La Formation de la notion de force ()

Chapitre II.
De la poussée spatio-temporelle à la notion de force a

avec Alina Szeminska

Le chapitre premier nous a déjà montré que la notion de départ caractérisant la mécanique préopératoire du sujet doit être considérée comme globale et correspondant à l’intuition élémentaire de la poussée ou à la grandeur physique « action » (en tant que poussée spatio-temporelle). De même qu’en cinématique le sujet part du mouvement, et d’une intuition ordinale de la vitesse en tant que dépassement d’un mouvement par un autre, pour ne dégager que secondairement les rapports entre la vitesse, l’espace parcouru et la durée, de même en dynamique il part d’un complexe spatio-temporel avec connexion entre les mobiles et leurs vitesses (mve), mais en tant que transmission immédiate du mouvement de l’agent au patient, donc en tant qu’« action » globalement dynamique, sans que les rapports entre les masses, les changements de vitesse, les espaces et les durées soient d’emblée dégagés. Mais le fait nouveau par rapport à la synthèse cinématique est la liaison entre la vitesse du mobile et sa « masse » (grosseur, poids, etc.) avec des intuitions précoces du poids en tant que favorisant la poussée ou que lui résistant (selon qu’il s’agit de l’agent ou du patient), mais d’un poids variant encore selon les situations.

Cela rappelé, notre problème est d’essayer de comprendre comment le sujet va passer de l’indifférenciation à la synthèse,

et cela en dégageant les notions implicitement en jeu dans la poussée spatio-temporelle immédiate pour les affiner et les mettre en relation jusqu’à atteindre les formes successives de l’idée de force. Jusqu’ici les recherches déjà faites permettent de faire les hypothèses suivantes qu’il va s’agir de vérifier grâce aux données nouvelles de la présente recherche synthétique.

Au stade II de 7-10 ans, le fait nouveau est l’intervention de la transitivité (chap. II, VII et IX du vol. XXVII) conduisant à la notion de transmission médiate et semi-interne de la poussée, donc à l’idée de quelque chose (« courant », etc.) qui passe d’un mobile à un autre et qui dépasse ainsi la simple poussée. En relation avec ce progrès intervient le concept d’« élan » qui est tout à la fois un changement de vitesse (augmentation jusqu’à perte de l’élan) et un passage dynamique (l’élan se « donne » comme il « se prend ») rejoignant la transmission semi-interne ou courant. D’autre part, s’élaborent une certaine conservation et une certaine additivité des poids, en même temps que la poussée spatio-temporelle initiale peut se différencier en poussée temporelle (début de l’impulsion) et spatiale (début du travail au moins dans le plan horizontal). De ces diverses nouveautés résulte alors une première notion de force (et ce terme lui-même acquiert une extension systématique au cours de ce stade II) en tant que variation temporelle

de la poussée ou avec ainsi des précisions nouvelles

sur m et sur v ou dv.

Au stade III les nouveautés essentielles sont la permanence des forces dans les états d’équilibre (les poids continuent au repos de peser et tirer, etc.), un début de composition vectorielle des directions et intensités, et La découverte de l’accélération en certaines situations (dv prenant ainsi le sens d’une augmentation ou diminution croissantes). Le lien entre les deux premières de ces conquêtes est évident et la relation entre direction et accélération s’impose dans le cas des plans inclinés. Au total la force se rapproche ainsi de f = ma.

Dans la recherche qui suit, tous les problèmes précédents se retrouvent simultanément, ce qui présente le grand avantage de permettre une meilleure analyse sur les mêmes sujets, tandis qu’à vouloir relier théoriquement les résultats de recherches

multiples à objectifs plus différenciés on risque de sacrifier l’exactitude à l’esprit de synthèse. Entreprise dans le but de trouver à un niveau élevé quelque ébauche de l’énergie potentielle se transformant en énergie cinétique, cette recherche a porté sur des situations où un mobile descend une pente pour en remonter ensuite un autre, ou pour en faire remonter un autre avec intercalation d’éléments passifs entre eux deux. En interrogeant les sujets de tous les stades, on trouve à cet égard des renseignements sur les formes de poussée, sur la transmission du mouvement, sur les conditions spatio-temporelles, les vitesses et leurs variations, les « élans » et leurs relations avec les vitesses, les poids et les « forces », et finalement sur les accélérations. Le caractère éminemment complexe des réactions étudiées permet alors de multiples analyses sur les relations en jeu et un contrôle systématique de nos interprétations d’ensemble.

§ 1. Techniques et résultats généraux

Les faits dont la description va suivre sont tirés d’une recherche de A. Szeminska portant simultanément sur un grand nombre de problèmes. Il en a été tiré un certain nombre de données au chapitre II du volume XXVII en ce qui concerne la transmission du mouvement. Le présent chapitre en empruntera d’autres quant à l’évolution de la notion de force (y compris la vitesse, le poids et surtout l’« élan » qui constitue sans doute le plus original des concepts physiques de l’enfant). Les deux techniques employées ont été les suivantes :

Les faits dont la description va suivre sont tirés d’une recherche de A. Szeminska portant simultanément sur un grand nombre de problèmes. Il en a été tiré un certain nombre de données au chapitre II du volume XXVII en ce qui concerne la transmission du mouvement. Le présent chapitre en empruntera d’autres quant à l’évolution de la notion de force (y compris la vitesse, le poids et surtout l’« élan » qui constitue sans doute le plus original des concepts physiques de l’enfant). Les deux techniques employées ont été les suivantes :Technique(1) Une seule bille (rouge) est lâchée d’un point de départ élevé à droite : prévision de son balancement (avec indication du point d’arrivée), constatation, etc. Questions sur les facteurs invoqués par le sujet (vitesse, élan, poids, force) et sur leurs variations ou conservation : où la vitesse est-elle la plus grande, etc.(3) Trois billes (rouge, bleue et jaune). On monte et lâche la rouge : prévisions, etc., puis on monte et lâche la rouge et la bleue réunies.(4) Mêmes questions jusqu’à neuf billes (rouge, bleue…, brune et grise, celle-ci étant la dernière passive). On monte et lâche la rouge (ce qui sera noté 9/1) ou les deux premières (9/2) ou quatre puis cinq (9/4 et 9/5).Pour préciser les changements supposés de vitesse, élan, poids ou force, on demande des dessins sur lesquels sont marquées par des traits perpendiculaires à la trajectoire (par exemple en 1 : voir la figure ci-contre) les variations de grandeur de ces facteurs (avec couleurs différentes : sur la figure ci-jointe l’élan est indiqué par le sujet au-dessus de la courbe et la vitesse en dessous).

Les résultats obtenus permettent de distinguer cinq niveaux bien distincts et qui correspondent étroitement aux stades de la transmission du mouvement (chap. II du vol. XXVII, où plusieurs des sujets du présent chapitre sont déjà cités mais concernant d’autres parties de l’interrogation), à cette différence près que le stade II de ce chapitre sera ici subdivisé en deux niveaux IIA et IIB :

A un niveau IA (4-6 ans), les sujets invoquent essentiellement les pouvoirs des billes actives, mais en mentionnant à l’occasion presque tous les facteurs qu’on retrouvera ensuite, y compris le poids et la vitesse. Seulement ces facteurs demeurent indifférenciés au sein d’une notion centrale d’« action » qui est la poussée spatio-temporelle immédiate.

A un niveau IB (5-7 ans) les deux progrès sont que les sujets insistent davantage sur les facteurs cinématiques ou sur le poids et généralisent les poussées immédiates jusqu’à les enchaîner sous forme de transmissions médiates externes. Mais il n’y a pas plus qu’au niveau IIA de conservation du poids et la notion centrale demeure celle de la poussée immédiate.

Au niveau IIA débutent la transmission médiate semi-interne (voir le chapitre cité, § 7) et la conservation du poids. La notion d’élan devient prédominante et l’idée de force propre

(1) Les interrogations sont très longues et les protocoles d’expérience ont de 4-5 à 12-15 pages. Nous ne citerons que l’essentiel concernant l’objet de ce chapitre.

à ce niveau reste mal différenciée de l’élan et peut être caracté-

risée par une modification de la poussée , donc

et non pas .

Les réactions du niveau IIB développent cette notion avec intégration plus étroite du poids et de la vitesse, mais le résultat curieux en est que l’action du poids cesse de se conserver et varie selon la relation m = p/v soit en augmentant avec la poussée, soit en diminuant avec la vitesse.

Le stade III enfin est caractérisé par une transmission du mouvement purement interne, par un retour à la conservation du poids et par une découverte systématique de l’accélération (qui définit alors l’élan). En liaison avec d’autres résultats (sur la composition des forces), on peut voir en ces réactions un début de la notion de force f = ma.

§ 2. Le niveau IA (4-5 ans)

A ce niveau seules sont comprises les « actions » spatio-temporelles d’un seul objet (se mettre en mouvement) ou de deux, c’est-à-dire les poussées spatio-temporelles, mais immédiates (sans transmissions médiates même « externes », c’est-à-dire par enchaînements de transmissions immédiates : voir le chapitre cité, § 3), ces actions intra- ou interobjectales étant toutes deux attribuées à des pouvoirs ou qualités inhérentes à l’objet avec quelques allusions aux vitesses.

Voici des exemples :

Den (4 ;6, techn. II). 9/1 : « Elle (rouge, active) va tomber. — Quel chemin ? — (Indique un arc de cercle.) — Pourquoi ? — C’est son chemin, — Et quand elle descend ? — Ça va taper à celles-ci. — Comment ? — Elles montent et tapent la rouge. — Et la rouge ? — De nouveau taper. — (Constatation.) — Elle (grise, dernière passive) a sauté, la rouge a fait sauter. — Et les autres ? — Elles restent toutes droites (immobiles), des fois elles se tapent aussi. — Pourquoi elles ne sont pas parties ? — Il faut les faire partir avec celle-ci (rouge). La rouge les a (= pourra) shootées. — Essaie. — (Il monte la rouge et tord le fil : échec.) Il faut plus haut, ça fait pousser la grise. — Pourquoi plus haut ? — Ça fait partir ces deux (dernières). — Pourquoi quand c’est plus haut ? — Ça hache et ça coupe le bois (= force de la hache qu’on fait partir de plus haut). — (Essai et échec. On passe à la constatation de 9/2.) — Ça fait partir ces deux, les autres restent. — Pourquoi ? — 

Elles veulent rester. — Et pour faire partir trois billes ? — J’ai pris ces trois (essai). Les trois ont fait toc et les trois sont parties. — Ex. (3/1) ? — Ça fait partir ces deux (essai). La rouge est partie. — Et la bleue ? — Elle (= active) n’a pas tapé fort. »

Bar (4 ;7, techn. II) croit avec 9/1 que la bille active rouge a « changé de côté… puis elle est revenue à sa place » après avoir passé à l’aller et au retour derrière les neuf autres (voir le début de son interrogation p. 57 du vol. XXVII). Puis « elles se sont balancées, la rouge se balance dabord, puis après la grise (dernière passive) se balance. — Qu’est-ce qui la fait balancer ? — La rouge tape contre la bleue et après la grise se balance. — Pourquoi elle, et pas la bleue ? — Parce que la rouge elle tape contre la bleue. — Et pourquoi la bleue ne part pas ? — Parce qu’il y a celle-là (la suivante). — (9/2, prévision.) — Ça va cogner. — Et après ? — Ces deux (dernières) se balancent. — (Constatation, elle rit.) — Et si j’en prends quatre ? — Ça tape cinq. Ils se balancent. — (Une seule bille, prévision) ? — Elle va jusque-là (bas de la pente). — Et puis ? — Elle s’arrête. — Pourquoi ? — Elle peut pas aller jusque-là, elle est trop loin. — (Constatation.) — Comment elle peut monter et redescendre ? — C’est la bille qui fait. Elle va vite. — Ça fait quoi ? — Elle peut tomber. — Et avec la ficelle ? — Non, si elle n’est pas bien attachée : elle est lourde comme un gros patapouf. — Et quand elle roule ? — Non, plus légère. — Pourquoi ? — Parce qu’elle part. — Et quand c’est le plus lourd ? — Quand elle se balance. — Comment elle est alors ? — Plus lourde. »

Bro (5 ;2, techn. I). Une seule boule : « Elle va aller là (milieu). — Elle s’arrêtera ? — Non (prolonge de quelques millimètres). — Regarde. — Elle dépasse là. — Jusqu’où ? —  (marque très bas sur son dessin). — (1/1) ? — La rouge s’arrêtera là (milieu). — Et la bleue ? — Elle va aller ici (gauche) puis elle s’arrêtera là (milieu). — Pourquoi la rouge ne va pas avec ? — Parce qu’elle était toute seule. — (2/1) ? Les deux vont faire comme ça (monter à gauche). — Regarde. — Elle est partie la jaune (dernière). C’est la rouge (active) qui a poussé la jaune. — Et pourquoi pas la bleue ? — Parce que c’est celle-là (jaune) qui a roulé. — Mais comment la rouge a fait ? — Elle (la rouge) était là (droite) et après elle a poussé la jaune (gauche) et après la bleue (milieu). — (9/1) ? — Ils vont monter ceux-là (8). — Jusqu’où ? —  (extrême gauche). — Regarde. — La rouge a poussé qu’une. — Pourquoi ? — Elle pouvait pus pousser les autres, ça fait trop lourd. »

