Source et copyright à la fin du texte

 

In Education Permanente, 1999, n° 140, 3, pp. 123-144.

 

 

 

 

Gestion de l’imprévu, analyse de l’action et construction de compétences

Philippe Perrenoud

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation
Université de Genève
1999

Sommaire

I. L’imprévu, un concept ambigu

II. Apprendre à gérer l’imprévu ?

III. L’imprévu comme analyseur de l’action

Références


Un événement imprévu sollicite la compétence de l’acteur, au travail comme dans d’autres domaines de la vie. " Maîtriser l’imprévu " pourrait être une des composantes de toute compétence de haut niveau.

Peut-on se rendre capable d’agir adéquatement face à des imprévus ? On voit immédiatement qu’il convient de distinguer deux cas de figure :

L’imprévu est toujours relatif à un sujet concret et à des processus cognitifs à la fois situés dans un contexte d’action, des rapports sociaux, un cadre matériel et limités par les savoirs et savoir-faire de l’opérateur, les informations dont il dispose et les conditions matérielles et psychosociologiques dans lesquelles il réfléchit et agit : stress, fatigue, pression, risque, conflits, etc.

L’imprévu est en partie sous le contrôle de l’acteur : il peut " ne pas se mettre " dans des situations à hauts risques ou les affronter avec des ressources et une préparation qui dépendent en partie des initiatives prises en amont. Certains acteurs vivent douloureusement l’imprévu, parce qu’il les angoisse ou les met en échec, et fuient s’ils le peuvent les situations " à coefficient élevé d’imprévus ". D’autres personnes cherchent au contraire des défis à leur mesure et privilégient de telles situations, jugées plus excitantes et gratifiantes, surtout lorsqu’ils les dominent… Ces stratégies font partie du rapport subjectif au travail

Le contrôle des situations auxquelles un acteur est confronté n’est cependant pas sans limites, en particulier lorsqu’il s’inscrit dans une organisation du travail dont il n’est pas maître. A un certain moment, les tâches assignées à chacun ne sont plus négociables et il ne peut plus esquiver, différer ou atténuer la confrontation avec des situations de travail. Quelles que soient les précautions prises en amont pour éviter d’en arriver là, certaines situations surviennent, avec leur part d’imprévu, et il faut " faire avec ".

Si la gestion de l’imprévu met alors à jour un défaut de compétence, l’intéressé et l’organisation ont diverses possibilités :

Dans la mesure où on ne peut s’accommoder de toutes les conséquences d’une mauvaise gestion des imprévus, ni toujours déléguer leur traitement à d’autres opérateurs ou à des automates, il apparaît opportun de parier aussi sur le développement de compétences, donc de se poser une question en apparence paradoxale : peut-on se former à faire face efficacement à des événements imprévus ?

La question est d’autant plus cruciale qu’on s’intéresse à des activités que l’imprévu caractérise tous les jours. En affirmant qu’enseigner, c’est agir dans l’urgence et décider dans l’incertitude (Perrenoud, 1996 a), j’inscrivais l’imprévu dans la structure même du métier de professeur, je plaidais en quelque sorte pour une conception de l’enseignement dans laquelle la seule chose véritablement étonnante et déstabilisante serait que les choses se passent exactement comme prévu ! On peut en dire autant de la plupart des métiers complexes. Même dans les métiers en apparence plus routinisés, les petites surprises sont le lot quotidien de chacun.

Une analyse du travail humain aborde nécessairement cet aspect, notamment dans les métiers qui jonglent avec le temps, les événements et l’incertitude (Cellier, De Keyser et Valot, 1996). Il importe donc, au-delà de la description des activités. de préciser la place de sa gestion des imprévus dans la genèse et dans l’exercice des compétences professionnelles. Ce qui amène à une question complémentaire : peut-on apprendre à gérer l’imprévu, au moyen d’une formation organisée ou au gré d’une élaboration de l’expérience ? On se situe ici au carrefour de l’analyse du travail et des démarches réflexives (Schön, 1994, 1996 ; St-Arnaud, 1992 ; Perrenoud, 1999 a et b).

On ne peut aborder ces questions sans dire d’abord en quoi consiste l’imprévu dans les situations de travail. Cette notion de sens commun se délite lorsqu’on cherche à en donner une définition précise. Dans une première partie, je tenterai donc de cerner le concept d’imprévu. Dans une seconde partie, je proposerai quelques réflexions sur la possibilité de préparer à l’imprévu par une réflexion sur la pratique. Ce n’est évidemment pas la seule voie de formation : on peut s’entraîner à gérer de l’imprévu, notamment à travers des stages, des jeux de rôles ou des simulations. Mais il faut alors entrer dans chaque champ professionnel. Il me semble que la dimension réflexive peut justifier une première approche, plus transversale.

 I. L’imprévu, un concept ambigu

Lorsqu’une machine tombe en panne sans signes avant-coureurs, l’opérateur aura l’impression de " faire face à un imprévu " et devra s’organiser différemment pour poursuivre son travail. Pourtant, il est " dans l’ordre des choses " qu’une machine tombe parfois en panne. La seule véritable inconnue est de savoir quand. La plupart des événements dits imprévus surprennent par leur moment d’occurrence plutôt que par leur possibilité même.

Que les événements qui surviennent appartiennent la plupart du temps à l’univers subjectif du possible n’a rien d’étrange :

Il est alors question d’un imprévu relatif ; ce n’est pas l’événement lui-même, c’est le moment ou il se produira qu’il est difficile ou impossible de prévoir. À un ordinateur, ce type d’imprévu ne crée aucun problème : une boucle de programme teste inlassablement des capteurs, censés détecter l’événement au moment où il survient, ou mieux encore ses signes précurseurs. Si les conditions d’une reconnaissance sont remplies, la réponse préprogrammée est activée, éventuellement modulées en fonction de quelques paramètres saisis en temps réel. C’est ainsi que fonctionnent les ordinateurs, comme les torpilles, les missiles et toutes sortes d’automates plus pacifiques. C’est ainsi que fonctionne souvent le cerveau humain. Le joueur de tennis qui " attend " le service de son adversaire est en état de veille, prêt à activer tel ou tel schème au moment où le coup partira, en fonction de la vitesse, de la trajectoire, de l’effet de la balle.

