Campus n°124

Un volcan s’éveille aux tropiques et c’est le nord qui s’enrhume

Le volcan Tambora a injecté dans la stratosphère des millions de tonnes d’aérosols soufrés. Des chercheurs genevois ont réussi à estimer avec précision le refroidissement moyen que ce phénomène a engendré dans l’hémisphère nord

L’éruption du volcan Tambora en Indonésie en 1815 a provoqué un refroidissement moyen de l’hémisphère Nord de 0,8 à 1 °C qui a persisté durant deux, voire trois ans. Tel est l’un des résultats d’une étude publiée le 31 août 2015 dans la revue Nature Geoscience par une équipe dirigée par Markus Stoffel, maître d’enseignement et de recherche à l’Institut des sciences de l’environnement. Basé sur l’analyse des cernes des arbres et la modélisation informatique, ce travail atteint une précision inédite qui permet pour la première fois de se faire une idée réaliste de l’impact de cette éruption sur le climat global.

La cause de ce bouleversement est le soufre. Des millions de tonnes de SO2 ont en effet été éjectées lors de l’éruption cataclysmique du Tambora en avril 1815. L’événement ayant eu lieu dans une région tropicale, une partie de ces molécules, agrégées en aérosols, a pu s’élever grâce aux forts courants ascendants jusque dans les couches supérieures de l’atmosphère avant d’être distribuée tout autour de la Terre. Une fois dans la stratosphère, c’est-à-dire au-dessus de 15 km d’altitude, ces particules peuvent y rester durant quelques années avant de retomber. Entre-temps, elles ont le pouvoir de refroidir la surface terrestre en filtrant les rayons solaires qu’elles absorbent et réfléchissent partiellement.

«Le rafraîchissement d’environ 1 °C que nous avons mesuré dans l’hémisphère Nord n’est pas distribué de manière homogène, précise Markus Stoffel. Certaines régions ont été plus touchées que d’autres, cela se remarque dans les cernes des arbres et dans les quelques données fournies par les instruments de mesures déjà existants à l’époque. L’est des Etats-Unis, l’Europe de l’Ouest et centrale ainsi que la Sibérie ont beaucoup souffert tandis que la Scandinavie et l’ouest des Etats-Unis ont connu des conditions proches de la normale.»

L’hémisphère Sud semble avoir été dans une large mesure épargné, bien que des dépôts de SO2 aient été détectés aussi bien dans les glaces du Groenland que dans celles de l’Antarctique. Cette différence s’explique sans doute par le fait que la partie australe du globe possède moins de terres émergées et que la croissance des arbres y est probablement plus influencée par les fluctuations de précipitations occasionnées par les phénomènes climatiques d’El Niño et de la Niña qui traversent le Pacifique sud. Par ailleurs, les données climatiques concernant le début du XIXe siècle sont quasi inexistantes dans le Sud formé essentiellement de colonies ou de contrées inexplorées par les Européens.

Dans l’hémisphère Nord, en revanche, les effets se font sentir nettement mais pas tout de suite. L’éruption est d’abord suivie par un hiver particulièrement doux et ce n’est qu’à partir de la fin du printemps 1816 que la météorologie se dégrade clairement, entraînant de mauvaises récoltes, des famines, des inondations, etc.

«Le problème, c’est que jusqu’à présent, les tentatives visant à quantifier plus précisément le phénomène (c’est-à-dire son intensité et sa durée) tombaient sur des résultats contradictoires, explique Markus Stoffel. Les simulations par ordinateurs basées sur des modèles climatiques fournissaient systématiquement des valeurs pour le refroidissement supérieures à celles obtenues à l’aide des cernes des arbres. Nous avons donc décidé de reprendre le problème à zéro afin de réduire ces différences.»

Les chercheurs ont commencé par compléter les séries de cernes d’arbres à leur disposition et par multiplier les régions d’échantillonnage afin que leurs données couvrent mieux l’hémisphère Nord. Ils se sont également intéressés à la densité du bois et non pas seulement à la largeur des cernes. L’arbre conserve en effet une sorte de mémoire d’une année à l’autre.

Densité du bois Lorsqu’une saison est excellente pour sa croissance, le végétal accumule des réserves qu’il utilise l’année suivante, biaisant ainsi les mesures dendroclimatiques. En mesurant la densité du bois sur la seconde moitié du cerne, qui correspond à la période de juillet et août durant laquelle la majorité du bois se forme, il est possible de minimiser l’influence de l’année précédente.

Du côté des simulations climatiques, les chercheurs ont intégré dans leurs calculs des phénomènes de microphysique négligés auparavant. Il s’agit notamment de facteurs qui limitent la taille des aérosols. Jusqu’à présent, les modèles ont été trop généreux sur ce point, produisant des particules trop grosses et donc irréalistes et, surtout, aboutissant à des refroidissements globaux excessifs de 5, 6, voire 7 °C.

Grâce à ces corrections, les deux méthodes ont fini par coïncider autour d’une valeur intermédiaire. L’image qui en sort est un refroidissement de 0,8 à 1 °C de l’été 1816 par rapport à la normale, ce qui est presque autant que le réchauffement global qui a commencé vers 1850 et atteint actuellement les 1,25 °C. Dans le premier cas, toutefois, l’effet n’a été que de courte durée.

Mauvais moment L’éruption du Tambora ne pouvait pas plus mal tomber. La décennie de 1810 est déjà particulièrement froide puisqu’elle correspond au dernier minimum du petit âge glaciaire, commencé au XIIIe siècle et qui prend fin en même temps que le XIXe siècle. L’événement volcanique ne fait donc qu’aggraver les choses. Il déploie également ses effets l’année qui suit la fin des guerres napoléoniennes, donc dans une Europe exsangue. La famine qu’il provoque alors en Europe occidentale ne fait qu’accélérer le mouvement migratoire vers les Etats-Unis, qui commence alors à monter en puissance. Mais il a aussi créé les conditions nécessaires à la genèse d’une œuvre littéraire entrée dans la culture globale: Frankenstein.

«Sur le moment, personne n’a relié les perturbations climatiques à l’éruption du Tambora, situé à des dizaines de milliers de kilomètres de là, explique Sébastien Guillet, doctorant de Markus Stoffel à l’Université de Berne et coauteur de l’article. Il faut attendre 1883 et l’éruption du Krakatoa, qui a expulsé plus de 20 km3 de magma et tué près de 40 000 personnes, pour qu’un rapport, publié en 1888 par la Royal Society à Londres, établisse pour la première fois un lien clair entre un événement volcanique et ses conséquences globales sur le climat.»

Cela dit, les mécanismes en jeu dans les perturbations climatiques causées par les éruptions volcaniques ne sont de loin pas tous connus. Le fait d’avoir pu réconcilier deux méthodes indépendantes pour estimer les effets d’un changement environnemental brutal permet cependant, selon les auteurs de l’article, d’ouvrir de nouvelles perspectives dans la prévision des conséquences agricoles, socio-économiques, démographiques ou encore politiques que pourraient avoir, dans le futur, des éruptions volcaniques massives.