Iva (5 ;8, techn. I). Une seule bille : « Elle va se balancer (avec remontée plus haut que le point de départ). — Pourquoi elle peut monter ? — Parce qu’elle se balance. — Et comment elle peut se balancer ? — Parce que ça va comme ça (geste). — Regarde. — Elle n’est pas allée si haut. — Pourquoi ? — Parce qu’elle ne va pas trop vite. — Quoi faire ? — Il faut la pousser. — Quand elle descend elle a partout la même vitesse ? — Non. — Où elle roule le plus vite ? — Ici (en haut à droite). — Ici ou là (milieu) ? —  (en haut). — D’où elle prend cette vitesse ? — De là (en haut). — (2/1) ? — Elles vont se cogner dedans. — Et la rouge (active) ? — Elle continue à se balancer (puis montre jusqu’au milieu). » Etc. 9/1 : « La dernière est partie. — Et les autres ? — Ça fait trop lourd. — (3/1.) — Une pour trois ça fait

trop lourd. — Elle est la même chose lourde ici (haut) et là ? — Non. — Où moins lourde ? — Ici (haut). — Pourquoi ? — … — Et là (milieu) plus lourde ? — Oui parce que ça pend. — Alors ? — Ça donne du poids. — Et quand on lâche elle a le même poids ? — Non, quand la boule part ici le poids il y en a très très peu. »

Rab (5 ;6, techn. II) avec 9/1 pense que la boule active s’arrêtera au milieu et que les huit autres partiront. Constatation : « Elle descend et la grise (dernière des passives) saute. — Comment ? — La rouge (active) a glissé et la grise a sauté. — Et rien ne bouge ? — … (mais les gestes figurant les mouvements de la rouge et de la grise ne sont pas simultanés). — Cette bille est plus lourde dans ta main ou là (suspendue) ou la même chose ? — Ici (main). — Pourquoi ? — Parce qu’elle est grosse. — Alors ? — Et ma main n’est pas aussi grosse. — Et en haut ou en bas ou id. ? — Elle est lourde ici parce qu’elle est en haut. — Et quand elle roule ? — Quand elle roule elle est encore plus lourde. — Et la même chose vite ? — Non. — Quand elle est là (en bas) ? — Elle n’a plus du tout de vitesse. »

A comparer ces réactions à celles qui suivront jusqu’au stade III, on constate avec surprise que presque toutes les composantes de l’explication du dynamisme qui seront invoquées sans discontinuité sont déjà présentes à ce niveau IA sauf l’élan en tant que changement de vitesse et sauf le début de transmission médiate par enchaînement de transmissions immédiates comme on le verra au niveau IB. Mais si toutes ces composantes sont déjà présentes elles ne le sont pas toutes explicitement chez les mêmes sujets, elles donnent lieu chacune à part à des erreurs plus ou moins systématiques sauf en ce qui concerne l’intuition fondamentale de la poussée, et ne sont pas mises en relation en un système mais demeurent mal différenciées au sein précisément de cette notion globale qui est celle de la poussée.

A commencer par les aspects positifs, nous voyons donc chez tous ces sujets la notion, évidente pour eux, de la poussée d’un mobile par un autre, en tant que production, grâce au mouvement de l’agent A, d’un autre mouvement, subi par le patient B, et qui prolonge le premier. Il y a donc là une coordination de mouvements, mais dynamique et non plus seulement cinématique, en ce que l’un des deux est produit par l’autre, ce qui est le propre d’une « action » spatio-temporelle d’un objet sur un autre. Mais, dans ce contexte dynamique de l’action, un objet isolé est également conçu comme susceptible d’exercer une action, par ou sur lui-même, et en relation

avec les conditions qui la favorisent ou lui font obstacle : par exemple « tomber » ou descendre, « monter », « se balancer », « rouler » ou « s’arrêter », etc., et les composantes de ces actions intra-objectales se trouvent être les mêmes que celles des actions interobjectales précédentes, puisqu’elles dépassent également la simple cinématique dans la direction du dynamisme.

Ces composantes sont d’abord naturellement spatio-temporelles et cinématiques puisque l’« action » est en premier lieu une coordination de mouvements. Il y a l’espace : pour Den la bille peut remonter parce que « c’est son chemin », tandis que pour Bar elle s’arrêtera au milieu parce qu’ensuite « c’est trop loin ». Bien plus, Den à 4 ans déjà prévoit que la poussée augmentera si la bille active part de plus haut (et Iva situe en haut le maximum de vitesse) ; Den va même jusqu’à comparer l’effet de la hauteur à ce qu’il a observé sur une hache quand on coupe le bois et que l’action est d’autant plus forte que son point de départ est plus élevé. Vient ensuite la vitesse, non généralement invoquée mais l’étant déjà pour expliquer un résultat contraire à la prévision : « elle va vite » dit Bar à 4 ;7 quand il voit que la bille monte quand même, ou « elle ne va pas trop vite » dit Iva quand la bille monte moins haut qu’il ne pensait. Il intervient aussi le temps mais implicitement : les gestes de Rab figurant les mouvements de la bille active et de la passive marquent un petit intervalle dans la succession.

Mais s’il y a dynamisme il intervient nécessairement un facteur de plus : c’est ce qui, dans la bille active, lui permet de « taper », « cogner 3), « shooter », « faire toc », etc., et, dans les billes passives, de se plier au choc ou de résister. Or, ces expressions mêmes indiquent que les objets en jeu sont conçus comme des solides dotés d’une certaine consistance, dont la matière joue un rôle dans la poussée1 elle-même (de telle sorte que si p = mv ces qualités sont à classer du côté m et non pas v). Il ne faut donc pas s’étonner, comme nous l’avions vu d’ailleurs dès l’étude du mouvement transitif (chap. I du vol. XXVII), que le poids intervienne très précocement en liaison avec la poussée : pour Bar il fait tomber la bille et augmente avec le balancement ; pour Rab il s’accroît quand la bille roule et favorise donc le choc. Pour Bro et Iva il est réciproquement

(1) Voir la note 1 de l’Introduction.

source de résistance : la bille rouge ne peut pas pousser les huit de la série 9/1, « ça fait trop lourd », et pour Bar il intervient implicitement dans le fait que la jaune empêche la bleue d’avancer, etc.

Mais si toutes les composantes interviennent ainsi dès le niveau IA dans l’intuition globale de la poussée, elles ne comportent encore aucune relation quantitative régulière, de telle sorte que la poussée elle-même n’est connaissable qu’en sa résultante ramassée en une action unique, en tant que transmission immédiate, sans qu’il y ait même compréhension d’un enchaînement possible de ces transmissions immédiates de bille à bille. En effet, aucune des composantes rappelées à l’instant n’est encore « composable » en tant que susceptible d’être mise en relations quantifiables. A commencer par le poids, il ne présente aucune conservation et ses variations demeurent arbitraires sauf sur ce point précis qu’il augmente avec le nombre des éléments (Bro et Iva) : pour Bar il diminue quand la bille roule mais augmente quand elle se balance ou qu’elle est suspendue, pour Iva de même elle est lourde quand elle pend et très légère quand elle part, pour Rab au contraire elle est plus lourde en roulant et plus lourde dans sa main que suspendue (parce que sa main « n’est pas aussi grosse »), etc. La vitesse de même n’est dosée qu’en fonction du résultat inattendu à expliquer et non pas des conditions constantes données (Bar et Iva) et Rab la déclare nulle au bas de la pente parce qu’il s’obstine à penser qu’elle devrait s’arrêter là. Comme le disent d’autres sujets de ce niveau : « Des fois elle ira vite la bille », « on ne peut pas savoir d’avance, il faut voir d’abord ». Quant à l’espace, l’enfant sait assez précocement par ses expériences acquises qu’en partant de plus haut on favorise le mouvement, mais on a vu au chap. II du volume XXVII les étranges trajectoires invisibles (ou les actions à distance sans contact spatial) que les sujets peuvent assigner à la bille active lorsqu’elle agit sur la dernière d’une série de billes passives : sauter par-dessus, passer derrière, etc. Enfin les relations temporelles donnent lieu à des fréquentes indécisions pour distinguer le quasi-simultané et le successif entre l’arrivée des billes actives et le départ des dernières billes passives, sans parler des erreurs systématiques à ce niveau, quant aux relations entre la durée et la vitesse (plus vite = plus de temps, etc.).

En un mot la poussée spatio-temporelle, dont l’intuition représente à ce niveau l’élément positif central de la compréhension du dynamisme, ne saurait être considérée comme le produit d’une composition opératoire : il ne constitue qu’une résultante globale et immédiate dont les composantes sont tirées de l’action propre, où elles sont coordonnées par un jeu variable de régulations perceptives et sensorimotrices, et ne donnent lieu qu’à une prise de conscience partielle et déformante. Si nous assistons ainsi au passage de l’action, dans le sens d’un comportement, à l’« action » en tant que future grandeur physique, cette « action » de poussée spatio-temporelle ne demeure donc encore qu’essentiellement indifférenciée, tandis que la suite du développement nous mettra en présence de différenciations et compositions quantitatives croissantes et complémentaires les unes des autres.

§ 3. Le niveau IB (5-7 ans)

Le critère de ce niveau est l’enchaînement des poussées ou transmissions immédiates, autrement dit une transmission médiate mais purement externe, ce qui va de pair avec certains progrès cinétiques. Il arrive, mais peu généralement, que le terme d’élan soit déjà employé mais encore en synonymie avec la vitesse :

Fra (5 ;6, techn. II). 9/1 : La rouge va venir «  (milieu) et ça fait bouger celles-là. — Jusqu’où ? — Jusque-là (montée symétrique). — (Constatation.) Ça a fait bouger celle-là (grise). — Comment ? — En tapant celle-là (bleue = 1re des passives). — Qu’est-ce qu’il faut faire pour que (les deux dernières) partent ? — Il faut prendre la rouge et la bleue. — Et (9/3) ? — (Juste) parce que trois font partir trois. — Pourquoi deux (9/2) ? — Parce que celles-là les retiennent. — Et pourquoi les autres partent ? — La rouge et la bleue poussent un peu celle-là (jaune) et celle-là (jaune) pousse celle-là (verte) (etc.), et la brune et la grise partent », Quand elle roule une bille isolée « elle est plus lourde. — Pourquoi ? — Parce qu’elle prend de l’élan. — Qu’est-ce que ça fait ? — … — Où elle prend de l’élan ? — Là-haut. — Il reste le même ? — Non. — Où y a-t-il le moins ? —  (milieu). — Et le poids ? —  (le plus en haut). — Et le moins ? —  (en bas). — D’où vient l’élan ? — Parce que c’est lourd. — Et pourquoi pas en bas ? — Il faut que ce soit penché ».

Mov (5 ;7, techn. El). 9/1 constatation : « Les billes se sont tapées tout doucement et la grise part et quand la grise redescend la rouge part. — Comment la rouge a pu faire partir la grise ? — La rouge a pris de l’élan et a

tapé les autres. — Quand la bille a pris de l’élan ? — Quand on lâche. — Et après ? — Il y a moins, il y a de plus en plus moins d’élan. — Qu’est-ce que c’est l’élan ? — Quand’ on va vite, vite, quand on shoote un ballon. — Il va comment ? — Il va toujours moins vite. — (9/2) Devine ? — Deux vont partir (constatation) parce qu’ils sont deux, les billes se tapent et deux partent. — Pourquoi ? — Parce qu’elles (les actives) ont du poids elles vont vite et ça fait toc. — Quand la bille a du poids ? — Normalement elles ont du poids. — Et ici ? — Elle en a de moins en moins. »

Jan (6 ;3, techn. I) ne prévoit pour une seule boule qu’un trajet s’arrêtant « au milieu. — (Constatation avec variations de hauteur.) — Quand elle est plus haut alors ça va plus loin. — Pourquoi ? — Parce que ça va vite ». 3/1 : « La rouge pousse la bleue, et après la bleue pousse la jaune et la jaune part. — Pourquoi la bleue ne part pas avec la jaune ? — Parce que la jaune et après (au retour) la rouge la retiennent. — (9/1.) — Il n’y en a pas qui vont partir, parce qu’il y en a beaucoup, elles sont trop lourdes. — (Constatation.) — Il y a toutes qui bougent et la grise part. — Pourquoi ? — Toutes poussent la grise et elle part. — Et pour faire partir deux ? — Il faut prendre ces deux (rouge et bleue). — (Constatation : rire.) — Parce qu’elles sont du même poids : elles poussent le même poids (2 et 2). — (9/4) ? — Ceux-là (4 dernières) partent. — (Constatation.) Pourquoi la blanche ne part pas ? — Elle est restée au milieu parce qu’il y a quatre d’un côté et quatre de l’autre. — Mais pourquoi elle ne part pas ? — Elle part quand elle est lourde. — Quand devient-elle lourde ? — Avec toutes les autres. »

Tiz (6 ;11, techn. 1). Une seule bille : « Elle tombera là (milieu), là où elle était avant », puis quand on monte davantage « elle va aller vite, elle ne pourra pas s’arrêter (même hauteur). — (1/1) ? — Elle va faire partir la bleue… parce qu’elle aura de l’élan comme avant. — Qu’est-ce que c’est l’élan ? — C’est les choses qui font aller, c’est quelque chose de la vitesse ». Près du milieu « elle en a moins » mais « elle le reprend là (juste avant). — Comment ? — Ça va droit, ça va faire de l’élan. — Et après ? — Ça recommence l’élan, de là (redescente) ». La rouge s’arrête après avoir tapé la bleue « parce qu’elle n’a plus d’élan pour monter plus haut. — Pourquoi ? — Il est parti quand elle est descendue. — Mais avant (seule) elle montait ? — Parce que ça lui a arrêté l’élan, la bleue. — Comment ? — La rouge a fait arrêter son élan, elle a poussé la bleue, et la bleue va faire de l’élan parce qu’elle a dû faire ». 3/2 : « La rouge a plus de force. — Pourquoi ? — Elle est plus dure, elle a plus de fer dedans, ça fait partir les deux. — Elle n’a pas le même poids que les autres ? — Non. — Et le même poids qu’ici (milieu) ? — Non. — Où le plus ? —  (en haut) parce que c’est plus dur à retenir. — Et quand elle roule ? — Elle est à moitié lourde et à moitié légère. — Où y en a-t-il le plus ? —  (milieu) elle a le plus de poids. — Mais tu me disais en haut ? — Oui, en haut elle a le plus de poids. » Mêmes affirmations de l’autre côté au retour : « En haut elle a le plus de poids parce qu’elle ne peut pas se tenir en haut. » Donc deux maxima avec perte de poids en chemin.

