Campus n°114

Campus

Recherche | Physique

Teramobile : le laser qui pulvérise les cirrus

Des physiciens ont réussi à changer le pouvoir réfléchissant de cirrus artificiels en leur tirant dessus avec un laser. Une méthode élégante pour contribuer à lutter contre l’effet de serre

En bombardant des cirrus avec un laser ultra-puissant, une équipe de physiciens, menée par Jean-Pierre Wolf, professeur au Groupe de physique appliquée (Faculté des sciences), a réussi à transformer localement la composition de ce type de nuages avec comme conséquence de les rendre plus opaques aux rayons solaires et plus transparents aux infrarouges. L’expérience, parue dans la revue des Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) du 18 juin, a eu lieu dans des conditions de laboratoire à l’Institut technologique de Karlsruhe (KIT) en Allemagne. Elle ouvre une piste originale dans la lutte contre le réchauffement climatique même si, selon les chercheurs, d’importants développements technologiques seront nécessaires avant que l’on puisse espérer manipuler à volonté des nuages réels depuis le sol.

Le couvercle de la cocotte Les cirrus évoluent à la limite de la stratosphère à une altitude d’environ 10 000 mètres. Composées de cristaux de glace d’une dizaine de microns de diamètre, ces formations jouent le rôle de véritable couvercle pour cocotte-minute. Relativement minces et étendus, ils reflètent les rayons du soleil, ce qui peut être un avantage dans les circonstances d’un réchauffement global, mais empêchent aussi la chaleur emmagasinée en dessous de s’échapper vers l’espace. La plupart de ces nuages sont d’origine naturelle mais les avions de ligne en produisent de plus en plus, reconnaissables à ces paires de traînées blanches qui se croisent dans le ciel. Le bilan radiatif des cirrus est positif, ce qui, dans le langage des climatologues, signifie qu’ils apportent une contribution nette positive à l’effet de serre. Ces nuages forment donc une cible de choix pour la recherche dans ce domaine.

Pour des raisons de faisabilité, les chercheurs ont choisi d’utiliser un simulateur de nuages, nettement plus maniable que les spécimens circulant librement dans la nature. Le KIT dispose en effet d’une chambre de 84 mètres cubes dans laquelle les chercheurs peuvent créer des nuages de toutes les formes, compositions, température, etc. Le volume est suffisant pour rendre négligeables les effets perturbateurs générés par les parois.

Pour les besoins de la manipulation, les physiciens genevois ont apporté en Allemagne un laser de leur conception, baptisé Teramobile. Il s’agit d’un laser mobile, installé dans un conteneur, et qui produit des impulsions lumineuses brèves mais d’une très grande puissance, d’environ 5 terawatts (soit 5000 milliards de watts).

« Au moment de sa conception, en 1999, il s’agissait d’un des lasers les plus puissants du monde (en termes de puissance de crête), précise Jean-Pierre Wolf. Aujourd’hui, certains appareils génèrent des impulsions 1000 et bientôt 1 million de fois plus puissantes. Cela dit, de telles performances ne peuvent être atteintes qu’à l’aide d’installations très vastes. Le Teramobile, lui, est relativement léger et peut se déplacer sur le terrain. Dans sa catégorie, il reste dans le peloton de tête.»

La tâche du Teramobile est l’étude de l’atmosphère. Lorsque les impulsions laser de très haute puissance (l’appareil en produit 10 par seconde) traversent l’air, elles génèrent des effets d’optique non linéaires, qui permettent au faisceau de rester focalisé sur de très longues distances. Tout au long du parcours, les photons du laser créent de manière éphémère un filament de plasma dans lequel les électrons sont arrachés des noyaux atomiques (lire ci-dessous). En général, les chercheurs analysent les signaux qui sont réfléchis par les molécules de l’atmosphère et renseignent sur sa composition.

Vapeur cristallisée Dans le cas des nuages, les physiciens ont directement bombardé les cirrus artificiels et ont littéralement cassé en 1000 morceaux chacun des cristaux de glace qui se trouvent sur la trajectoire du laser. Au cours de l’opération, la vapeur d’eau encore contenue dans l’air, devenue sursaturée, s’est cristallisée à son tour. La conséquence est double : D’une part, l’augmentation de la densité de particules de glace et de la quantité totale de glace rend le cirrus plus opaque aux rayons solaires. De l’autre, la diminution de la quantité de vapeur d’eau et la réduction de la taille des cristaux rendent le nuage transparent aux infrarouges, les ondes qui véhiculent la chaleur. « En d’autres termes, nous sommes arrivés à changer le bilan radiatif du cirrus en laboratoire, explique Jean-Pierre Wolf. Et ce, sans faire usage de produits chimiques ni de technologies farfelues.»

Parasols en orbite Il faut dire que dans le domaine de la géo-ingénierie, un secteur en pleine expansion à l’heure où l’on cherche désespérément des solutions contre le réchauffement climatique, les idées folles ne manquent pas. Certains, comme l’astronome américain Roger Angel, ont imaginé le placement en orbite de milliards de parasols censés atténuer de quelques pour-cent l’ensoleillement sur Terre. Plus inquiétant, Paul Crutzen, lauréat du Prix Nobel de chimie en 1995 pour ses travaux sur la formation du trou d’ozone, a carrément proposé d’envoyer dans la stratosphère des quantités importantes de composés soufrés afin de faire obstacle aux rayons du Soleil.

Cela dit, si la technique des physiciens genevois est plus élégante que celles de leurs concurrents, elle n’est pas forcément plus réaliste. Les cirrus sont vastes et hauts dans le ciel alors que les rayons lasers sont confinés à une seule dimension. C’est pourquoi Jean-Pierre Wolf et ses collègues se sont lancés dans une étude visant à estimer quel type de laser, quelle puissance et quelle infrastructure il faudrait pour parvenir à transformer la réflectivité des cirrus de manière significative. Résultats prévus cet automne.

Anton Vos

Les apprentis zeus peinent à maîtriser la foudre

Le rayon laser du Teramobile crée dans l’atmosphère un filament de plasma dans lequel les électrons sont arrachés des noyaux atomiques. Cette propriété a donné l’idée que cet appareil, mis au point par l’équipe de Jean-Pierre Wolf, professeur au Groupe de physique appliquée (Faculté des sciences), pourrait provoquer et guider la foudre avec tous les avantages que cela suppose pour les aéroports et autres sites sensibles. Des expériences menées en labo­ra­toire sont parvenues à générer de belles décharges. Sur le terrain, en revanche (notamment au Nouveau-Mexique en été 2004), il s’est avéré que le laser parvient à provoquer des amorces de foudre mais que celles-ci s’évanouissent rapidement : le filament de plasma ne se maintient pas assez longtemps pour que les décharges électriques poursuivent leur route jusqu’au sol. Les travaux sur ce sujet sont actuellement en attente de nouveaux financements. A.V.