Décembre 2020

Entretien

La parole à... Alexander Künzli



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Alexander Künzli est professeur associé à la Faculté de traduction et d’interprétation (FTI) depuis 2012. Il a suivi une formation diversifiée puisque, diplômé en traduction, il est aussi au bénéfice d’une licence en psychologie et d’un doctorat en linguistique française. Au sein de la faculté, il est responsable de l’Unité d’allemand et, depuis mi-juillet, codirecteur du Département de traduction. Il assure en outre le rôle de rédacteur en chef pour la revue Parallèles. Ses domaines de recherche incluent la révision des traductions ainsi que la traduction audiovisuelle. C’est de ce dernier sujet qu’il nous entretient plus en détail aujourd’hui.

Professeur Künzli, qu’est-ce que la traduction audiovisuelle et comment y êtes-vous arrivé ?

La traduction audiovisuelle est un concept large. Elle désigne l’activité qui consiste à traduire un texte audiovisuel d’une langue à une autre à l’intention d’un public qui ne maîtrise pas la langue de la bande-son originale, mais aussi toute forme de transfert visant à rendre des spectacles vivants ou des médias accessibles à un public présentant un handicap sensoriel : le doublage italien d’un film américain ; les sous-titres français d’une vidéo d’entreprise suisse alémanique ; l’audiodescription d’une pièce de théâtre rendant accessible le spectacle à des personnes aveugles ou malvoyantes via un texte dit en voix off qui décrit les éléments visuels importants. Un domaine en expansion est le sous-titrage intralinguistique à la télévision. Aujourd’hui, plus de deux-tiers des programmes de la télévision suisse sont diffusés avec des sous-titres destinés à un public malentendant et sourd. Ces sous-titres contiennent, en plus d’une transcription du contenu, des indications sur le bruitage, des informations paralinguistiques (p. ex. un ton ironique) et une aide à l’identification des personnes apparaissant à l’écran grâce à l’attribution de différentes couleurs. Il est d’ailleurs à noter que plusieurs diplômé-es de la FTI travaillent dans l’équipe de SWISS TXT à Genève, qui produit les sous-titres pour la RTS.

En ce qui concerne mon parcours, j’ai eu mon premier contact professionnel avec la traduction audiovisuelle dans les années nonante lorsque j’ai commencé à travailler comme sous-titreur pour des entreprises suisses, puis suédoises. Je créais les sous-titres allemands de films cinématographiques, de spots de publicité ou encore de documentaires. C’était une activité passionnante que j’apprenais sur le tas. En effet, l’offre de formation était encore assez limitée à l’époque. C’est cette expérience pratique qui m’a, par la suite, mené vers la recherche et l’enseignement de la traduction audiovisuelle.

Vous avez suggéré que l’offre de formation a changé. Dans quel sens ?

Les traducteurs et traductrices sont, dans leur pratique professionnelle, de plus en plus appelé-es à traduire des contenus audiovisuels. En effet, la communication externe des institutions et entreprises passe aujourd’hui dans une large mesure par des canaux multimédias. C’est pour cette raison que de nombreux instituts de formation intègrent désormais la traduction audiovisuelle dans leur syllabus. À la FTI, nos Maîtrises en traduction proposent une formation en traduction audiovisuelle permettant aux étudiant-es de se familiariser avec les types de traduction audiovisuelle les plus demandés sur le marché. Le cours sert souvent de tremplin pour la rédaction de mémoires de Maîtrise innovants, en étroite collaboration avec les milieux professionnels.

En plus, nous offrons depuis plusieurs années des formations continues dans le domaine de la traduction audiovisuelle : sous-titrage interlinguistique, sous-titrage intralinguistique pour les personnes malentendantes et sourdes, et audiodescription. Conçues sous forme d’ateliers multilingues, elles permettent un échange apprécié entre spécialistes de la traduction et de la communication qui souhaitent désormais intégrer dans leur offre de traduction ce type de services.

La traduction audiovisuelle semble couvrir un grand nombre de pratiques. Pourriez-vous nous présenter les points spécifiques auxquels vous vous êtes intéressé ?

Mes recherches sont axées sur la pratique du sous-titrage interlinguistique. J’ai travaillé sur des films d’auteur français et analysé les défis spécifiques que pose le sous-titrage en allemand. Comment rendre à l’écrit l’oralité, le verlan, le multilinguisme ? Dans le contexte suisse, je m’intéresse aussi aux défis du sous-titrage de productions suisses alémaniques et, plus particulièrement, à la diglossie entre dialectes alémaniques et allemand standard. Est-ce que l’on peut recréer en français les subtilités de variétés dialectales susceptibles de jouer un rôle important dans l’intrigue d’un film ? Si ce type de phénomènes est déjà un défi dans la traduction tout court, les problèmes se multiplient dans la traduction audiovisuelle et plus particulièrement dans le sous-titrage, où il faut respecter des contraintes spatiotemporelles précises. En effet, les sous-titres doivent être non seulement lisibles, à savoir s’afficher suffisamment de temps, mais ils doivent aussi rendre l’essentiel de la bande-son originale et simuler un minimum le langage oral.

Dans le contexte suisse, il existe un défi supplémentaire : lorsque je travaillais en tant que créateur de sous-titres pour le cinéma, mes donneurs d’ouvrage me demandaient souvent de faire en sorte que mes sous-titres allemands suivent non seulement l’original américain mais aussi les sous-titres français afin d’éviter que l’audience bilingue ne soit perturbée par des différences entre ces deux langues. Je devais donc prêter attention à deux langues et à deux textes de départ ! La question de la réception, autrement dit, l’analyse des attentes et des besoins du public, est d’ailleurs un volet important dans la recherche sur le sous-titrage. J’ai traité ce type de questions dans une monographie sur le sous-titrage interlinguistique, publiée en 2017. Les résultats de mes expériences suggèrent que les conventions actuelles de sous-titrage mériteraient d’être revues, les publics cibles étant capables de traiter davantage de texte qu’on ne le pense, sans effet négatif sur la compréhension du dialogue ou sur la perception des éléments visuels essentiels.

Quelles sont les évolutions récentes dans le domaine du sous-titrage et quels sont vos projets de recherche actuels ?

Depuis 2017, on assiste à un bouleversement de l’environnement et des conditions de travail en ce qui concerne la création de sous-titres. Cette situation est notamment due à l’entrée sur le marché des services de streaming. Dans l’idéal, les sous-titreurs et sous-titreuses effectuent à la fois le repérage, à savoir le découpage du dialogue en sous-titres, et la traduction proprement dite. En raison de la multiplication des paires de langues dans les grands projets de streaming, le travail se limite de plus en plus à la seule traduction. Ce n’est pas sans poser des problèmes de qualité. En effet, le temps d’affichage des sous-titres prédéfini dans les templates qui servent de base pour le travail de sous-titrage ne peut souvent pas être changé – comme si, pour ne donner qu’un exemple, le sous-titrage islandais et le sous-titrage albanais d’un film norvégien présentaient les mêmes contraintes. En plus, dans le contexte du streaming, on fait souvent appel à la traduction à partir d’une langue relais. Plutôt que de sous-titrer en français une série danoise directement du danois, on part d’un template anglais. C’est ce type de bouleversements que j’étudie actuellement dans une série d’entrevues avec des professionnel-les du sous-titrage, en axant mes recherches sur leur perception de ces changements et de leurs répercussions sur la qualité des sous-titres. J’aurai l’occasion de présenter les premiers résultats de cette étude en janvier 2021 à la conférence Media for All 9, une conférence en ligne et sous-titrée, bien sûr!