Anaïs

1986

Anaïs est née en 1986. Sa mère, célibataire d’origine genevoise, est dentiste. Une procédure pour établir la paternité de l’enfant est lancée par la Chambre des tutelles afin d’obtenir une créance alimentaire en sa faveur. Mais les recherches sont complexes et longues, car, comme le montre l’enquête menée dans le cadre de la procédure, « la mère de l’enfant avait une vie sexuelle particulièrement intense, avec des partenaires divers et nombreux » à l’époque de la conception. Anaïs vit alors avec sa mère.

À travers les yeux d’Anaïs, petite fille (© Élisabeth Voyame)

1990

Les expertises débouchent enfin sur l’identification du père, et celui-ci est astreint à contribuer à l’entretien de son enfant. Anaïs a un peu plus de 4 ans. Elle fait l’objet d’un signalement, par son enseignante, car elle s’isole, frappe les autres enfants ou des inconnu·es dans la rue. Une expertise réalisée par le service de la Guidance infantile – une consultation ambulatoire destinée à évaluer et prendre en charge les troubles des enfants d’âge préscolaire – se conclut par un diagnostic provisoire de « Trouble de la personnalité, type borderline », et relève notamment :

« Intelligence normale. Pas de trouble du cours de la pensée, mais une grande rapidité dans l’enchaînement des pensées. A des manifestations fréquentes de curiosité, spécialement en ce qui concerne l’anatomie des poupées. Personnalité soumise aux impulsions, avec d’importantes défenses contre un fond dépressif. La mère donne l’impression d’avoir de grandes difficultés à avoir une attitude cohérente et adaptée aux attentes d’une enfant de l’âge d’[Anaïs] ».

Source : Archives personnelles d’Anaïs.

Un suivi par la Guidance infantile est entamé, mais interrompu après trois mois par la mère d’Anaïs. Durant cette période, la mère décide d'envoyer Anaïs en vacances chez son père, qu’elle ne connaît encore pas.

1998

Anaïs est âgée d’un peu plus de 12 ans et fréquente un cycle d’orientation. Elle fait à nouveau l’objet d’un signalement au Service de protection de la jeunesse par la conseillère sociale de l’établissement : elle a fait plusieurs fugues, est en conflit avec sa mère et inquiète certain·es enseignant·es, dont l’une qui évoque une adolescente « très provocante tant sur le plan vestimentaire, que sur celui de son langage et de ses attitudes à connotation sexuelle ». La mère se dit quant à elle très préoccupée par les comportements « déroutants voire pathologiques » de sa fille (« dessins à caractère pornographique »). C'est alors qu'elle mentionne que celle-ci aurait été victime d’attouchements sexuels de la part d’un voisin deux ans auparavant. La conseillère sociale confie sa perplexité face à la mère qui tour à tour s’angoisse des perturbations de sa fille, mais « banalise et minimise des actes très graves » comme son agressivité ou sa consommation de stupéfiants. Elle précise qu’Anaïs fait « des récits très alarmants concernant son milieu familial » et demande à être placée en foyer. Au final, après avoir été entendue par le Service de protection de la jeunesse, la mère décide de placer Anaïs dans un internat en France voisine.

En avril 1999

Anaïs a 13 ans. Après une tentative de suicide dans son internat, elle est hospitalisée dans une unité semi-fermée de pédopsychiatrie des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) pour « grave trouble de la personnalité avec état limite, et état dépressif ». Deux mois plus tard, à la suite d’une fugue et d’automutilations, Anaïs est transférée à Belle-Idée, une clinique psychiatrique pour adultes, où elle est placée en chambre fermée (avec quelques moments pavillonnaires).

Clinique psychiatrique de Belle-Idée, Genève (Source : Archives Institut J.-J. Rousseau).

La clinique psychiatrique de Bel-Air est rebaptisée clinique psychiatrique de Belle-Idée en 1993. Cet établissement est dévolu aux adultes, il n’est cependant pas rare que des adolescent·es y soient interné·es sans être séparé·es des adultes jusqu’en 2002, date à laquelle un pavillon réservé aux jeunes de 12 à 18 ans est créé.

