Δεῖμος καì Φόϐος. Figures de la peur en Grèce antique

Pan et la peur panique


Avec Pan, les Grecs nous donnent à réfléchir sur la jointure entre le divin, l’humain et l’animal. Mi-chèvre, mi-anthropomorphe, le dieu bondit, saute et danse. Violeur et charmeur, maître des bruits énigmatiques et du désordre, il agit au point où la séduction s’articule à la répulsion. Pan est simultanément musicien, lascif et effrayant. Issu de l’Arcadie, au coeur des montagnes du Péloponnèse, le dieu-bouc a dû passer par Athènes pour prendre l’aspect qu’on lui connaît dans la littérature et dans les arts, jusqu’à l’époque moderne.

 

Brève introduction audiovisuelle

 

Cours du Prof. Philippe Borgeaud, Désir, musique et peur. Le dieu Pan (durée 24 min.)
Épisode 3 du Cours en accès libre: Mythes et religions antiques
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Pan et les nymphes, fresque de Pompéi, 1er s. ap. J.-C.
Naples, Musée national

 

  • La légende dit que Pan fit le voyage d’Athènes en 490 avant notre ère, à l’occasion de la bataille de Marathon. Sur le point d’être assiégés par l’armée immense du Grand Roi, les Athéniens ont envoyé un messager à Sparte. Les Spartiates promettent de venir, mais pas avant la prochaine nouvelle lune. Porteur de cette mauvaise nouvelle, le héraut prend le chemin du retour en traversant les montagnes d’Arcadie. Le dieu Pan lui apparaît et lui dit : « Annonce que j’ai déjà aidé les Athéniens à maintes reprises et que je vais encore les aider ». Au lendemain de la victoire inespérée de Marathon, les Athéniens se souviennent de ce message et installent le dieu dans une grotte au flanc de l’Acropole. A partir de là son culte va se répandre en Attique et ensuite dans tout le monde grec.
    Pan doit donc se faire une place, et s’intégrer dans les panthéons des cités, trois à cinq siècles après les poèmes homériques. Il s’installe dans un monde champêtre où l’accueillent les Nymphes, et des divinités pastorales. Il côtoie Hermès (considéré comme son père), mais aussi Dionysos. Les récits concernant Syrinx et Echo émergent peu à peu, pour prendre corps dans la poésie d’époque alexandrine, qui servira de modèle à la poésie latine.
    Ces élaborations poétiques feront l’objet d’une exégèse philosophico-mystique qui débute explicitement avec Platon, qui interprète Pan (Pán) comme le Tout (Pãn), fils de l’interprète par excellence, Hermès. La parole d’Hermès peut Tout dire. De là à faire de Pan un dieu cosmique, berger des astres et des humains, le pas est franchi par commentaires des orphiques. Cette entrée en cosmogonie est tardive, mais elle sera durable.


  • Statue de Pan, trouvée à Sparte. Copie en marbre de Paros du 1er s. ap. J.-C.
    D’après un original du 4e s. av. J.-C. Athenès, Musée national.

    Causée par un simple bruit dans la nuit, un écho, la peur « panique » frappe une armée au repos. Elle est aliénante au niveau collectif, de manière comparable à l’aliénation d’un individu arraché à lui-même par le désir d’un objet illusoire. Séduction, répulsion alternent et parfois coïncident, dans l’aporie du saisissement. Les tacticiens grecs connaissaient ces choses-là ; ils savaient comment créer des paniques, en lâchant par exemple des ânes dans le camp ennemi, la nuit. La troupe est complétement désorganisée.
    Donc on peut dire que le rôle guerrier de Pan est plutôt comique. Il empêche le guerrier d’être un guerrier, il le trans- forme en une sorte d’animal agité, qui va s’autodétruire.
    Au 17ème s. Hobbes, l’auteur du Léviathan, situe à l’origine des dieux une peur de ce type : il s’agirait de l’émotion la plus primitive, une peur qui n’a pas de cause. Cette peur des choses invisibles serait un ferment de « religion », qui induit le culte d’objets imaginaires (Hobbes, Leviathan, I, 11). Elle est en quelque sorte panique.
    L’absence de cause est importante. L’émotion spontanément déclenchée représente un danger de dissolution du lien social (contrairement à une autre peur, considérée comme positive par Hobbes, la peur révérencielle du Souverain). Montaigne (Essais I, 17) disait déjà du trouble panique qu’il provient d’une impulsion céleste et qu’il est « outre l’erreur de notre discours », c’est-à-dire qu’il échappe à toute explication. Il confirmait ainsi ce que les Grecs avaient théorisé, un lien entre la peur et le fantasme, dans la vacuité de l’imaginaire.
    La grotte est pour le dieu et ses chèvres une bergerie retentissante (kaliè ēchéessa, dans l’Anthologie palatine VI 253). Le son répercuté par les parois rocheuses (celui de la flûte pastorale et de l’écho) trahit des présences. Celle de la nymphe Syrinx, certes, mais aussi de la nymphe Echo. Syrinx et Echo, deux nymphes ‘sonores’, un sifflement et un bruit, répondent à Pan, qui les poursuit en vain.
    La musique de la Syrinx, avec Pan, s’élève quand s’évanouit l’objet du désir. La nymphe échappant à sa poursuite se métamorphose en roseaux, que le dieu malheureux emplit de son souffle.


  • Pan poursuivant un berger
    Cratère attique à figures rouges, environ 470 av. J.-C.,
    Boston, Museum of Fine Arts 10.185

    Sophocle, Ajax 693 et suivants :
    J’ai le frisson d’Eros, l’éclat de la joie me fait voler! Iô, iô, Pan, ô Pan, Pan qui erre sur la mer, quitte les rochers battus de neige, le col cyllénien, et parais ici, ô Prince qui fait danser les dieux, afin de lancer en moi la danse qu’on ne saurait apprendre ... car l’heure pour moi est de former un choeur !

  • Hymne orphique 11 à Pan (trad. Philippe Borgeaud) :
    J’appelle ici Pan, berger empli de force, tout absolu,
    Ciel, mer, et terre reine universelle,
    Feu immortel. Tels sont les membres musicaux de Pan,
    Viens, bienheureux, bondisseur, tournoyant, toi qui trône chez les Saisons,
    Avec ton corps de chever tu fréquentes les astres, bacchant familier de la transe.
    Tu te plais en ton jeu a tisser l’harmonie du monde.
    Complice des illusions, tu frappes de peur les mortels.
    Tu prends ton plaisir auprès des chevriers et des vachers,
    Bon guetteur, chasseur, amant d’Echo, tu danses avec les Nymphes.
    Procréateur de toutes choses, démon aux noms multiples,
    Maître de l’univers, tu fais croître, et tu apportes la lumière, apollinien fécond.
    Tu aimes les grottes, et ta colère est lourde, vrai Zeus Cornu !
    Sur toi repose le socle illimité de la Terre,
    Ou le courant profond de la mer infatigable
    S’enroule en Océan tournoyant autour de la Terre,
    Ainsi que le domaine aérien, étincelle nourricière des vivants,
    Et au-dessus des cimes le Soleil, œil du feu le plus léger.
    Ces êtres divins avancent, tour a tour, a ton commandement.
    La nature de toutes choses se transforme au gré de tes intentions.
    C’est toi qui conduis le troupeau de l’espèce humaine a travers l’univers sans limite.
    Allons, bienheureux, bacchant, dans ta transe avance vers nos saintes libations
    Et accorde-nous un bon accomplissement de vie,
    En chassant l’aiguillon panique aux confins de la Terre.

Les objets exposés