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Informatique

Donner vie au monde virtuel

Le laboratoire genevois de réalité virtuelle MIRALab existe depuis vingt ans. Connu dans le monde entier pour ses simulations par ordinateurs, notamment de vêtements prêts-à-porter, il joue depuis longtemps un rôle de pionnier dans son domaine

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Pour Nadia Magnenat-Thalmann, il y a un avant et un après Jurassic Park. Avant la sortie en 1993 de ce film mettant pour la première fois en scène des dinosaures virtuels paraissant plus vrais que nature, la professeure au Département des systèmes d’information (Faculté des sciences économiques et sociales) et directrice de MIRALab était seule dans son créneau, ou presque. Ils n’étaient en effet qu’une poignée dans le monde à mener des recherches dans le domaine de la simulation en trois dimensions par ordinateur. Après la projection du blockbuster, l’intérêt pour la réalité virtuelle a explosé, non seulement dans l’industrie du cinéma, qui ne peut plus s’en passer aujourd’hui, et auprès du grand public, mais aussi dans le monde des chercheurs, puisque des centaines de groupes se sont depuis lancés dans cette voie.

A une vitesse folle

«Professionnellement parlant, la sortie du film a représenté un énorme changement, précise Nadia Magnenat-Thalmann. Au début, nous étions peu nombreux, ce qui était assez confortable pour mener des recherches. Mais les progrès dans le domaine étaient relativement lents. Aujourd’hui, les choses avancent à une vitesse folle, mais la concurrence entre les équipes est devenue acharnée. Pour surnager, il faut sans cesse innover afin de conserver une longueur d’avance sur les autres.»

Cet esprit de pionnière, la directrice de MIRALab a su le préserver. Aujourd’hui, son laboratoire est connu dans le monde entier, plusieurs de ses doctorants ont été engagés dans des entreprises spécialisées dans l’animation comme Buf (une compagnie française qui a participé aux effets spéciaux d’Avatar, Oceans ou encore Astérix aux Jeux olympiques), Pixar (Toy Story, le Monde de Nemo, Wall-E) ou Dreamworks (Shrek, Madagascar). L’équipe actuelle, profondément transdisciplinaire, est impliquée dans de nombreux programmes de recherche suisses et européens. Ses thèmes de prédilection sont, entre autres, la simulation des habits et des cheveux, de l’anatomie d’êtres humains à des fins médicales ou encore de la personnalité et des émotions dans le domaine de la robotique. A cela s’ajoute la réalité mixte, de la reconstitution en 3D de monuments historiques, etc.

MIRALab est créé à Genève en 1989, mais le nom remonte en fait à la fin des années 1970. Il désigne déjà l’équipe que dirige alors Nadia Magnenat-Thalmann à l’Université de Montréal. Au cours de son séjour au Canada, elle produit deux petits films entièrement conçus par ordinateur qui font date: Vol de rêve * (1982) et Rendez-vous à Montréal ** (1987). Le premier simule la visite virtuelle de la tour Eiffel puis de la statue de la Liberté, séparées par la traversée de l’océan. Dans le second, on voit apparaître une Marilyn Monroe virtuelle donnant la réplique à un Humphrey Bogart tout aussi irréel. L’actrice américaine, sex-symbol des années 1950 et au-delà, est depuis devenue la mascotte de MIRALab.

«Dès le départ, j’ai donné beaucoup d’importance à l’esthétique et au fait d’intégrer des spécialistes d’horizons très différents dans mon travail, explique Nadia Magnenat-Thalmann. Il me paraît normal, lorsqu’on traite de réalité virtuelle, de ne pas se contenter d’engager des cracks de la program-mation. Il faut aussi des gens des sciences humaines et des artistes.»

Les deux petits films produits par MIRALab marquent le monde de la réalité virtuelle qui, à cette époque, n’est pas encore très développé. Voir revivre Marilyn Monroe a durablement marqué les esprits. Et c’est grâce au travail de petits laboratoires comme celui-ci que les progrès ont pu être accomplis dans le domaine de la simulation en trois dimensions, au point de pouvoir fabriquer des films dans le genre de Jurassic Park. «Il est piquant de remarquer qu’un film comme Avatar, qui est sorti récemment et qui a subjugué tant de monde par ses effets spéciaux, utilise en réalité des technologies que nous maîtrisions déjà au début des années 1990», note Nadia Magnenat-Thalmann.

