La structure des récits et l’interprétation des images de Dawid chez l’enfant (1925) a 🔗
Deux raisons nous ont décidé à entreprendre l’étude du test de Dawid. Une raison pratique, d’abord. Ce test est commode et significatif ; il nous a paru utile d’établir un percentilage des résultats obtenus sur des enfants de langue française, de manière à se servir de cette épreuve comme test d’aptitude. Une raison théorique, ensuite. Nous espérions retrouver, en analysant les difficultés des enfants à reconstituer un récit d’après des images, certains des traits que l’un de nous a cru discerner dans l’intelligence verbale de l’enfant.
Comme on le sait, le principe du test des images de Dawid est le suivant. On montre à l’enfant deux images, dont la première représente le début d’une histoire, et la seconde la fin de cette histoire. L’enfant doit raconter l’histoire. La tâche de l’enfant est donc double : comprendre les images, puis les relier en déduisant des données les événements intermédiaires 1.
Mlle Margairaz a testé de la sorte 180 enfants, de 4 à 12 ans (10 garçons et 10 filles par âge). Les couples d’images ont été présentés à tous les enfants dans le même ordre, les plus simples d’abord, les plus compliquées en dernier lieu. On dit aux enfants : « Tu aimes les histoires, n’est-ce pas ? Eh ! bien, je vais te montrer des images. Regarde bien ces deux images. C’est la même histoire. Celle-là (image du haut), c’est le commencement de l’histoire. Celle-là (image du bas), c’est la fin de l’histoire. Regarde bien et raconte-moi toute l’histoire. ». Il importe de ne pas oublier les mots que nous avons soulignés. La difficulté des enfants à comprendre qu’il s’agit d’une même histoire est, en effet, si grande avant 7-8 ans, qu’il convient de la prévenir explicitement.
I. Résultats statistiques🔗
Nous avons dépouillé le résultat de chaque image séparément. Au point de vue de l’analyse psychologique, cette manière de faire est plus intéressante. Pour obtenir le résultat global d’un examen d’enfant portant sur les six couples d’images dont nous nous sommes servi, il suffira de consulter le tableau du § 7.
§ 1. Les images du garçon et du chien🔗
La première image représente un garçon qui lève son bâton sur un chien. Sur la seconde image, le garçon a son pantalon déchiré et pleure (fig. 1 et 2).
Le récit complet de l’histoire nous paraît comporter les cinq points suivants, dont les trois premiers résultent de l’observation simple des images, et dont les deux derniers supposent une interprétation, c’est-à -dire une déduction ou une inférence à partir des données. 1° Le garçon tape le chien. 2° Les pantalons sont déchirés. 3° Le garçon pleure. 4° C’est le chien qui a déchiré les pantalons. 5° C’est le chien qui a fait pleurer le garçon, en le mordant, ou en lui déchirant ses pantalons, etc. Idée que le chien s’est défendu ou s’est vengé.
Il va sans dire que nous ne demandons pas à l’enfant d’exprimer explicitement et à part chacun de ces points. Il suffit que l’enfant les ait compris pour que nous considérions l’épreuve pour réussie. Il est vrai que, étant donné le style elliptique et égocentrique des enfants, en dessous de 7-8 ans, il est souvent bien difficile de voir combien ils ont compris de points sur les cinq. Mais il est toujours possible de poser des questions supplémentaires à l’enfant pour se rendre compte de ce qu’il a réellement saisi.
Seulement, il faut éviter que ces questions supplémentaires soient suggestives et c’est là la difficulté la plus grande de l’examen. Par exemple, si l’enfant déclare, sans rien préciser dans le détail, que, sur la seconde image, « Le garçon pleure », il suffira souvent de demander « Pourquoi pleure-t-il ? » pour que l’enfant, stimulé par cette question, réponde « Parce que le chien l’a mordu », quand même il n’avait nullement pensé à cela tout seul. Aussi, lorsque le récit spontané de l’enfant examiné ne suffit pas, il faut poser des questions aussi indirectes que possible pour le faire compléter. Ce qu’il faut établir c’est, non pas ce que l’enfant peut comprendre mais simplement ce qu’il a compris en faisant son récit.
Voici quelques exemples :
Eyn (5 ans) : « Un petit garçon. Le chien lui court après. Le petit garçon il pleure. Le chien il reste tranquille. » Le point 3 seul est compris. Eyn a bien vu que le chien fait pleurer le garçon, mais sans comprendre les rapports entre ce fait et le reste de la situation, c’est-à -dire sans comprendre que le chien s’est simplement défendu.
Leh (5 ans) : « Un gosse qui porte un fusil. Un loup qui court. » Aucun point n’est compris.
Der (6 ans) : « Il y a un petit garçon qui veut battre son chat, et puis il y a un petit garçon qui pleure, et puis il y a un chien qui vient. — Pourquoi est-ce que le garçon pleure ? — Parce qu’il y a une bête qui monte après lui. — Où ? — Là (la déchirure du pantalon est prise pour une bête). — Tu me dis qu’il y a un chat et un chien. Mais est-ce que ces deux bêtes ne sont pas les mêmes ? — Ça c’est un gros chien, puis, ça c’est un petit chien (Der ne tient pas compte de la perspective). — Qu’est-ce qu’il veut faire, le garçon ? — Il veut battre le chien, et puis il y a le chien qui le regarde. — Est-ce qu’il s’est laissé battre, le chien ? — Non, il mord aussi. — Est-ce qu’il a mordu le petit garçon ? — Non. »
Les points 1 et 3 sont donc seuls compris.
Zan (7 ½) : « Il y a un chien ; un petit garçon qui veut le taper. Après il y a un petit garçon qui pleure. Encore un chien qui court. » Même cas que Der.
Bag (9 ans) : « Je vois un petit garçon avec un fouet ; un chien. — Dis-moi ce qui arrive, tout ce qu’ils font. — Il veut courir après le chien. Il tombe ; le chien, il s’en va. — Où vois-tu qu’il tombe ? — Dans la rue. Il s’est fait mal au genou. Le chien, il le regarde. Il pleure, le petit garçon. » Les points 1, 2 et 3 sont seuls compris.
Voici enfin un enfant qui a tout compris :
Chap (9 ans) : « Ce garçon, il veut battre le chien. Puis alors le chien il part. Puis il pleure, le petit garçon, parce que le chien l’a mordu là , et puis il lui a déchiré ses pantalons. Puis il va pleurer vers sa maman. »
Si l’on convient, suivant l’usage, de considérer une épreuve comme réussie, lorsque les trois-quarts des enfants d’un même âge la réussissent, les différents points ont été compris aux âges suivants (garçons et filles réunis) : les points 1 et 3 à 7 ans, les points 2 et 4 à 9 ans et le point 5 à 10 ans.
Voici enfin le percentilage de ce test :
| Percentile | 4Â ans | 5Â ans | 6Â ans | 7Â ans | 8Â ans | 9Â ans | 10Â ans | 11Â ans | 12Â ans |
| 100 | 5 | 5 | 5 | 5 | 5 | 5 | 5 | 5 | 5 |
| 75 | 1 | 2 | 4Â ? | 3 | 5 | 5 | 5 | 5 | 5 |
| 50 | 0 | 1 | 2 | 2 | 3 | 5 | 5 | 5 | 5 |
| 25 | 0 | 0 | 1 | 2 | 1 | 3 | 3 | 3 | 5 |
| 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 2 | 1 | 2 |
§ 2. Les images de la petite fille et du chien🔗
Première image : une petite fille a peur d’un chien. Un garçon arrive. Deuxième image : le chien part et le garçon ramène la petite fille par la main (fig. 3 et 4).
