La Formation de la notion de force ()
Chapitre V.
La transmission de l’énergie entre deux pendules reliés par un fil
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avec Jacques De Lannoy
Dans le cas de deux boules A et B de même masse suspendues à deux fils F1 et F2 de même longueur reliés transversalement par un élastique E, chacune joue alternativement le rôle d’agent et de patient, ce qui distingue déjà cette situation des simples transmissions de mouvements étudiées aux chapitres II-V du volume XXVII.[*] D’autre part, la quantité de mouvement ne se conserve point ici, mais seulement l’énergie cinétique qui passe de A à B puis en sens inverse, etc., jusqu’à ce que les frottements entraînent l’arrêt du système. Enfin les caractères visibles de la transmission sont d’un type très particulier par rapport à ceux des situations analysées jusqu’ici : si l’on appelle « externe » une transmission médiate dans laquelle le médiateur n’agit que par son mouvement molaire, le sujet pourra n’invoquer que ce mode de transmission, puisque l’élastique E est mis en mouvement par chacun des fils F1 et F2 à tour de rôle. Seulement quand F1 déplace E d’un certain angle (car E ne décrit que des rotations partielles et non pas des translations comme une bille frappée par une première et rejoignant ensuite une troisième), cette rotation n’est d’abord sensible qu’au voisinage de F1, après quoi elle s’atténue et c’est l’autre extrémité de E, voisine de F2,
[*Note FJP : cette expérience, sous sa forme originale, a pour la première fois été présentée par le physicien genevois Lucien de la Rive (1834— 1924) dans le cadre des séances de l’Académie des sciences de 1894 ; cf. « Sur un systèmes de deux pendules reliés par un fil élastique… », Comptes Rendus des Séances de l’Académie des Sciences. Paris, février et mars 1894.]
commence à osciller : ce passage du mouvement angulaire [*] de EF1 à EF2 puis l’inverse n’est alors explicable que dans la mesure où le sujet ajoutera à la transmission externe visible une transmission interne non perceptible qui est justement celle de l’énergie. Il sera donc intéressant d’analyser les relations pouvant exister entre les découvertes de la transmission interne et de la conservation (en ce cas particulier) de l’énergie cinétique, et les relations entre ces découvertes et celle de l’alternance des rôles d’agent et de patient des deux boules A et B.
§ 1. Techniques et résultats généraux🔗
Les niveaux observés sont les suivants. En IA (4-5 ans) le rôle des fils demeure incompris (pas de transmission ou à distance, après constatation). Au niveau IB (5-6 et parfois 7 ans) la boule passive B ne se mettra pas en mouvement. A la constatation la transmission A → B est reconnue et attribuée au rôle des fils, malgré une certaine difficulté à atteindre l’ordre séquentiel de leurs actions ; mais il n’en est pas de même de la transmission B → A, la réactivation de A étant expliquée par le fait que cette boule « reprend son élan », etc., comme si chaque boule pouvait redevenir active indépendamment de l’autre.
[*Note FJP : Piaget résume dans la note 1 de la p. 164 du présent chapitre la modification principale apportée à l’expérience de L. de la Rive : la boule A est écartée non plus selon la direction de AB ou BA mais « d’avant en arrière », ce qui provoque non plus seulement l’extension ou le pli de E, mais un aussi son « pivotement ».]
A un niveau IIA il y a prévision et explication de la transmission A → B, mais l’inverse n’est pas prévue ; une fois constatée la remise en marche de A, elle est expliquée par la transmission réciproque B → A. Au niveau IIB, celle-ci est anticipée après 2-3 constatations de phase I, ou après la première, mais alors sans prévision d’une continuation du processus.
Au niveau IIIA ces prévisions et leur explication sont données dès après la première constatation ; et au niveau IIIB avant toute constatation, ce qui semble impliquer la formation d’une notion élémentaire d’énergie.
| Au niveau IIIA ces prévisions et leur explication sont données dès après la première constatation ; et au niveau IIIB avant toute constatation, ce qui semble impliquer la formation d’une notion élémentaire d’énergie. | ||||||
Â
5-6 ans
7-8 ans
9-10 ans
11-12 ans
13-14 ans
15-16 ans
I
66
23
6
0
0
0
IIA
33
61
47
25
28
0
IIB
0
16
23
19
15
0
IIIA
0
0
23
52
42
40
IIIB
0
0
0
4
15
60
§ 2. Le stade I🔗
Voici d’abord un exemple du niveau IA :
Ryl (5 ;9) : « Que vois-tu là  ? — Deux boules. — Et encore ? — Un fil. — Si je mets (A) là -haut et que je la lâche ? — Elle va venir là (= revenir au repos à côté de B). — Et celle-là (B) fera quelque chose ? — Elle ne fera pas quelque chose. — Et le fil ? — Il ne va pas faire quelque chose. — (Constatation.) — La bleue (A) s’est balancée. — Et la rouge ? — Elle s’est balancée. — La même chose que (A) ? — Non. — Comment ? — … — (2e constatation.) La bleue a fait quoi ? — Elle a fait plus vite. Maintenant c’est la rouge. — (3e constatation.) — C’est la bleue qui va plus fort, maintenant c’est la rouge. — Le fil fait quelque chose ? — Oui. — Il se balance ? — Oui. — (4e constatation.) Pourquoi la rouge se balance plus fort que la bleue ? — J’sais pas. — (5e constatation.) La bleue fait quoi ? — Elle va plus vite. — Si j’enlève le fil qu’est-ce qui va se passer ? — Sais pas. — Et si j’attache cette autre boule (indépendante) ? — Elle va se balancer. — La bleue va faire quelque chose ? — Non. — Pourquoi ? — Oui, elle va se balancer. — Pourquoi ? — Sais pas. »
Et des cas du niveau IBÂ :
[p. 146]Pal (5 ;10) : « Qu’est-ce que tu vois ? — Deux balles et deux couleurs. — Et encore ? — Des fils. — Que faire pour balancer une boule ? — On fait ça (simule un coup sur A). — Et comme ça (on la lève) ? — Elle se balance(ra).
[p. 147]Comment ? — (Juste.) — C’est tout ? — Oui elle va s’arrêter, parce qu’elle n’a plus de force et ne court plus. — Et (B) fera quelque chose ? — Non. — (Constatation.) — Ils se balancent tous les deux. — (A) ? — La bleue a balancé tout fort. — Et (B) ? — La rouge a balancé peu fort. — Pourquoi ? — Parce qu’il y a deux ficelles là (F1 et F2) et une ficelle là (E). — Il fait quoi ce fil (E) ? — Il tient les deux ficelles et balance un peu. — (2e et 3e constatations : descriptions, puis) La bleue a fait quoi ? — Elle s’est fermée (arrêtée). Ils se balancent les deux, après la bleue il arrête et la rouge bouge. — Pourquoi ça ? — C’est la ficelle et ça bouge. — Pourquoi la rouge plus fort ? — C’est qu’ils se balancent les deux, et après la rouge. — (4e constatation : description exacte.) Comment ça se fait ? — Je ne sais pas. Je crois que ce sont les ficelles. — Elles font quoi ? — Elles poussent. — (On attache une boule indépendante.) — Elle se balancera. — Et (A) ? — Non, il n’y a pas la ficelle ici. — Et (E) ? — Il fait bouger les deux parce qu’il est attaché. »
Car (6 ;0) : « Cette boule (A) pèse combien ? — 2 kg. — Et si elle se balance ? — Elle pèse plus, elle est un peu plus lourde. — Si je lâche (A) ? — Elle se balance. — Et (B) ? — Non. — Elle ne fera rien ? — Non. — Et ça (E) ? — C’est pour les attacher. — Si je lâche (A) ? — Elle se balance. — Et (B) ? — Elle reste comme elle est. — (Constatation.) — Elle se balance aussi. — Comment ça se fait ? — Parce que celle-là (A), tu ne l’avais pas lâchée comme il faut… (A) balance aussi (B). — Comment ? — Parce qu’il y a un fil au milieu. — Il fait quoi ? — Il se balance et fait aussi balancer (B). — (2e constatation) A ? — Elle se balance. — (B) ? — Aussi. — (B) ? — Elle se balance plus vite. — (A) ? — Elle s’arrête. — (B) ? — Elle se balance. — Que s’est-il passé ? — (A) s’est balancée, puis (B) et (A) s’est arrêtée. — Et (B) ? — Elle se balançait encore. — Comment ça se fait ? — … — Pourquoi (A) allait plus vite ? — Parce qu’elle a commencé la première. — Et (B) ? — Elle a balancé après (A). — Pourquoi après ? — Parce que c’est lui (A) qui a commencé. — Et si je ne les avais pas arrêtées ? — (B) se balancerait encore et (A) était déjà arrêtée. — Et si je ne l’avais pas touchée ? — Après elle s’arrêtait plus vite (= très vite). — (Phase II. Constatation de deux balancements successifs de A.) (A) balance, (puis) s’arrête, (puis) elle se balance encore. — Comment (A) a balancé ? — La première, mais elle s’arrête quand même la dernière. — Pourquoi ? — (B) s’arrête la première. » — Deuxième constatation : même description. On prend une seule boule : « Elle va balancer pas plus qu’une année. — Pourquoi ? — Des fois elle s’arrête. »
On revoit Car trois mois plus tard et il se rappelle bien les balancements successifs mais non pas l’action de A sur B. Après un nouvel examen du dispositif il répond, sur question, que l’élastique E « il attache les fils là . Ça se balance un moment. — Quoi ? — La boule se balance un moment puis après elle s’arrête. — Et les fils ? — Ils se balancent aussi. — Tous les fils ? — Un fil, celui-là (F1) et celui-là aussi (E). — Et l’autre boule, elle va se balancer. — Non. — (1re constatation.) — D’abord c’est très fort (A) puis ça a bougé ça (E) et ça a bougé le fil de l’autre (F2 de B), puis ça s’arrête. — Pourquoi la première s’arrête ? — Parce qu’elle avait assez balancé ». Dernière constatation : « La (A) se balance par là , la (B) par là . — Et le fil (E) ? — Ça balance. Si une boule se balance, le fil (F1 ou F2) se balance, ça fait bouger la
[p. 148]corde au milieu (E). » Poids : la boule dans la main pèse 1 kg. « Au bout du fil ? — Un peu plus, 2 kg pour dire. » Lui-même dit peser 6 kg, mais en trottinette à la descente « plus lourd parce que les roues vont très vite ».
