001 16 0.537
taux de pop rurale 0.725 0.001 16 0.526
Taux de pop avec service d'égouts -0.719 0.003 15 0.517
Taux de pop avec eau potable du réseau -0.712 0.003 15 0.507
cs medecin urgence / hab / an -0.7 0.003 16 0.490
taux affiliés isapres -0.606 0.013 16 0.367
densité population -0.604 0.013 16 0.365
il n'y a pas de centre de santé ou + de 3.5 km 0.602 0.014 16 0.362
subsides en % du revenu 0.6 0.014 16 0.360
taux de pop possédant un frigo -0.56 0.024 16 0.314
taux de pop possédant une machine à laver -0.552 0.027 16 0.305
pourcentage des urgences toutes cons med et paramed -0.543 0.03 16 0.295
revenu autonome du foyer -0.542 0.03 16 0.294
1-3.5 km au centre de santé le plus proche -0.536 0.033 16 0.287
Taux de variation de la population 1992-2002 -0.533 0.034 16 0.284


4.12 Participation aux réunions sociales

      On entend souvent parler de la spécificité et de l'importance des traditions de collaboration sociale dans l'île de Chiloé et son environnement, est-ce qu'on trouve cet aspect reflété dans les statistiques en pratique?

      Il est logique d'imaginer que dans une localisation où les gens expriment plus fréquemment une appartenance identitaire spécifique, il y aura une plus grande participation aux réunions sociales, et vice-versa. Cette hypothèse est-elle vérifiée dans les faits?

      

Fig. 4.12.1 : Répartition géographique du taux de participation aux réunions sociales.

      La distribution géographique des communes à plus fort taux de participation aux réunions sociales se fait en couronne autour de la mer intérieure, et recoupe essentiellement celle des communes à taux élevé de population à identité indigène (Fig.4.2.2).

      Examinons d'abord la répartition ville / campagne à cet égard (Fig. 4.12.1). Nous constatons que dans ce cas le clivage n'a pas tant lieu entre les villes et la campagne, mais entre le continent et le pourtour de la mer intérieure. En effet :

      

Fig. 4.12.2: Population rurale et taux de participation aux réunions sociales.

      Les communautés à forte composante indigène se trouvent toutes dans le groupe insulaire caractérisé par un taux élevé de participation (Fig. 4.12.3 ; Annexe 4, Fig. 4.12.3).

      Même lorsqu'on corrige la participation aux réunions sociales par des facteurs auxquels elle pourrait être liée (comme le revenu du foyer, Annexe 4, Fig. 4.12.4, ou l'index d'indigence rurale Annexe 4, Fig. 4.12.5), il subsiste un comportement bien distinct, en termes de participation, entre les îles, le village de pêcheurs et les communes des contre-forts andins d'une part, les villes et les communes de la plaine de Llanquihue d'autre part. Malheureusement, les données disponibles pour un autre indicateur, le taux d'organisation communautaire (Fig. 4.12.6), sont trop fragmentaires et ne recoupent pas suffisamment les autres séries pour pouvoir en tirer des conclusions.

      

Fig. 4.12.6 : Distribution géographique du taux d'organisation communautaire.

      Les corrélations présentées par le paramètre « participation aux réunions sociales » (Annexe 7) montrent une corrélation avec les subsides (r = 0.66) et avec l'identité indigène (r = 0.63), des corrélations négatives avec les paramètres de consommation (frigos et machines à laver) et avec le revenu du foyer, et une corrélation positive avec l'index de pauvreté FCM. D'un intérêt tout particulier est une corrélation négative (r = - 0.54 , p = 0.031) entre la participation aux réunions sociales et le rapport de mortalité standardisé (RMS) traitée au chap. 3.3.11.

      Si les différences de comportement communautaire reflètent bien des stratégie de vie différentes, une voie de recherche fascinante peut être ouverte vers l'étude l'évolution de différents paramètres de comportement et de morbidité dans des collectivités territoriales présentant différents niveaux d'atomisation sociale.


4.13 Vers une résurrection (assistée) des pratiques de médecine vernaculaire ?

      Depuis quelques années, on assiste dans certains cercles à une prise de conscience de l'importance primordiale d'établir des liens entre la pratique médico-sanitaire officielle et les pratiques et croyances de santé de tradition vernaculaire et indigène. Les arguments militant pour cette attitude comprennent notamment le droit légitime des populations indigènes à une pleine reconnaissance de leur identité culturelle, la diminution du seuil d'accès aux soins demeuré élevé pour les populations indigènes, la construction d'un espace commun et participatif pour la prise en charge des affections, la nécessité impérieuse d'introduire dans un système de santé autoritaire et peu participatif, des valeurs fondamentales de respect et de considération envers les usagers de souche indigène, ainsi qu'une plus grande participation des communautés dans les processus de soins et de préservation de la santé. En filigrane de ce dernier argument on trouve peut-être encore une certaine préoccupation, plus prosaïque et moins exprimée, qui prend ses sources dans les coûts engendrés par la médicalisation des populations.

      Le revirement d'attitude (malheureusement de loin pas majoritaire dans le pays et le milieu de la santé) doit beaucoup aux travaux exemplaires de l'équipe du Dr. Jaime Ibacache Burgos à l'hôpital rural de Maquehue, près de Temuco (IXe région), solidement appuyée par des équipes de chercheurs de l'Université de la Frontière (Temuco). Pour référence, on peut consulter le rapport établi pour l'organisation panaméricaine de santé (Ibacache et coll. 2001). Les dispositifs mis en place à Maquehue et certains postes de santé environnants ont éveillé un intérêt universitaire à niveau international et ont fait l'objet de plusieurs travaux de thèse. Bref, ils constituent une référence en la matière et c'est en suivant leur modèle que diverses tentatives de rapprochement sont menées dans d'autres lieux du pays. Nous le verrons cependant, le modèle de Maquehue n'est pas nécessairement exportable tel quel dans d'autres régions en raison notamment des différences historiques dans la colonisation et le degré de trans-culturation des populations.

      Nous avons récemment découvert un rapport établi à l'intention de l'Université du Chili (Ochsenius C. 2000) au sujet d'une expérience transculturelle en matière de santé dans l'île de Chiloé, impliquant d'une part les services de santé présents sur l'île, d'autre part l'organisation traditionnelle « Conseil des caciques de Chiloé », réunies en une commission interculturelle, assistées par des anthropologues associés au Conseil des caciques et, à l'occasion, par une ou deux organisations non gouvernementales présentes localement. Munie de très modestes moyens issus des budgets habituels de fonctionnement, la commission interculturelle a cependant tenté un certain nombre d'expériences, notamment la formation des techniciens paramédicaux aux traitements par les plantes et la préparation de divers produits. Elle a compté en cela avec l'appui de spécialistes formés à l'étranger collaborant avec l'ONG de conservation des forêts « Bosque Modelo ». Le constat de fond pour Chiloé est toutefois réservé :

      «...on remarque en effet une population quelque peu «médicalisée» dans ses conceptions, dépendant des services et des traitements professionnels officiels, selon la manière à laquelle a été habituée toute la population chilienne, en particulier les secteurs populaires où tout «folklore» médical a été systématiquement combattu et éradiqué. Les pratiques de santé traditionnelles et ethniques paraissent être effectivement très détériorées. Il n'y a pas de registre ni de connaissance certaine de ses agents. Herboristes, rebouteux, accoucheuses traditionnelles et «curieux» ont été jusqu'il y a peu d'années systématiquement poursuivis et isolés de la communauté. Les techniciens paramédicaux avaient pour mission explicite de dénoncer ces pratiques au service de santé. Au cours des dialogues avec les communautés, aucune référence n'a été faite à des pratiques curatives d'inspiration religieuse ou spirituelle (chamanisme). »

      L'auteur explique ensuite que lors des rencontres cérémonielles, les prières présentées comme «indigènes» ressemblent plus, en style et en prosodie, aux prières habituelles que l'on peut entendre dans n'importe quelle église, qu'à des pratiques identifiables comme authentiquement Mapuche. Cette situation n'est finalement pas du tout étonnante compte tenu de l'ancienneté de la christianisation de l'île, où les croyances vernaculaires les plus enracinées revêtent volontiers des apparences chrétiennes, comme par exemple le culte du Christ « miraculeux » de Caguach. La hiérarchie de l'Eglise ne s'y trompe pas, qui cherche dans ce cas précis à étouffer les expressions de ferveur populaire.