L’histoire comporte la compréhension des cinq points suivants, dont les trois premiers ressortissent de nouveau à l’observation directe des images, et dont les deux derniers supposent une interprétation médiate. 1° La petite fille a peur du chien. 2° Le garçon arrive. 3° Le chien part. 4° La raison pour laquelle le garçon arrive pour protéger la petite fille, pour chasser le chien, etc. 5° La raison pour laquelle le chien part : le garçon l’a chassé, etc. Ici, de nouveau, il n’est pas toujours aisé de voir si l’enfant a compris les deux derniers points, car ils peuvent être implicitement contenus dans ce qu’exprime maladroitement l’enfant. Il importe donc d’être prudent dans l’interprétation, et, au besoin, de questionner, pourvu que ces questions supplémentaires ne soient pas suggestives.
Voici des exemples de ce que l’on obtient :
Bos (4 ans) : « Un petit garçon, puis une petite fille, puis un petit chien. Encore un petit chien, puis une petite file, puis un petit garçon. » Rien n’est compris.
Char (4 ans) : « Le petit chien regarde la petite file, puis la petite fille a peur, puis celui-ci puis elle, ils regardent le petit chien. » Le point 1 seul est compris.
Gid (5 ; 2) : « Cette petite fille, elle veut f… des cailloux à ce chien, puis çui-la (le garçon) il va battre la petite fille ; puis sa petite sœur avec son frère, puis le chat. » Le point 2 seul est compris.
Hui (6 ½) : « Un chien avec une petite file, et puis un garçon qui vient chercher la petite fille. Et puis une baguette. Et puis il la prend, la petite fille et puis il s’en va avec elle, et puis le chien se retourne chez lui. » Les points 2 et 3 sont seuls compris. Peut-être le point 1, mais il n’est pas exprimé. En questionnant Hui, on lui fait trouver le tout, mais Hui n’avait pas compris les points 4 et 5 avant que l’on pose les questions.
Pad (7 ½) : « Un garçon, qui tient un bâton. La petite fille, elle fait la grimace : elle a peur du chien. Il y a un garçon qui tient un bâton. Il donne la main à la petite fille qui regarde derrière. Le garçon aussi. Après il y a un chien qui s’ôte. » Les points 1 et 3 sont seuls compris.
Hu (9 ans) : « Là il y a un chien. Il voulait mordre la petite, et la petite met la main comme ça. Il y a un garçon à côté, puis il tient une baguette. Le chien, il ouvre sa bouche pour pouvoir la mordre. Le chien l’a mordue, puis elle pleure. » Le point 1 est seul compris.
Verm (9 ; 11) : « On voit un chien qui veut mordre une petite fille. Un petit garçon avec un bâton, puis le garçon donne un coup au chien. Alors le chien se sauve. Le petit garçon va vers la petite fille. Puis ils partent chacun de leur côté. » Tout est compris, sauf peut-être le point 4, mais il est plus implicite qu’incompris.
En moyenne, le point 1 est compris à 6 ans, le point 3 à 7 ans, le point 2 à 8 ans et les points 4 à  5 à 10 ans. La raison de ces résultats est facile à trouver. Les points 4 et supposent une inférence et sont plus difficiles à trouver que les trois premiers points. Le point 2, d’autre part, est plus malaisé à apercevoir que les points 1 et 3, parce qu’il implique un mouvement, une action, et non un état.
Voici enfin le percentilage de ce test :
| Percentiles | 4 ans | 5 ans | 6 ans | 7 ans | 8 ans | 9 ans | 10 ans | 11 ans | 12 ans |
| 100 | 4 | 5 | 5 | 5 | 5 | 5 | 5 | 5 | 5 |
| 75 | 1 | 2 | 3 | 3 | 5 | 5 | 5 | 5 | 5 |
| 50 | 0 | 1 | 1 | 2 | 3 | 5 | 5 | 5 | 5 |
| 25 | 0 | 0 | 0 | 2 | 3 | 3 | 5 | 5 | 5 |
| 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 2 | 1 | 2 | 2 | 2 |
§ 3. Le ballon🔗
La première image représente des personnes assises sur un banc et regardant le ballon de baudruche qu’une petite fille vient de lâcher et qui s’élève brusquement. La deuxième image représente les mêmes personnes renversées, le ballon ayant passé par-dessus leur tête de l’autre côté du banc (fig. 5 et 6). Cinq idées sont à exprimer ou à comprendre : 1° Des personnes assises sur un banc regardent la petite fille. 2° Un ballon s’envole. 3° C’est la petite fille qui jouait avec ce ballon et qui l’a lâché. 4° Les personnes sont tombées. 5° Elles sont tombées parce qu’en suivant le ballon des yeux elles ont renversé la tête au point de perdre l’équilibre.
Les petits ne cherchent guère à expliquer la chute du banc :
Chev (5 ; 11) : « Ils s’assit. Il a un parapluie. Ils se tournent ceux-là . Ceux-là ils met ses jambes en l’air, puis celui-là il baisse les pieds. » Le point 4 seul est compris.
Eyn (5 ans) : « Y a des gens qui sont sur un fauteuil. Puis y a une petite fille qu’a lâché son ballon. Puis elle peut plus le rattraper. Puis des gens, ils sont tombés dans quelque chose. Une petite fille qui marche. » Les points 2, 3 et 4 sont compris.
Nic (6 ans) : « Là c’est une petite fille qui a laissé envoler en l’air son ballon, et puis là c’est des messieurs qui sont assis sur un banc. Là , c’est la petite fille qui regarde le banc renversé, puis les messieurs par terre. » Même cas.
Ces pures descriptions sont abondantes : « Ils font la gym. » « Ils ont les jambes en l’air », « Puis les gens qui lèvent leurs pieds » « Là c’est rien que des pieds », etc. À partir de 9-10 ans les enfants ont cherché à expliquer la chute du banc, mais sans succès :
Strei (9 ans) : « Là , ils sont assis sur le banc. La petite fille avait un ballon. Puis alors là elle l’a lâché. Puis alors là les autres, qui étaient sur le banc, ils se sont moqués d’elle. Là elle les a fait tous tomber du banc. » La chute du banc est donc due à la vengeance de la petite ! Les quatre premiers points sont seuls compris.
Bar (9 ans) : « … et tous les cinq personnes croyaient de se balancer sur le banc : ils sont tous tombés. »
Vio (9 ans). Ce banc est tombé « parce qu’il y en avait trop dessus. »
Tu (10 ans) : « … C’est un coup de vent, un cyclone. »
Ros (10 ans) : « … puis, la petite fille elle a lâché le ballon, puis ce a fait peur aux hommes (assis sur le banc), puis ils sont tombés. »
Nay (10 ans) : « … ils se sont tellement penchés pour rire que le banc a versé. » « Ils ont peut-être voulu attraper le ballon. »
Garg (10 ans) : « … elle a lâché son ballon. Il a été se jeter contre les personnes et le banc s’est renversé. »
Zah (10 ans) : « … Le ballon a tiré les parents, tout le monde par terre… —  Comment ? — L’air… L’air avait une force extrême. —  Quel air ? — Dans le ballon… Le gaz, je trouve pas. L’air d’en haut, un coup de bise. »
Voici enfin des réponses justes :
Dur (10 ans) : « … puis ils ont regardé en l’air le ballon ; ils se sont penchés en arrière. »
Che (11 ans) : « … ils veulent regarder le ballon, puis ils tombent parce qu’ils veulent regarder derrière. »
Nous avons multiplié ces exemples pour montrer la difficulté des enfants, de 10-11 ans encore, à éliminer les hypothèses invraisemblables ou sans rapport avec le contexte.
