Exposition virtuelle
Le beau, le noble et le vainqueur. Monnaies équestres dans l'Antiquité

Le cheval dans le mythe


Parmi les œuvres les plus hardies de Zeuxis, cet admirable artiste, on peut citer le tableau qui représente une centauresse […] sur un épais gazon. […] Elle tient entre ses bras un de ses deux petits et lui donne à téter, comme une femme, en lui présentant la mamelle ; l’autre tette sa mère à la manière des poulains. […] La femelle ressemble à ces superbes cavales de Thessalie, qui n’ont point encore été domptées et qui n’ont pas fléchi sous l’écuyer. […] La fusion des deux natures, à ce point délicate où celle du cheval se perd dans celle de la femme, est si habile qu’elle échappe à l’œil.
Lucien de Samosate, Zeuxis ou Antiochus 3-4 ; 6

 

  • Séparé du monde des hommes par des barrières infranchissables, le monde des dieux suit ses propres conventions sociales. Il n’empêche que le cheval y est, comme chez les hommes, un véhicule de prestige réservé à ceux qui détiennent le pouvoir. À part les Cronides, aînés des dieux, maîtres des mondes, les seuls autres dieux ayant droit à figurer à la tête d’un attelage sont ceux qui en ont besoin pour leur activité : Séléné, déesse de la Lune, amène la nuit sur son bige ; son frère Hélios, dieu du Soleil, escorte l’astre du jour avec son quadrige (fig. 5).

    Le char que conduisait Poséidon était quant à lui tiré par des hippocampes, mi-chevaux, mi-monstres marins. Divinité des eaux et des océans, responsable des tremblements de terre et d’autres catastrophes naturelles, Poséidon était aussi vénéré comme le dieu du cheval. Cela ne doit pas surprendre : le cheval a des connotations chtoniennes et aquatiques dans beaucoup de religions, comme le montrent les quatre cavaliers de l’Apocalypse et les chevaux ondins des Celtes pour ne citer que deux exemples.
    Poséidon se transforma en étalon en Arcadie pour posséder Déméter, qui s’était à son tour métamorphosée en jument : de cette union divine naquit Arion, le cheval parlant, d’une vitesse inégalable. Poséidon engendra aussi Pégase, le cheval ailé à l’aide duquel le mortel Bellérophon tua la Chimère. Ce cheval possédait une personnalité et une volonté propres : ami des Muses, il ouvrit d’un coup de sabot la source Hippocrène sur le mont Hélicon, à l’instar de son père « l’ébranleur du sol » ; la Chimère anéantie, il dessella Béllérophon lorsque ce dernier, victime de son arrogance, entreprit de le monter pour rejoindre les dieux sur le mont Olympe. Ces exploits lui valurent d’être parmi les chevaux les plus représentés du monnayage antique, notamment à Corinthe où se trouvait la fontaine Pirène, célébrée comme le lieu de sa rencontre avec Bellérophon (fig. 6).

  • Autres créatures fantastiques, les centaures incarnent le couplage entre le cavalier et sa monture, entre la raison et la force brute.
    Comme si leur aspect humain venait amplifier pour le pire leurs instincts chevalins, les centaures sont décrits comme des êtres buveurs, bagarreurs, violeurs (fig. 7). En compensation, les centaures échappant à cette normalité étaient particulièrement sages : le centaure Pholos, tué accidentellement à la suite d’un esclandre, fut enterré avec les honneurs par son hôte Héraclès, qui, tout comme Achille, avait eu le centaure Chiron pour précepteur. La tendresse maternelle des centauresses était proverbiale, à en croire l’émouvante description que dresse Lucien de la copie d’un tableau peint par Zeuxis d’Héraclée au Ve siècle av. J.-C.

    Le cheval a aussi son propre rôle dans les mythes de fondation de plusieurs cités d’importance, comme on aura l’occasion de le voir avec Carthage. Phalanthos, chassé de Sparte à la suite de l’une de ces luttes de factions qui déchiraient le monde grec, se retrouva sur le chemin d’un exil au bout duquel il fonda Tarente, dans les Pouilles ; dans la symbolique de cette ville, le héros fondateur est toujours représenté en mouvement, chevauchant soit un dauphin, soit un cheval (fig. 8).

    Qu’il porte l’homme armé ou tire le char, moteur – au sens le plus concret du mot – des civilisations anciennes, le cheval est présent dans toutes les sphères d’activité comme attribut d’importance. En pareilles circonstances, il est normal que cet animal chéri de ses propriétaires ait accompagné les hommes jusque dans les espaces inaccessibles de l’imaginaire collectif.