      « Cependant, au delà du questionnement sur l'existence d'une identité indigène vraiment distincte de l'identité métisse sur l'île, il existe une mémoire collective récente (pas plus d'une génération) de pratiques traditionnelles et auto-soutenues de santé, en particulier dans le domaine de la reproduction (soins de la grossesse et accouchements). »

      Le constat de l'auteur au niveau des programmes « indigènes » de prévention de la santé développés dans certaines écoles : « Rien ne permet de les différentier en leur forme et leur contenu des programmes de prévention développés dans l'ensemble du pays ».

      En résumé on pourrait distinguer trois étapes dans l'attitude adoptée à l'égard des pratiques traditionnelles en matière de santé, qui peuvent s'observer dans d'autres contextes également:

  1. Suppression active des pratiques traditionnelles par une politique délibérée des autorités et du système de santé «officiel», dans une optique de modernisation nationale autoritaire à modèle unique.
  2. Perte d'autonomie des populations et accentuation de leur dépendance envers la médecine «officielle» et ses produits. C'est la situation largement prédominante à l'heure actuelle.
  3. Préoccupation des autorités face à une dépense «excessive», et rationnement de fait des médicaments comme de services «officiels» dont la qualité stagne ou se dégrade. Tentative de réintroduction exogène des médecines traditionnelles dans un discours «d'autonomisation des populations» qui, bien que reposant sur des bases fort louables, cache mal les préoccupations budgétaires sous-jacentes.

      A ces considérations il faudrait encore ajouter le constat établi par Ibacache et coll. (2001) qui a quant à lui rencontré dans la IXe région des pratiques de médecine vernaculaire bien vivantes, mais présentant un coût fort élevé en comparaison avec celui de la médecine « officielle » subventionnée par l'Etat. Ce coût intrinsèque élevé des pratiques traditionnelles, qui ont connu comme le reste des activités une monétarisation importante, semble un obstacle important à un plus grand recours aux guérisseurs traditionnels dans les processus de soins et de guérison.

      Il importe certainement de mesurer l'étendue de l'évolution de l'attitude officielle vis à vis des pratiques vernaculaires, toutefois dans nombre de cas il semble légitime de se demander si l'on ne s'y prend pas un peu tard, mais surtout si le processus de déculturation est vraiment réversible en l'absence d'un changement plus profond des valeurs dominantes. Les efforts qui portent dans ce sens méritent d'être poursuivis en tout cas.


4.14 Synthèse : Les populations indigènes dans les provinces de Llanquihue, Chiloé et Palena

      La détermination de l'appartenance ethnique au moyen d'un questionnaire comme celui qui a été employé est sujette à caution et a été liée dans d'autres contextes contrôlés à des erreurs d'appréciation assez importantes. L'interprétation des résultats doit se faire avec circonspection et en tenant compte de ces particularités.

      La principale corrélation de l'appartenance aux ethnies originaires est la participation aux réunions sociales (Tableau 4.13.a). Le profil qui ressort de l'ensemble des corrélations est celui d'une population regroupée dans des hameaux ou villages, affichant des paramètres d'indigence et de pauvreté (FCM) plutôt élevés, doublés d'une bas niveau d'intégration dans la consommation de biens d'origine commerciale.

      
Tableau 4.13.a : Corrélations significatives du paramètre 'se définit comme appartenant aux ethnies originaires'.
Item Coefficient corrélation r (Pearson) P (2-tail) N Coefficient détermination r2
participation à des réunions sociales 0.63 0.009 16 0.397
index d'indigence rurale 0.544 0.029 16 0.296
PAP dans les 3 dernières années -0.528 0.035 16 0.279
0-1 km au centre de santé le plus proche 0.523 0.038 16 0.274
possède un frigo -0.515 0.041 16 0.265
pas de centre de santé ou + de 1.3 km -0.508 0.045 16 0.258
Index de pauvreté FCM 99 0.497 0.05 16 0.247

      Du point de vue de la distribution géographique, il existe clairement un clivage entre la population des villes et de la campagne de la plaine de Llanquihue, d'origines diverses et d'installation relativement récente, et la population de Chiloé et ses satellites sur le pourtour de la mer intérieure d'autre part, liée à des traditions plus anciennes. Ce clivage se manifeste dans la participation aux réunions sociales, dans le taux de personnes se définissant comme indigènes et dans le niveau de l'indigence rurale, qui sont corrélés.

      Hors Chiloé, les communes rurales à forte composante indigène présentent à l'égard des réunions sociales un comportement similaire à celui des habitants de Chiloé, différent de celui des communes à faible composante indigène et des villes des plaines de Llanquihue, moins « participatives ».

      La notion subjective souvent évoquée de la persistance d'une forte caractérisation de l'île en termes de traditions de collaboration sociale se voit ici étayée, pour autant que le paramètre « participation aux réunions sociales » revête une même signification sur l'ensemble du territoire considéré. Le contexte général évoque volontiers le schème globalisant de Narayan et coll. (1999): « The shift from indigenous to interest-based living, whether in rural or urban areas, is invariably accompanied by a shift in focus from collective gains to individual gains. In indigenous communities, people tend to belong to groups that aim to benefit the locality as a whole, whereas urban poor people are more likely to belong to groups for individual income gains. »

      Par ailleurs, les communes rurales à forte composante indigène affichent des taux d'obésité infantile à la limite inférieure de la gamme observée. En ce qui concerne l'obésité gravidique ou les retards de croissance il n'y a pas de différences décelables.

      En termes d'offre de soins les problèmes rencontrés par les communautés rurales à forte composante indigène ne sont pas différents de ceux d'autres communes rurales de la région.


5. Subventions et allocations

      Ces dernières années ont vu une politique active de soutien du gouvernement orientée vers la pauvreté dite extrême, suivant en cela les recommandations à se concentrer sur la « poverty alleviation » de la Banque Mondiale 17 . Des méthodes de localisation géographique très précises des « poches de pauvreté » ont été employées récemment, recourant largement à la cartographie informatisée et aux systèmes de positionnement par satellite (GPS).

      Comment la distribution des subsides se caractérise-t-elle dans les faits?

      En pratique, les subsides entrent en jeu dans les communes présentant des revenus autonomes des foyers inférieurs à 350 000 pesos, soit 500 USD (Annexe 4, Fig. 5.0.3). Les sommes distribuées sont très modestes (jusqu'à 30 USD par ménage) même pour le Chili, et ne dépassent pas 7% des revenus ( à Quemchi, Annexe 3).

      

Fig. 5.0.1 : Distribution géographique de la proportion du revenu due aux subsides, par quartiles.

      Les subsides constituent plus de 5% du revenu moyen des foyers dans les communes rurales de Cochamó, Curaco de Vélez, Hualaihué et Quemchi (Annexe 4, Fig. 5.0.4), et dans l'immense majorité des communes rurales les foyers doivent plus de 3% de leurs revenus à des subsides. La corrélation entre taux de population rurale et subsides est en effet élevée. Du point de vue de la distribution géographique (Fig. 5.0.1), les subsides touchent en particulier les zones rurales de difficile accès (îles, zones montagneuses), soit celles qui se trouvent tout particulièrement hors limites pour l'agriculture commerciale. Cette distribution recoupe essentiellement (à l'exception de Cochamó) les zones de forte identité indigène.

      D'après les corrélations du paramètre « subventions en % du revenu » (Tableau 5.0.a) il existe une bonne concordance des subsides avec deux indicateurs nominaux de pauvreté : l'index de pauvreté du Fonds commun municipal (FCM) et l'index d'indigence rurale (Annexe 4, Fig. 5.0.2). Il existe des corrélations négatives fortes avec un ensemble de paramètres de consommation et d'accès aux services qui viennent valider la précision du ciblage sélectif des populations en ce qui concerne les allocations.

      Les communes où les gens reçoivent le plus de subsides sont celles où l'index d'indigence rurale et/ou l'index du FCM est le plus élevé. Les communes à forte composante indigène : Hualaihué, Calbuco, Chonchi, Quinchao, Quemchi, figurent en bonne place, de même que Puqueldón et Curaco de Vélez. Il n'y a pas d'arguments pour affirmer que les communes à forte composante indigène soient favorisées ou défavorisées à cet égard.