Le point 4 est compris à 6 ans par le 75 % des enfants, le point 1 à 7 ans, les points 2 et 3 à 8 ans et le point 5 à 12 ans seulement. Les points 2 et 3 se confondent presque mais certains enfants comprennent l’un sans l’autre.
Le percentilage a donné les résultats suivants :
| Percentiles | 4Â ans | 5Â ans | 6Â ans | 7Â ans | 8Â ans | 9Â ans | 10Â ans | 11Â ans | 12Â ans |
| 100 | 3 | 3 | 4 | 3 | 5 | 5 | 5 | 5 | 5 |
| 75 | 2 | 2 | 3 | 3 | 5 | 5 | 5 | 5 | 5 |
| 50 | 0 | 1 | 3 | 3 | 4 | 4 | 5 | 5 | 5 |
| 25 | 0 | 1 | 2 | 2 | 3 | 3 | 4 | 4 | 5 |
| 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 2 | 2 | 2 | 3 | 4 |
§ 4. Les images du voleur et du chien🔗
Première image : un chien est attaché à un arbre, à une branche duquel est suspendu un panier de provisions d’où émerge une bouteille. Un voleur est là qui se demande comment s’emparer de la bouteille sans être mordu. Deuxième image : le chien a sa corde entortillée autour du tronc de l’arbre, et, la laisse étant ainsi raccourcie, le voleur peut vider le panier sans être mordu (fig. 7 et 8).
Huit points essentiels : 1° un chien attaché à un arbre ; 2° pour surveiller ; 3° un panier suspendu contenant une bouteille ; 4° un voleur veut prendre la bouteille ; 5° le chien l’en empêche ; 6° mais ensuite la laisse est entortillée ; 7° parce que le voleur a fait plusieurs fois le tour de l’arbre, de manière à ce que le chien, en le suivant, s’entortille lui-même ; 8° l’homme prend la bouteille.
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Voici des exemples habituels :
Paz (7 ans) : « Ici, le monsieur il a été chercher du vin. Et puis il a attaché le chien. Puis après il le boit, le vin. Puis le chien, il s’est entortillé après l’arbre. » Les points 1, 3, 6 et 8 sont seuls compris.
Ger (7 ans) : « Un garçon qui regarde un chien. Un panier qui tient une bouteille sur l’arbre. Il y a un parapluie. Le chien il est attaché après une corde. L’homme boit. Le chien veut le modre. » Les points 1, 3 et 8 sont seuls compris.
Une réponse correcte :
Pan (11 ; 9) donne lui-même pour titre à l’histoire : « L’ingénieux bonhomme ». Il ajoute : « Ce monsieur regarde ce panier avec la bouteille. Alors le chien croit qu’il veut le prendre. Il aboie, puis le chien tourne autour de l’arbre pour sauter dessus. Alors quand il a tourné, la ficelle s’est enroulée autour de l’arbre, puis il ne peut plus bouger. Ce monsieur prend la bouteille et boit bien tranquillement. » Pan ajoute : « Ce monsieur a tourné avec lui (le chien). — Pourquoi ? — Pour que la ficelle s’enroule, ou bien il lui a montré un bout de sucre tout en tournant. » Tout est donc compris.
Habituellement, les enfants qui remarquent la corde enroulée croient que le chien s’est entortillé lui-même sans que le bonhomme y soit pour rien. Les points 1 et 8 sont compris à 6 ans par le 75 % des enfants, le point 3 à 8 ans et le point 6 à 11 ans seulement. Quant aux points 4, 5 et 7, les trois quarts des enfants de 12 ans ne les comprennent pas encore.
Mais naturellement, on trouve, dès 10 ans, des enfants qui comprennent le tout. La dispersion très grande des résultats fait ainsi de ce test un bon test d’aptitude, c’est-à -dire un test permettant de bien différencier les enfants d’un même âge 2. Voici le percentilage obtenu :
| Percentiles | 4 ans | 5 ans | 6 ans | 7 ans | 8 ans | 9 ans | 10 ans | 11 ans | 12 ans |
| 100 | 3 | 3 | 4 | 5 | 5 | 5 | 8 | 8 | 8 |
| 75 | 1 | 2 | 4 | 4 | 4 | 4 | 5 | 6 | 6 |
| 50 | 0 | 1 | 3 | 3 | 4 | 3Â ? | 4 | 4 | 4 |
| 25 | 0 | 1 | 2 | 2 | 2 | 3 | 3 | 4 | 3 |
| 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 2 | 1 | 1 | 2 | 2 |
§ 5. Le maillot🔗
Première image : une dame montre un maillot à son enfant. Deux chiens sont dans la chambre. Deuxième image : l’enfant est revêtu du maillot, dont les chiens étirent les manches démesurément (fig. 9 et 10).
Cinq idées sont à exprimer : 1° une maman montre un maillot (ou un habit, etc.) à son garçon ; 2° le maillot est trop long ; 3° l’enfant met le maillot ; 4° le maillot est étiré ; 5° parce que les chiens pour jouer en ont tiré les manches à eux. Les deux premiers points sont donnés par l’observation immédiate. Les trois derniers supposent une interprétation plus médiate.
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Voici des exemples de réponses obtenues :
Prio (8 ; 3) : « Il y avait une dame qui montrait un costume à son petit garçon. Puis il l’a mis, son costume. Le costume il était trop grand. Les deux petits chiens qu’il y avait se sont sauvés. » Les points 1, 2 et 3 sont seuls compris.
May (11 ans) : « C’est une dame qui montre son habit neuf à son petit garçon. Le chien et le chat regardent aussi. Puis l’enfant il est content. Il mange une pomme. Puis là il avait mis son costume. Il l’avait trop agrandi. Puis la maman vient avec un bâton. Le chien et le chat ils se sauvent. » Les points 1, 3, 4 et sans doute 2 sont seuls compris.
Pan (11 ; 9) : « Le garçon était très sage. Alors sa maman lui achète un bel habit. Elle lui recommande de faire attention. Comme l’habit était en laine les chiens qui ont voulu jouer avec lui l’ont tout étiré, et, aux cris perçants de l’enfant, la maman est arrivée avec sa poche. » Tout est compris.
Le point 1 est compris à 6 ans, le point 3 à 11 ans, mais les points 2, 4 et 5 sont encore incompris des enfants de 12 ans (si l’on convient d’observer la règle suivant laquelle une épreuve est passée lorsque les trois-quarts des enfants de l’âge donné la réussissent). Voici le percentilage :
| Percentiles | 4Â ans | 5Â ans | 6Â ans | 7Â ans | 8Â ans | 9Â ans | 10Â ans | 11Â ans | 12Â ans |
| 100 | 1 | 1 | 3 | 3 | 5 | 3Â ? | 5 | 5 | 5 |
| 75 | 0 | 1 | 1 | 1 | 3 | 3 | 3 | 3 | 5 |
| 50 | 0 | 0 | 1 | 1 | 1 | 1 | 2 | 3 | 3 |
| 25 | 0 | 0 | 1 | 1 | 1 | 1 | 2 | 2 | 2 |
| 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 0 | 1 |
§ 6. Les images des pommes et des garçons🔗
Première image : deux garçons vont à la maraude. On les voit entrer dans un champ par un trou de la clôture. Deuxième image : le propriétaire est arrivé. Les garçons se sauvent en laissant les pommes dans le champ faute de pouvoir les passer par le trou de la clôture (fig. 11 et 12).