A cette époque justement, la chercheuse s’installe à l’Université de Genève et décide de conserver le même nom pour son laboratoire, bien qu’il faille repartir de zéro. Elle débute ainsi avec l’aide d’un seul assistant, issu de la Faculté des sciences économiques et sociales. En ces années, la plus grosse partie du budget est encore absorbée par le matériel. Il y a vingt ans, il fallait en effet compter quelques centaines de milliers de francs pour acquérir une station de travail et de quoi enregistrer des films numériques. Aujourd’hui, le même travail est réalisé avec un simple ordinateur portable, gonflé à l’aide d’une carte graphique et enrichi de quelques logiciels. Le tout pour quelques milliers de francs seulement. En même temps, la puissance des machines s’est démultipliée, raccourcissant les temps de calculs et augmentant les possibilités et la qualité pour les simulations en temps réel.

Grâce à ces progrès technologiques et à la chute des coûts, pas mal de ressources ont pu être dégagées au fil du temps pour engager des forces vives. «Nous avons été jusqu’à une quarantaine de chercheurs dans mon groupe, souligne Nadia Magnenat-Thalmann. Mais cela est dû aussi au fait que j’ai, dès le début, cherché des financements extérieurs. Et que j’en ai trouvé beaucoup, auprès des Fonds nationaux et communautaires, mais aussi auprès des entreprises.»

Scannée de la tête aux pieds

Aujourd’hui, le laboratoire est impliqué dans huit projets différents. Un des plus anciens axes de recherche de MIRALab est la simulation de vêtements et de cheveux, particulièrement difficile à réaliser. Plusieurs années de développement ont débouché, il y a quelque temps, sur la mise au point d’une cabine d’essayage virtuelle. Le client est scanné de la tête aux pieds et l’on crée pour lui un avatar sur ordinateur ayant ses mensurations. Il peut alors le voir évoluer sur l’écran et lui passer tous les habits qu’il désire. Un des points fort de cette technologie est que les vêtements sont simulés avec un souci très poussé du détail (tombé, élasticité, frottement, épaisseur…).

«Cela fait près de vingt ans que nous travaillons sur la simulation des vêtements par ordinateur, souligne Nadia Magnenat-Thalmann. Ce n’est pas une chose simple. Il s’agit de surfaces déformables qui subissent des interactions avec elles-mêmes (les plis), mais aussi avec le corps sur lequel elles frottent. Il faut donc calculer pour chaque instant les multiples forces qui agissent sur chaque point des habits.»

Un robot troublant

Le laboratoire genevois se distingue également par son implication dans un projet européen de simulation de l’anatomie humaine 3D Anatomical Human. A partir d’images réalisées à l’aide d’un scanner IRM (imagerie par résonance magnétique), les chercheurs genevois tentent de reconstituer sur ordinateur un membre (une hanche, par exemple) d’un patient. Ils y ajoutent ensuite un modèle biomécanique capable de simuler les mouvements de ses articulations. L’objectif de cette modélisation est, à terme, de pouvoir étudier cette partie du corps de manière, par exemple, à anticiper des lésions en cas de malformation. Elle ouvre également des perspectives intéressantes en ce qui concerne la formation de jeunes chirurgiens.

Un autre sujet phare sur lequel MIRALab planche depuis plusieurs années est la robotique sociale. Le buste d’EVA, un robot recouvert de peau synthétique qui peut parler et dont le visage peut exprimer des émotions, trône ainsi dans une des salles du laboratoire.

«Nous travaillons sur des processus de mémoire et sur la nature des relations qu’EVA entretient avec ses interlocuteurs, précise Nadia Magnenat-Thalmann. Un des objectifs du projet est qu’EVA puisse se souvenir d’une première rencontre avec une personne et qu’elle se souvienne aussi de la nature positive ou négative de cet échange. Ensuite, en fonction de la personnalité dont nous la dotons (triste, joyeuse…), elle adoptera un certain comportement lors de la deuxième rencontre.»

Comparée à certaines machines développées au Japon ou ailleurs, EVA ne paye pas de mine. Elle est troublante, répond un peu de travers et semble bien moins au point. Mais le but des chercheurs de MIRALab n’est pas de développer un robot comme il en existe tant, techniquement parfait, mais qui n’est absolument pas adapté au rôle qu’on lui prévoit: être un objet hautement social.

«Le principal objectif de la robotique sociale est de développer des machines de compagnie et de soutien pour les personnes âgées, les enfants, etc., explique Nadia Magnenat-Thalmann. Le comportement de ces robots est donc primordial et c’est le point principal sur lequel nous travaillons. L’apparence n’est pas moins importante. Je trouve les robots conçus actuellement par les ingénieurs souvent laids, même s’ils sont très perfectionnés. Je suis convaincue que, dans ce domaine, il faut une approche interdisciplinaire dans laquelle on fasse intervenir des personnes issues des sciences sociales et des arts.»