1980 - 2000

Écoutés ! Écoutées?

Les années 1980 à 2000 se situent dans la continuité de la décennie 1970, dont les réformes vont se faire ressentir sur les pratiques des services et des institutions de la protection des mineur·es. Mais c’est aussi une ère de ruptures, pour une société qui voit s’adoucir le contrôle social sur les mœurs et les comportements, laissant plus d’espace aux libertés et aux choix individuels. La famille, la parentalité, les relations au sein des couples ou entre les générations se transforment aussi. Le travail féminin se généralise, et les institutions de garde ou d’éducation de la petite enfance prennent une plus grande place dans la vie des familles.

Couverture de L’Illustré, 1969 (Source : Bibliothèque de Genève)

La place des pères au sein du couple à partir des années 1960 et 1970 est une des évolutions les plus notables dans la façon de voir et de vivre la famille. Cette couverture parue dans la presse romande en porte témoignage. Nombre de pères revendiquent un nouveau rapport avec leur enfant, et le partage des tâches traditionnelles de soin, d’éducation, d’attention qui y sont attachées, comme un facteur de leur propre épanouissement. Une évolution qui va contribuer à complexifier les décisions des tribunaux en matière de garde d’enfants, notamment en cas de séparation conflictuelle.

Couverture de L’Illustré, 1969 (Source : Bibliothèque de Genève)

La place des pères au sein du couple à partir des années 1960 et 1970 est une des évolutions les plus notables dans la façon de voir et de vivre la famille. Cette couverture parue dans la presse romande en porte témoignage. Nombre de pères revendiquent un nouveau rapport avec leur enfant, et le partage des tâches traditionnelles de soin, d’éducation, d’attention qui y sont attachées, comme un facteur de leur propre épanouissement. Une évolution qui va contribuer à complexifier les décisions des tribunaux en matière de garde d’enfants, notamment en cas de séparation conflictuelle.

De nouvelles dispositions plus conformes aux droits humains sont édictées au plan fédéral, qui permettent de se débarrasser dès 1981 des détestables lois sur l’internement administratif dont la plupart des cantons s’étaient dotés durant la première moitié du siècle. Les mesures de privation de liberté à des fins d’assistance restent possibles, mais soumises à une réglementation uniforme qui en limite l’arbitraire. De nouvelles générations de travailleurs et travailleuses sociales accèdent en plus grand nombre au diplôme avec la multiplication des cursus de formation en cours d’emploi. Elles se mobilisent pour faire reculer la diabolisation des comportements juvéniles risqués ou hors-norme (toxicomanie, accès aux loisirs et aux produits culturels de masse).

Publicité parue dans L’Illustré, 1969 (Source : Bibliothèque de Genève)

Dès les années 1960, la ‘culture jeune’ se généralise en Suisse romande comme dans de nombreux pays occidentaux, à la faveur d’une ère de croissance, et de l’allongement global de la durée des études qui favorisent l’émergence d’une sociabilité collective juvénile. Un mouvement qui ne fait que se renforcer durant les décennies suivantes, même si la récurrence des crises économiques à la suite des chocs pétroliers met à mal les conditions d’insertion de ces jeunes générations.

Dans le droit fil des nouvelles moutures du code civil et du code pénal, les services de protection des mineur·es s’attellent à mettre sur pied des procédures plus ouvertes sur le dialogue avec les publics. Plus individualisées aussi. Ainsi, la révision du code pénal fédéral en 1971 a permis de créer une nouvelle mesure dite d’assistance éducative. Son but ? « Laisser l’enfant auprès de ses parents, malgré les imperfections de ceux-ci, de les soutenir et d’éviter les traumatismes consécutifs à un éloignement forcé du foyer » (Degoumois, 1974, p.124). Dans la foulée, des services d’assistance éducative en milieu ouvert sont créés, afin de les aider à s’ajuster aux nouvelles normes de parentalité.

C’est privilégier la mission d’aide calibrée aux besoins, au détriment du mandat d’alignement sur les normes, qui jusque-là s’effectuait avec une raideur toute verticale. Ce qui n’exclut pas pour autant le maintien de sanctions contre les familles qui s’avèreraient incapables de coller à ces nouvelles normes… Il n’en demeure pas moins que le placement est désormais fortement dévalorisé et présenté comme le dernier recours : les organes de la protection de l’enfance sont incités à tout tenter avant d’en arriver là et à proportionner leurs décisions à la gravité des situations dont ils ont connaissance.

La prise en charge institutionnelle des jeunes, article paru dans la revue Travail social, 1985 (Source : Infothèque de la Haute école de travail social de Genève).

