2004

Andreas Auer, une semaine en Palestine

Quatre ans d'intifada en Palestine, du droit au désarroi

 

Professeur à la Faculté de droit, Andreas Auer a passé, en septembre dernier, une semaine dans les territoires palestiniens occupés, avec une délégation de parlementaires, d'universitaires et d'écrivains suisses. Un voyage effectué à titre privé, à l'invitation du représentant de l'Autorité palestinienne à Berne, qui aura permis aux intellectuels suisses de se faire une idée précise des conditions de vie de la population palestinienne. Andreas Auer, dont les recherches portent principalement sur les droits politiques et la démocratie directe, nous livre ici son témoignage.

Etait-ce votre première visite dans la région?
Andreas Auer: Je m'étais déjà rendu en Israël en avril 2004, pour participer à une conférence internationale consacrée au référendum interne du Likoud sur le retrait de la bande de Gaza. J'avais eu à l'époque beaucoup de discussions avec des universitaires, journalistes et hommes politiques israéliens.

Quelles ont été vos premières impressions cette fois-ci?
Nous sommes allés pratiquement partout, aussi bien à Gaza qu'en Cisjordanie. Le constat est accablant. Je me suis rendu compte de mes propres yeux de l'ampleur du problème. Les conditions de vie de la population sont choquantes : des habitations détruites, des infrastructures totalement délabrées, des terres cultivables ruinées par le tracé du mur. Lorsque nous en avons discuté avec les autres membres de la délégation, des gens de différents horizons politiques, nous étions tous du même avis. J'ai gardé une image qui résume bien mon sentiment. Il y a une prison dans la bande de Gaza, qui s'appelle la prison de Saraya. Elle a été construite par les Ottomans au début du XXe siècle, agrandie par les Anglais, utilisée par Israël après 47, puis remise aux Palestiniens il y a quelques années. Une seule chose n'a pas changé: les prisonniers ont toujours été, et sont toujours palestiniens.

 

Quel regard portez-vous sur la situation du point de vue du droit?
Ce que j'ai vu m'a amené à réfléchir à la question des limites du droit. Le plus souvent, c'est le désarroi qui règne. Le droit est impuissant à résoudre le problème. Il y a bien des accords internationaux signés par les deux parties. Mais la politique bloque tout. La Cour internationale de justice a condamné Israël en juillet 2004 et constaté qu'elle viole ses obligations de puissance occupante, notamment avec sa politique de colonisation à outrance et la construction du mur au-delà de la ligne verte. Mais il n'y a pas de suite, pas de sanctions, pas de conséquences. Même la Haute cour israélienne a conclu qu'à certains endroits le tracé du mur est illégal. Le gouvernement trouve cependant le moyen de contourner la loi. Les Israéliens disent que les attentats terroristes les autorisent à ne pas respecter la légalité. Le non-droit appelle le non-droit. En fin de compte, le droit est sans cesse invoqué, et il est toujours impuissant.

Il n'y a donc pas de solution à court ou moyen terme?
Le nœud du problème c'est l'occupation et la colonisation. J'ai été particulièrement choqué par notre visite à Hébron, une ville où 250'000 palestiniens vivent sous la menace de 500 colons juifs, qui chaque semaine grignotent des parcelles de terrain, occupent des maisons et en chassent les habitants. Cette même politique est pratiquée à grande échelle par Israël. La Cisjordanie est quadrillée par tout un réseau de routes reliant les colonies. Cela crée sur le terrain une situation telle que la perspective d'un Etat viable pour les Palestiniens est chaque jour plus illusoire. Des voix s'élèvent d'ailleurs des deux côtés pour dire que cela ne va pas marcher et qu'il faut faire repartir la négociation sur de nouvelles bases, avec pour objectif la création d'un seul Etat. Pour les Palestiniens, cela reviendrait à passer d'un combat pour l'indépendance à un combat pour la démocratie.

Pensez-vous que les colons d'Hébron accepteraient de vivre dans un Etat où ils se verraient marginalisés?
Cela signifierait effectivement la fin de l'Etat juif et la mise en place d'un système où le droit du peuple est prioritaire. Nous avons rencontré un chercheur israélien à Tel-Aviv qui travaille dans cette direction. Il nous a dit qu'il concevait que d'ici une dizaine d'années, il n'y ait plus d'Etat juif.

L'Initiative de Genève, qui préconise la création de deux Etats, a-t-elle un avenir dans ces conditions?
L'initiative de Genève a eu un effet très positif. Le gouvernement israélien s'est senti tenu de réagir. Le plan de retrait de Gaza est d'ailleurs un peu la réponse de Sharon à Genève. De leur côté, les responsables palestiniens que nous avons rencontrés, y compris le président Arafat, ont salué cette initiative. Un officiel nous a fait cependant remarquer que Genève est comme la cerise sur le gâteau, avant quoi ils aimeraient bien un plat principal.

Quel est le point de vue des responsables israéliens?
Ils répètent qu'ils n'ont pas de partenaire pour faire la paix. Un membre d'un groupe de réflexion proche du gouvernement nous énumérait trois principaux dangers pour Israël : la bombe atomique iranienne, le terrorisme et la démographie. En réponse à la première menace, nous a-t-il dit, Israël se réserve le droit de bombarder les installations iraniennes et le problème du terrorisme sera résolu par la séparation en deux Etats. En revanche, il ne voyait aucune réponse au facteur démographique. Cela explique la volonté actuelle du gouvernement de forcer la séparation des deux populations. Sharon a compris que si une solution à deux Etats doit prévaloir, il faut le faire maintenant. Les Palestiniens, eux, ont le sentiment d'avoir le temps de leur côté, d'où leur attitude parfois passive. Je leur ai trouvé un certain fatalisme, teinté d'optimisme. Arafat nous a dit qu'il voyait la paix dans dix ans. Il a l'impression que les Palestiniens ont beaucoup d'amis, tandis que le prestige d'Israël s'est effondré.

N'avez-vous pas l'impression que le conflit israélo-palestinien a tendance à obscurcir, dans les médias, d'autres tragédies, comme ce qui se passe aujourd'hui au Darfour?
Non, je vois plutôt un effet de lassitude. Derrière la répétition des mauvaises nouvelles, on peut avoir l'impression qu'il s'agit d'un conflit entre deux entités égales. Or il n'y a pas d'équivalence. D'un côté, on a un Etat massivement aidé et armé par les Etats-Unis, de l'autre une population opprimée de toutes parts, qui survit grâce à l'aide humanitaire.

Propos recueillis par Jacques Erard
Université de Genève
Presse Information Publications
Octobre 2004

7 octobre 2004
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