2006

Précarité: les étudiants genevois mieux lotis que les Français?

Tandis que les étudiants français sont dans la rue, leurs homologues suisses continuent sagement de suivre leurs cours. Rien que de très normal. La situation sociale des étudiants en Suisse est-elle pour autant préférable à celle prévalant en France? A voir.

Du point de vue légal, le sort réservé aux jeunes Suisses débarquant sur le marché du travail n’est guère plus enviable que celui envisagé par feu le CPE. Sans se prononcer sur les détails de la loi française, Geneviève Ordolli, assistante à la Faculté de droit de l’UNIGE, relève que la loi suisse fait prévaloir le principe de liberté de la résiliation. L’employeur peut licencier sans motif son employé, pendant la période d'essai, soit le premier mois de travail, moyennant un délai de congé de sept jours. Par la suite, la résiliation du contrat peut s'effectuer moyennant un délai d'un mois pendant la première année de service, de deux mois de la deuxième à la neuvième année de service, de trois mois ultérieurement. Dans tous les cas, la résiliation n'est pas soumise à l'existence d'un motif.

Certes, ces principes sont régulièrement adoucis par des accords entre parties. En outre, le code des obligation a introduit, en 1988, une disposition selon laquelle l'employé peut invoquer le caractère abusif du congé. Caractère abusif que le Tribunal fédéral a tendance à admettre de plus en plus souvent, ajoute Geneviève Ordolli.

Dégradation
Sur le plan social, plusieurs indices révèlent que la situation des étudiants s’est dégradée au cours des dernières années. Une récente enquête de l’Office fédéral de la statistique a montré que la part du budget des étudiants suisses couverte par le travail qu’ils effectuent en dehors de leurs études est passée de 17% dans les années 1965/73 à 40% en 2005.

Les étudiants peuvent donc de moins en moins compter sur les aides externes, parents ou bourses, pour financer leurs études. Monique Lagier, responsable du Bureau d’information sociale de l’UNIGE, rappelle à ce sujet qu’un «fonds précarité» a été mis en place à l’Université, pour répondre à une demande croissante d’aide financière. Même son de cloche à la CUAE, fréquemment sollicitée lors de recours pour refus de bourse, témoigne Yoann Boget, membre du syndicat étudiant.

Revendication d’autonomie
Responsable de l’Observatoire de la vie étudiante, Jean-François Stassen confirme ces propos tout en les nuançant. Selon les enquêtes sociologiques menées par l’Observatoire ces dernières années, la proportion d’étudiants ne travaillant pas, ou seulement occasionnellement, est passée de 42%, en 1990, à 20% (étudiants en fin d’études) et à 27% (étudiants en début de parcours) dix ans plus tard. «Une évolution assez spectaculaire», commente le sociologue.

Cela étant, les travaux de l’Observatoire ont également révélé que, jusqu’à 15 heures par semaine, le travail rémunéré est plutôt un facteur d’intégration, vécu positivement. «On perçoit chez les étudiants une très forte revendication d’autonomie, et le travail est souvent pour eux un moyen de passer à l’acte», ajoute Jean-François Stassen.

Pour 56% des étudiants, le travail est toutefois ressenti comme une nécessité. Encore que la réalité recouvrant cette «nécessité» varie passablement en fonction du milieu social. «Par quelque bout qu’on aborde le problème, on retrouve toujours près de 10% de la population étudiante qui vivent vraiment une situation difficile», précise le responsable de l’Observatoire.

Evolution du marché du travail
A cela s’ajoute le fait que le marché du travail a beaucoup évolué ces dernières années. De plus en plus, les étudiants se voient proposer des stages, plutôt que des emplois stables, à leur sortie de l’Université. «Une manière pour l’employeur de «tester» ses nouveaux employés», constate Marc Worek d’Uni Emploi. Parfois, ces stages ne sont pas payés. Quand ils le sont, en revanche, c’est correctement. D’ailleurs, relève Marc Worek, les étudiants suisses doivent maintenant affronter la concurrence des étudiants… français attirés par les conditions salariales qui prévalent de ce côté-ci de la frontière.

> Voir la Note informative sur «l’activité professionnelle des étudiants et le travail» sur le site de l’Observatoire de la vie étudiante
> Le nouveau numéro de Campus est consacré à la précarité en Suisse

Témoignages

Stéphanie, étudiante en sciences de l'éducation, 3ème année
"Je travaille en moyenne une dizaine d'heures pas semaine. En début d'année, cela se passe toujours bien. C'est après, quand il y a de nombreux projets à rendre pour mes études, que je me sens débordée. Contrairement aux cours, on ne peut pas louper des jours de travail. Cela me met la pression. En France, il y a une économie à deux vitesses et je trouve que les revendications des étudiants sont légitimes."

 


Karen, étudiante en sciences de l'éducation, 4ème année
"Je fais un remplacement à 50%, je donne des cours d'appui et le week-end, je m'occupe d'enfants handicapés. Tout en vivant chez mes parents, je tenais à avoir une indépendance financière. Je suis contente que mon travail soit dans la continuité de mes études. Donc, je ne me fais pas trop de soucis pour mon avenir professionnel."

Yann, étudiant HEC
"J'ai cherché du travail à 20% dans des banques, mais je n'ai rien trouvé. J'avoue ne pas avoir cherché un job à la Coop... Par contre, je donne des répétitoires, mon but étant de décharger le plus possible mes parents financièrement. Je n'ai pas trop de soucis quant à mon avenir professionnel. Les étudiants français dans la rue? Des râleurs!"

 

 

Francesco, étudiant en droit, première année
"Je travaille le week-end et les vacances dans une entreprise de nettoyage, pour être indépendant financièrement. Cela ne rentre pas en collision avec mes études. Mais par contre, c'est la vie sociale qui en prend un coup. Quant à mon avenir, je n'y pense pas trop. Je suis en première, et je veux déjà réussir cette année. Après, on verra."

Jonas, étudiant en sociologie, Laure et Caroline, étudiantes HEC
Caroline: "Je travaille un peu le samedi dans la restauration pour mes extras. Pour l'avenir professionnel, c'est vrai que je ne suis pas rassurée, je sais que je vais certainement devoir passer par une période de chômage."
Laure: "Je ne travaille pas. Ce sont mes parents qui financent mes études. Je viens du Valais et heureusement, j'ai trouvé un logement bon marché grâce au Bureau du logement. Je trouve que les manifs des étudiants français ne sont pas justifiées. Je suis contre!"
Jonas: "Je travaillerai probablement cet été. Quant à mon futur, il est trop tôt pour y penser."

Céline, étudiante en lettres, et Marion, étudiante en relations internationales
Marion: "J'ai deux boulots. Je fais du secrétariat dans un hôtel et je travaille dans un foyer pour enfants handicapés. En tout, cela me fait de 15 à 20 heures par semaine. Pendant les périodes d'examens, je m'organise pour alléger mes horaires. Le CPE? Je comprends l'attitude des étudiants français, même si en Suisse, c'est pire: on est à l'essai toute sa vie!"
Céline: "Je travaille environ 11 heures par semaine. Une activité lucrative qui m'est aujourd'hui nécessaire. Je me pose pas mal de questions sur l'avenir, surtout sur le statut de fonctionnaire, car j'aimerais devenir prof."

13 avril 2006
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