Les "prĂ©infĂ©rences" perceptives et leurs relations avec les schĂšmes sensori-moteurs et opĂ©ratoires. Logique et perception (1958) a đ
Helmholtz faisait intervenir dans le mĂ©canisme de la perception des « raisonnements inconscients » que lâon a souvent interprĂ©tĂ©s, et sans doute Ă tort, comme si le grand psychophysiologiste recourait Ă des opĂ©rations de niveau supĂ©rieur pour expliquer lâorganisation perceptive. Depuis lors Pavlov a soutenu que les infĂ©rences invoquĂ©es par Helmholtz nâĂ©taient que des conditionnements, ndĂ©pendamment de tout appel Ă des infĂ©rences logiques dâordre gĂ©nĂ©tiquement plus Ă©levĂ© ainsi que dâune rĂ©duction des infĂ©rences perceptives Ă de simples liaisons conditionnĂ©es, on assiste aujourdâhui Ă un retour Ă Helmholtz dans le sens dâune recherche de processus infĂ©rentiels propres Ă la perception. Lâarticle prĂ©cĂ©dent de J. Bruner (voir plus haut chap. I) montre suffisamment pourquoi. Tel est aussi le sens du point de vue « transactionnel »,1 que A. Massucco-Costa, qui a fourni de nouvelles expĂ©riences (sur la perception de la perspective) Ă lâappui de telles interprĂ©tations, rĂ©sume en disant que le processus perceptif « se montrerait dĂ©jĂ pourvu dâune certaine logique implicite, logique qui se dĂ©veloppe ensuite en sâĂ©loignant des indications du stimulus distal qui doit ĂȘtre le plus correctement possible interprĂ©tĂ© pour lâaction adĂ©quate ».2 M. D. Vernon, de mĂȘme,3 sâinspirant de la « logique implicite de la quasi-infĂ©rence perceptive », comme sâexprimait
1 W. Ittelson a. H. Cantrill, Perception : a transactional approach, N. York, 1954.
2 A. Massucco-Costa, Fenomenologia della percezione visiva tridimensionale in rapporto con la « transactional theory », Arch. di Psicol. neurol. e psi- chiatria, t. XVII (1956).
3 M. D. Vernon, Cognitive inference in perceptual Activity, Brit. J. of Psychol., t. 48, pp. 35-47.
[p. 118]E. Brunswik, discute les arguments en faveur de cette interprĂ©tation et invoque entre autres la recherche de lâun de nous (avec B. Stettler- v. Albertini) sur lâactualisation des lignes virtuelles avec lâĂąge.
Or, ce problĂšme des prĂ©infĂ©rences perceptives est dâun grand intĂ©rĂȘt pour la solution des deux questions gĂ©nĂ©rales que sâest posĂ©es notre Centre cette annĂ©e : jusquâoĂč remonter pour trouver les Ă©bauches les plus Ă©lĂ©mentaires des structures logiques ; et surtout peut-on atteindre un niveau oĂč la constatation est indĂ©pendante de tout processus infĂ©rentiel ou au contraire lâinfĂ©rence intervient-elle dans la constatation elle-mĂȘme dĂšs les niveaux les plus primitifs ?
Mais, pour discuter de tels problĂšmes sur le terrain de la perception, il ne nous suffit pas de savoir et de contrĂŽler quâil existe des prĂ©infĂ©rences perceptives. Il sâagit surtout dâanalyser leur mĂ©canisme aux deux points de vue suivants.
Il convient dâabord dâĂ©tablir les relations entre les prĂ©infĂ©rences Ă©ventuelles1 et le systĂšme des schĂšmes perceptifs, car, de mĂȘme que les jugements et raisonnements intervenant dans les infĂ©rences de niveau opĂ©ratoire sont solidaires dâun systĂšme de concepts (classes et relations), de mĂȘme, sâil existe des prĂ©infĂ©rences perceptives, elles consisteront Ă mettre en Ćuvre une sorte de prĂ©conceptualisation, au niveau de la perception elle-mĂȘme, et qui ne pourra consister quâen un systĂšme de « schĂšmes ». DĂ©terminer les relations entre les prĂ©infĂ©rences et les schĂšmes reviendra alors Ă comprendre comment fonctionnent les premiĂšres, câest-Ă -dire de quelle maniĂšre elles constituent et utilisent les liaisons auxquelles elles parviennent.
Il importe ensuite, et câest sans doute lĂ quâest le problĂšme central, de rechercher la nature de tels schĂšmes, dans leurs connexions avec les processus sensori-moteurs ou mĂȘme, en certains cas, opĂ©ratoires. Il est en effet essentiel, tant pour la quesiton de la source des structures logiques que pour celle des relations entre la constatation et lâinfĂ©rence, de savoir jusquâĂ quel point la perception â ou, plus prĂ©cisĂ©ment, les divers paliers de structuration automatisĂ©e (effets de champ) ou dâactivitĂ©s perceptives que lâon groupe sous le nom gĂ©nĂ©rique de perception â est autonome par rapport Ă lâaction, et jusquâĂ quel point elle fonctionne dĂšs le dĂ©part en liaison indissociable avec les processus sensori-moteurs en gĂ©nĂ©ral : en ce dernier cas nous serions Ă la fois en mesure de contrĂŽler les conclusions de
1 Pour la dĂ©finition des prĂ©infĂ©rences, voir plus haut sous II (« Les isomorphismes partielsâŠÂ », etc.), le § 5.
[p. 119]lâĂ©tude prĂ©cĂ©dente contenue en ce fascicule (voir sous II § 8) et de sĂ©rier les divers types de prĂ©infĂ©rences selon leurs niveaux gĂ©nĂ©tiques.
§ 1. Questions posĂ©es et techniquesđ
Nous avons étudié trois groupes de situations imaginés respectivement par Jonckheere, Morf et Piaget et dont la mise au point expérimentale a été faite par Morf.
A. La premiĂšre expĂ©rience a consistĂ© Ă faire comparer deux rangĂ©es de 4 jetons (ou 5-6) du point de vue de lâĂ©quivalence ou de la non-Ă©quivalence de leurs quantitĂ©s, soit en laissant ces jetons sans rĂ©fĂ©rence, soit en introduisant entre ceux de la premiĂšre et ceux de la seconde rangĂ©e des traits ou barres produisant perceptivement une impression de correspondance. On sait, en effet, quâil existe une perception, non pas du nombre, mais du « plus ou moins nombreux » (de ce quâon a appelĂ© parfois la « numĂ©rosité »). Câest ce quâillustre, par exemple lâillusion perceptive de Ponzo, consistant Ă comparer deux rangĂ©es (de mĂȘmes longueurs) de 10 points, dont lâune est libre et lâautre situĂ©e dans lâouverture dâun angle aigu, dâoĂč le fait que la rangĂ©e ainsi placĂ©e paraĂźt alors Ă la fois plus longue et plus nombreuse. Sâil existe une telle perception de la quantitĂ© discontinue, on peut parler dans le mĂȘme sens dâune perception de la correspondance, et nous nous sommes donc demandĂ© si des barres facilitant cette correspondance perceptive modifient ou non la perception de la quantité : en cas de modification, on peut alors espĂ©rer y trouver la manifestation de « prĂ©infĂ©rences » perceptives, Ă partir du schĂšme auquel sera assimilĂ© une telle rĂ©fĂ©rence constituĂ©e par les barres.
Dans une figure I, les jetons sont alignés dans chacune des

deux rangĂ©es Ă 2 cm. lâun de lâautre. Lâintervalle entre les deux rangĂ©es est de 10 cm. et les barres consistent en traits noirs de 10 cm. Ă©galement. La figure est prĂ©sentĂ©e sans les barres pendant 1 seconde environ (Ă 4-5 ans on la prĂ©sente aussi en vision libre, soit 4-5 sec, mais en la recouvrant avant que le sujet ait eu le temps de compter) et on demande sâil y a autant de jetons dans chaque rangĂ©e, ou plus, ou moins. AprĂšs quoi lâon introduit les barres et on pose la mĂȘme question avec prĂ©sentation de mĂȘme durĂ©e.
Dans une figure II les jetons de la rangĂ©e supĂ©rieure sont Ă 2 cm. dâintervalle Ă©galement mais ceux de la rangĂ©e infĂ©rieure sont espacĂ©s Ă 4 cm. dâintervalle. Les barres relient les jetons terme Ă terme et la procĂ©dure est la mĂȘme.
Dans une figure III les jetons sont disposés comme sur la figure II mais les barres le sont autrement : le premier jeton du haut est relié par deux barres aux deux premiers jetons du bas, le second jeton du haut est relié par une seule barre au troisiÚme du bas, le troisiÚme du haut est relié au quatriÚme du bas et le quatriÚme du haut demeure sans liaison.
Des variations ont été introduites dans la figure II (augmentation à 5 et 6 du nombre des jetons, ou raccourcissement de la longueur des barres), que nous décrirons au § 2 en exposant les résultats de ces expériences.
B. Une seconde expĂ©rience consiste Ă faire comparer deux segments de droite a et b, dans le prolongement lâun de lâautre ou formant entre eux un angle de 135°. Le segment a est cons

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tant, de 10 cm. de long. Le segment b peut avoir 10, 11, 12 ou 13 cm. selon le seuil du sujet : il est toujours ou Ă©gal Ă a (fig. I et III) ou de diffĂ©rence infraliminaire et en gĂ©nĂ©ral de 11 cm. (fig. Il et IV). AprĂšs avoir fait comparer les segments sans rĂ©fĂ©rences, on les prĂ©sente dans des figures oĂč le segment a constitue
[p. 121]le rayon dâun cercle de 20 cm. de diamĂštre et lâon reprend les comparaisons pour voir si cette rĂ©fĂ©rence constituĂ©e par le cercle modifie les estimations perceptives. Pour juger des rĂŽles respectifs de la rĂ©fĂ©rence comme telle ou du facteur dĂ©passement, nous avons en outre introduit des variantes telles que des figures avec excentricitĂ© du point de section entre les deux segments de droite, des figures avec remplacement du cercle par de simples arcs, etc. Ces variantes seront dĂ©crites au § 3.
Les figures sont prĂ©sentĂ©es en variant « au hasard » lâordre I-II et II-I ainsi que III-IV ou IV-III. Chaque figure est prĂ©sentĂ©e 5 fois et il y a rĂ©ussite lorsque le sujet distingue 4 fois sur 5 les Ă©galitĂ©s des inĂ©galitĂ©s (sans la rĂ©fĂ©rence il est normal que lâĂ©preuve ne soit pas rĂ©ussie, puisque les diffĂ©rences sont infraliminaires).
C. La troisiĂšme expĂ©rience consiste Ă prĂ©senter une sĂ©rie de tiges verticales parallĂšles et Ă©quidistantes, ordonnĂ©es de la plus petite Ă la plus grande selon des diffĂ©rences Ă©gales, croissantes ou dĂ©croissantes et Ă faire comparer la diffĂ©rence entre deux Ă©lĂ©ments voisins n et n+1 Ă la diffĂ©rence entre deux autres Ă©lĂ©ments voisins m et m + 1 (oĂč m + 1 peut coĂŻncider avec n ou en ĂȘtre Ă©loignĂ©). La question est alors de savoir si le sujet fera la comparaison par simple transport visuel direct ou sâil se servira, Ă titre de rĂ©fĂ©rence de la forme dâensemble de la figure ou de la ligne des sommets (ligne droite ou parabolique, concave ou convexe). En ce cas le sujet doit construire lui-mĂȘme sa rĂ©fĂ©rence perceptive puisque la ligne des sommets est virtuelle et non pas dessinĂ©e.
Pour Ă©viter lâintervention dâune bonne forme trop prĂ©gnante nous avons utilisĂ© des figures assez grandes excluant les comparaisons simultanĂ©es Ă distance : la ligne de base de la sĂ©rie a 40 cm. de long, le plus petit Ă©lĂ©ment a 2 cm. de haut et le plus grand 32 cm. Ces tiges sont au nombre de 81 ou de 17 (5 et 25 mm. dâintervalles).
Comme il sâagit de comparer deux diffĂ©rences (donc des diffĂ©rences de diffĂ©rences), on commence par montrer aux enfants deux escaliers, lâun rĂ©gulier et lâautre irrĂ©gulier (marches inĂ©gales) en demandant lequel est le bon et pourquoi lâautre est mauvais. Ceci est dâabord utile pour fixer lâattention sur les « pas » ou les « marches » et pour trouver le vocabulaire individuel appropriĂ©. Mais il sâagit surtout de faire distinguer les hauteurs absolues et les diffĂ©rences de hauteur entre deux couples dâĂ©lĂ©ments, ce que les petits confondent. On fait observer en outre un escalier rĂ©el (oĂč lâon constate que les petits ont
[p. 122]tendance persistante à croire les marches plus grandes vers le haut que vers le bas !).
Cela fait on se livre sur les planches Ă des comparaisons de deux marches distantes, en les dĂ©signant Ă la main. On observe le procĂ©dĂ© de comparaison (avec ou sans rĂ©fĂ©rence Ă la figure dâensemble), sa rapiditĂ©, son exactitude et lâon demande de justifier le jugement portĂ©.
On fait ensuite comparer les marches voisines (au moins trois couples), dans les rĂ©gions intĂ©ressantes (dĂ©but, milieu et derniĂšre partie des figures paraboliques) et lâon se livre Ă des contrĂŽles sur la cohĂ©rence des jugements (on a souvent a = b, b = c mais a<c). On Ă©tudie notamment les dĂ©placements Ă©ventuels de la zone de cohĂ©rence.
Notons enfin que lâexpĂ©rience commence par un jugement global sur la rĂ©gularitĂ© de la sĂ©rie (forme dâensemble) et se termine par une description de la ligne des sommets.