Pourquoi l’ergonomie ou la psychosociologie du travail s’intéresseraient-elles à des phénomènes aussi triviaux ? Pour rendre compte d’un fonctionnement qui se distingue de celui des ordinateurs :

•L’être humain est moins efficace : dans son fonctionnement mental, la reconnaissance de l’événement et l’activation d’une réponse programmée ne sont pas aussi automatiques que chez une machine. Ce qui met en évidence la paresse, le stress, la fatigue, l’émotivité, le manque de rigueur ou de vélocité de l’esprit humain. La recherche peut alors, d’une part, tenter de formaliser les conditions physiologiques ou psychosociologiques de la veille attentive, de la reconnaissance assurée et rapide de l’événement, de la mobilisation en temps utile d’un schème de réponse judicieux ; elle peut, d’autre part, essayer d’expliquer ce qui pousse les opérateurs ou les responsables de l’organisation du travail à confier à des technologies certains mécanismes de veille et de réaction aux imprévus.

•L’esprit humain est plus inventif, il est capable de développer une réaction originale et pertinente à un événement non seulement inattendu, mais qui n’avait auparavant même pas été envisagé. L’intelligence artificielle tente de s’approcher de cette compétence, elle n’y parvient, progressivement, que dans certains domaines. La question de recherche est alors de comprendre comment on construit du neuf avec du vieux, parfois dans l’urgence. On s’approche d’une conception plus radicale de l’imprévisible.

Les deux types d’imprévus considérés sont en définitive des cas particuliers des deux classes de situations distinguées par Vergnaud (1990) :

1) des classes de situations pour lesquelles le sujet dispose dans son répertoire, à un moment donné de son développement et sous certaines circonstances, des compétences nécessaires au traitement immédiat de la situation ;

2) des classes de situations pour lesquelles le sujet ne dispose pas de toutes les compétences nécessaires, ce qui l’oblige à un temps de réflexion et d’exploration, à des hésitations, à des tentatives avortées, et le conduit éventuellement à la réussite, éventuellement à l’échec.

La distinction n’est pas absolue et on peut identifier des paliers intermédiaires. Cependant, il est utile de penser :

Ces deux cas de figure seront étudiés séparément.

Tout prévoir, un travail parfois prohibitif

L’analyse même du fonctionnement d’un automate explique pourquoi l’être humain reste condamné à être souvent pris au dépourvu :

Par contraste, l’opérateur humain est nettement moins fiable :

Les raisons de ne pas tout automatiser

On peut dès lors se demander pourquoi, dans la " gestion de l’imprévu ", tout n’est pas confié à des automates. Souvent, c’est tout simplement parce que cela n’en vaut pas la peine. L’opérateur humain est moins cher que des machines, notamment lorsque leur développement impliquerait de gros investissements, en particulier si leur emploi est trop intermittent pour permettre leur amortissement.

Comme l’automatisation du travail en général, la décision d’automatiser la gestion de l’imprévu résulte d’un calcul économique. Elle laisse à des êtres humains la responsabilité d’opérations où le coût des imprévus mal gérés ne justifie pas un investissement technologique. Dans une société développée, les tâches de veille qui demeurent l’apanage des êtres humains relèvent donc pour une part d’imprévus " de bas de gamme " et d’enjeux mineurs, notamment parce que l’erreur peut être repérée et corrigée en aval, sans produire de catastrophe immédiate ou irréversible.

Les raisons d’automatiser apparaissent de deux ordres :

1. On automatise pour faire face à des événements auxquels il est vital de répondre adéquatement et en temps réel. Dans les avions, les TGV, les industries à hauts risques ou les domaines militaires, l’opérateur humain est remplacé ou doublé par des technologies qui limitent les " erreurs de réaction ".

2. On automatise pour faire face à la densité des événements à surveiller. Lorsque les événements se succèdent à une vitesse qui défie l’esprit et le corps humain, un automate prend le relais, éventuellement pour traiter les problèmes de routine et appeler une intervention humaine pour les autres.

Un raisonnement économique et technologique amène souvent à dissocier la reconnaissance de l’événement (totalement ou partiellement automatisée), la décision (proposée par l’ordinateur, mais que l’opérateur peut moduler) et le déclenchement effectif de l’action, qu’il n’est pas nécessaire d’automatiser, soit parce que c’est un geste très simple, soit au contraire parce que le guidage de l’action exigerait une programmation exagérément sophistiquée. On voit bien qu’en fonction des coûts respectifs de la main d’œuvre et des technologies, compte tenu d’une division et d’une organisation données du travail, la gestion de l’imprévu est inégalement dévolue aux machines, dans des proportions qui diffèrent d’une société et d’une époque à une autre, mais aussi à l’intérieur du même système de production. Aux considérations économiques s’ajoutent des aspects sociaux - la surveillance est génératrice d’emplois - et symboliques : déléguer la gestion de l’imprévu aux machines appauvrit le travail humain en allégeant à la fois la responsabilité et le stress… Un conducteur de train ou même un pilote d’avion sont aujourd’hui des auxiliaires des dispositifs technologiques qui gèrent la plupart des données et des décisions…

Les atouts de l’opérateur humain

Au-delà du cynisme financier et des compromis avec la culture et les intérêts acquis, il a plusieurs raisons de préférer l’opérateur humain :

Des savoirs experts à la limite de l’explicitation

Le projet d’automatiser peut aussi se heurter à la difficulté - en l’état des techniques d’analyse du travail et des avancées de l’intelligence artificielle - de formaliser les conditions de reconnaissance de l’événement ou la détermination de la réponse optimale. Lorsqu’une recette de cuisine annonce qu’il faut " faire revenir les oignons à feu doux jusqu’à ce qu’ils soient blonds ", le cuisinier débutant est saisi d’une interrogation angoissante : comment savoir si les oignons sont suffisamment blonds et donc s’il est temps d’interrompre la cuisson ?

La difficulté de formaliser les conditions de reconnaissance d’un événement critique ou le mode de détermination de la réponse n’est pas ontologique. Elle témoigne de notre incapacité provisoire à analyser et comprendre finement certaines actions humaines efficaces. Vergnaud (1996) donne l’exemple du porcher capable de repérer d’un simple coup d’œil les signes précurseurs de l’infarctus chez les porcs traités à l’abattoir, mais dont nul, y compris l’intéressé, n’est capable de codifier le modus operandi. Sans doute, en faisant subir à chaque porc un électrocardiogramme et d’autres examens longs et coûteux, un vétérinaire pourrait-il identifier les bêtes " à hauts risque d’infarctus ", mais au prix d’un ralentissement et d’un renchérissement inacceptables. Ce qu’il faudrait formaliser, c’est le " coup d’œil " du porcher, sur la base d’indices qui ne doivent rien aux outils du vétérinaire.

