Sur les rapports entre les groupements additifs des classes et des relations asymétriques et le groupe additif des nombres entiers (1941) a

Le théorème III exposé dans notre communication du 20 mars 1941 1 et les théorèmes IV, V et VI contenus dans la communication précédente permettent de dégager les relations entre les groupements logiques et le groupe additif des nombres entiers.

Théorème VII

a) La substitution généralisée des termes A, A’, B’, … etc. dans les classifications simples de type A + A’ = B ; B + B’ = C ; … etc. entraîne la formation d’une et d’une seule classification simple ne se transformant qu’en elle-même ; la substitution généralisée des relations et a a’ b’ de leurs termes a→ A, a’→ A’, b’→ B’, … dans les séries de type 0 a→ A a’→ A’ b’→ B’, … etc. entraîne la formation d’une et d’une seule série ne se transformant qu’en elle-même et dont les termes correspondant bi-univoquement à la classification précédente : les opérations d’addition des classes peuvent alors être composées avec celles de l’addition des relations asymétriques en un groupe général qui réunit les groupements additifs des classes et des relations asymétriques pour constituer le groupe additif des nombres entiers (positifs et négatifs).

b) La qualité est ainsi éliminée au profit de la cardination et de l’ordination pures.

Soit, en effet, une suite d’emboîtements A1 + A = B1 ; B1 + B’1 = C1 ; C1 + C’1 = D1 ; … etc. (groupement additif des classes). Si nous substituons l’un à l’autre, par exemple B1 et A1 tout en conservant le cadre des classes primaires A, B, C, D, … etc., nous aurons alors B’1 + A’1 = B2 (nous écrivons B2 pour distinguer cette nouvelle classe de B1 = A1 + A’1) et B’1 s’écrira A2 ; d’autre part B2 + A1 donneront C2 (A1 s’écrivant B2). En poursuivant ces substitutions nous aurons un ensemble de classes A2 A3 A4… substituables à A1 ; B2 B3 B4… substituables à B1 ; C2 C3 C4… substituables à C1, etc. Ces classes n’ont naturellement plus aucun caractère qualitatif commun. Mais, si toutes les classes secondaires A’ B’ C’… sont substituables à A, nous avons, par élimination des qualités en jeu, la classification unique : A = + A ; B = A + A ; C = A + A + A ; … et alors la substitution de l’un des éléments A à un autre ne transforme plus cette classification qu’en elle-même. Nous pouvons alors écrire A = 1A ; B = 2A ; C = 3A ; etc.

Soit maintenant une série 0 a→ A a’→ A’ b’→ B’ … De même que substituer A à tous les termes A’ B’ C’… d’une classification revient à poser A = A’ = B’ = C’ … de même substituer a→ A à tous les termes A’B’C’… d’une série revient à poser a→ A = a’→ A = b’→B’… etc., c’est-à-dire que la différence entre chaque terme et le suivant est considérée comme équivalente à la différence a→ entre 0 et A. Or, une telle série, qui s’écrira 0 a→A a→ A a→ A… etc. ne peut plus évidemment se transformer qu’en elle-même. En effet, de même que la classe A perd, en vertu de la substitution généralisée, sa signification qualitative et acquiert celle d’une unité itérable, de même la relation a→ se vide de tout contenu qualitatif : elle exprime alors la seule différence subsistant entre termes devenus égaux, donc substituables et cependant sériés, c’est-à-dire la différence de rang séparant chaque terme du suivant. La relation a→ A désigne ainsi la différence d’un rang entre un terme quelconque et le suivant ; b→ A une différence de deux rangs entre un terme et le terme succédant au successeur immédiat, etc. Nous pouvons donc écrire a→ = 1a→ ; b→ = 2a→ ; c→ = 3a→ ; etc.