§ 2. La perception de lâĂ©quivalence numĂ©rique
de deux collectionsđ
Fournissons dâabord le tableau du pourcentage des Ă©galisations avec ou sans barres de rĂ©fĂ©rence pour les figures I (rangĂ©es de longueurs Ă©gales), II (une rangĂ©e plus longue que lâautre, mais barres reliant les Ă©lĂ©ments terme Ă ternie) et III (une rangĂ©e plus longue que lâautre, mais barres de rĂ©fĂ©rence reliant un Ă©lĂ©ment de lâune Ă deux de lâautre et laissant
Tabl. I. Réactions aux dispositifs 1 à III à 4 éléments,
sans barres ou avec barres complÚtes :
| Figures . . | Sans b. |
1 Avec b. |
Sans b. |
II Avec b. |
Sans b. |
III Avec b. |
| 4 ans âŠ. | 70 | 100 | 0 | 20 | 0 | 20 |
| 5 » âŠ. | 80 | 100 | 0 | 65 | 0 | 65 |
| 6 » âŠ. | 100 | 100 | 30 | 85 | 30 | 70 |
| 7 » âŠ. | 100 | 100 | 80 | 100 | 80 | 40 |
| 8 » âŠ. | 100 | 100 | 90 | 100 | 90 | 35 |
| 9 » âŠ. | 100 | 100 | 100 | 100 | 100 | 45 |
| 10 » âŠ. | 100 | 100 | 100 | 100 | 100 | 90 |
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(Le nombre des sujets est de 20 par ùge : les chiffres indiqués correspondent aux pourcents des sujets fournissant des égalisations.)
[p. 123]sans liaison un élément de la premiÚre), en ne considérant que 4 éléments par rangée et que des barres de référence de longueur entiÚre (tabl. I) :
De ce tabl. I nous pouvons tirer dâabord la description de quatre stades diffĂ©rents dâĂ©volution, quâil est utile de distinguer pour clarifier la discussion des problĂšmes :
Stade I (4-5 ans). Sans les barres de rĂ©fĂ©rence, lâĂ©galisation nâa lieu que pour la figure I et cela en vertu du critĂšre connu de cet Ăąge qui consiste Ă estimer la valeur numĂ©rique dâaprĂšs la longueur spatiale de la rangĂ©e. Lâeffet des barres de rĂ©fĂ©rence est faible pour les trois figures.
Stade II (5-6 ans). La valeur numĂ©rique est encore frĂ©quemment estimĂ©e dâaprĂšs la longueur des rangĂ©es en lâabsence des barres de rĂ©fĂ©rence. Par contre celles-ci entraĂźnent des Ă©galisations dans les trois figures. Seulement les fausses rĂ©fĂ©rences (figure III) produisent le mĂȘme rĂ©sultat que les bonnes (figure II).
Stade III (7-9 ans). Lâeffet Ă©galisateur des barres se limite Ă la figure II, les fausses rĂ©fĂ©rences de la figure III Ă©tant distinguĂ©es des bonnes. Seulement ces fausses rĂ©fĂ©rences entraĂźnent alors des jugements erronĂ©s dâinĂ©galitĂ©.
Stade IV (9-10 ans). Les fausses rĂ©fĂ©rences de la figure III sont nĂ©gligĂ©es et nâexercent plus dâeffet perturbateur sur les Ă©galisations.
(1) De ces faits, il sâagit alors en premier lieu dâĂ©tablir si nous avons le droit de conclure quâils manifestent lâintervention de « prĂ©infĂ©rences » perceptives. Au premier abord, il semble que oui. Si nous nous rĂ©fĂ©rons aux quatre Ă©lĂ©ments de la prĂ©infĂ©rence, distinguĂ©s au § 5 du chap. II de ce fascicule, nous avons : (a) des Ă©lĂ©ments physiquement donnĂ©s, consistant soit en jetons seuls, soit en jetons reliĂ©s par les barres de rĂ©fĂ©rence ; (b) des Ă©lĂ©ments non physiquement donnĂ©s, mais ajoutĂ©s par le sujet en fonction dâexpĂ©riences antĂ©rieures (et comme nous le verrons plus loin en fonction de schĂšmes, mais dont il sâagira de dĂ©terminer la nature) : telles sont les liaisons de correspondance globale (stade II) ou de correspondance terme Ă terme (stade III) que les sujets des stades II-III attribuent Ă titre de signification aux barres de rĂ©fĂ©rence, tandis que les sujets de 4 ans ne confĂšrent pas encore Ă ces derniĂšres de signification schĂ©matique ; (c) la rĂ©sultante est alors lâĂ©galisation ou la non-Ă©galisation des collections ; (d) quant au mode de composition, il ne semble pas y avoir intervention de dĂ©duc-
[p. 124]tion reprĂ©sentative avec rĂšgles nĂ©cessaires, pour les raisons que nous examinerons Ă lâinstant.
Mais pour avoir le droit dâinterprĂ©ter les choses ainsi, il faut dâabord fournir la preuve que le sujet ajoute les Ă©lĂ©ments b aux Ă©lĂ©ments a et ne se borne pas Ă un simple enregistrement actuel des a. AprĂšs quoi il sâagira de dĂ©montrer que le mode de composition d est bien infĂ©rentiel mais sans intervention dâune infĂ©rence reprĂ©sentative.
(2) Or, pour ce qui est des adjonctions b il ne suffit naturellement pas, pour prouver quâil y a intervention dâĂ©lĂ©ments introduits par le sujet, de comparer les % dâĂ©galisations avec ou sans la prĂ©sence des barres, puisque celles-ci constituent un donnĂ© objectif relevant des Ă©lĂ©ments a. Il suffit par contre de relever le fait que cette prĂ©sence ne produit nullement les mĂȘmes rĂ©sultats indĂ©pendamment du niveau de dĂ©veloppement du sujet : les Ă©galisations avec barres augmentent, en effet, de 20 Ă 100 oâoentre 4 et 7 ans pour la figure II, et ce fait est contradictoire avec lâhypothĂšse dâun simple enregistrement, puisque celui-ci devrait ĂȘtre constant avec lâĂąge Ă de petites diffĂ©rences quantitatives prĂšs. Sâil y a rĂ©action diffĂ©rente aux barres selon le niveau du sujet, câest donc que celui-ci intervient en ajoutant plus ou moins dâĂ©lĂ©ments b Ă lâenregistrement des a.
(3) Pour contrĂŽler le fait que lâenregistrement des donnĂ©es a (jetons seuls ou jetons avec barres) est bien correct Ă tout Ăąge et aussi pour nous renseigner sur la nature des schĂšmes intervenant Ă©ventuellement, nous avons dâailleurs demandĂ© aux sujets de reproduire le dispositif I par le dessin ou matĂ©riellement. Or, jusquâĂ 7-8 ans on observe la particularitĂ© suivante, qui dĂ©montre, mieux encore quâune reproduction automatique, le fait Ă©vident de lâattention prĂȘtĂ©e aux barres :
(A) Lorsquâon prĂ©sente la figure sans les barres, il est frĂ©quent que lâenfant se borne à « une rangĂ©e de ronds », « des ronds comme ça (geste marquant une rangĂ©e) », etc., comme si une seule rangĂ©e suffisait Ă reprĂ©senter les deux en vertu dâun symbolisme pars pro toto. Bien entendu, dĂšs quâon insiste (« câest tout ? ») les sujets complĂštent la figure. En outre, de façon gĂ©nĂ©rale le nombre dâĂ©lĂ©ments reprĂ©sentĂ©s est supĂ©rieur Ă celui de ceux de la configuration donnĂ©e et cela en relation, semble-t-il, avec la difficultĂ© dâapprĂ©hension perceptive de cette derniĂšre.
B) Dans le cas des jetons avec barres, le symbolisme pars pro toto est alors plus systématique et revient à souligner la
[p. 125]diffĂ©rence de configuration : il y a une tendance nette Ă sâarrĂȘter aprĂšs la reprĂ©sentation du premier ensemble « disque-barre- disque » : « il y a une barre avec un rond Ă chaque bout », dit par exemple le sujet, ou « il y a une barre et puis deux ronds », etc.
Cette structuration diffĂ©rente en (A) et en (B) dĂ©montre donc le fait quâil y a eu enregistrement correct des donnĂ©es Ă tout Ăąge et que la rĂ©action diffĂ©rente, selon lâĂąge, aux questions dâĂ©galisation provient bien dâun apport du sujet (facteur b) et non pas dâun simple enregistrement des donnĂ©es a.
La structuration est mĂȘme si diffĂ©rente en A et en B que nous nous sommes demandĂ© le rĂŽle quây jouait lâindividualisation des Ă©lĂ©ments, câest-Ă -dire des jetons ronds par rapport aux barres. Nous avons donc, dans un sondage, remplacĂ© les jetons par des sous et les barres par des tiges en bois : rien nâest alors changĂ© en B mais la rĂ©action pars pro toto devient aussi frĂ©quente en A (une seule rangĂ©e) quâen B (sou-tige-sou).
(4) Si les Ă©lĂ©ments a (prĂ©sence des jetons et prĂ©sence ou absence des barres) sont donc correctement perçus Ă tout Ăąge, avec une structuration mĂȘme plus forte que lâon aurait pu attendre en ce qui concerne les barres, tandis que les Ă©lĂ©ments b (correspondance globale ou terme Ă terme) sont ajoutĂ©s par le sujet en fonction de son niveau dâĂ©volution, ce contraste entre les Ă©lĂ©ments a, demeurant constants avec lâĂąge, et les Ă©lĂ©ments b, augmentant dâimportance avec le dĂ©veloppement, permet Ă©galement dâĂ©carter lâinterprĂ©tation gestaltiste selon laquelle ces Ă©lĂ©ments b ainsi que la rĂ©sultante c (Ă©galisation) proviendraient simplement de la structuration immĂ©diate des donnĂ©es. Lors- quâinterviennent de telles structurations que nous appelons « immĂ©diates », par opposition Ă la gĂ©nĂ©ralisation de schĂšmes antĂ©rieurs (cette gĂ©nĂ©ralisation constituant alors une structuration « mĂ©diate », bien que pouvant ĂȘtre aussi instantanĂ©e), elles demeurent constantes ou diminuent dâimportance avec lâĂąge, tandis que dans le cas particulier leur prĂ©gnance augmente avec le dĂ©veloppement, comme il est normal sâil sâagit dâeffets de schĂšmes.
(5) Quant au mode de composition (d), on peut conclure de ce qui prĂ©cĂšde quâil sâagit alors dâun processus infĂ©rentiel reliant la rĂ©sultante c (Ă©galisation) aux donnĂ©es a par lâintermĂ©diaire des adjonctions b, elles-mĂȘmes empruntĂ©es Ă un schĂšme de liaison ou de correspondance (globale ou terme Ă terme). En effet, si les Ă©lĂ©ments b ne rĂ©sultent pas dâun simple enregistrement des donnĂ©es a mais dâune adjonction du sujet,
[p. 126]la rĂ©sultante c ne peut consister non plus en un enregistrement. Si, dâautre part cette intervention des b entraĂźnant lâapparition de la rĂ©sultante c ne sâexplique pas par un processus de structuration gestaltiste, il ne reste Ă invoquer que lâapplication dâun schĂšme antĂ©rieur et par consĂ©quent un processus infĂ©rentiel. Mais deux interprĂ©tations demeurent alors possibles :
La premiĂšre consisterait Ă supposer que le sujet ne dĂ©passe pas le cadre des « prĂ©infĂ©rences » : utilisant un schĂšme qui relie dâavance le caractĂšre c (Ă©galisation) au caractĂšre b (correspondance globale ou terme Ă terme) et appliquant dâemblĂ©e le caractĂšre b aux Ă©lĂ©ments a (donnĂ©es), alors lâapplication du caractĂšre c est entraĂźnĂ©e par celle du caractĂšre b : en ce cas le sujet « perçoit » le caractĂšre c (Ă©galitĂ©) en mĂȘme temps que a par le fait de la double indiffĂ©renciation a + b et b+c.
La seconde interprétation consisterait au contraire à invoquer une inférence représentative : percevant les seules données a (jetons et barres) et leur conférant la signification b (correspondance) le sujet en déduirait la résultante c (égalité) en dissociant consciemment les prémisses a et b et la conclusion c et en reliant celles-ci à celles-là par un lien de nécessité ou de semi-nécessité logiques dû à des schÚmes représentatifs, préopératoires ou opératoires.
(6) Lâexamen des stades observĂ©s ne suffit pas Ă trancher cette alternative. Le fait quâau stade II les fausses rĂ©fĂ©rences de la figure III produisent le mĂȘme rĂ©sultat que les bonnes et quâau stade III elles sont distinguĂ©es des bonnes mais entraĂźnent alors des jugements dâinĂ©galitĂ© nous sera utile pour discuter avec dâautres donnĂ©es de la nature des schĂšmes en prĂ©sence, mais peut Ă lui seul aussi bien sâinterprĂ©ter comme le produit de perceptions insuffisantes accompagnĂ©es dâun bon raisonnement, que comme le rĂ©sultat de prĂ©infĂ©rences avec indiffĂ©renciation. Il nous faut donc recueillir des informations supplĂ©mentaires pour interprĂ©ter lâensemble des donnĂ©es rĂ©unies.
(7) Un fait intĂ©ressant Ă cet Ă©gard est que, Ă 7 ans encore, les sujets nâosent pas, dans la grande majoritĂ© des cas, affirmer au cours de la reproduction du dispositif complet (jetons et barres) quâils ont placĂ© le mĂȘme nombre de jetons dans les deux rangĂ©es lorsque lâon cache la moitiĂ© de la figure en cours de construction et bien quâils dessinent les « haltĂšres » (= deux jetons reliĂ©s par une barre) lâune aprĂšs lâautre. A 8 ans on ne trouve que le 50 % des sujets environ pour parvenir Ă une telle certitude.
[p. 127]Ce premier fait exclut donc jusquâĂ 8-9 ans lâintervention exclusive de schĂšmes proprement conceptuels et dâune dĂ©duction opĂ©ratoire, mais ne suffit pas Ă dissocier les facteurs perceptifs, Ă©videmment Ă lâĆuvre dans la « correspondance optique », des facteurs reprĂ©sentatifs qui sây surajoutent vraisemblablement.