Ayb (6 ;3, techn. II) présente encore des résidus du niveau IA pour son anticipation à 9/1 : « Elles vont changer de place : la jaune à la place de la

blanche et la blanche à la place de la jaune (etc.) et la grise (dernière) à la place de la rouge (active). » Mais à la constatation elle passe à un enchaînement de poussées immédiates et résume : a La rouge a bougé celles du milieu, les autres (celles-ci) sont grosses et dures et ont fait bouger la grise. » Pour 9/2 et 9/3 bonne prévision. Pour 9/4 prévision : les quatre dernières partiront parce que « la blanche (médiane) bouge, car c’est celle du milieu, elle est forte, elle est dure, elle fait pousser les autres (stimulée par les quatre actives) ». « On voit qu’elles se poussent ou on ne voit pas ? — On ne voit pas. — Comment ça se fait ? — Elles sont fortes. »

Obe (6 ;6). 9/1 : « Car la rouge a beaucoup de poids et ça fait ça. — Que fait le poids ? — Ça roule vite et ça fait partir une. — Comment ? — C’est les autres billes qui ont fait partir la grise. — La rouge a poussé les autres et ça l’a fait partir. — Comment elle a poussé les autres ? — Ça a roulé très vite. »

Mon (6 ;I1). Mêmes réactions : « Car la bille (rouge) donne du poids et tombe. » Pour 9/2 : « Ça pousse plus fort alors les deux partent aussi. — Pourquoi ça pousse plus fort ? — C’est plus lourd. »

Len (6 ;9). Mêmes réactions : « Ça va plus loin quand c’est lourd. »

Rud (6 ;11, techn. I) pense que le chemin de la montée (pour une boule suspendue) « c’est plus long. — Pourquoi ? — Parce que ça va plus haut (que le départ). — Pourquoi ça va plus haut ? — Parce que c’est plus long ». Avec 3/1 la bleue ne part pas « parce qu’elle est au milieu. — Ça fait quoi ? — … ». Avec 9/1 il n’y aura pas de départs « parce que ça fait beaucoup » puis après départ « parce que vous avez tapé trop fort. — Qu’est-ce que c’est la force ? — Quand elle (rouge) est en plomb. — Quand a-t-elle de la force ? — Quand elle est en haut. — Pourquoi ? — Parce que ça va de plus en plus vite ». Quant à la transmission (en 9/1) Rud pense que « la rouge a tapé la bleue (celle-ci) la jaune (etc., énumération des chocs successifs), la grise et la grise est partie. — Comment elle a pu faire partir la grise ? — Elle a tapé trop (= très) fort ».

Le progrès essentiel accompli à ce niveau est que la vitesse et le poids ne sont plus invoqués (pouvant donc donner lieu à une prise de conscience) dans les seuls cas où il s’agit d’expliquer un phénomène imprévu et cela en fonction de ce fait lui-même et non pas des conditions extérieures au mobile : ces deux composantes interviennent déjà dans l’explication de la poussée et en fonction de la pente, etc. Pour Mov à 5 ans et demi les boules actives « ont du poids, elles vont vite et ça fait toc ». Pour Fra la bille active « prend de l’élan là-haut… parce que c’est lourd ». Jan dit que « ça va vite » quand ça part de plus haut et indique déjà (à 6 ;3 !) l’égalité de poids des billes actives et passives : « elles poussent le même poids (2 et 2) ».

Tiz qui parle d’« élan » et de vitesse attribue la « force » de la bille rouge au fait qu’elle est « dure » et en fer et Rud à ce qu’elle est en plomb. Ayb parle de billes « grosses et dures », Obe mentionne le poids et la vitesse, etc.

On pourrait donc avoir l’impression que dès ce niveau une certaine synthèse est obtenue d’une forme élémentaire de poussée p = mv, c’est-à-dire déjà conçue comme comportant la vitesse et quelque chose appelé poids ou grosseur, etc., et qui annonce la masse. Or cela est vrai en partie et les résultats du chapitre premier nous ont aussi montré la possibilité d’équivalences entre certaines actions et d’autres (comme de faire un détour sans porter de poids ou d’en porter, mais en ligne droite), de même que nous voyons ici des équivalences entre la poussée de n billes et le départ de n autres quand elles ont le même poids.

Seulement cette première coordination ne dépasse pas certaines limites étroites et ne concerne encore que les formes élémentaires de transmissions de mouvements. Certes il y a progrès à cet égard sur le niveau IA, en ce que le sujet devient capable d’enchaîner des suites de transmissions immédiates en une forme « médiate » initiale, mais demeurant purement externe : choc de A contre B, de B contre C, etc., jusqu’au départ de N, chacune étant censée se déplacer quelque peu (cf. Mov et Rud). Mais c’est là précisément qu’intervient la limitation : ni la « force » invoquée par Tiz, ni l’« élan » dont parlent certains ne constituent encore un continuum dynamique capable de traverser les billes (un « courant », etc.). La « force » ne revient qu’à « pousser fort », l’« élan » à « shooter » vite (Mov) ou à partir et aller vite, etc. La poussée ne demeure ainsi qu’une action globale actuelle ou d’un seul tenant » sans conservation ni continuité en ses effets, et la raison en est claire : c’est que ses composantes, si elles donnent lieu à une meilleure prise de conscience qu’au niveau IA quant à la découverte des conditions nécessaires de l’action propre de pousser, n’en atteignent pas encore pour autant le statut d’éléments ou de relations quantifiables (sauf en ce qui concerne le nombre même des billes) : le poids ne se conserve toujours pas selon que la bille est au haut ou au bas de sa pente (Fra., Mov, etc.) ; une bille devient, lourde quand elle est poussée « avec toutes les autres » (Jan), en roulant elle devient « à moitié lourde à moitié légère » (Tiz), etc.

Quant à la vitesse ou à l’élan (ce qui est encore synonyme), ils varient de façon multiple et ne se transmettent pas comme tels. Certes la boule active produit le mouvement de la boule passive et en ce sens il y a transmission mais cela n’implique pas un passage de l’élan comme tel (faute du continuum dont il a été question) : Tiz explique ainsi curieusement qu’en « poussant » la bleue la rouge (active) « a fait arrêter son élan, elle a poussé la bleue et la bleue va faire de l’élan parce qu’elle a dû (en) faire (à cause du choc) ». On voit en quoi la poussée propre à ce niveau IB, tout en résultant d’une coordination de la vitesse et du poids, demeure une sorte d’« action » isolée, non encore intégrable dans les transmissions médiates internes (stade III), ni même semi-internes propres au stade II. Néanmoins cette action, que nous écrivons symboliquement mve, cesse d’être entièrement psychologique comme au niveau IA pour commencer à se décentrer à ce niveau IB, en relation avec ce que nous savons (vol. XXIII des « Etudes ») des « fonctions constituantes ».

§ 4. Le niveau IIA (7-9 ans)

Les trois nouveautés essentielles de ce sous-stade sont la conservation du poids dans les changements de position, la différenciation de l’« élan » et de la vitesse et la transmission médiate et semi-interne du mouvement, se présentant en général sous la forme d’une transmission de l’« élan » lui-même. Nous avons déjà insisté de nombreuses fois (chap. I du vol. XXVII, etc.) sur les débuts de cette conservation du poids et le § 7 du chapitre II de ce volume XXVII a analysé le mode nouveau de transmission du mouvement qui apparaît à ce niveau (sans distinguer d’ailleurs les niveaux IIA et IIB qui ne diffèrent pas à cet égard). Nous nous centrerons donc ici sur l’étude de la notion de l’« élan », en citant à nouveau, au besoin, des cas déjà mentionnés en ce chapitre II du volume XXVII, mais en nous bornant alors à découper d’autres parties de l’interrogation (qui est fort longue et n’a pas été donnée in extenso en ce chapitre) :

Nat (6 ;11, techn. II) pour 9/1, prévision : « La rouge a été (= ira) vite et elle tape à l’autre boule. — Et ça fait quoi ? — Bouger un peu toute la

ligne. — (Constatation.) — Ça a poussé un peu les boules et elles ont fait rebondir la grise » ce qui est encore du niveau IA ; mais pour 9/2 : « Qu’est-ce qui fait monter (les deux dernières) ? — L’élan. Quand vous avez laché elle a toujours moins car elle se tape. — Il part où ? — Il part à la bleue, elle bouge un peu. — Et il va où ? — A toutes, mais elles ne bougent pas (visiblement), elles n’ont pas assez d’élan… A la grise (dernière) et ça fait bouger toutes. » Après 9/3, etc. : « Si je mettais vingt-trois billes et sept qui tombent il en partirait combien ? — Onze. — Pourquoi ? — Les sept donnent l’élan aux onze. — Mais pourquoi onze ? — Parce que 23 — 7 = 11 (sic). Non sept qui partent. » Quant à l’élan, quand on lâche « de plus en plus haut alors il y a plus (= davantage) d’élan. — Et en descendant ? — Toujours plus petit. — Et la même vitesse ? — Oui. Non, oui la même vitesse, ça ne fait pas plus d’élan. L’élan est toujours le même. — Et la vitesse ? — Toujours plus vite. Non, je ne crois pas. — Pourquoi ? — A cause de l’élan. — D’où il vient ? — C’est vous quand vous la mettez en haut. Elle a du poids, ça pousse un peu toutes les autres. Elles vont se taper et remonter jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’élan. — Et quand je tiens la bille elle a déjà de l’élan ? — Non, du poids, alors elle descend (et prend de l’élan). — Et en bas elle a encore du poids ? — Un peu. — Et quand elle roule ? — La même chose. — Le même poids ? — Oui ».

Mir (7 ;0, techn. I citée p. 76 du vol. XXVII). Une seule bille, prévision : « Elle part d’en haut et remonte ici (même hauteur, mais avec un arc trop aplati). — Pourquoi ? — C’est le plomb qui fait balancer, parce qu’il est lourd. — Ça fait quoi le poids ? — Ça fait monter, ça fait un élan. — Quand a-t-elle le plus d’élan ? — Quand elle part d’en haut. — Et après ? — Ça va plus doucement, moins vite. » Mais pour une bille prête à pousser une autre : « Où a-t-elle le plus d’élan ? — Quand elle descend ici (droite) ou là (gauche), c’est la même chose. — Et il augmente ou diminue ? — Il augmente en descendant. — Que va-t-il se passer ? — La rouge va pousser et la bleue va monter. — Et après ? — La bleue descend et pousse la rouge. » Trois billes : la rouge « pousse la jaune. — Comment ? — Elle lui donne l’élan pour partir », puis elle précise que c’est par l’intermédiaire de la bleue. Avec 9/1 dit que « rien ne devrait partir. — (Constatation.) Et avec (9/2 constatation) et (9/3) ? — Ça leur donne plus d’élan. Il faut prendre toujours la même chose (prévision 3 pour 3 après avoir vu 2 pour 2). — Et (9/4) ? — Ça fait encore plus d’élan ».

Ser (7 ;10, techn. I cité p. 77, vol. XXVII) pense qu’une seule bille montera moins haut que son chemin de descente : « Elle n’a déjà presque plus d’élan. — Où ? —  (montée). Elle n’a presque plus d’élan pour la montée, alors ça fait plus lent. — Mais plus loin ? — Moins loin. — Et la hauteur ? — Plus haut ici (droite = départ). — … La montée est plus longue, ça la fatiguera. — D’où vient l’élan ? — Quand on lâche. — C’est quoi l’élan ? — Quand on descend vite. — L’élan est toujours le même à la descente ? — Non. — Où il est le plus grand ? — Ici (après le départ). — Et après ? — Moins, (mais) ça va vite (spontané). — Et la vitesse est la même à la descente et à la montée ? — Elle a une plus grande vitesse à la descente. — Et le poids est le même partout ? — (Hésitation.) Oui. — En haut et en bas la même

chose ? — Oui. — Et avec cette petite bille ? — Elle ira plus doucement parce qu’elle est plus petite. La grosse peut mieux monter parce qu’elle est plus lourde, non c’est la petite, elle est plus légère. » Ceci à la montée, mais à la descente, plus de poids. « Ça pèse, ça va très vite. » passage à 1/1 et 2/1 : l’« élan (de la rouge active) est parti avec la jaune », etc. Prévoit que deux boules actives en 9/2 feront partir deux passives, puis quatre pour quatre en 9/4, parce que « ça fait un élan (plus grand)… Quand il y en a deux il n’y a pas beaucoup d’élan, quand il y en a quatre ça fait déjà plus d’élan ». Il répète à ce sujet que « quand elles ont un élan, ça descend vite ».

Dom (7 ;9, techn. II) pense qu’une bille remonte mais un peu au-dessous de la hauteur de départ et qu’elle va « doucement » lors de ce départ puis « un peu vite », « plus vite », etc., et «  (après le milieu) plus doucement » jusqu’en haut de la remontée : « Doucement. — Et là (plus bas) ? — Plus fort. — Qu’est-ce qui fait aller fort ? — L’élan. — Quand je tiens la bille elle a de l’élan ? — Non, quand elle roule. — Où l’élan est le plus grand ? — (Montre à mi-hauteur.) — Et là (plus bas) ? — Plus petit. — Et là (montée) ? — Plus petit. — (Haut de la montée) ? — Là plus grand. — L’élan est le plus grand là (sommet de la montée) ? —  (mi-hauteur). Non là (sommet). — L’élan est le plus grand là ? — Oui. » Il n’y a donc pas convergence entre vitesse et élan.

Pas (7 ;6, techn. II) ne parle pas d’élan mais explique constamment le nombre des billes projetées par le poids des boules actives : pour 9/5 « elles sont poussées par le poids ici (actives) et ça les pousse ici (passives projetées) ». Pour 3/1 « elle va en pousser une parce qu’il y a seulement le poids d’une bille » et pour 3/2 « parce qu’il y a le même poids, s’il y a deux billes ça poussera deux ».