La difficulté est double. Il s’agit :

Dans la gestion de l’imprévu, cette double difficulté est aggravée du fait de l’impossibilité de planifier et de l’urgence des décisions.

Le porcher détient certains " savoirs experts ", qu’il a construits au fil de l’expérience, sans avoir à les mettre en mots. Aucune technique d’explicitation (Vermersch, 1994) n’assure aujourd’hui leur formalisation intégrale. Mais à supposer qu’on découvre que le porcher se fie à des odeurs, à la brillance du poil de l’animal ou à son comportement social, il resterait à inventer des automates capables de mesurer de tels indices.

Des seuils intuitifs plutôt que des événements isolables

Dans les métiers de l’humain, tels les soins infirmiers, la psychothérapie, le travail social ou l’éducation, mais aussi les affaires, la politique, la gestion des organisations, l’action efficace se fonde très souvent sur des intuitions dont l’acteur n’est pas capable de verbaliser les bases. Il n’y a là nulle magie. L’action résiste à la formalisation parce qu’elle mobilise des schèmes largement inconscients, qui se sont construits dans progressivement par essais et erreurs plutôt que de dériver de connaissances procédurales. Comment savoir à quel moment un patient hospitalisé en psychiatrie franchit-il le seuil invisible qui le sépare d’une tentative de suicide ? À quel moment un élève, dans une classe, s’exclut sans retour de l’activité commune, à moins qu’on intervienne pour le réintégrer ? Comment savoir si le frémissement d’un marché ou le malaise d’une institution sont assez sensibles pour qu’il soit temps d’agir ? Dans nombre de métiers, ce qui déclenche l’action n’est pas un événement bien défini, mais le franchissement d’un seuil intuitif, par une grandeur qui n’autorise aucune mesure précise. C’est donc " au feeling " que le praticien expert décide s’il est temps ou non d’intervenir.

N’oublions pas un autre aspect spécifique des métiers de l’humain : on ne peut intervenir sans conséquence, juste par précaution. Autrement dit, une " fausse alerte " peut déclencher un vrai problème. Dans une raffinerie, si un capteur qui déraille déclenche une fausse alerte, de deux choses l’une : soit les contrôles automatisés ou humains qui s’ensuivent invalident la reconnaissance d’un événement imprévu, et tout rentre dans l’ordre ; soit la réponse appropriée est déclenchée à mauvais escient, ce qui peut amener un arrêt ou un ralentissement coûteux de la production. Alors, au prix d’une perte de temps et de certaines dépenses, ce qui n'est évidemment pas négligeable, on revient à l’état de départ, sauf peut-être dans le nucléaire.

Dans les processus relationnels, l’excès de précautions peut avoir des effets contre-productifs irréversibles, les effets d’une fausse alerte peuvent être plus graves que le mal. Du temps de la guerre froide, si une grande puissance se mettait par erreur en état d’alerte rouge, une escalade sans retour pouvait s’ensuivre. Dans les interactions plus quotidiennes, les effets sont moins planétaires, mais le praticien ne peut constamment craindre ouvertement le pire, par simple " acquit de conscience ". Prenons un exemple simple : en classe, si le professeur intervient chaque fois qu’un élève semble sur le point de se désintéresser de l’activité en cours, il produit des effets désastreux ; l’intervention inappropriée trouble le groupe ou rend agressif l’élève injustement mis en cause, ce qui met le professeur mal à l’aise et lui fait perdre confiance. Chaque fois que le contrôle peut être interprété comme une intrusion, un déni de confiance, un goût obsessionnel de la vérification, le professionnel expérimenté choisit de risquer le dérapage et de se mettre dans la dépendance de l’imprévu plutôt que de saper une relation ou une délégation de pouvoir.

En soins infirmiers, on navigue aussi entre deux écueils, par exemple dans la réponse à la douleur. Comment savoir si les plaintes d’un patient doivent être prises au sérieux sur le champ ou peuvent être provisoirement ignorées, car elles témoignent simplement de ses angoisses ? A administrer des calmants sans mesure, on court des risques. A les refuser aussi. Comment savoir ? L’événement qui déclenche l’action adéquate est le passage d’un seuil bien difficile à identifier avec précision, celui qui sépare la douleur " normale " de la douleur " inquiétante " A cela s’ajoutent évidemment des différences culturelles dans la définition de la " normalité " de la souffrance et du risque… La décision dépend d’une imbrication de facteurs dont il quasi impossible de programmer aussi bien l’analyse que la synthèse : les risques physiologiques d’une médication inadéquate, la relation construite avec le patient, le jugement probable du médecin, la présence ou l’absence de directives claires, les précédents, la jurisprudence, la possibilité de demander un conseil, l’intervention de tiers.

La construction sociale de la réalité

Contrairement à ceux dont on peut programmer la détection grâce à des capteurs et à des seuils physiques, les événements qui appellent une action résultent, dans la sphère des relations humaines, d’une construction mentale et souvent sociale, donc conflictuelle. Lorsque la reconnaissance d’un événement dépend du consensus d’un groupe, on saisit l’un des facteurs de paralysie de l’action : à l’incertitude qui peut habiter chacun s’ajoutent les divergences d’appréciation quant à la réalité de la réalité (Watzlawick, 1978).

Dans une industrie du process, par exemple, une situation de crise peut être définie par quelques critères objectifs, voire mesurables. Il en va différemment dans un établissement scolaire ou hospitalier, que ce soit à l’échelle de l’organisation ou d’un secteur défini. Aussi longtemps que la réalité de la crise n’est pas attestée, il peut être dangereux de prendre des " mesures de crise ", au risque d’activer un mécanisme de self fulfilling prophecy (Merton, 1965). Or, la réalité de la crise dépend non seulement des modèles des acteurs, mais de leurs intérêts et de leurs stratégies. La crise une fois passée, plus ou moins élégamment résolue, on se demandera en effet comment elle a pu survenir, on cherchera des responsables et il se peut que tombent quelques têtes. C’est pourquoi la reconnaissance même de la crise est un enjeu dans la construction sociale de la réalité.

