PremiĂšres recherches sur les mollusques profonds du lac de NeuchĂątel (1912) a

Communiqué en séance du 13 juin 1913

I. Introduction

Ayant entrepris ses belles Ă©tudes sur la faune profonde du lac LĂ©man, Forel effectua, en vue d’une comparaison faunistique, un certain nombre de dragages dans les autres lacs suisses. Ces premiers rĂ©sultats, publiĂ©s dans les Bulletins de la SociĂ©tĂ© vaudoise des sciences naturelles, comprenaient quelques indications sur notre lac, bien peu de chose, Ă  la vĂ©ritĂ©, car Forel n’y a trouvĂ© tout d’abord que le Pisidium occupatum, nommĂ© et dĂ©crit par Clessin (loc. eod.). Un peu plus tard, Asper, au cours de ses pĂȘches fructueuses, lança ses dragues dans le lac de Bienne, pour y dĂ©couvrir le Pisidium Charpentieri, Ă©galement Ă©tudiĂ© par Clessin, qui s’était fait une spĂ©cialitĂ© des mollusques de la faune profonde. Dans la suite, Forel, continuant ses investigations, publia en 1885 sa grande monographie de la faune profonde des lacs de Suisse. Il avait dans l’intervalle retrouvĂ© dans notre lac le Pisidium prolungatum, espĂšce dĂ©couverte auparavant dans le lac de Wallenstadt. La mĂȘme annĂ©e, du Plessis, dans un mĂ©moire sur le mĂȘme sujet, donnait en outre le rĂ©sultat d’un de ses dragages, effectuĂ© devant Grandson ; il avait mis au jour la LimnĂŠa abyssicola, une espĂšce dĂ©crite par Brot, lors des premiĂšres recherches de Forel. Depuis 1900 environ, M. Fuhrmann, professeur Ă  l’UniversitĂ© de NeuchĂątel, a ramenĂ© de temps Ă  autre des Pisidium occupatum, draguĂ©s au cours de ses recherches d’invertĂ©brĂ©s. Cette espĂšce a Ă©tĂ© Ă©tudiĂ©e pour la seconde fois par M. P. Godet, qui l’a mentionnĂ©e et figurĂ©e dans son Catalogue (1907). Enfin, en 1911, M. Zschokke publiait sa magistrale Ă©tude sur la faune profonde de l’Europe centrale, oĂč il rĂ©sumait toutes les donnĂ©es existant alors, et oĂč l’on retrouve ces mĂȘmes renseignements sur notre lac.

MalgrĂ© cette multiplicitĂ© et cette diversitĂ© de travaux, les mollusques abyssaux du lac de NeuchĂątel sont tout ce qu’il y a de moins connus. Au nombre total de trois, deux ne paraissent pas avoir Ă©tĂ© trouvĂ©s plus d’une ou deux fois et le troisiĂšme a Ă©tĂ© retirĂ© par-ci par-lĂ , encore mal dĂ©fini et bien peu Ă©tudiĂ©. On comprend dĂšs lors l’utilitĂ© qu’il y aurait Ă  reprendre cette question, qui ne manque pas d’intĂ©rĂȘt. D’autant plus qu’actuellement M. le prof. E. Yung poursuit activement des recherches trĂšs fructueuses dans le LĂ©man, et met au jour de nombreux matĂ©riaux nouveaux. Un point en particulier a Ă©tĂ© quelque peu controversĂ©, c’est l’origine et la taxonomie des limnĂ©es profondes, sujet qu’un Ă©lĂšve de M. le prof. Blanc, de Lausanne, M. Roszkowski, Ă©tudie spĂ©cialement en vue d’une thĂšse de doctorat, et que j’ai moi-mĂȘme effleurĂ© dans un travail sur les rĂ©coltes de M. Yung.

Il est nĂ©cessaire de donner ici une brĂšve explication pour rendre plus claires les lignes qui vont suivre. M. Roszkowski, se basant sur des observations biologiques, l’étude anatomique de ces animaux et leur distribution gĂ©ographique, prĂ©tend qu’ils sont directement issus des espĂšces littorales et que ces migrations se poursuivent sans cesse en renouvelant la faune profonde ; en outre ces limnĂ©es ne seraient pas des espĂšces Ă  conserver, mais de simples variations fluctuantes. D’autre part, en me fondant sur les rĂ©partitions gĂ©ographique et bathymĂ©trique de ces limnĂ©es, ainsi que sur l’examen de tous nos mollusques profonds, j’ai prĂ©tendu, tout en les maintenant au rang d’espĂšces Ă  cause de leur extrĂȘme diffĂ©renciation, que leur origine Ă©tait ancienne, contemporaine des premiers peuplements de nos lacs.

Des recherches subsĂ©quentes Ă©tant nĂ©cessaires pour approfondir ce point, c’est avec le plus grand intĂ©rĂȘt que j’ai reçu de M. le prof. Fuhrmann le produit de ses dragages effectuĂ©s cette annĂ©e mĂȘme devant NeuchĂątel. Ils jettent, me semble-t-il, une certaine lumiĂšre sur ces questions, et c’est pourquoi il peut paraĂźtre bon d’en donner le rĂ©sultat, en y joignant le peu qu’on sait sur les mollusques abyssaux de notre lac.

Bibliographie

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1913a. Piaget, J. Nouveaux dragages malacologiques de M. le prof. Yung dans la faune profonde du Léman. Zool. Anz., vol. 12, p. 216-223, 5 fig.

1885. Du Plessis-Gouret, G. Essai sur la faune profonde des lacs de la Suisse, Mémoires de la Soc. helvét. des sc. nat., vol. 29, paginé à part, 64 p. (Mollusques, pp. 20-23).

1912. Roszkowski, W. Notes sur les limnées de la faune profonde du lac Léman. Zool. Anz., vol. 40, pp. 375-381, 3 fig.

1912. Zschokke, F. Die Tiefseefauna der Seen Mitteleuropas. Monogr. u. Abhandl. zur Intern-Rev. der gesamt. Hydrobiol. u. Hydrographie. Vol. 4, 246 pages (3 cartes).

II. Bref examen de la faune littorale, quaternaire et moderne

Que la faune profonde actuelle descende des anciennes faunes littorales, ou qu’elle ne soit qu’une dĂ©rivation moderne des sociĂ©tĂ©s peuplant aujourd’hui nos eaux de surface, il est de toute importance de connaĂźtre les animaux de cette rĂ©gion superficielle, d’en Ă©tudier les variations et plus spĂ©cialement leur distribution gĂ©ographique. C’est pourquoi ce petit paragraphe ne sera pas inutile Ă  ce qui va suivre, Ă©clairant certaines questions d’une maniĂšre assez inattendue.

Cependant certains groupes ne sont pas encore connus de la faune profonde, quoique abondamment reprĂ©sentĂ©s dans les rĂ©gions superficielles, aussi passerons-nous rapidement sur eux. Les Physa (Ph. fontinalis et hypnorum) sont actuellement assez rĂ©pandues, mais surtout dans les fossĂ©s avoisinant le lac, de mĂȘme que les Planorbis. Quelques-uns pourtant de ces derniers habitent normalement nos rives lacustres : Planorbis marginatus, carinatus, nautileus, complanatus, contortus, rotundatus, albus et glaber, qu’on retrouve tous dans les anciens dĂ©pĂŽts quaternaires du Seeland et des environs.

Une de nos deux espĂšces d’Ancylus (A. lacustris) est rare dans le lac, tandis que l’A. fluviatilis y est fort commun, vivant Ă  Colombier, Saint-Blaise, etc., etc., et subfossile dans les argiles d’eau douce de LĂŒscherz. Ce dernier mollusque prĂ©sente une forme vivant par 15-30 m dans le LĂ©man, la var. achromata Piag. Cette variĂ©tĂ© a Ă©tĂ© retrouvĂ©e par mon ami M. Romy, rejetĂ©e sur la grĂšve de Colombier Ă  l’état fort typique, forme et coloration. Il est probable qu’elle vivait tout prĂšs de la surface (4-5 m) et que sa pĂąleur est due Ă  un habitat sous de grosses pierres. Ce fait se prĂ©sente Ă©galement dans le lac d’Annecy, d’oĂč M. le Dr Le Roux, directeur de la Revue savoisienne, me l’a communiquĂ©e, trouvĂ©e devant le port d’Annecy.