Gui (7 ;6, techn. II) fait aussi intervenir d’abord le poids : pour 9/3 « les autres partent, il y a beaucoup de poids » et pour 9/5 celle du milieu doit partir parce que « si elle reste, ceux-là ne partent pas, car il y a plus de poids là (les cinq actives) ». Mais ensuite, pour une seule bille, il invoque « l’élan en haut : elle remonte parce qu’elle a pris beaucoup d’élan. — Où y a-t-il le plus d’élan ? — Au milieu (de la descente) et quand ça arrive en haut (à gauche : cf. Dom). — Il y a des endroits où il n’y en a pas ? — A la montée. Elle prend de l’élan (à la descente) puis elle le perd et le reprend. Quand elle arrive à la descente (après la montée) elle prend de l’élan pour remonter. — Et la vitesse, c’est partout la même ? — Non. — Où c’est le plus vite ? — En haut. — Et puis ? — C’est toujours moins vite et après ça remonte et (quand ça redescend) ça va plus vite. — En montant c’est comment ? — Moins vite. Elle ne peut pas aller vite, ce n’est pas plus vite que le temps ( ! = plus de temps à la montée) ». Quant à la transmission, pour 9/1, la grise (dernière) « a eu de l’élan quand la rouge arrive : son élan (de la rouge) ça fait comme ça (choc sur la bleue) et toutes les autres donnent l’élan. — Comment ? — La rouge donne l’élan à la brune (avant-dernière) : quand ça la tape celle-là a de l’élan et pousse la grise. — Mais comment la brune a de l’élan ? — La rouge donne à toutes et la brune donne à la grise ».

Pel (8 ;5, techn. I) prévoit le balancement d’une bille jusqu’à peu près à la hauteur de départ « parce que si elle n’avait pas assez d’élan elle ne pourrait

pas aller jusque-là. — C’est quoi l’élan ? — Quand elle part elle va de plus en plus vite. — Où commence-t-il ? —  (un peu plus bas que le départ). — Où le plus ? —  (bas de la pente), quand elle arrive elle va très très vite ; (montre l’augmentation sur les divers points de la descente et la perte progressive à la montée parce que) (montée) elle va moins vite parce qu’il y a moins de puissance. — Quand ça va vite c’est la même chose que quand il y a un élan ? — Même chose. — Ça va toujours id. vite ? — Non, quand il y a la pente, etc. (montre accélération jusqu’au-dessus du milieu). — Et là (milieu) ? — Moins vite (etc.). — Alors l’élan est le plus grand ici (au milieu = bas de la pente) et la vitesse ici (un peu avant) ? — Oui. — L’élan et la vitesse sont la même chose ? — Non, la vitesse c’est quand on va très vite. L’élan c’est quand on commence seulement. — Et puis ? — C’est quand on descend très très vite on a une puissance. Quand on arrive là (gauche) moins. L’élan c’est quand on part, la vitesse c’est quand on passe, quand on descend, quand on est déjà un bon bout ». Pour 3/1 prévoit que la rouge « elle donne de l’élan à l’autre. Elle va pousser la bleue et la bleue pousse la jaune et la jaune part. — Et la bleue ? — Elle reste sur place ». « (9/1, prévision.) — Il n’y a qu’une seule qui part. La rouge arrive, touche la bleue, qui touche la jaune (etc.) et la grise qui part. — Et celles du milieu ? — Elles sont freinées par celles de devant. » Quant à la bille active « elle n’en a plus, elle le donne à l’autre ». « Et (9/7) ? — Avec l’élan des autres elles sont parties. » Pour 9/5 prévoit que celle du milieu reste. Puis à la constatation « elle est obligée de partir parce qu’elle a (= reçoit) trop d’élan ». Pour 6/2 « quand elles (les deux actives) arrivent sur tes autres, elles poussent la jaune qui les fait partir toutes. — Comment ? — Les autres (deux actives) la touchent, elle donne la puissance (aux passives) ».

Cla (8 ;8, techn. I). Une bille : « Ça va balancer parce qu’il a beaucoup d’élan pour monter. — D’où vient-il ? — D’en haut (montre le fil relevé). Ça lui donne de l’élan. — A qui ? — Au plomb (= bille) parce qu’il est lourd. — C’est le poids ? — Oui. S’il est là (fil incliné) il a plus d’élan, ça lui fait tendre le fil, et comme il est lourd, il fait descendre. — Même poids en haut et au milieu ? — Oui. » 3/1 : s’attend au départ des deux, puis « la jaune est partie seule parce que la rouge n’avait pas suffisamment d’élan ». 9/1, constatation : « L’élan (de l’active) donne la vitesse au plomb gris. » Et encore pour 3/2, « parce qu’il y a le même élan d’ici à ici (d’une extrémité à l’autre) ».

Tin (8 ;1) pour une bille prévoit un trajet rectiligne après la descente puis une remontée avec « la même grandeur » des deux côtés « parce qu’elle a pris son élan ». Celui-ci est pareil jusqu’au milieu où « après elle reprend l’élan ici. — D’où elle le reprend ? — … — D’où ? — Ici (haut à droite) ». Toutes situations : les unes des billes restent en place « parce qu’elles n’ont pas assez d’élan » et les autres partent « parce que la rouge (active) a donné son élan à la bleue (etc. de proche en proche) ».

Bon (8 :11) prévoit l’arrêt d’une seule bille au milieu et est très étonnée de sa remontée : « Ça fait de l’élan quand on lâche. » Celui-ci est constant, du départ jusque près du milieu et de là « ça va moins vite parce que ça monte. — Mais ça monte déjà ? — Non, ça descend (encore). — Alors entre ce

point et le milieu ? — Ça fait moins d’élan. — Où c’est le moins vite ? — Au début de la montée. — L’élan c’est quoi ? — C’est de la force. — Quand elle a de la force ? — Quand on lâche. — Et si on lâche de plus bas ? — Ça ira ici (plus bas) parce que vous avez lâché de moins loin ».

Dan (8 ;4, techn. I) a déjà été cité p. 77 du vol. XXVII pour ses explications de la transmission : la bille active « a envoyé l’élan » aux autres grâce à des chocs mais cet élan les traverse également : « Ça donne un courant. » Quant à cet élan. Dan prévoit d’abord pour une bille un trajet non symétrique mais plus étendu sur la gauche « parce qu’elle a plus de place. Non c’est pareil… parce qu’elle se balance » ; etc. « D’où elle a pris cet élan ? — D’en haut. C’est comme si on la pousserait par le poids. Si elle était plus légère elle irait plus haut (à gauche). — Alors ce n’est pas le poids ? — Oui c’est le poids. Il faut assez de poids pour qu’elle prenne de l’élan, mais pour la montée il faudrait qu’elle soit plus légère : elle irait plus loin. — Elle a un élan ici (sommet au départ à droite) ? — Oui. — Et plus bas ? — Non, moins. — Et là ? — Encore moins. — Et en bas ? — Oui elle a le même parce qu’elle est descendue par ici. — Jusqu’où il est le même ? — Jusqu’ici (milieu). — Et quand elle en a moins ? — Quand elle a dépassé la moitié. »

Ala (8 ;2, techn. I) : « Elle a pris un peu d’élan en descendant et après elle monte. » L’élan est maximum juste avant le milieu puis « ça commence à freiner. — D’où elle a l’élan ? — D’où (sommet de départ). Elle a de la force quand elle commence à rouler. — Que donne la force ? — Elle descend vite et remonte et descend… Elle a pris de la force en balançant. — Où elle n’a plus d’élan ? — Quand elle descend elle s’arrêtera ici (montre des oscillations de plus en plus courtes avec arrêt final au milieu) ». Transmission : « Elles vont se rentrer dedans. » La boule active s’arrêtera après le choc « parce que c’est lourd. Elle n’a plus assez de force pour monter. — Où est parti l’élan ? — C’est la bleue (1re passive) qui a pris un bon élan. — Et après ? — La bleue rentre dans la jaune et la jaune partira un petit peu. Elle a moins de force car la rouge est entrée dans la première ». Après les constatations, les départs sont dus à ce que les passives finales ont « pris beaucoup d’élan ».

Web (8 ;4, techn. I) a été citée p. 78 du vol. XXVII pour ses idées sur la transmission : « l’élan va traverser les boules » puis il est expliqué par l’air. Pour une bille seule, « l’élan c’est comme une force qui pousse la bille à la descente pour la faire remonter. La vitesse c’est qu’on va vite ». L’élan croît progressivement à la descente (dessin) et diminue graduellement à la montée. La vitesse a son maximum juste avant le milieu. L’élan augmente avec le nombre des billes.

Mul (8 ;1, techn. II) ne parle pas d’élan mais de ses composantes habituelles : pour 9/5 « quatre partent ici (passives), car là (actives) c’est lourd et si c’est lourd ça pousse » et dans le cas de trois billes le départ de la dernière « dépend de la vitesse » de l’active.

Car (8 ;2, techn. II). Même réaction : avec deux billes pour neuf, le départ sera de deux « car elles (actives) sont lourdes. — Qu’est-ce que ça

fait la lourdeur ? — Elles ont du poids, ça fait partir ». Mais le même effet pour une active est ensuite décrit en termes de : « Elle a shooté celle-là. — Et elle-même (on montre l’active) ? — Elle a shooté (sur le mode réflexif ). »

Cor (8 ;3) passe du poids à l’élan. Four 9/1 prévision : « La rouge (active) est tombée, elle a fait balancer la bleue (il les énumère dans l’ordre de la transmission) et la grise est montée car c’est le poids qui la fait aller plus haut. La rouge a fait balancer toutes (nouvelle énumération) et ça a fait (du poids), plus le poids de la rouge. La grise (dernière) a eu plus de poids que tes autres el elle se balance plus (transmission cumulative !). A la grise il y a eu tout le poids. — De quoi ? — De toutes les autres. » Puis pour 9/2 : « Ça fait plus de poids et ça arrive jusqu’à la brune (avant-dernière). » Mais le poids agit « quand on met en haut. — Qu’est-ce que ça fait ? — L’élan. C’est plus lourd et quand c’est plus lourd ça fait monter plus haut les deux ». Dans la suite ce n’est plus le poids qui transmet sa force mais « c’est elle (l’active) qui donne l’élan aux autres. En haut on lui donne de l’élan et après elle en a plus (= davantage). — Qui donne l’élan ? — La pente. — Sur les pentes du Salève tu as de l’élan ? — Oui car on va vite ». « En haut on n’en a pas encore, mais la pente nous en donne, la même chose jusqu’en bas, je freine et à la fin de la pente il n’y a plus d’élan. » Mais quand la bille en touche une autre : « Ça a du poids, c’est obligé de donner (de l’élan), car ça en fait monter une. »

Nous avons la chance, dans ce domaine de la causalité où le vocabulaire du sens commun et de l’enfant demeure si imprécis ou inspiré par une fausse science, de rencontrer avec le terme d’« élan » une notion dont nos sujets font un usage systématique et en bonne partie original 1. A comparer ces réactions à celles du stade I (y compris le niveau IB où le mot « élan » apparaît occasionnellement), on constate, en effet, deux changements importants qui s’éclairent mutuellement.

Le premier pourrait paraître peu significatif mais est au contraire à considérer avec soin : la montée d’une bille isolée s’explique dorénavant par l’élan acquis lors de sa descente initiale, ce qui montre immédiatement que l’élan comporte dès ce niveau un début de continuité ou une conservation momentanée, complémentaire de l’accroissement initial de vitesse par lequel il est défini généralement. Au stade I la montée de la bille du côté opposé à sa descente s’explique simplement par le fait que « c’est son chemin » (Den IA), qu’« elle se balance » (Bar, Iva : IA), que « ça va vite » (Jan IB), « elle ne pourra pas s’arrêter » (Tiz IB), « ça va plus loin quand

(1) Mais comparable à l’impetus dans l’histoire de la dynamique.

c’est lourd » (Len IB), etc. » mais il n’est pas question d’une conservation de l’élan acquis. Quand les sujets du niveau IIA disent avec Pel « si elle n’avait pas assez d’élan elle ne pourrait pas aller jusque-là » ou avec Gui « elle remonte parce qu’elle a pris beaucoup d’élan », etc., nous sommes donc en présence d’une nouvelle manière d’expliquer, et elle est particulièrement visible chez Bon : ce sujet prévoit l’arrêt de la bille au bas de la descente et marque un certain étonnement à voir le contraire, d’où l’interprétation immédiate : « Ça fait de l’élan quand on lâche », comme s’il découvrait ainsi autre chose que ce qu’il avait pu voir. Le plus curieux est l’attitude des sujets qui comme Tin pensent qu’au début de la montée la bille « reprend son élan » (et cela en particulier chez ceux qui croient l’élan devenu nul au milieu et parlent de reprise ensuite) : or chez Tin, comme chez d’autres, il est clair que « reprendre son élan » ne signifie pas seulement le ranimer mais aussi « reprendre » celui qui a débuté au haut de la descente. Il arrive même chez un ou deux sujets que le retour de la bille lors de sa descente après la montée à gauche soit expliqué par l’élan acquis lors de la descente initiale. En un mot, les explications de la montée témoignent d’emblée d’une première différence assez essentielle entre l’élan et la vitesse pour les sujets de ce niveau : l’élan comporte une certaine continuité, avec variations d’intensité, mais qui dépasse celle dont est susceptible la vitesse.

Second changement par rapport au niveau IB et qui relève de ce même début de continuum dynamique : l’élan « se donne » d’une bille à la suivante lors de la transmission médiate et cela en plus des chocs par lesquels il se transmet. On retrouve cette expression chez tous ces sujets, tandis que, chose intéressante et à relever soigneusement, aucun ne parle d’une transmission ou d’une donation de vitesse. Autrement dit, l’élan n’est pas seulement la mise en marche du mouvement, donc l’accroissement initial de la vitesse, il constitue un certain pouvoir de la ranimer ou de la faire varier, une « puissance » comme dit Pel (« quand on descend très très vite on a une puissance ») et c’est cette puissance qui se conserve un moment et comporte une certaine continuité qu’ignorait la poussée spatio-temporelle immédiate, seule atteinte au stade I. C’est alors cette continuité qui rend possible la compréhension de la transmission médiate du mouvement sous une forme semi-interne :

l’élan passe d’une bille à la suivante en les « traversant » (Web) comme un « courant » (Dan), bien qu’il faille encore que chacune choque encore légèrement celle qui suit. On a suffisamment insisté là-dessus au § 8 du chapitre II du volume XXVII pour n’y pas revenir.