Un souci humaniste

Même s’il n’est jamais inutile de chercher à prévoir, l’effort d’anticipation s’essouffle lorsque le travail requis devient prohibitif en regard de la maîtrise qu’il garantit. Les organisations humaines proportionnent donc l’investissement anticipateur aux enjeux.

Substituer une technologie sophistiquée à l’opérateur humain est la voie la plus coûteuse, qui s’impose quand les risques de réaction tardive ou inappropriée sont majeurs. Dans les tâches plus ordinaires, peut-être est-il tout aussi efficace et nettement moins coûteux de réfléchir sur l’action humaine aux prises avec l’imprévu.

On ne peut éradiquer l’imprévu en contrôlant ou en planifiant totalement les événements. Une partie de l’action humaine continuera à se jouer dans l’instant, dans ce que Bourdieu (1980) a appelé " l’illusion de l’improvisation ". Or, dans certains domaines, l’esprit humain peut se montrer très efficace pour gérer l’imprévu, s’il y est entraîné, lorsque les événements sont de l’ordre du possible, voire du probable, mais émergent dans des contextes complexes et font appel au discernement plutôt qu’à des indicateurs univoques. Il reste à comprendre comment s’y prennent les opérateurs efficaces et à stimuler une formation par la pratique réflexive.

Le choix de ne pas déléguer la gestion de l’imprévu à une technologie, outre ses justifications en termes de coûts-bénéfices, rejoint un souci plus philosophique : ne pas déposséder inutilement l’être humain au travail du risque, de l’incertitude et du souci d’y faire face. Le sens du travail passe notamment par la reconnaissance de la compétences et de la responsabilité humaines (Jobert, 1998).

Faire face à des événements vraiment imprévisibles

Ne confondons pas l’impuissance provisoire à formaliser la détection et le traitement d’un événement de type connu, mais qui survient à l’improviste, avec l’irruption dans l’histoire humaine - individuelle ou collective - d’événements originaux et réellement imprévisibles, face auxquels on ne peut répondre adéquatement qu’en innovant. Dans l’histoire de l’humanité, des guerres, des catastrophes écologiques, des crises économiques, des coups d’État, des avancées technologiques sont autant d’événements qui placent des sociétés entières devant des situations radicalement nouvelles. A l’échelle de l’individu, les événements sont moins spectaculaires, mais aucune vie n’est pure répétition.

Les situations qu’un être humain peut rencontrer sont, potentiellement, d’une immense variété. Toutefois, s’il occupe durablement la même position dans la même structure, au sein de la même société, cette variété diminue considérablement. Cela affaiblit, mais ne réduit pas à néant la part d’innovation. Même dans une vie en apparence " sans histoire ", de nouvelles situations se présentent. Les similitudes de surface ne doivent pas masquer les différences de détail. " On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve ", disait Héraclite. Deux situations en apparence identiques sont en réalité toujours singulières. Cela n’entrave pas leur assimilation à un ou plusieurs schèmes d’action, qui restent efficaces dans la mesure où ils sont ajustés, sinon au moindre aspect, du moins à la structure globale d’une famille d’événements. Loin d’être une carence, cette adaptation globale est une force. On sait d’ailleurs que l’un des problèmes de l’automatisation de la reconnaissance d’une situation est de laisser assez de flexibilité pour que les petites variations soient considérées comme non pertinentes. Alors qu’un jeune enfant apprend très vite à reconnaître la lettre " a " par delà l’infinie diversité des tracés, la reconnaissance automatique a longuement buté sur ce problème : trop serré, le filet ne retient que les " a " canoniques, trop lâche, il prend n’importe quelle figure fermée pour un " a "…

Parfois, aucune analogie ne vient en aide à un acteur. Certes, il y a toujours une " vague ressemblance " avec des situations déjà vécues. Si un être humain croise demain un extraterrestre, rencontre du 3e type qu’il n’aura certainement pas prévue, voire imaginée, il ne sera pas pour autant dépourvu de tout point de repère. Face à l’irruption d’inconnus ou d’étrangers, il aura développé certaines réactions de crainte, d’exploration, d’éloignement ou d’agression qui pourront lui servir pour faire face à ce nouveau cas de figure. Cependant, aux limites d’une famille de situations, l’analogie peut être une source d’erreur. Les romans de science-fiction regorgent d’anecdotes qui mettent en scène des Terriens qui agissent de façon absurde parce qu’ils assimilent à tort de l’inconnu au connu. La véritable intelligence est de suspendre l’assimilation lorsqu’on pressent qu’elle pourrait être aberrante.

S’il y donc répétition, dans la vie comme au travail, il y a aussi, moins souvent, des " premières fois ", des situations qui, sans être inintelligibles, impensables, ingérables, n’en sont pas moins inédites. Elles exigent une construction plus originale, surtout lorsque la culture n’offre pas de modèle ou qu’il n’est pas mobilisable en temps utile. La réponse doit alors se construire sur le vif, dans la situation. Cela ne signifie pas que la réaction d’un sujet à une situation inattendue est radicalement imprévisible. Un observateur ayant analysé ses réactions dans diverses circonstances, ayant compris sa personnalité et cerné son habitus, pourrait sans doute formuler un pronostic assez sûr. Mais le sujet lui-même serait bien en peine de savoir d’avance ce qu’il fera dans une situation inédite pour lui, qu’il n’a même pas envisagée.

L’imprévu ne se limite pas alors à la question de savoir quand surviendra un événement, ni comment il convient de réagir s’il survient. L’imprévu radical est un impensé ! Il n’y a préconstruction ni de l’événement, ni de la réponse. Pour substituer dans ce cas une machine à l’être humain, il faudrait qu’elle soit capable non seulement de construire une réponse originale à une situation inédite, mais de prendre la mesure d’une telle situation. C’est ce qu’on attend des systèmes experts des dernières générations, qui ne programment pas une réponse, mais l’élaborent grâce à un moteur d’inférence, à partir d’une base de connaissances et de principes. Le fonctionnement d’un sujet humain est évidemment plus complexe, mais il élabore également une réponse originale à partir d’un capital qui ne la contient pas en tant que telle (dans un répertoire de réponses potentielles), mais aide à la construire, en s’appuyant sur des analogies partielles et des raisonnements incertains, donc moyennant un travail mental plus ou moins long et intense.

