Pointer du doigt
Silvio Quistini
Lors d’une conversation (verbale ou non), il se peut qu’un objet spatialement proche et visible soit mentionné. Selon les talents de description du locuteur (ou plutôt l’absence de talent) et les facultés de conception de l’auditeur (ou plus précisément son manque d’imagination), il est généralement plus commode d’employer un geste déictique pour désigner l’objet que de le décrire. Bien évidemment, le locuteur peut également y recourir en cas de paresse. Le geste le plus couramment usité dans cette situation consiste à pointer du doigt.
Pour pointer du doigt, il faut fermer le poing et tendre l’index (sans oublier de viser l’objet en question). De cette façon, on invite son interlocuteur à suivre avec précision la ligne invisible qui est tracée entre son propre corps et le sujet de la discussion. Pourquoi l’index et pas un autre doigt ? Parce que le majeur, l’annulaire et l’auriculaire, pour des raisons anatomiques, ne peuvent être totalement dépliés sans douleur lorsque le poing est fermé. Qu’en est-il du pouce ? Le doigt, lorsqu’on l’utilise pour pointer quelque chose ou quelqu’un, sert d’extension au bras. En pointant du doigt (ou plus précisément de l’index), la ligne précédemment mentionnée est psychologiquement renforcée par trois phalanges, dont la longueur totale atteint approximativement dix centimètres. Si l’on pointe du pouce, la ligne est non seulement raccourcie (car le pouce est normalement plus court que l’index), mais aussi brisée par l’angle droit qui est formé, ce qui est peu pratique pour indiquer une direction en face de soi. L’index est donc le doigt qui sert à pointer. C’est d’ailleurs parce qu’il sert à pointer qu’il porte son nom. Enfin, pourquoi ne pas tout simplement garder la main ouverte ? Pour donner une réponse brève (et peut-être incomplète) : la paume vers le ciel, c’est quémander ; la paume vers l’intérieur, c’est donner une direction ; la paume vers l’extérieur, c’est douloureux ; la paume vers le sol, c’est un salut (négativement connoté).
Pour rester dans le thème des connotations négatives, il est absolument interdit de pointer une personne du doigt (ou plus précisément des trois phalanges qui composent l’index) ; c’est malpoli, c’est grossier. En la pointant du doigt, cette personne subit une réduction de son espace personnel d’une longueur de bras à laquelle s’ajoute une dizaine de centimètres. En outre, la cible désignée par l’index est exposée, singularisée et, par conséquent, son anonymat se trouve violé. Elle peut alors se sentir moquée ou humiliée. En effet, ne sachant ce que l’on pense, la personne pointée du doigt peut imaginer que l’on essaie de mettre en lumière un élément spécifique de son apparence ou de sa manière d’être (ce qui peut tout à fait être le cas, mais qui par usage ne doit pas se savoir). Par conséquent, ne pas pointer du doigt, c’est faire preuve d’empathie, tandis que pointer du doigt, c’est métaphoriquement se pointer soi-même en exposant son manque d’empathie. Soit dit en passant, dans le cas où l’on voudrait littéralement se pointer soi-même du doigt, il faudrait admettre que la perpendicularité du pouce ne serait plus un désavantage face à l’index.

Photo : © Tumisu
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Choisir un geste précis (ou un ensemble de gestes), ordinaire ou décisif, quotidien ou unique, et tâcher de le restituer : voilà l’enjeu de cet exercice inspiré de Chantal Thomas, Anne Maurel, Claude Simon, Bernard-Marie Koltès ou encore Francis Ponge.
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