(8) La perception du dispositif II nâest plus modifiĂ©e Ă partir de 8 ans quand on passe de 4 Ă 5 ou 6 Ă©lĂ©ments, mais elle lâest assez sensiblement jusquâĂ 7 ans (tabl. II) :
Tabl. H. Réactions1au dispositif II, à 4, 5 ou 6 éléments
(sans barres ou avec barres complĂštes)Â :
| Eléments par rangées |
4 Avec b. |
Sans b. |
5 Avec b. |
Sans b. |
6 Avec b. |
||
| Sans b. | |||||||
| 6 ans | (20) -. | 30 | 85 | 5 | 20 | 5 | 15 |
| 7 » | (21).â | 80 | 100 | 15 | 40 | 15 | 40 |
| 8 » | (10) âąâą | 90 | 100 | 40 | 100 | 40 | 90 |
| 9 » | (io).. | 100 | 100 | 90 | 100 | 90 | 100 |
| 10 » | (io).. | 100 | 100 | 90 | 100 | 90 | 100 |
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On voit quâĂ 6 et 7 ans encore le dispositif II avec barres ne donne que le 15 Ă 40 % dâĂ©galisations lorsquâil y a 5 ou 6 Ă©lĂ©ments, contre 85 Ă 100 % pour 4 Ă©lĂ©ments par rangĂ©e. Ce fait montre alors que la rĂ©action est sans doute jusque-lĂ avant tout perceptive, car il nây a pas de diffĂ©rence opĂ©ratoire entre 4, 5 et 6 Ă©lĂ©ments tandis quâil y a une grande diffĂ©rence figurale. Mais les deux interprĂ©tations possibles de lâinfĂ©rence â signalĂ©es sous (b) subsistent ici encore.
(9) Il sâagit, dâautre part, pour apprĂ©cier le rĂŽle de la perception dans ces rĂ©actions, de modifier la longueur des barres Ă Ă©galitĂ© du nombre des jetons (4). Câest le rĂ©sultat de ces modifications que fournit le tabl. III, dont les colonnes correspondent Ă Â : B = barres complĂštes (10 cm.) ; El = barres raccourcies de 1 cm. Ă chaque extrĂ©mitĂ© (= 8 cm.) ; E2 = barres raccourcies de 2 cm. Ă chaque extrĂ©mitĂ© (= 6 cm.) ; M1 = barres comportant une lacune de 1 cm. dans la partie mĂ©diane (= 4,5+4,5 cm.) ;
1 En % des sujets fournissant des Ă©galisations. Nous avons, en outre, fait un sondage sur quelques sujets de quatre ans au moyen de 3 Ă©lĂ©ments seulement : chez certains sujets la rĂ©action est alors identique Ă celle pour 4 Ă©lĂ©ments, tandis que pour dâautres les Ă©galisations sont plus nombreuses selon un dĂ©calage facile Ă comprendre.
[p. 128]M2 â barres comportant une lacune mĂ©diane de 2 cm. (=4+4 cm.) ; et Îf4 = barres comportant une lacune mĂ©diane de 4 cm. (=3+3 cm.) :
Tabl. III. Réactions au dispositif II avec raccourcissement
des barres (4 éléments) :
| B (10 cm.) | El (9 cm.) |
e 2 [8 cm.) ( |
M14,5+4,5) | m2(4+4) | (3+â ) | |
| 4 ans (20) .. | 20 | 15 | 5 | 0 | 0 | 0 |
| 5 » (20) .. | 65 | 15 | 10 | 5 | 5 | 5 |
| 6 » (20) .. | 85 | 80 | 10 | 65 | 30 | 30 |
| 7 » (20) .. | 100 | 100 | 55 | 100 | 75 | 65 |
| 8 » (20) .. | 100 | 100 | 60 | 100 | 75 | 75 |
| 9 » (20) .. | 100 | 95 | 80 | 100 | 80 | 75 |
| 10 » (20) .. | 100 | 100 | 90 | 100 | 80 | 75 |
Â
On constate alors quâĂ 4 et 5 ans le raccourcissement des barres entraĂźne un affaiblissement gĂ©nĂ©ral des Ă©galisations pour toutes les longueurs, tandis quâĂ 6 ans cet effet perceptif disparaĂźt en partie pour les situations Ei et M1, diminue notablement pour M2 et M4 et se conserve pour E2. DĂšs 7-8 ans cet affaiblissement des Ă©galisations disparaĂźt totalement pour les petits raccourcissements (E1 et Îf1) et graduellement pour les plus grands, mais se conserve en partie pour les lacunes mĂ©dianes de 2 et surtout de 4 cm. (Îf2 et Mi) jusquâĂ 10 ans. Seulement on peut Ă nouveau se demander si les faits tĂ©moignent de perceptions insuffisantes, avec infĂ©rence reprĂ©sentative correcte, ou de prĂ©infĂ©rence proprement dite. Pour rĂ©soudre la question il nous faut donc comparer entre elles les donnĂ©es des tabl. 1 Ă III.
(10) Le premier rĂ©sultat de cette comparaison est quâil y a Ă©volution des perceptions avec lâĂąge. On ne saurait soutenir, en effet, que lâĂ©volution de lâĂ©galisation constitue un produit de la seule Ă©volution des processus infĂ©rentiels, dâabord insuffisants pour conclure Ă lâĂ©galitĂ© en partant dâune correspondance optique correctement perçue et ensuite suffisants : le fait quâĂ 9-10 ans encore, oĂč le mĂ©canisme opĂ©ratoire est entiĂšrement achevĂ©, les situations M2 et Mi du tabl. III ne donnent encore que 75 Ă 80 â dâĂ©galisations exclut une telle interprĂ©tation. Le problĂšme central est alors dâexpliquer cette Ă©volution des perceptions avec lâĂąge, car ni lâhypothĂšse de simples enregistrements passifs ni lâhypothĂšse gestaltiste ne peuvent rendre compte de ce fait.
[p. 129]Lorsque, pour expliquer les non-Ă©galisations, on hĂ©site entre les deux interprĂ©tations possibles dĂ©jĂ signalĂ©es (ou perception insuffisante avec bon raisonnement ou Ă©volution des prĂ©infĂ©rences), on retrouve alors ce problĂšme : sâil y a perception insuffisante, comment lâexpliquer et surtout pour quelle raison la perception Ă©volue-t-elle avec lâĂąge ? Or, si elle ne se transforme pas sous lâeffet des seuls enregistrements (qui ne constituent pas exclusivement des causes, mais sont eux-mĂȘmes modifiĂ©s en retour par le mode de structuration permettant de les apprĂ©hender), il ne reste quâĂ admettre une Ă©volution de la perception sous lâeffet des processus prĂ©infĂ©rentiels quâelle englobe, ces processus Ă©voluant eux-mĂȘmes alors pour les raisons quâon va dĂ©velopper. En dâautres termes, lâexistence des prĂ©infĂ©rences nous paraĂźt dĂ©montrĂ©e par lâĂ©volution mĂȘme des perceptions dâĂ©galitĂ©, du fait oue cette Ă©volution ne saurait tenir aux seuls enregistrements sensoriels : en ce cas, elle implique la prĂ©sence de schĂšmes ajoutant aux donnĂ©es a des Ă©lĂ©ments b qui, en combinaison avec elles aboutissent aux rĂ©sultantes c (Ă©galisations) par un mode de composition prĂ©infĂ©- rentiel d.
Mais cette interprĂ©tation suppose alors que les schĂšmes b Ă©voluent et les prĂ©infĂ©rences d avec eux et il sâagit maintenant de comprendre pourquoi ce que nous pouvons chercher Ă la lumiĂšre de la succession des stades I-IV, tirĂ©e du tabl. I et complĂ©tĂ©e par les tabl. II et III.
Au niveau le plus bas (stade I), nous constatons que les barres de rĂ©fĂ©rence ne produisent presquâaucun effet (20 % Ă 4 ans) lorsquâelles sont de longueur entiĂšre et plus aucune (0 Ă 15 %) lorsquâon les raccourcit : câest donc Ă©videmment quâil nâintervient presque pas de schĂšme de correspondance dĂšs que les longueurs des rangĂ©es Ă comparer sont inĂ©gales, et ceci Ă cause de la prĂ©gnance du schĂšme de lâĂ©valuation des quantitĂ©s (mĂȘme discontinues ou numĂ©riques) par la longueur spatiale (longueur dĂ©pendant elle-mĂȘme des dĂ©passements, etc.) : faute de schĂšmes de correspondance, il nây a alors pas de prĂ©infĂ©rences relatives Ă eux.
Au stade II on assiste par contre Ă une modification nette des Ă©galisations pour la figure II avec barres entiĂšres (65 Ă 85 % Ă 5-6 ans), et trois faits complĂ©mentaires permettent de dĂ©terminer la nature du schĂšme qui intervient alors : (1) lâeffet est presque le mĂȘme (65 Ă 70 % Ă 5-6 ans) pour la figure III oĂč les barres ne fournissent pas de correspondance terme Ă terme ; (2) avec 5 ou 6 jetons par rangĂ©e, lâĂ©galitĂ© tombe (avec barres entiĂšres) de 85 Ă 20 et 15 % Ă 6 ans (et de 100 Ă 40 %
[p. 130]Ă 7 ans) ; (3) les raccourcissements des barres font tomber les Ă©galisations de 65 Ă 5-15 % Ă 5 ans et de 85 Ă 10 et 30 % Ă 6 ans pour E2 et M2-Mi (mais seulement Ă 65 % et 80 % pour Îf1 et E1 ce qui indique une consolidation graduelle du schĂšme perceptif de correspondance).
il est donc clair quâil intervient au stade II un schĂšme de correspondance, puisque le sujet ne juge plus de la quantitĂ© ou du nombre des jetons dâaprĂšs la longueur de la rangĂ©e (les barres accentuent, en effet, la diffĂ©rence de longueur des deux rangĂ©es). Mais il est non moins clair que cette correspondance nâest pas une correspondance terme Ă terme puisque la figure III est assimilĂ©e Ă la figure II : le schĂšme est donc de correspondance (ou de liaison) globale sans analyse perceptive du dĂ©tail des connexions, la liaison sâĂ©tablissant simplement entre les rangĂ©es perçues comme de grands objets totaux. Cela explique par ailleurs le rĂŽle perturbateur de lâaugmentation du nombre des Ă©lĂ©ments ou du raccourcissement des barres.
Pourquoi donc ce schĂšme encore trĂšs Ă©loignĂ© de la correspondance terme Ă terme des stades III et surtout IV, nâapparaĂźt- il pas alors dĂšs le stade I ? On ne saurait expliquer un tel fait en rendant compte de ce schĂšme, pourtant perceptif en son rĂ©sultat, par les seules propriĂ©tĂ©s de la perception comme telle, sinon rien ne lâempĂȘcherait de se constituer au cours du stade 1 : il faut donc lâattribuer Ă lâaction elle-mĂȘme, câest-Ă -dire aux mĂ©canismes sensori-moteurs de construction des agrĂ©gats (construction manuelle des rangĂ©es, dessin, etc.), et admettre quâun tel schĂšme sensori-moteur, qui englobe naturellement des liaisons perceptives, constitue la source du schĂšme perceptif en jeu dans les prĂ©infĂ©rences dont dĂ©pendent les Ă©galisations propres Ă ce stade.
Au cours du stade III, il y a simultanĂ©ment abandon des estimations de la quantitĂ© par la longueur des rangĂ©es et modification du schĂšme de correspondance : en effet, les Ă©galisations atteignent 100 % Ă 7-9 ans pour la figure II avec barres entiĂšres, mais tombent Ă 40, 35 et 45 %, pour la figure III, ce qui montre lâapparition dâune exigence de correspondance bi-univoque ou terme Ă terme pour admettre lâĂ©galitĂ© des quantitĂ©s. Or, ces jugements dâinĂ©galitĂ©s qui prĂ©dominent donc (60, 65 et 55 % Ă 7-9 ans) pour la figure III malgrĂ© le fait que les jetons sont au nombre de 4 dans les deux rangĂ©es Ă comparer, sont trĂšs instructifs. On ne saurait dire que le schĂšme de correspondance devienne autonome par rapport Ă lâestimation des quantitĂ©s, puisque le sujet perçoit au contraire une non-Ă©galitĂ© en cas de
[p. 131]non-correspondance (bi-univoque) en vertu dâune prĂ©infĂ©rence instantanĂ©e, la non-correspondance suggĂ©rĂ©e par les barres impliquant donc pour lui non-Ă©galité : les rangĂ©es de jetons Ă©tant estimĂ©es Ă©gales sans les barres dans le 80 % Ă 100 % des cas Ă 7-9 ans pour cette figure III, la chute de lâĂ©galisation Ă 40-35-45 % avec les rĂ©fĂ©rences trompeuses des barres prouve simplement que lâeffet perceptif des barres a masquĂ© lâeffet perceptif dâĂ©galitĂ© dĂ» aux jetons eux-mĂȘmes, et câest ce « masquage perceptif » qui dĂ©montre alors en ce cas la nature perceptive et non pas reprĂ©sentative du phĂ©nomĂšne, autrement dit lâintervention de prĂ©infĂ©rences et non pas dâinfĂ©rences dĂ©ductives. Ceci sâaccorde dâautre part, avec le fait de la chute Ă 40 % des Ă©galisations de la figure II Ă 7 ans lorsquâil y a 5 ou 6 jetons par rangĂ©e et surtout avec le fait de lâaction des grands raccourcissements des barres (55 Ă 80 % pour E2, etc.). Mais cette augmentation du nombre des jetons ne joue plus de rĂŽle Ă 8-9 ans et les plus petits raccourcissements (E1 et M1) nâexercent plus non plus dâinfluence dĂšs 7 ans, ce qui indique la gĂ©nĂ©ralisation du schĂšme perceptif en jeu.
Il faut donc conclure, en ce qui concerne ce stade III, que le schĂšme perceptif de correspondance globale du stade II sâest diffĂ©renciĂ© dans la direction de la correspondance bi-univoque ou terme Ă terme et cela avec une prĂ©gnance progressive qui rĂ©ussit, dâune part, Ă masquer la perception des Ă©lĂ©ments comme tels (des jetons par opposition aux barres) et, dâautre part, Ă se gĂ©nĂ©raliser aux situations dâaugmentation du nombre des Ă©lĂ©ments ou de raccourcissements lĂ©gers des barres de rĂ©fĂ©rence. Or, cette diffĂ©renciation du schĂšme ne peut avoir pour cause, Ă©tant toujours admis que ce schĂšme perceptif est dĂ©terminĂ© par un schĂšme sensori-moteur plus large, que la constitution des opĂ©rations mĂȘmes de correspondance (sâĂ©quilibrant vers 7-8 ans), lesquelles sont naturellement susceptibles dâorienter et dâaffirmer les schĂšmes sensori-moteurs en jeu quand la correspondance sâexerce par manipulations et ne consiste pas simplement en opĂ©rations intĂ©riorisĂ©es. Cette action supposĂ©e de lâopĂ©ration sur le schĂšme sensori-moteur et de lĂ sur le schĂšme perceptif nâimplique par contre en rien que la rĂ©action de nos sujets Ă la question dâĂ©galisation procĂšde exclusivement par voie dâinfĂ©rence reprĂ©sentative : le masquage perceptif du nombre des jetons par la disposition des barres dans la figure III dĂ©montre au contraire, comme nous y avons insistĂ©, lâexistence de la prĂ©infĂ©rence conduisant de la non-correspondance Ă lâĂ©galitĂ© quantitative apparente des jetons !
