Δεῖμος καì Φόϐος. Figures de la peur en Grèce antique

Gorgô, l'horreur apprivoisée


La mort dans les yeux : c’est ainsi que Jean-Pierre Vernant intitula son étude consacrée à la figure de la Gorgone, en grec Gorgô, dont le regard pétrifiait tout mortel qui venait à le croiser. Incarnation de l’horreur absolue, des ténèbres et du néant de la mort, la Gorgone, nommée aussi Méduse, apparaît dans les représentations figurées à la fois comme personnage à part entière, sous la forme d’une femme à la tête monstrueuse, et comme masque effrayant utilisé pour inspirer la peur.

 

Brève introduction audiovisuelle

 


Tête en marbre dite MEDUSA RONDANINI. Copie romaine d’après un original attribué à Phidias (Ve siècle av. J.-C.) et qui pourrait avoir orné le bouclier de l’Athéna Parthénos.

 


  • Athéna portant l’égide ornée du gorgonéion. Marbre, copie romaine du Ier-IIe siècle ap. J.-C. d’après un original grec du Ve siècle av. J.-C.

    En fait, il n’y pas une Gorgone, mais trois : Sthenô, Euryale et Méduse, la seule qui soit mortelle. Les trois sœurs démones appartiennent à une famille d’êtres monstrueux et vivent, selon la Théogonie d’Hésiode, aux confins du monde, au-delà de l’Océan, aux frontières de la Nuit. Homère, dans l’Odyssée, représente Gorgô en gardienne de l’Hadès : son rôle est d’empêcher les vivants d’entrer chez les morts.
    La Gorgone mortelle, Méduse, s’unit au dieu de la mer Poséidon : quand sa tête sera tranchée par Persée, du sang coulant de la blessure naîtront Pégase, le cheval ailé et Chrysaor.
    Cette tête, le gorgonéion, sera utilisée d’abord par Persée pour pétrifier ses ennemis, puis par Athéna qui la porte sur son égide, son armure. Mais l’utilisation du gorgonéion est beaucoup plus large : dans l’Iliade déjà, il orne les boucliers des guerriers et on le retrouve sur les toits des temples, les ateliers des artisans, les habitations privées, les meubles, les ustensiles, ou encore les récipients. L’image de la Gorgone sert à écarter les menaces et finit par jouer un rôle protecteur au profit des détenteurs des objets qu’elle orne.
    Les textes littéraires, dès le début du VIIe s. av. J.-C., évoquent certains aspects de la Gorgone : elle est vêtue de noir, porte des serpents à sa ceinture ou sur sa tête, comme des cheveux ; on lui attribue aussi des ailes et des défenses de sanglier.


    Bouclier d’Ajax avec gorgonéion. Amphore attique à figures noires, 530 av. J.-C. Musée de Boulogne.


    Antéfixe avec gorgonéion de Grèce de l’Est, 550 av. J.-C. Prague, Palais Kinský.


  • Persée tuant Méduse. Amphore cycladique à reliefs, vers 670 av. J.-C.

    Les Gorgones apparaissent au même moment dans l’imagerie : les premières images illustrent le plus souvent l’épisode où Persée décapite Méduse et la créativité des artisans qui devaient représenter une figure pour laquelle il n’y avait ni modèle, ni description exhaustive. La Gorgone se retrouve ainsi affublée d’un corps de cheval, alors qu’elle est en principe toujours re- présentée sous l’aspect d’une femme à la tête monstrueuse, ou encore, si le corps est bien féminin, pour représenter la tête ornée de serpents, un peintre attique s’est inspiré des chaudrons en bronze à têtes de dragons dédiés à son époque dans les grands sanctuaires grecs. Peu à peu, au cours du VIIe siècle, l’aspect canonique de la Gorgone archaïque se crée : représentée le visage de face, elle a une tête large et ronde évoquant une face de lion, les yeux écarquillés, une chevelure comme une crinière animale ou hérissée de serpents, les oreilles agrandies et déformées, une grande bouche ouverte à la dentition impressionnante comportant des crocs, d’où pend une large langue. Le visage est à la fois monstrueux et grotesque, l’aspect de Gorgô oscille entre le terrifiant et le risible.


    Les Gorgones poursuivant Persée. Amphore protoattique attribuée au Peintre de Polyphème, trouvée à Eleusis. 680-670 av. J.-C. Musée archéologique d’Eleusis.


  • Tête en marbre dite MEDUSA RONDANINI. Copie romaine d’après un original attribué à Phidias (Ve siècle av. J.-C.) et qui pourrait avoir orné le bouclier de l’Athéna Parthénos.

    L’époque classique, à partir du Ve siècle, va humaniser la Gorgone : petit à petit, le monstre se transforme en belle femme, retenant seulement quelques traits terrifiants, comme les défenses, la langue tirée ou les serpents.
    Enfin, à l’époque hellénistique, à partir de la fin du IVe siècle, c’est le « beau type » qui prédomine, avec quelques variantes (ailes, serpents, langue tirée), parallèlement à l’apparition d’un type nouveau, celui de Méduse à la beauté figée, avec une chevelure de serpents, provoquant le froid et la peur.

Les objets exposés