Les professionnel·les du travail social sont appelé·es à réinventer leurs manières de dire et de faire la protection des mineur·es à l’aune d’une nouvelle injonction à soutenir plutôt qu’à réprimer. Pour certain·es, déjà critiques sur les risques de coercition propres aux mécanismes d’assistance, c’est l’occasion rêvée de réaffirmer le rejet des enfermements sous toutes leurs formes. Pour d’autres, le recours aux institutions de placement reste nécessaire pour faire face à la gravité de certains cas, ou lorsque la collaboration avec les familles ou les mineur·es est perçue comme un échec. Le débat est ouvert… et le reste encore de nos jours.

Les années 1980-2000 représentent des années de grande créativité et d’expérimentation pour les professionnel·les du secteur socio-éducatif confronté·es à ces nouvelles exigences d’écoute et de soutien individualisés. On cherche, on réfléchit, on s’efforce de s’outiller pour parvenir à construire des nouvelles logiques d’intervention. Les associations professionnelles de travailleuses et travailleurs sociaux et d’éducateurs·trices deviennent des partenaires à part entière de cette réflexivité, et des forces de proposition dans cette volonté d’inventer et de perfectionner de bonnes pratiques (ou en tout cas d’en chercher de meilleures). Les directions de maisons d’éducation, regroupées elles aussi dans des organismes faîtiers locaux ou nationaux, alimentent ce processus, cherchant à s’informer pour se réformer.

Pour penser ce mieux disant professionnel et institutionnel, les outils théoriques ne manquent pas. Ceux issus de l’approche systémique sont particulièrement mobilisés en Suisse romande :

« C’était à la fin des années septante, au début des années quatre-vingt, il y a l’introduction de la systémique. Ça a vraiment bouleversé la compréhension de l’enfant qui était jusque-là désigné comme patient. Nous on disait que c’était pas l’enfant qui était un problème. Il était perçu comme tel, mais le problème, il est dans le milieu relationnel dans lequel il vit, dans la famille… Et donc on était d’avis que les thérapies qui sont centrées sur le problème de l’enfant devaient être dépassées. Dans bien des situations on a vu que quand on travaillait avec le réseau ou avec les intervenants significatifs de l’enfant, on pouvait apporter des changements plus vite que si on faisait pendant deux ou trois ans une analyse qui un jour se termine sans que l’enfant soit vraiment guéri. Donc ça c’était des approches plus éco-systémiques. Ça a bouleversé la manière des prises en charge. Parfois un peu excessif quand ça ne suffit pas que l’enfant, ses parents et toute la famille vienne, il faut encore que les grands-parents viennent aussi… Au début c’était comme une mission et on était presque comme une secte, il n’y avait que ça. C’était un changement et là aussi tous les collaborateurs étaient formés en systémique, tous ».

Extrait d’un entretien avec un psychologue en fonction dans les années 1980.

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Il ne suffit cependant pas de vouloir écouter les enfants pour pouvoir les entendre. La parole des mineur·es n’est pas si facile à capter dans les circonstances dramatiques où on la recherche, telles les séparations très conflictuelles, les soupçons d’abus sexuels, les maltraitances. Le début des années 1990 va d’ailleurs se caractériser par une sensibilisation croissante sur cette question de la maltraitance envers les enfants. Une tâche complexe et sensible, d’autant que la définition du phénomène est encore en cours d’élaboration. Ainsi, si les sévices physiques ou les négligences sont souvent repérés, les abus sexuels sont eux plus rarement identifiés :

« Les sévices physiques sont les plus nombreux […]. Ils vont de la simple gifle violente parce qu’elle a laissé des traces visibles […] qui en ont permis le dépistage, aux coups à l’aide d’objets les plus divers […] en passant par les coups de poing dans l’œil et les coups de pied dans le ventre. Les cas de négligence sont de plus en plus signalés, notamment ceux concernant des enfants livrés à eux-mêmes, privés de sortie et de jeu avec leurs camarades ou assurant des travaux ménagers disproportionnés par rapport à leur âge […]. Peu de cas d’abus sexuels ont été décrits […] pour cette évaluation. Cela peut provenir de plusieurs causes : soit le sujet est tabou et il existe encore une certaine pudeur à transmettre des informations sur le sujet, soit les signalants potentiels n’osent pas intervenir dans des affaires intrafamiliales (« le secret le mieux gardé »), soit ces mêmes personnes hésitent à signaler des situations non avérées, c’est-à-dire sur la base de simples soupçons, de peur de se tromper en accusant à tort. Dans toutes ces situations c’est l’intérêt de la famille qui est sauvegardé et non celui de l’enfant ».