Une partie des catastrophes ou des accidents du travail témoignent de l’incapacité du sujet à comprendre ce qui lui arrive et à créer en temps utile une réponse appropriée. Heureusement, cet échec n’est pas fatal. Le monde du travail propose maints exemples d’inventions fulgurantes et adéquates, qui ne laissent pas de traces dans la mémoire collective, mais permettent de résoudre dans l’instant un problème inédit et en première analyse insoluble. L’atout n’est pas alors de prévoir l’imprévisible, mais de le traiter avec rigueur et imagination, en se libérant des analogies trompeuses et des réactions stéréotypées.

 I. Apprendre à gérer l’imprévu ?

Peut-on apprendre à gérer l’imprévu ? Ici à nouveau, la question n’a pas le même sens selon qu’on s’intéresse à un imprévu relatif, limité au moment et au contexte de l’événement, ou à un imprévu plus radical, concernant l’événement lui-même, non envisagé, impensé voire impensable. On apprend :

Examinons séparément ces deux cheminements. On peut apprendre " sur le tas ", au fil des situations, en développant de nouveaux schèmes par la pratique. Toutefois, on s’intéressera ici en priorité aux apprentissages qui passent par une relecture de l’expérience, un retour réflexif sur l’événement et les réactions qu’il a suscitées.

Faire face à des événements surgissant à l’improviste

L’analyse ex post de moments de gestion de l’imprévu peut porter sur divers aspects :

Apprendre à anticiper

Les professionnels qui reviennent sur un événement et leurs réactions disent souvent " J’aurais dû me douter, j’aurais pu savoir ". Ils se reprochent après-coup de n’avoir pas assez anticipé l’événement. Au-delà des regrets, le retour réflexif permet souvent de comprendre pourquoi un événement qu’a posteriori on juge prévisible n’avait même pas été envisagé ou simplement pourquoi sa probabilité avait été fortement sous-estimée. C’est l’occasion aussi de mesurer que cette absence de préparation mentale a entraîné, au moment où l’événement survenait, une identification et des réactions lentes et incertaines.

Apprendre des situations et de l’analyse de pratiques, c’est alors prendre conscience du caractère peu méthodique et donc aléatoire de l’anticipation et prendre éventuellement la résolution, à l’avenir, de faire plus systématiquement l’inventaire de ce qui pourrait arriver, pour mieux s’y préparer mentalement.

Un excellent boxeur ou un bon escrimeur attendent de leur adversaire une diversité de coups. Ils ont en tête, pour chaque hypothèse, la parade adéquate. Dans le travail, le répertoire des possibles est plus vaste, moins exploré ; chaque éventualité n’est pas connectée à une parade " classique ". Il est sûr cependant qu’un bon pilote, un bon chirurgien, un bon négociateur ne se disent pas " Je verrai bien, j’improviserai sur le vif ". Ils imaginent divers scénarios et les réponses correspondantes, exactement comme un étudiant préparant un examen se dit " Si on me pose telle question, alors voici ce que je répondrai ".

Les métiers les plus caractérisés par la complexité et l’incertitude développent nécessairement une culture de l’anticipation (cf. par exemple Rogalski et Samurçay, 1994). La formation y prépare explicitement et l’instrumente, en proposant des méthodes heuristiques, des check lists, des procédures systématiques de repérage des obstacles potentiels, des entraînements, des simulations, le tout aboutissant :

Dans les métiers où la routine domine, les efforts et la culture d’anticipation méthodique sont plus rares, ce qui est explicable. Les praticiens sont donc plus exposés à être pris au dépourvu, alors même que les événements peu prévisibles sont statistiquement plus rares. Dans les métiers marqués par l’urgence et l’incertitude, l’anticipation devient une " seconde nature ", la seule façon de maintenir une certaine maîtrise face aux événements.

Au-delà de la formation et de la culture propres à une profession, il faut faire la part de fortes variations individuelles, liées sans doute au style cognitif, plus ou moins obsessionnel, au degré d’angoisse, au besoin plus ou moins conscient de se mettre en danger pour trouver un certain plaisir à la tâche, aussi bien qu’à la capacité d’apprendre de l’expérience. A métier égal, l’analyse de pratiques conduite sous cet angle &endash; " Qu’avez-vous anticipé ou non, et pourquoi ? " peut accroître la maîtrise de chacun sur ses processus d’anticipation et son rapport personnel à l’incertitude et au risque d’être pris au dépourvu, lié à son histoire, à son appartenance de classe, etc.

Apprendre à chercher et à lire des signes précurseurs

Les praticiens qui disent " J’aurais dû me douter, j’aurais pu prévoir " peuvent aussi évoquer non pas une anticipation tranquille, mais l’absence de juste décodage de signes précurseurs qui se sont manifestés juste avant l’événement. Les percevoir et les interpréter correctement aurait donné un temps d’avance sur l’événement, ne serait-ce qu’une seconde. La lecture de signes précurseurs permet au praticien, même s’il n’a pas anticipé de loin l’événement, de s’y préparer in extremis, en mobilisant des concepts et des parades potentielles.

Ce sont les métiers de l’urgence qui développent de telles cultures du " juste à temps ". En chirurgie et en médecine d’urgence, dans le secourisme, dans l’armée, en sport, en mer, dans un avion, un train ou un bolide lancés à grande vitesse, à la bourse, au cours d’une négociation, dans la cage aux lions ou dans le cratère d’un volcan, les choses peuvent basculer très vite, de façon irréversible. Chaque fraction de seconde compte, si bien que le bon professionnel développe des moyens de " pressentir " l’événement juste avant qu’il ne se produise.

Il n’y a rien de magique dans ce processus, même si les mécanismes cognitifs restent encore opaques et renvoient à des concepts flous comme l’intuition, le feeling, la vista, le flair, voire la prémonition. On peut supposer que le praticien apprend à percevoir des phénomènes annonciateurs de l’événement que le profane ne remarque pas et à les décoder comme des signes précurseurs, soit par apprentissage expérientiel peu formalisé, soit par transmission et repérage explicites par la culture et la formation : un changement de bruit de fond, une vibration insolite, une Gestalt atypique, une ombre à la périphérie du champ de vision, une impression à la limite du champ de conscience…

Dans les métiers où l’urgence est moins quotidienne, il y a moins de raisons de se mobiliser spontanément pour lire les signes précurseurs. Si une machine doit tomber en panne, il n’est pas nécessairement utile de le pressentir une heure ou cinq minutes avant, sauf si le personnel de maintenance est prêt à se mobiliser sur une base aussi fragile. Si un astronaute ou un pilote de chasse disent à leur base " Je crois qu’une catastrophe est imminente ", on les prendra plus au sérieux que si un ouvrier annonce une panne probable au contremaître…

On voit cependant l’intérêt d’une analyse des situations qui travaillerait " l’explicitation des pressentiments ", en partant du présupposé qu’ils désignent un niveau de cognition efficace, même s’il est faiblement accessible, et qui peut être optimisé en en prenant conscience, voire en incorporant à son propre fonctionnement la prise en compte d’indices que d’autres praticiens ont repérés, recensés et prennent au sérieux.

