Juin 2019

Entretien

La parole à...Kilian G. Seeber

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Depuis 2014, Kilian G. Seeber est Professeur à la Faculté de traduction et d’interprétation et Directeur du Département d’interprétation. En 2018, il rejoint l’équipe dirigeante de la FTI en devenant Vice-doyen de la Faculté. Ses recherches portent surtout sur les dimensions cognitives de l’interprétation, et notamment le traitement multimodal. Kilian Seeber dirige deux laboratoires de recherche à la FTI, au sein desquels il explore le rôle que peuvent jouer les nouvelles technologies tant dans la recherche (LaborInt) que dans la formation (InTTech). Par ailleurs, il organise des cours de formation pour les institutions européennes et les Nations Unies. Il a également participé à la mise au point du Master of Advanced Studies (MAS) in Interpreter Training. Dans cette édition de l’e-Bulletin, Kilian nous raconte les débuts de l’interprétation de conférence et nous parle d’une conférence qu’organisent la FTI et le BIT à l’automne.

Les 3 et 4 octobre prochain, le Bureau international du travail (BIT) accueillera une conférence organisée conjointement avec le Département d’interprétation de la FTI. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Cette année, l’Organisation internationale du travail (OIT) fête ses cent ans. L’OIT a été fondée en 1919, en même temps que la Société des Nations, le précurseur de l’ONU, lors de la Conférence de paix de Paris à Versailles. Cette conférence a également donné naissance à notre profession. En effet, à l’époque, le français était la seule langue parlée dans les milieux diplomatiques, et ce depuis des siècles. Lors de la Conférence de Paris, pour la première fois de l’Histoire, il a été décidé de donner à l’anglais le même statut qu’au français. Il a donc fallu prévoir d’interpréter les échanges. C’est ainsi que la profession d’interprète de conférence a vu le jour. Le BIT organisera toute une série de manifestations pour célébrer son centenaire. La FTI se joindra aux festivités pour fêter les 100 ans de l’interprétation de conférence.

Lorsque l’on pense à l’interprétation de conférence, on l’associe souvent au procès de Nuremberg, qui s’est tenu à la fin de la Seconde Guerre mondiale en Allemagne – 25 ans après la Conférence de Paris. L’interprétation de conférence existait-elle vraiment avant cela ?

Le procès de Nuremberg de 1945 a effectivement constitué un jalon dans l’histoire de notre profession, mais il n’en fut pas le point de départ. Cette confusion tient peut-être aux mots que l’on emploie pour désigner l’interprétation. En effet, l’interprétation peut être définie selon le contexte dans lequel elle a lieu : interprétation de conférence, interprétation pour les tribunaux, interprétation dans les services publics, etc. On peut également préciser le mode d’interprétation choisi : l’interprétation simultanée, consécutive ou chuchotée à l’oreille d’un ou d’une déléguée. Lors de la Conférence de Paris, les équipements d’interprétation simultanée n’existaient pas encore. Les interprètes travaillaient en consécutive ou en chuchotage. De nos jours, la plupart des conférences multilingues sont interprétées en simultanée. Ceci explique peut-être que l’on confonde interprétation de conférence et interprétation simultanée. Or, la simultanée n’est qu’un mode d’interprétation parmi d’autres et les interprètes de conférence professionnels sont formés à toutes les techniques.

Il est vrai que toutes ces notions ne sont pas toujours très claires. Peut-on alors dire que le procès de Nuremberg marque le début de l’interprétation de conférence simultanée ?

Le procès de Nuremberg a connu un important écho médiatique. Cette médiatisation a certainement contribué à faire connaître l’interprétation auprès du grand public. Toutefois, les débuts de l’interprétation simultanée remontent à 1925. C’est à cette époque que le BIT a commencé à mener ses premiers essais d’interprétation simultanée avec des équipements téléphoniques. Et dès 1928, grâce à un dispositif mis au point par Filene et Finlay, l’interprétation simultanée en plusieurs langues était proposée lors des Conférences internationales du travail de l’OIT. L’OIT est donc l’un des grands protagonistes de l’histoire de notre profession. Aujourd’hui, le BIT coopère étroitement avec le Département d’interprétation de la FTI pour former les nouvelles générations d’interprètes de conférence. C’est aussi pour cette raison que nous avons décidé d’organiser cette conférence ensemble.

Quel est le thème de cette conférence ? Qui y participera et à quels résultats pouvons-nous nous attendre ?

La conférence s’intitule « Looking back and looking forward ». Nous souhaitons faire le point sur 100 ans de pratique, de recherche et de formation en interprétation de conférence. Nous allons traiter des grandes étapes qu’a connues la profession, en analyser les derniers développements et réfléchir aux défis actuels et futurs. Cette conférence intéressera donc tant le monde de la recherche que celui de la formation, sans oublier les interprètes eux-mêmes – trois groupes de personnes qui mèneront, nous l’espérons, un débat animé et constructif sur le passé, le présent et surtout l’avenir de l’interprétation de conférence. Notre idée est de favoriser la discussion. Pour cela, il y aura moins de place pour les exposés et plus de temps pour les débats. Lors de chaque séance, nous prévoyons une intervention principale, quelques petites présentations (au format « Pecha Kucha »), et une grande discussion structurée entre les membres du panel et le public. Bien entendu, la conférence sera multilingue et les débats seront interprétés vers l’anglais, le français et l’espagnol.

À vous écouter, on a l’impression que vous allez saisir l’occasion de ce centenaire pour rompre avec le format traditionnel des conférences internationales. Quels seront les moments forts de la manifestation ?

La liste des intervenants est impressionnante. Le Professeur Jesus Baigorri tiendra un discours sur la pratique de l’interprétation de conférence. Le Professeur Alexis Hervais Adelman offrira un aperçu de la recherche actuelle dans ce domaine. Enfin, le Professeur Jacolyn Harmer nous présentera sa vision de la formation des interprètes de conférence. Nous sommes en train d’apporter la dernière touche à la composition des panels. Mais je peux d’ores et déjà vous annoncer que nous pourrons compter sur la présence de délégations de haut niveau des Nations Unies, de la Commission européenne et du Parlement européen. Nous aurons également la chance d’accueillir des chercheurs réputés ainsi que les principaux représentants de notre profession. La conférence se terminera par un grand débat sur l’avenir de l’interprétation de conférence, animé par les Troublesome Terps. À mon avis, les temps forts de la manifestation seront les séances interactives et les débats avec le public. Il s’agira d’une occasion unique de mener une discussion franche et ouverte avec tous les acteurs du monde de l’interprétation de conférence.