Analyse des situations d’enfants maltraités (Source : Service Santé Jeunesse, août 1991).

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Nombre annuel de situations de mauvais traitements signalées au Service Santé Jeunesse, 1999 (Source : Département de l'instruction publique, Office de la jeunesse).

Enfants maltraité·es ou en risque pris en charge par le Service Santé Jeunesse de 1989 à 2003 (Source : Département de l’instruction publique, Office de la jeunesse).

Le processus de sensibilisation à la maltraitance semble avoir produit des effets sur le plan de l’enregistrement des faits jugés problématiques. À Genève, le nombre annuel de ces situations signalées passe de 42 cas en 1991 à 265 cas en 1999. Effet d’une attention publique nouvelle au phénomène de maltraitance infantile, cette hausse des signalements se traduit aussi à la fin des années 1990 par un élargissement de la définition : la catégorie enfant « en risque » d’être en danger ou maltraité·e est désormais aussi, dès 1999, comptabilisée.

Enfants maltraité·es ou en risque pris en charge par le Service Santé Jeunesse de 1989 à 2003 (Source : Département de l’instruction publique, Office de la jeunesse).

Le processus de sensibilisation à la maltraitance semble avoir produit des effets sur le plan de l’enregistrement des faits jugés problématiques. À Genève, le nombre annuel de ces situations signalées passe de 42 cas en 1991 à 265 cas en 1999. Effet d’une attention publique nouvelle au phénomène de maltraitance infantile, cette hausse des signalements se traduit aussi à la fin des années 1990 par un élargissement de la définition : la catégorie enfant « en risque » d’être en danger ou maltraité·e est désormais aussi, dès 1999, comptabilisée.

Des protocoles qui permettent de faire advenir cette parole, sans pour autant l’influencer ou la déformer se mettent progressivement en place au début des années 1990. Les milieux de la protection de l’enfance comme ceux de la police (Brigade des mineurs) s’en saisissent. Le travail en équipes interdisciplinaires, mobilisant des savoirs et des compétences diverses, se généralise, permettant de collectiviser les dilemmes autour des situations les plus inflammatoires. Non sans difficultés…

Réflexions autour de la liberté d’expression des jeunes placé·es, Travail social, 1982 (Source : Infothèque de la Haute école de travail social de Genève).

Les travaux de fin d’études réalisés à l’issue de leur cursus par les élèves des écoles sociales sont un baromètre pertinent de l’état d’esprit des travailleurs et travailleuses sociales. Dès les années 1970 et de façon récurrente depuis lors, leurs propos se font plus incisifs et plus critiques vis-à-vis des missions et mandats du travail social : ils et elles en soulignent volontiers les contradictions ou les tensions, comme ici celle qui consiste à proposer la libre collaboration aux publics privés de liberté…

Les décennies 1980-2000 sont également frappées de plein fouet par plusieurs épisodes de crises économiques et sociales. Les mineur·es ne sont pas épargné·es, notamment par la montée en puissance du chômage des jeunes qui grippe bien des mécanismes d’insertion. Des situations de précarité radicalement nouvelles apparaissent aussi avec l’arrivée de populations migrantes, réfugiées ou requérantes d’asile. Des questions sociales d’autant plus brûlantes que les finances publiques peinent à suivre… De quoi désorienter les politiques sociales, et surtout celles et ceux qui les appliquent.

Le travail social vu par les professionnel·les du terrain, image parue dans la revue Travail social, 1989 (Source : Infothèque de la Haute école de travail social de Genève).

Comment poursuivre dans les mandats de soutien à une époque où les inégalités se creusent, où de nouvelles formes de pauvreté se développent, où les politiques sociales sont confrontées aux exigences de rentabilité ? Les professionnel·les du travail social s’interrogent sur la perte des repères traditionnels de leur action. Les droits humains ont-ils encore un sens ?

Le travail social vu par les professionnel·les du terrain, image parue dans la revue Travail social, 1989 (Source : Infothèque de la Haute école de travail social de Genève).

Comment poursuivre dans les mandats de soutien à une époque où les inégalités se creusent, où de nouvelles formes de pauvreté se développent, où les politiques sociales sont confrontées aux exigences de rentabilité ? Les professionnel·les du travail social s’interrogent sur la perte des repères traditionnels de leur action. Les droits humains ont-ils encore un sens ?

Une illustration des conflits qui peuvent survenir entre autorités et professionnel·les du travail social, parue dans la revue Travail social, 1983 (Source : Infothèque de la Haute école de travail social de Genève).