      
Tableau 5.0.a : Corrélations significatives du paramètre 'subsides en % du revenu'.
Item coeff corrélation r (Pearson) p (2-tail) N Coeff détermination r2
Subsides 0.913 0 16 0.834
taux de pop possédant un frigo -0.91 0 16 0.828
Taux de pop avec service d'égouts -0.87 0 15 0.757
taux de pop possédant une machine à laver -0.867 0 16 0.752
Taux de pop avec eau potable du réseau -0.864 0 15 0.746
taux de pop rurale 0.795 0 16 0.632
Index de pauvreté FCM 99 0.783 0 16 0.613
revenu autonome du foyer -0.737 0.001 16 0.543
taux d'organisation communautaire 0.733 0.004 13 0.537
index d'indigence rurale 0.709 0.002 16 0.503
taux de cs médicales en urgence -0.694 0.003 16 0.482
taux de pop participant à des réunions sociales 0.664 0.005 16 0.441
taux analphabétisme femmes 0.654 0.006 16 0.428
taux affiliés isapres (privé) -0.639 0.008 16 0.408
Rapport de mortalité standardisé -0.628 0.009 16 0.394
cs medecin urgence / hab / an -0.612 0.012 16 0.375
taux analphabétisme h+f 0.6 0.014 16 0.360
toutes cons paramédicales / hab / an 0.581 0.018 16 0.338
taux affiliés fonasa (public) 0.547 0.028 16 0.299
% obésité gravidique -0.541 0.03 16 0.293
coefficient de difficulté d'accès 0.54 0.031 16 0.292
% obésité infantile -0.537 0.032 16 0.288
cs paramed urgence / hab /an 0.528 0.035 16 0.279
Revenu municipal par habitant 0.516 0.041 16 0.266
coefficient de difficulté d'acces x distance x population 0.507 0.045 16 0.257
coefficient de difficulté d'accès x distance 0.482 0.059 16 0.232

      De façon remarquable, le groupe-cible des subventions présente des liens privilégiés avec le taux d'organisation communautaire et la participation aux réunions sociales. Alors qu'il peut certainement exister des synergies entre le fait de s'organiser collectivement et le fait de se faire entendre et toucher des subventions, le recours à des stratégies d'organisation collective doublant une indigence apparente élevée peut aussi signer la persistance dans ce groupe d'une proportion significative d'une économie non monétaire 18  - un ensemble de mécanismes d'entraide et d'échange au sein de la communauté, forgés par la culture, parfois désignés à tort ou à raison sous le terme de « communisme primitif », et qui échappent essentiellement au calcul économique classique. Il existe de nombreux indices qui pointent dans ce sens à Chiloé, mais seul un travail de recherche systématique permettrait de quantifier leur part exacte actuelle.

      Relevons que les expériences passées de politiques de subvention systématique à bas niveau de populations indigènes (comme cela a été pratiqué aux USA par exemple) semblent avoir eu des effets extrêmement controversés en ce qui concerne leur structuration et la morbidité. Mais sur ce point précis, la liquidation ou l'affaiblissement des structures communautaire traditionnelles est présentée par nombre d'auteurs anglo-saxons, de façon plus ou moins explicite 19 , comme une condition préalable indispensable à la mise en concurrence généralisée et à l'incorporation au « marché 20  » qui doit miraculeusement conduire les méritants à l'accumulation des biens et à la prospérité généralisée. Tout mécanisme de solidarité familial ou communautaire qui pourrait s'interposer dans ce processus inéluctable est suspect. Pour résumer le point de vue d'un satellite attitré de la Banque Mondiale, « While family networks have great importance as coping mechanisms, the strong sense of reciprocal obligation that makes them successful in times of crisis also makes them resistant to individual entrepreneurship and accumulation. » (Narayan et coll. 1999). En d'autres termes, centraux à la pensée économique mais rarement exprimés avec une telle clarté, le capital social serait néfaste car il s'opposerait à l'exposition optimale de chaque individu au Marché et à l'expansion du capital monétaire. Alors qu'une vision aussi simpliste des processus d'intégration économique et d'organisation sociale peut paraître confortable et séduisante lorsque l'on défend des politiques globales « one size fits all », le risque est réel sur le terrain, à vouloir monétiser de façon accélérée les plus « pauvres » au moyen de des paiements ciblés, de fragiliser leur principale stratégie de vie et de sécurité alimentaire, la communauté rurale, de même que leur déterminant essentiel de protection vis à vis de la morbidité, le capital social. La politique de subventions ciblées aux plus démonétisés renferme un certain potentiel de nuisance et de chaos que l'étude de la suite des évènements pourra dévoiler.

      Une autre particularité remarquable de la population qui reçoit des subsides est le lien négatif significatif qu'elle entretient avec le l'indicateur comparatif de mortalité (Fig.5.0.5), paramètre corrélé avec la population urbaine et avec un certain niveau de consommation exposé dans le chapitre 3.3.11. Il est clair qu'une dépense de santé orientée par les seuls AVPP et ICM manquerait de beaucoup le groupe le plus défavorisé et le moins monétisé de la population.

      Une population indigente et rurale présentant une morbidité moindre qu'une population à meilleur niveau de vie et urbaine, voilà qui pourra sembler bien étonnant à un observateur du premier monde habitué à observer un rapport inverse entre morbidité et niveau socio-économique. Cette situation n'est cependant pas exceptionnelle dans les pays « en voie de développement » et elle a été bien documentée en Inde du Nord en particulier en ce qui concerne l'obésité et ses complications (voir par exemple Kumar A. P. 2002).

      Remarquons par ailleurs l'excès d'ICM à Cochamó et à Chonchi, carrefour de toutes les morbidités.

      

Fig. 5.0.5 : Subsides en % du revenu et indicateur comparatif de mortalité (ICM).


6. Discussion et Conclusions

      A titre de récapitulation, nous présentons (Fig. 6.0.1) une projection en deux dimensions (donc déformante) de la matrice de corrélation des paramètres de l'étude (plus les paramètres sont corrélés, plus les points sont proches). Remarquer les groupes suivants :

      

Fig. 6.0.1 : Projection en 2 dimensions de la matrice de corrélation des paramètres étudiés, effectuée à l'aide du logiciel UCINET - Metric Multidimensional Scaling. Cette technique vise à ajuster une représentation spatiale où plus les paramètres sont positivement corrélés, plus les points qui les représentent sont rapprochés, et inversement pour les corrélations négatives.


6.1 Résumé des observations

      L'étude porte sur trois provinces du sud du Chili regroupant une population totale estimée (2001) de 488 000 personnes, dont 313 000 ruraux.


6.1.1 Limites de granularité de l'analyse des données

      Tout au long de l'étude nous utilisons des données groupées par commune, puisqu'il s'agit de l'unité de résolution des statistiques publiées par les différentes institutions officielles. Dans certains cas, ce niveau de résolution va s'avérer inadapté à traduire une réalité locale complexe et hétérogène (chap. 2.3) mettant en avant la nécessité de recourir à des mesures de granularité plus fine pour traduire certaines réalités rurales. La tendance actuelle en la matière est à recommander la mesure directe des besoins plutôt que le recours à des indicateurs indirects (Ashtana et coll. 2002), avec un recours étendu aux systèmes d'information géographique, y compris en milieu urbain. D'une façon plus générale, nombre de déterminants épidémiologiques présentent des spécificités de distribution territoriale; le géocodage des données permet de mieux cerner les problèmes (et en principe d'abaisser le seuil de détection) en remplaçant les classiques regroupements des données en divisions administratives par des calculs beaucoup plus précis (tracés d'iso-prévalence, iso-incidence etc.). A titre d'exemple, l'Université de l'Iowa diffuse deux présentations fort illustratives des apports significatifs d'un recours au GIS (Rushton G. et Krisnamurti D., http://www.uiowa.edu/~geog/health/lecture/LECTURES.PDF )


6.1.2 Caractéristiques de la population rurale

      La population rurale dépend essentiellement du système public qui assure aussi la couverture des indigents, dans un schéma général peu participatif en ce qui concerne les communautés. Alors que les services de santé du premier niveau dépendent des municipalités, les services techniquement avancés sont concentrés dans quelques centres hospitaliers sur le territoire (principalement Puerto Montt et Castro). Le gros de l'offre médicale se trouve aussi dans les villes.

