Campus n°119

CHEOPS met la Suisse en orbite

Le satellite helvétique étudiera des exoplanètes déjà connues tournant autour d’étoiles proches. Il mesurera leur transit afin de connaître leur diamètre, d’en déduire leur densité voire d’en tirer des informations sur leur atmosphère

CHEOPS est un satellite scientifique qui aura été imaginé et conçu de bout en bout par des chercheurs suisses. C’est la première fois que l’astronomie helvétique, qui codirige cette mission avec l’Agence spatiale européenne, (ESA), dispose d’une telle visibilité en matière spatiale. Jusqu’à présent, son rôle a consisté à être responsable d’un seul volet d’une mission (fabrication d’un instrument de mesure, gestion et traitement des données provenant d’un télescope spatial, etc.), la direction globale revenant toujours à une grande nation ou à une organisation internationale.

«CHEOPS est une petite mission, nuance Willy Benz, professeur à l’Institut de physique de l’Université de Berne, directeur du Pôle de recherche national PlanetS et responsable de CHEOPS. C’est pourquoi nous pouvons nous en occuper entièrement. Son objectif consiste à mesurer le transit de planètes devant leur étoile, c’est-à-dire à détecter la légère chute de luminosité de l’astre provoquée par cette occultation partielle. Les cibles du satellite sont des exoplanètes déjà découvertes par d’autres méthodes en orbite autour d’étoiles brillantes qui sont généralement aussi les plus proches de nous.»

Jours meilleurs L’idée du projet naît en 2008 lors de l’appel à projets pour de nouveaux Pôles de recherche nationaux (PRN) lancé par le Fonds national pour la recherche scientifique. A cette occasion, les astronomes bernois, genevois et des membres du Swiss Space Center à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne réalisent une étude de faisabilité pour la construction d’un petit satellite financé par le Secrétariat d’Etat à la recherche et par des fonds venus de l’industrie. Le PRN en astronomie est finalement recalé mais l’idée du satellite demeure, attendant des jours meilleurs.

Ceux-ci ne tardent pas à venir. En 2012, c’est au tour de l’ESA de lancer un appel pour des missions de petite envergure, dites de classe S. C’est une nouveauté pour l’agence européenne jusque-là spécialisée dans des projets de classe M (dont le budget s’élève à environ 500 millions d’euros) et L (1 milliard d’euros). Pour la première fois, elle cherche à financer une mission à hauteur de 50 millions d’euros, ne risquant pas de mettre en péril le reste de son programme.

«Nous avons eu de la chance, estime Willy Benz. Le projet CHEOPS était déjà très avancé et nous avons donc pu rendre une copie très complète malgré le temps très court qui nous était imparti. L’appel tombait en effet au printemps 2012, la proposition devait être rédigée en juin et nous avons été sélectionnés en octobre (sur 26 participants, tout de même). Le lancement, quant à lui, est prévu pour fin 2017. Une procédure aussi rapide, c’est du jamais vu à l’ESA.»

Entre-temps, le projet CHEOPS s’est internationalisé avec la participation de l’Autriche et de la Suède puis de huit autres pays (sans parler de l’ESA, bien sûr). Le budget gonfle, lui aussi, et dépasse désormais les 100 millions d’euros. La part de l’ESA étant plafonnée à 50 millions d’euros, ce sont les pays partenaires qui ont dû délier leur bourse. La plus grande part de l’excédent, 33 millions, est versée par la Suisse. Le PRN PlanetS consacrera de son côté une partie de son budget à l’exploitation scientifique du satellite lorsqu’il sera en orbite.

Grâce à CHEOPS, la Suisse fait l’expérience d’une responsabilité inédite. Elle participe à la supervision de l’ensemble du projet, qu’il s’agisse de la conception de la plateforme destinée à recevoir les instruments de mesure, du satellite lui-même, de la procédure de lancement, etc. Les différents éléments de la charge utile (le télescope) seront d’ailleurs assemblés, intégrés et testés à l’Université de Berne. Le nombre de compétences nouvelles à acquérir s’envole, qu’elles soient académiques, logistiques ou encore administratives, notamment avec la signature de quantités de contrats internationaux. L’industrie helvétique est elle aussi mise à contribution, notamment pour la mise en place du laboratoire d’assemblage et d’intégration, la fabrication de certains éléments de la structure du télescope et du satellite ainsi que pour l’élaboration de programmes informatiques embarqués.

Données brutes Une fois CHEOPS en orbite, les données brutes seront acheminées, via des antennes à Madrid, vers le Centre d’opérations scientifiques installé au Département d’astronomie de l’Université de Genève. Là, elles seront récoltées et traitées avant d’être mises à la disposition de la communauté scientifique. C’est également de cet endroit que seront émises les coordonnées des étoiles que devra cibler le satellite.

CHEOPS n’est pas le premier appareil à mesurer des transits. Les observatoires terrestres WASP, aux Canaries et en Afrique du Sud, ont déjà découvert plus d’une centaine de planètes par cette technique. Le satellite COROT, mis en orbite en 2006 et désactivé en juin 2014, en a accroché quelques douzaines à son tableau de chasse dont la fameuse CoRoT-7b, la première exoplanète rocheuse. A l’heure actuelle, l’appareil le plus prolifique est KEPLER. Lancé en 2008 par la Nasa (l’Agence spatiale des Etats-Unis), il a découvert en cinq ans plusieurs milliers de transits rien qu’en couvrant un tout petit coin de ciel, dont plusieurs objets au diamètre aussi petit que celui de la Terre.

«KEPLER a identifié une grande quantité de candidats au statut d’exoplanète dont on ne connaît pour l’instant que le rayon et la période, précise Willy Benz. Il faudrait confirmer chacune de ces découvertes par une autre technique. Le problème, c’est que la plupart des transits dénichés par KEPLER concernent des étoiles trop peu brillantes pour être exploitées par la technique des vitesses radiales, en tout cas à l’aide des instruments actuels.»

Mille étoiles Contrairement à ces concurrents, CHEOPS ne cherche pas à découvrir de nouvelles planètes mais à étudier celles qui sont déjà connues et de préférence celles tournant autour d’étoiles brillantes. Si en plus elles sont petites et évoluent dans la zone habitable, c’est d’autant plus intéressant. L’avantage de cette approche, c’est que les chercheurs sauront à l’avance à quel moment il faut viser quelle étoile afin d’obtenir immédiatement une mesure précise du transit. Cela permet d’allouer le temps d’observation de la mission de manière très efficace. Au total, le satellite devrait suivre entre 500 et un millier d’étoiles proches au cours des trois ans et demi d’exploitation prévus.

La mesure du transit permet avant tout de calculer le rayon de l’exoplanète. En combinant cette donnée avec la masse (connue grâce à la méthode des vitesses radiales), on peut déduire sa densité moyenne, ce qui est un premier indice pour connaître la composition de la planète (rocheuse ou gazeuse, par exemple) et donc comprendre les mécanismes mis en œuvre lors de sa formation. La courbe précise de la variation de la luminosité de l’étoile lors du passage de son compagnon peut aussi fournir la valeur de l’albédo (ou pouvoir réfléchissant) de ce dernier, d’où l’on peut ensuite tirer des renseignements sur la structure de l’atmosphère.

Toutes ces données contribueront à améliorer les modèles théoriques de formation de systèmes planétaires qui représentent l’activité principale du groupe de Willy Benz au sein du PRN PlanetS.