Clinique psychiatrique de Belle-Idée, Genève (Source : Archives Institut J.-J. Rousseau).

La clinique psychiatrique de Bel-Air est rebaptisée clinique psychiatrique de Belle-Idée en 1993. Cet établissement est dévolu aux adultes, il n’est cependant pas rare que des adolescent·es y soient interné·es sans être séparé·es des adultes jusqu’en 2002, date à laquelle un pavillon réservé aux jeunes de 12 à 18 ans est créé.

Anaïs se confiera plus tard sur ce séjour :

« Murs blancs, draps blancs, blouses blanches. Blanc-pureté, blanc-apaisant ? Blanc-trompeur, blanc-menteur… univers aseptisé, ouste les bactéries ! Bactéries… sociales ? Bactéries… lucides ? Univers monochrome. Non ! Un observateur avisé saura repérer les erreurs : le blanc est rompu par la couleur rose du fameux bon d’entrée non-volontaire, par les couleurs variées des petites pilules imposées : « ouvre la bouche, tire la langue » et… pourquoi pas « oh regarde le petit avion qui vole, s’approche et oh, ouvre la bouche ! » tant qu’on y est. Très vite, on apprend à résister. La pilule est planquée derrière les dents, coincée entre la joue et les gencives. Mais attention, ne surtout pas jubiler. Si on te chope, la pilule sera transformée en sirop voire en piqûre dans le cul. « Silence, hôpital »… si on veut. Silence troublé par les hurlements de la voisine dans la chambre d’à côté, vaines protestations qui se terminent en gémissements puis en silence : Sainte piqûre a fait son effet. Re- « silence hôpital ». Non plus ! Clic clac, bruit de serrures, portes fermées, bruits assourdissants dans ce silence si chèrement acquis. Au début, c’est l’innocence, la naïveté. Tu ne comprends pas. Tu ouvres la bouche, et puis… coma. Tu entres dans la chambre sans résistance en entendant « c’est pour ton bien, pour te protéger de toi, des autres patients adultes ». Tu en sors une semaine plus tard… au mieux. Une fois, pas deux. Promesse : on ne t’y reprendra pas. Cette semaine passée enfermée… à compter les pas dans la chambre en long, en travers, en sautant, sur un pied, en tournant, à compter les points sur le contre-plaqué du plafond… C’est sûr, tu ressortiras d’ici avec un doctorat en mathématiques ! Passons, un air de liberté flotte : clic, clac, la serrure chante, la porte s’ouvre… sur un pavillon fermé. Tu rencontres une autre, et puis encore une et étrangement, on se reconnaît. Ah ! toi aussi tu… oui, moi aussi ! Tu n’es plus seule, on est plusieurs. La résistance s’organise. Le comble du luxe : le pavillon fermé a un jardin, clôturé certes mais un jardin. Résistance oblige, on se découvre des talents de grimpeuses invétérées. Il faut dire que derrière les clôtures, la liberté est là, toute proche, elle palpite. Résumons la situation. La clôture est franchie, mais le reste… il faut sortir de l’enceinte, ne pas se faire attraper par la police et surtout, ne pas se faire enfermer à nouveau, et c’est là que figurez-vous, ça se complique singulièrement. Un dossier médical, c’est pire qu’un casier judiciaire : tu le prends à perpét’. Alors tu finis par t’habituer : à être enfermée, à voir tes amies enfermées, à résister, à fuguer, à lutter. Tu fugues ? On va t’enfermer sans tes chaussures. Tu fugues quand même ? On va te mettre en chambre fermée en permanence. Tu arrives quand même à t’échapper (ben oui, ta tête passait par l’espace étroit de la fenêtre verrouillée) ? On va t’attacher aux brancards histoire de te dompter, oups, pardon, de mieux te protéger contre ton gré (c’est toujours pour ton bien paraît-il). La copine d’à côté est encore plus mal barrée : chambre fermée, avec matelas de sécurité, chemise de nuit sans sous-vêtements (ne sait-on jamais, des fois qu’elle essaierait de se pendre avec…), privée de visites, de lettres, de téléphone, de vie quoi… Mais la chambre, elle, heureusement, n’est pas privée de fenêtre. Stratégie n°134 ? 135 ? : se faufiler dehors sans se faire attraper, si possible la nuit, pour parler à la copine par la fenêtre. Revanche, oh combien savourée, une seule et unique fois : piquer les clés de l’infirmière pour pouvoir… l’enfermer à son tour dans le bureau infirmier. Ou comment retrouver une bribe d’espoir et de rires. L’arroseur arrosé, l’enfermeuse enfermée. Ne surtout pas essayer, naïvement, de revendiquer tes droits (très mauvaise idée, ce sera interprété comme prouvant ton incapacité de discernement) ou d’exprimer ta colère (pire ! « Vous voyez bien qu’il faut l’enfermer, elle ne sait pas se contrôler… »). Première recommandation pour le manuel de survie en psychiatrie : tais-toi ! Ecoute-les parler, réponds-leur dans ta tête mais surtout, ne dis rien, n’exprime rien, ni colère, ni tristesse, ni désarroi, ni… Risque encouru : te perdre toi-même en cours de route, à trop brimer tes émotions et ressentis, ils finissent par s’enfouir si profondément que… Liberté, j’écris ton nom… ».

