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La toxine botulique à l’aide des géants
Une fois modifiée, la plus puissante des toxines se transforme en une molécule susceptible de soigner certaines maladies comme l’acromégalie, causée par une trop grande sécrétion d’hormones de croissance
La toxine botulique a plusieurs visages. Le premier est sinistre, puisqu’il s’agit du poison biologique le plus mortel que l’on connaisse: un seul milligramme de cette substance suffirait pour tuer 30 à 40 millions de souris. Le deuxième est populaire car le fameux botox, injecté dans les muscles faciaux pour -combattre les rides, contient une version atténuée de la molécule. Le troisième pourrait bien être thérapeutique. Une équipe genevoise a montré, dans un article de la revue The Journal of Clinical Investigation du 4 septembre, qu’une forme modifiée de cette toxine injectée à de jeunes rats n’est plus mortelle et inhibe la sécrétion de l’hormone de croissance. Ce résultat ouvre la voie au développement d’un nouveau traitement de l’acromégalie, une maladie marquée par une production excessive de cette hormone à partir de l’âge mûr.
«La toxine botulique est produite par des bactéries qui vivent dans le sol, explique Emmanuel Somm, maître assistant au Laboratoire du développement et de la croissance de la Faculté de médecine et premier auteur de l’article. Elle provoque le botulisme, une maladie transmise notamment par le biais de boîtes de conserve mal stérilisées.»
Paralysie
Une fois ingérée, la toxine botulique pénètre dans les motoneurones qui sont les nerfs contrôlant l’activité musculaire. Elle y reconnaît et détruit un récepteur essentiel au déclenchement de la contraction du muscle et provoque ainsi une paralysie. C’est le blocage des muscles respiratoires qui peut provoquer la mort des personnes intoxiquées. Le principe du botox est le même sauf qu’il ne paralyse qu’un seul muscle, celui dans lequel il est injecté, ce qui permet d’effacer la ride indésirable. «Ce qui rend cette toxine particulièrement redoutable (ou intéressante pour l’intervention esthétique), c’est qu’elle peut rester active dans les motoneurones jusqu’à six mois», poursuit Emmanuel Somm.
C’est une start-up anglaise, Syntaxin, qui a eu l’idée de modifier la structure moléculaire de la toxine botulique afin que celle-ci ne reconnaisse plus le récepteur neuronal mais une autre cible soigneusement choisie dans l’organisme avec à la clé une éventuelle application thérapeutique. Dans l’optique de valider leur concept en le testant sur l’animal, l’entreprise a fait appel à l’équipe genevoise.
Du poison au médicament
Le choix de la nouvelle cible de la toxine botulique s’est arrêté sur le GHRH, un récepteur situé à la surface des cellules de l’hypophyse qui produisent l’hormone de croissance. «Il fallait trouver un type cellulaire dont il serait intéressant de bloquer la sécrétion et qui exprime à sa surface un récepteur spécifique, c’est-à-dire qui soit absent dans le reste de l’organisme, explique le professeur Michel Aubert, ancien responsable du laboratoire genevois actuellement à la retraite et qui a servi d’intermédiaire avec la start-up anglaise. Sinon, le produit risquerait de provoquer des effets secondaires indésirables.»
Une fois le poison transformé en molécule thérapeutique, il a été administré à des jeunes rats en pleine croissance. Résultat: non seulement les rongeurs ont survécu mais en plus leur sécrétion d’hormone de croissance a été bloquée. L’ensemble de la cascade de signalisation stimulant la croissance a également été inhibé, ralentissant ainsi le développement des rats, au niveau de la masse osseuse, du poids des organes ou encore de la taille de l’animal.
«Nous avons démontré que le concept imaginé par Syntaxin est valable, souligne Emmanuel Somm. Cette nouvelle approche pourrait bénéficier dans le cas présent à l’acromégalie. D’autres pathologies sont traitables dès lors qu’elles impliquent des sécrétions excessives (d’hormones ou d’autres substances) par des cellules arborant à leur surface un récepteur spécifique pouvant servir de porte d’entrée à cette nouvelle génération de molécules.»
L’acromégalie est une maladie rare causée par une tumeur située dans l’hypophyse qui entraîne une surproduction d’hormone de croissance. Elle se manifeste généralement chez des patients de plus de 45 ans. Les extrémités de leur corps (pieds, mains, nez, lèvres, oreilles) se mettent alors à grandir. L’affection est souvent accompagnée de complications dans différents organes vitaux et peut provoquer une mort prématurée. L’acteur Richard Kiel, qui a joué le personnage de Requin dans deux films de James Bond (L’Espion qui m’aimait et Moonraker), souffre d’acromégalie à laquelle il doit également sa grande taille (2,18 m).
Les traitements actuellement à disposition ne sont pas la panacée. L’opération chirurgicale visant à enlever la tumeur est risquée puisque la glande hypophysaire est située à la base du cerveau. Les médicaments, eux, comportent des effets secondaires et ne sont pas efficaces chez tous les patients.
Anton Vos