Campus n°102

Chimie

Mettez du bore dans votre réservoir

Le perfectionnement des voitures à l’hydrogène passe notamment par le développement de réservoirs efficaces pour contenir le précieux gaz à bord du véhicule. Les différentes formes d’hydrure de bore font l’objet de recherches depuis dix ans

photo

A l’avenir, les millions de voitures immobilisées quotidiennement dans les embouteillages aux entrées des villes fonctionneront peut-être toutes à l’hydrogène. Si c’est le cas, il est presque sûr que le gaz sera stocké à bord des véhicules dans des réservoirs non pas creux mais pleins, fabriqués avec des matériaux jouant le rôle d’éponges à hydrogène capables de délivrer leur précieux contenu à la demande. C’est à la conception de tels conteneurs que contribuent les recherches de Hans Hagemann, maître d’enseignement et de recherche au Département de chimie physique de la Faculté des sciences. Une recherche très fondamentale pour l’instant mais qui obtient déjà des résultats intéressants, notamment sur des composés à base d’hydrure de bore (BH4 -), de manganèse et de magnésium.

Les voitures roulant à l’hydrogène et équipées d’une pile à combustible existent déjà sous forme de prototypes chez différents constructeurs. Mais, sur le terrain économique, si cette filière veut rivaliser avec celle du moteur à explosion et de l’essence, championne toutes catégories en matière de concentration d’énergie chimique, elle doit encore relever plusieurs défis technologiques.

Solution peu durable

Le premier est la production de l’hydrogène proprement dit. Aujourd’hui, 95% de ce gaz est issu de la réformation du gaz naturel (CH4), un combustible fossile dont l’utilisation entraîne l’émission de gaz carbonique, principal contributeur au réchauffement climatique. Cette solution n’est ni durable ni en accord avec l’image écologique que voudrait colporter le moteur à hydrogène. Les alternatives existent, l’une d’elles étant l’électrolyse de l’eau, une technique maîtrisée depuis plus de deux centsans et perfectionnée depuis. Cette dernière consomme bien du courant électrique mais celui-ci pourrait provenir de sources renouvelables telles que l’éolien ou le photovoltaïque. L’augmentation du prix du pétrole pourrait rendre cette piste économiquement de plus en plus intéressante.

Le deuxième défi est le stockage de l’hydrogène dans les automobiles. Sous forme comprimée dans des bombonnes (350 bars), le gaz occupe toujours, à énergie égale, dix fois plus de place que l’essence. L’hydrogène liquide (maintenu à -252,85° C) fait mieux: il concentre 8 millions de joules par litre. Cela demeure toutefois insuffisant pour détrôner le carburant fossile et ses 32 millions de joules par litre.

Pour contourner ce problème, les chercheurs se sont tournés vers des matériaux qui jouent le rôle d’éponges à hydrogène. Ceux-ci, dans certaines conditions de température et de pression, absorbent le gaz à des concentrations très élevées. Certains alliages de métaux (à base de lanthane et de nickel, LaNi5, par exemple) y parviennent très bien à température ambiante.

Tondeuse au Lanthane

Klaus Yvon, professeur honoraire du Laboratoire de cristallographie, a beaucoup travaillé sur ce sujet et a même fabriqué il y a vingt ans une tondeuse à gazon fonctionnant sur ce principe. Elle marche encore. Le principal désavantage de cette technique de stockage d’hydrogène, rédhibitoire pour l’industrie automobile, est le poids excessif de ces réservoirs. Cette solution a néanmoins été retenue dans des applications différentes, comme pour la fabrication d’un sous-marin allemand qui a pu ainsi se doter d’un moteur électrique silencieux – indispensable pour l’utilisation furtive de cet engin de guerre – sans passer par un réacteur nucléaire.

«Cependant, pour une application automobile, il faut que l’hydrogène représente au moins 6% de la masse du matériau utilisé pour le réservoir, précise Hans Hagemann. C’est pourquoi les chercheurs s’intéressent depuis une dizaine d’années environ aux composés contenant de l’hydrogène alliés à un autre élément léger comme le bore, le carbone, l’azote ou encore l’aluminium.»