Les Naïades enfin, absentes de la faune profonde, sont fort communes sous des formes trÚs variées dans le lac et les marais. Leur énumération prendrait ici trop de place et serait assez inutile.

Passons maintenant aux genres ayant des dĂ©rivĂ©s abyssaux et examinons-en toutes les espĂšces, ce qui pourra ĂȘtre important dans la suite.

Les limnĂ©es sont reprĂ©sentĂ©es par quatre espĂšces dont deux sont devenues la souche de mollusques profonds, les LimnĂŠa ovata et palustris. La L. stagnatis, fort commune et partant trĂšs polymorphe, a pour forme lacustre caractĂ©ristique la var. lacustris, abondante sur toutes nos rives ainsi que dans les dĂ©pĂŽts quaternaires du Grand Marais (dunes de sables de Witzwil, etc.). La L. truncatula ne vit que peu dans le lac, Ă  Colombier et Marin par exemple, en gĂ©nĂ©ral sous sa forme ventricosa ; dans le quaternaire du Seeland elle est surtout commune sous une toute petite forme nouvelle que je dĂ©crirai prochainement. La L. palustris n’est pas proprement lacustre, ce qui fait son intĂ©rĂȘt, du moment qu’elle a donnĂ© naissance Ă  la L. abyssicola. Elle habite les marais des extrĂ©mitĂ©s orientale et occidentale du lac, Ă  Marin, La Sauge, au Grand Marais, Ă  Grandson, aux environs d’Yverdon, et dans les marais de Cerlier, c’est-Ă -dire partout oĂč la trĂšs faible profondeur de l’eau l’abrite des grosses vagues, et oĂč elle trouve les endroits marĂ©cageux qui lui conviennent. Elle fait dĂ©faut sur la rive de NeuchĂątel, SerriĂšres, etc., mais elle existe dans des marĂ©cages non loin de lĂ , Ă  Colombier, qui doivent avoir Ă©tĂ© autrefois en communication avec le lac, quoiqu’ils en aient complĂštement perdu la faune (L. stagnalis Ă  forme normale c’est-Ă -dire palustre, L. ovata Ă  grande ouverture, etc., etc.). Ceci est trĂšs important pour l’origine des stations abyssales. À noter encore le fait que la L. palustris est rĂ©pandue dans les dĂ©pĂŽts quaternaires de Cressier, Cornaux, Saint-Blaise, Marin, la TĂšne, ChiĂštres, LĂŒscherz, Cerlier, de la Broie, Witzwil, Champion, etc., sur tout l’emplacement de l’ancien lac couvrant autrefois cette contrĂ©e.

La L. limosa enfin est extrĂȘmement commune partout, sous une multitude de formes appartenant spĂ©cialement au type (= L. ovata) et aux subsp. auricularia, ampla, lagotis, peregra, etc. Or il est Ă  remarquer que les formes lacustres — auricularia, mucronata, tumida, etc. — ne descendent pas dans les eaux profondes, sauf exceptions trĂšs rares, tandis que les LimnĂŠa profunda, Foreli et Yungi ont pour souche la L. ovata, principalement rĂ©pandue dans les riviĂšres et Ă©tangs et seulement reprĂ©sentĂ©e dans le lac sous ses formes lacustrina (rare) et patula (cette derniĂšre Ă  NeuchĂątel, Colombier, Cudrefin, etc.). Pour plus amples renseignements voir : Piaget, J., Les limnĂ©es des lacs de NeuchĂątel, Bienne, Morat et des environs. Journ. conchyl., vol. 59 (1911, paru en 1912), pp. 311-332, pl. VIII et IX. Ces limnĂ©es sont Ă©galement abondantes dans le quaternaire des environs.

La Bythinia tentaculata est une espĂšce commune sur les rives du lac et dans les dĂ©pĂŽts littoraux, de mĂȘme que les diffĂ©rentes Valvata — V. piscinalis, pulchella et cristata — dont une forme, la V. Antiqua, est particuliĂšrement caractĂ©ristique du lac et vit ordinairement Ă  une certaine profondeur (3 Ă  10 m). Ces formes sont aussi trĂšs rĂ©pandues dans le quaternaire de Witzwil, Cressier, de la Broie, de Cerlier, etc., etc.

Enfin les Pisidium nous fournissent des faits trĂšs intĂ©ressants et d’une certaine importance phylogĂ©nique, de sorte qu’il me paraĂźt utile de les examiner soigneusement un Ă  un :

1. Pisidium amnicum (MĂŒll.)

Le type est assez frĂ©quent sur les rives : Cudrefin, Colombier, mares de Souaillon, etc. Je l’ai Ă©galement rencontrĂ© dans certains gisements coquilliers quaternaires : Cressier, Marin, la TĂšne, LĂŒscherz, Cerlier, toute la plaine de la Broie, molasses de Witzwil, ainsi que dans les dunes de sables, Champion, etc. Mais c’est surtout la var. elongata qui est commune actuellement sur nos rives ; elle a existĂ© sur l’emplacement de la TĂšne, de LĂŒscherz, Cerlier, de la plaine de la Broie, etc. Ces formes n’ont pas encore Ă©tĂ© trouvĂ©es dans la faune profonde du lac de NeuchĂątel, mais dans celle du Bodan.

2. Pisidium Henslowianum Shep.

Cette espĂšce, disparue de notre faune neuchĂąteloise, y a existĂ© autrefois et se retrouve en assez grand nombre dans certains dĂ©pĂŽts : Marin, la TĂšne (et var. inappendiculata Bourg.), LĂŒscherz et environs, la plaine de la Broie (avec la mĂȘme variĂ©tĂ©), les environs de Witzwil et Champion. Elle vit encore sur certains points de la Suisse : Bodan et Untersee (Ulrich), lac de Zurich (Suter), dans la faune profonde du lac de Brienz, Ă  45 m (Zschokke), dans le LĂ©man (Brot et Forel ; j’en ai dans ma collection deux exemplaires que m’a donnĂ©s M. Forel, trouvĂ©s Ă  Morges et dĂ©terminĂ©s par Clessin). GenĂšve (PĂąquis : Brot, Pointe Ă  la Bise : Kampmann) et au lac d’Annecy (communiquĂ© par M. Le Roux, qui l’a trouvĂ©e dans l’estomac d’un Coregonus alpinus).

3. Pisidium fossarinum Cless.

Cette espĂšce n’existe plus dans notre faune littorale, Ă  moins que le P. pusillum en soit une variĂ©tĂ©, ce qui me semble assez probable. Le P. fossarinum a donnĂ© une espĂšce profonde, — P. prolungatum — et est assez rĂ©pandu dans les dĂ©pĂŽts quaternaires susmentionnĂ©s. M. Schardt dit en outre l’avoir trouvĂ© dans un tuf Ă  Saint-Blaise (sub. nom. Pis. casertanum).

4. Pisidium pusillum Gm.

EspĂšce assez abondante dans le lac et les marais : Saint-Blaise, Colombier, Bevaix, Cudrefin, Grand Marais, Loclat, Bethlehem, etc. Elle est trĂšs commune Ă  l’état subfossile dans les stations dĂ©jĂ  indiquĂ©es.

5. Pisidium obtusale Mat. et Rack.

Ce mollusque est moins rĂ©pandu, vivant au Landeron et Ă  Epagnier (ainsi qu’à Couvet). Subfossile, il est plus frĂ©quent : Marin, la TĂšne, LĂŒscherz, Witzwil et Champion.