Notons seulement qu’en ce chapitre nous expliquions ce début de transmission médiate interne (semi-interne) par la constitution vers 7-8 ans de la transitivité opératoire, tandis que nous venons de l’attribuer à un commencement de continuum dynamique dû au progrès de la notion d’élan. Mais ces deux explications s’impliquent l’une l’autre : d’une part, cette transitivité n’est pas seulement celle des opérations du sujet mais est « attribuée » aux objets ce qui revient à leur prêter un pouvoir, qui est donc l’élan ; d’autre part un continuum se maintenant au travers d’objets discrets comme des billes suppose la transitivité.

Cela dit, il convient de préciser ce qui s’ajoute alors à la poussée spatio-temporelle p = mv, dont nous avons vu que, dès le niveau IB, les deux composantes de « poids » et de vitesse étaient déjà à l’œuvre, mais sans conservation du poids et sans transmission autre qu’immédiate. À ce niveau IIA, au contraire, le poids se conserve au cours des mouvements, en vertu d’une quantification tenant aux opérations additives qui assurent par ailleurs la transitivité. Il joue un rôle chez chacun de nos sujets, même lorsqu’il demeure implicite pour une seule bille et ne donne lieu à prise de conscience qu’à propos de 2 à n billes actives. Mais même pour une seule bille il va de soi que son poids intervient dans la prise de l’élan (voir Mir, Cla, Dan, etc.). Les sujets Pas et Cor vont jusqu’à employer le mot « poids » comme synonyme d’élan jusqu’au moment où Cor subordonne celui-ci à celui-là, et en vient même à dire qu’en 9/1 la dernière bille passive grise « a eu plus de poids que les autres… a eu tout le poids » en pensant à une transmission cumulative de l’élan !

Quant à la vitesse, elle soutient avec l’élan une relation qu’il s’agit de préciser avec soin, car c’est tout le problème de la genèse de l’idée de force qui est ici en jeu, puisque l’élan constitue la première forme objectivée (par opposition à psycho-morphique ou musculaire) de la notion de force : l’élan, dit ainsi Bon, « c’est de la force ». Notons d’abord qu’il est assez

vain de poser la question sous la forme unilinéaire de savoir si c’est l’élan qui produit la vitesse ou l’inverse. A soulever le problème en ces termes on trouve, en effet, aussi bien l’une de ces thèses que l’autre. Par exemple Ser, dès 7 ans, dit que « quand elles ont un élan ça descend vite » et quand « elle n’a presque plus d’élan pour la montée, alors ça fait plus lent », ce qui revient à dériver la vitesse de l’élan. Dom de même, à la question « qu’est-ce qui fait aller fort ? », répond « c’est l’élan ». Par contre Ala soutient que la force ou l’élan se prennent en balançant ou en descendant, ce qui les subordonne donc à la vitesse. De même Cor dit de l’élan que « la pente en donne », « car on va vite ». En dépassant cette thèse et cette antithèse, Pel affirme enfin qu’élan et vitesse sont « la même chose » de telle sorte que tantôt « quand on va très très vite on a une puissance », et tantôt on « va moins vite parce qu’il y a moins de puissance ».

En fait, et à voir comment ces sujets raisonnent, par opposition à leurs définitions verbales, l’élan est tout à la fois un changement de vitesse (accroissement au départ, ou diminution quand il faiblit, donc accélérations ou décélérations mais momentanées et non pas régulières) et une certaine conservation de vitesse également momentanée. En d’autres termes on se trouve en présence d’une première notion de force que

G. Henriques a proposé de formuler , où dp est le chan-

gement de la poussée p = mv (qui restait immédiate au stade I et ne donnait pas lieu à une conceptualisation de ses changements) et où dt est la durée en jeu. Celle-ci intervient dans la conservation momentanée et à la suite des changements ; en ce dernier cas elle est notée par certains sujets, comme Gui pour lequel la bille en montant « perd de l’élan » et « ne peut aller vite, pas plus vite que le temps ! ».

Mais il convient d’introduire ici une distinction essentielle qui permettra d’opposer le niveau IIB au présent niveau IIA. Plusieurs de nos recherches (et notamment celle-ci, mais les faits relatifs à cette question seront analysés au chap. III) ont, en effet, mis en évidence une différence notable entre la dynamique du niveau IIB, où le sujet admet l’existence d’une force distincte du mouvement, donc cause de celui-ci, et la dynamique du niveau IIA qui demeure pour ainsi dire imma-

nente à la cinématique, en ce sens que la force se confond avec le mouvement lui-même, en sa continuation ou en ses changements, sans en être différenciée à titre de cause extérieure à lui. Il importe donc de distinguer deux significations dans la formule précédente, et nous les symboliserons comme suit :

(1) pour le niveau IIA où la force n’est pas autre chose

que    y compris le cas où d = 1  et où ;

et  (2)   au sens de où la force est la cause 1 qui

produit  .

Ce changement de dynamique se manifeste en particulier dans les significations du terme d’« élan ». Au niveau IIB il tendra à exprimer la force au sens de la formule (2). Au niveau IIA au contraire il conserve un sens indifférencié, à la fois cinématique (grande vitesse) et dynamique (mais immanent au mouvement lui-même en son augmentation de vitesse ou en son maintien après cette augmentation). En français il n’y a pour ces deux acceptions qu’un seul mot, « élan », mais chez les jeunes Polonais que l’une de nous a également interrogés, il existe deux termes : ped qui signifie course rapide, galopade, etc., et qui est utilisé au niveau IIA (« c’est la galopade qui continue alors la bille monte bien », 8 ans) et le mot rozped correspondant à l’« élan » au sens de force de démarrage ou de lancement et qui est employé au niveau IIB, précisément à titre de cause dynamique de la vitesse ou du mouvement.

Mais si, au niveau IIA, la force demeure intérieure au mouvement, l’enfant n’en distingue donc pas moins les variations dp de celui-ci. En effet, ces sujets du niveau IIA indiquent facilement à notre demande où ils situent les augmentations maximales et diminutions d’élan ou de vitesse et ces indications coïncident rarement. C’est ainsi que pour Dom l’élan est le plus grand à la mi-descente tandis que la vitesse croît jusqu’au bas de la pente. Gui situe le maximum d’élan au même endroit

(l) Rappelons que pour certains auteurs comme Mach on a aussi f ≡ ma, la seule réalité étant l’accélération a du mobile de masse m, tandis que pour d’autres f = ma au sens de f → ma, la force étant la cause de cette accélération.

et au sommet de la remontée tandis que celui de la vitesse est au haut de la descente. Pour Pel celui de l’élan est au bas de la pente et celui de la vitesse un peu avant (mais avec fluctuations). Pour Bon l’élan s’arrête avant le bas de la pente et la vitesse ne diminue qu’à la montée, etc. Bref l’idée générale est qu’il existe bien des changements de vitesse et des changements d’élan (autres que dus à la simple opposition des descentes et des montées) et qu’ils sont en relation : mais cette relation demeure très variable, sinon arbitraire, tant qu’il n’y a pas, comme ce sera le cas au stade III, une notion claire de l’accélération continue.

§ 5. Le niveau IIB (9-10 ans)

Dans presque toutes les recherches sur la causalité de l’enfant on trouve à 9-10 ans un niveau IIB assez distinct du niveau IIA en ce que, tout en en retenant des traits généraux communs au stade II, il marque une remise en question des problèmes dynamiques, allant de pair avec la différenciation de la force et du mouvement, indiquée à la fin du § 4. Cette réorganisation conduit parfois à des régressions apparentes, comme la mise en doute de l’additivité des poids selon leurs actions (en hauteur, etc. : chap. I et II du vol. XXX). En d’autres cas on assiste à des progrès nets, mais en général il y a liaison avec le stade opératoire IIB (9-10 ans également), qui, du point de vue de l’espace (coordonnées, coordination des perspectives, etc.) et des opérations logico-arithmétiques, marque une phase de généralisation par opposition au niveau IIA où les opérations concrètes commencent à se constituer. Il est donc intéressant d’examiner à part, sous le classement IIB, les sujets de 9-10 ans du point de vue de nos problèmes de poids, de vitesse, d’élan et de force (et cela bien que nous n’ayons pas fait cette distinction au chap. II du vol. XXVII, car du point de vue de la transmission elle n’a pas de raison d’être). Il convient seulement de noter que, par un choix en partie arbitraire (car les variables sont multiples), nous avons situé à ce niveau IIB tous les sujets du stade II (celui-ci étant caractérisé par la transmission médiate semi-interne : passage de l’élan d’une bille à l’autre, mais avec encore choc et légers

mouvements) qui par ailleurs contestent la permanence du poids, pour les raisons que l’on verra (ce qui les distingue alors au niveau IIA). Mais parmi ces sujets il en est un ou deux qui parviennent à l’idée d’une accélération constante de vitesse, ce qui est l’un des trois caractères du stade III. Comme ils ne présentent pas les deux autres (transmission médiate purement interne et retour à la conservation du poids) nous aurions pu les classer dans les cas intermédiaires entre les stades II et III, et qu’on trouvera au début du § 6. C’est alors ici qu’intervient l’arbitraire de notre choix : nous laisserons au niveau IIB tous les sujets qui contestent la permanence du poids et ne classerons dans les cas intermédiaires en question que les sujets affirmant cette permanence ou surtout y parvenant après hésitations et réflexions variées.

Voici donc des exemples du niveau IIB ainsi défini :

San (8 ;7, techn. I, voir p. 78 du vol. XXVII) débute par des propos aristotéliciens : la bille isolée « montera jusque-là » (un peu trop haut et un peu trop loin) « parce que si on la met ici (départ) il faut bien quelle ait un but où elle va toujours, elle doit avoir sa place naturelle. — Pourquoi ? — Quand vous la lâchez elle va descendre et si ça monte elle a assez d’élan pour remonter encore un peu ». Et cela continue par oscillations décroissantes jusqu’au moment où « elle revient à sa place (milieu) et ne bouge plus ». Quant à cet élan il débute après le départ, reste constant jusqu’au milieu, puis « ça commence la petite difficulté ; moins d’élan et elle en a toujours moins. — Et quand elle est en haut à gauche ? — Elle revient parce qu’elle n’a plus de force pour monter encore, alors elle redescend et monte un peu ici (à droite) et ici (à gauche) et après elle n’a plus de force ». La vitesse par contre : « Au début elle va le plus vite et après elle va toujours plus lentement (au cours de la descente). » Quant au poids d’une bille seule « le plus lourd c’est là-dessous (milieu). — En haut c’est pas lourd ». Il n’y a donc plus conservation du poids comme au niveau IIA mais il va de soi qu’il y a néanmoins considération des quantités quant aux résistances et aux poussées : pour 9/1, San prévoit le départ d’une bille seulement, « la force va devenir de moins en moins forte (lors des chocs de chacune contre la suivante) parce qu’il y a beaucoup de billes », mais avec 9/2 la dernière passive montera plus haut : « La force va aussi diminuer (lors de la transmission) mais elle va être un peu plus forte parce que, comme il y a deux billes là (actives), il ne reste plus que sept billes (à pousser), alors elle va aller au moins jusque-là (plus haut qu’avant). »

Oua (9 ;10, techn. I) : « Ça remonte par l’élan. — Hauteur ? — Plus bas que où c’est parti, parce qu’il y a moins d’élan. — Pourquoi ? — Il y a du poids pour monter, alors ça monte moins facilement que pour descendre, parce que quand il y a du poids pour descendre, ça l’entraîne. » L’élan croît jusqu’au milieu de la descente « parce que quand elle descend elle a de la vitesse. Tout de suite après le départ elle a un petit élan, puis un grand, puis petit, plus

petit, plus petit (dessin explicite) ». Quant au poids : « Quand on lâche, elle n’est pas encore partie, elle n’a pas encore le poids (il s’agit donc de l’action du poids). Mais plus loin elle a le poids (dessin : croissance après le départ puis constant aux environs du milieu et croissance forte à la montée). — Mais quand on la tient dans la main elle a du poids ? — Oui. » Par contre la vitesse donne le même dessin que l’élan : croissance jusqu’au milieu de la descente puis décroissance, devenant plus forte à la montée. La transmission est du type médiat semi-interne : pour trois billes « la rouge va taper la bleue, et la bleue va taper la jaune », d’où « la rouge donne de l’élan à la bleue qui donne de l’élan à la jaune ». Mais pour 9/1 l’effet n’est pas cumulatif : « Il y a plusieurs billes qui auront donné de l’élan, alors elle (la passive finale) en aura moins. Parce que toutes les billes ont donné de l’élan, alors, à la fois (= au total), ça en a perdu, » Donc accumulation de pertes et non pas de gains. Par contre pour 9/2 la dernière montera plus haut (et seule) « parce qu’il y a plus de poids (2 actives), et puis il y a moins de billes (7 passives au lieu de 8) qui arrêtent l’élan » ; de plus « les deux billes (actives) vont plus vite ». Avec 9/3 « encore plus haut (passive) et puis plus vite (actives) ». Avec 9/4 « encore plus haut et puis plus vite et ainsi de suite ». Quant au mécanisme, « elles lui tapent dedans alors ça leur donne de l’élan », « elles s’en vont par le choc parce que par le choc ça fait tout à la fois ».