Six points essentiels : 1° des enfants vont à la maraude ; 2° ils cueillent des pommes ; 3° un monsieur arrive ; 4° les enfants se sauvent ; 5° ils laissent les pommes ; 6° parce que le trou est trop petit pour laisser passer le sac de pommes.
Chose curieuse, c’est là l’histoire la plus difficile des six imaginées par Dawid. Voici des exemples :
Ram (8 ½) : « Y a deux petits garçons. Un il se jette contre l’autre. Puis l’autre il veut le battre. Puis il y a le monsieur, il regarde des pommes. Puis les petits garçons ils courent. » Les points 3 et 4 sont seuls compris.
Eyn (9 ans) : « Il y a un petit garçon. Il veut ouvrir la chose pour prendre les poires, et toutes les poires sont tombées par terre. Puis après le monsieur est arrivé, puis les deux garçons sont partis. » Les points 1, 3, 4 et 5 sont seuls compris ainsi, peut-être, que le point 2.
Stu (10 ans) : « … ils repassèrent par le trou. Mais le sac était trop gros. » Tout est compris.
Les quatre premiers points sont compris à 11 ans seulement. Les deux derniers sont encore incompris à  12.
Voici le percentilage :
| Percentiles | 4 ans | 5 ans | 6 ans | 7 ans | 8 ans | 9 ans | 10 ans | 11 ans | 12 ans |
| 100 | 1 | 1 | 3 | 3 | 4 | 4 | 6 | 5 | 6 |
| 75 | 0 | 0 | 1 | 1 | 2 | 3 | 4 | 4 | 4 |
| 50 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 1 | 2 | 3 | 4 |
| 25 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 2 | 3 |
| 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 | 0 |
§ 7. Résultats globaux🔗
Voici les résultats totaux obtenus, en séparant les filles des garçons, les filles étant en général légèrement inférieures :
| Percentiles | 4 ans | 5 ans | 6 ans | 7 ans | 8 ans | 9 ans | 10 ans | 11 ans | 12 ans |
| 100 | 16 | 16 | 24 | 23 | 25 | 26 | 31 | 33 | 33 |
| 8 | 17 | 17 | 22 | 28 | 24 | 32 | 32 | 31 | |
| 75 | 7 | 6 | 18 | 18 | 23 | 2A | 27 | 31 | 29 |
| 3 | 10 | 12 | 13 | 21 | 23 | 26 | 26 | 30 | |
| 50 | 0 | 2 | 12 | 11 | 16 | 16 | 20 | 23 | 25 |
| 1 | 5 | 8 | 11 | 13 | 17 | 20 | 22 | 22 | |
| 25 | 0 | 1 | 9 | 10 | 13 | 13 | 15 | 18 | 17 |
| 0 | 3 | 6 | 9 | 11 | 12 | 16 | 16 | 17 | |
| 0 | 0 | 0 | 2 | 6 | 7 | 8 | 10 | 10 | 13 |
| 0 | 1 | 1 | 4 | 8 | 7 | 10 | 9 | 9 |
Le maximum possible est 34. Les chiffres obtenus par les filles sont en italique, ceux des garçons en romain.
II. Conclusions🔗
Le test des images de Dawid permet d’analyser, mieux que nous n’avons pu le faire jusqu’ici, deux phénomènes essentiels de la pensée de l’enfant : l’incapacité synthétique et la difficulté à manier la multiplication logique. Ces deux phénomènes n’en constituent d’ailleurs au fond qu’un seul, mais il est commode, pour la clarté de l’exposé, de les distinguer.
§ 8. L’incapacité synthétique dans le style et dans la pensée🔗
L’un de nous a essayé de montrer récemment que la pensée du petit enfant, avant 7-8 ans, procède beaucoup plus par juxtaposition d’affirmations successives que par liaisons causales ou logiques. Il a invoqué comme argument, le fait que les « parce que » et les « puisque » sont rares dans le style enfantin avant 7-8 ans, pour devenir plus abondants après 3. Une telle argumentation suppose que l’on accorde deux choses : 1° que les résultats obtenus sont généraux ; 2° que l’incapacité synthétique dans le style corresponde réellement à une incapacité synthétique dans la pensée. Les récits donnés par les enfants à l’occasion des images de Dawid nous permettent de fournir ces deux contre-épreuves.
Les matériaux que Mlle Margairaz a recueillis consistent en 1080 récits se répartissant en 6368 propositions (au sens grammatical du mot). Nous avons cherché combien d’entre elles contenaient des conjonctions de coordination marquant une simple juxtaposition sans liaison causale ou logique. Autrement dit nous avons compté les « et », les « puis » et les « et puis ». D’autre part, nous avons cherché combien de propositions convenaient des conjonctions de connexion logique ou causale : « parce que », « puisque » et « alors » puis dans le sens de « par conséquent », les « alors logique » 4. L’incapacité synthétique ou la juxtaposition dans le style se remarquera donc à la présence des conjonctions du premier groupe et à l’absence de celles du second groupe.
Or voici les résultats obtenus :
| [Âge] | « Et », « puis » et « et puis » en % | « Parce que » « puisque » et « alors » logiques en % |
| 4-5Â ans | 60Â % | 0,8Â % |
| 6-7Â ans | 45Â % | 0,9Â % |
| 8-9Â ans | 41Â % | 2,4Â % |
| 9-10Â ans | 39Â % | 2,4Â % |
| 11-12Â ans | 33Â % | 2,3Â % |
Le tableau se lit comme suit : 60 % de « et », etc. à 4-5 ans signifie que sur les propositions des enfants de 4-5 ans, 60 % contiennent des « et », des « puis », ou des « et puis ».
Ce tableau montre immédiatement que les conjonctions de coordination décroissent régulièrement avec l’âge, alors que les conjonctions de connexion logique et causale, très peu nombreuses avant 7-8 ans, deviennent plus nombreuses après et s’accroissent assez brusquement vers 8 ans. Les fréquences des deux groupes sont donc en corrélation inverse les unes des autres. Calculée au moyen du coefficient Bravais-Pearson, cette corrélation est de −0,81.
Ce premier résultat confirme donc ce que l’examen du style libre des enfants nous avait fait apercevoir. Évidemment, on peut se demander pourquoi les « parce que » etc. restent si peu nombreux dans le cas des images de Dawid et pourquoi ils n’augmentent plus après 8 ans. Mais c’est que les occasions de liaisons causales ou logiques sont moins nombreuses à propos d’images, qui sollicitent avant tout une simple description, que ce n’est le cas dans le langage entièrement spontané tel que nous l’avons observé dans la vie de tous les jours à la Maison des petits.
Demandons-nous maintenant si cette juxtaposition des affirmations qui caractérise le style enfantin avant 7-8 ans correspond à une réelle incapacité synthétique dans la pensée. Or le test des images de Dawid donne sur ce point une réponse décisive. Comme nous le verrons, au § 11, jusqu’à 8 ans les trois quarts des enfants ne sont pas capables, bien qu’on leur dise explicitement que les deux images représentent une « même histoire », d’identifier les personnages des deux images. Autrement dit le même chien est tenu pour deux chiens, le même bonhomme pour deux bonshommes, etc. Verbalement, les enfants admettent bien que ce sont « les mêmes » personnages, mais, en fait, ils racontent l’histoire comme s’il s’agissait de personnages distincts. L’enfant ne fait pas un tout des deux images, il juxtapose les scènes sans liaison. Nous verrons plus loin la portée de ce fait. Constatons pour le moment qu’il explique pourquoi le style des petits procède par juxtapositions et le style des grands par liaisons. En effet, si l’on groupe les cas de non-identification des images correspondantes, on trouve ce qui suit (les chiffres indiquent le % des récits témoignant de non-identification) :
| Âges | Cas de non-identification |
| 4-5Â ans | 74Â % |
| 6-7Â ans | 48Â % |
| 8-9Â ans | 6Â % |
| 10-11Â ans | 3Â % |
| 12Â ans | 0Â % |
C’est à 8 ans que les trois quarts des enfants sont capables d’identifier les personnages des images correspondantes : à 7 ans on trouve encore 39 % de cas de non-identification, et à 8 ans le 8,3 % seulement. D’autre part, la corrélation entre les fréquences des non-identifications et les fréquences des conjonctions de coordination est de 0,92, suivant la formule de Bravais-Pearson (le maximum étant 1).