6. Pisidium nitidum Jenyns

Ce Pisidium est certainement l’espĂšce la plus intĂ©ressante de ces quelques formes. TrĂšs rĂ©pandue dans nos dĂ©pĂŽts quaternaires (le Landeron, Cerlier, LĂŒscherz, Champion, Witzwil, Marin, la TĂšne, la plaine de la Broie, etc.), elle a sans doute complĂštement disparu de notre faune littorale, mais se retrouve Ă  l’état typique dans une station abyssale. Elle a mĂȘme donnĂ© dans le fond des lacs de Bienne et de NeuchĂątel des espĂšces profondes trĂšs communes aujourd’hui.

7. Pisidium milium Held.

Cette espĂšce assez rare donne parfois des dĂ©rivĂ©s dans la faune abyssale, fait qu’on n’a cependant pas encore observĂ© dans notre lac (mais cf. le P. infimum, variĂ©tĂ© de Fordi). TrouvĂ©e Ă  Couvet et au lac d’EtaillĂšres, elle n’a pas Ă©tĂ© observĂ©e dans le Bas, quoiqu’elle se trouve subfossile en face de Champion, dans le Grand Marais.

III. Catalogue des espÚces et variétés appartenant à la faune abyssale

Gen. LimnĂŠa Lam.

1. LimnĂŠa Yungi Piaget

LimnÊa YungiPiaget, 1913, pp. 209-215, pl. IX, fig. 1, 6, 7 et 8 b ; 1913a, p. 219, fig. 3.

Cette espĂšce est, avec la L. abyssicola, la plus transformĂ©e des formes profondes de limnĂ©es. Elle est caractĂ©risĂ©e par sa forme Ă©lancĂ©e, ses six tours de spire fort convexes et s’accroissant trĂšs lentement, son dernier tour relativement peu grand et enfin par son ouverture atteignant environ la moitiĂ© de la hauteur totale. Comme chez toutes les limnĂ©es des profondeurs, son test est trĂšs pĂąle, trĂšs fragile, transparent. L’animal lui-mĂȘme est de couleur blanchĂątre, presque complĂštement privĂ© des nombreuses taches et marbrures qui parsĂšment le manteau des LimnĂŠa de surface, en particulier des ovata. La coquille a environ de 10 Ă  15 mm de longueur.

Les exemplaires neuchĂątelois de ce mollusque, dĂ©couvert l’an passĂ© par M. le prof. E. Yung, sont sensiblement semblables Ă  ceux du LĂ©man, sauf peut-ĂȘtre le fait que la spire est lĂ©gĂšrement moins effilĂ©e et la partie infĂ©rieure plus obĂšse.

On sait que, Ă  part une observation unique de du Plessis (1884) aucune limnĂ©e n’était connue de la faune profonde de notre lac et que M. le prof. Fuhrmann en cherchait vainement depuis nombre d’annĂ©es. Aussi l’abondante station qui vient d’ĂȘtre dĂ©couverte devant NeuchĂątel, Ă  50 m de fond, est elle d’un intĂ©rĂȘt particulier. Les quelque dix individus vivants ramenĂ©s de cette profondeur sont actuellement Ă©levĂ©s en aquarium et semblent prospĂ©rer, malgrĂ© le passage d’une tempĂ©rature uniforme de 4° Ă  une chaleur variant quotidiennement entre 10 et 27°, ce qui permettra des comparaisons avec des observations identiques faites par Forel, puis par Roszkowski.

Var. intermedia Piag.

V. intermedia Piaget, 1913, pp. 212-3, fig. 3 et 8 a ; 1913a, p. 220.

Cette variĂ©tĂ© a Ă©tĂ© trouvĂ©e par M. O. Fuhrmann, en petit nombre avec le type, en face du port de NeuchĂątel. Elle est caractĂ©risĂ©e par une forme plus ramassĂ©e, un dernier tour plus ventru, une spire moins longue et plus conique, formĂ©e de tours un peu moins bombĂ©s et enfin par une ouverture occupant un peu plus de la moitiĂ© de la hauteur totale. Cette forme est ordinairement caractĂ©ristique d’une profondeur moindre que celle atteinte par le type Yungi, aussi semble-t-elle assez rare Ă  50 m, mais par contre n’a pas Ă©tĂ© rencontrĂ©e dans l’important dragage effectuĂ© Ă  30 m.

Dimension un peu plus petite : longueur 8 à 10 mm.

Var. humilis Piag.

V. humilis Piaget, 1913, p. 212, pl. IX, fig. 2.

VariĂ©tĂ© caractĂ©ristique par sa taille plus petite (long. 6-10 mm), ses quatre tours bien convexes, s’accroissant plus rapidement et un peu moins progressivement, formant une spire passablement plus courte et plus obtuse. L’ouverture est plus allongĂ©e, Ă  bord droit moins Ă©largi et formant par consĂ©quent un angle passablement plus aigu Ă  son point d’insertion ; elle occupe plus de la moitiĂ© de la longueur totale.

Cette variĂ©tĂ© est la plus commune dans cette mĂȘme colonie de L. Yungi. Elle est aussi la plus voisine de la L. Foreli et c’est elle sans doute qui nous permettra plus tard de rattacher ces deux formes dont les types sont si diffĂ©rents.

Le L. Yungi, comme l’a dĂ©couvert M. Roszkowski, a pour espĂšce littorale souche la L. limosa et non la L. stagnalis, ce qui viendrait plus facilement Ă  l’idĂ©e Ă  cause de la ressemblance des coquilles. C’est mĂȘme ce fait, comme nous le verrons tantĂŽt, qui fournit la meilleure explication Ă  certaines particularitĂ©s bathymĂ©triques et qui semble indiquer, contrairement Ă  l’opinion de M. Roskowski, une origine ancienne aux espĂšces profondes.

2. LimnĂŠa Foreli Clessin

LimnÊa Foreli Clessin, 1877, p. 172, pl. III, fig. 2-4.

LimnÊa Foreli Forel, 1885, p. 119.

LimnÊa Foreli du Plessis, 1885, pp. 20-21.

LimnÊa Foreli Clessin, 1890, d. 772, fig. 506.

LimnÊa ovata var. profunda (partim) Roszkowski, 1912, p. 375, etc.

LimnÊa ForeliPiaget, 1913, p. 218.

Cette espĂšce, voisine de la prĂ©cĂ©dente, en diffĂšre par sa forme beaucoup plus ramassĂ©e, par ses tours de spire peu convexes, sĂ©parĂ©s par une suture moins profonde, enfin par son ouverture occupant une plus grande place dans la hauteur totale, sans ĂȘtre aussi ample. L’animal est sensiblement le mĂȘme.

M. Fuhrmann a trouvĂ© en 1913 cette espĂšce dans la mĂȘme station que les prĂ©cĂ©dentes, Ă  50 m de fond. Elle y est fort typique, ce qui est intĂ©ressant car M. Yung n’a pas encore rĂ©ussi Ă  retrouver dans le LĂ©man des individus rĂ©pondant en tout au type de Clessin, dont la meilleure figure est celle de 1890 (p. 722, fig. 506). D’une hauteur de 10 mm sur une largeur de 6, notre type permet de vĂ©rifier les diffĂ©rences qui la sĂ©parent de la L. profunda, non encore trouvĂ©e dans le lac de NeuchĂątel, mais y existant probablement.

Il est d’autre part fort curieux de constater combien certaines formes de la L. Foreli (appartenant principalement Ă  la variĂ©tĂ© suivante) se rapprochent de la L. abyssicola, espĂšce pourtant fort diffĂ©rente par son origine, puisqu’elle est issue de L. palustris alors que la L. Foreli a comme souche la L. limosa. Ce fait est mĂȘme si frappant que Clessin a cru un temps (dans une lettre adressĂ©e Ă  Forel en 1884) que la L. Foreli n’était qu’une variation accidentelle de l’abyssicola. On peut attribuer cette Ă©troite parentĂ© Ă  une origine ancienne de ces formes : les types de ces limnĂ©es, nouvellement apparues chez nous, auraient Ă©tĂ© soumis dans la faune profonde Ă  des facteurs si semblables, que la morphologie de ces animaux aurait parfois Ă©tĂ© ramenĂ©e Ă  une affinitĂ© bien plus marquĂ©e que chez les ancĂȘtres littoraux. Mais les caractĂšres anatomiques paraissent avoir gardĂ© une marque nette de leur descendance, quitte Ă  se modifier dans un avenir plus ou moins lointain, si les conditions restent bonnes.

