Campus n°102

Haïti

Haïti apprend à prévoir le pire pour reconstruire

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Mieux anticiper et mieux gérer les conséquences des catastrophes naturelles: tel est l’objectif de la formation mise sur pied en Haïti par le Centre d’enseignement et de recherche en action humanitaire. Un programme inauguré en juin dernier, six mois à peine après le séisme

Septembre 2008: en quelques semaines, quatre ouragans (Faye, Gustav, Hanna et Ike) déferlent sur les Caraïbes. Cuba, et surtout Haïti, sont durement frappés. Sur la «Perle des Antilles», on relève 800 morts et plus de 165 000 sinistrés, tandis qu’une large partie des récoltes est détruite et que 15% de la richesse nationale est engloutie. C’est dans ce contexte que Jean-Daniel Rainhorn, directeur du Centre d’enseignement et de recherche en action humanitaire (Cerah), qui a formé de nombreux étudiants haïtiens, débarque sur l’île. Rapidement, le professeur se forge une certitude: si la pauvreté est naturellement un facteur aggravant, l’absence de formation académique sur la gestion et la prévention des catastrophes au niveau local explique également l’ampleur des dégâts. D’où l’idée de mettre sur pied une formation universitaire en vue d’aider les Haïtiens à mieux affronter les catastrophes naturelles. Destinée dans un premier temps aux cadres de la société haïtienne, ce programme partagé en trois sessions de deux semaines a été inauguré en juin dernier, marquant symboliquement la reprise des activités académiques sur l’île, six mois à peine après le dramatique séisme du 12 janvier 2010.

Un énorme engouement

«Sur place, notre projet a d’emblée reçu un accueil très favorable, explique Jean-Daniel Rainhorn. Nous avons obtenu le soutien du Ministère de l’intérieur haïtien, des milieux académiques nationaux et internationaux ainsi que d’organisations internationales telles que le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) ou la Croix-Rouge. Du côté de la population haïtienne, l’engouement a également été énorme puisque, pour la première session, nous avons reçu près de 200 candidatures en trois jours alors que nous disposions seulement d’une soixantaine de places.»

Les 13 bâtiments du campus de Port-au-Prince ayant été rendus inutilisables par le séisme, c’est dans une résidence de vacances située à une cinquantaine de kilomètres de la capitale que s’est ouvert le Certificat d’études avancées en prévention et gestion des risques et désastres mis sur pied par le Cerah. Offrant un décor de carte postale, le site de Moulin-sur-Mer, qui a totalement échappé aux destructions, a donc accueilli quinze jours durant, une première volée de participants composée principalement de médecins, de magistrats ou de spécialistes de la protection civile. Au programme: des enseignements théoriques et des travaux pratiques portant aussi bien sur les risques liés aux ouragans (formation et caractéristiques des cyclones tropicaux) que sur la prévention des séismes. Autant de connaissances visant un double objectif. D’une part, former des spécialistes locaux capables d’apporter des réponses rapides et efficaces en cas de catastrophe naturelle. De l’autre, faire prendre conscience à la population locale que les catastrophes qui s’abattent sur l’île depuis quelques années ne doivent rien à la fatalité et qu’il est possible d’en limiter les conséquences moyennant une bonne information et un certain savoir-faire.

Les gestes qui sauvent

«Quelques semaines après le tremblement de terre en Haïti, le Chili a été frappé par une secousse d’une ampleur comparable si ce n’est supérieure, explique Jean-Daniel Rainhorn. Bilan: 600 morts, contre 250 000 en Haïti. Il y a une raison essentielle qui explique cette différence, c’est la prévention. Cela passe bien sûr par des aspects physiques, comme la construction des bâtiments et la qualité des infrastructures (routes, distribution d’électricité, réseaux de télécommunications), mais cela suppose aussi un énorme travail d’éducation.»