      La population rurale se caractérise par un faible accès aux services d'infrastructure, peu de consultations de médecin en urgence, remplacées par le recours à des paramédicaux, un facteur qui dépend surtout de l'offre en place. Elle reçoit des subsides, est peu intégrée au système de consommation et a un faible revenu monétaire. Elle se signale par un niveau d'analphabétisme plus élevé que dans la population urbaine et par un faible taux de bonnes réussites au baccalauréat. Elle compte plus de personnes âgées en son sein et souffre d'un exode rural. L'associativité dans les campagnes est en général plus importante qu'en ville, mais varie sensiblement selon les provinces et donc selon les modes historiques de colonisation.


6.1.3 Les aléas de la mesure de la « pauvreté »

      Les différents indicateurs de pauvreté présentent des résultats en général discordants et posent la question de la difficulté essentielle de la définition et la mesure du paramètre « pauvreté » surtout dans un contexte où une partie de l'économie et du fonctionnement humain échappent à la monétarisation. Ceci dit, la pauvreté n'est pas systématiquement l'apanage des communes rurales. Les communes urbaines se trouvent au-dessus de la médiane à cet égard.

      Parmi les indicateurs, l'index d'indigence rurale est fortement corrélé aux subsides attribués, et moyennement corrélé avec l'index de pauvreté du fonds commun municipal. L'index de pauvreté humaine est moyennement corrélé avec le taux de population vivant sous le seuil de pauvreté. Les divergences, voire contradictions entre les différents indicateurs de pauvreté soulignent la complexité et la diversité des réalités locales autant que la difficulté à mesurer un paramètre dont les définitions, les significations, la portée et l'emploi suscitent énormément de controverses, ceci d'autant plus qu'il se trouve au coeur même de la redéfinition des doctrines et politiques qui ont remplacé l'assistance au développement.


6.1.4 Des migrations internes

      Les mouvements de population se font en direction des paramètres de plus grande consommation, à savoir les principales agglomérations, à l'exception de la ville d'Ancud qui semble stagner, mais aussi vers les nouveaux centres d'appui de l'aquaculture du saumon dont le plus émergent est Quellón au sud de l'île de Chiloé. Sur la base du seul critère des variations de population, et en matière de communes rurales, il faut suspecter et rechercher des inadéquations des services de santé dans les communes qui ont connu les influx migratoires les plus importants dans la dernière décennie. Le départ des plus jeunes à la recherche d'un travail rémunéré a pour effet de laisser les personnes âgées à la campagne : d'une façon générale, on observe une corrélation entre la ruralité des communes et la proportion de personnes âgées qui y habitent. Le système de santé devrait être adapté de façon à répondre à ces besoins changeants.


6.1.5 Taux de mortalité brut

      Le taux de mortalité brut se corrèle surtout avec le nombre de personnes de 65 ans et plus dans la population, ce qui est normal. Il serait utile de rechercher d'éventuelles causes à une légère tendance à la surmortalité dans certaines communes de Chiloé bien identifiables lorsqu'on corrige le taux de mortalité brut par le taux de personnes âgées de 65 ans et plus. Chonchi notamment regroupe plusieurs paramètres alarmants exprimés aussi bien dans les enquêtes subjectives que dans le fonctionnement des services de santé, et qui justifieraient une enquête spécifique.


6.1.6 Taux de mortalité infantile

      Les taux de mortalité infantile varient entre 4.2 pour mille dans une commune résidentielle et urbaine, et 23.3 pour mille dans une commune indigène, rurale et présentant des difficultés d'accès où le risque relatif pour la mortalité infantile serait donc 5.5 fois plus important, mais dans le détail les décès ne concernent respectivement qu'un cas sur 236 nés vivants et trois cas d'enfants de plus de 28 jours sur 129 nés vivants. Il faudrait examiner les séries sur plusieurs années pour déterminer s'il existe vraiment un problème significatif. On n'a pas décelé de corrélation significative entre le taux de personnes se considérant comme membres des ethnies originaires et le taux de mortalité infantile. On retient par contre parmi les corrélations du taux de mortalité infantile les paramètres de difficulté d'accès.


6.1.7 Difficultés d'accès

      Les paramètres de difficulté d'accès concernent deux sortes de localisations: on trouve d'abord les îles sur le pourtour de la mer intérieure, où la difficulté culmine dans le sud de l'île de Chiloé. Le deuxième groupe comprend les communes côtières directement sises sur la chaîne andine. La difficulté d'accès est corrélée avec l'index d'indigence rurale, et négativement avec un paramètre de consommation, ce qui se comprend compte tenu du fait que la difficulté d'accès est un puissant déterminant de la rentabilité commerciale des activités agricoles (les activités agricoles dans les endroits de difficile accès sont plutôt orientées vers l'autosubsistance). Cette population économiquement faible reçoit des subsides ces dernières années. Dans l'ensemble des trois régions, on peut évaluer le nombre de personnes qui fait état de l'absence de centre de santé, ou d'un centre de santé situé à plus de 3.5 km du lieu d'habitation, à plus de 100 000 personnes, soit plus d'un habitant rural sur deux.


6.1.8 Déterminants du nombre de consultations

      Le principal déterminant du nombre de consultations primaires dans le système de santé s'est avéré être le budget municipal total, lui-même soutenu par des subventions étatiques guidées par des considérations géostratégiques d'une part, d'appui aux communes les plus petites d'autre part, ce qui laisse comparativement en situation de désavantage les communes rurales de taille intermédiaire. Les écarts de rendement en consultations dans ce système sont assez faibles une fois corrigés par le budget municipal, cependant on décèle un remplacement des consultations médicales en urgence par des consultations paramédicales en urgence dans les communes limitrophes des principaux centres hospitaliers, ce qui pourrait signer des stratégies de transfert des coûts dont le niveau de consensualité est à déterminer sur place.


6.1.9 Perception subjective de l'état de santé

      En matière d'évaluation de la perception de l'état de santé par des questionnaires subjectifs, et contrairement à nos postulats initiaux, le taux de personnes âgées ne s'est trouvé en aucun moment corrélé avec une perception plus ou moins fréquente dans la population d'un mauvais état de santé quel qu'il soit. En fait, la perception de l'état de santé s'est avérée corrélée, pour les catégories « bon » et « moyen », à des paramètres diamétralement opposés de consommation et de niveau de vie, et pour la catégorie « mauvais », à des paramètres d'obésité infantile et maternelle. Ces résultats tendent à remettre en question la signification à attribuer aux évaluations de l'état de santé des populations par enquête subjective simple.


6.1.10 Dépistage du cancer du col de l'utérus par le test de Papanicolaou

      Les communes avec les meilleurs résultats en ce qui concerne le test PAP parviennent à leurs fins avec un nombre très variable de consultations dans le cadre du programme de la femme. Il en va de même pour les résultats moyens à mauvais. Trois des quatre villes n'obtiennent que des résultats médiocres à franchement mauvais en matière de prévention PAP. Tout se passe donc comme si un « facteur urbain » jouait contre la bonne conduite de la médecine préventive. Les bons résultats obtenus en périphérie soulignent la bonne qualité du travail des équipes multidisciplinaires en médecine rurale. Le capital de méthodologie et d'expérience des communes obtenant les meilleurs résultats pourrait s'avérer utile aux communes qui s'en sortent moins bien. De tels échanges horizontaux pourraient être facilités et encouragés par une meilleure structuration du système de santé en réseau.


6.1.11 Obésité infantile

      Il n'a pas été mis en évidence de lien entre les paramètres d'obésité infantile et les indicateurs de pauvreté. Comme dans d'autre pays « en voie de développement » l'obésité infantile est corrélée avec des paramètres de niveau de vie et de consommation, et tout particulièrement avec la présence d'un réfrigérateur à la maison. Ce résultat tend à suggérer la nécessité d'introduire ou de renforcer des notions de gestion de stocks de nourriture et du contenu du réfrigérateur dans les programmes d'éducation à la nutrition et de lutte contre l'obésité. Une autre ligne d'action de prévention de l'obésité infantile devrait s'orienter vers la promotion de l'allaitement maternel (rapport INSERM 2000).


6.1.12 Déficit pondéral gravidique

      Le déficit pondéral gravidique est essentiellement urbain et évolue globalement en raison inverse par rapport au revenu autonome familial.


6.1.13 Obésité gravidique

      Les corrélations du paramètre « obésité gravidique » désignent une population dans des endroits accessibles, pas uniquement dans les grandes villes (nouvelles concentrations de population liées à l'économie du saumon aussi), et présentant un faisceau de paramètres de revenus, de niveau de vie et de consommation élevés. La tendance générale est à un rapport inverse entre la fréquence de l'obésité gravidique et celle du déficit pondéral gravidique.