Sob (9 ;7, techn. I) a déjà été cité au vol. XXVII (§ 7) pour ses idées sur la transmission qui comportent à la fois le choc des billes, « un petit courant qui passe dedans ». Pour une bille « elle doit s’arrêter à la même hauteur (à gauche qu’au départ), parce qu’il n’y a pas plus d’élan ici (à droite). Si elle aurait moins d’élan elle s’arrêterait plus bas. — Qu’entends-tu par élan ? — C’est le poids qui descend, qui fait bondir. — Quand je lâche elle a un élan ? — Parce qu’elle descendra, parce qu’il y a du poids qui va descendre. — Si je la laisse là (milieu) elle a du poids ? — Non. — Elle pèse quelque chose ? — Je pense. — La même chose dans ta main et là ? — Non, là elle est suspendue. — Et quand je la tiens ? — Non, elle est plus lourde parce que vous la tenez. Elle devient plus lourde. — Pourquoi ? — C’est ça la dure question ! — Et quand ça roule ? — Elle aura beaucoup moins quand ça va vite. Quand on a un morceau de ficelle- et au bout on a du poids, quand on tourne très vite ça devient plus léger, ça vole un peu. — Et quand je tiens la bille elle n’a pas encore d’élan ? — Oui. — Quand commence-t-il ? — Quand vous lâchez ça va vite, vite, moins vite (etc., il figure par des traits de longueur croissante ou décroissante la vitesse qui augmente jusqu’au début de la seconde moitié de la descente puis diminue avant le milieu et s’annule progressivement à la montée ; l’élan au contraire est maximal tôt après le départ puis diminue jusqu’en bas). — C’est la même chose, élan et vitesse ? — Non, l’élan c’est ce qui appuie, ce qui fait marcher. L’élan c’est tout au début et la vitesse c’est quand il y a déjà beaucoup d’élan. — Mais tu as dessiné qu’il n’y a plus d’élan à la montée ? — C’est pas l’élan qu’elle avait en descendant, le reste d’élan qu’elle avait. Elle descend et après c’est la vitesse qui pousse. — Comment ? — Parce que ça va vite et, comme ça, ça pousse. Jusqu’à un certain moment c’est l’élan et après c’est la vitesse ». Rappelons que la transmission est due à un petit courant de cet élan qui est « invisible » mais « on peut 1e voir quand ça tape ».

Bre (9 ;10, techn. I). La bille isolée arrivera « un peu moins haut (à gauche) parce qu’elle prend de l’élan et en remontant elle en perd. — Qu’est-ce qui la fait remonter ? — La vitesse. — Et l’élan ? — Il fait aussi remonter. — Pourquoi elle descend quand on la lâche ? — La vitesse aide à descendre parce qu’elle est lourde, elle descend ». Avec deux billes : « La rouge n’a pas assez de force pour qu’elles montent les deux, alors elle s’arrête et la bleue part. — Explique ce qu’est la force ? — Elle prend de l’élan en descendant et ça lui donne de la force. — Cette force elle la garde ? — Non elle la donne à celle-là. — C’est la même ? — Non, un peu moins parce qu’elle n’a pas le temps de tout lui donner, il faut qu’elle en garde un peu pour quand on la retape (= la bleue au retour), pour qu’elle ait quand même la force de remonter. En montant elles en perdent beaucoup ». 3/1, la force passe partiellement à la bleue puis à la jaune, mais « la rouge en garde un peu, pas la bleue (c’est la médiane !) ». La transmission est semi-interne : perte de force lors des chocs d’une bille à la suivante. Pour le poids, même conflit que Sor : le poids aide à descendre et à taper mais semble diminuer à la descente : « Je pense qu’elle est lourde là (en haut) puis elle devient de plus en plus légère, puis, comme elle retape (= tape) elle redevient lourde. — Quand je l’ai dans la main (en haut) ? — Elle est plus lourde en haut. Non, plutôt le contraire, elle est plus légère en haut. — Et en bas ? — Quand elle bouge elle est plus légère, quand elle est arrêtée elle pèse plus lourd. — La bille n’a pas toujours le même poids ? — Non. — Quand elle descend elle devient plus lourde ou plus légère ? — Plus lourde. — Pourquoi ? — À ce moment, s’il y a des billes là elle pourra donner de la force aux autres. — Et quand la force a traversé la bille bleue, la jaune est plus lourde maintenant ? — Elle pèse la même chose. » Quant aux variations de la vitesse et de l’élan, la première croît régulièrement à la descente (accélération) et décroît à la montée, tandis que l’élan croît jusqu’en bas mais passe à une faible constante à la montée.

Met (9 ;2, techn. II) : « Si elle est plus haute elle prend plus d’élan. — Qu’est-ce que c’est ? — Vite, plus vite, ça fait un plus grand choc. — D’où vient l’élan plus grand ? — Le vent, non la vitesse de la boule. — D’où elle vient ? — De l’élan. Il y a plus d’élan en haut, là (près des boules) ça fait moins. Ici (à mi-chemin du haut et des boules) il y a une bonne différence. Ça va mieux. — Cette différence fait quoi ? — Plus d’élan, ça va plus vite et ça peut taper plus fort. » Pour deux billes : « D’où vient cet élan ? — De la vitesse. — Et la vitesse ? — Ça dépend de la boule (matière, poids ou grosseur ?). — Où la vitesse est la plus grande ? — (Montre le haut.) — D’où elle vient ? — Je ne peux pas dire. Peut-être la vitesse vient de l’élan. »

Jun (9 ;11, techn. II). 9/1 : « La grise (dernière) va se lever. Elles sont toutes en frottement : elles se touchent, ça fait lever la grise. — (9/2.) — La grise partira. (Essai.) Deux partent parce que c’est le même poids. » Même explication pour les autres situations mais pour une bille active de chaque côté : « Elles se rencontrent, la force des deux se rencontre au milieu. Ça a pris de la force au milieu. — Pourquoi ? — Elles se sont passé (la force) l’une à l’autre. — Avant tu parlais de poids, maintenant de force. C’est quoi ? — C’est quand on tape quelque chose, là ça se rencontre. — D’où la

bille a cette force ? — C’est quand elle descend. — C’est toujours la même force quand elle roule ? — Non (dessin d’accroissement continu). — Où il y en a le plus ? — En bas, ça augmente toujours (à la descente). — Et la vitesse, toujours la même ? — Non. — Où le plus ? — En bas. »

Daf (9 ;6). Mêmes réactions sauf que le poids est devenu « le fer » qui fait bouger la bille grise à 9/1, et que la force vient de « l’atome. — On peut la voir ? — Non. — Elle est où ? — Dans le fer des billes. — Toujours la même ? — Non, elle devient de plus en plus grande (jusqu’au bas de la pente). — Quand je la tiens elle a de la force ? — Non. Seulement quand elle descend, qu’elle prend de la vitesse. Elle a de la vitesse quand elle descend de plus en plus vite et avec de plus en plus de force ».

Rey (9 ;11, techn. II). 9/1 : « Il y a le poids qui fait descendre (l’active). Elle a poussé toutes les autres, toutes ont bougé un peu. — Et les autres ? — Elles restent, elles n’ont pas assez d’élan. — Il vient d’où ? — De la rouge (active). L’élan passe à travers… ça pousse un peu. — Qu’est-ce que c’est l’élan ? — C’est comme un courant. — En quoi il est ? — … En boules. — Et les boules ? — En plomb. — Et le courant ? — (Un courant) d’air. L’air est poussé quand la rouge descend. » Mais pour 9/2, l’élan vient « de la rouge et de la bleue, ça traverse et ça passe. Ça a traversé toutes les autres ». Puis « l’élan pousse. — C’est toujours la même vitesse ? — Oui. — Partout ? — Oui. — Et le poids, quand elle roule ? — Plus légère, il y a de l’élan pour la pousser. Quand elle descend elle a de l’élan, le poids est lourd quand ça monte et quand c’est poussé par l’élan c’est plus léger. — Explique-moi comment va le poids ? — Il y en a toujours plus à la descente et quand ça monte c’est le contraire. — Pourquoi ? — En descendant c’est plus lourd à cause de l’élan. — Et après ? — A la moitié il diminue un peu ».

Pap (9 ;4, techn. II). A 9/1 la bille active rouge fait partir la dernière (grise). « Parce que c’est la même grandeur (la grise que la rouge) ! — Et les autres qui restent ? — Il n’y a pas assez de force. — D’où elle vient ? — En l’air (= en haut), alors ça les tape. — Si je les tiens en haut elles ont de la force ? — Oui. — Et en bas ? — Non. — Quand elles tapent ? — Oui. — Quand elles ont tapé ? — Non, elles ont donné de la force. — Elles ont tout le temps la même force ? — Non, là c’est en haut (plus) et quand c’est en bas ça perd. — Ça perd où ? —  (milieu de la descente). — Quand je lâche ? — Plus de force. Quand vous tenez ça fait moins. — (9/2.) — Il y a deux alors deux c’est plus lourd. Les deux ont plus de force. — Elles pèsent la même chose si je les tiens ou si ça roule ? — Non. — Où plus ? — En l’air (= en haut). — Quand elles roulent où y en a-t-il le plus ? — Au milieu. — Pourquoi ? — C’est la même différence de hauteur. — Ça fait quoi ? — Il y a plus de chemin (il juge ainsi la courbure inférieure). — Et ça donne du poids ? — Oui. — Pourquoi ? — La bille rouge change ? — C’est la même chose de force (= veut dire que la force équivaut au poids). — Quand il y a du poids et quand il y a de la force ? — C’est la même chose. — Tu es sûr ? — Oui. »

Per (10 ;9, techn. II). Pour 9/1 : « La bille arrive sur les autres et ça fait un choc qui fait tout le chemin et la dernière part. » — Pour 9/5 : « Il en restera

quatre. (Essai.) C’est le poids ! — Pourquoi ? — Il est plus grand, ça donne une plus grande pression. » Le poids de la bille augmente progressivement à la descente. La « force » de même. « Là en haut il n’y a pas beaucoup de force parce qu’il n’y a pas beaucoup d’élan. — Qu’est-ce que c’est l’élan ? — C’est la vitesse. — Comment va la force ? — Toujours en augmentant. — D’où la bille prend de la force ? — De la longueur du parcours » (cf. Pap).

Rin (10 ;11, techn. II). 9/1 : « Elle (active) shoote les autres et ça shoote la grise (dernière). — Toutes les autres ? — Les unes après les autres. » L’arrêt de la rouge : « Il n’y a plus de force, la force vient de la vitesse. Ça passe dans les billes, le reste de la force. » Pour en faire partir deux, il faut « lâcher la rouge et la bleue. — Pourquoi ? — Ça fera plus fort. Le mouvement ça fera plus de force, ça fait un plus fort mouvement : ça bouge avec plus de force. — Ça vient d’où la force des billes ? — C’est autant c’est lourd, autant de force. — La bille est aussi lourde en haut qu’en bas ? — Non, quand ça descend c’est plus lourd. — Où c’est plus lourd ? — En bas (dessin : augmentation régulière). — Pourquoi ? — Avec la vitesse il y a plus de poids. — C’est toujours la même vitesse ? — Non, toujours plus vite et de plus en plus lourd ».

Mal (10 ;6, techn. I) prévoit que la bille remonte « parce qu’elle a de l’élan. — D’où il vient ? — D’en haut. — Et quand elle descend ? — Moins. — Et au milieu ? — Encore moins. — Et à la montée ? — Encore moins ». Mêmes variations pour le poids sauf qu’à la montée « de nouveau plus. — Et à la balance ? — En haut elle pèserait plus qu’au milieu ».

Lis (12 ;2, techn. II) croit malgré son âge que la bille, tout en descendant « à cause de son poids », « est légère en haut. — Pourquoi ? — Elle n’a plus de force (elle est retenue). — Quand a-t-elle plus de poids ? — Quand elle descend. — Quand je la retiens elle a de la force ? — Non. — Quand je la lâche ? — Oui. — Et quand elle arrive en bas ? — Non, elle a du poids. Parce qu’elle est immobile elle n’a plus de force ».

La première différence entre ces sujets et ceux du niveau IIA est ainsi une sorte de retour à la non-conservation du poids, d’autant plus curieux que l’âge de 9-10 ans est précisément celui où s’affirme la conservation du poids lorsque l’on modifie la forme de l’objet (boulette d’argile, etc.). Cette négation de la permanence du poids n’est nullement due à un malentendu verbal et nous l’avons observée en bien d’autres conditions analogues, c’est-à-dire lorsque l’objet change de situation dynamique, comme des plots métalliques qui tirent à l’extrémité de fils longs ou courts, ou qui sont groupés en superposition verticale ou juxtaposés horizontalement, etc. En règle générale les sujets de 9-10 ans déclarent que le poids mesuré à la balance ne se modifierait pas : ce qui change, c’est l’action de ce poids,

selon qu’il « donne » ou non, qu’il « pèse » ou non sur un support, etc., et plus ou moins près d’un centre (début d’une intuition du moment dynamique, etc.). Dans le présent cas, il arrive que des sujets aillent jusqu’à supposer une modification du poids des billes mesuré à la balance, mais il semble clair que c’est cependant à l’action variable du poids qu’ils songent surtout en parlant des changements de celui-ci : lorsque Oua, par exemple, dit qu’une bille avant sa descente « n’a pas encore de poids », et que « plus loin elle a un poids », il va de soi qu’il pense à cette action et non pas au sens courant du terme (poids comme propriété de l’objet).

Cela dit, l’intérêt de ces nouveaux faits est qu’ils sont peut-être susceptibles de nous fournir la clef de cette solidarité jusqu’ici mystérieuse entre les variations de l’action du poids qu’admettent les sujets de ce niveau IIB et les progrès de leurs interprétations dynamiques. S’il y a progrès à ce dernier point de vue on comprend, en effet, mal que l’additivité des poids soient constamment remise en question à cet âge de 9-10 ans. Or, dans le présent cas, on peut formuler deux hypothèses explicatives :

(1) En développant l’idée de force sous sa forme différenciée, donc en tant que cause des variations temporelles de la

poussée (prop. (2) de la fin du § 4), ces sujets seraient

conduits à attribuer aux poids (notion sous laquelle est comprise à ce niveau la notion de masse) des actions dynamiques à la fois plus variées et plus effectives.