Var. obtusiformis Piaget

Var. obtusiformis Piaget, 1913, p. 219, pl. IX, fig. 10 ; 1913a, p. 220.

VariĂ©tĂ© plus petite, plus trapue, obtuse, formĂ©e de 3 œ tours de spire assez convexes et s’accroissant rapidement, l’ouverture atteignant les 7/11 de la hauteur totale et gardant Ă  peu prĂšs sa forme normale.

Cette variation, qui a environ les mĂȘmes dimensions chez nous qu’au LĂ©man (5 × 3 mm) a Ă©tĂ© trouvĂ©e avec le type par 50 m de fond. En outre, M. Fuhrmann en a draguĂ© un seul exemplaire mort et passablement dĂ©tĂ©riorĂ©, entre cette station et le port de NeuchĂątel, par 25 Ă  30 m de fond. Ce dernier spĂ©cimen, quoique cassĂ©, est le seul reprĂ©sentant des limnĂ©es trouvĂ© Ă  cette profondeur. Ce fait a une grande importance et nous y reviendrons tantĂŽt.

La var. obtusiformis tend aussi frĂ©quemment vers la L. profunda, quoiqu’elle soit gĂ©nĂ©ralement facile Ă  distinguer.

3. LimnĂŠa abyssicola Brot

LimnÊa abyssicola Brot, 1874, p. 112, pl. III, fig. 5 et 6.

LimnÊus abyssicola Forel, 1874, p. 151.

LimnÊa abyssicola Forel, 1885, p. 118.

LimnÊa abyssicola du Plessis, 1885, p. 20.

LimnÊa abyssicola Asper, 1880, p. 134.

LimnÊa abyssicola Clessin, 1890, p. 771, fig. 505.

LimnÊa abyssicola Zschokke, 1911, pp. 151-152.

LimnÊa palustris var. abyssicola, Roszkowski, 1912, p. 379, etc.

LimnÊa abyssicolaPiaget, 1913, pp. 216-218.

La L. abyssicola est la seule limnĂ©e qui ait Ă©tĂ© signalĂ©e jusqu’à prĂ©sent dans le lac de NeuchĂątel. Du Plessis, en 1885, dit l’avoir draguĂ©e devant Grandson et cette dĂ©couverte est citĂ©e par Zschokke en 1911, dans sa monographie de la faune profonde de l’Europe centrale. Cette localitĂ© Ă©tait bien Ă  prĂ©voir car la L. palustris est fort abondante dans tous les marais bordant le lac, environs de Concise Ă  Yverdon. Il en est autrement devant NeuchĂątel, oĂč M. Fuhrmann a recueilli la L. abyssicola par 50 m de fond.

Le type de cette espĂšce est trĂšs petit, assez cylindrique, Ă  ouverture Ă©troite, Ă  spire trĂšs obtuse, grande et trĂšs large. Elle est du reste assez caractĂ©ristique pour dispenser d’en refaire ici une description inutile. Du reste les individus neuchĂątelois sont semblables aux originaux du LĂ©man, en particulier un tout jeune spĂ©cimen dont je donne plus loin un dessin au trait, et qui est remarquable par l’état typique (ou l’exagĂ©ration ?) des caractĂšres de la spire.

Var. Brotiana Piaget

Var. Brotiana Piaget, 1913, p. 217.

Forme un peu plus Ă©lancĂ©e, ovale acuminĂ©e ; spire plus effilĂ©e, Ă  5 tours un peu moins convexes et s’accroissant plus rapidement, etc.

Cette variĂ©tĂ©, trouvĂ©e avec le type, est curieuse par les passages qu’elle fournit quelquefois avec la L. Yungi, quoiqu’elles soient bien diffĂ©rentes par leur origine ancestrale. Il est mĂȘme parfois difficile de dĂ©terminer sĂ»rement ces deux espĂšces par les seuls caractĂšres conchyliologiques. J’ai pris par exemple, dans un envoi de M. Roszkowski, pour une L. Yungi var. acella une abyssicola Brotiana qui lui ressemblait Ă  s’y mĂ©prendre mais dont l’identitĂ© Ă©tait prouvĂ©e par la dissection qu’en avait faite ce naturaliste ; je n’ai pas encore eu de semblables difficultĂ©s pour le lac de NeuchĂątel.

Var. macrostoma Piag.

Var. macrostoma Piaget, 1913, pp. 217-218, pl. IX, fig. 9.

Cette limnĂ©e est une variĂ©tĂ© exagĂ©rĂ©e de la L. abyssicola. Elle est semblable dans notre lac (mĂȘme station : 50 m) et dans le LĂ©man, se distinguant du type par sa longue ouverture Ă©troite et verticale, sa courte spire trĂšs large, sa columelle plus droite, sa forme gĂ©nĂ©rale plus ou moins cylindrique, etc. Elle a environ 6 mm de longueur sur 2 œ de largeur.

⁂

La question se pose maintenant de rechercher la genĂšse de cette colonie de limnĂ©es, assez riche comme on le voit. Cette conclusion peut paraĂźtre un peu prĂ©maturĂ©e mais elle est permise cependant, Ă©tant donnĂ©es les nombreuses recherches que M. Fuhrmann poursuit depuis des annĂ©es, sans qu’il soit arrivĂ© Ă  rencontrer aucun limnĂ©en, malgrĂ© la dĂ©couverte de nombreux Pisidiums. Une semblable occasion est donc fort rare et il est assez naturel d’en tirer immĂ©diatement ce que l’on peut.

Un premier problĂšme est l’existence mĂȘme de cette station sur ce point particulier, alors que de frĂ©quents dragages dans les environs immĂ©diats n’ont rien donnĂ©, par exemple celui qui a Ă©tĂ© pratiquĂ© le mĂȘme jour Ă  quelques mĂštres de lĂ  par 30 m de fond. Les limnĂ©es qui se trouvent dans notre colonie doivent donc venir d’assez loin, comme nous le verrons Ă  l’instant, car elles ont pour souches deux espĂšces extrĂȘmement diffĂ©rentes par leur biologie lacustre. Il faut donc supposer qu’elles aient parcouru de grands espaces, actuellement plus ou moins inhabitĂ©s, pour se retrouver en ce lieu dĂ©terminĂ©. Quelle en est la cause ? Il y a sans doute dans ce fait un phĂ©nomĂšne analogue Ă  celui qui est fourni par ce qu’on appelle les oasis dans la faune abyssale marine : la nourriture est plus abondante sur quelques points qu’ailleurs, par l’effet de certains courants plus ou moins rĂ©guliers. Ce n’est pas maintenant, comme il est naturel, que nous pouvons jeter quelque lumiĂšre sur le fait de cet assemblage assez disparate et bien localisé ; si je l’ai signalĂ©, c’est Ă  cause de l’importance qu’il prend au sujet de l’origine des limnĂ©es elles-mĂȘmes.

Ce grand chemin parcouru nĂ©cessite en effet une apparition ancienne dans la faune profonde de notre lac, ou, pour ĂȘtre plus prĂ©cis, une origine remontant sans doute au premier peuplement de notre pays par la faune postglaciaire dont on retrouve les restes dans les nombreux dĂ©pĂŽts coquilliers du Seeland (cf. Pisidium nitidum).