6.1.14 Perception subjective de handicaps

      Il faudrait vérifier dans quelle mesure la perception subjective de handicaps se rapporte à la présence réelle de handicaps médicalement reconnus: dans un certain nombre de cas, il pourrait s'agir plutôt d'un signe d'appel à d'autres facteurs de stress, ce qui est à soupçonner notamment dans la commune de Chonchi.


6.1.15 Les nouveaux indicateurs stratifiés de santé : RMS et AVPP

      Les deux paramètres sélectionnent essentiellement les environnements urbains et, pour les AVPP, les environnements ruraux les moins participatifs, satisfaisant ainsi à la réputation générale des indicateurs stratifiés par tranche d'âge de rester muets (aucune corrélation) par rapport aux problèmes spécifiques rencontrés dans les campagnes, les questions d'éloignement et d'accès aux soins, et le plus fort taux de personnes âgées qu'on y trouve. Les populations rurales les plus « pauvres » et les plus organisées du point de vue communautaire présentent des RMS faibles par rapport aux populations plus urbaines et plus « riches », et aussi par rapport aux populations rurales plus atomisées. En accord avec d'autres études récentes, le taux de participation sociale (qui rejoint au fond le concept de capital social) dans une communauté apparaît comme un déterminant majeur de santé.


6.1.16 Les indigènes ou membres des ethnies originaires

      On peut craindre à juste titre que la proportion de « membres des ethnies originaires » ne soit grossièrement mésestimée par la méthode de l'enquête subjective simple.

      Près de la moitié de ceux qui se reconnaissent une appartenance aux ethnies originaires se trouve actuellement dans les communes à prédominance urbaine. Cette situation reflète, avec un peu de retrait, celle que connaît l'ensemble du pays, où près de 63 % de la population indigène réside désormais dans les zones urbaines.

      Pour les zones rurales, on peut très clairement distinguer deux types de communes: 1) un groupe de communes rurales présentant un taux bas de personnes s'identifiant aux peuples originaires. Elles comprennent la quasi totalité des communes rurales de la province de Llanquihue. 2) Un groupe de communes rurales présentant un taux plus élevé de personnes s'identifiant aux peuples originaires (de trois à quatre fois plus que dans le premier groupe) distribuées grosso modo en couronne autour de la mer intérieure, soit l'île côtière de Calbuco, les communautés rurales de Chonchi, Quemchi et Quinchao sur la grande île de Chiloé, et sur la côte de la province de Palena, la jeune commune de Hualaihué. Ce clivage, dont on peut rapporter la source aux formes historiques de colonisation, se manifeste aussi dans la participation aux réunions sociales et dans le niveau de l'indigence rurale. Cette population affiche une préférence pour un habitat groupé.

      Les communes rurales à forte composante indigène se situent dans le segment moyen en ce qui concerne la population vivant sous le seuil de pauvreté, dans le segment moyen à bas en termes de revenu moyen autonome, et tout en bas de l'échelle en ce qui concerne la possession d'objets de consommation. Dans la plupart des communes rurales à forte composante indigène une proportion plus importante de la population se plaint de son état de santé, avec des valeurs similaires ou bien supérieures à celles observées en ville. Il ne semble pas y avoir de discrimination spécifique dans la distribution des ressources limitées du système de santé vis à vis des communes à forte composante indigène, les déficits touchent toutes les sortes de communes rurales.

      En ce qui concerne le taux d'obésité infantile, les communes rurales à forte composante indigène se situent toutes en dessous de la moyenne, hormis le cas particulier de Chonchi.

      Aucun rapport n'a été décelé entre taux de population indigène et retard de croissance, ni en matière d'obésité gravidique.

      Le taux d'analphabétisme présente un caractère essentiellement rural, et pointe vers une population dispersée plutôt que résidant dans des petits noyaux à proximité du poste de soins. L'analphabétisme masculin présente même une distribution un peu différente de l'analphabétisme féminin et son profil de corrélation suggère qu'il prédomine dans les endroits tout particulièrement éloignés.

      La distribution géographique des communes à plus fort taux de participation aux réunions sociales se fait en couronne autour de la mer intérieure, et recoupe essentiellement celle des communes à taux élevé de population à identité indigène.

      Les pratiques de médecine vernaculaire indigène semblent plutôt dégradées sur l'île de Chiloé, suite à de longues années d'une politique active de suppression par les autorités. Le contexte transculturel local particulier semble mal s'accommoder des définitions identitaires tranchées importées d'autres régions.


6.1.17 Les subsides

      Les subsides touchent en particulier les zones rurales de difficile accès (îles, zones montagneuses), soit celles qui se trouvent tout particulièrement hors limites pour l'agriculture commerciale. Cette distribution recoupe essentiellement les zones de forte identité indigène. Les sommes distribuées sont très modestes (jusqu'à 30 USD en moyenne par ménage) même pour le Chili, et ne dépassent pas 7% des revenus en moyenne.

      Le groupe-cible des subventions présente des liens privilégiés avec le taux d'organisation communautaire et la participation aux réunions sociales. Alors qu'il peut certainement exister des synergies entre le fait de s'organiser collectivement et le fait de se faire entendre et toucher des subventions, le recours à des stratégies d'organisation collective peut aussi signer la persistance dans ce groupe d'une proportion significative d'économie non monétaire qui échappe à la mesure. On peut craindre que la politique de subventions monétaires ciblées sur des groupes dont la sécurité alimentaire dépend de leur niveau de solidarité interne ne renferme un certain potentiel de nuisance.


6.2 Place du présent travail dans le développement des services de santé de la région

      Le travail constitue une base pour le développement des services de santé dans la région dans la mesure où il a permis de :

      Tous ces éléments sont pertinents dès la phase préliminaire de la planification d'une intervention. Les propositions à ce stade d'analyse sont récapitulées au chapitre 6.4.

      Il importe tout de même de rappeler les limites sévères d'une étude menée à distance et dépendant des informations postées sur Internet par les différents services d'Etat. La planification d'une intervention dans le domaine des services de santé doit nécessairement être complétée par une enquête sur le terrain faisant appel à des catégories variées d'informants, Des questions ouvertes et non directives permettront de mieux identifier des problèmes de premier plan qui auraient pu échapper à l'étude préliminaire. Par la même occasion, on devrait procéder à une évaluation de l'état de l'équipement, des installations, et de la formation des principaux intervenants.


6.3 Vue d'ensemble

      Le tableau d'ensemble qui émerge au fil de ce travail, à l'instar des côtes de l'océan Pacifique, ne manque pas de contrastes et de mouvement. C'est celui d'une société -on est fort tenté de dire: d'au moins deux ou trois sociétés distinctes - en transition démographique et nutritionnelle avancée. Une constante souvent retrouvée au fil de cette étude est le rapport entre la nouvelle morbidité et les modes de production et de consommation urbaine qui se dressent plus que jamais en modèle à atteindre.

      Si les bases structurelles de la transition épidémiologique étaient bien posées dans les années 50 et 60, si les principaux problèmes de maladies infectieuses comme de rachitisme et de malnutrition semblent contrôlés et relégués au passé pour la plupart, plus récemment c'est surtout une autre transformation qui a profondément marqué les esprits et l'imaginaire collectif: un début de mouvement apparent vers la consommation de masse.

      Les observateurs du terrain expriment volontiers leur étonnement devant le caractère fulgurant de la mutation la plus visible, qui semble contemporaine de l'édification des premiers « malls » et centres commerciaux hors du périmètre exclusif des zones résidentielles de la capitale, nouvelles cathédrales de la promesse de bonheur matériel où chacun se rend le week-end même s'il n'a pas un sou en poche, pour s'y montrer et être vu ou encore parce que « c'est tellement différent qu'on se croirait dans un autre pays ». L'observateur scientifique aurait tort de négliger l'aspect doctrinal 21  de ce phénomène de masse car il s'agit d'un élément consubstantiel à la promotion et à la vente du « produit ».

      Et puisque de culte il s'agit, il faut ingurgiter plus que symboliquement la nouvelle Divinité manifeste sous forme de caramel, de caféine et d'acide phosphorique accompagnant des chairs hachées et grasses assaisonnées au ketchup entre deux tranches de pain trop mou. Assurément, la croissance et le marché garantiront le bonheur pour tous. La réalité sera-t-elle à l'échelle des promesses aux couleurs criardes?