(2) Il en résulterait alors une intégration plus étroite des composantes de la force qui aboutirait à une notion du poids, ou de son action, conçue en tant, pour ainsi dire, que coefficient d’élan m = p/v, d’où chez certains sujets l’augmentation supposée de l’action du poids en fonction de la poussée p et sa diminution, soutenue par d’autres sujets, lorsque la vitesse augmente.

Examinons d’abord le rôle assigné par ces sujets au poids dans leur synthèse de la force. Il convient d’abord de se rappeler que vers 9 ans la chute ou la descente des corps commence à être attribuée généralement au poids et non plus seulement à la pente, ce qui commence à être le cas de l’eau elle-même en son écoulement. Il est donc normal que Oua, Sor, Bre, Rey,

Rey, Lis, etc., parlent d’emblée du « poids qui fait descendre » ou qui « entraîne », etc., et qui intervient donc dans l’élan en relation avec la vitesse. Sor va jusqu’à dire : « C’est le poids qui descend qui fait bondir », ce que l’on retrouve dans sa définition de l’élan qui « appuie ». Bre déclare : « la vitesse aide à descendre ; parce qu’elle (la bille) est lourde elle descend ». Rey qui débute par la formule courante « il y a le poids qui fait descendre » aboutit à une dépendance circulaire en disant ensuite : « en descendant c’est plus lourd à cause de l’élan ». Pap pour deux billes actives relie « deux c’est plus lourd » à « les deux ont plus de force ». Per dit qu’un poids « plus grand ça donne une plus grande pression » et Rin résume ces opinions par la formule synthétique « autant c’est lourd autant de force ». Bref, tous ces sujets ou bien font explicitement appel au poids comme ceux qu’on vient de rappeler ou bien se réfèrent à la quantité de matière (voir San pour la force de poussée avec deux billes et la force de résistance avec sept et Jun pour l’égalité des poids entre billes actives et passives ou à sa qualité pesante ou massive : Met (« ça dépend de la boule »), Daf (la force vient du fer avec ou sans « atomes ») et d’autres invoquent le « plomb »). Seul Mal ne dit rien de semblable mais met les variations du poids en correspondance avec celles de l’élan, ce qui semble être circulaire.

En un mot, dans la mesure où l’élan tend à être assimilé à une force (et c’était déjà le cas au niveau IIA mais sous une forme purement immanente) la masse, en tant que poids ou que quantité de matière, etc., est mieux intégrée à cette force en liaison nécessaire avec la vitesse, ce qui justifie la formulation que l’on peut considérer comme caractéristique de ce

niveau IB :  au  sens  de  et non plus de

.

Mais dans la mesure précisément où cette intégration est plus poussée le poids exerce alors une action variable d’où le retour apparent et paradoxal à une non-conservation du poids, puisque celui-ci devient une sorte de coefficient d’élan. De la formule précédente, G. Henriques a tiré la relation un peu osée m = p⃗/v en annonçant une sorte de dépendance génétique circulaire entre les constructions de p et de m. Or, c’est bien

ce que nous trouvons à ce niveau IIB : tantôt l’action du poids augmente en relation avec la poussée p, tantôt elle diminue avec l’augmentation de la vitesse v. La première de ces relations, qui prédomine naturellement, se rencontre chez Rin sous la forme d’un cercle complet. On a déjà rappelé sa formule « autant c’est lourd, autant de force » signifiant que la descente due au poids produit de la force ; mais réciproquement « quand ça descend c’est plus lourd », « avec la vitesse il y a plus de poids : toujours plus vite et de plus en plus lourd ». Autrement dit, la poussée est due à un poids qui engendre de la force, mais ce poids lui-même augmente avec la vitesse qu’il favorise. La même idée moins explicite se retrouve chez les sujets pour lesquels le poids augmente « quand la bille descend » (Oua, Jun, Rey, Per et Lis), et il faut peut-être (mais pas nécessairement) lui assimiler le jugement selon lequel le poids est le plus lourd en bas (milieu du trajet : San, Pap, etc.), jugement que nous avons fréquemment observé ailleurs, et qui nous a paru lié à l’idée du poids comme cause de descente ; mais il se pourrait aussi que cette augmentation du poids vers le bas soit due au fait que la vitesse a diminué, ce qui conduit à la relation suivante.

En effet, à côté d’un poids dont l’action s’accroît proportionnellement à la poussée, on trouve aussi, ce qui s’accorde avec la formule m = p/v, une diminution en fonction de la vitesse. Sor, tout en ayant affirmé que le poids de la bille les fait descendre et qu’elle reste lourde si on la tient à la main (ce qui lui paraît une « dure question » !), soutient qu’il diminue avec la vitesse de descente et justifie cette idée par l’observation de la force centrifuge (poids qu’on fait tourner en l’air au bout d’une ficelle). Même conflit chez Bre : la bille en descendant « devient de plus en plus légère » (m inversement proportionnelle à v) mais « redevient lourde » quand elle tape (m proportionnelle à p). Même contradiction chez Rey : quand la bille « descend, elle a de l’élan » parce que « le poids la fait descendre », mais elle devient « plus légère (parce qu’) il y a de l’élan pour la pousser », et il va jusqu’à dire avec un grand courage théorique que même « quand ça monte et que c’est poussé par l’élan c’est plus léger » : c’est donc bien m inversement proportionnelle à v jusqu’à l’absurdité.

Au total, l’idée dominante de ce niveau est celle d’une force

différenciée ou de l’élan conçu comme une force. Mais il est à noter que si cette force est différenciée du mouvement puisqu’elle en devient la cause, il s’agit toujours d’une force en mouvement par opposition aux forces virtuelles qui, au stade III, continuent d’agir dans les états d’équilibre : pour Lis à 12 ans encore la bille au sommet n’a pas de force, puisqu’elle est retenue, et arrivée en bas (à la fin des oscillations) « elle n’a plus de force parce qu’elle est immobile ». Il en résulte que, malgré les propos aristotéliciens de San sur le « but » et la « place naturelle » de la bille à sa remontée, il subsiste un certain nombre de relations circulaires entre la force et ses composantes. Pour Sor « l’élan c’est ce qui appuie, ce qui fait marcher » et est donc source de vitesse (tout en décidant du poids « qui descend, qui fait bondir »), mais l’instant d’après « c’est la vitesse qui pousse ». Pour Bre « l’élan donne de la force » mais parce que « la vitesse aide à descendre : elle est lourde », etc. Pour Met l’élan vient de « la vitesse de la boule », mais ensuite c’est « peut-être » le contraire quoique la vitesse croissante soit source d’« un plus grand choc ». Pour Rey l’élan est un courant mais « en boule » et en « plomb ». Pour Rap le poids est identique à la force, parce que le poids est source de descente, tandis que pour Per ce « chemin » qu’il appelle aussi « la longueur du parcours » est source de la force qui dépend de l’élan et celui-ci de la vitesse, le tout donnant « une grande pression ». Il est donc évident que nous ne sommes pas en présence de dépendances simples, mais d’essais de coordination, et que ce sont les tendances à ces dépendances ou les questions posées qui voilent la prise de conscience des relations effectivement à l’œuvre dans les raisonnements spontanés. Mais à vouloir formuler ces relations, nous retombons alors, en identifiant l’élan et le concept de force propre à ce niveau, sur la formule

, mais avec plus de différenciation des composantes à ce niveau qu’en IIA.

En effet, il est clair que la poussée p est constamment liée pour ces sujets à la vitesse v et au poids m (ou quantité et qualité de la matière, nombre de billes, etc.), ne serait-ce que parce que la descente est attribuée à ce poids. D’autre part, si le mouvement est lent (= dt) c’est que la force diminue comme à la montée, tandis qu’une descente rapide et brève augmente

la force de poussée. Enfin, pour ce qui est de dp il s’agit de la force conçue comme variation de la poussée (donc de m ou de v ou des deux). En effet, d’une part, plus aucun sujet ne croit à une constance de la vitesse, de l’élan ou de la force au cours de la descente et San qui admet celle de l’élan jusqu’au milieu du trajet ne pense pas de même pour la vitesse. D’autre part, si certains de ces sujets supposent un accroissement général, il en est (et ce sont les plus intéressants) qui considèrent les modifications comme différentes selon les facteurs : pour Sor et d’autres la vitesse croît quand l’élan décroît, etc. Sans présenter rien de systématique ni sans doute de stable, ces réactions montrent une fois de plus que l’essentiel de la force ou de l’élan est de concerner des modifications de l’« action », autrement dit des changements de poussée, par opposition aux poussées immédiates et insuffisamment coordonnées entre elles du stade I.

§ 6. Le stade III (à partir de 11-12 ans)

Nous caractériserons le stade III par la conjonction des trois acquisitions suivantes : une transmission purement interne du mouvement (déjà étudié au chap. II du vol. XXVII), une accélération régulière de la vitesse à la descente (ou décélération régulière pour ceux qui l’attribuent à la courbure de la trajectoire) et un retour à la conservation du poids, ou plutôt à la conservation de son action considérée comme variable au niveau IIB. Mais il va de soi que ces trois caractères qui finissent par converger dès 12-13 ans ne sont pas forcément acquis simultanément, d’où un ensemble de cas intermédiaires par l’examen desquels il convient de commencer :

Ria (9 ;7, techn. 1) croit encore que la bille isolée s’arrêtera au milieu, ce qui lui fait dire que « l’élan sera toujours plus petit ». Puis, après essais, elle compare cet effet à celui d’une balançoire et dessine un élan qui grandit jusqu’au bas de la pente et qu’elle assimile à la vitesse. Quant au poids il reste constant « puisque c’est la même boule. — Et là (extrémité gauche après la remontée) ? — Peut-être un peu plus. Non, elle pèse la même chose parce que c’est toujours la même bille ». Quant à la transmission « l’élan touche celle-là, etc., et ça fait partir la dernière. — Est-ce qu’elles bougent, les autres ? — Je ne crois pas (c’est l’« élan » qui les touche et non pas elles-mêmes qui se cognent) ».

Ald (10 ;6, techn. I, déjà cité à la p. 91 du vol. XXVII) : L’élan augmente à la descente et « se perd de plus en plus à cause du poids » à la montée. S’il augmente à la descente ainsi que la vitesse, c’est que le poids fait de même : « Quand on laisse tomber quelque chose d’une tour de 30 m, il y a toujours des kilos de plus quand ça tombe », mais pour la bille qui descend Ald dit ensuite plus prudemment : « Le poids devient comme un peu plus lourd », puis : « Non, c’est toujours le même poids, la bille, mais quand elle descend elle prend plus de poids : mais le poids ne change pas, la vitesse change. Avec l’élan elle descend plus vite. C’est toujours le même poids mais ça descend plus vite. »

Moj (10 ;6. techn. I) : La bille isolée monte « par le poids, ça donne un élan et elle ne va pas plus loin » parce que « le fil ne s’étend pas ». L’élan commence « quand vous lâchez. A ce moment l’élan se montre comme s’il était caché (ô Meyerson !) ». Les billes frappées ne partent pas quand elles dépassent le poids de l’active, mais font obstacle : «   Les obstacles c’est plus de poids que son poids. » Pour 9/1 : « La force passe (à travers) toutes les billes et la grise part. » Avec 9/2, deux partent « parce qu’elles ont le même poids que de l’autre côté. La force vient de l’élan. Plus il y a d’élan, plus elle (l’active) a de force. — Et l’élan ? — Il y a de l’élan quand c’est plus haut ». « Le poids ne change pas. — Qu’est-ce qui change ? — La vitesse, l’élan. » Moj serait donc un cas type du stade III, mais il ne parvient pas à l’accélération : à la descente l’élan et la vitesse sont constants et diminuent à la montée.

Sau (11 ;2, techn. II). Pour 9/1 : « Son poids fera bouger les autres. (Constatation.) La grise a bougé. — Comment ? — C’est transmis d’une boule à l’autre en poussant. — Les autres bougent ? — Oui (mais « pas beaucoup »). » « Au début (descente) il y a toujours plus d’élan (dessin d’accélération), puis (à la montée) c’est le même jusqu’au bout. — Et la vitesse ? — C’est comme l’élan », mais la bille « elle a toujours le même poids. — Quand elle roule ? — Oui, le poids ne change pas. — Tu m’as dit que le poids fait descendre ? — C’est l’élan. — Pas le poids ? — Si, le poids tire vers le bas », et pour la prévision du nombre de boules qui partent « je peux savoir combien partent parce que le même poids pousse de chaque côté ». C’est donc le stade III sauf le mode de transmission.

Arc (11 ;11, techn. I) indique une augmentation de l’élan et de la vitesse jusqu’après la moitié de la descente et « la longueur ne fait rien, c’est la hauteur », puis « elle va de moins en moins vite dès qu’elle a passé le milieu ». Mais si elle décroit avant le milieu c’est « parce que c’est du faux plat » donc en référence avec la courbure parce que là « la pente est déjà beaucoup moins raide ». L’élan c’est « quand on lâche, c’est la vitesse qu’elle a pris au départ : elle a pris de l’élan ». Quant au poids, Arc est en une situation intermédiaire intéressante. On lui demande si la bille garde son poids en mouvement : « Oui. — Il n’y a pas plus ou moins de poids ? — Comment, le poids, la lourdeur ? — Ça pourrait être autre chose ? — Le poids de la vitesse. — Quelle est ton idée ? — On pourrait imaginer. A la pente on imagine qu’elle a plus de poids que là. — Mais ce n’est pas vrai ? — On- pourrait penser. Oui, ça peut être juste. Oui c’est juste que là (descente) elle a plus de poids que là. Là c’est la lourdeur de la bille. Si on ne la laisse pas tomber, c’est le

même poids. Si on lâche elle en a plus. — Comment on pourrait appeler ça, cette lourdeur ? — On met le doigt là (au bas de la pente), on lâche un peu : on ne ressent presque rien. Plus haut on ressent plus. — Tu as parlé de force, avant ? — C’est la pression, c’est à peu près semblable. » Dans la suite, la boule active « a de l’élan, de la pression » et la transmission est comparée à un «   courant » qui passe à « un centième de seconde à peu près », « comme un fil électrique ».