Il est donc permis, dans le cas du test des images de Dawid, de considérer l’incapacité synthétique du style enfantin comme liée de très près à l’incapacité synthétique de la pensée elle-même. Le synchronisme de l’augmentation rapide des « parce que », etc. à 8 ans et de la diminution rapide des cas de non-identification des images, à 8 ans également, est, à cet égard, un indice significatif.
Mais il y a plus. La non-identification des images correspondantes n’est que l’une des manifestations d’incapacité synthétique dont témoignent les réponses de nos enfants. Deux autres faits sont rendus très apparents par le test de Dawid, et ce sont d’eux qu’il nous faut maintenant parler, sans plus nous occuper de corrélations avec le style.
§ 9. Juxtaposition et syncrétisme🔗
Le premier de ces faits est la parenté du phénomène de la juxtaposition avec celui du syncrétisme. Le syncrétisme enfantin, c’est en apparence le contraire de la juxtaposition 5 : c’est la tendance à voir par schémas globaux, à lier tout à tout au moyen de liaisons vagues et subjectives, mais d’autant plus globales. Or, l’un de nous a essayé de montrer, récemment, que la juxtaposition et le syncrétisme étaient solidaires l’un de l’autre et formaient tes deux moments nécessaires d’un même processus. S’il y a juxtaposition de détails sans liaison effective, c’est que l’enfant n’est pas capable de synthèse, mais se contente de schémas d’ensemble trop vagues et trop globaux pour être exprimés tels quels. Il y a donc juxtaposition parce qu’il y a syncrétisme. Et, s’il y a syncrétisme, c’est que la perception enfantine est trop incohérente pour créer des synthèses véritables et se contente de fondre en un ensemble vague quelques détails perçus sans leurs rapports réels. Il y a donc syncrétisme, parce qu’il y a juxtaposition 6.
Mais telle n’est pas l’opinion commune. M. Cramaussel, dans une intéressante étude sur « Ce que voient des yeux d’enfants » 7 a, par exemple, contesté l’existence de la perception syncrétique au nom du fait que les enfants décrivent les images en indiquant une série de petits détails, sans lien les uns avec les autres. Un instituteur français, M. Delaunay, vient de reprendre la question de la lecture globale et croit aussi apercevoir chez l’enfant une vision de détail précédant les schémas syncrétiques 8.
Or, au premier abord il semble bien que nos présents matériaux donnent raison à M. Cramaussel et à M. Delaunay. Les petits décrivent en juxtaposant des détails isolés. Les grands interprètent en créant des schémas vagues et globaux. Ainsi dans le cas des images du ballon, les petits ne marquent pas de lien entre les deux tableaux, tandis que les grands expliquent la chute du banc par la colère de la petite fille, par un coup de vent venant punir les gens qui rient, par l’explosion du ballon, etc., etc.
Mais il faut tenir compte de l’incapacité du langage 9 à exprimer les visions syncrétiques, et c’est ce que M. Cramaussel semble avoir négligé. Il se peut que les petits aient des visions plus syncrétiques encore que les grands, mais que ces visions soient inexprimables et se débitent alors en affirmations successives et incohérentes. Comme l’un de nous a essayé de le montrer, les liaisons de juxtaposition marquées chez l’enfant par les mots « et pis » expriment souvent, en fait, des liaisons causales plus ou moins syncrétiques ; mais ces liaisons sont incompréhensibles et inexprimables précisément parce que syncrétiques. Dans le cas des images de Dawid il en est ainsi, et il suffit de questionner l’enfant pour trouver toutes sortes de liaisons bizarres chez les sujets mêmes qui parlent par juxtaposition :
Gio (5 ans) à propos des images du ballon : « Là c’est la petite fille, pis alors le ballon il s’est envolé, puis il y a deux messieurs pis deux dames, et pis alors le ballon de la petite il est tombé, pis alors le banc il est tombé. » Cela semble de la pure juxtaposition. Mais on demande « Pourquoi le banc est tombé ? — Parce que le ballon il s’est envolé et pis c’est pour ça. » Mais impossible de préciser le comment de cette action du ballon sur le banc.
Ma (6 ans). Mêmes images : « Une petite fille qui laisse aller son ballon en l’air. Puis ils tombent. » C’est de la pure juxtaposition. Mais interrogeons l’enfant : « Pourquoi ils sont tombés ? — Parce qu’ils les ont fait peur. —  Qui ? — La petite fille. —  Comment ? — Avec la tête d’un chien. —  On la voit cette tête ? — Oui. —  Où ? — Là (c’est la tête de la petite fille sur la deuxième image). — Et la petite fille où est-elle ? — Là (id.). —  Et le chien ? — Ici (id.). » Autrement dit la petite fille s’est déguisée en chien pour leur faire peur !
Des liaisons aussi vagues que celles que conçoivent ces deux enfants et surtout le dernier, sont évidemment difficiles à exprimer. D’où la juxtaposition. Même les enfants qui ne parviennent pas à identifier les personnages des images correspondantes créent souvent ainsi des schémas globaux. La juxtaposition n’exclut donc pas le syncrétisme, mais l’implique.
Assurément la juxtaposition et le syncrétisme ne sont pas nécessairement synchrones et chaque récit ne présente pas ces deux caractères à la fois. Ce sont les deux moments successifs d’un même processus. Ce sont plutôt les deux pôles entre lesquels oscille une même pensée, mais avec, en général, un temps d’oscillation appréciable.
Nous trouvons ainsi deux stades dans le développement de la synthèse chez l’enfant. Durant un premier stade il y a incapacité synthétique : l’esprit oscille entre des visions globales inexprimables et une juxtaposition simple de détails particulièrement frappants. Durant un second stade, tous les détails sont mis sur un pied d’égalité, et, de cette analyse, succédant à la simple juxtaposition, résultent des liaisons qui remplacent le syncrétisme initial par une synthèse réelle.
§ 10. Le contrôle des hypothèses🔗
Un deuxième fait demande à être signalé et se trouve d’ailleurs très parent du syncrétisme dont nous venons de parler. C’est la difficulté des enfants à contrôler les hypothèses qui germent dans leur esprit.
Lorsqu’on demande à un adulte d’interpréter un couple d’images, par exemple celui des images du ballon, le processus de l’acte d’intelligence que suppose cette interprétation, est, en deux mots, le suivant 10. Tout d’abord le sujet, grâce à ses expériences antérieures et à son contingent d’associations, imagine une liaison possible entre les deux images. Mais ce qu’il imagine demeure à l’état d’hypothèse. Ensuite vient le contrôle : l’hypothèse peut paraître non satisfaisante, soit parce qu’elle implique une impossibilité matérielle, soit parce qu’elle est en contradiction avec telle donnée, soit parce qu’elle n’a pas de rapports suffisants avec l’ensemble de la situation, soit parce qu’elle n’explique pas tout, soit parce qu’elle est peu vraisemblable, etc., etc. Si l’hypothèse résiste à ces différentes objections possibles, alors, mais alors seulement, elle devient croyance et est acceptée à titre d’explication suffisante.
