Cartes et images à poster

Marika Belle, Antoine Conde, Leandro Katz (Beaux-Arts de Paris)

Benoît Chattaway, Tiago Ferreira Figueiredo, Arno Schucany (UNIGE)

De la carte…

 

Notre groupe a souhaité travailler sur l’échange texte – image au sein du monde contemporain. Dans notre actualité marquée par les réseaux sociaux, où les images inondent nos médias, nous ne choisissons pas les images que nous voulons voir ; mais nous donnons notre propre avis sur elles. Nous avons voulu réfléchir sur cet échange en le matérialisant, pour revenir finalement à un format qui tend à disparaître : la carte postale.

La carte postale est un moyen de communication et de diffusion des images qui se confronte aux nouveaux paradigmes numériques que nous observons tous les jours. Dans le cadre de notre projet, les rapports entre les participants et les images diffusées ont été simplifiés, le partage des images se faisant de façon individualisée et matérielle. Ici, on envoie, ici on reçoit des images. Certaines images ont été choisies de manière motivée tandis que d’autres ont été choisies spontanément, dans le désir de laisser une place au hasard dans l’interprétation du destinataire.

Envoyer et recevoir, ce rapport simple qui nous parait évident, est mis au défi aujourd’hui. Certes, l’envoi et la réception d’images sont toujours présents dans nos vies ; mais il est plus commun d’être confronté à une diffusion qui ne recherche pas l’individualité dans sa réception. Le rapport dialogique de la diffusion des images est un phénomène qui se restreint à un cadre privé, tandis dans le monde numérique les images peuvent être multipliées, effacées, repartagées, et se perdre au milieu de milliers d’images déjà stockées dans nos appareils.

Au contraire, la notion de destinataire, le fait qu’une image soit destinée à une personne, garde tout son sens dans la matérialité d’une carte postale : celle-ci contient les coordonnées du destinataire et suit un parcours physique qui lie humainement le lieu d’envoi à celui de la réception. Une image envoyée et reçue sur un réseau social ne portera pas l’intensité d’une correspondance postale.

 

Ici, il s’agit donc d’envoyer une image et des mots, oui, mais surtout il s’agit de s’envoyer un objet. Un objet qui a vécu un trajet et qui est passé par des mains anonymes, afin de concrétiser un lien entre deux individus. Cette correspondance matérielle, qui a l’air si simple et triviale, est aussi une démonstration du pouvoir humain de la collaboration car elle nécessite un tiers, une institution investie de la mission de transmission.

 

Chaque participant a récolté 15 cartes postales pour les envoyer à ses homologues parisiens ou genevois. Au total, 90 cartes postales ont été envoyées le même jour, afin de matérialiser le déluge virtuel et le flux incessant de nos réseaux sociaux. N'ayant aucun contrôle sur les images qu'ils recevaient, les étudiants symbolisaient le consommateur de médias contemporains. Nous ne savons pas, en effet, quelles images nous allons voir quotidiennement.

De là, les étudiants ont produit une ou 2 images avec les 15 images qu'ils n'avaient pas choisies. Reprenant une forme de contrôle par leur production d'images composites, ils ont produit une image ensuite réintégrée dans le flux des images.

 

Tiago Ferreira Figuereido

…au timbre

Qui dit carte postale dit timbre. Véritables objets permettant la circulation des cartes postales, les timbres symbolisent une forme de contrôle de la circulation, mais surtout le dernier geste humain avant l'envoi et la circulation de l'image-texte. Le timbre est aussi collectionné, rangé, expertisé, il a permis à notre groupe de concentrer nos réflexions et de matérialiser nos échanges.  

 

Partant de cette idée, nous avons aussi voulu proposer pour cette exposition plusieurs séries de timbres. Chaque série porte la marque de son producteur, et sa réflexion sur le timbre comme image en circulation.

 

La série de benoît Chattaway s’interroge sur le timbre moyen de circulation, image reproduite mécaniquement et rendue unique par son obération, image qui permet de faire circuler du texte. Elle réfléchitaussi sur le timbre comme une monnaie. Très récemment, le PDG de la poste ukrainienne a présenté de nouveaux timbres postaux sur lesquels un soldat ukrainien fait un doigt d’honneur au navire de guerre russe  “Moskva”[1]. Cet exemple souligne que le timbre est une image souveraine, destinée tant à l'intérieur qu'à l'extérieur d’un territoire. Image qui - comme les empereurs romains l'avaient bien compris à l’époque des querelles iconoclastes -  est aussi l'expression d’un pouvoir.

La série d’Arno Schucany se concentre sur des formes symboliques de circulation à travers divers périodes historiques. Elle se divise en trois catégories : le mythologico-divin, l’Écriture et le Web.

Le mythologique au divin est symbolisé par Mercure et les anges. Les pieds ailés, l’un des attributs de Mercure, représentent une forme de circulation à l'antique. Les anges regardant les pieds de la Vierge de Foligno nous montrent par ricocher les pieds de la divinité messagère. Les ailes passent ainsi des pieds de Mercure aux dos des anges. Ces deux images illustrent une forme de circulation céleste, antique puis chrétienne, qui n'a cessé d'influencer l’humanité dans sa conception de l’échange.

 La deuxième catégorie se concentre sur l'Écriture. Les mains de l'Archange Gabriel dans l'Annonciation du Castello de Botticelli rappellent, dans la série de timbres proposée, le jeu de mains de La Maîtresse et la Servante de Johannes Vermeer (1666-1667). Passant d'une circulation mythologico-divine à l'Écriture présente dans cette dernière image, cette deuxième catégorie de timbres rappelle les correspondances humaines et leur circulation. Au XXe siècle, le timbre postal apparaît. Ce timbre oblitéré représentant Saint Matthieu et son tétramorphe, rappelle l'influence d'une image issue de la tradition chrétienne, réinsérée dans une nouvelle forme de circulation. C’est d’ailleurs un timbre qui ne pouvait plus circuler qui a été ressuscité ici.

Enfin, Tim Berners Lee, par son invention du World Wide Web, a révolutionné l’échange et la circulation d’images et de textes. Cette invention a repoussé les limites de la circulation et de l’échange humain. C’est elle qui a permis de rassembler toutes les images réunies pour créer cette série de timbres.

Des cartes à emporter

Cette exposition est une entrée dans l’espace de l’échange que favorisent les images. Vous,visiteurs, êtes invités à réfléchir et critiquer la circulation des images. Ces cartes postales ont été conçues et imprimées pour que vous les emportiez, les échangiez, les postiez. Pour que vous les intégriez à un nouveau circuit de circulation des images – qu’il soit réel ou virtuel.

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Photo : (c) Benoît Chattaway