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Internée (© Élisabeth Voyame)

Après une semaine d’internement, puis un retour dans le service de pédopsychiatrie des HUG pour 3 mois, Anaïs retourne habiter chez sa mère. Mais dès novembre 1999, le Service de protection de la jeunesse alerte les autorités tutélaires : les conflits violents entre Anaïs et sa mère perdurent, et l’adolescente fait des fugues, s’automutile.

Je l’expertise, tu l’expertises, ils l’expertisent… (© Élisabeth Voyame)

Je l’expertise, tu l’expertises, ils l’expertisent… (© Élisabeth Voyame)

Le Tribunal tutélaire ordonne sa mise en observation en milieu fermé au Centre de La Clairière.

Centre de détention et d’observation de La Clairière (Source : Archives Institut J.-J. Rousseau).

Créée en 1964, La Clairière est une institution fermée qui accueille des mineur·es faisant l’objet d’une mesure judiciaire pénale ou civile d’observation ou de placement fermé, ou en détention préventive. Cette institution, dévolue aux garçons durant plusieurs décennies, accueille des jeunes filles depuis 2000.

Lors de cette observation, Anaïs révèle avoir subi des attouchements sexuels de la part de son père lorsqu’elle avait 4-5 ans. Elle évoque également les relations sexuelles entretenues par sa mère durant la même période, auxquelles elle dit avoir assisté et participé. Une procédure pénale est initiée mais les souvenirs d’Anaïs sont jugés trop flous. L’affaire est classée sans suite. L’expertise psychiatrique évoque à son propos :

« Absence de préoccupation pour son avenir, désinhibition sexuelle, petite toxicomanie. [Anaïs] serait candidate et prête à dire n’importe quoi (entendu au sens commun du terme bien sûr) tant son désarroi est important. Cette impression est également, dans une certaine mesure, étayée par la coïncidence des révélations avec son placement fermé à La Clairière (pour d’autres raisons que la suspicion d’abus sexuels). [Anaïs] n’est pas pleinement en mesure, d’une part de se souvenir de ce qu’elle dit, mais aussi en mesure de mesurer pleinement la portée de la gravité de telles ou telles affirmations. Pour ne pas prolonger, je serais circonspect quant à la réalité des actes dont elle se dit avoir été victime ».

Source : Tribunal tutélaire/Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant.

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Résultats d’une enquête menée à Genève concernant les abus sexuels commis sur les adolescent·es (Source : Bulletin suisse des droits de l’enfant, 1997).

Cette enquête a été menée à Genève en 1997 par des chercheur·es issu·es de divers secteurs de la santé (pédiatres, psychologues) auprès de 1130 élèves du Cycle d’orientation, âgée·es de 14-15 ans. 33 adolescentes sur 100 ont été victimes de contraintes sexuelles et 21% des filles sont concernées par des abus sexuels graves, généralement commis par des proches. Le rapport se termine par une recommandation : la nécessité d’accorder une protection à un·e enfant qui dénonce des abus sexuels.