Beaucoup de contraintes

Mais il ne s’agit pas là de la seule contrainte. Pour espérer marquer des points dans le domaine de l’industrie automobile, il faut également que le stockage de l’hydrogène soit réversible dans des conditions raisonnables (température inférieure à 100° C, pression maximale de 100 bars); que le matériau soit résistant aux cycles d’échange du gaz; que l’on puisse faire le plein rapidement; que le processus de «désorption» soit légèrement endothermique (pour ne pas créer d’emballement qui libérerait tout l’hydrogène d’un coup); que la réaction ne dégage pas de produits toxiques et que le matériau ne soit pas trop cher.

Dans ce contexte, c’est le bore qui mobilise actuellement l’attention de Hans Hagemann. Le borohydrure de sodium (NaBH4) est connu depuis longtemps. Il a été synthétisé initialement par le chimiste américain Herbert Charles Brown dans le cadre du projet Manhattan pour la purification de l’uranium. Le souci c’est que ce composé ainsi que le LiBH4 et le KBH4, également disponibles dans le commerce, sont très stables. Ils ne libèrent leur hydrogène qu’à très haute température (plus de 300° C, voire 500° C), ce qui rend difficile leur utilisation dans des voitures.

«En réalité, jusqu’à il y a cinq ans, on ne connaissait pas grand-chose de la structure des hydrures de bore, souligne le chimiste genevois. Il se trouve qu’à l’Université de Genève, nous combinons depuis près de dix ans plusieurs compétences complémentaires très utiles pour avancer dans ce domaine: l’étude cristallographique (notamment grâce au Swiss-Norvegian Beamline une coopération qui assure un accès privilégié au synchrotron ESRF de Grenoble), la spectroscopie vibrationnelle et l’approche théorique. Ces deux dernières disciplines ainsi que la synthèse en solution constituent ma spécialité. Le Laboratoire de cristallographie réalise, quant à lui, des synthèses «sèches» dans un moulin à billes ou par hydrogénation des solides sous pression. Cette concentration de forces nous rend très compétitifs, sur le plan international, dans la caractérisation des nouveaux composés contenant des ions BH4 -

Hydrogène et deutérium

L’une des prouesses du groupe genevois* a été la caractérisation du Mg(BH4)2, ou borohydrure de magnesium. Plus de 20 modèles différents avaient été proposés par les spécialistes dans la littérature scientifique. Le résultat obtenu par Hans Hagemann et ses collègues s’est révélé tout autre, comme le montre l’article paru dans la revue Chemistry of materials du 10 mars 2009.

Plus récemment, le chercheur a réussi à remplacer les atomes d’hydrogène contenus dans le Mg(BH4)2, par du deutérium, qui est un isotope de l’hydrogène dont le noyau contient un neutron en plus du proton. Cette manipulation ouvre la voie à une meilleure compréhension des liaisons entre les atomes de bore et ceux d’hydrogène, qui représentent, après tout, la partie essentielle dans le processus de libération du précieux gaz.

D’autres travaux ont également été menés sur des composés contenant d’autres métaux Pour l’instant, aucun d’entre eux ne s’est révélé idéal pour la fabrication de réservoirs d’hydrogène. Le Mg(BH4)2, par exemple, lorsqu’il est chauffé, commence à produire des espèces très stables, le B12H12 2-, qui empêche toute réversibilité du phénomène.

«Nous essayons maintenant de combiner les ions BH4 - avec deux métaux différents dans l’espoir que leurs propriétés se rapprochent de celles que l’on cherche, poursuit Hans Hagemann. Nous avançons en terrain inconnu et nos recherches sont encore très fondamentales. Mais j’estime que les composés à base d’hydrure de bore ont de bonnes chances de répondre un jour à nos attentes.»

Quoi qu’il en soit, si cette prédiction se réalise et que l’hydrure de bore permet un jour ou l’autre de fabriquer un réservoir léger contenant une grande quantité d’hydrogène facilement disponible, il faudra encore régler un autre problème, qui est celui de la pile à combustible. C’est cet appareil qui produit, en faisant réagir l’hydrogène et l’oxygène de manière à obtenir de l’eau (H2O), le courant électrique nécessaire à faire tourner le moteur de la voiture. Il faudra l’adapter à la nature du réservoir. Ce dernier est en effet susceptible d’émettre d’autres molécules en même temps qu’il relâche l’hydrogène. Mais cela est une autre affaire.

*Les principaux collaborateurs de Hans Hagemann sont Radovan Cerny, maître d’enseignement et de recherche au Laboratoire de cristallographie structurale de la Faculté des sciences, Yaroslav Filinchuk, à l’Université catholique de Louvain depuis janvier 2011.