Pos (6 ;3). Première constatation lors d’une deuxième interrogation : « Le fil (E) se balance. — Et comment ça se fait que (B) bouge ? — Le fil attaché (F1 à A) a fait balancer la rouge (B). La (A) a commencé à balancer, elle s’est arrêtée et le fil s’est balancé aussi. »
The (6 ;1) « (B) ? — Elle se balancera pas. — Comment elle tient la bleue (A) ? — C’est le fil (F1), celui-là  ; elle tient aussi par celui-ci (E), la rouge (B) aussi tient avec. — Et quand la bleue se balance la rouge fera quelque chose ? — Elle ne bouge pas si on ne l’a pas balancée (à la main). — (Constatations.) — La rouge bouge. — Pourquoi ? — C’est tenu là (E), et puis ça fait balancer les deux. — Raconte. — La rouge (B) s’est balancée. — Tout de suite ? — Oui, la bleue (A) s’est balancée ensemble. — (Nouvelle constatation.) — Au commencement la rouge allait tout doucement puis ça a été la même chose (pour les deux). — Et après ? — La même chose. — Et encore ? — Après elles se sont arrêtées les deux. — Toutes les deux ? — Non, (A) elle bougeait encore un peu comme ça. — Et (B) ? — Encore un peu. » Jusqu’ici il semble donc y avoir actions conjointes, et non pas encore (ou faiblement) alternées, mais, à la troisième constatation : « La rouge (B) a commencé quand la bleue se balançait comme ça tout doucement. — Et si je n’avais pas arrêté ? — La bleue aurait continué encore plus doucement puis après se serait arrêtée. » Phase II : « (Constatations.) A cause de quoi la rouge s’est mise à balancer ? — La bleue l’a poussée puis elle allait tout doucement et la rouge a continué. — Comment ça se fait ? — Parce que la bleue (A) ça fait comme ça (ralentir) et ça a fait plus fort la rouge. — Pourquoi ? — Parce qu’il y a un fil là et ça bouscule la rouge. » Nouvelles constatations : Thé se borne à décrire les ralentissements et reprises : « La bleue s’est balancée (la seconde fois) la même chose que la rouge. » A la huitième constatation, Thé se borne à dire de A : « Elle se rebalance. Elle s’arrête puis elle continue. — Et la rouge ? — Elle continue. Elles continuent comme ça jusqu’à ce qu’elles s’arrêtent. »
Cec (7 ;5) : « Non (B) il va pas se balancer » et A va s’arrêter après « un petit moment ». A la constatation il ne voit même pas d’emblée le rôle de l’élastique E : « Ça sert à rien. » Et il croit qu’une troisième boule C, mais libre, fera aussi se balancer B. L’action reste donc à sens unique : « Celui-là (A) il bouge, puis celui-là s’est mis à bouger, puis (A) a ralenti. »
Sal (8 ;0) quoique en retard prévoit que (B) « se balance aussi. — Pourquoi ? — A cause de (A). — (Constatation.) — La bleue (A) se balance, puis la rouge se balance aussi, puis la bleue elle s’arrête. — Pourquoi ? — Elle n’avait plus d’élan. — Et la rouge ? — Encore un peu ». Deuxième constatation : « Pourquoi elle recommence à balancer la rouge ? — … — (3e constatation, phase I : description juste.) — Comment ça se fait ? — … — Mais la rouge (B), elle balance puis elle s’arrête, la bleue balance, elle s’arrête ? — Parce qu’il y a un fil qui est accroché entre les deux. » Sal semble donc avoir
compris, mais la réponse suivante montre que ce n’est pas encore le cas : « Si je n’avais pas arrêté ? — Ça se balancerait, la rouge (B) se serait arrêtée puis la bleue (A) aurait continué un petit peu puis se serait arrêtée. » La quatrième constatation n’ajoute rien.
Pour les sujets du niveau IA il n’y a aucune compréhension du rôle du fil. Pour ceux du niveau IB il n’y a toujours pas de prévision de l’action de A sur B (sauf Sal qui sur ce point annonce le niveau IIA), mais acceptation de cette action lors de la première constatation, et compréhension progressive du rôle du fil. Par contre, même après la constatation complète (phase II) l’enfant n’accepte aucune action réciproque de B sur A, comme si A et B demeuraient actives indépendamment l’une de l’autre. Les alternances de phases sont alors interprétées comme si elles étaient dues à de simples reprises de l’élan, qu’il s’agisse de l’élan acquis (B) comme de l’élan initial (A), tous deux conçus comme susceptibles de ralentissements et de réactivations momentanées (cf. Thé : « elle se rebalance »).
Pour ce qui est du rôle des fils dans la transmission, celle-ci n’est donc pas prévue mais admise après constatation, encore que Car l’ait totalement oubliée après trois mois et ne la prévoie plus malgré une nouvelle inspection du dispositif : il annonce alors que F1 et E vont bouger, mais ni F2 ni la boule B. Une fois les faits constatés, la transmission est reconnue et les fils jugés nécessaires (cf. la fin de Bal), mais l’ordre séquentiel de leurs actions n’est pas découvert pour autant. Pal dit que l’élastique E « tient les deux ficelles et balance un peu », et qu’il « les fait bouger les deux ». Il soutient en outre que la ficelle « pousse » (cf. Thé : A « pousse » B par la ficelle), ce qui rappelle les difficultés de distinguer les actions de pousser et de tirer pour la ficelle du chapitre VI du volume XXVII. Le sujet, après examen, reconnaît que le fil E fait bouger B et à la seconde interrogation décrit l’ordre exact mais après les prévisions fausses qu’on vient de rappeler. Thé à la troisième constatation seulement (phase II) admet que l’élastique E « bouscule la rouge ». Cec commence par affirmer qu’« il ne sert à rien » malgré une première constatation et croit même, à la fin, à une action possible sans fil. Sal parle d’un fil « accroché entre les deux » mais oublie ensuite son action. Pos ne trouve l’ordre
[p. 149]exact qu’à une seconde interrogation. En un mot il est clair qu’à ce niveau la transmission n’est établie qu’avec peine et demeure purement externe.
