Campus n°113

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Dossier | PlanetSolar

Visite à bord du bateau solaire remis à neuf

«PlanetSolar» a passé l’hiver dans le chantier naval de la Ciotat, près de Marseille avant d’être remis à l’eau en mars dernier. Les travaux ont permis d’améliorer les inévitables imperfections du prototype et de préparer la venue de scientifiques dans le cadre du projet « DeepWater »

Avec ses 95 tonnes, le MS Tûranor PlanetSolar n’est pas un poids plume. Pourtant, comparé aux mégayachts qui se font refaire un lifting à ses côtés dans le chantier naval de La Ciotat près de Marseille, le navire solaire battant pavillon suisse fait figure de nain. Il surclasse ses voisins géants sur une seule dimension : la largeur, imposée par le besoin de déployer un maximum de panneaux solaires sur son toit. Avec sa silhouette trapue, il occupe sur la jetée la place que pourraient prendre (et payer) deux navires privés. Il est d’ailleurs temps de vider les lieux. La dernière couche de peinture antifouling (qui empêche les organismes aquatiques de se fixer sur la coque) est sèche. Le gigantesque chariot d’acier sur lequel est posé PlanetSolar s’est mis en branle et sort lentement le bateau de son parking.

L’opération de mise à l’eau est menée sans précipitation mais il n’est pas question de traîner non plus. Les conditions météorologiques risquent de changer et si le vent et les vagues se lèvent, cela pourrait compliquer considérablement les activités des ouvriers du chantier. Principalement fabriqué en fibres de carbone, PlanetSolar est en effet vulnérable tant qu’il n’est pas en pleine mer. Le moindre choc contre le béton de la jetée pourrait percer un de ses deux flotteurs et compromettre le projet.

Monte-charge

Au moment où le lourd véhicule s’engage en direction du monte-charge destiné à remettre le navire à flots, les ouvriers se rendent d’ailleurs compte que les hélices toutes neuves de PlanetSolar (lire en page 23) risquent, en passant, de toucher une bite d’amarrage. Pour remédier à ce problème inattendu, il faut au dernier moment rajouter des plots en bois pour surélever le bateau de 40 centimètres.

Un fois installé sur la plateforme de l’ascenseur, la descente du vaisseau s’amorce enfin. Elle va durer une heure. Les immenses treuils s’arrêtent plus d’une fois par précaution : l’espace libre entre le bateau et les piliers de bétons situés de part et d’autre n’excède pas une dizaine de centimètres. Lors d’une de ces pauses, les gros flotteurs arrivent à la hauteur du quai. En un pas, on peut alors accéder à un petit escalier escamotable qui mène à l’intérieur. C’est l’occasion ou jamais d’effectuer une visite.

On entre dans le MS Tûranor PlanetSolar par un vaste carré. Malgré le désordre lié aux travaux de réfection, on sent que l’équipage ne manquera pas d’espace. Il y a un coin pour manger, un autre pour se détendre et visionner un film, un autre pour travailler, etc. A un endroit se dresse une armoire vitrée. Elle est vide mais contient en temps normal de la vaisselle, comme dans n'importe quel salon.

«Pla netSolar est un catamaran, explique Pascal Goulpié, directeur et cofondateur de la société PlanetSolar SA. Il est très stable même par gros temps. Il n’y a pas de gîte et quasiment pas de tangage. Du coup, contrairement à ce qui se passe sur des monocoques, rien n’est attaché.»

Au cours de son tour du monde entre 2010 et 2012, le bateau expérimental a essuyé de nombreux grains. Maintes fois, il a dû supporter des vents de 40 nœuds de moyenne, avec des rafales à 55. Des déferlantes ont par moments submergé le pont supérieur, situé tout de même à une hauteur de 6 m. Le navire n’a pas bronché et, à l’intérieur, aucune assiette ne s’est brisée. « Le bateau ne se soulève pas avec les vagues mais rentre dedans, précise Pascal Goulpié. La nacelle centrale, en forme de V, prend alors le relais de la flottaison. »

Coussins confortables

En sortant du lieu de vie, on arrive dans la « marina », le pont arrière quasiment toujours situé à l’ombre de l’imposant toit sur lequel sont installés les panneaux solaires. Agrémenté de grands coussins confortables, c’est l’endroit de la détente et des réceptions officielles.

Plusieurs trappes s’ouvrent dans le plancher et dans la plateforme arrière. L’une d’elles mène à un petit atelier équipé pour réparer des pièces en fibres de carbone. Une autre est destinée à recevoir les poubelles (pas question pour un bateau écologique de polluer davantage une mer déjà saturée de déchets plastiques). Au milieu du pont, sous un panneau en carbone s’ouvre un grand trou béant. C’est l’endroit où se trouvait l’ancien gouvernail central, aujourd’hui remplacé par deux autres, plus petits, situés derrière chaque flotteur (lire ci-contre). A cette place viendra se fixer un des instruments de mesure prévus dans le cadre du projet DeepWater.

Les cabines, elles, sont installées dans la partie avant. Il y en a six, capables d’héberger neuf personnes à la fois. L’espace à disposition a été optimisé afin d’offrir aux scientifiques qui monteront à bord des bureaux pour travailler au calme. La plus grande chambre – celle du capitaine – dispose de sa propre salle de bains. Les autres sont plus modestes mais, selon les normes de la marine, demeurent spacieuses. Pas de climatisation (trop gourmande en électricité) pour rafraîchir l’air mais des ventilateurs. Et comme PlanetSolar s’est trouvé un sponsor spécialisé dans les matelas haut de gamme qui épousent le corps du dormeur, toutes les cabines en sont équipées. Etre écologique n’implique pas forcément de devoir se priver d’un certain confort.