[p. 132]Au stade IV, enfin, ce marquage disparaĂźt (90 % dâĂ©galisations pour la figure III avec les barres entiĂšres), le nombre de 5 ou 6 jetons par rangĂ©e ne joue plus de rĂŽle dans lâĂ©galisation et lâeffet des raccourcissements des barres nâintervient plus que pour les grandes lacunes mĂ©dianes (M2 et Îf4). On pourrait donc conclure, si lâon ne connaissait pas lâexistence des stades I Ă III, quâil y a simplement enregistrement perceptif correct des donnĂ©es physiques et assimilation de ces donnĂ©es Ă un schĂšme opĂ©ratoire avec infĂ©rences purement opĂ©ratoires. Mais la question subsiste de comprendre pourquoi ces rĂ©actions normales aux figures II et III sont si tardives et la seule explication est que ie schĂšme perceptivo-moteur de correspondance est suffisamment rodĂ© pour que, en prĂ©sence de la figure III, le sujet puisse percevoir simultanĂ©ment la non-correspondance due aux fausses rĂ©fĂ©rences constituĂ©es par les barres, et la correspondance rĂ©elle des deux rangĂ©es de 4 et 4 jetons indĂ©pendamment des barres. Cette interprĂ©tation revient donc Ă admettre que sous lâappareil reprĂ©sentatif et opĂ©ratoire que le sujet met Ă©videmment en Ćuvre, le rĂŽle de la prĂ©infĂ©rence perceptive ne reste pas nĂ©gligeable.
§ 3. La comparaison de deux segments de droite
avec ou sans rĂ©fĂ©rence perceptive constituĂ©e par un cercleđ
Une situation analogue Ă la prĂ©cĂ©dente (estimations perceptives dâĂ©galitĂ©s avec ou sans rĂ©fĂ©rence spatiale) mais oĂč les grandeurs Ă juger Ă©gales ou inĂ©gales sont continues et oĂč la rĂ©fĂ©rence est une « bonne forme » gĂ©omĂ©trique, est celle de deux segments de droite partant ou non du centre dâun cercle et avec la circonfĂ©rence comme rĂ©fĂ©rence. Les rĂ©sultats obtenus ayant Ă©tĂ© trĂšs semblables Ă ceux de lâexpĂ©rience prĂ©cĂ©dente, nous insisterons moins sur leur discussion. Nous distinguerons cinq dispositifs expĂ©rimentaux.
Le dispositif I-II consiste en deux segments de droite de 10 cm. chacun, se prolongeant lâun lâautre, et soit Ă©gaux soit inĂ©gaux mais selon une diffĂ©rence infraliminaire (5 % de la longueur du segment). Les deux figures sont utilisĂ©es sans ou avec cercle, le centre de ce dernier coĂŻncidant alors avec le point de section des droites. Les rĂ©sultats sont consignĂ©s sur le tabl. IV (20 sujets par groupe dâĂąge).
On constate que lâintervention du cercle ne modifie par les estimations au cours dâun premier stade (4-5 ans). DĂšs 6-7 ans, par contre, la prĂ©sence du cercle fait primer les Ă©galitĂ©s dans la
[p. 133]
Tabl. IV. Pourcentage des estimations des droites
dans le dispositif I-IIÂ :
1
| Sans dépassement | Avec dépassement | ||||||||||||
| Sans cercle | Avec cercle | Sans cercle | Avec cercle | ||||||||||
| M | E | I | M | E | I | M | E | I | M | E | 1 | ||
| 4-5 | ans | 90 | 5 | 5 | 85 | 5 | 10 | 80 | 5 | 15 | 75 | 5 | 20 |
| 6-7 | ans | 95 | 5 | 0 | 20 | 75 | 5 | 80 | 0 | 20 | 25 | 5 | 70 |
| 8-9 | ans | 90 | 5 | 5 | 15 | 75 | 10 | 80 | 5 | 15 | 30 | 0 | 70 |
Â
figure sans dĂ©passement et les inĂ©galitĂ©s (dans le sens du dĂ©passement) pour la figure avec dĂ©passement. Mais il va de soi que ces derniĂšres rĂ©actions de 6 Ă 9 ans peuvent donner lieu Ă deux ou mĂȘme quatre interprĂ©tations. Les deux premiĂšres consisteraient Ă admettre une influence du cercle comme tel sur les estimations dâĂ©galitĂ© ou dâinĂ©galité ; en ce premier cas il pourrait y avoir ou prĂ©infĂ©rence ou infĂ©rence proprement dite Ă partir de la connaissance de lâĂ©galitĂ© des rayons. Les deux derniĂšres reviendraient Ă attribuer les estimations soit au dĂ©passement comme tel ou Ă son absence (ce qui supposerait Ă©galement une prĂ©infĂ©rence, comme dans la solution 1, mais Ă partir du seul dĂ©passement et non pas de la figure circulaire), soit au fait que la figure avec dĂ©passement donne lieu Ă une comparaison entre une droite divisĂ©e et une droite non divisĂ©e (la surestimation de la droite divisĂ©e Ă©tant alors due Ă un effet de champ, celui dâOppel-Kundt, et non pas Ă une prĂ©infĂ©rence). Mais ce dernier effet Ă©tant quasi nul dans le cas dâune seule division, nous pouvons Ă©carter cette quatriĂšme interprĂ©tation, dâautant plus que, dans le cas de la figure sans dĂ©passement, ce nâest pas ce facteur qui peut expliquer pourquoi Ă 6-9 ans les segments de droite sont perçus Ă©gaux avec le cercle, tandis quâil nây a pas dĂ©cision sans le cercle : en ce cas, le cercle peut jouer son rĂŽle ou en tant que cercle (solutions 1 et 2) ou en tant que simple borne non dĂ©passĂ©e de part ni dâautre (nous parlerons en ce cas de dĂ©passement nul).
1 AbbrĂ©vlations : M = mĂ©langes dâĂ©galitĂ©s et de jugements > et < sans prĂ©fĂ©rences systĂ©matiaues (ou hĂ©sitations), E = égalitĂ©s (trois ou davantage sur les cinq prĂ©sentations de chacune des quatre combinaisons : avec ou sans dĂ©passement et avec ou sans cercle). I = inĂ©galitĂ©s (trois jugements > ou < ou davantage sur les cinq prĂ©se âtĂątions). Les pourcentages portent sur 20 sujets par classe dâĂąge. Notons enfin que nous appelons pour abrĂ©ger « Avec dĂ©passement » mais « sans cercle » la figure sans cercle oĂč les segments de droite ont la mĂȘme longueur quâavec cercle et dĂ©passement.
[p. 134]La premiĂšre question Ă rĂ©soudre est donc de savoir si le cercle agit comme tel ou comme facteur de limite non dĂ©passĂ©e ou dĂ©passĂ©e. Nous avons Ă cet Ă©gard prĂ©sentĂ© aux sujets un dispositif I b"-âb" semblable Ă I-IĂ mais Ă cette diffĂ©rence prĂšs que le point de section sĂ©parant les deux segments de droite est excentrĂ©, et suffisamment pour que la diffĂ©rence entre les deux longueurs soit immĂ©diatement perceptible (15 % de la longueur) avec segment de gauche constamment plus grand que celui de droite, que celui-ci prĂ©sente ou non un dĂ©passement par rapport Ă la circonfĂ©rence). Les jugements indĂ©cis (M), ceux dâĂ©galitĂ© (E) et surtout les renversements dâĂ©valuation (droite> gauche se substituant Ă gauche>droite) seront donc attribuables Ă la prĂ©sence du cercle. Les rĂ©sultats obtenus sont rĂ©unis dans le tabl. V (20 sujets par groupe dâĂąges) :
Tabl. V. Pourcentage des estimations des droites
dans le dispositif I "â-Il (excentricitĂ©) :
(MĂȘmes abrĂ©viations quâau tabl. IV, mais les inĂ©galitĂ©s 1 expriment les jugements gauche>droite, avec, entre parenthĂšses, le nombre des jugements droite>gauche).
| Sans dépassement | ||||||
| Sans cercle | Avec cercle | |||||
| M | E | I | M | E | I | |
| 4-5 ans | 5 | 0 | 95 | 0 | 0 | 100 |
| 6-7 » | 0 | 0 | 100 | 0 | 40 | 60 |
| 8-9 » | 0 | 0 | 100 | 0 | 0 | 100 |
Â
| Avec dépassement | ||||||
| Sans cercle | Avec cercle | |||||
| M | E | I | M | E | I | |
| 4-5 ans | 60 | 0 | 35 (5) | 90 | 0 | 5(5) |
| 6-7 » | 0 | 0 | 100 (0) | 35 | 0 | 15(50) |
| 8-9 » | 0 | 0 | 100 (0) | 5 | 0 | 95(0) |
Â
Ces rĂ©sultats sont donc trĂšs nets : la prĂ©sence du cercle ne produit pas dâeffet Ă 4-5 (sauf une lĂ©gĂšre action avec dĂ©passement) ni aucun Ă 8-9 ans, tandis quâelle entraĂźne Ă 6-7 ans 40 % de jugements dâĂ©galitĂ© dans la figure sans dĂ©passement et surtout un renversement des jugements dans le sens droite> gauche pour la figure avec dĂ©passement (50 % contre 0). Il
[p. 135]semble alors que cette action du cercle Ă 6-7 ans et en partie Ă 4-5 ans doive sâinterprĂ©ter en fonction du dĂ©passement, nul ou positif, puisque les segments de droite et leur point de section sont excentrĂ©s par rapport au cercle et quâon ne peut donc plus invoquer lâĂ©galitĂ© des rayons (comme dans le dispositif I, oĂč les droites correspondent aux rayons).
Ce dispositif II biâ provoque en effet, lâintervention dâune « fausse rĂ©fĂ©rence », comme la figure III dans le cas des correspondances (§ 2) et il est intĂ©ressant de constater que, dans ce cas Ă©galement, lâenfant du stade II lâutilise nĂ©anmoins, tandis quâelle est nĂ©gligĂ©e au stade suivant : constatant, dans la figure sans dĂ©passement, que les deux segments de droite atteignent la circonfĂ©rence, il les perçoit frĂ©quemment Ă©gaux, tandis que dans la figure avec dĂ©passement le 50 % des sujets perçoit comme plus long le segment qui dĂ©passe la circonfĂ©rence. Mais, en rĂ©alitĂ©, deux facteurs distincts sont susceptibles de rendre compte de ces rĂ©actions, agissant lâun sans lâautre ou tous deux simultanĂ©ment. Le premier de ces facteurs serait le dĂ©passement comme tel, indĂ©pendamment de toute forme circulaire. On sait, en effet, que les petits jugent en gĂ©nĂ©ral la longueur de deux droites dĂ©calĂ©es en invoquant lâun des dĂ©passements de lâune par rapport Ă lâautre ; et, quoique dans les Ă©preuves perceptives ils sachent aussi fort bien estimer les longueurs en tant quâintervalles,1 il se peut que ce schĂšme du dĂ©passement influence la perception dans une situation comme celle dont nous nous occupons ici, oĂč les dĂ©passements sont renforcĂ©s per- ceptivement par la ligne de circonfĂ©rence. Mais on pourrait aussi invoquer un second facteur : de mĂȘme que, au stade III des rĂ©actions aux correspondances (§ 2) nous avons assistĂ© Ă un masquage perceptif du nombre des jetons par la disposition des barres, de mĂȘme dans la prĂ©sente situation lâattention portĂ©e sur la circonfĂ©rence pourrait aboutir Ă masquer ou tout au moins Ă attĂ©nuer lâexcentricitĂ© du point de section des droites. On voit que ces deux facteurs nâont rien dâincompatible : au contraire lâinfluence du premier peut entraĂźner ou renforcer le second. Mais le second pourrait tout expliquer sans le premier. Avant dâadmettre le rĂŽle du dĂ©passement indĂ©pendamment de la figure circulaire ou en plus de lâinfluence exercĂ©e par le cercle, il nous faut donc un supplĂ©ment dâinformation.
Nous avons fait Ă cet Ă©gard trois expĂ©riences supplĂ©mentaires, lâune consistant Ă remplacer la circonfĂ©rence par de simples arcs (dispositif V) dessinĂ©s dâavance (VA) ou sous les
1 J Piaget et S. Taponieh, Arch. de Psychol., Rech. XXXII (1957).
[p. 136]yeux du sujet (VB), la seconde consistant à faire comparer deux droites avec dépassements égaux par rapport à la circonférence entiÚre (VI) et la troisiÚme à procéder comme dans le dispositif I-II mais avec un angle de 135° entre les deux segments de droite (III-IV).
Les dispositifs VA et VB nâont rien fourni de dĂ©cisif Ă 6-9 ans, les rĂ©actions Ă©tant les mĂȘmes Ă ces Ăąges avec de petits arcs quâavec la circonfĂ©rence entiĂšre. Les rĂ©sultats obtenus prĂ©sentent par contre cet intĂ©rĂȘt de montrer chez les petits de 4-5 ans une sensibilitĂ© aux rĂ©fĂ©rences constituĂ©es par les arcs non observĂ©e avec le cercle entier, et qui parle par consĂ©quent en faveur de lâhypothĂšse du dĂ©passement (tabl. VI : 20 sujets par groupes dâĂąges) :
Tabl. VI. Pourcentage des estimations des droites dans le dispositif V (arcs de cercles : entre parenthÚses les réactions pour VB) :
| Sans dépassement | Avec dépassement | |||||
| M | E | I | M | E | I | |
| 4-5 ans .. | 15 | 80 | 5 | 30 | 15 | 55 |
| 6-7 » .. | 5(10) | 90 (85) | 5(5) | 20(15) | 15 (15) | 65 (70) |
| 8-9 » . . | 5(10) | 95 (90) | 0(0) | 25 (20) | 15 (20) | 60 (60) |
Â
Mais on pourrait se demander si, Ă identitĂ© de rĂ©actions (6-9 ans) le sujet perçoit les arcs comme des parties dâun cercle ou sâil ne juge que dâaprĂšs le dĂ©passement. Nous avons donc fait un sondage sur 4 sujets de 4-5 ans, 5 de 6-7 ans et 5 de 8-9 ans en remplaçant les arcs de cercle par de petits traits verticaux (perpendiculaires aux droites Ă estimer). Les rĂ©actions ont Ă©tĂ©, pour chaque sujet, qualitativement identiques Ă celles provoquĂ©es par les figures V.
