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Bételgeuse: la fin prochaine d'un phare cosmique ?

Une équipe internationale incluant des astrophysicien·nes de l'UNIGE a montré que l'une des supergéantes rouges les plus connues, Bételgeuse (dans la constellation d'Orion) pourrait être à un stade très proche de son explosion finale. Les travaux antérieurs estimaient qu'après une durée de vie de quelques millions d'années, l'étoile pouvait encore vivre pendant quelques centaines de milliers d'années. En revisitant les signaux émis par cette étoile, nos chercheurs/euses montrent que sa durée de vie restante pourrait être beaucoup plus courte : quelques centaines d’années au maximum, voire seulement quelques dizaines d’années.

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Bételgeuse, dans la constellation d’Orion, vue par le VLTI au Chili. La variation de sa luminosité due à la superposition des quatre fréquences de pulsation est indiquée par la courbe orange.
©UNIGE – Sylvia Ekström 

Si vous regardez le grand rectangle composé de certaines étoiles de la constellation d'Orion, vous pourrez facilement trouver Bételgeuse, qui est l'étoile rouge dans le coin supérieur gauche (vue de l'hémisphère nord). Cette étoile se trouve à environ 650 années-lumière de la Terre et a une masse initiale environ 20 fois celle du Soleil. Du fait de sa couleur et sa grande taille, Bételgeuse fait partie de la famille des supergéantes rouges.

Quelque huit millions d'années se sont écoulées depuis sa formation. Pendant combien de temps Bételgeuse pourra-t-elle émettre de la lumière comme une étoile normale ? « Jusqu'à présent, le consensus dans la communauté astronomique était que cette étoile devait être encore loin de son stade final, ayant encore beaucoup de carburant à brûler dans sa région centrale. Le temps restant avant son explosion était ainsi estimé à quelques centaines de milliers d'années », explique le Prof. Georges Meynet, professeur ordinaire au Département d'astronomie de l'UNIGE et co-auteur de l'étude qui va paraître prochainement dans les Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.

La vie d'une étoile
Les étoiles sont des objets en évolution. Elles se forment à partir de l’effondrement et de la fragmentation de nuages interstellaires. Une fois que des températures suffisamment élevées sont atteintes dans leur région centrale, des réactions nucléaires sont activées qui transforment leur composition chimique. Ce changement de composition est le principal responsable de l'évolution en taille et en couleurs des étoiles. Les échelles de temps de ces changements sont cependant très longs et ne peuvent être perçus au cours d’une vie humaine. Alors comment se faire une idée des différentes étapes de l’évolution d’une étoile ?

Dans une forêt, on ne voit pas les arbres pousser, mais on peut observer des arbres à différentes étapes de leur vie. C'est la même chose pour les étoiles : on ne peut pas voir les étoiles évoluer mais on peut observer certaines étoiles qui viennent de naître, d'autres qui sont dans leur maturité et d'autres encore qui sont au dernier chapitre de leur vie. « En construisant des modèles numériques, on peut suivre l'évolution des étoiles et faire des liens physiques entre les différents types d'étoiles observés. Les modèles permettent également de suivre les toutes dernières étapes de la vie d'une étoile, alors que les changements dans son cœur ne parviennent plus à se traduire par des changements en surface », explique Devesh Nandal, doctorant au Département d'astronomie de l'UNIGE.

Bételgeuse, un mystérieux cœur qui bat
La supergéante rouge d'Orion est précisément dans cette situation, où son apparence externe ne reflète plus l'évolution de son cœur. Sa surface émet néanmoins un signal très particulier : tel un cœur qui bat, Bételgeuse présente des pulsations qui font varier sa luminosité. L'analyse de ces pulsations fournit des informations supplémentaires sur l'étoiles qui les subit. La pulsation de Bételgeuse est la combinaison de quatre fréquences différentes, allant de 200 jours pour la plus courte à 2200 jours pour la plus longue. Le calcul de plus de 40 modèles stellaires différents a permis à l'équipe de contraindre le stade évolutif de Bételgeuse, en reproduisant simultanément sa luminosité, sa température, et les quatre fréquences observées. Tous les modèles compatibles avec ces données observationnelles se trouvent dans des phases très avancées de l'évolution de l'étoile.

« La nouveauté de notre approche a été d'interpréter la longue période de 2200 jours comme une période naturellement liée aux trois autres, et non comme une période distincte d'origine inconnue, comme elle avait été considérée dans toutes les autres études », explique le Professeur Hideyuki Saio (Japon), principal auteur de l'étude. Cette longue période serait le mode fondamental, et les trois autres ses harmoniques.

Comment serait-il possible de démêler les deux interprétations ?
Une méthode pour trancher entre les deux interprétations consisterait à obtenir une estimation fiable du rayon de l’étoile. Si la pulsation de 2200 jours est le mode fondamental de pulsation, alors l'étoile devrait être très grande avec un rayon de l'ordre de 1300 fois le rayon solaire. Si c'est une période plus courte (celle de 400 jours) qui est le mode fondamental de pulsation, alors le rayon est réduit à environ 800 rayons solaires. Toute la difficulté pour obtenir cette grandeur vient du fait qu'actuellement, la distance de Bételgeuse n'est pas connue avec une précision suffisante.

Une autre façon serait de mesurer les neutrinos provenant de son noyau. Les neutrinos sont des particules qui se déplacent à une vitesse proche de celle de la lumière et interagissent très peu avec la matière. Si l'interprétation de l'équipe actuelle est correcte, alors Bételgeuse devrait émettre de grandes quantités de neutrinos, tandis que de très faibles flux de neutrinos sont attendus au cas où Bételgeuse serait encore loin de son explosion finale. À l'heure actuelle, les détecteurs de neutrinos actuellement actifs sur Terre ne sont pas suffisamment sensibles pour détecter même les flux élevés prévus au cas où Bételgeuse serait proche de son explosion.

Une explosion spectaculaire
Si cette nouvelle étude est correcte, il ne reste à Bételgeuse que quelques centaines d'années, voire seulement quelques dizaines d'années avant d'exploser en supernova. « Et étant donnée sa distance de 650 années-lumière, cela signifie qu'en réalité Bételgeuse a déjà explosé, mais que la lumière de la supernova ne nous est simplement pas encore parvenue ! », explique Sylvia Ekström, chercheuse au Département d'astronomie de l'UNIGE.

Dans tous les cas, cette distance nous préserve de tout effet néfaste de l'explosion. « Bételgeuse deviendra pendant un certain temps aussi lumineuse que la pleine lune. Ce sera certainement aussi une explosion de travaux de recherche visant à analyser cette incroyable opportunité offerte par la Nature d'observer l'explosion d'une étoile massive si proche de nous », conclut Devesh Nandal.

Lien vers l’article sur arXiv

29 septembre 2023
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