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Un refus d’aimer (3 octobre 1962)a b

Le prestige généralisé de l’érotisme est indubitable dans l’Occident contemporain. Il est attesté par le cinéma, la publicité, et le succès de vente des auteurs qui en parlent. Il est donc en partie mesurable. En revanche, la décadence de l’amour est une hypothèse absolument invérifiable. (Je réitère : de quel amour s’agit-il ? vécu par qui ? rêvé par qui ?) Les enquêtes sur « la Jeunesse » et ses attitudes sentimentales, dans la faible mesure où elles sont concluantes, donnent des indications inverses de celles qu’on tirerait de Sagan.

L’érotisme traduit certainement une décadence de l’amour idéalisé, tel que le concevaient nos grands-parents, mais rien ne permet de réduire « l’Amour » à ce cliché d’époque.

L’érotisme peut traduire un refus d’aimer, ou, au contraire, une prise de conscience plus vraie de l’amour. Cela s’opère et se décide au secret d’une personne, et donc échappe, par nature, à toute espèce de généralisation ou de statistique. Les attitudes que la majorité de nos contemporains sont censés adopter vis-à-vis de l’érotisme m’indiffèrent, et j’ai même quelque répugnance à y songer.