§ 3. Le niveau IIA🔗
Au niveau de 7-8 ans où, pour la transmission des translations, débutent les formes médiates et semi-internes de passage de l’impulsion, nous constatons dans la présente situation deux nouveautés : d’une part (avec parfois quelques retards mais exceptionnels) la prévision d’une transmission de A à B par l’intermédiaire de l’élastique E, et, d’autre part (ceci étant le critère de l’apparition du stade), la découverte d’une action réciproque, la boule B pouvant faire « rebalancer » A, comme le dit Pat à 6 ;6 déjà . Seulement au niveau IIA il ne s’agit que d’une compréhension après constatation et non pas encore d’une prévision.
[p. 150]Pat (6 ;6) pense d’abord qu’une boule suspendue ou tenue à la main, immobile ou se balançant, pèse « la même chose » mais sur questions répétées et par là suggestives admet qu’elle est un peu plus lourde en bougeant. La boule B : « Elle va se balancer. — Pourquoi ? — Il y a un fil ici. — Alors B se balancera ? — Aussi, parce que (A) se balance. » Mais Pat prévoit leur arrêt. A la phase II, constatation : « (A) a balancé en premier, ensuite (B), puis (A) s’est arrêtée et (B) se balançait toujours ; et (A) s’est remis à balancer. — Pourquoi ? — Parce que (B) se balançait encore : elle a fait rebalancer (A) et alors (B) s’est arrêtée. — Et si je n’avais pas mis les mains ? — (A) aurait fait rebalancer (B). Si (A) se serait arrêtée, (B) aurait fait rebalancer (A). Ça devrait continuer encore un moment. — Pas toute la nuit ? — Non, parce que si ça dure toute la nuit ça ne s’arrêtera jamais. » Boules non reliées : Pat s’attend à la transmission, puis reconnaît le rôle de l’absence de fil et croit que ce mouvement pendulaire « ça ne va jamais s’arrêter ».
Fol (7 ;0) : La boule est moins lourde en haut, davantage au bout du fil, et « encore plus » en mouvement. Si on la lâche « ça va faire bouger l’autre. — Pourquoi ? — Parce que la ficelle est touchée ». Constatation : « (B) allait plus vite que (A) puis elle se balançait plus lentement », mais au commencement c’était (A) la plus rapide. Nouvelle constatation : « Si on n’avait pas arrêté laquelle aurait balancé ? — Les deux. La (A) a fait balancer (B) puis (B) s’est arrêtée. — Et (A) ? — Elle était déjà arrêtée. » Mais à la troisième constatation (phase II) : « (A) s’est arrêtée puis elle a recommencé. — Comment ça se fait ? — Parce qu’il y a la boule (B après A) qui balançait puis ça faisait balancer l’autre. » Boules non reliées : « Plus longtemps quand il n’y a pas du fil : ça peut mieux balancer. »
[p. 151]Mus (7 ;6) prévoit que B « se balancera un petit peu ». Première constatation : « La (B) s’est balancée aussi puis (A) s’est arrêtée et (B) a continué. — Pourquoi ? — Parce que (A) donne de l’élan à (B), parce qu’il y a un fil et l’autre se balance aussi. » Prévision : arrêts successifs. Phase II, constatations : bonne description. « Parce qu’il y a le fil qui les tient (E). Il donne de l’élan à (B), après elle continue et donne de l’élan à (A). — Ça va durer ? — Pas longtemps. »
Mat (7 ;3) attribue deux rôles au fil E : il transmet le mouvement de A à B, mais aussi il freine : A « s’arrête, c’est la ficelle qui le fait arrêter. — Comment ? — La ficelle s’arrête de balancer, puis elle fait arrêter aussi les boules parce que c’est les boules qui tiennent à la ficelle. — Le fil (E) fait quelque chose ? — Il tient les cordes, il fait arrêter les deux cordes pour faire arrêter les boules ». Phase II : « La (A) a fait balancer (B), la (A) s’est arrêtée puis elle a continué (= recommencé) à se balancer avec l’autre. » On donne à l’enfant un bout de ficelle pour indiquer les mouvements de E : « Elle se met comme ça et comme ça (\ et /). »
Nad (7 ;6) : « (B) elle va se balancer. — Pourquoi ? — Parce qu’elles sont attachées ensemble et si on fait balancer une boule ça fait balancer l’autre. » Mais ce n’est pas une prévision du niveau IIB, car, à la première constatation, Nad croit encore qu’« elles se balancent en même temps » et « elles vont s’arrêter les deux en même temps » après « deux minutes ». A la constatation de la phase II : « Il recommence à se balancer, celui-ci (A). — C’était ce que tu croyais ? — Non. — Qu’est-ce qui s’est passé alors ? — Celui-ci (B) il a entraîné celui-là . — Et si on n’avait pas arrêté ? — Celui-là (A) il aurait encore entraîné celui-ci (B). »
Zam (8 ;4) affirme puis doute que B se balance, mais dès la constatation : « Vous tirez la boule en arrière, ça tire le fil et en même temps fait balancer (B). » Constatation : B s’arrête « plus tard alors elle avait encore de l’élan. — D’où vient-il ? — De (A) ». Elle prévoit l’arrêt rapide des deux. Phase II après la constatation : « Comment ça aurait continué ? — Si (A) est arrêté, (B) se balance et tire (A) et si (B) est arrêté, (A) se balance et tire (B) »… « jusqu’à ce que les deux n’ont plus d’élan ensemble », « pas longtemps ». Boules non reliées : « S’il n’y a pas de fil, plus longtemps. »
Ric (8 ;2). Phase II : « La verte (A) elle balance, elle ralentit, la rouge (B) reprend de l’élan et puis c’est chacun à retour qui prend l’élan. — Le fil qu’est-ce qu’il fait ? — Il donne l’élan à la boule. — Tu peux expliquer ? — La verte (A) part, elle ralentit à cause du fil du milieu puis la rouge (B) repart à cause du fil du milieu. — (On lui donne un fil.) Que fait le fil ? — Il fait ralentir la verte et fait avancer la rouge. — On va voir. — Le fil bouge une fois d’un côté (/) et une fois de l’autre (\) à cause des boules qui bougent. — Ça fait quelque chose avec l’élan ? — Quand le fil bouge ça donne de l’élan aux boules. — Quand ça bouge d’un côté, ça fait quelque chose ? — Ça donne plus d’élan. — Explique. — Quand c’est comme ça (/ du côté de B) ça donne de l’élan à (A) et quand c’est comme ça (\ du côté de A) ça donne de l’élan à (B). »
[p. 152]Elo (8 ;4) : « Les deux bougeront. — Pourquoi ? — Parce que (A) ira haut et elles sont attachées. — Elles vont bouger ensemble ? — Non, (A) va plus haut et elle entraîne l’autre. — En même temps ? — Toutes les deux en même temps parce que (A) entraîne (B), les deux la même vitesse et elles s’arrêteront en même temps. — (Constatation). — (A) s’arrête en premier parce qu’elle a pris de l’élan et elle a entraîné (B), celle-là a pris de l’élan après (A). — (Nouvelle constatation.) — Et après ? — (B) prend encore de l’élan, (A) prend l’élan de (B) et après cela change, c’est (B) qui prend l’élan et après (A). — Combien de fois ? — Presque une journée, cent fois. » Par contre pour les boules non reliées, « elles vont s’arrêter les deux ensemble » mais rapidement parce que « l’élan va en l’air » et non pas dans l’autre boule. Quant au poids « quand ça se balance il change et quand ça s’arrête il change encore. — Plus lourd ou moins lourd quand ça balance ? — Plus lourd. — Et quand ça s’arrête ? — L’élan va dans l’air, elles deviennent légères ».
Wob (8 ;5) prévoit des trajets irréguliers de A. « (B) bouge aussi, parce que c’est accroché (E), mais elle ne se balance pas autant que la bleue (A). — (Constatation.) — (A) se balance puis elle commence à bouger l’autre. — (2e constatation avec arrêt de la rouge.) Le fil est croché entre les deux, la bleue (A) est balancée puis la rouge (B) elle balance pas très, puis elle a balancé puis ça a rebougé l’autre boule (A). » Mais elles s’arrêteront ensuite « parce qu’elle (A) n’a plus, elle a pas un fort courant, quoi ! ».
Par (9 ;2). Mêmes réactions initiales : A plus vite, etc. Deuxième constatation : « Quand (A) était arrêtée, il y a encore la rouge (B) qui l’a poussée de nouveau. » Prévision pour dix fois.