C’est aussi durant cette période que les services publics sont sommés d’ajuster leurs pratiques à l’efficacité supposée du secteur privé. L’ère du New Public Management s’annonce, avec son culte de l’évaluation, des résultats et de la responsabilisation des publics. Pour les travailleurs et travailleuses sociales, le risque est grand de voir ces impératifs de rentabilité rentrer en forte tension avec leur mission de soutien et d’écoute envers leurs publics.

L’évaluation des politiques institutionnelles, illustration parue dans la revue Travail social, 1989 (Source : Infothèque de la Haute école de travail social de Genève).

L’évaluation des politiques institutionnelles, illustration parue dans la revue Travail social, 1989 (Source : Infothèque de la Haute école de travail social de Genève).

C’est dans ce contexte qu’intervient un événement à l’audience d’abord discrète : en novembre 1989, l’ONU adopte la Convention internationale des droits de l’enfant. Progressivement, elle va être ratifiée par l’ensemble de la communauté internationale. C’est le cas de la Suisse en 1997. Seuls les États-Unis ne l’ont, à ce jour, pas ratifiée.

Les ratifications de la Convention internationale des droits de l’enfant, mars 2022 (Source : https://indicators.ohchr.org/).

Illustration extraite d’une brochure sur les droits de l’enfant parue en 2009 (© éducation21).

La Convention comprend 54 articles. La majorité d’entre eux sont relatifs aux droits spécifiques dont l’enfant doit bénéficier en lien avec ses besoins de protection et d’éducation (droit à l’instruction par exemple, ou droit d’être protégé·e contre les abus, les négligences, la maltraitance qui entraveraient son développement). Mais les articles les plus révolutionnaires sont ceux qui établissent que l’enfant a, comme les adultes, des droits liés à sa qualité de citoyen·ne : droit à la liberté d’expression ou droit d’être entendu·e dans les affaires qui le concerne. Une affirmation qui peut s’appliquer aux soins médicaux, au parcours scolaire, aux procédures légales…autant dire à toutes les décisions qui ordinairement sont prises en son nom.

Tous les pays du monde sont appelés à s’inspirer de la Convention pour modifier et adapter leurs pratiques à ses principes fondateurs. Et à rendre des comptes. La Suisse ne fait pas exception. Un Comité permanent siégera d’ailleurs au Palais des Nations de Genève pour leur rappeler leurs obligations en la matière.

Septembre 2019 : « 16 enfants, dont Greta Thunberg, déposent une plainte historique auprès du Comité des droits de l'enfant des Nations Unies » (Source : https://www.unicef.org).

Le Comité peut recevoir les observations d’organisations non-gouvernementales concernant l’application du texte sur les terrains nationaux. Par ailleurs, depuis 2014, tout enfant peut déposer une plainte relative à des violations de ses droits tels que les définit la Convention. En septembre 2019, un groupe de jeunes se saisit crânement de son droit à le faire.

Septembre 2019 : « 16 enfants, dont Greta Thunberg, déposent une plainte historique auprès du Comité des droits de l'enfant des Nations Unies » (Source : https://www.unicef.org).

Le Comité peut recevoir les observations d’organisations non-gouvernementales concernant l’application du texte sur les terrains nationaux. Par ailleurs, depuis 2014, tout enfant peut déposer une plainte relative à des violations de ses droits tels que les définit la Convention. En septembre 2019, un groupe de jeunes se saisit crânement de son droit à le faire.

Après la ratification de la Suisse en 1997, les professionnel·les de terrain devront désormais tenir compte des 54 articles de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant dans leurs pratiques quotidiennes. Pour certain·es, c’est une révolution ; pour d’autres, un non-événement :

« Moi quand j’ai lu la première fois la Convention des droits de l’enfant j’ai dit : mais qu’est-ce que c’est cette histoire ? On vient me dire ce que je dois faire, et ça fait longtemps que je fais ça. En fait ce n’était pas vrai… je faisais ça de manière pratique, comme j’ai appris le métier… je n’ai jamais été dans une école de magistrature. Ce que j’ai fait dans mon tribunal, c’est de mettre de l’individualisation et un peu d’humanité. On était là pour aider les gens et pas pour les punir. Mais ce que j’ai compris à la deuxième lecture, troisième lecture, quatrième lecture de la convention, c’est que ça allait beaucoup plus loin qu’uniquement cette pratique : il y avait vraiment une nouvelle philosophie, c’est-à-dire de respecter l’enfant comme personne. Même s’il avait commis des délits graves, on ne pouvait pas ignorer tous ses droits. Or, dans la procédure qui était applicable aux mineurs, à l’époque, on n’avait pas un code de procédure : on appliquait deux articles sur la procédure. Ça veut dire que les enfants, on les entendait parce que c’était normal d’entendre un enfant… Mais on aurait pu ne pas les entendre : ils n’avaient pas le droit à un avocat, pas le droit au recours, il n’y avait quasiment rien. Mais tout ça dans la convention, ça y était. C’est pour ça qu’à un moment donné je me suis dit que cette convention, c’était génial ».