      Le réveil, déjà bien amorcé, s'annonce amer. L'économie chancelle en marge des tourbillons qui agitent les Amériques. Dans le domaine de la santé, le secteur privé se replie depuis des années sur son noyau de cotisants le plus lucratif et le moins risqué, tandis que le segment le plus fragilisé et paupérisé des classes moyennes n'a d'autre choix que de rejoindre les salles d'attente d'un service public où le moins qu'on puisse dire c'est que le retournement de situation n'avait pas été planifié (Chap. 3.1.3).

      

Fig. 6.3.1 : Le nouveau front de mer de Puerto Montt. Au premier plan, à gauche, le deuxième grand centre commercial qui s'y construit. A droite, dans la distance, une clinique privée et l'embryon d'un nouveau quartier résidentiel. Mais les apparences sont trompeuses : la pluie s'infiltre dans le centre commercial, la clinique est lourdement endettée et les nuages s'accumulent à l'horizon. Quelle promesse d'avenir?

      L'idéologie du tout marché semble avoir frappé d'une étrange stupeur l'ensemble des acteurs sociaux: malgré les discours, la volonté et les ressources manquent pour entretenir, planifier, renouveler et développer les infrastructures de l'ancien secteur public 22 , « on n'y croit plus », peut-être parce que la nouvelle religion globale du moment, moule des aspirations individuelles comme des politiques du possible, n'offre pas de place pour quoi que ce soit qui ressemble à un service public autre que strictement minimal. Comme de toutes manières celui-ci ne peut être supprimé purement et simplement, pas plus qu'il ne peut être privatisé, il se voit condamné à vivoter dans les limbes d'une semi-existence entre quasi-réforme et demi-financement. Une semi-existence dont dépend tout de même 80% de la population du pays.

      Si l'immobilité au niveau macro est largement conditionnée par les nouveaux dogmes et interdits, au niveau micro la pression monte pour toutes sortes de raisons. On peut citer notamment: le début de vieillissement de la population, le mécontentement grandissant de ceux qui ont connu pendant un temps une meilleure qualité de service dans le secteur privé (Chap. 3.1.3.), les transferts de population en direction des villes (Chap. 3.2.1.) devenues d'autant plus attirantes que les promesses de consommation concentrées dans les centres commerciaux y sont plus vives, une consommation devenue tellement importante dans l'imaginaire qu'elle est désormais l'aune à laquelle on mesure son bon état de santé (Chap. 3.3.5.4).

      Les tentatives récentes de monétisation, au moyen de subventions, des paysans qui pratiquent une économie non monétaire, risquent également de déstabiliser les communautés rurales et de grossir le flot de ceux qui convergent vers les villes (Chap. 5).

      On peut encore citer à niveau urbain, bien que les chiffres ne soient pas directement disponibles, mais le fait a été confirmé par une informatrice qualifiée 23 , une augmentation spectaculaire des pathologies psychiatriques et notamment des dépressions, ainsi que l'émergence de pathologies auparavant inconnues sur place comme les anorexies mentales. Les problèmes liés à la disnutrition -obésité, y compris infantile (chap. 3.3.8 et 3.3.9), diabète, troubles cardiovasculaires- sont désormais aussi aux toutes premières loges. On compte encore parmi les facteurs de stress une poussée régulière de délinquance et de criminalité 24 , et la morbidité liée aux accidents de la route qui augmentent de 7% par an.

      Au total, pour la région étudiée, le gros du fardeau des problèmes émergents semble se concentrer sur les villes comme sur les campagnes les moins structurées socialement, s'il faut en croire les nouveaux indicateurs de santé (chap. 3.3.11). Le potentiel d'absorption des ressources par les besoins émergents des noyaux urbains est si grand que le risque est réel de voir les campagnes encore plus délaissées que par le passé. Des luttes intestines minent les services et les institutions de santé, une illustration concrète en étant les maints épisodes de la confrontation pour l'allocation de ressources limitées entre Chiloé (notamment les hôpitaux de Castro, Ancud et Quellón) et Llanquihue (l'hôpital de base de Puerto Montt et le siège du service de santé régional), dont les journaux régionaux se font l'écho pratiquement chaque semaine.
Les communes rurales proches des centres urbains semblent quant à elles prêtes à recourir à diverses stratégies de transfert de leurs coûts de santé (Chap. 3.3.3 et 3.3.4).

      Tout se passe donc comme si le retour de balancier des externalisations du « modèle de développement » opérait de façon accélérée et avec une période de latence plutôt courte.

      Prenons un exemple dans la foison de pistes que nous ouvre l'étude des données: La progression de l'obésité et des « maladies non transmissibles émergentes ».

      L'observateur de santé communautaire du premier monde, habitué à connaître une corrélation inverse pratiquement constante entre morbidité et obésité d'une part, catégorie socioéconomique et éducation d'autre part, ne manquera pas de s'étonner de voir obésité et morbidité progresser très sensiblement avec le niveau socioéconomique dans le contexte de nombreux pays « en voie de développement ». Une affirmation courante comme « Income is thought to promote health partly because it provides access to material goods and services » (Basuk et coll. 2002) ne peut être prise pas prise à la lettre sans autre forme d'analyse, sous peine de tragiques méprises.

      Car, à bien regarder, l'inversion du rapport entre capacité de consommation et morbidité n'est pas d'un phénomène isolé. Une lignée de recherche consistante et qui commence à être abondante pointe, en Inde du Nord, vers des transformations similaires à celle observée dans la présente étude avec une concentration des extrêmes (obésité et poids trop bas) en zone urbaine (Kumar A. 2002). L'obésité y est significativement corrélée avec un niveau supérieur d'éducation, la résidence urbaine, la religion, la caste, la consommation et la parité, alors que le poids bas est corrélé avec l'illettrisme et un bas niveau de vie. Le risque d'obésité augmente très fortement avec le niveau de vie. Un tiers des hommes et plus de la moitié des femmes de la classe moyenne indienne urbaine affichent un BMI supérieur à 25 (Gopalan C. 1998). On note d'ailleurs dans les illustrations du travail de Kumar A (2002) que la progression la plus importante parmi tous les biens de consommation, lorsqu'on compare les groupes à bas poids et les obèses, est précisément la possession d'un réfrigérateur (de 21 à 77%). Les conséquences de l'obésité, et notamment le diabète type II et ses complications, auquel la population de l'Inde semble particulièrement prédisposée, atteignent déjà des proportions épidémiques et la perspective des coûts massifs qui vont en résulter est au centre des préoccupations (Rau N.R. 2001, Pradeepa R. et coll. 2002)). Le dilemme est très bien cerné par Gopalan C. (1996) : « The emerging chronic diseases, generally far more expensive to treat, require a much longer duration of treatment and yield far less rewarding results as compared with acute communicable diseases. Together with increasing demands for the care of the aged whose numbers are also gradually increasing, the overall cost of health care in the country will escalate very sharply in the coming decades. All this is the price of 'development'. The resources available for health care are currently far too meager even to meet basic health needs. Policy-makers and planners, in the next few decades, will be hard put to make agonizing choices with respect to the allocation of meager resources between the care of the old and chronically ill on the one hand, and the young and acutely ill on the other; and between the rural poor and the expanding urban middle class. This cruel dilemma will underscore the need for the institution and vigorous implementation of appropriate preventive measures, for instance, the avoidance of dietary errors and excesses and the promotion of healthy lifestyles. »

      « Promotion de modes de vie sains ». La logique et la recherche d'efficacité voudraient en effet que le problème fût traité aussi tôt et à la racine que possible. L'un des obstacles concrets pour l'intervention de santé publique aujourd'hui étant « jusqu'où peut-on remonter ? » notamment dans le lien qui rattache les pathologies émergentes à certains modes de consommation.

      La difficulté de la tâche peut être illustrée par la disproportion entre les ressources engagées pour la prévention primaire d'une part, la publicité pour des produits à effet délétère d'autre part. Au Chili, un enfant de 4 a 8 ans est exposé en moyenne à 20 heures de TV par semaine (http://www.unicef.cl/noticias/numero_43.htm), soit 1043 heures par année 25 . Si on estime que, outre la sédentarité télévisuelle, il absorbe environ 1 minute par heure de publicité pour aliments riches en calories, on peut calculer une exposition théorique annuelle de 17 heures à la promotion de « junk food » avec des messages audiovisuels richement élaborés et fréquemment répétés. Par contraste, malgré le fait qu'il existe des efforts en matière de promotion de l'éducation nutritionnelle depuis plusieurs décennies, son enseignement demeure lacunaire, insuffisant et insatisfaisant dans toute la sphère des pays d'Amérique latine (Olivares S et coll. 1998), alors qu'il a été estimé que pour obtenir une véritable modification des comportements il faudrait que les enfants puissent bénéficier d'au moins 50 heures par année, avec une continuité pluriannuelle et une coordination adaptée aux autres programmes scolaires (Contento et coll. 1995).