Vit (9 ;2) ne croit pas que B sera balancée, mais à la troisième constatation, une boule « tire l’autre puis ça les fait bouger. — Pourquoi (A) repart ? — Parce que celle-ci (B) elle tire le fil puis ça balance l’autre ». Quant à ce fil E, « vous avez balancé la rouge, puis après la verte s’est mise à aller vite, puis la rouge s’est arrêtée puis elle a recommencé. — Mais pourquoi vite puis moins vite ? — Parce qu’il y a le fil du milieu… Il bouge d’un côté à l’autre (dessin : / — \) ».
Cor (10 ;0) en reste longtemps à l’idée d’un rôle actif privilégié de A « qui a donné l’élan… La rouge (B) a pris tout l’élan de la bleue (A). La bleue s’est arrêtée ». A la deuxième constatation encore, si la bleue repart c’est qu’« elle a (re)pris son élan. — La rouge lui donne son élan ? — Non ». C’est donc jusque-là une réaction de niveau IB. Mais : « Comment elle a fait pour prendre l’élan ? — Parce que les deux fils sont attachés ensemble, alors ça fait balancer l’autre fil. La rouge (B) se balance, puis la bleue (A) elle s’arrête et après c’est le contraire. » Enfin, en comparant cette situation avec les boules non reliées, celles-ci « se balancent moins longtemps parce qu’il y a moins d’élan, parce que (reliées) elles sont deux, soit la rouge soit la bleue, qui a l’élan. Quand il n’y a pas de ficelle (E) chacune a son élan ».
Sax (10 ;2) prévoit encore l’arrêt après la première constatation. A la seconde : « La rouge (B) a réentraîné la bleue (A). »
Jos (10 ;5). Mêmes réactions. A la deuxième constatation « quand (B) a balancé ça a tiré sur le fil. — Et puis ? — (A) s’est aussi (= à nouveau) balancée ».
Bro (10 ;10). Mêmes réactions : « Comment ça se fait que A s’arrête ? — Ça tire sur le fil. — Et qu’elle reparte ? — (B) balance et fait bouger le fil. »
Rag (11 ;3). Première constatation : « Quand vous avez bougé la bleue il y a eu une vibration dans les fils, qui a entraîné la rouge… alors la rouge elle a pris toute la vibration dans le fil ; la bleue, comme elle n’avait plus rien à faire, elle s’est arrêtée. — Et si je n’avais pas arrêté ? — Ben la rouge se serait arrêtée pareillement. » Phase II (3e constatation) : Rag rit quand la bleue repart : « Ben, par l’élan de la bleue la rouge a commencé, la vibration part puis ça fait commencer la rouge, puis la vibration de la rouge elle a entraîné la bleue, et ainsi de suite jusqu’à quand il n’y a plus d’élan. »
Gum (12 ;11) prévoit le départ de B : « C’est normal parce qu’il y a un fil qui raccorde (A) à (B). » Première et deuxième constatations : « (B) balance : elle va en sens inverse. (A) s’arrête et (B) continue encore un moment. — Et si je n’avais pas arrêté ? — Celle-ci (B) aurait continué un petit moment et (A) serait restée arrêtée. — (Constatation de phase II.) — On dirait que je suis arriéré, hein ! C’est peut-être l’élan : l’élan de la rouge (B) fait arrêter la bleue (A), puis plus tard l’élan de la rouge fait partir la bleue », etc.
Aucun de ces sujets ne prévoit donc encore la transmission réciproque de la boule initialement passive B à la boule A et la question est de comprendre pourquoi. La première raison à invoquer est naturellement que les transmissions ordinaires de mouvements, par chocs et poussées ou par entraînements, sont à sens unique et notamment les premières transmissions mécaniques semi-internes qui apparaissent à ce niveau. Il en résulte que quand ces sujets attribuent à la boule A un rôle actif initial, ils ont tendance à le croire durable et c’est encore ce que pense d’abord Cor malgré ses 10 ans. Mais il s’y ajoute peut-être une seconde raison. Nous supposerons, à propos du niveau IIB, que les premières prévisions de l’action réciproque de B sur A sont dues à un besoin de symétrie favorisé par les deux symétries ou réversibilités déjà acquises : celle du mouvement pendulaire lui-même (de A ou de B) et celle des croisements entre les mouvements de A et ceux de B (lorsque le fil E est au milieu de sa torsion entre 

Quant à la manière dont s’explique pour le sujet la transmission réciproque de B à A, une fois observées ces alternances (ralentissement de B, nouveau départ de A), il n’y a pas là de problème : sitôt constaté le second départ de A, ces sujets, au lieu d’y voir comme au stade I une reprise de l’élan de A par lui-même (ce que fait encore Cor un court instant), assimilent d’emblée ce qu’ils voient à la transmission antérieure de A à B, ce qui est normal à un niveau de transmissions semi-internes. Autrement dit le fil E ayant servi de médiateur dans un sens, rien n’empêche qu’il fasse de même dans l’autre, puisque les faits semblent l’indiquer.
Mais il reste une troisième question : pourquoi la boule A (et ensuite B) s’arrête-t-elle avant de repartir ? Au stade I elle perd simplement son élan, définitivement si elle ne repart pas, ou momentanément si elle le « reprend » ensuite. Mais à ce niveau IIA, puisqu’elle repart sous l’influence de B il reste à comprendre l’arrêt intermédiaire. Il est alors attribué à un freinage dû soit au fil (cf. la réaction presque générale aux boules non reliées qui se balanceront « plus longtemps »), soit à la boule antagoniste qui « tire » le fil de l’autre boule. Mais ceci pose à nouveau la question des torsions du fil, l’élastique E servant de médiateur dans les deux sens, tant pour la transmission que pour le freinage (sauf dans les cas où celle-là l’emporte sur celui-ci, comme chez Mus) : par exemple Mat admet ces deux fonctions en insistant d’abord surtout sur le rôle de E dans l’arrêt, puis lors de la phase II dans l’entraînement alternatif, en indiquant bien les directions extrêmes de E mais sans explication sur leurs effets. Ric, au contraire, arrive à un modèle de l’action simultanée de E qui « ralentit (A) et fait avancer (B) », puis l’inverse, en indiquant les positions extrêmes de cet élastique mais sans bien comprendre le détail. Vit voit mieux la position intermédiaire entre les extrêmes et comprend la liaison de ces trois orientations de E avec la vitesse des boules.
§ 4. Le niveau IIB🔗
A ce niveau débute la prévision de l’action réciproque de la boule passive, agissant à son tour sur la boule précédemment active. Nous classerons à ce niveau les cas dans lesquels
[p. 154]cette prévision ne débute que lors d’une seconde ou n-ième constatation (mais naturellement avant qu’ait été observée la reprise de vitesse de la boule active initiale) ou lorsqu’elle débute dès la première constatation, mais sans que le sujet croie que le processus continuera plus d’une ou deux fois. Les cas de ce niveau sont de 9-14 ans, avec un exemple de 8 ;10 et même un cas avancé de 7 ;11 :
[p. 155]Mic (7 ;11) : « (B) balancera aussi. — Pourquoi ? — Parce que celui-ci lui donne de l’élan. — Pourquoi ? — Parce qu’elles sont attachées ensemble. Vous donnez de l’élan à (A) et parce qu’elles sont ensemble ça fait partir (B). » Mais « quand on en arrêtera une l’autre s’arrêtera. — Et si je ne les arrête pas ? — Elles s’arrêteront tranquillement. — Une avant l’autre ou pas ? — (A d’abord) parce qu’on l’a fait partir avant ». Les premières constatations n’y changent rien sauf la remarque que B « se balançait fort ». Par contre, après la quatrième, Mic prévoit une réciprocité, mais avec une fois seulement chacune : « Si je ne les avais pas arrêtées ? — (B) aurait donné de l’élan à (A) et se serait arrêtée. — Pourquoi ? — Parce qu’elle n’aurait plus d’élan. — Et si elle avait continué ? — (A) se serait arrêtée et (B) aurait continué. — Combien de fois c’est le plus juste ? — Une fois. — Une ou beaucoup ? — Une fois. » Constatation (de cette phase II) : il s’en tient à une ou deux fois. Boules non reliées : la seconde « restera immobile », mais avec un élan aux deux cela durera plus longtemps que reliées « parce qu’elles n’ont pas besoin de donner de l’élan à une autre boule. — Et reliées, pourquoi moins longtemps ? — Parce qu’elles se donnent toujours un élan l’une à l’autre ». Les poids restent les mêmes, puis augmentent avec le balancement.