Or le test de Dawid montre d’emblée que la marche de l’esprit enfantin est notablement différente. Contentons-nous ici de marquer cette différence dans les grandes lignes, quitte à revenir ailleurs plus à fond sur l’ensemble de la question de contrôle chez l’enfant 11.
Tout d’abord, du moins chez les petits, l’hypothèse semble naître dans l’esprit de l’enfant non pas à l’état d’hypothèse, mais à l’état de « conviction spontanée ». Assurément on ne sait pas ce qui se passe dans la pensée de l’enfant entre le moment où il voit les images et le moment où il se décide à parler, mais ce que l’on constate c’est que la première explication donnée par l’enfant lorsqu’il parle lui paraît définitive. Ce n’est que très tard, et en moyenne pas avant 6-7 ans, qu’un enfant renonce à sa première explication pour en chercher une meilleure. Les petits croient tout ce qu’ils avancent, et, lorsqu’on les détrompe ils répètent la même chose sous une nouvelle forme. L’attitude d’arrêt dans la croyance et surtout la conduite qui consiste à faire marche arrière pour recommencer la recherche à frais nouveaux, sont absentes chez les petits. Ce qui caractérise l’hypothèse adulte, c’est-à -dire la susceptibilité d’être niée pour laisser la table rase et faire place à d’autres hypothèses, constitue donc une acquisition tardive de l’enfant et non une faculté innée.
Certes le tâtonnement empirique est l’équivalent fonctionnel de l’hypothèse adulte. Mais le tâtonnement est à réapprendre sur chaque nouveau plan de conscience, et qui sait tâtonner sur le plan de l’activité musculaire et manuelle, ne sait pas nécessairement tâtonner sur le plan de la pensée verbale : il y a décalage entre les deux opérations, car chaque ascension sur un nouveau plan de conscience suppose un réapprentissage des opérations, même de celles qui sont devenues aisées sur le plan précédent 12.
Voici un exemple :
Ol (5 ans) interprète l’image I du ballon de la manière suivante : « Ils sont — assis. Ils sont venus rendre une visite. La dame va faire du thé. » Ce qu’elle appelle « dame » c’est la petite fille qui joue au ballon. Puis Ol s’aperçoit que la dame n’est pas une dame mais une petite fille : « Cette petite dame là , elle est rigolode. Est-ce que c’est une dame ? — Oh ! ça a bien l’air, mais c’est une petite fille, elle est tellement petite. » Il semble donc qu’Ol renonce à son hypothèse. Mais il n’en est rien. En voici la preuve : « Crois-tu qu’elle va faire du thé, cette petite ? — Oh, je crois bien parce qu’elle va dans son jardin : alors elle va cueillir des fruits (pour le thé). » Il y a plus. Nous essayons de détromper Ol, en disant : « Et ça qu’est-ce que c’est (le ballon) ? ». Ol répond : « Un ballon qui s’envole. —  À qui est-il ? — À la petite fille. » Il semble donc qu’Ol doive changer d’interprétation et renoncer à l’idée d’une dame qui prépare le thé. Mais l’idée que la petite fille joue le rôle d’une dame est désormais si ancrée dans l’esprit de Ol, qu’Ol invente toute une histoire pour conserver son hypothèse primitive (suivant laquelle la petite remplace sa maman), tout en tenant compte des nouvelles données : « Ils sont tombés. Ils se (re)tiennent et ils appellent leur cousine (= la dame qui reçoit ces gens) pour les relever. Et, à la place de la cousine, il vient la petite fille, avec sa maman (= la cousine), et qui les relève. Elle (= la petite fille) leur dit : « C’est rien ! »
On voit dans un tel cas combien l’hypothèse primitive reste adhérente, bien qu’elle ait été en apparence rejetée et bien que l’interprétation finale n’ait, en droit, rien à faire avec l’interprétation initiale. Il y a « persévération » ou « viscosité mentale ». Un adulte aurait dit : « C’est une dame qui reçoit au thé. Non, je me trompe, c’est une petite fille qui joue au ballon devant des gens dans un jardin public ». L’enfant de 5 ans, au contraire, dit : « C’est une dame qui reçoit au thé. Non, c’est une petite fille qui cueille des fruits pour les gens que sa mère reçoit. Non, c’est une petite fille qui joue au ballon et qui vient à la place de sa mère relever les invités qui tombent de leur banc ».
Ce qui caractérise donc l’hypothèse enfantine, c’est qu’elle ne peut plus, une fois conçue, être niée complètement. Elle n’est pas une assomption, mais une croyance immédiate.
De son côté, le contrôle, lorsqu’il apparaît, est différent du contrôle adulte. Prenons comme exemples les cas cités au § 4 (il s’agit toujours des images du ballon). On s’aperçoit d’emblée, à lire les explications que les enfants ont données de la chute du banc, que la plupart d’entre elles paraissent ou invraisemblables ou insuffisantes aux adultes intelligents. La raison en est simple. L’hypothèse adulte, pour paraître satisfaisante, doit remplir au moins les trois conditions suivantes : 1° l’explication ne doit ni contredire aux données ni supposer des impossibilités physiques ; 2° l’explication doit avoir le maximum de rapports avec toutes les données ; 3° l’explication la plus vraisemblable est la meilleure. Or si l’enfant se plie assez vite à la première de ces trois conditions, les deux dernières, par contre, ne le préoccupent que peu.
Prenons les cas dans lesquels l’enfant attribue la chute du banc au balancement des occupants, au poids des personnes, à un coup de vent, etc. Un adulte pourrait faire les mêmes hypothèses. Mais il se dirait à coup sûr : « C’est peu satisfaisant parce qu’il n’y a là aucun rapport avec une petite fille qui joue au ballon. Pourquoi cette coïncidence ? etc. » Quant aux exemples dans lesquels l’enfant attribue la chute du banc à la vengeance de la petite, à l’éclatement du ballon, etc., l’adulte se dirait : « À la rigueur, c’est possible. Mais cherchons mieux, cherchons au plus simple. » L’enfant n’est pas si difficile : absence de rapports ou invraisemblance ne l’empêchent pas de croire, sitôt née, la première hypothèse surgie dans son esprit.
Ces caractères des hypothèses et du contrôle enfantins ne sont, d’ailleurs, que la conséquence de la viscosité mentale due au syncrétisme, aussi est-il inutile d’insister davantage.
§ 11. Les difficultés de la multiplication logique🔗
L’une des difficultés les plus remarquables qu’ont éprouvée les enfants que nous avons examinés a consisté à reconnaître que dans chaque couple d’images, les personnages équivalents étaient les mêmes. Que, par exemple, le chien et le garçon de l’image B étaient le même chien et le même garçon que ceux de l’image A.
Lie (5 ans). Images de la petite fille et du chien : « Ça (A) c’est un chien qui veut mordre la petite fille. Ça c’est un gosse. Ça (B) c’est un chien. Ça c’est une petite fille qu’a peur du chien. Ça c’est un petit garçon. » Il y a donc quatre personnages, bien que Lie voie bien la liaison entre le chien et la petite fille.
Tea (5 ans). Images du garçon et du chien : « Ça (A) c’est un petit garçon qui veut tuer ça (= le chien). Ça (B) c’est un petit gosse qui pleure… » etc.