Dans un local coincé entre deux chambres se trouve un désalinisateur. L’appareil est gourmand (entre 2000 et 4000 Watts) et risque d’entamer les réserves d’énergie. «Nous disposons à bord de 1500 litres de réserves d’eau douce, note Pascal Goulpié. Le désalinisateur ne fonctionnera qu’épisodiquement, lors des longs trajets.»

Les eaux usées sont également gérées de façon raisonnable. Les eaux grises (issues des douches et des lavabos) sont séparées des eaux noires (issues des toilettes) et stockées dans des compartiments distincts. Leur vidange doit obéir à une réglementation stricte.

Entorse au principe énergétique

La cuisine, elle, est banale. A l’exception d’un détail, toutefois, l’unique entorse à l’esprit énergétique du projet : la cuisinière est le seul appareil non branché aux panneaux solaires. Elle est alimentée au gaz, source d’énergie non durable. Une seule bouteille de propane a été utilisée durant le tour du monde.

«Nous avons également à bord deux moteurs thermiques de secours, avoue Pascal Goulpié. Ils nous ont été imposés par les assureurs, au cas où. Ils sont scellés et n’ont jamais servi.»

Une autre exception, datant du tour du monde, a, quant à elle, pu être corrigée. «En 2010, nous sommes en effet partis avec un petit bateau d’appoint muni d’un moteur diesel, explique Pascal Goulpié. Il était prévu d’installer un moteur électrique, mais il n’était pas prêt. Il faut dire que nous avons dû précipiter notre départ.»

A l’époque, une équipe française concurrente était en effet sur le point de réaliser un tour du monde avec leur propre bateau solaire. Pour être sûr de ne pas se faire coiffer au poteau, les responsables de PlanetSolar ont donc décidé de lever l’ancre dès la première fenêtre météo favorable, c’est-à-dire en septembre 2010, au lieu d’attendre la seconde, en avril 2011.

Cette précipitation n’a finalement servi à rien car, par manque de financement, les Français ne sont pas partis du tout. Aujourd’hui, les choses sont rentrées dans l’ordre puisqu’un propulseur électrique, rechargeable via les panneaux solaires, a remplacé le moteur au diesel de l’annexe.

Dans le cerveau

Par un escalier raide, on monte enfin dans le cerveau de PlanetSolar : la timonerie. La vue sur le vaste toit solaire, pièce maîtresse du vaisseau, est imprenable. Les cellules photovoltaïques tapissent toute la surface à l’exception d’un étroit passage qui mène vers un puits descendant dans la marina. « ous avons aménagé ce couloir pour améliorer la circulation des personnes dans cet endroit vite surpeuplé, note Pascal Goulpié. Les gens étaient parfois forcés de marcher sur les panneaux, ce qui n’est pas conseillé.»

Les panneaux ont d’ailleurs très bien tenu le choc du tour du monde. Ni l’eau ni le sel ne les ont détériorés. La seule casse à déplorer a été causée par la chute d’objets ou d’êtres humains. Heureusement, il existe un stock à bord pour remplacer les modules cassés.

Le poste du pilote est muni de tout le matériel de navigation classique ainsi que d’écrans montrant toutes les données concernant l’ensoleillement, la production d’électricité par les modules solaires et le niveau de charge des batteries en lithium-ion situées dans les flotteurs et la nacelle centrale.

En se plaçant à la barre, on se met à rêver de croiser en pleine mer, sans à-coups, propulsé par la seule énergie silencieuse du soleil et des moteurs électriques. Tout à coup, comme si le songe se réalisait, une légère ondulation se propage dans les jambes, le pont vient de perdre sa stabilité. Un sentiment imperceptible mais qui ne laisse aucun doute sur sa cause : le MS Tûranor PlanetSolar s’est dégagé de son support d’acier et flotte librement sur l’eau, bercé par un léger clapotis. Il est temps de retourner à terre.

Une nouvelle paire d’hélices

La principale raison de la mise en chantier du MS «Tûranor PlanetSolar» est le changement de son mode de propulsion. L’ancien système utilisait, au bout de chaque flotteur, des hélices de surface qui n’étaient qu’en partie submergées. Un dispositif expérimental assez compliqué à gérer dans des conditions réelles. Cette configuration obligeait le bateau à disposer d’un grand gouvernail central, peu commode à manœuvrer car situé hors du flux des hélices et générant une trainée dans l’eau.

Ce système est également à l’origine des deux seuls accidents mécaniques sérieux survenus durant le tour du monde bouclé en 2010-2012. C’est pourquoi les responsables du projet ont décidé de revenir à une technologie classique, moins chère et plus fiable, à savoir des hélices entièrement submergées. Pour cela, il a fallu changer les arbres, installer un gouvernail derrière chaque flotteur et monter les hélices situées désormais en dessous des flotteurs et non plus derrière. L’ensemble du dispositif de propulsion est désormais plus simple qu’avant. Il devrait permettre à PlanetSolar d’atteindre les mêmes performances que durant le tour du monde, voire de les dépasser.