Jep (8 ;10) : B va se balancer en même temps mais « (A) va durer plus longtemps parce qu’elle va plus vite. — (Constatation.) — (A) pousse avec un fil. Après elle avait moins d’élan. L’élan de (A) a poussé la (B). — Et si je n’avais pas arrêté ? — La (B) aurait continué, elle aurait poussé la (A). — Et puis ? — Ça se serait arrêté (sans cet arrêt jugé ici comme immédiat Jep serait du niveau IIIB). — (Nouvelle constatation.) Et si je n’avais pas arrêté ? — La (B) aurait repoussé la (A), la (A) aurait repoussé la (B). — Longtemps ? — Pas longtemps, huit-dix fois. — (3e constatation.) — Parce qu’il y a un moment où elles sont ensemble pour donner de l’élan. — Et sans fil ? — Moins longtemps. — Pourquoi plus (ici) ? — Parce qu’il y a toujours une qui pousse l’autre », avec trois boules encore plus qu’avec deux.
Zab (9 ;0) à la deuxième constatation : « Et si je n’avais pas arrêté ? — Elle continuerait la rouge (B) et puis la bleue (A). — Et puis ? — La rouge elle s’arrêterait. » A la constatation de phase II, qui suit aussitôt, Zab n’a pas l’air étonnée et se borne à dire : « Parce qu’il y a un fil », comme elle l’avait dit pour la transmission de A à B et comme s’il s’agissait d’un seul élan repris à tour de rôle : « Si j’enlève le fil ? — Elles vont les deux ensemble (parallèlement). — Et ça dure aussi longtemps le balancement ? — Moins longtemps quand il n’y a pas de fil. — Pourquoi ? — Parce qu’elles vont les
[p. 156]deux ensemble (parallèlement) et les autres non. — Combien il y a d’élans quand il y a le fil ? — Un. — Et quand pas de fil ? — Deux. — Et avec deux ça ne dure pas plus longtemps ? — Non ça dure quand même moins longtemps. »
Oel (9 ;8). Première constatation : A « donne son élan à (B) parce que le fil en sens inverse freine (A) », d’où à la seconde constatation : « (B) se balance et donne à nouveau de l’élan à (A) ».
Ata (9 ;8) : La boule a toujours le même poids (propriété) mais « elle fait moins » quand elle a de l’élan et plus quand elle est suspendue. Il prévoit la transmission sur B mais sans croisement ni déphasage. A la première constatation : « (B) aurait continué et elle aurait fait bouger un peu (A) puis se serait arrêtée. » Quant à l’arrêt de (A) « c’est la rouge (B) qui l’a freinée » (avec le fil). De même, en comparant avec les boules non reliées, il dit que les oscillations de celles-ci durent moins longtemps quoique avec la liaison E « ça freine les boules », ce qui est compensé par le fait que « le fil coupe l’air et il y a plus d’élan ».
Thu (9 ;6) prévoit : « Les deux boules reviendront comme un balancier, puis bougent de moins en moins et s’arrêteront les deux en même temps. » Mais il ne s’agit là que de croisements et pas encore des phases alternatives. Celles-ci sont prévues après la première constatation, mais seulement pour deux-trois fois : « Toujours contrairement, la rouge (B) de plus en plus petit et la verte (A) de plus en plus grand, puis de nouveau le contraire. — Longtemps ? — Non, quand il n’y a plus d’élan, ça serait arrêté. Ça dure deux fois. — Si on donne plus d’élan ? — Peut-être trois fois. — Comment ça se passe ? — La verte (A) fait de grands cercles (oscillations) dès qu’elle entraîne la rouge (B) puis elle s’arrête parce qu’elle a besoin d’élan : elle aura fait assez longtemps. Puis la rouge donnera de l’élan à la verte qui commencera à faire de grands cercles. » Par contre pour le poids « elles pèsent toujours la même chose. On a l’impression que quand elles vont lentement elles pèsent plus et que quand elles vont vite elles pèsent moins, parce que (lentement) il y a plus d’équilibre mais c’est en réalité la même chose. — Si tu vas à grande vitesse ? — On a l’impression d’être très léger ».
Cre (11 ;5) après la première constatation dit d’abord que si l’on n’avait pas stoppé « elles se seraient arrêtées », mais ensuite il se ravise : « C’est comme les portes (à deux battants). Quand il y en a une (des boules) qui vient, ça fait de l’air et cet air permet à l’autre de se balancer un peu plus. — Ici c’est l’air ? — C’est plutôt la ficelle. » A la constatation suivante il est certain de la réciprocité.
Bur (12 ;0) à la seconde constatation (arrêt à l’immobilité de A) : « Je remarque que la bleue (A) s’arrête, que l’élan diminue et que celui de la rouge devient plus fort. — Et si je n’avais pas arrêté les boules ? — Ben, peut-être que la boule rouge (B) aurait entraîné de nouveau la boule bleue. — Tu dis « de nouveau » ? — Elle (A) se rebalance parce que la rouge va l’entraîner. »
Mar (12 ;3) serait du niveau IIIA si elle croyait à la continuation du processus. Première constatation : « Ben, la force s’est transmise d’une boule
à l’autre par la ficelle. — Et si je n’avais pas arrêté ? — La rouge (B) elle aurait (retransmis la force à la bleue (A) puis après elles se seraient toutes deux arrêtées parce qu’il manquerait de l’élan. »
Jun (13 ;7) prévoit l’arrêt, après la première constatation. Mais la seconde : « (A) a donné en premier un mouvement à (B) qui se balancera plus fort et puis (A) s’est arrêtée : (B) s’arrêtera et (A) reprendra. Je n’ai pas réalisé que (B) redonne de l’élan puisqu’il y a une ficelle tendue. — Parce que (B) est plus forte que (A) ? — C’est plus fort à (B) quand (A) est arrêtée et plus fort à (A) quand (B) est arrêtée. »
Ros (14 ;9) après la première constatation : « Ou la boule (B) se sera arrêtée ou bien elle (B) aurait réentraîné (A). — Que crois-tu ? — Qu’elle se serait arrêtée. Au fond, ça pourrait à nouveau recommencer, mais en plus petit. — Mais finalement qu’est-ce que tu penses ? — Qu’elle se serait arrêtée. »
Ce niveau IIB n’est représenté que par peu de sujets et ne constitue sans doute pas un passage nécessaire entre IIA et IIIA, mais il est intéressant de le distinguer, car ces cas font comprendre les raisons des débuts de la prévision d’une réciprocité entre les entraînements de A par B comme de B par A. Le sujet Mic commence par des réactions typiques du niveau IIA : action à sens unique de A à B par le fil, sans prévision de la réciprocité ; mais à la répétition des constatations il en vient à supposer cet effet de sens inverse comme si le fait que B « se balançait fort » quand A s’est arrêtée devait entraîner tôt ou tard une action de cette boule jusque-là passive. Chez Jap le processus semble le même mais dès la première constatation (prévision d’un arrêt sitôt après). Chez Thu, par contre, il semble que ce soit le croisement des oscillations de A et de B sur lequel il insiste d’emblée (elles « font comme un balancier » en montrant leurs sens inverses, (qui le conduit à penser que, se balançant « toujours contrairement », les boules présenteront aussi des phases alternées (« de nouveau le contraire », mais le terme étant alors appliqué aux phases). Autrement dit, il y aurait là généralisation de la réversibilité du balancement (unique) au croisement et de là à l’alternance des vitesses. Ata, au contraire, commence par croire à des mouvements non croisés de A et de B : c’est alors peut-être le croisement perçu à la première constatation plus le contraste croissant des vitesses des deux boules qui le conduit à un début de réciprocité (les mouvements ayant été initialement prévus identiques). Le sujet Cre fait appel à des actions de l’air, mais par tendance
[p. 157]à la réciprocité, et chez Bur il s’agit d’une sorte de besoin de compensation lorsqu’il « remarque que la bleue s’arrête et que l’élan de la rouge devient plus fort ». Chez Mar et Jun c’est la « ficelle tendue » qui suggère l’idée d’une action dans les deux sens possibles et chez Oel l’inversion de sens des oscillations de l’élastique E. Enfin Ros d’emblée voit le problème : arrêt ou inversion.