Maran (5 ans). Images du ballon : « (A) Des bonshommes avec des dames. Il y a une petite fille avec son chapeau. (B) : Il y a une chose (= le banc) avec des bonshommes… ils ont les jambes en l’air. »
Ni (6 ans). Images du garçon et du chien : « (A) C’est un petit garçon puis il y a un chien qui regarde. Puis là (B) c’est un chien, puis il y a un petit garçon. »
Dro (6 ans) : id. « (A) Un garçon, puis un chien, puis il a un bâton, le petit garçon. Puis là (B) un petit garçon qui pleure, puis un chien. »
Rappelons que l’on dit toujours aux enfants que les deux images représentent « la même histoire ». Il nous est arrivé, d’ailleurs, de dire en autant de mots, à l’enfant, que les personnages des deux images étaient identiques. Mais ce fut sans succès :
Beru (6 ; 1). Images du garçon et du chien. « Pourquoi dis-tu que c’est l’histoire des garçons ? C’est le même garçon qu’on voit deux fois. — C’est un autre petit garçon… Celui-là on lui voit pas sa raie, et celui-là on voit sa raie. Et les chiens ? Pourquoi dis-tu les chiens ? C’est le même qui est ici. — Non, celui-là il tourne la tête et puis celui-là il a une patte plus petite que les autres (à cause de la perspective) et puis il a une patte rayée et puis pas l’autre… » etc.
Or cette difficulté à identifier les personnages correspondants disparaît à 7 ans pour les images du chien et du garçon et à 8 ans pour les cinq autres couples d’images, quelle que soit la difficulté d’interprétation de ces images. Cependant les images plus difficiles à interpréter occasionnent toujours plus de cas de non-identification que les autres. Voici la diminution avec l’âge des cas de non-identification (les chiffres désignent le nombre de récits témoignant de non-identification parmi les 120 récits recueillis par âge).
| 4Â ans | 5Â ans | 6Â ans | 7Â ans | 8Â ans | 9Â ans | 10Â ans | 11Â ans | 12Â ans |
| 94 | 85 | 70 | 46 | 10 | 6 | 7 | 0 | 0 |
C’est donc à 8 ans que le 75 % des cas se libèrent de cette difficulté à identifier les personnages des images correspondantes.
Quelle peut être la raison de ces faits ? Deux explications se proposent à nous, qui sont d’ailleurs les deux approximations successives d’une même explication. La première tient aux caractères de la narration graphique chez l’enfant. La seconde, à laquelle la première se ramène en fin de compte, tient à la structure logique de la pensée de l’enfant et, en particulier, à la difficulté à manier la multiplication logique.
M. Luquet 13 appelle « narration graphique » la « représentation par le dessin d’un spectacle temporel », c’est-à -dire d’une succession d’événements. Or, les procédés de narration graphique sont loin d’être les mêmes chez l’enfant et chez nous adultes, comme Earl Barnes, Levinstein, Rouma et Luquet l’ont bien montré. L’un de nos deux procédés habituels est celui que Luquet appelle le « type d’Épinal ». C’est précisément le procédé des images de Dawid. Il est caractérisé par le fait que chacune des images représente un épisode de l’histoire, et que chaque image forme un tout complet. Au contraire, les procédés habituels de l’enfant sont ce que Luquet appelle le « type à répétition » et le « type à juxtaposition ». Le type à répétition, dit Luquet, « a pour principe de répéter dans le dessin (dans un dessin unique) ce qui change » 14. Dans le cas des images du ballon, par exemple, l’enfant représenterait l’histoire par un seul dessin, mais il mettrait sur le dessin deux ballons, l’un dans les mains de la petite fille, l’autre en l’air pour montrer que le premier s’est envolé, etc. Quant au type à juxtaposition, il consiste à figurer sur le même dessin des événements non contemporains, mais sans répéter les personnages : ainsi, dans les images de la petite fille et du chien, l’enfant dessinerait côte à côte le chien attaquant la petite et le garçon venant protéger celle-ci, bien que le garçon ne vienne qu’en second lieu. En bref, les types à juxtaposition et à répétition ont ceci de commun qu’ils figurent toute l’histoire par une seule image et non pas par deux ou plusieurs, comme le type d’Épinal.
Or, cela étant, il est tout naturel que les enfants jusqu’à huit ans, ne parviennent pas à identifier les personnages de deux images successives disposées suivant le procédé d’Épinal. Stern avait déjà noté le fait sur sa fille âgée de trois ans 15. Luquet 16 considère cette observation de Stern comme unique. Nous avons maintenant la preuve que le phénomène est général et durable.
Bien plus, nous trouvons un synchronisme intéressant entre le moment où apparaît, dans les dessins spontanés des enfants, le type d’Épinal, et le moment où l’identification des personnages des images de Dawid devient générale. D’après la statistique de Luquet 17 c’est à 8 ans que les types à juxtaposition et à répétition cessent de représenter plus du 75 % des dessins des enfants (ils constituent le 80 % à 6 et 7 ans et le 70 % à 8 ans). Or c’est à 8 ans aussi que le 75 % des enfants réussissent à identifier les personnages des couples d’images correspondantes de Dawid.
Mais, cela dit, la difficulté n’est que reculée. Pourquoi l’enfant n’arrive-t-il pas à comprendre que les personnages de deux images, disposées suivant le procédé d’Épinal, sont les mêmes ? La question se pose d’autant plus que nous avons toujours dit aux enfants qu’il s’agissait là d’une « même histoire », facilitant aussi la compréhension du procédé d’Épinal.
Voici l’hypothèse que nous proposons. La difficulté à identifier les personnages correspondants d’une série d’images du type d’Épinal ne serait que le cas particulier d’une difficulté très générale chez l’enfant et que l’on peut appeler la difficulté à faire interférer les groupements logiques.
La forme la plus commune de cette difficulté est l’incapacité à effectuer l’opération connue sous le nom de « multiplication logique ». Soit deux classes d’individus, par exemple la classe des Genevois et la classe des protestants ; multiplier ces deux classes, c’est construire la plus grande classe commune à ces deux classes, c’est-à -dire la classe des « Genevois protestants ». Or, certains tests montrent d’emblée la difficulté de l’enfant à effectuer cette opération. Ainsi l’un de nous a présenté à des enfants de 7 à 11 ans le test suivant, suggéré par un test de Burt : « Je vais te faire deviner à quel animal je pense. Si cet animal a de longues oreilles, c’est un âne ou un mulet. Si cet animal a une grosse queue, c’est un mulet ou un cheval. Eh ! bien, l’animal auquel je pense a tout à la fois de longues oreilles et une grosse queue. Quel est cet animal ? » Les plus jeunes des enfants interrogés n’ont pas pu penser aux deux conditions à la fois et ont répondu au hasard. Vers 8-9 ans, par contre, les enfants ont bien vu le problème, mais ont répondu que l’animal cherché pouvait être aussi bien un âne, un mulet, ou un cheval, puisqu’il avait à la fois une grosse queue et de longues oreilles ! 18
On dira, sans doute, que ce test est présenté sous une forme artificielle. Mais nous avons trouvé le même phénomène dans la pensée spontanée de l’enfant. Nous avons vu des enfants qui définissaient la vie à la fois par le mouvement et par la propriété d’avoir du sang : une mouche est vivante parce qu’elle vole ; un arbre est vivant, quoiqu’il ne bouge pas, parce qu’il a de la sève qui est une sorte de sang, etc. Mais au lieu de penser à ces deux conditions à la fois, et de les faire ainsi interférer, ces enfants n’y pensaient qu’alternativement, ce qui les poussait à affirmer tantôt que le soleil est vivant parce qu’il avance, tantôt qu’il n’est pas vivant parce qu’il n’a pas de sang, etc. Ici de nouveau, il n’y a pas interférence ou synthèse, des deux conditions, mais simplement juxtaposition 19.