Apprendre à identifier des événements significatifs

Dans un cadre technologique pointu, les ingénieurs qui ont développé le système sont censés avoir répertorié toutes les pannes imaginables, tous les incidents critiques, toutes les catastrophes susceptibles de survenir un jour ou l’autre. Bien entendu, personne n’a en tête les centaines ou milliers de pages qui consignent de ce qui peut arriver à un Boeing, à un sous-marin ou à une centrale nucléaire, mais le travail est fait, si bien que l’anticipation et la reconnaissance des événements sont facilités par ces listes et ces descriptifs.

Une partie des savoirs sportifs, tactiques et professionnels sont du même ordre. Un bon gardien de but connaît les feintes et les tactiques de la plupart de ses adversaires, au moment du penalty, lorsqu’ils attendent une passe ou s’avancent balle au pied. Un spécialiste de la défense antiaérienne ou de la défense antichar a appris, sur table et en simulation, les diverses configurations d’engins susceptibles d’entrer dans son champ de tir, avec leurs trajectoires, leur vitesse et leurs ruses classiques pour déjouer sa vigilance.

Dans les tâches plus ordinaires, l’analyse dans l’après-coup permet souvent au praticien de se rendre compte que, dans un premier temps, il n’a pas compris ce qui lui arrivait. Autrement dit, l’événement n’a pas été assimilé à une typologie, il a fallu quelques instants ou davantage pour le conceptualiser, le classer. Un enseignant surveillant le préau avouera " Je n’ai pas vu tout de suite que c’était une bagarre ", un employé de banque dira " Je n’ai pas compris immédiatement que c’était un hold-up ". Les récits de tremblements de terre illustrent bien ce phénomène : dans les régions où les secousses sont fréquentes, chacun identifie très vite un séisme et réagit en conséquence. Dans les régions moins exposées, les êtres humains se demandent ce qui arrive et passent en revue diverses hypothèses.

La réflexion dans l’après-coup sur des situations de ce genre peut être alors formatrice à un double titre : d’une part, elle pousse à construire des procédures plus méthodiques de reconnaissance de l’événement, ce qui suppose une perspective plus analytique ; d’autre part, elle favorise un travail métacognitif et permet de mieux comprendre ses erreurs de perception, d’estimation ou d’inférence, d’identifier ce que Dörner (1997) appelle la logique de l’échec.

Apprendre à interpréter l’ensemble de la situation

Dans une situation complexe, l’irruption d’un événement imprévisible peut focaliser toute l’attention de l’opérateur et conduire à un désastre non parce qu’il n’a pas traité l’événement, mais parce qu’il n’a rien fait d’autre, délaissant les processus en cours. A l’école, toute " perturbation " qui mobilise l’enseignant peut avoir des effets désastreux sur la dynamique de classe, parce qu’elle fait perdre le fil de l’activité et le contrôle des autres élèves. Durand (1996) montre, dans une approche d’ergonomie cognitive, que l’expert en enseignement est capable de suivre ce qui se passe sur plusieurs scènes parallèles et d’intervenir sur celles qui présentent le plus de risques de dérapage ou de blocage sans perdre de vue les autres. Carbonneau et Hétu (1996) montrent en contrepoint qu’un débutant est complètement absorbé par un incident critique imprévisible et perd alors le contrôle de la classe. Sa compétence s’affermira lorsqu’il élargira sa vision latérale et fera même la preuve qu’il a " des yeux derrière le dos ". Un pickpocket expérimenté joue sur cet effet : il crée une diversion qui focalise l’attention de la victime et l’empêche de surveiller ses poches…

Dans ce registre comme dans les autres, l’expérience non élaborée ne provoque pas nécessairement des progrès rapides. C’est le sens d’une analyse des situations, par une pratique du debriefing à chaud ou dans un après-coup plus tranquille. La dimension métacognitive et la prise de conscience de sa propre cognition située ne garantissent pas des régulations, mais elles les rendent possibles. Dans certains métiers, cela peut conduire à développer des méthodes de gestion mentale qui protègent de l’absorption totale dans l’événement au mépris du reste de la situation.

Apprendre à élaborer une réponse appropriée

Anticiper l’événement ou décoder des signes précurseurs permet de déclencher plus vite le processus cognitif de cadrage puis de résolution du problème. Dans les situations où le type d’événement est répertorié, seul le moment où il surviendra étant imprévisible, l’on n’a pas affaire, par définition, à un problème inédit. Le praticien peut donc " se raccrocher " à des réponses préconstruites. De là à les trouver immédiatement, dans un répertoire bien organisé, comme on trouve un mot dans le dictionnaire, il y a un pas…

L’analyse des situations de travail porte alors sur la pensée privée et le raisonnement de l’acteur durant cette phase cruciale où il sait ou croit savoir ce qui arrive, mais ne sait pas encore que faire. Il recherche, dans sa mémoire à long terme - ou dans une base de données, si l’événement lui en laisse le temps - des réponses appropriées et les faire transiter vers sa mémoire de travail. Mais cela ne suffit pas. La vie ne se présente jamais exactement comme dans les livres ou comme les fois précédentes. Il y a toujours de petites différences, il faut donc adapter l’action à partir d’une trame générale ou d’une expérience qui n’est que partiellement pertinente pour faire face à la situation présente.

Apprendre de l’analyse des situations, c’est alors revenir sur un " raisonnement situé ", prendre conscience des biais et des failles de ses propres mécanismes spontanés d’assimilation et d’accommodation. C’est transformer éventuellement en savoirs procéduraux ou conditionnels des schèmes de traitement non réfléchis, voire les connecter à des savoirs experts ou savants venus d’ailleurs.