En un mot la source de ces débuts de prévision semble être en ces divers cas une généralisation de la symétrie imposée d’abord par le mouvement pendulaire lui-même, puis par le croisement (prévu ou constaté) des oscillations de A et de B : une fois reconnu que la vitesse de B croît quand celle de A décroît, ou bien alors cette asymétrie est acceptée comme due à une transmission à sens unique (et c’est là la réaction générale dans les prévisions antérieures à ce niveau), ou bien, du fait que la transmission porte sur des mouvements pendulaires doublement symétriques (oscillations et croisements), cette alternance des vitesses conduit à une troisième symétrie, qui est celle de l’alternance des phases et de l’échange des rôles actif et passif de A et de B. Cette compréhension nouvellement apparue passe donc par l’intermédiaire de l’alternance des vitesses et on en voit la raison en examinant comment les sujets de ce niveau se représentent le rôle du fil transversal E. Nous avons examiné un certain nombre de sujets supplémentaires, qui sont significatifs à cet égard. Vel à 11 ;9 remarque par exemple, après avoir dessiné les inclinaisons multiples du fil E (il en distingue 8), que quand une boule se balance mais « seulement une, alors la moitié du fil se balance ». Tra à 11 ;11 note qu’« au bout d’un moment, ça va s’arrêter parce que le fil sera complètement horizontal (= non oblique), ou bien il n’y aura plus de force. — C’est parce que le fil devient horizontal que ça s’arrête ou parce qu’il n’y aura plus de force ? — Parce qu’il sera horizontal… quand on lâche une boule, elle s’arrête puis c’est au tour de l’autre jusqu’à ce que le fil est horizontal ». Il le montre au moyen du bout de fil qu’on lui donne : celui-ci reste fixe sur un point, oscille plusieurs fois de l’autre, puis c’est le contraire mais en passant par la position qu’il appelle « horizontale » avec vitesse minimale. Zan de même à 12 ;3 commente son dessin : « Un côté (de E) prend le mouvement et l’autre reste immobile. » Autrement dit le fil élastique E, qui
[p. 158]au niveau IIA n’était chargé que de la transmission simple ou du freinage, devient un instrument du changement de vitesse, comme le montre en particulier le cas de Tra, et c’est ce qui facilite la compréhension de l’alternance des rôles : Oel est même explicite à cet égard lorsqu’il dit, comme on l’a vu, « A donne son élan à B parce que le fil en sens inverse freine » cette boule A, et qu’il en conclut à une action ultérieure en retour de B sur A.
§ 5. Le niveau IIIA (10-12 ans)🔗
La nouveauté propre à ce niveau est que l’entraînement réciproque de la boule initialement active A par la boule initialement passive B est prévu (et non plus seulement reconnu après les constatations de la phase II), ce qui conduit le sujet à considérer comme relatifs ces caractères actif et passif, tandis qu’au stade II le privilège de la boule active A se conserve plus ou moins longtemps et constitue une sorte de propriété relativement stable. Mais cette prévision de la réciprocité peut apparaître à des moments divers, le problème intéressant qu’elle soulève étant de saisir les raisons du passage de la compréhension après constatation à la compréhension anticipatrice. Nous choisirons comme critère de ce niveau IIIA une prévision surgissant après la première constatation, mais sans que le sujet s’attende à un arrêt immédiat après (comme c’était le cas de Jep et Thu au § 4) :
[p. 159]Dav (9 ;7) pense d’abord que B va ralentir A : « Elle la tire à rester sur place, ça fait plus de poids. — Comment la rouge fait quelque chose à la bleue ? — Parce qu’il y a une ficelle (E). La boule tire avec son poids. » Mais dès la première constatation, voyant que « la bleue (A) s’est élancée puis ça a lancé la rouge », il en conclut que « si on laissait tout continuer ? — La rouge (B) aurait entraîné la bleue (A), puis se serait arrêtée, puis la bleue aurait réentraîné la (B). — Ça va durer ? — Un petit moment, ça pourrait même pas durer une heure » (il est quand même généreux).
Hin (9 ;2) après la première constatation : « C’est l’élan de la bleue qui a tiré la ficelle du milieu (E) et qui tirait la ficelle de la boule rouge (B). — Puis après ? — Il fait arrêter la rouge, ou bien la rouge refait balancer le bleue ? — Et ça fera quoi ? — C’est-à -dire que la bleue s’arrête un tout petit moment, puis elle se remet un petit peu en mouvement parce que la rouge tire un peu sur le fil. — (Phase II.) — (Hin décrit les différentes phases, puis à la fin) :
[p. 160]La bleue tire la rouge mais moins fort. — Pourquoi ? — Parce qu’elle va là -bas (= son action va vers B) et celle-là elle revient là puis ça tire dans l’autre sens. — Et si je ne prends qu’une boule (isolée) pourquoi elle s’arrête ? — Parce qu’elle n’a plus assez d’élan. — Et quand elles sont deux ? — Quand la bleue n’a plus d’élan c’est la rouge qui lui en redonne et quand la rouge n’a plus d’élan c’est la bleue qui lui en redonne. » Avec le fil « cela dure plus longtemps que sans fil parce que quand (A) s’arrête, (B) lui redonne de l’élan ». Quant au rôle du fil E, Hin montre avec précision les phases (1) <, (2) <, (3) — etc., en indiquant que l’une commence à entraîner l’autre au point culminant (1).
Any (10 ;9) à la constatation n° 1 : « (A) va repartir parce que (B) va donner de l’élan à (A), elle va repartir. » Reliées, cela durera moins que non reliées : « Là l’élan se perd surtout dans la boule et un peu dans le fil. »
Sta (11 ;6) : « La bleue (A) tire le fil et ça fait bouger la rouge. — Elles se balanceront toujours ? — Non elles s’arrêteront dans un moment. » Première constatation : « Il y a la bleue qui a entraîné la rouge, puis la bleue s’est arrêtée, puis la rouge a (va) réentraîné la bleue. — Si je n’avais pas arrêté ? — Ça serait reparti : ils se donnent chacun un élan… euh ! ils se tirent chacun. »
Pub (11 ;7) : « (A) va partir avant et (B) suivra derrière. — Ça va durer ? — Moyen. » Constatation : « Peut-être que (A) aurait repris l’élan de (B), mais ça aurait seulement duré un moment. »
Gew (11 ;9) : « La force de (A) passe(ra) dans (B) mais pas entièrement, parce que le fil n’est pas raide, il peut plier. Si c’était du fil de fer ça marcherait. — (1re constatation.) Et si on n’avait pas arrêté les boules ? — (B) se serait arrêté en donnant de la force à (A) et ainsi de suite jusqu’à l’arrêt. Après (A) aurait continué en passant de temps en temps la force à (B). » Mais cela dure « moins longtemps si elles sont liées » qu’indépendantes. « Le fil retient. »
Mag (12 ;0). B bougera : « C’est automatique puisqu’il y a un fil qui les raccorde. » Constatation : « Pour moi si vous n’aviez pas arrêté, eh bien la bleue (A) serait repartie (il montre l’action de B sur E et sur F1). — Explique encore : Ben, vous lâchez la bleue puis elle remmène la rouge, puis elle s’arrête. Et puis la rouge elle remmène la bleue… Ah non, non, ça ne tient pas debout ce truc parce que ça ne finirait jamais. » Il ne refuse donc que la conservation de l’énergie, mais avec doute et veut essayer (constatation n° 2) : « La rouge lui redonne de l’élan puis quand la rouge est arrêtée la bleue lui donne de l’élan puis quand elles n’en ont plus elles s’arrêtent au bout d’un moment. » Boules non reliées : « Ça dure plus longtemps avec le fil parce qu’ils se redonnent de l’élan. » Poids invariant.
Dop (12 ;4). Première constatation : « Si je n’avais pas arrêté ? — (A) se balançait un petit peu puis (B) a pris l’élan de (A). Peut-être que (B) aurait (re)donné de l’élan à (A). Je pense que ça doit faire la même chose. » Admet cinq-six fois, pas sept. Boules non reliées : « Avec le fil ça dure moins longtemps, non plus longtemps parce que ça donne toujours de l’élan. — Avec le fil com-
bien d’élans y a-t-il ? — Il y a deux élans. — Et sans (E) ? — Il n’y a qu’un élan. » Poids invariant.