Le défi pour les formateurs du Cerah consiste notamment à faire passer dans la population les bons gestes en cas de catastrophe naturelle. Au Japon, par exemple, n’importe quel enfant de 6 ans sait que s’il sent la terre trembler, il faut qu’il se place sous le cadre d’une porte pour éviter d’être écrasé dans le cas où sa maison s’effondrerait. On en est loin en Haïti, comme le confirme Jean-Jacques Wagner, ancien directeur du Programme pluridisciplinaire en action humanitaire de l’Université, qui a dispensé une bonne partie des cours sur la sismologie dans le cadre du certificat proposé par le Cerah: «Les Haïtiens savent ce qu’est un ouragan, même s’ils continuent à déverser leurs déchets dans les rivières, ce qui augmente les risques de débordement en cas de précipitations abondantes. En revanche, un séisme comme celui qu’ils ont subi en janvier dernier constitue un phénomène plus difficile à concevoir. Le dernier événement comparable remonte en effet à la fin du XVIIIe siècle. Et il a été oublié de la plupart des habitants de l’île.»

Eviter un nouveau désastre

Outre une évolution des comportements, de nombreuses améliorations peuvent également être apportées aux habitations sans nécessiter forcément d’importants investissements. En Haïti, malgré des moyens limités, beaucoup de gens parviennent à construire leur propre maison. Pour ce faire, ils se tournent généralement vers ce qu’on appelle là-bas un «boss maçon». Or, malgré une volonté évidente de bien faire, ces derniers ignorent la plupart du temps les principes élémentaires qui font qu’un bâtiment est à même de résister à une secousse sismique importante. Une meilleure information sur l’importance des murs porteurs et sur la manière de structurer les constructions suffirait donc à réduire considérablement le nombre de victimes en cas de nouveau tremblement de terre.

«Ce qui importe surtout aujourd’hui, poursuit Jean-Jacques Wagner, c’est d’éviter de créer les conditions d’un nouveau désastre. Lorsqu’on est confronté à une catastrophe majeure comme celle de janvier dernier, la priorité absolue c’est évidemment de porter secours aux victimes. Mais il est également capital de prendre un peu de recul pour analyser ce qui peut être fait et de quelle manière le faire. On a toujours l’impression que l’on pourra penser à cela plus tard mais, dans les faits, il faut agir très vite car pour les survivants, la vie continue. Malgré la douleur, il faut se loger, se nourrir…»

Dans le cas d’Haïti, une action coordonnée dès le lendemain du séisme aurait sans doute permis de limiter l’ampleur de l’épidémie de choléra qui s’est déclenchée au mois d’octobre et qui avait déjà fait plus de 2000 victimes au début décembre. Faute de registre foncier, l’émigration massive de la population vers les campagnes s’est en effet déroulée de façon totalement incontrôlée. On a ainsi vu apparaître des camps totalement improvisés où la population s’est entassée dans une grande promiscuité. Il aurait pourtant suffi de tracer quelques axes au bulldozer pour permettre une implantation plus cohérente, en particulier sur le plan sanitaire. De la même manière, de nombreuses sources n’ont pas été protégées. Servant à la fois aux personnes déplacées et aux animaux, elles ont souvent été contaminées alors qu’il aurait été peu coûteux d’assurer leur salubrité.

Prendre la mesure de ce type d’enjeu semble d’autant plus impératif que la plupart des spécialistes s’accordent à dire qu’Haïti n’est pas à l’abri d’une nouvelle catastrophe naturelle. Outre le risque lié aux ouragans, qui reviennent chaque été avec plus ou moins d’intensité, la probabilité d’un autre événement sismique semble en effet relativement élevée. D’une part, parce que l’énorme quantité d’énergie accumulée sous terre depuis le XVIIIe siècle n’a peut-être pas été totalement évacuée par le séisme du 12 janvier, d’où la possibilité d’une nouvelle secousse à plus ou moins long terme. De l’autre, parce que certaines études ont montré que le risque qu’un événement sismique d’importance survienne dans le nord de l’île n’est, lui non plus, pas négligeable.

«Haïti se relèvera»

Ce qui n’empêche pas Jean-Daniel Rainhorn de se montrer relativement optimiste: «Cela prendra peut-être vingt-cinq ans, mais Haïti se relèvera. Ce pays traverse actuellement des difficultés monstrueuses mais, contrairement à ce qu’on a pu lire dans la presse, c’est loin d’être une terre maudite. Le pays a de nombreux atouts. Il peut s’appuyer sur des élites intellectuelles de haut niveau et cultive un rapport tout à fait particulier à l’éducation. L’avenir d’Haïti, ce sont ces enfants en uniformes bleu marine qu’on voit partir à l’école en traversant un océan de décombres.»

Vincent Monnet