Ors (12 ;0, techn. I) : « Avec le poids elle va balancer », « c’est le poids qui donne de l’élan ». « En roulant elle a toujours le même poids ? — Ah oui, elle ne peut pas changer de poids. » C’est sans doute pour cela qu’« elle a la même vitesse tout le long du trajet, mais elle faiblit un peu avant d’arriver en haut ». Il en est de même de l’élan mais il faiblit d’un balancement au suivant. Quant à la force, « la force ou l’élan moi je crois que c’est à peu près la même chose ». La transmission est interne : l’élan passe d’une bille à l’autre.

Nov (12 ;0, techn. I). Mêmes réactions : « Elle aura de la force, elle ne pourra pas s’arrêter tout de suite. — D’où vient cette force ? — Du plomb. C’est lourd, ça pèse, alors ça ira beaucoup plus vite si elle était plus légère. — Quand elle roulera elle aura le même poids ? — Oui, ça ne change pas, on ne lui a pas enlevé. » D’où une vitesse et une force constantes à la descente, mais décroissantes à la montée.

Voici maintenant des cas francs de ce stade III :

Pio (10 ;8, techn. II). 9/1 : « La rouge ça pousse, la poussée c’est le chemin qu’elle prend en arrivant avec sa force, etc. — D’où vient la poussée ? — En prenant l’élan. — Comment elle l’a pris ? — En prenant de la vitesse. — L’élan c’est la vitesse ? — Non. La vitesse c’est aller vite, l’élan c’est quand on court un moment pour aller plus vite. La poussée c’est quand elle pousse. — La vitesse est toujours la même ? — Non, elle est plus forte en arrivant. — Et la plus petite ? — Au début. — Et la force ? — Il y a plus de force quand il y a plus de vitesse. — Et l’élan ? — Comme la vitesse (dessin d’accélération). — On peut faire partir la grise et la brune (2 au lieu de 1) ? — Encore plus d’élan et ça pousse un plus grand nombre. — Comment ? — Encore plus haut, il y a un plus grand chemin à parcourir et ça arrive plus vite. — Et comme ça (9/2, prévision) ? — Il y aura plus de force, parce qu’il y a une plus grosse masse. — C’est-à-dire ? — Un plus gros corps. — Et alors ? — Une plus grosse quantité, ça fait un plus gros poids et un plus gros choc, une plus grosse poussée. — Quand une bille roule, c’est le même poids ? — Oui, elle perd pas sa quantité. — On m’a dit que ça change de poids ? — Ce n’est pas juste, on lui enlève rien. — Pour faire partir quatre ? — Il faut plus de poids. »

MÉG (10 ;6, techn. II). Mêmes réactions. « La bille a plus de poids (position du fil au départ et descente) ? — Non, c’est un élan qui fait plus lourd. — Qu’est-ce que c’est l’élan ? — C’est la vitesse. Non, c’est le démarrage, la vitesse c’est au bout d’un moment. — Et le poids si on mettait sur une balance ? — C’est toujours le même poids. » Etc.

Gas (10 ;7, techn. I) : En descendant la bille « va de plus en plus vite. — Et en montant ? — De moins en moins vite ». « Qu’est-ce qui fait partir cette bille ? — Il y a un choc qui se transmet par ondes. — Des ondes de quoi ? — Des chocs, à travers la bille. » Plus loin : l’onde « elle traverse cette bille ».

For (11 ;2, techn. I) : La bille unique arrivera à la même hauteur mais « c’est pas naturel qu’elle monte, mais elle a tellement de force, de vitesse, qu’elle peut remonter. — D’où vient cette vitesse ? — Quand elle descend ça fait comme une boule de neige (accélération nette sur le dessin jusqu’au milieu). — Et la force ? — Elle a de plus en plus de force quand elle descend, parce que ça va de plus en plus vite ».

Taz (11 ;11, techn. II) formule une distinction précise entre l’élan et la vitesse. La vitesse croît régulièrement à la descente jusque près du milieu où la courbe tend vers l’horizontale. Par contre l’élan c’est l’accélération elle-même : « C’est quand on a quelque chose qui va toujours plus vite », de telle sorte qu’il est figuré constant sur le dessin : ( oui c’est le même élan », sauf sa diminution à la montée ; quant à la force c’est la poussée résultant de cet élan : « La bille a aussi de la force ? — Oui, quand elle descend, si je la recevrais sur le bras, ça ferait mal. Etant donné qu’elle a un élan (donc une accélération), plus ça va vite et plus ça fait mal. » D’autre part la force dépend du nombre : « Etant donné qu’elles sont deux elles ont encore plus de force que la rouge seule », etc. « Ça doit toujours être le même nombre. » Transmission : l’élan « se transmet » comme un « courant » d’électricité.

Cla (11 ;3, techn. II) admet que l’élan augmente régulièrement au cours de la descente et la force aussi : « L’élan c’est quand elle est en route et la force c’est le poids de la bille. — Quand elle roule elle a le même poids ? — Oui, parce qu’elle a le même poids que quand elle est immobile. »

Pour Cos (11 ;2) « l’élan c’est quand on pousse quelque chose et ça fait partir ». Le poids est constant à égalité des nombres et en 9/4 : « On ne peut pas prendre quatre billes et en faire partir cinq parce qu’un poids plus petit ne peut pas faire partir un poids plus grand. »

Sen (11 ;6, techn. I) commence par indiquer une diminution progressive de vitesse à cause de la pente en arc de cercle puis se corrige en admettant que la vitesse s’accroît et que c’est l’élan qui diminue : « Il y a beaucoup d’élan en haut puis toujours moins. — Alors la vitesse augmente et l’élan diminue ? — (Oui), parce que c’est penché (en haut) et que ça veut descendre. »

Tri (12 ;2, techn. I) : « L’élan c’est la durée, la longueur de la pente (ce qu’il marque sur son dessin par une accélération très régulière en 12 longueurs croissantes) ; la force c’est… plus c’est lourd, plus ça a de force. — Et l’élan on le prend alors avec la longueur ? — Oui. — Et la force ? — Avec la vitesse que ça a, l’élan. Plus l’élan est grand plus il y a de force. — Et le poids ? — Plus la bille est lourde plus elle va vite. — Le poids change avec la descente ? — Ah ! non c’est la même chose partout. » A propos de 3/2 il revient

sur ces deux composantes : « La force vient du poids, elle vient aussi de l’élan. Plus l’élan est grand, plus ça va vite et plus il y a de force. »

Car (12,3) présente des variations subtiles d’opinion. Il croit d’abord que la vitesse diminue régulièrement puisque la pente de l’arc de cercle se modifie et comme il conçoit en premier lieu la force en fonction de la vitesse il en conclut : « Chaque fois que la pente est moins raide, il y a moins de force. » Mais ensuite la bille a de la force « parce qu’elle a un poids », et comme « le poids ne change pas, la force est toujours la même » ! Transmission : c’est la « force qui passe ».

StÉ (12 ;8, techn. II) ne parle que de poids, élan et force mais pas de vitesse sauf une seule fois (sur 6 pages) : « Il vient d’où l’élan (à propos de 9/1) ? — Du poids. C’est le poids qui donne l’élan. — Et quand elle s’arrête — Elle n’a plus d’élan, la vitesse diminue. » Pour 9/2 prévision juste « parce qu’elles sont deux et qu’elles ont plus de poids ensemble. Elles ont un double élan ». « On peut toujours savoir combien de billes vont partir ? — Oui si toutes les billes ont le même poids. — Et ici 9/4 ? — Quatre partiront. — Et la blanche ? — Elle reste au milieu. — Pourquoi ? — Parce qu’il y a quatre poids. Ce serait en quelque sorte injuste qu’il y en ait une de plus qui parte : ça ferait trop lourd. » A la fin : « C’est le poids qui donne la force » mais ensuite la force vient « de l’élan. — Et l’élan ? — Du poids de la bille. — Plus la bille est grosse plus elle a d’élan ? — Oui. — Et la force ? — La bille a de la force pour taper contre les autres billes, ce n’est pas de l’élan. — Alors quand a-t-elle de l’élan ? — Quand elle commence à partir. — Et quand a-t-elle de la force ? — Au moment qu’elle part elle a automatiquement de la force ».

Bal (13 ;6) dessine un élan qui croît jusqu’à mi-hauteur de la descente pour diminuer ensuite tandis que la vitesse augmente jusqu’en bas, parce que « quand elle commence à rouler il y a un élan, ensuite c’est plein d’élan puis elle prend de la vitesse (qui dérive donc de l’élan), — Comment est-elle au milieu ? — Elle est au sommet de sa vitesse ». Le poids est constant et « se rapporte à son volume ». Quant à la force, « toute la force qu’elles avaient en descendant elles vont l’employer à se cogner », et la transmission est due à ce que « la force traverse » les billes.

Ter (13 ;2, techn. I) pense aussi que «   la vitesse c’est à peu près la même chose que la force : la vitesse c’est plus long, tandis que la force c’est un petit moment », mais elles augmentent cependant régulièrement toutes deux à la descente. « Qu’est-ce qui peut augmenter la force ? — C’est son poids (de la bille) et la descente, puisque plus c’est lourd plus ça descendra vite. » Mais pour chaque bille le poids est constant.

Gil (13 ;0, techn. I) figure une belle accélération pour la vitesse et un accroissement également régulier de l’élan : « D’où elle a cet élan ? — Plus elle descend, plus elle va vite. — C’est la vitesse qui donne l’élan ? — Ou l’élan qui donne la vitesse ! Si on n’a pas de vitesse on n’a pas d’élan et si on n’a pas d’élan on n’a pas de vitesse. » L’élan est nécessaire « parce qu’en ne peut pas partir tout de suite d’un seul coup » et se confond donc avec l’accé-

lération. Quant à la force, Gil parle de « propulsion » et fait alors intervenir le poids : « L’élan, la vitesse et la force ce sont trois choses différentes qui vont ensemble. — Comment elles vont ensemble ? — Si je reçois un poids sur la tête… je ne sais pas comment l’expliquer », mais, passant de la théorie à 9/2, Gil précise : « Justement, cette force se propulse de l’une à l’autre : le poids (de l’active) se retrouve dans celle-ci (dernière passive). »

Les cas intermédiaires sont intéressants notamment en ce qui concerne les hésitations de certains d’entre eux quant à la conservation de l’action du poids. C’est ainsi que Aid après avoir cru qu’un poids augmente de quelques kilos en tombant d’une tour en vient à cette substitution importante : «   c’est toujours le même poids, mais ça descend plus vite », ce qui le met sur la voie de l’accélération ma au lieu de d(mv). Moi raisonne de même, mais ne voit de changement de vitesse qu’à la montée ; par contre il donne de l’élan une caractéristique de son apparition (il « se montre comme s’il était caché ») qui annonce les vitesses virtuelles sinon l’énergie potentielle. Arc à 11 ans distingue le poids-lourdeur et le « poids de la vitesse » dans le sens où un sujet de 10 ans (Jul 10 ;8) disait : « la force c’est la vitesse qui fait un poids », ce poids devenant ensuite une pression qui traverse les billes comme un courant électrique.

Or, cette acceptation de la conservation de l’action du poids à la descente conduit alors les cas francs de ce stade III à ne plus voir dans d(mv) qu’une modification de la vitesse dv, et une modification uniforme puisqu’elle n’est plus perturbée par des changements de poids : d’où une première raison d’en venir à l’accélération. Mais il y en a une seconde, qui est peut-être plus générale : c’est que ces sujets tendent à ne plus confondre l’élan et la force, comme c’était le cas au stade II, mais à conférer à l’élan un statut précis, au sein du complexe notionnel qu’est la force : or, ce statut est justement celui de l’accélération, de manière à attribuer à l’élan un caractère cinématique pour le distinguer de la force tout en évitant d’assimiler sans plus élan et vitesse. « La vitesse dit ainsi Pio, c’est aller vite », tandis que l’élan c’est « aller plus vite » ; l’élan pour Meg « c’est le démarrage, la vitesse c’est au bout d’un moment » ; pour For « ça fait comme une boule de neige ». Selon Taz l’élan, c’est « quelque chose qui va toujours plus vite » et il pousse la logique jusqu’à dessiner pour la descente une vitesse croissante et un élan constant puisque ce dernier

constitue par définition l’accélération de la première. Pour Sté « taper » une bille n’est pas de l’élan, celui-ci intervenant « quand elle commence à partir », et pour Bal « quand elle commence à rouler ». Gil enfin fait justice avec ironie de la question de savoir si l’élan engendre la vitesse ou l’inverse et conclut qu’ils s’impliquent l’un l’autre, l’élan étant nécessaire « parce qu’on ne peut pas partir d’un coup ». Après quoi il précise que la force, l’élan et la vitesse sont « trois choses différentes qui vont ensemble » et, pour ce qui est de la première, il montre qu’aux composantes cinématiques de la force il faut ajouter le poids.

En bref, chacun de ces sujets remplace le d(mv) du stade II par l’accélération a, mais sans oublier le poids (Pio, Még, Cla, Tri, Car, Sté, etc.) donc la masse. Pio va jusqu’à employer ce terme d’une manière qui ne semble pas scolaire (il n’a que 10 ans) dans le sens de « un plus gros corps, une plus grosse quantité, ça fait un plus gros poids et un plus gros choc, une plus grosse poussée ». Il n’est donc pas exagéré de voir dans ces réactions le début d’une notion de force dans le sens de f = ma, d’autant plus qu’à ce niveau les forces se composent en direction et intensité et continuent d’agir lorsqu’elles ne sont pas en mouvement.