Le dispositif VI a fourni, dâautre part, un rĂ©sultat paradoxal et instructif : Ă dĂ©passements Ă©gaux par rapport Ă un cercle (chacune des deux droites Ă comparer sur la mĂȘme figure dĂ©passe donc le cercle de la mĂȘme valeur) tous les jugements ne sont pas dâĂ©galité ! (Tabl. VII : 10 sujets par groupe dâĂąge) :
Lâexistence des jugements dâinĂ©galitĂ© pourrait dâabord sâinterprĂ©ter comme due Ă une mauvaise perception de la figure : mais lâestimation est la mĂȘme en vision libre chez les sujets considĂ©rĂ©s. Dâautre part, la latĂ©ralisation pourrait jouer un
[p. 137]rĂŽle, mais qui ne sâaccorde pas avec lâĂ©volution observĂ©e avec lâĂąge. En effet lâintĂ©rĂȘt du tabl. VII est dâindiquer un maximum dâerreurs (inĂ©galitĂ©s) Ă 6-7 ans, câest-Ă -dire Ă lâĂąge oĂč le cercle constitue une fausse rĂ©fĂ©rence (voir tabl. V), tandis quâĂ 4-5 ans la rĂ©fĂ©rence nâest pas utilisĂ©e et quâĂ 8-9 ans elle est utilisable.
Tabl. Vil. Pourcentage des réactions au dispositif VI (double dépassement : entre parenthÚses les jugements gauche>droite) :
| M | E | 1 | |
| 4-5 ans | 50 | 30 | 20 (10) |
| 6-7 » | âŠ. 10 | 20 | 70 (20) |
| 8-9 » | 60 | 20 | 20 |
Â
Nous avons en outre fait un sondage sur 3 sujets de 4-5 ans, 4 de 6-7 ans et 3 de 8-9 ans au moyen dâune figure VII oĂč les deux droites Ă comparer, au lieu de dĂ©passer le cercle chacune de son cĂŽtĂ©, ne lâatteignent pas, leurs extrĂ©mitĂ©s Ă©tant sĂ©parĂ©es de la circonfĂ©rence par de petits intervalles vides Ă©gaux. Les rĂ©sultats ont Ă©tĂ© identiques Ă ceux du double dĂ©passement.
Enfin les dispositifs III-IV, destinĂ©s Ă examiner lâeffet du cercle indĂ©pendamment de lâorientation des droites ont fourni eux aussi des rĂ©sultats instructifs (tabl. VIII) :
Tabl. VIU. Réactions aux dispositifs III-IV
(135° entre les droites) :
| M | Sans dépassement | |||||
| Sans cercle | Avec cercle | |||||
| E | I | M | E | I | ||
| 4-5 ans | 80 | 5 | 15 | 80 | 5 | 15 |
| 6-7 » | 85 | 10 | 5 | 70 | 20 | 10 |
| 8-9 » | 90 | 0 | 10 | 40 | 55 | 5 |
| Avec dépassement | ||||||
| Sans cercle | Avec cercle | |||||
| M | E | I | M | E | I | |
| 4-5 ans | 70 | 10 | 20 | 85 | 10 | 5 |
| 6-7 » | 80 | 10 | 10 | 75 | 15 | 10 |
| 8-9 » | 85 | 5 | 10 | 40 | 10 | 50 |
N comparer ces rĂ©sultats avec ceux du tabl. V (dispositif I-II), on note une diffĂ©rence intĂ©ressante : ce nâest cette fois quâĂ 8-9 ans que la prĂ©sence du cercle modifie les estimations, tandis quâĂ 6-7 ans encore les petites fluctuations observĂ©es nâont rien de significatif. Cette diffĂ©rence entre les rĂ©actions de 6-7 et de 8-9 ans comporte alors deux enseignements. En premier lieu, dans la mesure oĂč le cercle nâexerce pas la mĂȘme influence en ces deux groupes dâĂąge câest Ă©videmment chez les aĂźnĂ©s que cette action doit tenir plus Ă la forme gĂ©omĂ©trique comme telle, tandis que les cadets lorsquâils rĂ©agissent au cercle de rĂ©fĂ©rence demeureraient alors plus sensibles au simple dĂ©passement. En second lieu si ces derniers restent insensibles, dans le cas particulier, Ă la prĂ©sence du cercle, câest sans doute quâil suffit de comparer une oblique Ă une horizontale pour que ce facteur dâinĂ©galitĂ© ou dâindĂ©cision domine le dĂ©passement lui-mĂȘme.
Au total, nous pouvons conclure de ces divers faits Ă lâexistence de trois stades, comparables Ă ceux du § 2 du point de vue du mĂ©canisme des prĂ©infĂ©rences, mais un peu moins nettement distincts.
Au cours dâun stade 1 (4-5 ans), il nây a pas encore dâutilisation des cercles de rĂ©fĂ©rence, ni en tant que cercles ni mĂȘme en tant que marquant un dĂ©passement. DĂšs 5 ans, par contre, on assiste Ă une rĂ©action aux arcs de cercle (tabl. VI) ainsi quâune lĂ©gĂšre rĂ©action aux dispositifs dĂ©centrĂ©s (II : tabl. V), tandis quâil nây en a toujours pas au dispositif normal (tabl. IV). Cette rĂ©action diffĂ©rentielle aux arcs de cercle semble alors indiquer un dĂ©but dâaction du schĂšme du dĂ©passement.
Au cours du stade II (6-7 ans) la rĂ©action aux cercles et aux arcs devient nette (tabl. IV-VII) sauf pour la comparaison dâune oblique et dâune horizontale (tabl. VIII) ce qui paraĂźt imposer lâinterprĂ©tation selon laquelle le cercle agit surtout en fonction du schĂšme de dĂ©passement et non pas en fonction de lâĂ©galitĂ© des rayons. Il est donc inutile, dans le cas des dispositifs dĂ©centrĂ©s (tabl. V) de faire appel Ă un masquage perceptif de ce facteur ou du moins si lâattention portĂ©e sur la circonfĂ©rence empĂȘche le sujet de percevoir lâexcentricitĂ© du point de section des droites, câest alors sous lâinfluence du dĂ©passement.
Au cours du stade III (8-9 ans), le cercle agit enfin comme « bonne forme » secondaire,1 y compris la relation dâĂ©galitĂ©
1 Les « bonnes formes » primaires ou effets de champ se doublent à un niveau donné de schÚmes « secondaires » relevant de comparaisons actives et transférables. Voir à ce sujet J. Piaget, F. Maire et F. Privùt, Arch. ae Psychol., Rech. XVIII.
[p. 139]des rayons : lâapparition de cette nouvelle rĂ©action se reconnaĂźt Ă lâabsence dâinfluence du cercle dans le cas des points de section dĂ©centrĂ©s (tabl. V) ainsi quâĂ la rĂ©action au dispositif III-IV (tabl. VIII), rĂ©action non gĂ©nĂ©rale encore mais bien distincte de celle de 6-7 ans.
Du point de vue des prĂ©infĂ©rences, nous aboutissons alors Ă des conclusions parallĂšles Ă celles du § 2. Il y a prĂ©infĂ©rences dĂšs lâaction du schĂšme de dĂ©passement, mais elles se modifient lorsque les droites ne sont plus comparĂ©es du seul point de vue de leurs points dâarrivĂ©e sur la circonfĂ©rence (ou sur les arcs), mais Ă©galement de celui de leur point dâorigine au centre du cercle, donc lorsquâau dĂ©passement se substitue un schĂšme gĂ©omĂ©trique. Mais, tant le schĂšme du dĂ©passement, qui est un schĂšme dâordre intĂ©ressant â.âaction entiĂšre, que le schĂšme gĂ©omĂ©trique du cercle, influencĂ© par les opĂ©rations logico- mathĂ©matiques, sortent des frontiĂšres de la pure perception. Nous nous retrouvons donc, comme Ă propos des correspondances, en prĂ©sence dâun schĂ©matisme agissant sur la perception mais de nature plus gĂ©nĂ©rale, sensori-motrice en sa source et opĂ©ratoire en ses terminaisons. Il nâen reste pas moins que les processus infĂ©rentiels en jeu relĂšvent des prĂ©infĂ©rences perceptives et non pas (ou pas exclusivement) des infĂ©rences reprĂ©sentatives, puisquâils modifient les estimations pour des diffĂ©rentes infraliminaires et selon des rĂ©gularitĂ©s dĂ©pendant Ă©troitement du dispositif figurai prĂ©sentĂ© autant que du niveau de dĂ©veloppement des sujets.
§ 4. Lâestimation des diffĂ©rences entre les Ă©lĂ©ments
dâune configuration sĂ©rialeđ
AprĂšs avoir examinĂ© la formation de prĂ©infĂ©rences agissant en sens unique sur lâestimation perceptive Ă partir dâun schĂšme liĂ© lui-mĂȘme Ă des Ă©lĂ©ments de rĂ©fĂ©rence entiĂšrement donnĂ©s, cherchons maintenant Ă analyser un cas un peu plus complexe : dâune part, la rĂ©fĂ©rence Ă laquelle va tĂŽt ou tard recourir le sujet ne consistera plus en Ă©lĂ©ments donnĂ©s, mais en une simple ligne virtuelle ; dâautre part, et par consĂ©quent, lâinfĂ©rence agira dans le double sens de lâestimation perceptive au schĂšme aussi bien que du schĂšme Ă lâestimation perceptive.
Dans une configuration sériale constituée par une suite de tiges verticales (suite de 40 cm. de long) placées à distances égales, et dont les hauteurs présentent des différences soit constantes (ligne des sommets formant une droite), soit croissantes
[p. 140](ligne des sommets formant une courbe parabolique concave) soit dĂ©croissantes (ligne des sommets formant une courbe parabolique convexe), on demande au sujet de comparer la diffĂ©rence entre deux tiges proches Ă la diffĂ©rence entre deux autres tiges proches, mais situĂ©es dans une partie de la sĂ©rie plus ou moins distante du premier couple : en ce cas trois complications nouvelles interviennent en oppostion avec les dispositifs prĂ©cĂ©dents (§ 2 et 3), lâune relative Ă la grandeur du dispositif qui retarde les perceptions correctes dâensemble, la seconde relative aux termes Ă comparer et la troisiĂšme Ă la rĂ©fĂ©rence Ă laquelle peut recourir cette comparaison.
En ce qui concerne la comparaison elle-mĂȘme il sâagit maintenant, non plus de comparer deux quantitĂ©s (§ 2) ou deux grandeurs simples (§ 3) mais deux diffĂ©rences (la diffĂ©rence entre deux tiges et la diffĂ©rence entre deux autres), ce qui revient Ă estimer la diffĂ©rence entre deux diffĂ©rences : or, si un tel problĂšme demeure naturellement perceptif, pusque chacune des deux diffĂ©rences Ă comparer donne lieu Ă une perception directe, il faut dâabord que le sujet comprenne la consigne, et cette comprĂ©hension suppose une reprĂ©sentation prĂ©alable soulevant les difficultĂ©s suivantes qui peuvent ne pas influencer la perception, mais qui pourraient aussi exercer une action indirecte sur elle. Il se trouve, en effet, que, selon une rĂ©action souvent rencontrĂ©e dĂ©jĂ en dâautres expĂ©riences, lâenfant de 4-6 ans parvient mal Ă diffĂ©rencier la Hauteur absolue des tiges et leur hauteur diffĂ©rentielle, de telle sorte quâil a tendance Ă considĂ©rer la diffĂ©rence entre deux grandes tiges comme plus considĂ©rable quâentre deux petites, du seul fait quâelles sont plus grandes. Il ne sâagit pas lĂ dâun malentendu verbal, mais dâune indiffĂ©renciation relative entre lâordre des points dâarrivĂ©e et lâintervalle, indiffĂ©renciation analogue Ă celle qui fait juger de la longueur par le dĂ©passement (§ 3) et que nous avons observĂ©e chez le 66 % encore des sujets de 5 ans : lorsque, pour mieux faire comprendre la comparaison des deux diffĂ©rences, nous dĂ©crivons celles-ci sous le nom de « pas » et Ă©voquons les « pas » quâil faut faire pour gravir un escalier (en conduisant parfois lâenfant sur un escalier rĂ©el), il arrive mĂȘme que les petits croient les marches supĂ©rieures de lâescalier plus grandes que les infĂ©rieures ! Or, cette tendance Ă croire plus grande la diffĂ©rence entre deux grandes tiges quâentre deux petites nâa naturellement pas dâorigine perceptive, puisquâelle est contraire Ă la loi de Weber : elle tient au primat de la notion dâordre dans lâespace topologique reprĂ©sentatif des jeunes enfants. Mais, dans le cas particulier, une telle confusion peut agir indirecte-
[p. 141]ment sur la perception en gĂȘnant, par exemple, la construction de la ligne des sommets, notamment pour les paraboles.