Pour la LimnĂŠa abyssicola cette assertion ne semble pas laisser de doute, devant NeuchĂątel du moins, car nous avons vu qu’à Grandson la descente dans la faune profonde ne peut guĂšre ĂȘtre datĂ©e. Or la L. palustris ne vit pas sur le littoral nord du lac, dans la partie qui nous intĂ©resse c’est-Ă -dire de Colombier Ă  Marin ; elle se trouve par contre, comme nous l’avons vu, dans les marĂ©cages de l’extrĂ©mitĂ© orientale du lac, au-delĂ  de Marin, et c’est lĂ  qu’il faut rechercher l’origine des L. abyssicola vivant devant NeuchĂątel. Il se pourrait aussi que la L. palustris ait peuplĂ© autrefois la partie du lac en question et qu’elle en ait Ă©tĂ© chassĂ©e depuis, sauf pourtant dans un Ă©tang Ă  Colombier et dans le petit lac de Saint-Blaise (elle est devenue fort rare dans cette derniĂšre localitĂ© mais est abondante dans les dĂ©pĂŽts quaternaires des environs immĂ©diats). Par consĂ©quent la genĂšse de l’espĂšce profonde est ancienne, soit qu’on admette qu’elle ait dĂ» voyager depuis le Grand Marais, c’est-Ă -dire contre le courant du lac, soit qu’elle descende des anciennes palustris de la rive neuchĂąteloise. Pour ma part, je crois que ces deux influences ont concordĂ©. Ces affirmations sont du reste facilitĂ©es par le fait que la L. palustris n’est pas une espĂšce lacustre et qu’elle ne peut vivre que dans les parties trĂšs marĂ©cageuses du lac.

Pour les LimnĂŠa Yungi et Foreli, le problĂšme est autre puisque la L. ovata est frĂ©quente sous sa forme patula sur tout le littoral de NeuchĂątel. Mais peut-on admettre chez nous une descente continue suivant l’hypothĂšse de M. Roszkowski ? Non, puisque les recherches de M. Fuhrmann ont dĂ©montrĂ© qu’en face mĂȘme de la colonie de 50 m, entre cette station et le bord, il n’y a pas de limnĂ©es entre 25 Ă  30 m, exceptĂ© le seul exemplaire mort de Foreli, sans doute charriĂ©. Ce fait n’est pas avancĂ© Ă  la lĂ©gĂšre, car M. Fuhrmann opĂšre lĂ  des dragages presque chaque annĂ©e, toujours avec ce mĂȘme rĂ©sultat ; en outre, il emploie des dragues dentĂ©es de Steinmann, connues pour racler une grande surface et donner ainsi une juste idĂ©e de la faune d’une rĂ©gion relativement assez Ă©tendue.

Il faut donc rechercher ailleurs une cause de descente. M. Roszkowski a fait lui-mĂȘme observer que les LimnĂŠa ovata semblent s’acclimater mieux que les autres aux grands fonds parce qu’elles vivent volontiers prĂšs des riviĂšres capables de les y entraĂźner. Rien de plus juste, ou plutĂŽt c’est dans le fait que ces animaux habitent ces riviĂšres elles-mĂȘmes qu’on peut trouver l’origine de nos limnĂ©es abyssales.

Or il n’y a que deux cours d’eau du voisinage capables de prĂ©cipiter des limnĂ©es dans les fonds du lac, ce sont le Seyon et l’Areuse. Il n’est pas question des ruisseaux appelĂ©s la Goulette ou le Mouson, Ă  Saint-Blaise, de dĂ©bit minime et ne pouvant avoir aucune influence sur la rĂ©gion dont il s’agit ici. La SerriĂšres est bien trop courte et a sa force brisĂ©e par les captures qu’en font les fabriques de SerriĂšres ; en outre c’est un ruisseau de trop peu d’importance pour pouvoir influencer la faune du lac.

Des deux cours d’eau restants, le Seyon est seul voisin de la colonie Ă©tudiĂ©e, tandis que l’Areuse, Ă  dĂ©bit trĂšs fort et pouvant sans doute avoir des consĂ©quences considĂ©rables, dirige tout son courant en plein lac contre « la Motte », grande colline immergĂ©e dont le sommet est Ă  7-8 mĂštres de la surface des eaux, le tout Ă  une forte distance de NeuchĂątel. Bien plus, l’embouchure de l’Areuse et la Motte elle-mĂȘme sont sĂ©parĂ©es de notre point spĂ©cial d’étude par une trĂšs vaste dĂ©pression d’une profondeur de 135 m (altitude : 294 m au-dessus du niveau de la mer).

D’autre part le Seyon n’est pas apte Ă  jouer le rĂŽle voulu, tout d’abord parce que dans tout son cours infĂ©rieur, depuis Valangin, il ne contient aucune limnĂ©e. En outre, depuis 1839, il passe en entrant Ă  NeuchĂątel par un tunnel et une sĂ©rie de chutes artificielles dans un lit en maçonnerie. Enfin, arrivĂ© dans le lac il ne peut avoir d’influence et voici pourquoi : si les eaux sont basses, le Seyon n’a lui-mĂȘme que trĂšs peu d’eau (il est mĂȘme Ă  sec presque tous les Ă©tĂ©s, depuis Valangin, ce qui est la meilleure preuve de son inefficacitĂ©) ce qui supprime toute action Ă©ventuelle ; si les eaux sont hautes — et elles sont toujours d’un faible dĂ©bit, peu variable — le lac pĂ©nĂštre dans le petit estuaire ainsi formĂ© et annule tout courant apprĂ©ciable dans le lit mĂȘme de la riviĂšre. J’ai en effet observĂ© longuement, dans cette embouchure, de nombreuses feuilles mortes dĂ©posĂ©es sur la surface du liquide : elles restaient immobiles sous l’action de l’eau, ne se dĂ©plaçant qu’au souffle du vent, voire mĂȘme contre le courant.

Au contraire, l’Areuse est juste la riviĂšre qu’il faut pour projeter des limnĂ©es dans la faune profonde du lac. Mais, avant de considĂ©rer les faits actuels, disons quelques mots d’une Ă©lĂ©gante hypothĂšse, qui se prĂ©sente immĂ©diatement Ă  l’esprit. On sait que le Val-de-Travers Ă©tait, peu aprĂšs la derniĂšre glaciation un lac fort peuplĂ© et que la LimnĂŠa ovata y vivait en abondance, comme le prouve le quaternaire de Noiraigue. Or, rien n’empĂȘche d’admettre que l’évacuation de toutes ces eaux dans le lac de NeuchĂątel, en face de la Motte, ait entraĂźnĂ© ces animaux et provoquĂ© ainsi leur apparition dans la faune profonde. Cependant, puisque la plupart de nos lacs subalpins ont une riche faune abyssale malgrĂ© le manque de circonstances semblables, le simple ordre actuel des choses suffit aux besoins de la cause.

Aussi examinons les conditions modernes de l’Areuse, qui n’ont pas changĂ© depuis une Ă©poque fort Ă©loignĂ©e. Durant tout son passage le long du Val-de-Travers, elle est encore peuplĂ©e d’une quantitĂ© de LimnĂŠa ovata. À travers les gorges ces animaux font naturellement dĂ©faut par places, mais, Ă  partir de l’Usine des ClĂ©es, au-dessous de Trois-Rods, Ă  Boudry mĂȘme et sans interruption jusqu’à son embouchure, l’Areuse contient des multitudes de ces ovata, que j’ai constatĂ© moi-mĂȘme dans tous ces endroits. Bien plus, son dĂ©bit toujours considĂ©rable, est soumis Ă  des variations trĂšs brusques dont on comprend toute l’importance dans le cas particulier. Le Dictionnaire gĂ©ographique de la Suisse signale en 36 heures une variation de 100 volumes, c’est-Ă -dire de 500 litres Ă  50000 litres par seconde. Ces faits suffisent pour la probabilitĂ© de notre hypothĂšse.

Concluons donc : les L. Yungi et Foreli ne descendant pas des L. ovata du littoral, ne pouvant pas ĂȘtre amenĂ©es par les eaux du Seyon et des ruisseaux voisins, doivent avoir Ă©tĂ© introduits dans la faune profonde par des crues de l’Areuse, et cette origine est nĂ©cessairement fort ancienne pour que ces espĂšces se soient Ă©tablies aussi loin de l’embouchure de cette riviĂšre (rappelons la Motte et la grande fosse de 135 m) et jusqu’en une station aussi isolĂ©e que celle que nous venons d’étudier.

