Quelle vie après le doctorat?

C'est l'état de grâce qui prédomine à l'aube d'une carrière académique. Passion personnelle et perspectives professionnelles se rejoignent, s'ajoutant à la satisfaction de réussir dans un domaine sélectif. Le monde de la recherche paraît suffisamment vaste pour accueillir toutes les ardeurs et éclipser toutes les incertitudes. Et pourtant, ces dernières sont nombreuses. Les postes de professeur sont rares et les hautes écoles peinent à faire prospérer la multitude de talents qu'elles contribuent à former.

Alors que l'Université s'apprête à recevoir, le 18 novembre prochain, la Journée de la recherche organisée par le FNS, l'occasion est bonne d'évoquer le parcours de ces chercheurs aux compétences confirmées, mais se retrouvant, la trentaine, avec un avenir professionnel lourd d'incertitudes.

En cause: l'absence de postes stables pour les collaborateurs de l'enseignement et de la recherche, alors que rares sont les professeurs nommés avant 45 ans, en tous cas en sciences humaines. Si les meilleurs et les plus chanceux peuvent tabler sur un capital de confiance à toute épreuve, ils sont nombreux à se demander s'il est raisonnable de continuer jusqu'à cet âge avancé à vivre de mandats, sans l'assurance d'être un jour stabilisé et avec peu d'expérience du monde du travail.

Pari sur l'avenir
"La situation est différente par rapport à la génération précédente", observe Gilles Forster, assistant au Département d'histoire économique, ayant participé à la rédaction du rapport Bergier: "Dans les années 60, le nombre d'étudiants était nettement moins élevé. L'Université n'avait pas besoin d'un taux d'encadrement aussi large qu'aujourd'hui, elle engageait donc moins d'assistants. Résultat, les quelques-uns qui obtenaient un poste de corps intermédiaire étaient quasi assurés de devenir professeur. On pouvait le devenir à 32 ans! Aujourd'hui, c'est devenu un pari sur l'avenir."

Cette concurrence accrue entre chercheurs a eu un impact sur leur travail. Il ne s'agit plus simplement d'être le meilleur dans son domaine. Obtenir un poste de professeur requiert de plus en plus de compétences en relations publiques et en marketing, comme le remarque Patrick Roth, titulaire d'un doctorat en informatique et Prix Latsis 2004: "Il faut savoir publier au bon moment dans la bonne revue, préparer des dossiers pour obtenir des fonds, apprendre à communiquer ses résultats et à nouer des relations utiles à travers le monde, tout en assumant des tâches d'enseignement."

On pourrait rétorquer que ces compétences en relations publiques constituent un atout sur le marché du travail en général, profitable aux chercheurs. "Le problème, c'est que cela vient empiéter sur le travail normalement consacré à la recherche, sans compter que cela relève d'un genre très différent", soutient Patrick Roth.

"Au moment de terminer mon diplôme, j'étais mal préparée à devenir chercheuse", confirme Estella Poloni, maître-assistante au Département d'anthropologie, qui a terminé une thèse en génétique des populations il y a 5 ans: "C'est un métier à part entière, avec ses codes de conduite et sa stratégie. J'ai appris sur le tas. Ce n'est pas un mal en soi, mais j'ai parfois réalisé trop tard que j'avais commis une erreur stratégique à un moment décisif, le genre d'erreurs qui se paient cher par la suite." C'est seulement quand elle a pu bénéficier d'une dispense d'enseignement de six mois proposée aux femmes dans le cadre du programme CarriEre académique qu'elle a pu entamer une réflexion de fond sur sa carrière. "Cela a été un moment très productif. J'ai pu afiner mon CV et me concentrer sur ma recherche et sa publication", ajoute la biologiste.

Profs TGV
Les facultés et le rectorat sont conscients de cette problématique. CarriEre académique est un des exemples de programmes mis en place pour soutenir le corps intermédiaire. Il existe, en outre, une formation pédagogique à l'attention des assistants. Les chercheurs sont également encouragés à séjourner dans des universités à l'étranger, à travers la formule des "professeurs boursiers" notamment. Que faire, toutefois, si un déménagement se heurte à d'insurmontables obstacles familiaux? Lorsqu'ils finissent leurs thèses, la plupart des chercheurs sont dans des situations personnelles qui ne leur laissent plus toute latitude à cet égard. "Tout le monde n'a pas envie de devenir un prof TGV!", résume Gilles Forster. Les trois personnes interrogées pour cet article sont mariées et ont des enfants, et toutes ont déclaré vivre des tensions fortes dans leur couple en raison de leur situation précaire.

Ces chercheurs rencontrent de la compréhension lorsqu'ils évoquent ces difficultés avec des responsables dans leur faculté. "Dans les moments décisifs", relève toutefois Gilles Forster, "la tendance à étoffer le haut de la hiérarchie reprend le dessus. Le système veut que le pouvoir des facultés se mesure au nombre et au prestige des professeurs qu'elles engagent. Elles ne sont donc pas encouragées à développer le corps intermédiaire, qui leur coûte pourtant moins cher. On aboutit donc à une structure en forme de sablier, avec beaucoup d'assistants, pas mal de profs, et pas grand-chose entre les deux."

Un métier comme un autre?
Estella Poloni plaide pour que le travail de chercheur soit considéré comme un métier à part entière: "Je suis passionnée par mon domaine de recherche, mais je n'ai pas envie de continuer sur la voie professorale, parce que je sais que cela va me demander des sacrifices trop coûteux pour ma vie de famille. Derrière chaque grande chercheuse il y a un homme admirable! Mais il y a des limites. J'aimerais donc trouver un poste stable qui me permette de travailler à temps partiel. Dans le système actuel ce n'est pratiquement pas possible. Ce serait pourtant une vraie mesure en faveur des femmes."

A quoi Gilles Forster ajoute qu'il faudrait davantage de perméabilité entre la sphère académique et le reste du corps social. "La compétition est telle que si l'on quitte le parcours, ne serait-ce qu'une année, il est difficile de le réintégrer. Or, exercer une activité en marge de la recherche peut être très enrichissant. L'institution y gagnerait en diversité et en flexibilité, elle se ferait mieux connaître à l'extérieur. Il fut un temps, par exemple, où il était relativement courant que des professeurs d'Université enseignent dans le secondaire. Ce n'est malheureusement plus envisageable."

> Le programme de la Journée de la recherche 2004

Jacques Erard
Université de Genève
Presse Information Publications
Novembre 2004