Ber (13 ;1). Première constatation : « La bleue avait beaucoup d’élan, elle a tiré la rouge puis elle s’est arrêtée et c’est la rouge qui a continué. — Comment ça se fait ? — Parce que la rouge elle a pris l’élan de la bleue. — Et si je n’avais pas arrêté ? — Ç’aurait fait comme au début : la rouge serait (= était) partie et c’est la bleue qui aurait pris son élan et ainsi de suite. »
Jug (14 ;10). Anticipation après première constatation : « Peut-être que si le balancement de (B) est assez puissant ça fera une réaction en chaîne et ça recommencera. »
Le propre du stade III en général (avec début vers 10-12 ans et toujours quelques cas intermédiaires ou avancés de 9 ans) est la découverte de la transmission purement interne, sans mouvement molaire des médiateurs (voir le vol. XXVII). Dans le cas particulier où l’intermédiaire E est, en fait, en mouvement de rotation, nous pourrons être certains de l’existence d’une transmission proprement interne une fois atteinte une notion d’énergie, ce qui sera le cas au niveau IIIB. Néanmoins, dès ce sous-stade IIIA nous sommes en présence d’une réaction nouvelle : le fait remarqué (à la 1re constatation) que la boule active A ralentit ses oscillations et que la boule passive est en mouvement croissant, tandis que le fil E change de centre de pivotement, conduit les sujets à supposer immédiatement une inversion possible, dans le sens B → A et non plus A → B. Or, si la transmission assure ainsi le passage, non plus de simples mouvements mais de la possibilité d’une inversion, ne devient-elle pas ipso facto interne ? C’est le problème qu’il s’agira de réexaminer, une fois analysés les résultats du niveau IIIB.
§ 6. Le niveau IIIB (13-15 ans)🔗
Ce dernier des niveaux observés est celui où l’énergie est en fait distinguée suffisamment (même sans vocable particulier) des « deux élans » partiels (dont parle Dof à la fin du § 5) transmis de A à B puis de B à A pour assurer la conservation relative du processus. A cet égard on voit souvent s’ébaucher cette notion dès le niveau IIIA, lorsque par exemple certains sujets justifient leur croyance selon laquelle les mouvements
[p. 161]pendulaires dureront plus avec fil E que sans fil (voir Hin dès 9 ;2). Mais le critère auquel nous nous tiendrons par prudence est la prévision complète du phénomène avant toute constatation (et non plus après la 1re comme au niveau IIIA) :
[p. 162]Rap (12 ;8). Avant toute constatation : « (A) va balancer et le mouvement aller sur la suivante ; elle (A) va s’arrêter et c’est (B) qui recommence, puis ça va revenir. — Pourquoi ? — A cause de ce fil (E). — Que fait ce fil ? — Il transmet le mouvement à (B). — Comment ? — Ça je ne sais pas. En agitant ce fil et pour finir elle aura passé toute sa force à l’autre, et l’autre va repasser la force. — Pourquoi elle la repasse ? — Parce que (A) est immobile, alors ça attire la force. — Comment la boule immobile attire la force ? — Puisqu’elle est immobile elle est moins lourde et l’autre plus lourde. Ça passe plus facilement par le fil : plus elle est lourde plus ça a de la force. — Mais elles ont le même poids ? — Oui, mais si on en bouge une ça change le poids. — Et ça va continuer tout le temps ? — Non, c’est la friction de l’air qui arrêtera pour finir. — Et sans air ? — Ça continuerait sans arrêt. Ça aurait bien une fin, mais ça durerait très longtemps. — Ça s’arrête quand même ? — Oui, car ça freine (il montre les crochets) et la ficelle plie. » Boules non reliées : « Je crois que ça dure la même chose : deux boules attachées ensemble c’est comme une boule qui n’est pas attachée. »
Gis (13 ;4) : « L’autre sera entraînée à cause du fil, c’est forcé… (B) va encore continuer quand (A) s’est arrêtée : (B) a subi l’élan et si (A) a entraîné (B) elle s’arrêtera plus tôt : l’une après l’autre. — Et après ? — Alors (B) entraîne de nouveau {A) et (A) va recommencer et ainsi de suite. » Boules non reliées : « Plus longtemps qu’une seule parce que l’une entraîne l’autre… Je pense que ça freine aussi, mais moins que ça entraînera ». Le poids change ? — Je pense qu’elle a plus de poids à cause de l’élan, disons toujours le même poids mais celle qui entraîne aura plus de force. »
Buj (14 ;0 même classe que Rop) : « (A) va partir puis ralentir et donner progressivement l’élan à (B) et (B) va plus vite que (A). Elle le donne progressivement, ça dépend de la force de (A). — L’élan et la force, ça veut dire ? — L’élan est égal à la vitesse et la force est égale à ce que la boule pourrait donner à autre chose. — Comment elle se transmet à B ? — Le fil bouge et ça fait passer la force. Si le fil (E) était plus haut ça donnerait un élan moins rapide. — Donc (A) donne un élan ? — Oui et pour finir (B) va repasser l’élan à (A), elle va faire comme (A). — Et (A) ? — Elle va recommencer plus fort que (B). — Ça va de plus en plus fort ? — Non, ça ralentit quand même. — Pourquoi ? — Parce qu’il y a l’air. A force de se transmettre il y a une force qui se perd. — Et sans air ça marcherait tout le temps ? — Ça m’étonnerait. Je ne sais pas, il y aurait un frein, à cause de quoi je ne sais pas… Elles ont un poids quand même qui les empêche : quand ça monte c’est plus léger, quand ça descend c’est plus lourd. » Boules non reliées : il voit les arguments pour et contre et conclut que les temps seront « pareils à peu près ».
Deb (15 ;6) : « La force va se transmettre intégralement par le fil horizontal. Les forces vont s’interchanger. Normalement ça devrait faire ça… La transmis-
sion est continue, mais pas simultanée. » Les boules reliées « s’aident entre elles et se donnent un appui, tandis que les boules seules (sans E) n’ont pas cet appui ».
Seuls cinq sujets (plus un sixième à peu près, sauf que les ralentissements alternatifs déjà prévus lui ont paru plus sensibles à l’observation) sur trente et un de 12 à 16 ans ont ainsi réussi les prévisions avant toute constatation. Sans exclure que la notion d’une transmission d’énergie puisse se former chez certains préadolescents du niveau IIIA en présence des faits d’expérience (nous y reviendrons), cherchons d’abord à montrer que les anticipations propres à ces cinq ou six sujets l’impliquent nécessairement.
La difficulté de telles prévisions provient assurément du fait qu’elles comportent une triple réversibilité : celle des allées et venues (oscillations) d’un seul mouvement pendulaire (A ou B), celle des oscillations de sens momentanément inverses de A et de B (qui se croisent à vitesses égales) et celle des deux directions alternatives de la transmission (A entraîne B qui ensuite entraîne A, etc.). Pour ce qui est des oscillations simples d’un pendule, elles sont connues très précocement et comme on l’a vu au chapitre III elles s’expliquent, selon les niveaux, de différentes manières qui rendent inutile l’appel à une notion supplémentaire d’énergie1, même lorsque le sujet postule une conservation de l’élan jusqu’à une hauteur égale à celle du point de départ du mobile.
Quant à la seconde forme de réversibilité, c’est-à -dire au croisement momentané des directions des deux boules A et B au cours de leurs mouvements pendulaires respectifs, elle est prévue dès le niveau IIA par un tiers environ des sujets, davantage en IIB (cf. Thu), puis par presque tous ceux du niveau IIIA. Or, comme on l’a vu, elle est importante quant à la compréhension du déphasage des mouvements respectifs de A et de B, puisque c’est ce croisement qui, résultant de la torsion progressive du fil médiateur E, explique la différence ultérieure des vitesses de A et de B, tandis qu’en anticipant les oscillations de A et de B comme conjointes (simultanéité des déplacements de même sens) le sujet ne saurait prévoir leurs
(1) L’énergie potentielle qui intervient alors n’a d’ailleurs de sens que dans une élaboration métrique.
accélérations alternatives. Par exemple le sujet Tra, au niveau II déjà , découvre l’importance de ce facteur et nous avons vu Hin en IIIA y insister explicitement.