EspĂ©rons que l’on retrouvera d’ici peu des stations intermĂ©diaires et qu’on pourra Ă©tudier plus Ă  fond la distribution des limnĂ©es au sein de notre lac.

AprĂšs ces quelques considĂ©rations, il reste Ă  montrer pourquoi la LimnĂŠa Foreli var. obtusiformis draguĂ©e Ă  30 m de fond devant NeuchĂątel, a sans doute Ă©tĂ© charriĂ©e par quelque courant lacustre. J’ai dĂ©jĂ  indiquĂ© l’état du seul exemplaire mort trouvĂ© dans cette station ainsi que les conditions du dragage. En outre, Ă  cĂŽtĂ© de quelques mollusques vivants, la drague a rapportĂ© un nombre assez considĂ©rable de coquillages vides. Deux sont mĂȘme bien intĂ©ressants par le fait qu’ils montrent clairement l’influence des riviĂšres sur le fond des lacs. L’un est un Planorbis contortus, appartenant donc Ă  un genre qui n’est pas signalĂ© dans la faune profonde, quoique lacustre. L’autre est plus suggestive : c’est l’Eulota fruticum, espĂšce terrestre aimant les lieux ensoleillĂ©s. Mais le spĂ©cimen a ceci de particulier qu’il appartient Ă  une variĂ©tĂ© des hautes altitudes, la var. Godetiana, vivant dans le Valais Ă  1300-1600 m et dans le Haut-Jura. Sa taille minuscule ne laisse aucun doute Ă  ce sujet (15 mm de diamĂštre sur 11 de hauteur au lieu de 20 mm sur 15-16) et les formes les plus petites habitant notre rĂ©gion infĂ©rieure ne l’atteignent jamais. Je signale en passant le fait que M. le prof. Yung a draguĂ© entre Lutry et Évian, par 300 m de fond, une Xerophila candidula, espĂšce terrestre et xĂ©rothermique.

Il faut donc admettre que le Seyon, malgrĂ© son incapacitĂ© Ă  entraĂźner des limnĂ©es vivantes, a charriĂ© depuis le Val-de-Ruz cette Eulota vide, reçue de quelque ruisseau des montagnes. Il a en outre entraĂźnĂ© depuis son embouchure, oĂč le Planorbis contortus est commun sous les cailloux, la coquille morte d’un de ces planorbes. Mais insistons sur le fait qu’il ne s’agit que de coquilles mortes, surnageant frĂ©quemment Ă  la surface des eaux, dont le poids est minime et la rĂ©sistance nulle. Ces deux Ă©paves auraient Ă©tĂ© ensuite amenĂ©es par un courant lacustre depuis le Seyon jusqu’en face de NeuchĂątel, et l’existence forcĂ©e de ce courant — accidentel ou non — rend fort probable l’hypothĂšse que l’exemplaire unique et cassĂ© de la L. Foreli a Ă©tĂ© Ă©galement charriĂ© de quelque autre station. Et mĂȘme, s’il n’en Ă©tait pas ainsi, la grande raretĂ© de toute limnĂ©e Ă  30 m de fond rendrait fort douteuse la thĂ©orie d’une descente continue.

Gen. Valvata MĂŒll.

4. Valvata piscinalis (MĂŒll.)

Subsp. Antiqua (Sow.)

Valvata antiqua Zschokke, 1911, p. 153. (SignalĂ©e par 15 m de fond au lac des Quatre-Cantons et par 35 m au lac de Thoune, c’est-Ă -dire dans deux lacs oĂč ne vit point la V. lacustris. On trouve par contre les deux espĂšces au lac d’Annecy : M. Le Roux.)

C’est l’espĂšce littorale, caractĂ©ristique sous sa forme antiqua, qui, Ă  cause de sa biologie particuliĂšre, descend jusqu’à 25-30 m oĂč l’a recueillie vivante M. le prof. Fuhrmann. On sait que ces Valvata n’aiment pas vivre trop prĂšs du bord, et que les millions de coquilles mortes rejetĂ©es sur certaines grĂšves ont toutes vĂ©cu Ă  une profondeur variant de 2-3 Ă  10 mĂštres ou mĂȘme plus. Il n’y a donc rien d’étonnant Ă  ce que cette espĂšce se trouve encore Ă  la profondeur indiquĂ©e.

Il est mĂȘme possible que c’est de cette maniĂšre qu’a pris naissance la Valvata lacustris, espĂšce abyssale atteignant 300 m de fond au LĂ©man mais qu’on ne connaĂźt point du lac de NeuchĂątel. Cependant l’influence des riviĂšres est encore ici probable, quoique la V. piscinalis soit rare dans l’eau courante. Je rappelle la Valvata subnaticina habitant l’Areuse Ă  Noiraigue (Bulletin de 1912). D’autre part il y a une grande diffĂ©rence entre les formes profondes du LĂ©man et celles qui habitent la rĂ©gion sublittorale de notre lac, ce qui semble indiquer une origine diffĂ©rente et donne des chances Ă  la genĂšse fluviatile des V. lacustris.

Les Valvata de Neuchùtel sont donc bien des antiqua typiques, à part une pùleur assez naturelle. Il y a pourtant à cÎté du type une variété nouvelle, présentant déjà un certain faciÚs profond, bien que peu accentué.

Var. Fuhrmanni nov. var.

Animal totum album, lactescens ; testa pallidior typo, paulo depressior, minor, ovato-conica, solida ; spira brevior, obtusa, apice non proeminente ; anfractus 5 lenissime crescentes, celerius autem typo, valde convexi, ultimo rotundato, non dilatato, parum majore ; suture profundissima ; apertura valde rotunda, non laciniosa ; peristoma simplex, continuum ; umbilicus rimatus, minimus.

Alt. 5 mm, diam. 4 œ mm.

Hab. — Neuchñtel : 25-30 m.

Coquille de taille plus petite que le type, ovale Ă©levĂ©e, conique, rĂ©guliĂšrement attĂ©nuĂ©e supĂ©rieurement, moins allongĂ©e cependant que le type, plus ou moins arrondie infĂ©rieurement, non ventrue, solide, assez mince, blanche jaunĂątre, peu transparente quoiqu’un peu plus que le type, trĂšs finement et imperceptiblement striĂ©e. Spire assez Ă©levĂ©e, plus courte que celle du type, plus obtuse, Ă  sommet non saillant, trĂšs petit ; 5 tours de spire s’accroissant trĂšs lentement mais plus rapidement que chez les antiqua normaux, extrĂȘmement convexes, le dernier peu grand, bien arrondi, non dilaté ; suture trĂšs profonde. Ouverture fort ronde, non Ă©chancrĂ©e. PĂ©ristome continu, entiĂšrement simple, non Ă©vasĂ© ni comprimĂ©, fort rĂ©guliĂšrement arqué ; ombilic petit, en fente, peu apparent.

Cette variĂ©tĂ© est suffisamment distincte du type pour qu’il soit inutile d’insister. Elle diffĂšre fort nettement de la Valvata lacustris et de ses variĂ©tĂ©s par sa forme allongĂ©e, sa spire et son ombilic.

Gen. Pisidium C. Pfr.

5. Pisidium prolongatum Clessin

Pisidium prolungatum Clessin, 1877, pp. 180-181, pl. III, fig. 7.

Pisidium prolungatum Forel, 1885, p. 135 (et 133).

Pisidium prolungatum Clessin, 1890, pp. 785-786, fig. 519.

Pisidium prolungatum Zschokke, 1911, p. 158.

Cette espĂšce, dĂ©couverte tout d’abord dans le lac de Wallenstadt, a Ă©tĂ© Ă©galement recueillie dans celui de NeuchĂątel oĂč il est dĂ©jĂ  citĂ© par Forel en 1884-5. Aucune localitĂ© spĂ©ciale n’est signalĂ©e dans notre lac ; Zschokke relĂšve seulement une profondeur de 25 Ă  100 m, ce qui est la preuve d’une distribution Ă©tendue. M. Fuhrmann vient d’en draguer un exemplaire assez dĂ©tĂ©riorĂ©, devant NeuchĂątel (30 m).