Il est clair que les opérations de classes A = +A ; B = A + A ; C = A + A + A ; etc., peuvent être alors composées avec les relations 1a→ ; 2a→ ; 3a→ ; etc., c’est-à-dire que chacune de ces classes peut être respectivement remplacée par les séries 0 a→ A ; 0 a→ A a→ A ; 0 a→ A a→ A a→ A ; etc., puisqu’au nombre des termes correspond bi-univoquement le nombre des rangs, et surtout que ces nombres constituent désormais la seule définition possible des uns et des autres. En effet, 1° les relations a→ + a→ sont équivalentes entre elles parce que vicariantes, comme les classes + A + A (cette vicariance des relations d’ordre signifie que si le premier A devient deuxième, et si le deuxième devient premier, il y a toujours un premier et un deuxième). 2° L’addition des relations a→ + a→ = b→ équivaut à l’addition des classes A + A = B, puisque si l’on a A = A, ces classes ne peuvent former qu’une classification « simple » et non pas « complète » (les subdivisions possibles des différents A étant elles-mêmes toutes égales d’une unité A à l’autre et ne constituent alors que des « fractions ») et que la série correspondant à cette classification simple se confond avec la série des rangs. 3° Les définitions des rangs et des classes sont complémentaires : on ne peut, en effet, distinguer une unité A d’une autre que par son rang, et un rang a→ d’un autre que par la classe (= le nombre) des termes sériés. L’opération + A est donc équivalente, au point de vue du groupe, à l’opération + a→, puisque la relation a→ ne signifie plus que l’ordre (vicariant) dans lequel on effectue l’opération + A et qu’on ne peut effectuer l’une de ces deux opérations sans l’autre. C’est pourquoi il n’y a pas lieu de considérer deux groupes différents à leur sujet (ce qui n’empêche pas de distinguer en général les nombres cardinaux, par abstraction de l’ordre, et les cardinaux par abstraction de la classe des termes).

Enfin, l’itération de A + A = 2A et de a→ + a→ = 2a→ exclut la tautologie et la résorption pour ramener les identiques spéciales à la seule identique générale +0 ou −0, les deux groupements additifs des classes et des relations asymétriques étant ainsi transformés simultanément dans le groupe additif des nombres entiers à la fois cardinaux et ordinaux.

b) est évident, puisque les classes A, B, C, … étant vidées de tout contenu qualitatif par la substitution généralisée de leurs éléments sont par là même transformées en classes d’unités a et que les relations a→ + b→ c→, … sont pour la même raison transformées en séries de relations d’ordre pur.

Remarque. — Égalité numérique et équivalence qualitative

En quoi consiste alors la relation A = A’ = B’… ou 1 = 1 = 1… résultant des substitutions généralisées et caractérisant l’égalité numérique ? Elle n’est pas une identité « logique », sinon l’on aurait, pour A = A’ = B’ = …, la tautologie générale A + A’ = A ; A + B’ = A ; … d’où A = B = C. Elle n’est pas non plus une équivalence qualitative, puisque celle-ci n’autorise la substitution qu’à l’intérieur de classes déterminées, par exemple A B= A’ et non pas de toutes (par exemple A’ B= B’ est absurde au point de vue qualitatif). Comme l’identité, elle est donc une possibilité de substitution inconditionnée, mais contrairement à l’identité, elle signifie que si A = A’ alors A + A’ = 2A. Deux termes égaux sont ainsi substituables l’un à l’autre en toute situation et cependant distincts, ce qui est contraire à toutes les opérations particulières des « groupements », lesquelles portent soit sur les termes équivalents soit sur les différences, mais non pas sur les deux simultanément. Étant à la fois identité et différence, elle atteste donc à nouveau la réunion opératoire de la classification et de la sériation et on peut la définir comme suit : « A et A’ seront dits égaux s’ils sont simultanément substituables sans conditions et ordonnables »; en effet, deux unités égales ne peuvent être regardées comme « distinctes » que si elles présentent entre elles un ordre vicariant dans l’espace, dans le temps, ou dans l’énumération elle-même, car, sans cet ordre, la substitution inconditionnée se réduit à l’identité. Au total, l’égalité apparaît ainsi comme la généralisation de l’équivalence logique, grâce à l’introduction de l’ordre vicariant.

Conclusion

L’utilité du théorème VII est de traduire axiomatiquement la marche réelle de la construction psychologique du nombre (cf. notre communication du 23 novembre 1939). Il ne s’agit donc nullement de réduire le nombre aux réalités logiques, mais de montrer à quelles conditions opératoires on peut transformer les êtres logiques en être numériques et réciproquement : le nombre est ainsi à la fois « classification » et « sériation », avec par conséquent élimination des qualités, tandis que les êtres logiques sont des classes ou des séries obtenues par réintroduction de la qualité et, par conséquent, dissociation des opérations algébriques générales.