Une autre complication qui intervient en cette expĂ©rience tient au fait que la rĂ©fĂ©rence Ă laquelle le sujet doit pouvoir recourir dans ses comparaisons Ă distance, autrement dit la ligne des sommets des tiges de la sĂ©rie ne consiste pas en un objet rĂ©el telles que les barres reliant les jetons dans lâexpĂ©rience de la correspondance (§ 2) ou le cercle de la figure Ă©tudiĂ©e au § 3, mais ne constitue quâune ligne virtuelle, puisque cette ligne des sommets nâest pas dessinĂ©e. Cette situation soulĂšve alors la question des relations entre la perception et la reprĂ©sentation. La rĂ©fĂ©rence fournie par la ligne des sommets dĂ©pend, en effet, de deux facteurs quâil nous faut distinguer dĂšs maintenant (et le problĂšme reste ouvert de dĂ©terminer leurs relations) : dâune part, la perception de la figure, en tant que perception simultanĂ©e de tous les Ă©lĂ©ments, de leur ligne de base et de leur ligne de sommets, mais sans que cette derniĂšre ligne (qui est donc virtuelle) soit nĂ©cessairement « analysĂ©e », câest-Ă -dire remarquĂ©e et perçue correctement ; dâautre part, la comprĂ©hension de la figure, se traduisant en paroles ou en gestes (par exemple, un geste de la main imitant la ligne droite et ascendante des sommets en cas de diffĂ©rences Ă©gales ou la parabole concave ou convexe en cas de diffĂ©rences croissantes ou dĂ©croissantes). Or, il est clair que si la perception de la figure agit sur sa comprĂ©hension, celle-ci, quoique de nature Ă la fois sensori-motrice et reprĂ©sentative, peut modifier en retour la perception elle-mĂȘme, conformĂ©ment par exemple au schĂ©ma que F. Bresson expose dans le chapitre suivant de ce volume.
Il rĂ©sulte donc de cette situation relative Ă la ligne des sommets que les processus infĂ©rentiels en jeu dans cette expĂ©rience seront dâune certaine complexitĂ© et sâĂ©tageront entre les prĂ©infĂ©rences proprement perceptives et les infĂ©rences reprĂ©sentatives ou mĂȘme opĂ©ratoires, puisque le schĂ©ma de la figure sera plus ou moins Ă©laborĂ© en fonction non seulement de sa perception mais aussi de sa comprĂ©hension et que câest Ă partir de ce schĂšme que sâeffectuent les prĂ©infĂ©rences ou les infĂ©rences.
Mais il y a plus et mieux. Du moment que la ligne des sommets nâest que virtuelle et nĂ©cessite une construction de la part du sujet, nous pouvons alors entretenir lâespoir dâassister Ă une partie au moins de cette construction, et ceci est dâun grand intĂ©rĂȘt du point de vue de la formation et du mĂ©canisme des prĂ©infĂ©rences. En effet tandis que dans les expĂ©riences prĂ©cĂ©dentes, la rĂ©fĂ©rence Ă©tait donnĂ©e (les barres au § 1 et le
[p. 142]cercle au § 2), ce qui limitait les prĂ©infĂ©rences au sens unique conduisant du schĂšme (attachĂ© Ă la perception de la rĂ©fĂ©rence) Ă lâestimation perceptive (nombre des jetons ou longueur des droites Ă comparer), dans la prĂ©sente expĂ©rience oĂč la rĂ©fĂ©rence est Ă construire, nous pouvons alors nous attendre Ă lâintervention de deux sortes au moins dâinfĂ©rences ou de prĂ©infĂ©rences : celles qui conduisent des perceptions de dĂ©tail, non encore structurĂ©es, Ă lâĂ©laboration du schĂšme de rĂ©fĂ©rence, et celles qui reviennent du schĂšme, une fois Ă©laborĂ©, aux estimations de dĂ©tail. Câest lĂ la nouveautĂ© essentielle de cette troisiĂšme expĂ©rience par rapport aux deux premiĂšres.
Seulement câest prĂ©cisĂ©ment en ce double mouvement conduisant des estimations perceptives au schĂšme et lâinverse, que se manifeste la complexitĂ© dont nous parlions Ă lâinstant, due Ă la gamme des intermĂ©diaires possibles entre la prĂ©infĂ©rence perceptive et lâinfĂ©rence reprĂ©sentative. Nous serons donc contraints, pour chacune des catĂ©gories de processus infĂ©rentieis classĂ©s dâaprĂšs leur direction (du schĂšme Ă lâestimation de dĂ©tail ou lâinverse ou dâune estimation locale Ă une autre sans passer par le schĂšme dâensemble), Ă distinguer Ă©galement des Ă©tages diffĂ©rents selon la relation entre la perception et la reprĂ©sentation : dâoĂč la nĂ©cessitĂ© dâune table Ă double entrĂ©e, selon les deux dimensions de la direction du processus infĂ©- rentiel et de son niveau hiĂ©rarchique entre la prĂ©infĂ©rence perceptive et lâinfĂ©rence opĂ©ratoire.
Mais pour construire une telle table, ces considérations générales ne sauraient nous suffire, et il nous faut maintenant, pour analyser les catégories réelles que nous allons chercher à établir, fournir les critÚres dont nous disposons pour les distinguer.
En ce qui concerne la direction des processus inférentieis, nous pouvons utiliser trois sortes de critÚres :
(1) En premier lieu nous pouvons, en demandant au sujet de comparer deux diffĂ©rences soit entre couples proches dâĂ©lĂ©ments soit surtout entre couples distants, constater sâil Ă©prouve le besoin, pour faire cette comparaison, dâun transport perceptif direct dâun couple sur lâautre sans sâoccuper de la ligne des sommets, ou au contraire sâil se rĂ©fĂšre Ă celle-ci pour estimer lâĂ©galitĂ© ou la non-Ă©galitĂ© des deux diffĂ©rences. En ce second cas il y aura donc prĂ©infĂ©rence perceptive ou infĂ©rence reprĂ©sentative Ă partir dâun schĂšme dâensemble, tandis que dans le premier cas il nâintervient pas de processus infĂ©rentiel de ces formes. Il peut arriver en outre que le sujet commence par
[p. 143]un simple transport et en vienne peu à peu à utiliser un tel processus, ce qui nous instruira éventuellement sur son mode de formation.
(2) En second lieu le sujet peut, soit spontanĂ©ment, soit lorsquâon lui demande la description de la ligne des sommets, attribuer Ă celle-ci ou bien une seule forme rĂ©guliĂšre, ou bien une rĂ©partition en deux zones, lâune rectiligne et lâautre convexe (ou concave). En ce dernier cas, un critĂšre instructif consiste Ă Ă©tablir si la frontiĂšre entre la partie rectiligne et la partie convexe de la courbe des sommets reste stable ou se dĂ©place au fur et Ă mesure des comparaisons de dĂ©tail. Si cette frontiĂšre se dĂ©place, câest Ă©videmment quâil y a action des comparaisons locales sur la forme globale et il y a lĂ matiĂšre Ă infĂ©rences ou prĂ©infĂ©rences Ă©ventuelles. Il peut arriver en outre que la partie jugĂ©e initialement rectiligne de la courbe finisse par disparaĂźtre au profit dâune forme dâensemble parabolique : cette disparition elle aussi tĂ©moignera de processus infĂ©rentiels, dans le sens dâune gĂ©nĂ©ralisation prĂ©inductive ou inductive.
(3) En troisiĂšme lieu les comparaisons locales (dâun couple au suivant) peuvent ĂȘtre cohĂ©rentes entre elles ou incohĂ©rentes. Un critĂšre instructif sera alors fourni par le maintien de lâincohĂ©rence ou au contraire par lâextension de la cohĂ©rence, soit Ă une zone restreinte soit Ă lâensemble de la figure. On peut assister en ce dernier cas (mais pas nĂ©cessairement) Ă un passage de la cohĂ©rence graduelle Ă la construction dâune ligne des sommets. Il est intĂ©ressant, en outre, de comparer Ă cet Ă©gard la cohĂ©rence dans les figures Ă Ă©lĂ©ments plus espacĂ©s et dans les figures Ă Ă©lĂ©ments serrĂ©s.
Quant au niveau des processus infĂ©rentiels du point de vue de la perception ou de la reprĂ©sentation, il est relativement facile de distinguer les infĂ©rences opĂ©ratoires dâaprĂšs la description de la courbe des sommets et la quantification intensive des diffĂ©rences (jugĂ©es Ă©gales, croissantes ou dĂ©croissantes). Mais il est beaucoup plus malaisĂ© de diffĂ©rencier les infĂ©rences reprĂ©sentatives prĂ©opĂ©ratoires des prĂ©infĂ©rences perceptives. Le critĂšre le plus fin dont nous disposions pour Ă©tablir quâil intervient un processus perceptif est la modification du seuil diffĂ©rentiel dans les comparaisons, mais Ă condition de pouvoir sâassurer que le sujet cherche bien Ă dĂ©crire ce quâil perçoit et non pas seulement ce quâil admet par interprĂ©tation. Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, le niveau des processus infĂ©rentiels dĂ©pendant de la nature des schĂšmes en prĂ©sence, câest lâanalyse de celle-ci qui nous renseigne surtout, et nous pouvons lâobtenir en corn-
[p. 144]parant entre eux les jugements locaux, la perception globale de la figure et la description de la ligne des sommets.
Cela dit, nous distinguerons aiors trois directions possibles dans lâorientation des processus infĂ©rentiels, en dĂ©signant sous le terme de « parties » les estimations locales (comparaison dâune diffĂ©rence de deux Ă©lĂ©ments Ă une autre) et « tout » la perception dâensemble :
I. Les passages de partie au tout tels quâon les observe dans la construction de la ligne des sommets. Ces passages ne sont en principe pas nĂ©cessairement infĂ©rentiels puisquâon pourrait les concevoir comme une composition immĂ©diate dâenregistrements simultanĂ©s. Mais il va de soi que pour des sĂ©ries de 17 (et a fortiori de 81) tiges se distribuant sur 40 cm. de longueur, le sujet nâeffectue cette composition quâen fonction dâun Ă©chantillonnage et introduit par consĂ©quent des Ă©lĂ©ments de dĂ©cision et de gĂ©nĂ©ralisation caractĂ©risant les processus infĂ©rentiels de caractĂšre inductif. Si nous nous rĂ©fĂ©rons Ă notre dĂ©finition de la prĂ©infĂ©rence (voir chap. II de ce fascicule, § 5) les Ă©lĂ©ments a sont alors les enregistrements effectifs, les Ă©lĂ©ments b sont les relations ajoutĂ©es par le sujet pour corriger, relier entre eux ou gĂ©nĂ©raliser (cohĂ©rence, etc.) ces enregistrements et la rĂ©sultante c est la forme dâensemble.
II. Les passages du tout Ă la partie, tels quâon les constate lorsque, pour comparer deux diffĂ©rences, le sujet recourt au schĂšme dĂ©jĂ Ă©laborĂ© de la ligne des sommets. En ce cas le processus est de caractĂšre dĂ©ductif ou prĂ©dĂ©ductif, les Ă©lĂ©ments a Ă©tant les enregistrements effecitfs, b Ă©tant le schĂšme appliquĂ© et c la comparaison locale demandĂ©e.
III. Les passages de la partie Ă la partie, sans recours au tout : câest ce qui se produit lorsque le sujet, partant dâune estimation locale (une seule diffĂ©rence), lâextrapole pour en tirer une autre sans nouvel enregistrement adĂ©quat ni recours Ă la ligne des sommets.
On ne saurait par contre prĂ©voir un cas IV qui serait le passage du tout au tout car les modifications de la forme dâensemble ne sâeffectuent pas sans recours Ă de nouvelles estimations locales.
Quant aux niveaux 0, 1, 2, etc. des mĂȘmes processus infĂ©rentiels, nous constatons que tous les casiers possibles de la table Ă double entrĂ©e ne sont pas nĂ©cessairement occupĂ©s. Les passages de la partie au tout (I) peuvent donner lieu Ă toutes les variĂ©tĂ©s Io, h, h, etc., selon que les passages ne comportent
[p. 145]pas de processus infĂ©rentiels, ou constituent des prĂ©infĂ©rences de diffĂ©rents niveaux, etc. Les passages II, par contre, ne comportent pas de combinaison IIo puisquâils impliquent un processus dĂ©ductif ou prĂ©dĂ©ductif. RĂ©ciproquement les passages III ne sauraient atteindre les niveaux opĂ©ratoires possibles puisquâils ne peuvent ĂȘtre que perceptifs ou relever de reprĂ©sentations prĂ©opĂ©ratoires.
Pour montrer lâexistence et dĂ©terminer les niveaux effectifs de ces catĂ©gories I Ă III, examinons alors les quelques rĂ©sultats quantitatifs dont nous disposons, moins nombreux malheureusement quâon aurait pu souhaiter, car le degrĂ© dâapproximation nĂ©cessaire pour dĂ©mĂȘler le dĂ©tail ne sâatteint en gĂ©nĂ©ral quâavec lâinterrogation libre (« clinique ») de chaque cas individuel, la quantification de ce dĂ©tail intĂ©ressant devenant alors impossible.
Voici dâabord les faits bruts de rĂ©ussites ou dâĂ©checs aux comparaisons des diffĂ©rences, soit Ă distance soit proches (dans les parties infĂ©rieures ou supĂ©rieures) des sĂ©ries Ă 81 Ă©lĂ©ments (tabl. IX) :
Tabl. IX. Pourcentage des réponses justes de comparaisons dans les séries de 81 éléments : 1
(Entre parenthĂšses les rĂ©ponses hĂ©sitantes, câest-Ă -dire fournissant deux des trois possibilitĂ©s â , > ou <. Ci = comparaisons entre couples contigus dans la partie infĂ©rieure Ă lâĂ©lĂ©ment 41 ; Cs= id. dans la partie supĂ©rieure ; Cd = comparaisons Ă distance.)
| Ligne des sommets âŠ. | Ci | Convexe Cs | Cd |
| 5 ans (20) | 25(12) | 0(0) | 22(11) |
| 6 » (17) | 20 (40) | 12(25) | 62 (25) |
| 7 » (31) | 55 (45) | 35(17) | 76 (24) |
| 8 » (26) | 50 (50) | 13(18) | 75 (25) |
| 9 » (25) | 75 (20) | 4(13) | 76 (24) |
| 10 ; 0 Ă 11 ; 3 (20) âŠ. | 57 (43) | 36 (26) | 100 (0) |
1 Entre parenthÚses, aprÚs les ùges : le nombre des sujets.
2 Ces rĂ©ponses hĂ©sitantes sâajoutent aux rĂ©ponses justes. Par exemple, 25 (12) signifie 63 % de rĂ©ponses fausses et 0 (0) = 100 % de rĂ©ponses fausses.