Résultats d’une enquête menée à Genève concernant les abus sexuels commis sur les adolescent·es (Source : Bulletin suisse des droits de l’enfant, 1997).

Cette enquête a été menée à Genève en 1997 par des chercheur·es issu·es de divers secteurs de la santé (pédiatres, psychologues) auprès de 1130 élèves du Cycle d’orientation, âgée·es de 14-15 ans. 33 adolescentes sur 100 ont été victimes de contraintes sexuelles et 21% des filles sont concernées par des abus sexuels graves, généralement commis par des proches. Le rapport se termine par une recommandation : la nécessité d’accorder une protection à un·e enfant qui dénonce des abus sexuels.

Après 6 semaines d’observation, Anaïs retourne finalement chez sa mère car aucune place en foyer n’est disponible pour elle. Elle est suivie par un psychiatre du Service médico-pédagogique (SMP).

Affiche d’un film qui traite des abus sexuels sur mineur·es (Source : Wikipédia, auteur : Renaxxxx89)

Juin 2000

Anaïs est âgée de 14 ans. Le Service de protection de la jeunesse réclame pour elle une mesure de privation de liberté à des fins d’assistance (PLAFA) auprès du Tribunal tutélaire, car elle continue de fuguer, de se mettre en danger et de ne pas aller à l’école. Après avoir entendu l’adolescente et sa mère, la juge retire la garde d’Anaïs à sa mère, la place sous PLAFA à La Clairière et confie sa garde au Service du tuteur général.

Mise sous PLAFA (© Élisabeth Voyame)

Mise sous PLAFA (© Élisabeth Voyame)

Un rapport d’observation de La Clairière note la présence de troubles alimentaires, précise qu’Anaïs est sous traitement neuroleptique et ajoute :

« [Anaïs] donne plutôt l’image d’une jeune fille aguicheuse et provocante, [elle] s’exprime très crûment, déballant à qui veut l’entendre sa vie sexuelle agitée. Elle peut tenir alors discours et propos en décalage total avec son jeune âge. Souffrant d’un vide affectif béant […], l’enfermement s’est révélé être une source d’angoisse importante ».

Source : Tribunal tutélaire/Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant

Illustration extraite d’une brochure sur les droits de l’enfant parue en 2009 (© éducation21).

La prostitution des mineur·es est encore autorisée en Suisse dès 16 ans. Un droit de l’enfant ??

Durant la PLAFA d’Anaïs, le Service du tuteur général, appuyé par le Service médico-pédagogique, veut la transférer vers Belle-Idée, soulignant que « tous les professionnels pensent qu’elle profitera mieux d’un séjour ‘médical’ plutôt que de poursuivre son temps à La Clairière ». Mais cette solution est rejetée par la juge du Tribunal tutélaire :