      On revient à la question de la nécessité d'une (improbable pour l'instant) volonté politique qui contraste avec l'apparente « facilité » du laissez-faire (qui ne requiert pas d'effort immédiat et ne commence à se payer que quelques années plus tard). Car la route vers un financement correct de l'éducation nutritionnelle et la nécessaire reconnaissance du caractère profondément nocif de la manipulation publicitaire semble encore longue, et celle qui amènerait à s'interroger sur les déterminants profonds de l'exposition télévisuelle des enfants et sur le manque d'attention portée envers eux encore plus. De nouveaux travaux scientifiques doivent venir étayer la connaissance dans ce domaine 26  car, comme le constate le rapport sur l'obésité de l'enfance de l'INSERM, « Très peu d'études existent sur le comportement alimentaire de l'enfant aux différents âges de la vie, l'apprentissage des goûts et des préférences, l'impact du stress, le comportement de dépendance, et les aspects sociologiques et anthropologiques ». Ce même groupe d'experts recommande d'ailleurs d'étudier la régulation du comportement alimentaire chez l'enfant et sa relation avec le développement de l'obésité par une approche multidisciplinaire « comportant le recueil d'informations sur la nutrition, l'activité physique et des données sociologiques et anthropologiques, en particulier des items qui permettraient de repérer le lien entre obésité et dissonance cognitive (décalage entre la norme sociale et la pratique)». A bien examiner les corrélations de l'obésité infantile, on comprend que le problème dépasse aisément les seules questions de « dissonance cognitive ».

      L'obstacle politique latent enfin, n'est pas à prendre à la légère où que ce soit, d'autant plus que la promotion et le commerce des sucres rapides se trouve depuis fort longtemps déjà au coeur des enjeux de pouvoir (voir Mintz S. 1985 pour une perspective historique qui va des origines du commerce sucrier jusqu'aux efforts de l'administration Reagan pour faire inclure les dérivés de l'industrie du sucre en tant que « légumes » dans les programmes d'alimentation des écoles).

      Au total, le lien fondamental qui relie un certain modèle de « développement » (actuellement présent au niveau mondial, y compris dans les pays industrialisés, qui réalisent depuis quelque temps qu'ils ne sont plus à l'abri des conséquences), la modification des habitudes et comportements alimentaires, et l'avènement des pathologies émergentes ne pourra être éternellement escamoté des préoccupations des décideurs, ne serait-ce que parce que l'augmentation massive des coûts qu'il induit risque bien d'annuler rapidement les bénéfices escomptés de l'opération.


6.4 Propositions à ce stade de l'analyse

      Les propositions qui peuvent être émises à ce stade de l'analyse de la région et des problèmes sont essentiellement d'ordre méthodologique. Il serait en effet difficile d'émettre des recommandations sans une étude plus détaillée sur place.

      Il est en effet souhaitable que ce travail réalisé à distance soit complété par un processus de diagnostic en santé communautaire sur le terrain abordant, sans préjudices et de façon indépendante, les besoins et les carences spécifiques en matière de santé, de déterminants de santé de la population, les conditions de travail, le niveau de formation et les expectatives des acteurs de santé, les particularismes locaux qui échappent au maillage statistique, le niveau de cohésion communautaire qui permettrait de supporter des actions de promotion de santé, la capacité réelle existante pour des échanges en réseau entre les différentes municipalités, certains déterminants importants qui n'ont pu être traités faute de données comme la violence familiale etc.

      Une telle démarche faciliterait en outre la prise de contact avec les principaux acteurs sur le terrain.

      Ceci dit, quelques modestes propositions peuvent être émises qui ne causeraient pas de coûts additionnels auprès des services. Du point de vue de l'acquisition et la présentation des données en premier lieu:

      Par ailleurs :

      Ceci dit, des perspectives plus amples semblent s'offrir à la recherche qui mériteraient, aux yeux de l'auteur, d'être élaborées. En voici quelques-unes. Le lecteur pourra ajouter celles que la lecture du présent travail lui auront suggéré 27 .


6.5 Perspectives théoriques ouvertes


6.5.1 Facteurs de capital social et de participation sociale et influences sur la morbidité

      L'étude fait ressortir la coexistence, au sein d'une macro-culture d'ensemble relativement homogène garantissant un « toutes choses égales par ailleurs », et sur des distances qui ne sont pas excessives, de communes rurales avec d'une part un faible degré d'identification aux ethnies indigènes et un faible niveau de participation sociale, dont le prototype se trouverait à Fresia et Los Muermos, et d'autre part de communes rurales avec un niveau plus élevé d'identification aux ethnies indigènes et un niveau de participation beaucoup plus important, comme Hualaihué, Quemchi, Queilen, Quinchao. Pour autant que cette tendance soit confirmée par une mesure plus précise et moins granulaire du capital social, et que les spécialistes atteignent un niveau de consensus suffisant sur sa définition (voir Borgatti S.P. 1998), nous postulons qu'il y a là un modèle viable pour étudier les effets des mutations en cours sur la morbidité, la résilience et les stratégies d'adaptation de populations qui partent de niveaux différents de capital social, ceci dans le but de dégager des normes plus générales et, chaque fois que cela sera possible, les meilleures stratégies susceptibles de limiter la morbidité et de préserver ou promouvoir l'épanouissement des facteurs protecteurs. Une récente étude transversale de Young F.W. et Lyson T.A. (2001) vient encore étayer l'idée que le pluralisme structurel (participation) constitue un déterminant majeur de basse mortalité corrigée dans les communautés.


6.5.2 Etude des effets des mouvements de population dans une même culture

      Dans un autre domaine d'intérêt, on relève l'expansion très rapide de certains noyaux de population, notamment à Quellón, à Dalcahue, à Puerto Varas et à Puerto Montt (où la cité satellite d'Alerce, à mi-chemin de Puerto Varas, devrait bientôt se peupler dans un projet qui vise à atteindre plusieurs milliers de familles). Est-ce que la modification de l'activité, des structures sociales et des liens de réseau induite par la migration interne exerce-t-elle des effets sur la morbidité 28 , la perception de la morbidité, et la demande de soins ? Par ailleurs, au sud de l'île de Chiloé, la commune de Quellón présente un exemple d'apparition d'urbanisation en l'absence d'une culture antécédente de ville ou communauté qui viendrait englober les nouveaux habitants (en fait elle existe mais elle est débordée par leur nombre). Existe-t-il des comportements et problèmes plus spécifiques de ce type d'agglomération? Voilà un aspect qui dépasse en intérêt la seule compréhension de la réalité locale, à une époque où un recours accru à la « mobilité des populations » est envisagé comme instrument correctif au déséquilibre de l'offre et la demande locales (cf. modèle de l'UE) et où il serait intéressant d'incorporer les externalisations dans le calcul des coûts d'une politique donnée.


6.5.3 Mesure des besoins de services en zone rurale

      Nous avons vu que les indicateurs de santé récemment proposés (AVPP et RMS) ne rendent pas compte des véritables problèmes d'accès aux soins rencontrés par les populations rurales. Une récente étude britannique (Ashtana S. et coll. 2002) met en lumière la très grande hétérogénéité des conditions locales qu'on rencontre en zone rurale et l'inadaptation des paramètres d'accès développés dans les contextes urbains. Nos résultats concordent avec cette observation. L'étude britannique pointe sur la nécessité de développer des méthodes spécifiques à la ruralité et recommande la mesure directe des besoins avec une grille à basse granularité (haute résolution) qui tienne compte de l'hétérogénéité des conditions de terrain, plutôt que le recours à des mesures indirectes par indicateurs. Cette perspective mérite d'être développée en parallèle avec une enquête sur le terrain consacrée à élucider et documenter non seulement les besoins des populations locales, mais aussi leurs stratégies d'adaptation, et appuyée par un recours extensif aux systèmes d'information géographique et au géocodage des données.


