Campus n°101

Dossier/les superordinateurs

Le Climat mis en boîte

Les sciences climatiques sont exigeantes en puissance de calcul. Les résultats des simulations, parfois décriés sur la scène politique, sont pourtant difficiles à remettre en cause. Explications avec Stéphane Goyette, chercheur à l’Institut des sciences de l’environnement

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Campus: La climatologie utilise-t-elle les supercalculateurs?

Stéphane Goyette: Oui. Les sciences climatiques sont très gourmandes en puissance de calcul. Les modèles de simulation à l’échelle de la planète qui intègrent de nombreux paramètres et qui couvrent des périodes de plusieurs siècles demandent des supercalculateurs très rapides et une équipe sachant les piloter.

Réalisez-vous ce genre de simulation à Genève?

Non, nous n’effectuons pas de simulations à l’échelle globale. D’ailleurs, il n’existe pas beaucoup d’équipes qui ont les ressources techniques et humaines nécessaires pour le faire. Il s’agit le plus souvent de projets internationaux. Un tel projet pourrait néanmoins voir le jour à Genève par le biais du projet ICES (International Center for Earth Simulations), une initiative du fondateur et ancien directeur de la firme Silicon Graphics, qui vise une puissance de calcul inédite dans ce domaine. Cela dit, comme tous les autres chercheurs actifs en climatologie, nous avons accès aux résultats produits par ces modèles globaux. Il nous arrive donc de travailler sur une partie des données extraites des grandes simulations pour répondre à des questions spécifiques. Nous utilisons également des modèles limités à des zones géographiques plus petites (modèles régionaux du climat) et sur des laps de temps plus courts, mais qui sont basés sur les mêmes lois de la physique que les modèles globaux. Nous disposons d’une puissance informatique qui nous permet par exemple de faire tourner un modèle climatique adapté aux conditions de la Suisse avec une résolution d’un kilomètre. Plus précisément, mon travail consiste à perfectionner les modèles existants.

Quel degré de précision atteignent les meilleurs modèles climatiques?

Depuis moins de dix ans, avec l’augmentation de la puissance des supercalculateurs, la complexité des modèles climatiques globaux et régionaux a explosé. On intègre de plus en plus de modules différents en plus de l’atmosphère, à savoir les océans, la biosphère, la cryosphère, etc. On les couple ensuite les uns avec les autres, ce qui demande un travail informatique gigantesque. On intègre également de plus en plus de processus physiques et chimiques qui se déroulent dans l’ensemble de ces modules et qui jouent un rôle dans l’évolution du climat. Curieusement, durant tout ce temps, la résolution des modèles globaux est restée sensiblement la même, aux alentours de 200 kilomètres. Cette maille commence néanmoins à se rétrécir et, dans un avenir proche, on pourra même tenir compte des lacs. Ces derniers influencent le climat notamment par leur capacité à emmagasiner l’énergie provenant du Soleil durant l’été et à la restituer plus tard dans la saison ainsi qu’à réfléchir la radiation solaire s’ils sont couverts de glace.

Les prévisions dont ces modèles sont capables jouent un grand rôle dans la politique mondiale en matière de changements climatiques. Jusqu’à quel point peut-on s’y fier?

Les prévisions climatiques basées sur ces modèles sont des résultats scientifiques. Cela signifie qu’elles comprennent toujours des incertitudes qui sont mesurées et rapportées dans les articles scientifiques. Il est rarement fait mention de ce fait. Par ailleurs, et cela est valable pour n’importe quelle simulation, ces prévisions sont le résultat de modèles numériques qui ne sont qu’une approximation de la réalité. Elles ont été obtenues en posant un certain nombre d’hypothèses concernant les paramètres que nous ne pouvons pas maîtriser. La croissance économique et démographique, par exemple, sont des grandeurs difficiles à prévoir, alors qu’elles jouent un rôle déterminant dans les émissions de gaz à effet de serre. C’est pourquoi le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a planché sur une quarantaine de scénarios possibles en ce qui concerne ces émissions. Ces scénarios sont désormais imprimés aux modèles et fournissent un éventail de résultats possibles en ce qui concerne, par exemple, l’augmentation de la température globale ou le niveau des mers.

Que répondez-vous aux climato-sceptiques qui mettent en doute la validité de ces modèles?

Je leur dis que les bases scientifiques de la climatologie numérique sont solides. Bien sûr que les modèles sont imparfaits. La perfection, dans ce domaine, demanderait un temps infini à atteindre. On ne peut pas non plus faire dire à ces simulations autre chose que ce qu’elles sont capables de dire, ce qui signifie que l’on ne peut pas interpréter leurs résultats au-delà d’une certaine limite. Quoi qu’il en soit, il en ressort clairement que les gaz à effet de serre émis par les activités humaines contribuent de manière prépondérante aux changements climatiques et que ces derniers vont déboucher sur une augmentation, plus ou moins importante, de la température mondiale et du niveau des océans. Je n’ai pas vu un seul modèle, aussi simple ou complexe soit-il, qui n’ait jamais prédit le contraire.