[p. 146]| Ligne d | les sommets âŠ. | Ci | Concave Cs | Cd |
| 5 ans | (20) | 60 (20) | 66 (0) | 60 (30) |
| 6 » | (17) | 54(9) | 60 (20) | 65 (34) |
| 7 » | (31) | 28 (32) | 77(18) | 88 (0) |
| 8 » | (26) | 25(15) | 63 (25) | 46(11) |
| 9 » | (25) | 36 (36) | 57 (35) | 85 (0) |
Â
| Ligne des sommets âŠ. | Ci | Rectiligne Cs | Cd |
| 5 ans (20 | 12(12) | 0(0) | 20 (20) |
| 6 » (17) | 40 (30) | 20 (20) | 16(33) |
| 7 » (31) | 27 (27) | 38(11) | 33 (3) |
| 8 » (26) | 40(16) | 50 (0) | 37 (26) |
| 9 » (25) | 72(13) | 54 (9) | 45(13) |
| 10 ; 0 Ă 11 ; 3 (20) âŠ. | 45 (27) | 66(11) | 60 (0) |
Â
Par analyse individuelle des cas, examinĂ©s cette fois sur les figures Ă 17 Ă©lĂ©ments (et sans la figure dont les rĂ©sultats sont irrĂ©guliers avec lâĂąge Ă cause de la confusion des diffĂ©rences absolues et relatives), nous avons obtenu les rĂ©sultats suivants (tabl. X) en ce qui concerne les principales rĂ©actions en jeu.
Signalons dâabord, pour lâintelligibilitĂ© du tabl. X que la forte cohĂ©rence (72) correspondant au niveau de 7 ans pour la figure convexe tient au fait que la courbe des sommets est alors dĂ©crite comme rectiligne dans la zone considĂ©rĂ©e. Dâautre part les questions dâextrapolation perceptive (Ep) ne se posent pas dans le cas de la figure rectiligne puisque les diffĂ©rences de diffĂ©rences sont nulles. Enfin la question Pg est posĂ©e au dĂ©but de lâinterrogation et la question Ds Ă la fin, dâoĂč lâapparente contradiction des rĂ©sultats 15 et 27 Ă 7 ans pour la figure rectiligne.
Cela dit, nous retrouvons dans ce tabl. X, les processus infĂ©rentiels dĂ©crits plus haut comme passages de la partie Ă la partie (III), qui sont les extrapolations perceptives signalĂ©es Ă propos de la figure convexe et qui disparaissent dĂšs 9 ans. Nous retrouvons aussi les processus dĂ©ductifs (passages du tout Ă la partie : II), qui augmentent avec lâĂąge et dont il nous reste Ă dĂ©terminer les diffĂ©rents niveaux. Quant aux processus inductifs (passages de la partie au tout : I), on ne peut les isoler parce quâils ne correspondent pas comme les prĂ©cĂ©dents Ă des
[p. 147]notations explicites de la part du sujet, et la question prĂ©alable est alors de savoir sâils existent rĂ©ellement et dans lesquelles des rĂ©actions indiquĂ©es (cohĂ©rence, perception globale correcte ou description exacte de la ligne des sommets) ils se manifestent : dans lâhypothĂšse que nous allons chercher Ă justifier, ces rĂ©actions constitueraient alors de simples rĂ©sultantes, tandis que ces processus I en seraient les (ou une partie des) processus formateurs.
Table X. Pourcentage des réactions dans les séries
à 17 éléments :
(Pg = perception globale correcte ; Ds = description correcte de la ligne des sommets ; Ep = extrapolations perceptives ; Pd = processus déductifs ; Co = cohérence.)
| Convexe | ||||||
| Pg | Ds | Ep | Pd | Co | ||
| 6 | ans | 0 | 0 | 10 | 0 | 10 |
| 7 |  » | 37 | 0 | 39 | 0 | 72 |
| 8 |  » | 40 | 0 | 44 | 0 | 43 |
| 9 |  » | 67 | 18 | 0 | 6 | 60 |
| 10 |  » | 100 | 37 | 0 | 28 | 67 |
Â
| Rectiligne | |||||
| pg | Ds | Pd | Co | ||
| 6 | ans | 0 | 0 | 0 | 0 |
| 7 |  » | 15 | 27 | 25 | 14 |
| 8 |  » | 40 | 33 | 33 | 54 |
| 9 |  » | 55 | 47 | 47 | 83 |
| 10 |  » | 100 | 89 | 89 | 100 |
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De la seule Ă©volution des descriptions de la ligne des sommets (Ds) nous ne pouvons rien tirer au sujet de ces processus I puisquâil sâagit dâun schĂšme achevĂ© Ă partir duquel sâorientent les processus dĂ©ductifs (II) : on note, en effet, lâĂ©troite corrĂ©lation des colonnes Ds et Pd (Ă 7â mĂȘme identiques pour la figure rectiligne). Mais cela ne supprime en rien les problĂšmes de savoir comment se forme ce schĂšme et pourquoi sa formation est si progressive et si tardive, alors quâil semble au premier abord correspondre Ă une simple lecture perceptive. Sans doute nous demandons ici aux enfants une description en paroles ou 148 LOGIQUE ET PERCEPTION par gestes, donc une reprĂ©sentation, mais celle-ci pourrait ĂȘtre conçue comme une traduction directe des donnĂ©es perceptives. Sâil nâen est rien (puisquâil y a Ă©volution si nette avec lâĂąge) câest donc quâil y a dans ce schĂšme de la ligne des sommets beaucoup plus quâun simple enregistrement perceptif. Il sâagit alors de savoir ce qui sây ajoute.
Il sây ajoute dâabord les deux facteurs opĂ©ratoires dĂ©jĂ citĂ©s (distinction des diffĂ©rences absolues et relatives et quantification intensive de ces diffĂ©rences), sans quoi on sâexpliquerait mal une constitution si tardive. Mais ces deux facteurs intĂ©ressent davantage les infĂ©rences dĂ©ductives qui sâeffectuent Ă partir du schĂšme de la ligne des sommets que sa constitution elle-mĂȘme. Dâune part, en effet, il ne suffit pas de distinguer les diffĂ©rences absolues et relatives pour construire une ligne correcte des sommets et, dâautre part, cette distinction intervient dans lâinterprĂ©tation et dans lâapplication notionnelles de la reprĂ©sentation de cette ligne plus que dans son apprĂ©henison : preuve en soit que, dans dâautres recherches on trouve Ă 5 et 6 ans dĂ©jĂ 55 et 73 % de sujets qui savent anticiper correctement par le dessin une sĂ©riation de 10 rĂ©glettes de 10 Ă 16 cm., en faisant figurer une ligne rĂ©guliĂšre des sommets, tandis que 6 et 22 % seulement des mĂȘmes sujets rĂ©ussissent ensuite la sĂ©riation opĂ©ratoire ! 1 Quant aux quantifications intensives des diffĂ©rences, il en est de mĂȘme : ces diffĂ©rences peuvent aussi ĂȘtre imaginĂ©es et dessinĂ©es avant dâĂȘtre manipulĂ©es opĂ©ratoirement comme le prouvent les anticipations citĂ©es Ă lâinstant.
Si donc on peut admettre que les facteurs opĂ©ratoires sont nĂ©cessaires pour lâachĂšvement du schĂšme de la ligne des sommets, 2 ils ne sauraient suffire et il faut invoquer pour expliquer les phases initiales de cette construction lâintervention de facteurs perceptifs de niveau supĂ©rieur aux purs enregistrements mais infĂ©rieur Ă la reprĂ©sentation : ces facteurs sont alors fournis par la perception globale de la figure (colonne Pg du tabl. X), dont lâĂ©volution est Ă©galement trĂšs progressive et prĂ©cĂšde rĂ©guliĂšrement celle de la ligne des sommets, comme si cette derniĂšre ligne Ă©tait en partie abstraite de cette perception dâensemble mais avec correction et reconstitution opĂ©ratoires dâautant plus indispensables quâil sâagit dâune ligne « virtuelle ».
1 Voir lâouvrage que lâun de nous prĂ©pare avec B. Inhblder sur la genĂšse des opĂ©rations de classification et de sĂ©riation.
2 Quant au caractÚre tardif de ces structurations par rapport au niveau de sept-hult ans des premiÚres sériations opératoires, il y a naturellement décalage en fonction du nombre des éléments, de la petitesse des différences, de la forme des courbes et surtout de la grandeur des figures.
[p. 149]En rĂ©sumĂ© lâĂ©volution de la ligne des sommets ne saurait sâexpliquer ni par les seuls facteurs dâenregistrement perceptif ni par les seuls facteurs opĂ©ratoires, et elle suppose une colla- boratâon des deux : cela revient alors Ă dire que la construction dâun tel schĂšme comporte une zone intermĂ©diaire entre le pur donnĂ© et la structuration reprĂ©sentative, zone intermĂ©diaire dans laquelle sâeffectuent les coordinations entre les diffĂ©rences locales et les premiĂšres gĂ©nĂ©ralisations inductives.
Lâexistence de cette zone intermĂ©diaire est, dâautre part, attestĂ©e nar le dĂ©veloppement des perceptions globales, puisque sur ce point aussi il y a Ă©volution graduelle, ce qui exclut toute rĂ©duction aux seuls facteurs primaires dâenregistrement et dâeffets de champ. Câest donc sur le terrain des perceptions globales correctes quâil faut sans doute situer les prĂ©infĂ©rences de type I avec passage inductif des estimations locales Ă la forme dâensemble. En effet, la perception globale de la figure provient de sources indĂ©pendantes de la reprĂ©sentation puisquâelle procĂšde des enregistrements perceptifs ; et cependant, dans les conditions que nous avons choisies quant Ă la composition des sti- muli, elle nâa plus rien dâune simple « bonne forme » comme sont les sĂ©ries plus simples, Ă diffĂ©rences plus accusĂ©es et surtout de dimensions plus restreintes. Elle comporte donc un mode de composition encore perceptif mais dĂ©passant le pur enregistrement. En un tel cas, il ne peut alors sâagir que dâune coordination graduelle des estimations locales et comme il est exclu que, dans une figure de 32X40 cm. Ă 17 ou 81 Ă©lĂ©ments toutes les diffĂ©rences soient perçues, et simultanĂ©ment, il faut bien que les estimations effectives soient reliĂ©es par des Ă©bauches de gĂ©nĂ©ralisation inductive sur le terrain mĂȘme de la perception globale. Câest pourquoi lâĂ©volution de ces Pg du tabl. X nous paraĂźt constituer un indice indirect de lâaction des prĂ©infĂ©rences de variĂ©tĂ© I (passage de la partie au tout).
Mais il y a encore une bonne raison Ă cela : câest le dĂ©veloppement des indices de cohĂ©rence (colonne Co du tabl. X). En quoi consiste en effet, une telle cohĂ©rence progressive ? On ne saurait naturellement exclure Ă ce propos une part dâinterprĂ©tation reprĂ©sentative et de logique opĂ©ratoire, mais cette part est faible car elle supposerait une mĂ©moire en acte de toutes les estimations successives, que lâexpĂ©rimentateur peut noter par Ă©crit mais quâoublie le sujet ! Il sâagit donc essentiellement dâune coordination graduelle et sensori-motrice des estimations perceptives comme telles, donc dâune suite de « transpositions » perceptives, et dâune coordination si graduelle quâon peut souvent suivre son extension gĂ©nĂ©ralisatrice au cours mĂȘme
[p. 150]de lâexpĂ©rience, Ă de petites zones dâabord, puis Ă des zones de plus en plus larges jusquâĂ la figure entiĂšre en certains cas : nous nous trouvons alors en prĂ©sence de la construction effective de la perception globale correcte (et occasionnellement de la ligne des sommets), et cette construction consiste alors bien en une gĂ©nĂ©ralisation inductive caractĂ©risant les prĂ©infĂ©rences perceptives de direction I.
Cette discussion des prĂ©infĂ©rences de variĂ©tĂ© 1 rend alors inutile une discussion dĂ©taillĂ©e quant aux niveaux des processus infĂ©rentiels de direction II et III. Il va de soi, dâabord, que les extrapolations perceptives de partie Ă partie (direction III) sont du mĂȘme niveau que les formes Ă©lĂ©mentaires des prĂ©infĂ©rences dont nous venons de parler, puisquâelles sont Ă leur Ă©gard dans la mĂȘme relation gĂ©nĂ©rale que les infĂ©rences par analogie sont Ă lâinduction. Quant aux processus dĂ©ductifs (variĂ©tĂ© II), si les formes supĂ©rieures dont se servent les sujets de 9-10 ans dans le cas de la courbe convexe (oĂč ils sont seuls prĂ©sents dans la colonne Pd du tabl. X), ainsi que dans le cas de la sĂ©rie rectiligne, sont assurĂ©ment surtout de nature reprĂ©sentative et opĂ©ratoire, il nây a pas de raison, si les prĂ©infĂ©rences de variĂ©tĂ© 1 jouent le rĂŽle aire nous avons supposĂ©, pour que leurs rĂ©ciproques de variĂ©tĂ© II ne soient pas rĂ©alisĂ©es Ă©galement dĂšs le niveau des prĂ©infĂ©rences perceptives : câest le cas toutes les fois que le schĂšme perceptif dâensemble, achevĂ© ou en construction, sâapplique Ă une estimation nouvelle, autrement dit sitĂŽt que la cohĂ©rence est devenue automatique ou immĂ©diate, mĂȘme sâil sâagit de sujets utilisant par ailleurs les mĂ©canismes opĂ©ratoires pour effectuer des dĂ©ductions proprement dites Ă partir de la description reprĂ©sentative de la courbe des sommets. En effet, sâil est clair que toute dĂ©duction partant dâune telle description, donc dâune interprĂ©tation notionnelle, est de nature reprĂ©sentative, il nâen reste pas moins que cette description de la ligne des sommets repose elle-mĂȘme sur un schĂšme perceptif, comme nous avons dĂ» lâadmettre, et que ce schĂšme sâapplique alors sur le terrain plus difficile de 1a seule perception, par un jeu de prĂ©infĂ©rences de variĂ©tĂ© II dĂ©butant dĂšs les amĂ©liorations de la cohĂ©rence.
En conclusion, nous pouvons établir comme suit la succession des stades que cette expérience a mis en évidence et qui sont un peu plus complexes que ceux des § 2 et 3.