« Jusque-là, les filles ne dérangeaient pas la société, parce qu'elles se mettaient en danger et parce qu'elles ne se faisaient que du mal à elles-mêmes. Elles ne passaient pas à l'acte sur autrui et ne constituaient ainsi pas un danger pour autrui. Du coup, on ne s'est pas préoccupé de leur sort. On les place en milieu psychiatrique par le biais de mesure de privation de liberté à des fins d'assistance pour les soigner et se donner bonne conscience. On ne s'est jamais préoccupé du fait que ces lieux n'ont pas été conçus comme des lieux de vie pour des mineurs·es, filles ou garçons d'ailleurs. Certains séjours ont pu durer des semaines, des mois, sans que personne ne trouve rien à redire du fait qu'il n'y a pas de scolarité possible, alors que celle-ci est obligatoire jusqu'à 15 ans révolus, sans formation professionnelle possible, sans activité sportives ou de loisirs, sans rencontre avec d'autres jeunes hors cadre thérapeutique. La situation n'a pas évolué à ce jour. Belle-Idée n'est toujours conçu que comme un lieu thérapeutique et de stabilisation, bien que de longs séjours de mineurs ne soient de loin pas une exception. Les mineur·es cependant ne sont plus mélangé·es avec les adultes. Il manque incontestablement des foyers thérapeutiques à Genève et dans toute la Suisse latine. Cette lacune m'indigne et me laisse songeuse... […]. Pour les filles spécialement, ce qui manque –même si c’est déjà prévu dans la loi – c’est le foyer fermé qui existe pour garçons et qui n’est toujours pas ouvert pour elles. Comme si les filles, on s’en fiche. Ce sont les besoins négligés des filles […]. Depuis toujours, c’est très discriminant, c’est une question de genre : filles ou garçons […]. Je n’ai pas prononcé fréquemment des privations de liberté à des fins d’assistance, en revanche, celles-ci concernaient en grande majorité des filles. Et pourquoi ? Parce qu’il y avait toujours un passage à l’acte chez le garçon qui permettait de traiter la situation différemment et de le renvoyer au Tribunal de la jeunesse alors que la fille, elle, ne passait pas forcément à l’acte mais n’allait pas bien. Elle se mettait gravement elle-même en danger mais elle ne représentait pas un danger forcément pour autrui. Elle retournait son mal-être contre elle, c’était beaucoup plus intériorisé, au contraire du garçon, qui partait en éclats et commettait un délit. De ce fait, la très grande majorité des demandes de privation de liberté émanant des services sociaux concernaient les filles […]. Je crois pouvoir avancer le chiffre de 90% de filles. J’ai vraiment eu très peu de garçons. Et puis, c’étaient des jeunes filles qui étaient connues et qui arrivaient déjà avec une étiquette, c’était terrible, elles étaient considérées comme la patate chaude qu’on se passe et dont personne ne veut. Pour moi, il n’y a pas de patate chaude que l’on se passe, non. Il y a une personne et il faut voir ce qu’on peut faire pour lui venir en aide, et si on a vraiment tout fait […]. Dans les cas de privations de liberté à des fins d’assistance que j’ai prononcées, je pense que c’était une sorte de ‘stop- technique’ bienvenu, pour un bref moment, afin que la personne puisse souffler, parce qu’il n’y avait plus d’autre choix, parce qu’il n’y avait pas d’endroit où la placer pour se poser et qu’il fallait qu’elle soit contenue un moment. En revanche, il était évident qu’on allait chercher un projet pour vite que cette personne puisse ressortir au plus vite. On ne laissait pas le ou la jeune pour une année en se disant : « alors voilà, on a rendu la décision, on est tranquille ». Pas du tout. Pour moi c’était clair qu’il n’y avait pas un jour de plus que nécessaire à rester dans une privation de liberté s’il était possible de faire autrement ».

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Article du Code civil suisse 314a (adopté en 1978 et entré en vigueur en 1981), réglementant la privation de liberté à des fins d’assistance pour les mineur·es.

La mesure de privation de liberté à des fins d’assistance est une mesure prévue pour les majeur·es. Elle ne doit être mise en œuvre que lorsque la protection ou l’assistance de la personne ne peut être mise en œuvre par un autre moyen. Cette mesure est aussi applicable aux mineur·es, par analogie. Un point qui ne peut manquer de surprendre puisque la logique même des droits de l’enfant est fondée sur la différence qui sépare les mineur·es des adultes, notamment en regard de leur droit à l'éducation. Quant à la capacité de faire appel des décisions qui les frappe, elle a été fixée arbitrairement à l’âge de 16 ans. L’adolescent·e est donc ici assimil·é aux enfants en bas âge incapables de discernement : une autre tension avec les ambitions émancipatoires de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Article du Code civil suisse 314a (adopté en 1978 et entré en vigueur en 1981), réglementant la privation de liberté à des fins d’assistance pour les mineur·es.

La mesure de privation de liberté à des fins d’assistance est une mesure prévue pour les majeur·es. Elle ne doit être mise en œuvre que lorsque la protection ou l’assistance de la personne ne peut être mise en œuvre par un autre moyen. Cette mesure est aussi applicable aux mineur·es, par analogie. Un point qui ne peut manquer de surprendre puisque la logique même des droits de l’enfant est fondée sur la différence qui sépare les mineur·es des adultes, notamment en regard de leur droit à l'éducation. Quant à la capacité de faire appel des décisions qui les frappe, elle a été fixée arbitrairement à l’âge de 16 ans. L’adolescent·e est donc ici assimil·é aux enfants en bas âge incapables de discernement : une autre tension avec les ambitions émancipatoires de la Convention internationale des droits de l’enfant.