Une autre forme de la difficulté à faire interférer les groupements logiques est la difficulté à l’abstraction, c’est-à -dire la difficulté à dégager ce que deux ou plusieurs objets ont de commun : pourquoi une abeille ressemble à une mouche, etc. M. Claparède a montré combien l’aptitude à dégager les ressemblances est plus tardive, dans le développement de l’enfant, que l’aptitude à dégager les différences, quand même, ou plutôt parce que, la généralisation inconsciente ou involontaire est très précoce 20.
Or, la difficulté à identifier les personnages d’un couple d’images du type d’Épinal est précisément l’analogue, sur le plan de l’intelligence concrète, de ce qu’est, sur le plan de l’intelligence verbale, la difficulté à la multiplication logique : dans les deux cas, chaque ensemble auquel s’attache la pensée, est considéré à part, sans relation avec l’ensemble précédent, et sans que l’enfant parvienne à dégager les éléments communs aux deux ensembles. Une image suit une autre image, comme une affirmation verbale succède à une autre affirmation, sans que l’enfant saisisse ce qui est commun à ces deux prospectives successives.
La comparaison n’est pas toute formelle, comme il pourrait sembler au premier abord. Dans le cas des images comme dans le cas des concepts, ou des propositions à faire interférer, l’enfant voit bien que certains personnages correspondent l’un à l’autre. Lorsque Beru, que nous citions tout à l’heure, dit « c’est un autre petit garçon », etc., il cherche à justifier la distinction qu’il fait entre les deux images correspondantes du même petit garçon, parce qu’il voit très bien qu’on pourrait les identifier. Ce n’est pas par défaut d’observation que la plupart de nos enfants se sont refusés à identifier les images correspondantes. C’est parce que les personnages de la seconde image réapparaissent dans une situation d’ensemble toute différente de celle que représente la première image, et que cela nécessiterait un trop gros effort de synthèse que d’expliquer l’unité qu’il y a sous cette diversité de situations. De même, dans le cas de la multiplication logique, l’enfant voit bien les éléments communs à deux ensembles donnés, mais, ces éléments étant l’objet d’affirmations trop différentes les unes des autres, l’enfant ne cherche pas à faire la synthèse.
Il n’est pas possible de prouver, au moyen des seules images de Dawid, que la difficulté des enfants à identifier les personnages est bien due à une difficulté de synthèse et non à une simple difficulté de perception et de reconnaissance. Mais le dispositif suivant nous fournit une contre-épreuve décisive. On donne à l’enfant deux images, l’une représentant le début d’une histoire (par exemple un petit chien qu’on lave dans un baquet), l’autre représentant la fin (le petit chien est hors de l’eau et on l’essuie avec un linge de bain). On demande à l’enfant de mettre à gauche le début de l’histoire et à droite la fin. On demande ensuite à l’enfant de raconter l’histoire, et, en troisième lieu, on intervertit l’ordre des cartes en demandant à l’enfant si cela va bien aussi et s’il peut encore raconter l’histoire en tenant compte de l’ordre nouveau 21.
Or les petits réagissent parfois de la manière suivante. Ils placent les cartes dans l’ordre correct et racontent l’histoire en identifiant les personnages. Lorsqu’on retourne les cartes, ils prétendent que cela va tout aussi bien, mais ils racontent l’histoire sans identifier les personnages. Voici un exemple :
Bon (7 ans) dispose correctement les cartes représentant le chien qu’on baigne et qu’on essuie ensuite : « Qu’est-ce qu’on a fait ? — On l’a lavé et ensuite on l’a essuyé. » « Ça (ordre interverti), ça va ? — Oui. —  Pourquoi ? — Comme ça. —  On peut l’essuyer d’abord ? — … —  Raconte l’histoire. — Celui-là (1), il est déjà lavé, et celui-là (2) on le lave parce qu’il était plus sale, on l’essuie pas —  C’est le même chien ? — Oui. On l’a lavé et celui-là on l’essuie. —  Mais c’est le même chien ! Il s’appelle Médor ! — On l’a essuyé, et celui-là on l’a lavé. »
On voit nettement, dans ce cas, que la difficulté à identifier ne provient pas de la difficulté à reconnaître les personnages, puisque, lorsque les cartes sont disposées correctement, l’enfant reconnaît les chiens et les identifie. C’est la difficulté à construire une histoire qui pousse l’enfant à ne pas identifier les personnages : disposées dans un ordre rendant l’histoire trop difficile l’enfant renonce à identifier les deux chiens.
Bref, la non-identification des images est due, du moins dans la majorité des cas, à une incapacité synthétique très analogue à celle qui explique la difficulté à manier la multiplication logique. Seulement cette difficulté d’identification est d’un ordre beaucoup plus primitif que celui de la difficulté de la multiplication logique. C’est d’ailleurs, ce qui fait l’intérêt de ces nouveaux faits : ils nous montrent la généralité d’un processus que nous avions observé jusqu’ici sur le seul plan de l’intelligence verbale.
On peut d’ailleurs chercher plus loin encore, dans la direction des formes primitives de penser, pour trouver des analogies avec le phénomène que nous cherchons à décrire. On connaît l’existence, dans le rêve, de ce qu’on a appelé des doublets : un même objet apparaît deux fois dans un même rêve, sous deux formes différentes. Ainsi, dans un rêve que nous avons relevé, un même personnage figurait deux fois dans le même tableau. L’un des doubles était occupé à converser avec le sujet du rêve, pendant que l’autre double effectuait une action quelconque. Un tel fait est fréquent. Il y a là , croyons-nous, une nouvelle analogie entre la pensée imagée du rêve et la pensée de l’enfant 22 : le rêve, comme les dessins d’enfants, construit parfois ses tableaux selon le « type à répétition » et non suivant le « type d’Épinal ». Or la raison d’un tel fait semble simple : le type à répétition est plus économique et suppose une puissance de synthèse beaucoup plus faible.
En bref, la difficulté à la multiplication logique, sous ses formes les plus élémentaires, provient d’une difficulté à concevoir l’identique au travers de la diversité. Les tendances à l’économie conduisent la pensée primitive à ne concevoir que de l’identique ou que du divers. Ou un tableau unique juxtaposant pêle-mêle les événements successifs, ou plusieurs tableaux, mais sans lien les uns avec les autres : telle est l’alternative. La multiplication logique, sous toutes ses formes, consiste au contraire à créer un lien entre les tableaux successifs de manière à sauvegarder, et la diversité des perspectives possibles, et l’unité des éléments correspondants.
En conclusion, nous trouvons dans ces faits une nouvelle vérification de cette proposition, d’ailleurs évidente, que nous avons avancée récemment 23 : c’est que la logique des classes et ses opérations constitutives (addition et multiplication logiques) est, génétiquement, sous la dépendance de la logique des relations. La multiplication logique de deux ensembles, ou l’identification des éléments de deux tableaux, suppose que la pensée commence par établir une relation, non pas statique ou formelle, mais dynamique, entre les ensembles ou les tableaux en présence. Ainsi, dans le cas particulier, ce n’est qu’au moment où la situation d’ensemble est plus ou moins comprise en tant qu’histoire que les personnages sont identifiés, et non auparavant : c’est le jugement de causalité qui permet, ici, la multiplication logique. Comme l’a dit M. Brunschvicg, « la causalité n’a nullement pour fonction de lier des objets déjà donnés. Elle s’exerce par un acte de liaison qui donnera les objets, sans que liaison et objet puissent être considérés et représentés à part. 24 »
N. B. — On peut se procurer la collection des figures de cet article au prix de 1 fr. S’adresser à l’Institut Rousseau, Genève.