Sa petite coquille a une forme assez caractĂ©ristique, un peu ventrue, Ă  partie antĂ©rieure assez allongĂ©e, anguleuse supĂ©rieurement et infĂ©rieurement, de mĂȘme que la partie postĂ©rieure qui est courte, Ă  sommet bombĂ© et saillant, Ă  bord supĂ©rieur presque droit et Ă  bord infĂ©rieur peu arquĂ©. Le Pisidium prolungatum est notre seule espĂšce qui dĂ©rive du P. fossarinum littoral (de mĂȘme que le P. demissum et sans doute le Charpentieri). Je ne crois pas qu’il en soit ainsi du P. occupatum, malgrĂ© l’opinion de Clessin. Nous avons vu que le P. fossarinum a sans doute disparu de notre faune littorale, du moins Ă  l’état normal car l’on peut admettre que le P. pusillum en soit une sous-espĂšce. Ces deux derniers Pisidium sont abondants dans les formations quaternaires de l’extrĂ©mitĂ© orientale du lac.

6. Pisidium nitidum Jenyns

Pisidium nitidum Clessin, 1890, pp. 762-3 (faune littorale).

Pisidium nitidum Zschokke, 1911, p. 157 (faune profonde).

Il est fort probable que le Pisidium occupatum ait eu pour espĂšce souche le P. nitidum. Ce fait est reconnu en tout cas pour une espĂšce du lac de Bienne, le P. NovĂŠvillĂŠ Clessin. Or nous avons vu que le P. nitidum, qui a par consĂ©quent jouĂ© un rĂŽle important autrefois, a disparu de notre faune littorale, ou du moins qu’il y est suffisamment rare pour avoir Ă©chappĂ© aux recherches consciencieuses de M. P. Godet, ce qui est un indice incontestable. Quoi qu’il en soit, son degrĂ© actuel de raretĂ© et son ancienne abondance font le plus grand contraste. L’examen des dĂ©pĂŽts coquilliers du Grand Marais, de la TĂšne, des environs de Cerlier, etc., montre combien cette forme Ă©tait jadis commune, aux premiers temps de notre faune lacustre, Ă  l’époque oĂč nos trois lacs jurassiens Ă©taient rĂ©unis en une vaste nappe d’eau recouvrant toute l’étendue du Seeland actuel. Une disparition si totale d’une espĂšce rĂ©pandue dans d’autres parties de la Suisse ou de la Savoie est assez singuliĂšre, malgrĂ© le cas du Pisidium henslowianum. Il faut donc s’attendre Ă  la dĂ©couverte de quelques stations relĂ©guĂ©es de ce mollusque, dans la faune littorale ou ailleurs.

On comprend par consĂ©quent l’importance du dragage effectuĂ© par M. Fuhrmann entre 25 et 30 m de fond, devant NeuchĂątel, au cours duquel a Ă©tĂ© mis au jour un excellent exemplaire du Pisidium nitidum typique. Il Ă©tait mort depuis peu, vu l’épiderme s’enlevant par places, et est bien diffĂ©rent des Pisidium profonds, vivant non loin de lĂ  ou dans cette mĂȘme colonie. Il est en effet fort caractĂ©ristique, autant par sa forme et son sommet, que par sa sculpture spĂ©ciale, qui ont disparu depuis longtemps chez les dĂ©rivĂ©s abyssaux.

Le fait de cette retraite dans la faune profonde, d’une espĂšce naguĂšre largement distribuĂ©e dans les eaux de surface est comparable aux voyages de certains OligochĂštes, quittant les eaux du Plateau suisse pour se plonger dans les profondeurs des lacs ou pour gravir les hauteurs voisines des Alpes. Mais, encore une fois, cette transformation reste mystĂ©rieuse pour une espĂšce habitant le lac d’Annecy, le canton de GenĂšve, le LĂ©man, les lacs de BrĂȘt et du Brenet, le grand Mooseedorfsee, le lac de Zurich, celui des Quatre-Cantons, le Rothsee, etc., etc. Il est vrai qu’on voit Ă©galement ce Pisidium Ă  l’état typique par 20 m de fond au Mooseedorfsee, et par 45 m au lac de Brienz. D’autre part, Am Stein le cite Ă  l’Alpe Garschina, Ă  2189 m d’altitude, Zschokke dans les lacs alpestres de la Tilisuna (2102 m), au LĂŒnersee (1943 m) et Fuhrmann au lac Ritom (1829 m).

7. Pisidium Foreli Clessin

Pisidium Foreli Clessin, 1877, p. 149 (Nomen) ; 1876, p. 235, pl. III, fig. 2 ; 1877, p. 179.

Pisidium Foreli Forel, 1874, p. 151 ; 1885, pp. 120-121, 139 et 199.

Pisidium Foreli du Plessis, 1885, p. 22.

Pisidium Foreli Zschokke, 1911, p. 157.

Pisidium Foreli Piaget, 1913a, p. 222.

Clessin a toujours eu une tendance, dans les descriptions et les figures qu’il a donnĂ©es de mollusques profonds, Ă  exagĂ©rer certains caractĂšres, ce qui peut Ă©videmment prĂ©senter quelques inconvĂ©nients. J’ai relevĂ© ailleurs les subtilitĂ©s qu’il est portĂ© Ă  dĂ©crire dans la charniĂšre des Pisidium. Mais, ce qui est plus dangereux, il choisit parfois pour types de ses espĂšces des individus assez particuliers et qu’il est souvent difficile d’identifier aux formes les plus communes que mettent au jour les dragages (Valvata lacustris, Pisidium occupatum, etc.). C’est ainsi que j’ai dĂ©crit sous le nom de P. infimum la mutation la plus rĂ©pandue sous laquelle se prĂ©sente le P. Foreli du LĂ©man et du lac d’Annecy. Il en est de mĂȘme pour notre P. occupatum, qui ne se trouve que relativement rarement sous la forme dĂ©crite et figurĂ©e par Clessin. Mais heureusement, nous avons dans le cas particulier un document empĂȘchant toute confusion, Ă  savoir les planches manuscrites de M. P. Godet, qui reprĂ©sentent plusieurs formes dĂ©terminĂ©es par Clessin lui-mĂȘme, montrant le vĂ©ritable type du P. occupatum. Il nous est donc permis de nous rĂ©clamer de ce fait, pour la taxonomie de ces formes, alors que le type du P. Foreli doit rester ce que les seules publications de Clessin l’ont dĂ©cidĂ©.

D’autre part, les matĂ©riaux assez abondants derniĂšrement rĂ©unis par M. Fuhrmann viennent encore modifier certains points :

1° À 30 m de fond, avec le P. nitidum typique, se trouvent en assez grand nombre la var. infima du P. Foreli, qui, comme on le sait, est dĂ©rivĂ© du P. nitidum lui-mĂȘme.

2° À 50 m cette variĂ©tĂ© est encore plus commune, de mĂȘme que la var. Noviodunensis de la mĂȘme espĂšce, et ces formes fournissent tous les intermĂ©diaires conchyliologiques entre le type Foreli et les variations d’occupatum. Cette derniĂšre ne serait donc qu’une variĂ©tĂ© neuchĂąteloise de l’espĂšce du LĂ©man.