Apprendre à activer le processus de réaction

Il suffit parfois de presser le bon bouton. Ce n’est pas techniquement difficile, mais la peur de l’erreur et des conséquences peut paralyser le passage à l’acte, lorsque le bouton déclenche des effets majeurs et irréversibles. Même dans des cas moins dramatiques, l’opérateur peut être saisi de doutes, refaire ses calculs, reparcourir les étapes de son raisonnement, hésiter, surseoir. Parfois à tort, parfois à raison. L’une des compétences majeures est alors de savoir évaluer un double risque : d’une part, le risque d’agir trop vite, de ne pas utiliser le temps disponible pour réfléchir encore ; d’autre part, le risque de trop tarder et de déclencher une réaction adéquate un instant ou une heure trop tard.

Comme le note Valot : " Le temps est nécessairement présent dans la prise de risque, car c’est, bien souvent, pour s’inscrire dans une synchronisation globale, pour respecter un horaire, pour traiter une incertitude qu’une situation est fragilisée " (1996, p. 247). L’opérateur pris dans l’organisation du travail a rarement " tout son temps " pour analyser les situations et réagir. Le passage à l’acte, en dépit d’une dernière hésitation sur la nature de l’événement ou sur l’opportunité de son traitement, est souvent déterminée par la file d’attente, le flux des événements qui s’annoncent ou exigent déjà une réponse. Cette prise en compte du contexte et du flux global des événements à traiter en parallèle ou en série a des incidences sur la gestion de l’imprévu à chaque étape. J’accorderai une importance particulière à l’effet de la dead line, l’échéance à partir de laquelle différer la réponse, aussi adéquate soit-elle, devient plus grave que répondre de façon imparfaite, mais en temps utile.

La prise en compte des facteurs éthiques et affectifs de la prise de risque est sans doute pertinente à chaque étape du traitement de l’imprévu, mais ici, elle est déterminante, car c’est dans le passage à l’acte que la responsabilité est engagée et que la peur de l’erreur ou de l’injustice peut devenir paralysante. Dans la vie au travail, les dilemmes ne sont pas tous les jours dramatiques et la responsabilité peut être partagée. Il faut cependant assez souvent trancher dans le vif, sans avoir la certitude de bien faire.

Apprendre de l’analyse de telles situations, c’est alors permettre à chacun de prendre conscience de sa façon de gérer le risque et de prendre une décision.

Faire face à des événements inconnus

On s’intéresse ici aux situations de type 2 évoquées par Vergnaud : " Le sujet ne dispose pas de toutes les compétences nécessaires, ce qui l’oblige à un temps de réflexion et d’exploration, à des hésitations, à des tentatives avortées ".

Il ne s’agit plus alors de prévoir un événement prévisible, l’inconnue étant de savoir si et quand il se produira, mais de construire la moins mauvaise réponse possible à un événement qui ne fait partie d’aucun scénario et n’a parfois même pas été conceptualisé auparavant.

Dans la vie quotidienne des individus, au travail ou ailleurs, cela n’arrive pas tous les jours. On a plus d’exemples lorsqu’on observe les organisations ou les sociétés globales, dans l’histoire desquelles certains événements ne se produisent qu’une fois et laissent les acteurs démunis. En 1999, l’OTAN a attaqué la Serbie de Milosevic durant plusieurs semaines. Or, dans un premier temps, rien ne s’est passé comme prévu : les frappes aériennes ont été peu efficaces, la guerre a précipité les mouvements de populations et les exactions qu’elle voulait éviter, des dissensions ou des alliances inattendues se sont produites et ont changé les données de semaine en semaine. Ainsi, qui avait prévu que la " bavure " détruisant l’ambassade de Chine paralyserait le Conseil de sécurité de l’ONU et empêcherait cette organisation de prendre le relais de l’OTAN ? Les experts les plus qualifiés en géopolitique et en stratégie militaire ont été dépassés par les événements, ils n’avaient aucun modèle fiable pour prévoir la suite.

On rejoint là cette formule d’Albert Jacquard : " L’avenir est un fleuve dont les berges ne sont pas encore tracées ". Dans la vie des individus, notamment au travail, les événements sont moins planétaires et médiatiques, mais on trouve l’équivalent. Un chef du personnel qui licencie un collaborateur ou refuse une plainte pour mobbing peut déclencher une série imprévisible d’événements qui peuvent aboutir à une crise et à sa propre éviction. L’affaire du sang contaminé, comme toutes les erreurs judiciaires ou technologiques d’anthologie, met en scène des apprentis sorciers, des acteurs qui ont déclenché des évènements qu’ils n’avaient pas imaginés. Mais cela peut arriver dans une cuisine ou en lavant des vitres.

Quel intérêt y a-t-il à revenir sur des situations professionnelles où le praticien a été " dépassé par les événements " ? Une première raison serait que si une situation semblable survient en une autre occasion, on sera moins pris au dépourvu, soit parce qu’on constitue son propre savoir d’expérience, soit parce qu’on apprend à anticiper à partir de l’expérience des autres. Les firmes qui construisent des technologies sophistiquées recensent et analysent tous les incidents critiques. Ainsi, la fumée surgissant dans un cockpit devient un événement recensé, donc prévisible pour tous les équipages, à partir d’une expérience dramatique où il ne l’était pas. Cette entreprise d’analyse des erreurs humaines ou des défauts technologiques, puis de codification et de communication à large échelle des signes annonciateurs, des symptômes et des réponses appropriées exige des moyens importants, à la mesure des enjeux. Dans le travail ordinaire, l’expérience partagée reste confinée à un cercle restreint.

L’analyse n’a pas nécessairement pour but principal de savoir " que faire la prochaine fois ". Elle peut avoir une autre ambition, plus centrées sur le fonctionnement du sujet : aider à comprendre et éventuellement à mieux maîtriser les mécanismes de l’improvisation réglée. L’expression est de Bourdieu (1980), elle désigne un paradoxe : nous improvisons dans l’illusion de la spontanéité, mais sous le contrôle de notre habitus. Autrement dit, deux praticiens différents, placés devant la même situation, qui leur est également inconnue, n’improvisent pas de la même façon, parce qu’ils sont différents.