Février 2002

Anaïs est finalement placée au foyer de La Pommière et peut reprendre sa scolarité. En février 2002, âgée de 16 ans, elle s’installe dans un appartement de suite en ville, dont elle est renvoyée pour non-respect du cadre posé, après 5 mois de séjour. Après avoir habité quelques mois chez une amie, Anaïs est placée d’urgence dans un foyer par le Tuteur général. Lors d'une soirée avec des adolescent·es dans l’appartement inoccupé de sa mère, elle subit un viol. Quelques jours plus tard, Anaïs commet un cambriolage en compagnie d’une autre adolescente placée, au cours duquel elle vole une chemise. À la fin du placement d’urgence, son tuteur replace Anaïs dans l’appartement de sa mère où s’est déroulé le viol. Peu après, Anaïs est arrêtée et conduite devant le juge du Tribunal de la jeunesse pour le cambriolage effectué le mois précédent. Le juge décide d’incarcérer Anaïs durant une dizaine de jours à la prison pour femmes de Riant-Parc.

Illustration extraite d’une brochure sur les droits de l’enfant parue en 2009 (© éducation21).

Les articles 37 et 40 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant concernent la privation de liberté des mineur·es, laquelle doit être une mesure de dernier ressort, d’une durée aussi brève que possible. Les mineur·es doivent en outre être séparé·es des adultes et avoir accès à l’éducation.

« Droit(s) au panier » (Source : Bulletin suisse des droits de l’enfant, 1997).

Le canton de Genève est ici pointé du doigt concernant la détention de mineur·es dans des établissements pour adultes. C’est à partir de 2006 que les mineur·es ne pourront plus être détenu·es dans des établissements pour adultes.

« Droit(s) au panier » (Source : Bulletin suisse des droits de l’enfant, 1997).

Le canton de Genève est ici pointé du doigt concernant la détention de mineur·es dans des établissements pour adultes. C’est à partir de 2006 que les mineur·es ne pourront plus être détenu·es dans des établissements pour adultes.

Dessin d'une jeune fille enfermée, 1991 (Source: Archives Institut J.-J. Rousseau)

À sa sortie de Riant-Parc, Anaïs, contrainte de retourner à nouveau dans l’appartement de sa mère, se scarifie et est internée à Belle-Idée. Le Service médico-pédagogique demande alors une mesure de privation de liberté à des fins d’assistance pour Anaïs au Tribunal tutélaire :

Demande de privation de liberté à des fins d’assistance du Service médico-pédagogique (Source : archives personnelles d’Anaïs).

Le Tribunal tutélaire convoque Anaïs pour une audition, à la suite de laquelle la juge refuse d’ordonner une mesure de privation de liberté à Belle-Idée et demande au Tuteur général de trouver pour Anaïs un lieu de placement autre que l’appartement de sa mère. Finalement, c’est Anaïs elle-même qui obtient une chambre dans une résidence universitaire, reprend ses études et passe son baccalauréat de français par correspondance.

En 2004

Anaïs est tout juste majeure et n’a plus de revenus pour financer son hébergement. Elle souhaite poursuivre des études supérieures. Le Service du Tuteur général, vu sa majorité, a mis fin à son suivi et lui conseille de s’adresser à l’Hospice Général.

Fin du suivi (© Élisabeth Voyame)

Fin du suivi (© Élisabeth Voyame)

L’Hospice général n’offre de solution de financement qu’en cas d’entrée en apprentissage. Anaïs, elle, veut poursuivre des études supérieures. Seule solution : s’inscrire à l’Assurance Invalidité pour pouvoir poursuivre sa formation.

Libre ...mais seule (© Élisabeth Voyame)

Réflexions autour de l’Institution et des Droits de l’enfant, revue AVTES Communique, 1997 (Source : Infothèque de la Haute école de travail social de Genève).

