Thèse de Ludovic Maugué

« Vouer le crime à l’industrie ». La manufacture carcérale d’Embrun : première maison centrale française et prison du département du Léman (1798-1813)

Thèse soutenue à l'Université de Genève le 27 juin 2016

Directeur: Michel Porret (Université de Genève)

Jury: Christoph Conrad (UNIGE, président du jury),
 Michel Porret (UNIGE), Frédéric Chauvaud (Université de Poitiers), Vincent     Milliot (Université de Caen),Falk Bretschneider (EHESS-CRIA, Paris), Robert Roth (Académie de droit international humanitaire et des droits humains, Genève).

Image_Thèse_Maugué.pngDurant quinze ans, au cours d’une époque charnière entre l’arbitraire de la justice d’Ancien Régime et le libéralisme pénal et politique de la Restauration, Genève, chef-lieu du département du Léman, expérimente pour la première fois la systématisation du recours à la privation de liberté comme peine principale de droit commun. Au seuil du XIXe siècle, à une époque où la loi consacre la prison comme pierre angulaire de l’édifice pénal, rejette les supplices, mais conserve toutefois les formes anciennes de pénalité que sont la peine de mort publique et le bagne, la nouvelle entité territoriale lémanique constitue un observatoire privilégié. Entre utopie pénale des Lumières et politique sécuritaire de l’Empire, le Léman s’inscrit en effet dans un contexte particulier dans l’histoire des peines : c’est tout d’abord à cette époque que se forge le régime pénal de l’État de droit avec le code ; c’est également là que la prison fait pour la première fois « système » en Europe ; enfin, c’est là que s’affirment, dans les discours comme dans les pratiques, les prémices d’un débat toujours d’actualité sur les fonctions sociales de l’institution pénitentiaire.

Cette thèse entend contribuer à combler le silence historiographique qui entoure l’exportation du modèle judiciaire français à Genève entre 1798 et 1813. Mais elle vise surtout à retracer la genèse et étudier au plus près le fonctionnement de la manufacture carcérale d’Embrun, première maison centrale de détention française. Afin de pallier l’absence de prisons pénales spécifiques, de mettre les détenus au travail et par volonté de rationalisation et d’économie dans l’administration des lieux de détention, le gouvernement consulaire encourage la création de vastes établissements pour peines disposant d’ateliers de travail où sont centralisés – d’où le nom de centrales – les condamnés originaires de plusieurs départements. Dans l’établissement d’Embrun, dont la vaste circonscription intègre le département du Léman, plus de trois mille détenus expérimentent la réalisation du programme carcéral projeté par la Constituante et progressivement modelé durant le Consulat et l’Empire. Ils y sont astreints à un travail carcéral dans des ateliers confiés à la gestion d’entrepreneurs privés, dont l’influence se révèle considérable sur la marche de la maison. Sources de la pratique émanant de l’institution elle-même, correspondance administrative d’un département intégrant son ressort (le Léman) et documents produits par les ministères qui la supervisent : grâce à un triple éclairage documentaire, cette thèse propose un chapitre inédit d’histoire administrative, politique et sociale des pratiques carcérales entre la Révolution et la Restauration. Celles-ci sont mises en perspective avec les discours que la prison suscite en portant une attention soutenue à la doctrine comme à la voix des détenus quand elle se manifeste.