Vient enfin la troisième réversibilité : celle des transmissions de sens contraires, de A à B d’abord, puis de B à A, et ainsi de suite alternativement. Or, cette troisième inversion, non prévue mais reconnue après la dernière constatation au niveau IIA, puis prévue après, et ensuite avant la première constatation aux niveaux IIB, IIIA et IIIB comporte, au moins dans la mesure où elle est suffisamment anticipée, une nouvelle conception de la transmission. Dans le mouvement pendulaire simple l’élan acquis à la descente permet la remontée, puis se récupère avec la nouvelle descente, etc., sans qu’il y ait là problème pour le sujet. Lors de l’inversion des directions de A et de B, c’est le mouvement du fil F1 de A qui à partir de la boule A se transmet à l’élastique E et lui imprime une rotation ou torsion, et nous n’avons à nouveau qu’une transmission de mouvement expliquant le ralentissement de A et la possibilité pour B d’osciller à son tour lorsque les positions du E s’écartent vers F2. Mais que la boule B, ainsi mise en action, soit conçue d’avance comme acquérant une vitesse croissante et comme devenant assez forte pour remettre A en mouvement, cela implique la solution d’un tout nouveau problème, d’autant plus que l’élastique E n’est pas rigide, ne pousse pas B et ne peut tirer F2 que faiblement. Une fois constatée, cette alternance peut certes s’expliquer, comme au niveau IIA, par une transmission quelconque ; mais qu’elle soit prévue avant toute constatation, comme au niveau IIIB, implique que les sujets en arrivent à admettre une transmission d’autre nature que celle (par définition « externe ») des mouvements de A à F1 et à E : ce qui se transmet, en effet, et alors de façon nécessairement « interne », c’est la possibilité d’un mouvement croissant de B, équivalent à celui que perd A et, de plus, capable de lui revenir ensuite ! Dans le cas d’une boule qui en heurte d’autres en faisant avancer la dernière tout en restant elle-même sur place, le problème est très différent : il s’agit de contact entre solides indéformables et le passage est perçu à titre de résultante immédiate. Ici, au contraire, les médiateurs F1, E et F2 sont déformables, le passage est très lent et progressif, et la transmission semble
[p. 164]d’autant plus efficace sur le mobile passif que le mobile actif s’affaiblit et devient ainsi moins actif. Il y a donc là deux mystères au moins : celui d’une transmission à travers des corps déformables qui sont rapidement dirigés par le mobile passif devenant actif, au lieu de le dominer, et celui de cette inversion des rôles « actif » et « passif ». Ce qui se transmet est donc une possibilité d’action et non pas l’action comme telle et c’est là la grande nouveauté1. Que le sujet ne trouve pas de vocable univoque pour désigner cette sorte particulière de « courant », peu importe : l’essentiel du point de vue opératoire est qu’il prévoie ce qui se passera et l’explique par ce nouveau type de transmission ne conduisant plus simplement d’un mobile actif à un mobile passif mais aboutissant à inverser leurs rôles.
Il reste à chercher comment les sujets en arrivent là . Nous avons vu qu’au niveau IIB, qui est celui du début des prévisions, celles-ci peuvent s’interpréter par une sorte de généralisation des deux premiers types de réversibilités ou symétries (oscillations et croisements). Au niveau IIIA il y a bien davantage : il suffit aux sujets de constater l’arrêt de A et la vitesse croissante de B pour qu’ils imaginent une action possible de sens inverse avec continuation de ces alternances : en ce cas nous ne sommes sans doute pas certains que les concepts d’« élan qui se donne et se redonne » (Hin, etc.) ou de « force qui passe » (Gew), etc., équivalent à une notion d’énergie, mais nous croyons pouvoir affirmer que ces sujets ont compris le caractère relationnel des rôles des boules alternativement actives et passives. Or, dans la mesure où les fils médiateurs peuvent ainsi transmettre des actions susceptibles d’inversion, il semble difficile, bien qu’ils soient en mouvement, de refuser à cette transmission un caractère « interne », puisque, pour le sujet, ce qui est transmis dépasse les mouvements successivement visibles et consiste en pouvoirs non perceptibles en tant même que pouvoirs, mais seulement déductibles. La seule différence entre les niveaux IIIA et IIIB est que ces pouvoirs ne sont imaginés en IIIA qu’au moment où le sujet
(1) Rappelons que l’énergie cinétique 1/2 mv2 représente en effet la quantité de mouvement mv multipliée par la puissance, c’est-à -dire le travail rapporté au temps ou la force par la vitesse.
aperçoit la relation entre l’accélération de B et le ralentissement de A, tandis qu’en IIIB tout est conçu d’avance.
Faut-il dire alors que c’est le caractère « interne » de la transmission qui conduit à la découverte de l’énergie ou l’inverse ? Ou encore que c’est l’alternance des rôles de mobile actif et passif qui conduit aux deux ? Commençons par deux rappels nécessaires. En premier lieu, dans le cas des transmissions de mouvement du chapitre II du volume XXVII, les sujets du stade III parviennent à la transmission interne de mv sans découvrir l’énergie (l/2 mv2) et on ne saurait le leur reprocher, puisqu’au xviie siècle les cartésiens et les leibniziens ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur ce point et que la suite seule a montré qu’ils avaient tous deux raison. En second lieu, en un système simple à feed-back un même élément peut servir tour à tour de mobile actif et passif sans que le sujet soit contraint d’y voir autre chose que des transmissions externes, tandis que dans le cas présent ce qui fait problème est l’inversion des deux conductions à travers un seul et même intermédiaire médiateur, qui de plus est flexible (le problème serait d’ailleurs le même avec un intermédiaire rigide, mais sans doute un peu facilité).
On peut donc admettre que dans la présente situation où cet intermédiaire est constamment en mouvement (et où donc par définition il subsiste toujours un facteur de transmission « externe »), c’est la découverte de l’alternance des rôles de boule active et passive qui entraîne la notion d’une transmission de « pouvoirs » et non pas seulement de mouvements : il en résulterait alors simultanément une interprétation « interne » de cette transmission et l’élaboration d’une notion correspondant à celle d’énergie. Mais comme le simultané dans l’ordre de la déduction logique n’équivaut pas toujours au simultané psychologique ce n’est qu’au niveau IIIB que nous croyons pouvoir être certains de la liaison des notions, puisque tout est déduit d’avance. Au niveau IIIA, par contre, quand Dav dit « A aurait réentraîné B » ou Hin « B fait rebalancer A » et « lui redonne de l’élan », ou Pub « A aurait repris l’élan de B », ou Mog « B remmène A » ou enfin Jug « ça fera une réaction en chaîne », il est à peu près assuré qu’il s’agit là de transmissions internes comme on en trouve à ce niveau en cas d’intermédiaires immobiles (cf. le chap. III du vol. XXVII, où la « force » passe
[p. 166]à travers des pièces de monnaies retenues à la main ou à travers un verre retourné pressant sur un tapis de mousse), tandis que le « pouvoir »1 qui se transmet entre nos boules a bien plus de chances de correspondre à ce que nous appelons « énergie » lorsque tout est prévu et analysé d’avance comme au niveau IIIB.
(1) Lorsque l’on fait la même expérience en écartant la boule A non plus d’avant en arrière, mais latéralement, c’est-à -dire dans la direction de B[*], l’effet est encore plus surprenant, car le fil E ne pivote plus selon un angle variable mais conserve la même position en se pliant et en se retendant à chaque aller et venue de l’une des boules : or, en ce cas, le rythme est plus rapide et A ne fait que deux ou trois oscillations « actives » suivies de deux ou trois grandes oscillations de B, et ainsi à tour de rôle. On voit bien alors que le fil E, en se retendant, tire l’un des fils F2 ou F1, et on voit bien que quand l’une des boules est active son propre fil F1 ou F2 oscille selon un angle plus grand en dessous du point de jonction avec E qu’au-dessus. Mais ce que l’on ne comprend plus du tout, sans une transmission interne d’énergie, c’est pourquoi les boules changent de rôle au lieu de conserver leurs actions respectives initiales, d’autant plus qu’après un certain nombre d’échanges elles finissent par osciller lentement et synchroniquement. Mais comme, en cette expérience, le début est trop rapide, il est difficile de dissocier les phases comme le demande notre technique.
[*Note FJP : ce qui était le cas dans l’expérience de L. de la Rive.]