À l’heure où les parcours scolaires s’allongent dans le but d’offrir aux jeunes de tous milieux les possibilités d’améliorer leur formation et à terme de maximiser leurs chances sur le marché du travail, les mineur·es placé·es restent à la traîne de cet élan démocratisateur. Les travailleuses et travailleurs sociaux le savent bien, premiers témoins des parcours éducatifs de ces enfants dont la scolarité a souvent été fracturée par des ruptures en tous genres (séparations, déracinements, placements et déplacements).

Que nous dit l’histoire d’Anaïs ?

Le parcours d’Anaïs révèle la sensibilité croissante du public aux questions de maltraitance, et tout particulièrement de la part des enseignants·es confrontés·es à bien des situations sensibles. Ils et elles sont désormais formé·es à repérer et signaler aux autorités compétentes les comportements ou observations qui les questionnent. Les processus de traitement de ces cas se font plus complexes, et les intervenant·es professionnel·les se diversifient autour des familles concernées, tant sur le terrain administratif que juridique, social ou médical. Les protocoles varient certes d’un organe à l’autre, mais la collaboration avec les parents est dorénavant recherchée par toutes et tous. Même si des dysfonctionnements sont constatés dans l’attitude éducative, la volonté de soutenir, conseiller, étayer prévaut.

Qu’en est-il de l’écoute des mineur·es concerné·es, surtout lorsqu’un diagnostic est posé, parfois très précocement, sur leurs comportements ? Le risque existe de ne lire les conduites de l’enfant qu’à travers le filtre de ce premier étiquetage, au point de rendre inaudibles les signes d’abus sexuels, et leurs effets à court ou moyen terme. Le diagnostic de troubles de la personnalité type borderline, posé sur Anaïs durant sa petite enfance, semble lui coller à la peau tout au long de son parcours institutionnel. Ses comportements sont systématiquement décrits avec des termes sexués, ses souvenirs d’abus sexuels subis sont jugés peu crédibles.

Écoutée, Anaïs ?

Devenue adolescente, Anaïs présente des attitudes qui s’inscrivent à première vue dans le sillage de ces diagnostics précoces. Les services semblent dépassés, démunis aussi face à l’absence de structures adaptées à son cas : il n’existe pas d’institution éducative fermée pour filles. L’internement en psychiatrie paraît s’imposer à eux en désespoir de cause.

Le devoir de protéger à tout prix, y compris contre elle-même, l’adolescente en crise, se conçoit. Mais comment justifier la durée de ces internements non-volontaires, jamais négociés ni explicités, et leurs conditions ? L’espace clos et la médication imposés, le mélange avec les adultes, le désert éducatif ? Les dispositions de la Convention internationale des droits de l’enfant visant à garantir le droit à l’éducation, à la protection, à l’émancipation ouvrent déjà un espace béant de possibilités. Mais les droits ne font pas tout. On ne peut décréter de droit à l’empathie, à la bienveillance, à la sollicitude….

En dépit des innovations fortes qu’apporte la période sur le plan des prises en charges (recherche de modèles d’intervention en milieu ouvert, injonction à la collaboration avec les publics, prise de conscience des mécanismes de stigmatisation, ambition d’insertion par l’éducation) le temps long des représentations genrées pèse encore sur les dispositifs de protection des mineur·es. Les filles sont ainsi davantage orientées vers la filière psychiatrique que leurs homologues masculins et ne bénéficient pas des mêmes possibilités de scolarité et de formation qu’eux. Par ailleurs, les critères avancés pour orienter les « incasables » vers l’enfermement psychiatrique, hérités des périodes antérieures, perdurent : fugues, rébellion et vie sexuelle active sont toujours considérées comme des manifestations de troubles psychiques qu’il convient de traiter médicalement.

Avec quel effet ? Au terme de ses enfermements successifs, Anaïs a certes traversé cette adolescence chaotique, pour s’efforcer de reprendre une trajectoire de formation et d’insertion. Mais comment échapper à la fatalité de l’assistance, quand la scolarité a été ainsi hachée menu ? Et surtout comment accéder à l’autonomie lorsque, la majorité atteinte, les appuis s’évaporent ?