Le véritable imprévu fonctionne comme un révélateur de l’habitus dans ses " couches " les moins conscientes. Il ne s’agit pas alors nécessairement d’un inconscient freudien, mais de ce que Piaget a nommé un inconscient " pratique ", celui que traque Vermersch (1994) à travers l’entretien d’explicitation. A propos du métier d’enseignant, j’ai proposé (Perrenoud, 1996 b) de distinguer quatre modalités de manifestation dans l’action de la partie la moins consciente de l’habitus :

La gestion du véritable imprévu relève de la dernière catégorie ou en constitue peut-être une cinquième. L’urgence accroît la probabilité d’une improvisation réglée, sans délibération intérieure, ni recours à des savoirs. L’étrangeté d’un événement peut avoir les mêmes conséquences, même lorsqu’il n’appelle pas une réaction immédiate.

Peut-être faudrait-il situer les événements sur deux axes : leur part d’insolite, de " jamais vécu ", d’opacité d’une part, et l’urgence de la réaction qu’ils appellent, d’autre part. Un événement banal, mais exigeant une réaction instantanée, mobilise la partie inconsciente de l’habitus au même titre qu’un événement exceptionnel pour lequel on ne dispose d’aucune méthode. Le cumul de l’insolite et de l’urgence est sans doute la source des erreurs humaines majeures. On peut traiter comme une erreur une stratégie qui se révèlera ex post inadéquate. On ne peut la stigmatiser comme une faute, dans la mesure où, en l’état de l’art et des savoirs, nul autre praticien n’aurait à coup sûr fait mieux.

Rien ne permet d’affirmer que ces deux types d’improvisations font appel aux mêmes composantes de l’habitus. Alors que l’urgence provoque un passage à l’acte non réfléchi, l’insolite, s’il n’exige pas une réaction immédiate, provoque la réflexion, mais une réflexion faiblement balisée, sujette à des préjugés, des fantasmes, des angoisses, des erreurs d’inférence, des analogies fallacieuses.

C’est alors au mécanisme de la pensée et de la création d’une réponse originale que l’analyse des situations de travail s’attaque. En avons-nous les moyens ? Peut-on travailler l’habitus ? Je crois qu’on commence à entrevoir des démarches, fondées d’une manière ou d’une autre sur l’explicitation et la prise de conscience (Perrenoud, 1996 b, 1999 b). Bien entendu, la psychanalyse a frayé le chemin, à partir de la souffrance privé, en général hors du champ du travail L’approche ergonomique se heurte à de moins fortes censures, mais il en existe aussi. Le refus de savoir peut être une idéologie défensive (Dejours, 1993), notamment face aux risques professionnels et à la peur qu’ils engendrent. C’est une forme une forme de protection de la compétence incorporée. Refuser de formaliser ses savoirs et ses modes de faire évite d’en être dépossédé, au profit d’une machine programmable ou de travailleurs moins expérimentés. Plus simplement, le travailleur peut craindre de perdre une forme de spontanéité et d’inconscience fonctionnelle. Un jongleur, un serveur, un acrobate peuvent perdre leur efficacité s’ils commencent à analyser tous leurs gestes… Il est vrai que la prise de conscience de ses propres schèmes est, dans un premier temps, un facteur de ralentissement et d’hésitation. Elle n’a donc de sens que si elle permet par la suite d’accéder à un niveau supérieur de maîtrise et notamment d’étendre le contrôle de son propre habitus. Cette heureuse issu n’est pas garantie.

Même lorsque l’approche ergonomique ne se heurte pas à la volonté de ne pas savoir ou de ne pas faire savoir, elle reste confrontée à l’opacité partielle de sa propre action aux yeux du praticien. Nul ne sait entièrement ce qu’il fait ou en tout cas comment il le fait exactement. Il n’en a pas besoin pour reconduire ses gestes quotidiens avec un certain succès.

Si les praticiens coopèrent et consentent un important effort d’explicitation, il reste à analyser finement le mode de gestion mentale des imprévus et donc à conceptualiser les schèmes spécifiques de perception, de pensée, d’évaluation en jeu. Sans pouvoir ici proposer un modèle cognitif complet, il me semble qu’on pourrait notamment tenter de formaliser les mécanismes qui assurent les fonctions suivantes :

Ces simples évocations montrent bien que de telles analyses doivent conjuguer à la fois des bases théoriques de psychologie et d’anthropologie cognitives (autour de la créativité, de la décision, des divers modes de connaissance) et des méthodes moins savantes, mais susceptibles de provoquer l’explicitation de raisonnements tenus par des praticiens en situation d’improvisation. L’auto-confrontation, sur la base de récits et de traces, est évidemment une voie privilégiée (Chautard et Huber, 1999).

 III. L’imprévu comme analyseur de l’action

Capable d’anticipation, l’être humain peut espérer qu’elle lui permettra de se prémunir contre la plupart des imprévus. La régulation anticipatrice est à l’évidence la plus sûre et la plus satisfaisante, dans la mesure où elle intègre l’événement imprévu au plan. Ce qui conduit à considérer l’imprévu non intégré comme un accident indésirable :

Une des principales difficultés opposées à la régulation de l’activité est issue de l’interruption du traitement du fait d’événements non planifiés. Les interruptions sont autant d’intrusions dans le déroulement du schéma. Elles sont doublement dérangeantes : (i) du fait de leur survenue comme demande d’ajustement ou de retraitement des événements en cours et (ii) comme trace d’une faille dans la caractère prédictif des schémas (Valot, 1996, p. 262).

Cette conception, caractéristique des industries du process ou de l’aéronautique, conduit à investir dans des planifications de plus en plus pointues, où l’événement le plus improbable est envisagé et sa probabilité estimée. Si bien que les astronautes de la NASA sont prêts à rencontrer des extraterrestres…

Dans les métiers de l’humain, on peut douter de la possibilité de réduire l’imprévu par une planification " totale ". Ne vaudrait-il pas mieux, contre cette tentation aussi obsessionnelle que vaine, préférer former à traiter l’imprévu, voire l’inconnu ?

Dans ce domaine, il apparaît plus intéressant de travailler sur la prise de conscience et l’intelligence pratique du sujet que sur la rationalisation procédurale de l’action.

On l’aura compris, il s’agit ici de défricher un champ qui se trouve au carrefour d’une anthropologie de la pratique, d’une psychologie cognitive in vivo et de l’analyse des situations de travail, notamment en formation. La gestion de l’imprévu défie l’analyse par son objet même, mais la stimule en même temps. Au second degré, elle met en évidence les limites des sciences humaines et la nécessité de convergence de plusieurs cadres théoriques et de plusieurs méthodes pour comprendre l’action humaine, notamment au travail.

 Références

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