Extrait d’entretien avec un juge en fonction dans les années 2000.

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« En tout cas, on n’en fait pas mention en 1980-90. C’était pas tellement un thème jusqu’aux années nonante et là progressivement c'est devenu un thème. Pour vous dire, jusqu’à mon départ en 2013 j’ai l’impression que c’était encore quelque chose d’assez théorique. C’était un idéal, mais avec tellement de bémols et de réserves, de « oui mais ». Une curiosité, une envie, un modèle assez idéal… Mais dans les faits, ça ne se voyait pas tellement l’idée que l’enfant participe à une décision, qu’il apporte son regard, son analyse dans toutes ces situations ».

Extrait d’un entretien avec un psychologue dans les années 2000.

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C’est que les services et organes de la protection de l’enfance n’avaient pas attendu cette décennie pour modeler des dispositifs plus attentifs aux sensibilités, aux profils et aux besoins des enfants, tout en restant à l’écoute de leurs parents. L’évolution de la justice des mineur·es en témoigne. C’est dès les années 1980 qu’un processus de refonte du droit pénal applicable aux mineur·es a été mis en place, aboutissant en 2003 au terme d’un délai d’une longueur bien helvétique, à la Loi fédérale régissant la condition pénale des mineur·es. Les jeunes disposent désormais d’une loi qui leur est spécifique, marquant par là-même la différence qui les sépare des adultes. Protection et éducation sont donc placées au cœur du traitement pénal de la délinquance, conformément aux normes internationales. Des priorités sont posées qui sont supposées inspirer les décisions judiciaires : c’est le cas de la primauté de la mesure de soin destinée au mineur ou à la mineure sur le choix d’une peine, qui sanctionnerait son acte.

Dans la réalité, aujourd’hui encore, ce sont bien les sanctions pénales qui sont majoritairement choisies par les juges. Reflet aussi, paradoxalement, d’actes de délinquance qui, s’ils tendent certes à devenir plus nombreux, demeurent peu graves, ne nécessitant pas le recours à des décisions plus sévères que sont les mesures éducatives.

La Loi fédérale sur la procédure applicable aux mineurs de 2009 fixe par ailleurs des normes unifiées en la matière, dont les principales sont le huis clos, la comparution personnelle, le droit d’être défendu·e par un·e avocat·e, le droit de recours et d’appel et un encadrement des modalités de la détention provisoire.

Le processus semble donc irrésistible : les enfants ont des droits et les procédures qui les concernent, qu’elles soient civiles ou pénales, doivent leur faire de la place. La société civile, notamment par l’engagement d’associations militantes, y veille aussi. Mais les enfants n’ont-ils et elles besoin que de droits pour accéder au bien-être ?

Les droits de l’enfant aux Nations-Unies (Source : Bulletin suisse des droits de l’enfant, 1996).

En 1996, la Suisse n’avait pas encore ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant. Elle le fera l'année suivante, en émettant toutefois encore certaines réserves, concernant notamment le regroupement familial à certaines catégories d’étrangers (art. 10 CIDE), la séparation des jeunes et des adultes privé·es de liberté (art. 37, lettre c CIDE) et la procédure pénale suisse des mineur·es qui ne garantit ni le droit inconditionnel à une assistance ni la séparation entre l’autorité d’instruction et de jugement (art. 40 CIDE).

Les droits de l’enfant aux Nations-Unies (Source : Bulletin suisse des droits de l’enfant, 1996).

En 1996, la Suisse n’avait pas encore ratifié la Convention internationale des droits de l’enfant. Elle le fera l'année suivante, en émettant toutefois encore certaines réserves, concernant notamment le regroupement familial à certaines catégories d’étrangers (art. 10 CIDE), la séparation des jeunes et des adultes privé·es de liberté (art. 37, lettre c CIDE) et la procédure pénale suisse des mineur·es qui ne garantit ni le droit inconditionnel à une assistance ni la séparation entre l’autorité d’instruction et de jugement (art. 40 CIDE).