2007

Anorexie et boulimie. Les étudiantes n'échappent pas à la maladie

30 kilos pour 1m65. La vérité nue et crue sur l’anorexie

Les clichés d'Oliviero Toscani, ex-photographe de Benetton, ont choqué l’Italie et fait le tour du web. Prévention ou provocation? La campagne d’affichage a alternativement braqué les projecteurs sur l’auteur des photographies, sur son sujet, et sur la marque de vêtements qui a financé l’opération. Quel a été l'impact du débat soulevé par cette campagne d'affichage sur le Centre de conseil psychologique (CCP) de l'UNIGE, qui reçoit régulièrement des étudiants anorexiques ou boulimiques?

Aucun, répond le responsable du CCP, Pierre Moiroud, qui relativise la portée du débat. Si la presse s’en est fait écho, les fameuses photos n’ont pas franchi nos frontières.

A l’instar de nombreux professionnels, le psychologue se dit en outre très sceptique quant à l’effet préventif de ces «nus décharnés». La maigreur exerce une véritable fascination chez les anorexiques. Des images parfois manipulées de femmes squelettiques circulent sur des sites Internet «ana» (mouvement «pro-anorexique») avec le but et l’effet inverse.


Image choc, message (trop) simpliste?
En outre, poursuit Pierre Moiroud, en référence au contexte de la campagne (les défilés milanais) «une anorexique ne se voit jamais telle qu’elle est réellement. Elle ne s’identifierait jamais à cette image. Extrêmement peu de nos étudiantes souffrent d’anorexie ou de boulimie liée à une soi-disant tyrannie de la mode. Considérer ces troubles uniquement de ce point de vue est extrêmement réducteur.»

S’il décline le problème au féminin, c’est que les troubles du comportement alimentaire (TCA) touchent avant tout les femmes: 9 sur 10. Les adolescentes sont les premières touchées – entre 6% et 13% - mais les adultes ne sont pas à l’abri des TCA. «La moyenne d’âge des femmes chez qui nous posons ce diagnostic est de 23 ans.» Parmi les étudiantes qui s’adressent chaque année au Centre de conseil psychologique de l’UNIGE, une centaine environ présente des difficultés liées au comportement alimentaire.

Maladies addictives
«La consultation est souvent liée à l’intervention de l’entourage, ou lorsque le contexte, par exemple en cas de colocation, ne permet pas à la patiente de laisser libre cours à ses pratiques», relève le psychologue responsable du service aux étudiants. Et lorsqu’elles frappent au 4, rue de Candolle, les étudiantes évoquent d’abord un état dépressif, des problèmes relationnels ou d’intégration, le TCA ne se révélant qu’au détour d’une question.

Difficilement reconnues comme telles par l’entourage et la société, l’anorexie et la boulimie sont de véritables maladies addictives pour la médecine et la psychologie. Les personnes qui en souffrent vivent dans la honte, dans un très grand isolement intérieur car incapables de partager leur pénible secret. Les deux troubles ont leurs caractéristiques propres, fort narcissisme chez les anorexiques, estime de soi quasi nulle chez les boulimiques, et les malades oscillent parfois de l’une à l’autre.

Contrôler, tout contrôler
Une caractéristique commune: «Anorexiques comme boulimiques sont dans un contrôle total de ce qu’elles mangent, ne mangent pas, vomissent», relève le responsable du CCP. Tout est ritualisé à l’extrême. «La nourriture devient une obsession qui évite de penser, remplit un vide. Un vide ressenti comme angoissant, car il suppose de laisser la place aux émotions, à la relation.»

Hyperactives, souvent très sportives, toujours préoccupées, les femmes souffrant d’un trouble du comportement alimentaire ne supportent pas le «flottement». C’est d’ailleurs au moment des grandes transitions  que les étudiantes demandent de l’aide: «En début de parcours, et surtout en fin de baccalauréat ou de maîtrise, au moment de leur stage professionnel», remarque Pierre Moiroud. Surtout, il note une représentation plus importante de TCA parmi les étudiantes issues de filières très scolaires dans les types d’apprentissages requis.

Angoisse du vide
«Lors du passage dans le monde professionnel, ces étudiantes, souvent brillantes, très organisées, doivent soudain investir un terrain relationnel, interpersonnel. Ce qui les déstabilise». Elles peuvent alors se réfugier dans des comportements de type anorexique ou boulimique, qui leur donne le sentiment de garder un contrôle total sur un aspect de leur existence, et de s’y réfugier.»

Jusqu’à s’y enfermer. Leur entourage ne remarque souvent que très tard leur état. Par déni ou parce que la jeune femme est passée maître dans l’art de dissimuler et de se dissimuler derrière un écran souvent superficiel. Un masque qui répond admirablement aux attentes d’une société prônant la performance, la minceur et la beauté.

Les prestations du Centre de conseil psychologique, rempart contre la précarité des étudiants

«Nous fixons les priorités propres à chaque personne, et cherchons à déterminer quelles sont les ressources qui lui permettront de s’en sortir», explique Pierre Moiroud, responsable du Centre de conseil psychologique de l’UNIGE. Lorsqu’une boulimie ou une anorexie est diagnostiquée, un-e psychologue du centre évalue les co-morbidités liées au trouble - anxiété, dépression, troubles de la personnalité, et dépendances qui peuvent être développées (compulsion d’achats, sport, alcool, drogues, etc.) - avant de proposer une démarche thérapeutique. La personne est évidemment dirigée vers les Hôpitaux universitaires de Genève si sa santé est en danger, ce qui est assez rare. Le CCP propose différentes prises en charge – collectives ou individuelles – aux étudiant-e-s.

  1. «Par la thérapie cognitivo-comportementale, nous cherchons à apprendre aux patientes à gérer leurs émotions autrement que par la compulsion», explique Pierre Moiroud. Les crises boulimiques surviennent souvent en même temps qu’apparaît l’anxiété.
  2. La thérapie psycho-dynamique, qui intervient plutôt dans un deuxième temps, vise à amener la personne, si elle le souhaite, à s’interroger sur la signification de sa relation à la nourriture et sur ce qu’elle révèle: «Le fait d’aider à prendre conscience donne parfois les outils pour sortir du cercle vicieux. Un comportement compulsif peut parfois s’enclencher suite à un événement fortement traumatique», indique le responsable du CCP.
  3. Quant à d’autres types de thérapies, systémiques notamment –les TCA sont souvent associés à une difficulté de séparation – le site du CCP donne des liens extérieurs, notamment vers l’Association boulimie anorexie, très active en Suisse romande.

«S’engager dans une psychothérapie aujourd’hui, n’est pas toujours facile pour un(e) étudiant(e)», remarque Pierre Moiroud. Outre des résistances personnelles parfois importante, la couverture maladie n’est pas adaptée: assurances de base à franchise élevée, taillées sur mesure pour les étudiants étrangers, qui ne remboursent pas toujours les psychothérapies. Difficile, dès lors, de consulter à l’extérieur. Le CCP constitue à cet égard pour les étudiant(e)s de l’UNIGE et des HES genevoises un premier choix de qualité. Le soutien offert par les psychologues du centre dure le temps nécessaire à la résolution du problème.

Pour en savoir plus:
>Site du Centre de conseil psychologique (CCP)
>Site de l’Association Boulimie Anorexie (ABA), qui fournit informations, conseils et soutiens aux proches et aux malades

A lire également:
Philippe Jeammet, Anorexie/boulimie : Les paradoxes de l'adolescence, Hachette, 2005.

3 novembre 2007
  2007