6.5.4 Pouvoir de consommation, désir de consommation frustré, perception subjective de l'état de santé et recours aux services de santé

      Le pouvoir immédiat de consommation émerge de plus en plus comme un déterminant central du statut, de l'identité, du comportement et, apparemment, de la perception subjective d'un bon état de santé, au-delà de la corrélation connue entre bonne santé objective et niveau socio-économique élevé. Dans quelle mesure le désir de consommation frustré est-il à même d'influencer la perception de l'état de santé et constituer éventuellement un déterminant important de recours au système de soins?


6.5.5 Quelles possibilités pour une mise en réseau des services?

      González Dagnino (1999) insiste à plusieurs reprises sur la nécessité de dépasser la rigidité d'une structure hiérarchique pyramidale, et nous avons identifié au moins une situation (le dépistage du cancer du col de l'utérus par le test de Papanicolaou) où les services de santé périphériques et les communautés gagneraient au développement de collaborations horizontales, par exemple autour d'une mise en commun d'expériences et de savoir-faire. Autour de ce thème, une récente lignée de recherche sur la nature, le fonctionnement et l'écologie des structures en réseau semble assez prometteuse, en tout cas dans l'interprétation qui en est faite par les stratèges Arquilla et Ronfeldt, (1996, 2000, 2001). Depuis une vingtaine d'années en effet, il est souvent question de l'importance des structures en réseau dans les sociétés humaines, de plus en plus reconnues comme un mode organisationnel à part entière, à côté des structures dites « pyramidale hiérarchique » et « de marché », et même réputé plus efficace que ces dernières dans un certain nombre de cas 29 .

      On a vu le concept transposé dans le domaine de la santé de façon réitérée et avec plus ou moins de bonheur, en général dans une acception étroite et limitée de « contrôle de qualité » ou de structure cherchant à limiter les abus, la surconsommation et la redondance des actes. Nombre de ces tentatives de « mise en réseau » se sont terminées par des échecs pour l'instant, précipitant dans les pays disposant d'importantes ressources une fuite en avant vers le graal technologique qui permettra « un jour » de rétablir un hypothétique contrôle disciplinaire généralisé.

      La principale originalité du travail d'Arquilla et Ronfeldt repose dans une critique sévère de l'approche « tout est réseau » des théoriciens, et dans la définition d'un ensemble de meta-conditions indispensables à la genèse, à la bonne marche et à la stabilité d'une structure en réseau, à partir du constat que ne devient pas « réseau » tout ce qui est ainsi désigné. De quatre en 1996, ces conditions sont passées à cinq dans l'état de la réflexion en 2001. Pour ces auteurs, « Les réseaux les plus forts sont ceux où la conception organisationnelle est soutenue par une histoire qui porte et une doctrine bien définie, dans lesquels ces aspects reposent sur des systèmes avancés de communication, et sont cimentés par des riches liens personnels et sociaux à la base. Chaque niveau, et l'ensemble de la conception, peut bénéficier de la redondance et de la diversité». Un peu plus en détail:

  • Niveau organisationnel : La conception organisationnelle du réseau proprement dite, la topologie du réseau (chaîne, étoile, noyau-périphérie, interconnexion totale etc.), le degré d'autonomie des membres, le degré de distribution du « leadership ».
  • Niveau narratif : peut-être l'un des aspects les plus importants et le plus récemment identifié: l'histoire qui assure l'adhésion, la cohésion et la loyauté des membres du réseau, et qui renforce les aspects du niveau organisationnel. Le niveau narratif d'un réseau aborde typiquement le mythes des origines et celui des finalités. « Le narratif fournit une expression commune des croyances, des intérêts, et des valeurs des membres », construisant en fin de compte une identité, une appartenance. « La bonne histoire peut garder les membres connectés dans un réseau dont les liens sont si ténus qu'ils ne pourraient empêcher par eux-mêmes les défections ». Remarquons que le recours au niveau narratif est loin d'être l'apanage des réseaux 30 .
  • Niveau doctrinal : les stratégies de collaboration, ce qui permet aux membres d'un réseau d'opérer stratégiquement et tactiquement sans avoir nécessairement besoin d'avoir recours à un commandement centralisé. « La performance de la structure de réseau multicentrique et du réseau à interconnexion totale en particulier peut dépendre de l'existence de principes et pratiques partagés par tous les noeuds du réseau et auxquels tous les membres souscrivent profondément. Cet ensemble de principes et de pratiques... peut fournir aux membres une cohérence d'idées, de stratégies et de modes opératoires qui permet une réelle décentralisation tactique » 31 . Certaines tactiques semblent spécifiques des structures de réseau, comme la « leaderless resistance » et le « swarming » ou essaimage. Cette dernière, confluence soudaine d'une foule de noeuds dispersés qui joignent leurs forces dans une finalité commune, pourrait ouvrir quelques perspectives dans le domaine de la santé, dans la gestion des urgences et des catastrophes (Ronfeldt D. par courrier électronique, 2002), bien que les moyens opérationnels pour optimiser l'activité d'un réseau vers une finalité donnée soient actuellement au stade des conjectures et des interrogations. On peut s'en rendre compte d'ailleurs en consultant « A general theory of network governance » (Jones, Hesterly et Borgatti 1997), par exemple le chapitre 6 et les propositions sur les sanctions collectives. Une affirmation théorique générale comme « le recours aux sanctions collectives facilite la sauve-garde des échanges taillés sur mesure entre les parties, et augmente les chances d'émergence d'une gouvernance de réseau » est empreinte de naïveté et battue en brèche par la pratique. Considérons par exemple l'inefficacité des sanctions collectives pour dépassement de budget sur les praticiens installés en France et en Allemagne, et à moyen terme la désaffection de la profession elle-même et les carences en professionnels de la santé qui s'annoncent sévères dans plusieurs régions. On peut spéculer si l'entité « praticiens installés » correspond bien à une forme de réseau, mais il est certain qu'elle s'inscrit dans une enveloppe de choix personnels relative aux conditions d'exercice et de rémunération (« marché »).
  • Niveau technologique : les supports d'information proprement dits, éléments facilitateurs dans l'avènement des organisations en réseau, mais pas nécessairement indispensables.
  • Niveau social : les liens personnels d'alliance et de parenté qui renforcent la confiance et la loyauté entre les membres du réseau. A défaut (notamment dans les structures en réseau « modernes » sans base clanique) il semblerait que c'est l'aspect narratif qui assume ce rôle.

      Au total, dans l'état actuel de la réflexion et malgré leurs promesses, de sérieux bémols doivent être mis aux applications impromptues de la théorie des réseaux sans d'autres formes d'analyse et de recherche. Les premières réserves proviennent des considérations d'Arquilla et Ronfeldt eux-mêmes sur la nécessité de garder contrôle et à propos: « Les gouvernements ne devront pas tenter de se débarrasser de la hiérarchie, mais de créer des hybrides réseau-hiérarchie ». D'autres limitations au champ d'application sont apparentes dans la théorie de Jones, Hesterly et Borgatti (1997) qui postule que « les conditions optimales pour l'émergence d'une gouvernance par réseau se trouvent essentiellement dans les contextes d'incertitude quant à la demande combinée à une stabilité de l'offre », conditions hostiles à la fois aux hiérarchies comme aux marchés. Cette situation est fort loin d'être un cas général dans tous les domaines touchant à la santé et mériterait d'être étudiée au cas par cas. Toujours est-il que, compte tenu notamment des échecs passés en matière de municipalisation et de « création de marché », alors que le risque se profile que la même erreur soit commise par la projection trop simpliste de la notion de réseau, le fonctionnement même des services de santé gagnerait à être étudié et modélisé au moyen des concepts d'analyse de réseau qui arrivent à maturité, à la recherche de possibilités d'amélioration certes, mais en conservant un esprit critique.


6.6 Scruter le terrain encore et toujours

      Les discussions sur l'avenir du système de santé au Chili prennent parfois un ton de guerre des religions. Au delà de l'affrontement d'intérêts divergents -et pourtant chacun des acteurs du débat révèle à sa façon différents aspects intéressants des déficits du système de santé- et quel que soit l'avenir, la confrontation ne doit pas escamoter l'essentiel : la connaissance pragmatique de ce qui fonctionne (et de ce qui ne fonctionne pas) en matière d'organisation des soins et système de santé doit se valider à la base et sur le terrain même. Il importe d'explorer soigneusement cette voie en premier afin de développer une stratégie sur mesure visant à pallier les déficits actuels tout en relevant les défis particulièrement sévères de demain.


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