Au cours dâun premier stade, qui dure souvent jusquâĂ 6-7 ans il nây a aucune rĂ©fĂ©rence Ă la figure dâensemble ni aucune infĂ©rence Ă partir des jugements partiels. La figure dâensemble demeure elle-mĂȘme hĂ©tĂ©rogĂšne.
[p. 151]Au stade II (7-8 ans) on assiste Ă la fois Ă des extrapolations perceptives locales (catĂ©gorie III de prĂ©infĂ©rences) et Ă un progrĂšs de la cohĂ©rence et de la perception globale, lequel marque ainsi le dĂ©but dâactivitĂ© des processus prĂ©infĂ©rentiels de caractĂšre inductif, donc de catĂ©gorie I, facteurs dâorganisation perceptive de la figure.
Entre le stade II et le stade III on observe une sorte de fléchissement dans les cohérences, dû au fait que les extrapolations disparaissent et que les processus déductifs ne sont pas encore assez organisés pour les remplacer.
Le stade III enfin est caractĂ©risĂ© par lâapplication dĂ©ductive (prĂ©infĂ©rentielle et infĂ©rentielle) des schĂšmes de rĂ©fĂ©rence Ă©laborĂ©s jusque lĂ , application plus prĂ©coce pour la figure rectiligne que pour les figures paraboliques, mais cependant tardive par le fait de la grandeur des figures.
Cette Ă©volution exprime donc la construction puis lâapplication du schĂšme de rĂ©fĂ©rence selon deux phases assez nettement distinctes, ce qui nâexclut naturellement pas lâintervention dâapplications partielles au fur et Ă mesure de la construction (donc dâapplications des parties dĂ©jĂ construites de la figure dâensemble, avec les dĂ©placements de frontiĂšre que nous avons signalĂ©s). Si ces deux phases sont aussi distinctes, cela est dĂ», rĂ©pĂ©tons-le, Ă la grandeur de la figure qui empĂȘche les comparaisons simultanĂ©es. Avec de plus petites figures, cette Ă©volution eĂ»t Ă©tĂ© plus rapide, ce qui aurait eu lâavantage de mieux dissocier les prĂ©infĂ©rences de catĂ©gorie II des dĂ©ductions reprĂ©sentatives, mais nous aurait fait perdre lâoccasion dâassister Ă la construction de la figure dâensemble, qui eĂ»t alors dĂ©pendu de simples effets de champ (ce qui eĂ»t reculĂ© simplement le problĂšme sans le supprimer, mais en eĂ»t rendu lâĂ©tude bien plus difficile). Lâintervention des rĂ©fĂ©rences reprĂ©sentatives qui se superposent au stade III aux prĂ©infĂ©rences perceptives ne doit donc pas faire oublier lâorigine sensori-motrice du schĂšme de la sĂ©riation, qui se manifeste Ă titre de « bonne forme » dans les petites figures, câest-Ă -dire dans celles qui sont perceptibles en un seul bloc simultanĂ©, et qui exige dans nos grandes figures une sĂ©rie de comparaisons Ă distance avec coordinations oculo-motrices. Ce schĂšme qui est contemporain de celui de la correspondance, sinon plus prĂ©coce, ne sâapplique donc pas automatiquement aux grandes figures mais doit ĂȘtre reconstruit Ă leur usage, et câest lĂ un des enseignements utiles de cette expĂ©rience ; mais cette reconstruction nâen prolonge pas moins les constructions antĂ©rieures, et câest ce quâil ne
[p. 152]faut pas oublier pour comparer les présents résultats à ceux des expériences précédentes, ce qui nous reste à faire pour terminer cette étude.
§ 5. Conclusionđ
Les trois expĂ©riences dont nous venons de dĂ©crire les rĂ©sultats sont issues dâune mĂȘme hypothĂšse de dĂ©part : que lâexistence de prĂ©infĂ©rences, dans lâactivitĂ© perceptive, implique lâassimilation des donnĂ©es perçues Ă des schĂšmes ajoutant alors Ă ces donnĂ©es un ensemble de liaisons dues aux expĂ©riences et aux activitĂ©s antĂ©rieures du sujet. Câest pour Ă©tudier la nature et le rĂŽle de ces schĂšmes que nous avons introduit des Ă©lĂ©ments de rĂ©fĂ©rence pouvant provoquer leur mise en Ćuvre, que les rĂ©fĂ©rences soient rĂ©elles et situĂ©es parmi les donnĂ©es (§ 2 et 3) ou virtuelles et Ă construire Ă partir des donnĂ©es (§ 4).
Les trois expĂ©riences ont alors fourni des rĂ©sultats remarquablement concordants, Ă cette seule diffĂ©rence prĂšs que dans la troisiĂšme, la rĂ©fĂ©rence Ă©tant Ă construire, nous assistons dâabord Ă sa construction avant de pouvoir observer son application. Mais dans les trois cas la rĂ©fĂ©rence, aprĂšs un stade oĂč elle nâest point encore utilisĂ©e faute de signification, entraĂźne ensuite lâapparition ou provoque la construction dâun schĂšme sensori-moteur qui lui confĂšre cette signification et qui est enfin appliquĂ© aux perceptions nouvelles, quâil modifie en fonction des prĂ©infĂ©rences dont il provoque le fonctionnement.
il nous reste Ă montrer que ces prĂ©infĂ©rences correspondent bien aux dĂ©finitions que nous en avons donnĂ©es au chap. II de ce fascicule (§ 5) ainsi quâaux niveaux II et III que nous avons distinguĂ©s (§ 5 et 7).
Pour ce qui est, tout dâabord, de lâexpĂ©rience des barres de correspondance (§ 2) et de celle des comparaisons de longueurs rĂ©fĂ©rĂ©es Ă un cercle (§ 3), il va de soi que nous nous trouvons en prĂ©sence de prĂ©infĂ©rences typiques du niveau il (prop. 20 du § 5 du chap. II de ce fasc.). En effet, les barres et le cercle commencent, lors dâun premier stade, par nâexercer aucune action faute de signification perceptive pouvant les transformer en rĂ©fĂ©rence, donc faute dâassimilation Ă un schĂšme leur confĂ©rant cette signification rĂ©fĂ©rentielle. AprĂšs quoi seulement (stades II et suivants) ils acquiĂšrent cette signification, ce qui montre bien lâintervention de schĂšmes (de correspondance globale et de dĂ©passement au stade II puis de correspondance terme Ă terme et de cercle au stade III). Câest alors que sâappli-
[p. 153]que notre prop. 20 (chap. II, § 5) : les Ă©lĂ©ments a sont en ce cas constituĂ©s par les jetons et les barres ou par les droites Ă comparer et le cercle ; les Ă©lĂ©ments Ăš sont constituĂ©s par la correspondance (globale ou bi-univoque) attribuĂ©e Ă titre de signification perceptive aux barres perçues, ou par le dĂ©passement de la circonfĂ©rence ou lâĂ©galitĂ© des rayons attribuĂ©s Ă titre de signification perceptive au cercle perçu ; les Ă©lĂ©ments c sont alors la rĂ©sultante de la composition des a et des b, soit lâĂ©quivalence ou la non-Ă©quivalence des jetons ainsi que lâĂ©galitĂ© ou la non-Ă©galitĂ© des droites. Quant au mode de composition d conduisant de (a + b) Ă c, il sâagit donc dâune prĂ©implication entre les b et les c, câest-Ă -dire du lien qui unit les deux parties (en extension) ou les deux aspects (en comprĂ©hension) du mĂȘme schĂšme de la correspondance englobant lâĂ©quivalence, ou du cercle englobant la circonfĂ©rence comme frontiĂšre ou lâĂ©galitĂ© des rayons.
Quant aux prĂ©infĂ©rences dont tĂ©moignent les rĂ©sultats de lâexpĂ©rience sur la sĂ©riation (§ 4), elles sont un peu plus complexes, puisque plus tardives et relevant par consĂ©quent dâactivitĂ©s perceptives (au sens du § 6 du chap. II de ce fasc.) : elles constituent donc des prĂ©infĂ©rences de niveau III (voir § 7 de ce chap. II et la prop. 28). La signification des symboles a1, a2, b et c de cette prop. 28 est alors, dans le cas particulier, la suivante :
Les Ă©lĂ©ments a1 sont les propriĂ©tĂ©s de la figure immĂ©diatement perçues par le sujet, Ă titre dâeffets de champ et indĂ©pendamment des activitĂ©s perceptives considĂ©rĂ©es : telles sont les tiges verticales de la sĂ©rie avec leurs intervalles, les diffĂ©rences de hauteur centrĂ©es dans les estimations locales, etc. Les Ă©lĂ©ments a2 sont les propriĂ©tĂ©s de la figure perçues grĂące aux activitĂ©s perceptives considĂ©rĂ©es : câest donc, en lâespĂšce, la forme globale de la figure, construite peu Ă peu grĂące aux comparaisons Ă distance, Ă la cohĂ©rence, etc. Les Ă©lĂ©ments b sont les schĂšmes Ă©laborĂ©s ou utilisĂ©s par ces activitĂ©s : câest donc la ligne des sommets, soit dĂ©couverte peu Ă peu câest-Ă -dire reconstituĂ©e puisquâil sâagit dâune ligne virtuelle), soit reconnue Ă partir de schĂšmes antĂ©rieurement constituĂ©s sur dâautres figures analogues. Les Ă©lĂ©ments c enfin sont la rĂ©sultante de la composition de (a1+a2+b), câest-Ă -dire lâensemble des diffĂ©rences entre tiges successives avec perception affinĂ©e et corrigĂ©e Ă partir de la ligne des sommets b.
Quant aux trois catĂ©gories I (passage de la partie au tout), II (passage du tout Ă la partie) et III (passage dâune partie Ă une autre) que nous avons distinguĂ©es au § 4 de ce prĂ©sent
[p. 154]chapitre, il faut encore prĂ©ciser ce qui suit. Dans le cas de la catĂ©gorie I (processus inductifs), les Ă©lĂ©ments a2 relĂšvent dâune forme globale encore incorrecte et en voie de construction et les Ă©lĂ©ments b sont les facteurs de cohĂ©rence, etc., quâintroduit le sujet dans sa coordination des estimations locales et dans sa construction inductive de la forme dâensemble ou de la ligne des sommets. La catĂ©gorie II (processus dĂ©ductifs) rĂ©pond par contre entiĂšrement Ă la description que nous venons de donner des a1, a2, b et c. Quant Ă la catĂ©gorie III (extrapolations perceptives), il sâagit dâune simple forme de transition entre les prĂ©infĂ©rences de niveau II et celles de niveau III, prĂ©parant les prĂ©infĂ©rences de catĂ©gorie I.
Mais comme nous lâavons vu au § 7 du chap. II de ce fascicule, les prĂ©infĂ©rences de niveau III se diffĂ©rencient facilement dans la mesure oĂč les Ă©lĂ©ments a1, a2 ou (a2+b), et c ne sont pas perçus simultanĂ©ment et oĂč par consĂ©quent ces prĂ©infĂ©rences sâengagent dans la direction des infĂ©rences proprement dites, caractĂ©risĂ©es par leur abstraction et par leur mode de composition normatif, en particulier par leur transitivitĂ©. Or, câest prĂ©cisĂ©ment ce que nous venons de constater au § 4 du prĂ©sent chap. III, en soulignant lâexistence des intermĂ©diaires entre les prĂ©infĂ©rences perceptives de catĂ©gorie II et les infĂ©rences dĂ©ductives de nature reprĂ©sentative. Deux points sont Ă souligner particuliĂšrement Ă cet Ă©gard, lâun relatif Ă lâabstraction et lâautre Ă la transitivitĂ©.
Pour ce qui est du premier, on aura remarquĂ© que nous avons Ă©tĂ© constamment obligĂ©s de distinguer dans notre analyse (cf. le tabl. X) deux facteurs qui logiquement sont Ă©quivalents mais qui psychologiquement sont bien diffĂ©rents : la forme globale de la figure, indiquĂ©e par lâenfant au dĂ©but de lâexpĂ©rience, et la description de la ligne des sommets fournie par les mĂȘmes sujets au terme de leurs explorations perceptives. Câest quâen fait cette forme globale nâest d abord quâune perception assez vague et confuse, tandis que la ligne des sommets finit par rĂ©pondre Ă une reprĂ©sentation proprement dite, abstraite de la premiĂšre (mais abstraite avec corrections, extensions gĂ©nĂ©ralisatrices et construction de nouvelles relations comme toutes les fois quâune notion est « abstraite » dâune perception). Seulement, entre les deux, sâĂ©tage toute une gamme dâintermĂ©diaires : par le fait mĂȘme que la ligne des sommets (= Ă©lĂ©ment b) nâest pas perçue de façon correcte en mĂȘme temps que la forme dâensemble (= Ă©lĂ©ments a2) ni celle-ci en mĂȘme temps que les diffĂ©rences locales (= Ă©lĂ©ments al), on assiste Ă des sĂ©grĂ©gations et Ă des « analyses » perceptives, Ă des mises en rela-
[p. 155]fions successives, etc., qui introduisent toutes les transitions entre ces sortes de dissociations et reconstitutions perceptives, dâune part, et les abstractions et gĂ©nĂ©ralisations reprĂ©sentatives, dâautre part.
Quant Ă la transitivitĂ©, il est clair que les transpositions perceptives en jeu dans la cohĂ©rence graduelle des estimations locales (transpositions qui se manifestent par les prĂ©infĂ©rences de catĂ©gorie III, dâabord, puis de catĂ©gorie 1) sâacheminent dans la direction de la transitivitĂ© opĂ©ratoire (diffĂ©rence b = ou > que la diffĂ©rence a ; diffĂ©rence c = ou > que la diffĂ©rence b ; dâoĂč diffĂ©rence c â   ou > que la diffĂ©rence a). Or, ici encore, toutes les transitions sâobservent entre la non-transitivitĂ© perceptive (mais avec transpositions assurant une cohĂ©rence graduelle) et la transitivitĂ© reprĂ©sentative, dâoĂč la difficultĂ©, dans ces expĂ©riences du § 4, Ă tracer la frontiĂšre entre les prĂ©infĂ©rences perceptives de niveau III et les infĂ©rences proprement logiques.