Reste un point dĂ©licat : le P. occupatum dĂ©riverait suivant Clessin du P. fossarinum alors que le P. Foreli est indiscutablement un descendant des anciens nitidum littoraux. Au reste cette origine polygĂ©nĂ©tique n’aurait rien de bien Ă©tonnant et s’expliquerait assez facilement ; M. le Dr Surbeck m’a mĂȘme communiquĂ© que son P. Clessini du lac des Quatre-Cantons Ă©tait considĂ©rĂ© par B.-B. Woodward comme dĂ©rivĂ© du P. nitidum et du P. personatum Malm. (obtusale). Mais il faut dire que les figures de Godet montrent pour le Pisidium occupatum autant d’analogie avec le nitidum qu’avec le fossarinum ; les nouveaux matĂ©riaux et individus intermĂ©diaires trancheraient donc la question. D’autre part, le P. prolungatum est dĂ©jĂ  dĂ©rivĂ© de P. fossarinum, avec une Ă©vidence beaucoup plus nette, et il vit en compagnie de l’occupatum, ce qui serait un argument de plus pour que ces formes diffĂ©rentes aient des souches diffĂ©rentes ; ce n’est pourtant pas prouvĂ©. Enfin, il semble que le nitidum a mieux subsistĂ© chez nous que le fossarinum ; en tous cas le premier est plus commun que le second dans les dĂ©pĂŽts quaternaires, ce qui correspond dans la faune profonde Ă  une abondance plus considĂ©rable de Foreli-occupatum que de prolungatum.

En rĂ©sumĂ©, tous les intermĂ©diaires entre le P. occupatum et le P. Foreli m’engagent Ă  les considĂ©rer comme spĂ©cifiquement reliĂ©s l’un Ă  l’autre et descendant probablement tous deux du P. nitidum littoral.

Ces formes profondes Ă©tant assez critiques, il me paraĂźt utile d’en donner les principaux caractĂšres :

A. Coquille ramassée à angles trÚs peu marqués.

I. Sommet bien saillant, obtus

α. Sommet postérieur. Coquille ventrue, P. Foreli type.

ÎČ. Sommet presque mĂ©dian. Coquille peu ventrue v. occupata.

II. Sommet peu saillant, assez obtus v. Neocomensis

B. Angles mieux marqués aux quatre coins.

I. Sommet trĂšs gros et saillant.

Angles trÚs marqués, v. infima

II. Sommet moins saillant.

Angles moins marqués, v. Noviodunensis

Le type Foreli est rare et plutÎt accidentel, habitant par-ci par-là avec ses nombreuses variétés : devant Neuchùtel, 50 m.

Var. infima Piaget

Pisidium infimumPiaget, 1913, pp. 227-231, pl. IX, fig. 19-20.

Pisidium Foreli v. infima Piaget, 1913a, p. 223.

Cette forme paraĂźt ĂȘtre une des plus frĂ©quentes, avec la suivante, et se rapproche un peu de la figure que Clessin a donnĂ© dans les Nouveaux Chemnitz, en 1879. On trouve dans notre lac (devant NeuchĂątel par 30 et 50 m) exactement les mĂȘmes formes que dans le LĂ©man.

Var. Noviodunensis Piaget

Pisidium infimum var. Noviodunensis Piaget, 1913, pp. 229-230, pl. IX, fig. 21.

Pisidium Foreli var. Noviodunensis Piaget, 1913a, p. 223.

Cette variĂ©tĂ©, fort abondante, est assez variable, comme l’ont montrĂ© les dragages effectuĂ©s par M. Yung au commencement de cette annĂ©e, et de mĂȘme qu’elle nous a servi Ă  rattacher les deux types Foreli et infimum (voir Zool. Anzeig.) de mĂȘme ce sont ses nombreuses formes qui ont fourni tous les intermĂ©diaires voulus entre le P. Foreli et le P. occupatum.

Neuchùtel : 25-30 m et 50-60 m.

Var. occupata Clessin

Pisidium occupatum Clessin, 1874, p. 149 (nomen) ; 1876, p. 237, pl. III, fig. 4.

Pisidium occupatum Forel, 1885, pp. 135 et 199.

Pisidium occupatum du Plessis, 1885, p. 22.

Pisidium occupatum Clessin, 1890, pp. 778-779, fig. 512.

Pisidium occupatum Godet, 1907, p. 157, pl. II, fig. 3-6.

Pisidium occupatum Zschokke, 1911, p. 157.

Ce mollusque est pour notre lac ce que le type Foreli est pour le Léman, se présentant plutÎt rarement sous sa forme normale, et variant beaucoup. La coquille est trÚs peu bombée et Clessin paraßt en avoir exagéré la convexité dans les Nouveaux Chemnitz.

Elle a Ă©tĂ© draguĂ©e devant NeuchĂątel Ă  50 m, 60-65 m et 120 m par M. le Dr Fuhrmann, et Ă  60-70 m par du Plessis ; ce dernier la dit mĂȘme existant dĂšs 8-10 m, ce qui me semble peu probable. N’aurait-il pas pris des P. nitidum pour cette forme ?

Var. Neocomensis nov. var.

Cette variĂ©tĂ© inĂ©dite, mise au jour par la rĂ©cente pĂȘche de M. Fuhrmann, est une variation assez curieuse du type occupatum (devant NeuchĂątel, par 50 m de fond).

Testa minima, non angulata, ovata plus minusve elongatior, ceterum typica ; umbo obtusissimus, parum superans marginem superiorem, inter mediam testam et marginem posteriorem recte positus ; pars anterior paulo elongatior typo, ad extremum bene rotundata ; sic pars posterior, brevissima. Commissura et dentes typici.

Long. 2-2,75 mm. Lat. 1,5-2 mm.

Coquille trĂšs petite, non anguleuse ovale plus ou moins allongĂ©e, fragile, assez aplatie, trĂšs finement et rĂ©guliĂšrement striĂ©e, Ă  peine brillante, opaque, de couleur blanc jaunĂątre ; Ă©piderme trĂšs fin, non brillant, jaune beige. Sommets trĂšs obtus, assez distincts, dĂ©passant peu le bord supĂ©rieur, peu proĂ©minents, situĂ©s entre le milieu de la coquille et le bord postĂ©rieur. CĂŽtĂ© antĂ©rieur un peu allongĂ©, trĂšs arrondi Ă  son extrĂ©mitĂ©, ainsi que la partie postĂ©rieure qui est assez courte, trĂšs vaguement anguleuse supĂ©rieurement. Bord supĂ©rieur assez rĂ©guliĂšrement arquĂ©, mais peu rapidement attĂ©nuĂ© postĂ©rieurement ; bord infĂ©rieur tranchant, un peu plus arquĂ©, trĂšs rĂ©gulier ; bord antĂ©rieur non anguleux, trĂšs arquĂ© arrondi, de mĂȘme que le bord postĂ©rieur qui est un peu plus comprimĂ©. Nacre trĂšs fine, peu luisante. CharniĂšre et dents normales.

Explications des figures

Fig. 1. Limnéa Yungi Piag. — Neuchñtel 50 m.

Fig. 2. Limnéa Yungi var. intermedia Piag. — Neuchñtel 50 m.

Fig. 3. Limnéa Yungi v. humilis Piag. — Neuchñtel 50 m.

Fig. 4. Limnéa Foreli Clessin. — Neuchñtel 50 m.

Fig. 5. Limnéa Foreli v. obtusiformis Piag. — Neuchñtel 50 m.

Fig. 6. Limnéa abyssicola Brot. — Neuchñtel 50 m.

Fig. 7. Limnéa abyssicola juvenis. — Neuchñtel 50 m.

Fig. 8. Limnéa abyssicola v. Brotiana Piag. — Neuchñtel 50 m.

Fig. 9. Limnéa abyssicola v. macrostoma Piag. — Neuchñtel 50 m.

Fig. 10. Valvata antiqua Sow. — Neuchñtel 30 m.

Fig. 11. Valvata antiqua v. Fuhrmanni Piag. 30 m.

Fig. 12. Pisidium prolungatum Clessin. — Neuchñtel 30 m.

Fig. 13. Pisidium nitidum Jenyns. — Neuchñtel 30 m.

Fig. 14. Pisidium Foreli Clessin. — Neuchñtel 50 m.

Fig. 15. Pisidium Foreli var. infima Piag. — Neuchñtel 50 m.

Fig. 16. Pisidium Foreli v. Noviodunensis Piag. — Neuchñtel 50 m.

Fig. 17. Pisidium Foreli v. occupata Cless. — Neuchñtel 50 m.

Fig. 18. Pisidium Foreli v. Neocomensis Piag. — Neuchñtel 50 m.